FOCUS FÊTES DE L’OURS HAUT-VALLESPIR

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FOCUS FÊTES DE L’OURS HAUT-VALLESPIR COLLECTION PATRIMOINES VIVANTS

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COLLECTION PATRIMOINES VIVANTS
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En fin d’hiver, dans le Haut-Vallespir, dans les Pyrénées, trois communes montagnardes, Arles-sur-Tech, Prats-de-Mollo-la-Preste et Saint-Laurent-de-Cerdans, célèbrent les fêtes de l’Ours. Durant tout un après-midi, de jeunes hommes costumés en ours, entourés de Chasseurs, parcourent les rues et poursuivent les participants qui, tour à tour, se cachent, fuient ou les défient. Musiques, chants et danses accompagnent ces déambulations qui se concluent par une scène de rasage : les Ours reprenant alors une apparence humaine.Les pratiques mettant en scène un personnage d’ours sont attestées sous diverses formes dans le monde entier, parfois depuis la Préhistoire. Par leur concentration, leur pérennité et leur complémentarité, les fêtes du Haut- Vallespir constituent un phénomène unique porté collectivement par les habitants de la vallée.
UN TERRITOIRE COHÉRENT Situé sur les contreforts sud du massif du Canigó, le Haut-Vallespir correspond au bassin supérieur du fleuve côtier nommé Le Tech. C’est un territoire de montagne frontalier, le plus méridional de France métropolitaine. Cet espace géographique et culturel, identifié dès l’Antiquité romaine, est issu des anciens comtés catalans qui constituaient le territoire avant le traité des Pyrénées de 1659 et la création de la frontière actuelle avec l’Espagne. Une histoire et un patrimoine remarquables caractérisent les trois communes. Ainsi, Arles-sur-Tech, marquée par une forte activité minière, s’est développée autour d’une abbaye fondée au VIIIe siècle. La station thermale de La Preste se situe à proximité de la ville
intra-muros de Prats-de-Mollo dominée par le Fort Lagarde re- manié par Vauban au XVIIe siècle. Saint-Laurent-de-Cerdans, enfin, est un ancien centre textile florissant avec une mémoire ouvrière encore très présente.
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CRÉDITS Crédits photos ADAMSKI Marie, BINI Linda (www. lindartwork.fr), B.I.T. Arles-sur-Tech, BMAT St-Laurent-de-Cerdans, CA- PELL Any, CHAMBON Jaqe, GORRÉE François, HOMS François, MIOT Jacques, ONGHENA Steven, PAHT Les Vallées Catalanes, VALAISON François.
Archives ABET André, ALFORD Violet, Association ALEGRIA, Famille Max Havart, Prats ToujOurs (Coll. Coromines).
Trompe-l’œil: Bernard GOUT (propr. CAILLET Bernard).
Réalisation PAHT Les Vallées Catalanes
Maquette Studio graphique Marcel Pixel d’après DES SIGNES studio Muchir Desclouds 2018
Plans www.mf-graphiste-illustratrice.fr
SOMMAIRE
6. UNE MÊME TRAME NARRATIVE POUR DES FÊTES SPÉCIFIQUES
8. ARLES-SUR-TECH : THÉÂTRE DE RUE
11. PRATS-DE-MOLLO : JEUX DE MÂCHURAGE
14. SAINT-LAURENT-DE-CERDANS : LE CARNAVAL À L’HONNEUR
17. LES FÊTES DE L’OURS, PATRIMOINE VIVANT
20. PLANS : LES FÊTES DE L’OURS, DE VILLE EN VILLE
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DES FÊTES DE TRADITION IMMÉMORIALE Dans ce cadre géographique caractérisé par son éloignement, les gestes et les pratiques des fêtes de l’Ours se sont essentiellement transmis par la tradition orale. Leur origine, comme leur déroule- ment ancien, sont incertains même si elles font l’objet dès le XIXe siècle d’études ethnographiques. En 1835, l’historien Dominique Marie Joseph Henry mentionne leur existence dans son Histoire du Roussil- lon les tenant déjà pour « un usage d’une grande antiquité »1. De fait, en 1424, une note rapporte la présence, lors de processions reli- gieuses à Barcelone, d’un homme costumé en ours avec des peaux d’agneau noires2. Tandis que dès le IXe siècle, l’archevêque de Reims, Hincmar, dénonce les « turpia joca cum ursis »3, jeux de masque mettant en scène des femmes et des ours qui semblent avoir été autrefois très répandus, surtout dans les zones montagneuses de l’hémisphère nord. Dans les années 1930, les folkloristes anglais Violet Alford et Basil Collier offrent une vision plus détaillée du déroulement des fêtes pré- figurant un intérêt croissant de la part des érudits et des chercheurs remarqué depuis les années 1970. Tous s’entendent pour souligner leur ancienneté et leur lien avec de nombreux récits.
La date initiale des fêtes, le 2 février, correspond en effet à deux épisodes religieux : celui de la purification de la Vierge et celui de la présentation de
Jésus au Temple. Selon certains histo- riens, l’Église catholique aurait introduit ces fêtes cultuelles, qui ont lieu 40 jours après le solstice d’hiver, pour concurrencer et remplacer un ancien culte païen de l’ours4. En témoignerait la croyance répandue en Europe selon laquelle les ours sortiraient d’hivernation le jour de la Chandeleur ou à une date approchante, encore perceptible dans nombre de dictons météorologiques dont voici une version catalane : El dia de la Mare de Déu Candelera, l’ós sall de la cova ; si plou, si fa dolent temps, s’està de fora perqué l’hivern és acabat. Si veu la seua ombra us del sol, torna dedins perquè durant 40 dies farà dolent, l’hivern és pas acabat5. Proche par bien des aspects de l’espèce hu- maine, l’ours a été l’objet de nombreus- es légendes dont la plus connue est celle de Jean de l’Ours, né de l’accouplement d’une femme et d’un ours, qui, au terme de multiples aventures, délivrera des prin- cesses prisonnières du monde souterrain. Il existe diverses versions locales de ces récits mettant en scène une bergère enlevée par un ours qui la garde captive dans une grotte et cherche à s’accoupler avec elle. La jeune fille est sauvée par des chasseurs ou des bûcherons qui éloignent l’ours par la ruse avant de l’abattre. Une version locale christianisée a été retranscrite
1. Henry Dominique Marie Joseph, Histoire de Roussillon : comprenant l’histoire du Royaume de Majorque, livre premier, Imprimerie royale, Paris, 1835, p. CVI-CVII. 2. Duran A. – Sanabre J. Llibre de les Solemnitats de Barcelona, vol. I, Barcelona: Institució Patxot, 1930 3. « Des jeux triviaux avec l’ours ». Pastoureau Michel, L’ours, histoire d’un roi déchu, Seuil, 2007, p. 356. 4. Pastoureau, 2007, p. 149. 5. « Le jour de la Chandeleur, l’ours sort de la grotte ; s’il pleut, s’il fait mauvais, il reste dehors parce que l’hiver est fini. S’il voit son ombre sur le sol, il retourne dans la grotte parce que durant 40 jours il fera mauvais et que l’hiver n’est pas fini. », source Jean-Louis VAILLS. 6. Bosch de la Trinxeria Carles, Montalba, Edicions Blau, 1997, p.56. Carles Bosch de la Trinxeria, originaire de Prats-de-Mollo, vit à La Jon- quera de l’administration de ses terres. Grand voyageur, il publie de nombreux écrits dont certains sont liés à la Renaixença, mouvement littéraire catalan. Dans son roman, l’écrivain mentionne la bergerie du Mas de Cremadells (commune de Saint-Laurent-de-Cerdans), les faits ayant lieu près de l’ermitage Notre-Dame-des-Salines situé près de Maçanet de Cabrenç (Espagne). Il existe une version pratéenne qui localise l’histoire près de l’ermitage Notre-Dame-du-Coral (Prats-de-Mollo-La-Preste). 5
1. Prats-de-Mollo : années 1960 1 2
3 2. Arles-sur-Tech : années 1920
3. Saint-Laurent- de-Cerdans : années 30-40
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par l’écrivain Carles Bosch de la Trinxeria en 18916. Sur cette trame initiale sont, en effet, venus se greffer quantités de récits qui vont notamment former le canevas de spec- tacles de théâtre populaire ou d’autres pratiques festives. C’est le cas des fêtes de l’Ours, dont les séquences et le per- sonnages sont caractéristiques : Ours, Chasseurs, femmes pourchassées… Les Meneurs et/ou Trappeurs apparaissent alors comme des réminiscences des montreurs et chasseurs d’ours d’autrefois.
UNE MÊME TRAME NARRATIVE POUR DES FÊTES SPÉCIFIQUES Les trois fêtes de l’Ours suivent un déroulement plus ou moins identique. Durant deux ou trois heures, les Ours, venus de l’extérieur des villages, par- courent les rues en courant, défiant les habitants, poursuivis par des Chas- seurs auxquels ils ne cessent d’échapper. Des saynètes, toujours identiques, sont reproduites de place en place : agression, capture, mort et résurrection de l’Ours, suivies d’une nouvelle échappée dans les rues avoisinantes. Le tout ponctué par les cris de la foule qui scande « l’air de l’Ours » et le hue pour le provoquer et l’encourager, par les coups de fusil des Chasseurs, par les
harangues des Meneurs et enfin par la musique des cobles et bandas locales7. La fin de la fête, sur la place principale, est invariablement constituée par un rasage symbolique qui dépouille l’Ours de son animalité pour le réintroduire dans la communauté humaine. Cette trame originelle se décline différem- ment selon les communes.
La question de leur pérennité Corsavy, Lamanère, Céret, Amélie-les-Bains, Py ou encore Villefranche-de-Conflent… D’autres fêtes de l’Ours sont mentionnées à proximité. Elles ont disparu vers la fin du XIXe siècle. Rarement annulées, sauf à l’occasion des conflits mondiaux ou d’in- terruptions dans les années 50 comme à Arles-sur-Tech, celles du Haut-Vallespir, ont pu perdurer tout en évoluant et en s’adaptant aux changements sociaux. Ain- si, initialement organisées le 2 février, elles sont ensuite programmées des jours fériés puis, depuis les années 60, en période de vacances scolaires8.
7. La banda est une fanfare déambulatoire, la cobla, un ensemble musical de 11 musiciens jouant, entre autres, avec des instruments à vent traditionnels catalans. 8. Le premier dimanche après le 2 février pour Arles-sur-Tech, respectivement le premier et le second dimanche des vacances d’hiver de l’Académie de Montpellier (zone C) pour Prats-de-Mollo-la-Preste et Saint-Laurent-de-Cerdans.
1. D’après une gravure du XVIe siècle.
2. Les anciennes Bótes d’après Joan Amades.
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ARLES-SUR-TECH Théâtre de rue
Plus théâtralisée à Arles-sur-Tech, la fête implique tout un jeu d’interactions entre les trois personnages principaux que sont l’Ours, le Trappeur et sa femme, la Roseta, un garçon déguisé en fille. L’animal, cap- turé hors du village, est enchaîné et promené par les rues. Tandis que sur chacune des places, le Trappeur récite en catalan une prédica, une harangue, qui narre la capture, l’Ours amoureux qui « sentia flaira a sota del davantal»9, s’échappe pour tenter d’enlever la Roseta ou titiller les personnages qui l’ac- compagnent. Ainsi, autour du trio principal, gravitent neuf Bótes habillés de chemises à carreaux dont les visages sont protégés par des tonneaux de plastique peinturlurés et ornés de touffes de genêt. Quatre Tortugues (tortues), le visage blanchi et le corps enserré dans des cylindres de toile du même ton, agitent des peluches ou patotes au bout de bâtons. Enfin, une troupe de chasseurs dont Pere et Domingo, cités dans la prédica, accompagnent les différentes saynètes quasi identiques même si un jeu d’improvisation
s’opère entre les personnages principaux. Sur la dernière place, l’Ours parvient finalement à entraîner une jeune fille du public dans une hutte de branchage qui figure sa tanière, avant d’être rasé.
LES LIEUX DE LA FÊTE La Fontaine des buis 1 Situé sur la rive gauche du Tech, c’est un lieu de promenade boisé, haut lieu de la vie esti- vale. C’est là que l’Ours, le corps enserré dans une combinaison de fausse fourrure et le visage couvert d’un masque caractérisé par une imposante dentition, est attrapé par le Trappeur et la Roseta avant de se diriger vers le cœur du village.
9. « sentait l’odeur sous le tablier » Lluis-Gual Oriol, Les derniers ours, une histoire des fêtes de l’ours , Quaderns del costumari de Catalunya Nord, n° 1, 2017, p.151
Rue du Barri d’Amunt, n°27 2 Les façades de cette rue, caractéristiques d’un habitat bourgeois du XVIIIe siècle, sont rythmées par des balcons ajoutés au siècle suivant. Au premier étage de la maison de maître située au n°27 se joue,
en milieu de parcours de la fête, une scène humoristique, mimée par l’Ours et ses aco- lytes principaux, attendue par la population.
9. « sentait l’odeur sous le tablier » Lluis-Gual Oriol, Les derniers ours, une histoire des fêtes de l’ours , Quaderns del costumari de Catalunya Nord, n° 1, 2017, p.151
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La Place 3 Réaménagées à partir du XVIe siècle, les maisons de cette place centrale bordent l’église abbatiale Sainte-Marie. Les ves- tiges de couverts à portique témoignent de l’activité commerçante des rez-de- chaussée. En 2004, l’espace a été repensé et réhabilité à partir des matériaux locaux comme le granit et le fer. C’est ici que se trouve la cova ou tanière de l’Ours. Celui-ci, après une ultime prédica, est assis sur une chaise. Le Trappeur et la Roseta exécutent alors devant lui une chorégraphie composée d’allers retours transportant successivement un porró, un récipient rempli de muscat, et les accessoires nécessaires au rasage : un bavoir, un plat à barbe, une hache en bois et une pomme en guise de blaireau.
Le parc de la Mairie 4 De style éclectique, la Villa Les Indis est construite en 1901 par Joseph Pierre Monin, un ingénieur civil qui a investi dans les mines de fer de Batère. Siège de l’ad- ministration communale depuis 1936, elle est située en face de l’abbaye bénédictine fondée au VIIIe siècle et du Palau. Cette ancienne dépendance, remaniée en résidence à la fin du XIXe siècle, a été, un temps, la propriété de la famille de l’industrie chocolatière : Cantaloup. C’est dans le parc de la Mairie aux essences variées que se trouve
le siège du groupe folklorique L’Alegria, actuel co-organisateur de la fête de l’Ours qui a été revitalisée dans sa forme actuelle en 198610. En effet, après quelques interruptions dans les années 50, la manifestation a été momen- tanément décalée à la période estivale à par- tir de 1967. La scène du rasage, en particulier, devient alors une attraction touristique proposée dans cet espace clos par des grilles de fer forgé.
PRATS- DE-MOLLO- LA-PRESTE Jeux de mâchurage
À Prats-de-Mollo, ce sont trois 0urs, spec- taculairement barbouillés de noir, qui, venus du Fort Lagarde, envahissent les rues, mâchurant d’un mélange de suie et d’huile les visages des jeunes filles, leurs proies de prédilection, mais également ceux des habitants du village et des participants, avant d’être enchaînés par des Barbiers. Chaque Ours est accompagné de sa propre équipe de Chasseurs chargés de faire place autour de lui, de l’alimenter en matériaux ou en boisson. Ils peuvent aussi signifier la fin du « mâchurage » par des tirs à blanc et aider au relevage de l’Ours grâce à un long bâton.
LES LIEUX DE LA FÊTE Le Fort Lagarde 1 Remanié par Vauban à la fin du XVIIe siècle, le monument, destiné à une centaine de soldats, domine la ville à laquelle il est relié par un système de galeries dont un souterrain. Il est composé de différentes lignes de défense constituant
actuellement un emplacement privilégié pour la préparation des Ours en début d’après-midi. Les trois jeunes hommes, choisis parmi les volontaires, y sont affublés d’une chasuble en toile de jute et recouverts de peaux de mou-
ton. Une toque de la même matière et un long bâton complètent le costume. Le visage et les avant-bras sont noir- cis par chaque protagoniste dans un geste empreint de solennité souligné par un cri guttural. Trois coups de fusil tirés depuis la « pointe » du fort signent alors le départ de la Chasse à l’Ours qui a lieu dans les ruelles de l’espace intra-muros, composé de la Ville haute et de la Ville basse.
Des harangues…en catalan À Arles-sur-Tech, dès le matin, les pro- tagonistes, excepté l’Ours, appellent la population à participer à la chasse de l’après-midi en parcourant les rues en musique et au son d’une harangue dite en catalan : la trobada dels Caçaires ou l’appel du Trappeur. La récitation d’un texte en vers rythme également les saynètes de l’après-midi. La prèdica, autrement dit sermon ou prêche, connaît une variante interprétée à Saint-Laurent-de-Cerdans. Cette dernière est aussi nommée pèrdica, une version populaire du mot. De trans- mission essentiellement orale, ces tex- tes récités sont l’expression d’une langue vivante marquée par des variantes locales.
10. Cette revitalisation est notamment due à Robert Bosch qui a édité différents ouvrages sur le sujet dont « Fêtes de l’ours en Vallespir », illustré par les photographies de Noël Hautemanière (Éditions Trabucaire, 2013).
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l’Alegria : années 1970
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DES FÊTES PAR ET POUR LES ENFANTS Dans les trois villages, les enfants sont directement impliqués. S’ils participent aux fêtes des adultes, ils sont surtout devenus les acteurs de celles qui sont organisées spécifiquement pour eux, donnant lieu à un véritable dispositif de transmission des valeurs, des gestes et de la pratique. À Prats-de-Mollo-La-Preste, c’est parce que les enfants « jouaient à l’ours » dans la cour de récréation que des adultes ont décidé de créer une « fête de l’ours junior » en 1986. Saint-Laurent-de-Cerdans leur a emboîté le pas il y a une quinzaine d’années avec l’utilisation d’un costume ancien en peau de chèvre d’où le nom de « fête du vieil Ours ». Enfin, Arles-sur-Tech a créé, en 2014, une Festa de l’Ós petit dans le cadre d’un projet participatif engageant plu- sieurs générations.
La Placeta del Rei 2 Cette placette de la Ville haute, autrefois lieu d’habitat ouvrier, est située sur la rive droite de la Guillema, affluent du Tech. Elle est le lieu de regroupement des trois Ours qui y défient la foule depuis les balcons et y procèdent à de nombreux « mâchurages » dont le déroule- ment varie selon les cibles : lancers de bâton surtout à destination des rivaux masculins, enlacements des jeunes filles ou simple trace de doigt sur le front des « Anciens » ou des jeunes enfants.
Le Foiral 3 C’est en milieu d’après-midi que le groupe des neuf Barbiers (ou Ours blancs), vêtus uniformément, le visage enfariné, munis de chaînes, attrapent les Ours et les entraînent en dehors des murailles. C’est sur l’ancien emplacement des foires médiévales, jouxté par l’imposante école de 1907 qu’a lieu la
phase finale de la fête. Hache en guise de rasoir et botifarron, boudin catalan trempé dans du vin faisant office de blaireau savon- neux, sont utilisés pour le rasage des Ours avant que les peaux animales ne leur soient ôtées. Les protagonistes entament alors ensemble un Ball de córrer, une farandole collective fédératrice.
Le trompe-l’œil de la rue Saintes-Juste-et- Ruffine, n° 5 4 L’artiste Bernard Gout a représenté un Ours tentant de pénétrer dans une maison par le balcon afin d’approcher une jeune fille, une scène, autrefois très répandue dans la Ville haute selon les témoignages. Ici, comme partout dans la ville, telle une quête énigmatique, subsistent sur les façades quelques traces de main noire laissées par les Ours. 13
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2. Le jeune Meneur et son Ours. Saint-Laurent-de Cerdans
3. Les Ours juniors et leurs chasseurs - Prats-de-Mollo
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SAINT- LAURENT- DE-CERDANS Le Carnaval à l’honneur
À Saint-Laurent-de-Cerdans, la fête vient clore les festivités du Carnaval et en garde l’empreinte et l’inventivité : l’Ours ne cesse d’échapper à son Meneur qui le tient enchaîné et récite la pèrdica de place en place. Mais ces deux individus sont accompagnés de bien d’autres figures en constant renouvellement. Ainsi, le personnage biface de la Monaca qui gravite à proximité de l’Ours est inter- prété par des membres de la même famille depuis plusieurs générations. L’Escalfador, autrement dit le Vieux et la Vieille, promènent entre les jambes des partici- pantes leur chaufferette remplie de poils de cochon fumants. Figure récurrente car- navalesque, le groupe de la Brouette dans laquelle trône un homme déguisé en bébé, cherche également à attraper les femmes de l’assemblée. C’est également le cas des Boti- farrons, tout de blanc vêtus, qui enduisent les visages de boudin trempé de muscat afin de rendre ces proies plus attirantes pour l’Ours, dit-on. Leur pendant féminin, les Figueretes, créées en 2011, font de même en barbouillant de figues sèches imbibées
de vin le visage des hommes. Depuis peu, est également réapparu un personnage de chouette, le Gamarús. Avec les autres per- sonnes déguisées, il interagit avec le public et sème le désordre dans le cortège.
LES LIEUX DE LA FÊTE La chapelle Notre-Dame-de-la-Sort 1 Au pied du parvis de cette chapelle, construite à la suite d’une épidémie de peste, se trouve le monument aux morts de l’artiste Gustave Violet édifié en 1924. C’est le point de regroupement où tous attendent impatiem- ment l’arrivée de l’Ours qui s’est habillé, à l’abri du regard public, dans un baraquement de chasseurs. La préparation du héros du jour est complexe : le visage noirci, il revêt un lourd costume composée de plusieurs peaux d’ours du Canada achetées dans les années 90, la tête de l’animal en guise de coiffe.
La place publique 2 Au milieu de cette place dominant le quar- tier dit du Château, autrefois réservé aux notables, se trouve l’église Saint-Laurent re- construite au XIXe siècle. Sur l’emplacement d’une ancienne muraille, transformée autre- fois en fronton de jeu de paume (ou pilota), une peinture murale représente le plan du village décoré par une représentation d’Ours. Au centre du parvis, le Meneur, bâton en main et tenant l’Ours enchaîné, récite l’une des perdiques entouré des différents personnages avant que tous n’entament ensemble une ronde endiablée.
Le quartier du Moulin 3 En milieu de parcours, un arrêt au Café Can Co permet au jeune homme qui, costumé en Ours, a assuré la première partie de la fête de laisser la place à son successeur12. Anciennement réservés aux cloutiers et aux charbonniers, c’est dans la zone située à proximité de la rivière La Quera et ponctuée de nombreuses fontaines qu’a lieu l’ultime scène avant celle du rasage. Le Meneur y récite sa dernière harangue. La Monaca, « le monstre à corps double »13, y exécute ses derniers tournoiements.
12. Le rôle de l’Ours étant très physique, ce sont deux jeunes hommes, ainsi qu’un remplaçant éventuel, qui sont tirés au sort pour l’inter- préter. 13. FABRE Daniel, “Recherche sur Jean de l’Ours” (2ième partie). Folklore, revue d’ethnographie méridionale, tome XXII, été 1969, n°134, p.11.
La préparation de l’Ours
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La place du Syndicat 4 (espace privé) La fabrication de l’espadrille, engagée à la moitié du XIXe siècle, connaît au siècle suivant un développement considérable faisant de Saint-Laurent-de-Cerdans un centre indus- triel d’importance. En témoigne la présence d’anciennes usines dont celle de l’Union sandalière (1923) qui borde l’espace dit du « syndicat », allusion à la coopérative de pro- duction et de consommation. Créée en 1908, celle-ci facilite la vie sociale et les loisirs des ouvriers par la création d’un cinéma, par exemple. C’est sur cet espace qu’a lieu la scène du rasage. Après quelques pas de danse, le Meneur, d’un unique coup de hache, fait chuter l’Ours assis sur un tronc d’arbre. Ce dernier, libéré de son masque, exécute alors une dernière danse avec sa promise.
DES FÊTES QUI ONT DU SENS Interprétées par les folkloristes dès le XIXe
siècle comme un rituel de fertilité et de renaissance printanière, les fêtes de l’Ours constituent aujourd’hui pour la population l’occasion d’affirmer son appartenance à une communauté et son attachement à ses valeurs culturelles. C’est un moment fest i f de cohésion sociale, attendu toute l’année, actuellement intégré dans un cycle carnavalesque de plusieurs journées. C’est un moment aussi de mixité où l’on reçoit, où les générations se mêlent et où l’on peut être reconnu en tant que fille ou garçon digne d’entrer dans l’âge adulte mais aussi, et surtout, en tant que membre de la communauté. Régénération saisonnière, dualités, renouvellement du rapport entre l’homme et l’animal, le civilisé et le sauvage : chacun peut donner son propre sens à la fête, tous s’accordant sur la nécessité de la vivre ou de la faire vivre.
UNE SOURCE DE CRÉATIVITÉ De par leur originalité et leur esthétisme, les fêtes de l’Ours favorisent les échanges en encourageant non seulement les études scientifiques mais aussi les créations. Les écrivains Jordi Soler et Joan-Lluís Lluís ont fait de Prats-de-Mollo le cœur de
leurs fictions mêlant fête de l’Ours et faits historiques romancés. Dans son ouvrage « Les larmes », paru en 2016, Pascal Quignard intitule l’un de ses chapitres « Le jour de l’Ours »15. Dans une performance musicale contée, le trio Michel Maldonado, Raphaël Dumas et Wielfried Delahaie raconte les Ours du Vallespir en fusionnant leurs trois univers : la musique baroque, l’électronique et le conte à travers l’histoire de Jean de l’Ours. Le compositeur cérétan Pascal Comelade, figure de la musique instrumentale, a repris l’air de l’Ours dans l’un de ses albums. Quant à Charles Trenet, il interprète dans les années 50 la « Chanson de l’ours » sur une composition proche de l’une des musiques de la fête16. Ainsi, qu’ils soient originaires des localités concernées ou extérieurs au département, écrivains, conteurs, musiciens, mais aussi réalisateurs, photographes, peintres, dessi- nateurs et sculpteurs trouvent dans les fêtes de l’Ours une source d’inspiration.
UN PATRIMOINE ÉVOLUTIF Novembre 1979, un reportage-fiction sur la fête de l’ours pratéenne est diffusé, pour la première fois, sur une chaîne de télévision nationale17. Depuis la fin des années 80,
Les fÊTES DE l’OURS, patrimoine vivant
La musique et la danse omniprésentes Bandas, cobles et groupes de musiciens avec des instruments à vent traditionnels comme la gralla ou le flaviol accompagnent les déambulations. Les fêtes sont non seulement rythmées par de la musique festive mais, surtout, par trois mélodies principales regroupées sous le nom de Ball de l’Ós. Ces airs, qui seraient d’origine très ancienne, ont été retranscrits par le compositeur cérétan Max Havart dans les années 50 voire réinterprétés dans des compositions plus récentes14. Ils sont égale- ment scandés par la foule tout au long des parcours des Ours. Berceau de divers musiciens, siège également à Saint-Laurent- de-Cerdans la Cobla Principal del Rosselló, qui joue des sardanes, ces rondes dansées main dans la main, qui ouvrent et clôturent les fêtes de l’Ours.
14. Par les compositeurs de sardanes Didier PARAYRE (Festa de l’ós a l’alt Vallespir) ou Lilian PEREZ (Prats en festa) par exemple.
15. SOLER Jordi, La fête de l’ours , traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, Belfond, 2011/LLUÍS Joan-Lluís, Le jour de l’ours, traduit du catalan par Cathy Ytak, Tinta Blava, 2006 / QUIGNARD Pascal, Les larmes, Grasset, 2016. 16. PAROLE À PART, Cédérom « Jean de l’Ours », Parole à Part, 2018 / COMELADE Pascal, Cédérom « Música Pop (Danses de Catalunya Nord), G3G Records, 2003 / TRENET Charles « La chanson de l’ours » ©1946 Raoul Breton / 1945 Salabert. On peut citer également “L’ours” du groupe Al Chemist (album « Il était une fois dans le 66 – volume 4 », AttrapTemps, 2015) 17. « La fête de l’ours », réalisé par Denis Chegaray et produit par Pascale Breugnot pour FR3-Toulouse, 55 min. Ce film a obtenu en juin de la même année le premier prix du concours « Regards sur les provinces » du festival de l’audiovisuel de Royan. 1716
4 Le rasage avec une partie des personnages de la
fête : de gauche à droite, la Monaca, les Botifarrons et
L’Escalfador
5. Ball de l’ós d’Arles al Vallespir par Max Havart
Mâchurage – Prats-de-Mollo
Le patrimoine culturel immatériel
L’UNESCO, organisme des Nations Unies créé en 1945, œuvre à favoriser la diversité culturelle par la protection du patrimoine. La Convention de 2003 en reconnaît une forme distincte des monuments, des paysages et des objets : le patrimoine culturel immatériel. Le « PCI », c’est l’ensemble des pratiques reconnues et portées par une communauté, transmises de génération en génération et nécessairement évolutives. Cinq domaines sont concernés : les traditions orales, y compris la langue comme support, les arts du spectacle, les manifestations sociales et festives, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ainsi que les savoir-faire artisanaux.
après avoir fait l’objet d’autres films documentaires qui ont marqué un tournant dans leur perception locale, les fêtes de l’Ours ont pris une nouvelle dimension, plus ouverte à un tourisme de proximité, passant ainsi d’une pratique intimiste à une manifestation d’envergure. Ainsi, lorsque les conditions météorologiques sont optimales, les fêtes peuvent attirer plusieurs milliers de personnes sur une seule journée. En 2014, les trois villages ont décidé de se porter candidats à l’inscription sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Une première étape a été franchie la même année avec l’inscription des fêtes à l’inventaire national de la France. En 2018, leur candidature est reconnue éligible par le ministère de la Culture pour une transmission possible à l’Unesco en vue des prochains cycles de candidature nationale ouverts à la France.
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1. Article Midi Libre – Dimanche 11 novembre 1979
2. Le groupe féminin des Figueretes apparaît à Saint- Laurent en 2011.
3.Fresque de l’école. Arles-sur-Tech. 
4. Broderie Le Point laurentin - Saint-Laurent-de-Cerdans.
5. Séjour artistique « C’est mon Patrimoine ! » 2018 - Saint-Laurent-de-Cerdans.
6.Galerie d’art La Vitrine, Jaqe et Éric Chambon - Prats-de-Mollo-La-Preste.
7.Séjour artistique « C’est mon Patrimoine ! » 2016 – Prats-de-Mollo-la-Preste
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ARLES-SUR-TECH 1. La Fontaine des buis 2. Rue du Barri d’Amunt 3. La Place 4. Le parc de la Mairie
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PRATS-DE-MOLLO 1. Le Fort Lagarde 2. La Placeta del Rei 3. Le Foiral 4. Le trompe-l’oeil de la rue Saintes-Juste-et-Ruffine
Valls Marie Joseph
Chapelle Saintes Juste
et Ruine
Rue de la Poste
Rue de Can Bigata
et RuineRincón
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LE SAVOIR-FÊTE Les jeux d’interaction et les courses-poursuites qui font toute la saveur des fêtes de l’Ours présupposent d’y participer en toute connaissance de cause : vêtements décontractés et chaussures de circonstance, placements adéquats, protection des appareils multimédia et… bonne humeur requise.
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La Quera
Place Publique
Os ets, Os seràs i Os quedaràs. Joan Amades
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Les Vallées Catalanes appartiennent au réseau national français des Villes et Pays d’Art et d’Histoire. C’est le premier territoire transfrontalier de ce réseau. Il est constitué de 31 communes : 24 de la Catalogne du Nord (France) et 7 de la Catalogne du Sud (Espagne). Le territoire suit le cours de deux fleuves : celui du Tech dans le Vallespir (France) puis celui du Ter, du côté espagnol, englobant toute la vallée de Cam- prodon jusqu’à Sant Joan de les Abadesses.
Le Label Ville ou Pays d’Art et d’Histoire Le Ministère de la Culture, Direction Générale des Patrimoines, attribue le label Villes et Pays d’Art et d’Histoire aux collectivités locales qui animent leur patrimoine. Il garantit la compétence des guides et des animateurs du patrimoine, et la qualité de leurs actions. Aujourd’hui, un réseau de 190 villes et pays, dont 2 transfrontaliers, vous permet d’approcher le patrimoine dans toute sa diversité. À proximité, en Région Occitanie et dans les Pyrénées-Orientales, d’autres territoires sont labellisés. Liste sur : www.vpah.culture.fr
En savoir plus sur le patrimoine des Vallées Catalanes : Pays d’Art et d’Histoire Transfrontalier Les Vallées Catalanes du Tech et du Ter 7 place du Foiral – 66230 Prats-de-Mollo-La-Preste Tel. 0033 (0)4 68 83 99 49 – Tel. 0033 (0)6 77 58 03 49 www.valleescatalanes.org [email protected]
Fonds Européen de Développement Régional (FEDER). Le Projet a été cofinancé à hauteur de 65% par le Fonds Européen de Développement Régional dans le cadre du Programme Interreg V-A Espagne-France-Andorre (POCTEFA 2014-2020). L’objectif du POCTEFA est de renforcer l’intégration économ- ique et sociale de l’espace frontalier Espagne-France-Andorre. Son aide est concentrée sur le développement d’activités économiques, sociales et environnementales transfrontalières par le biais de stratégies conjointes qui favorisent le développement durable du territoire.
Avec le soutien du Département de Culture de la Generalitat de la Catalogne.