Flash informatique 2001 - no spécial été - Logiciels libres

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Journal informatique de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne du 4 septembre 2001

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    mergence des logiciels libres constitue un v-nement passionnant dans notre socit, tant par lesperspectives quils offrent que par les questions quilsposent. Ils nous obligent faire preuve dinventivitpour modifier aussi bien nos modes de fonctionne-ments que nos lois, afin de tenir compte des nouvel-les caractristiques de communication et de copiessous forme numrique.

    Linnovation la plus marquante dans ce domaineest sans doute aujourdhui la licence GPL (GNUGeneral Public License) [1] qui utilise de faon astu-cieuse les mcanismes de licence des logiciels pourassurer quun logiciel libre puisse le rester.

    Lenjeu de notre attitude face ce phnomne esttel quil nous a paru opportun dy consacrer le nu-mro spcial de cette anne.

    Rappelons que ce qui caractrise un logiciel libreest la libert dexcuter, de copier, de distribuer, dtu-dier, de modifier et damliorer le logiciel. La licenceGPL prend acte lors de la modification et de la distri-bution dun logiciel publi sous cette licence [2].

    Si larrive de Linux a cristallis la possibilitdavoir un systme dexploitation entirement libre,les logiciels libres avaient dj une histoire, depuis lafondation du projet GNU [3] par Richard Stallmanen 1984. Cest pourquoi, quand on parle du systmedexploitation, on parle de GNU/Linux, Linux ntantlui-mme que le noyau de ce systme. La richesse deslogiciels libres applicatifs disponibles pour GNU/Linux ne cesse de crotre. La liste est bien trop lon-gue pour tre numre ici mais une bonne source derfrence est sans doute celle du projet GNU [4].

    Nous avons rassembl ici certains articles origi-naux et dautres dj publis dans certaines revues ousur la toile, toujours en accord avec leurs auteurs, afinde constituer une rfrence solide sur le thme.

    Les rflexions sur la proprit intellectuelle (pages11-16), le droit dauteur et le copyright (pages 63-72), y compris leur internationalisation (pages 57-58)permettent de bien saisir la dmarche. Les aspectsjuridiques voqus dans ces textes devront dailleurstre pris en compte assez rapidement au sein delEPFL. Si le mouvement du logiciel libre se renforcede faon spectaculaire aux tats-Unis dAmrique,lEurope nest pas en reste (pages 23-26) et son d-ploiement concerne plus que jamais le reste de la pla-nte. Les logiciels libres sont aujourdhui promus dans

    Editorial

    [email protected], Service informatique central

    lenseignement en France (pages 27-30) et leur utili-sation dans les entreprises est devenue une ralit tan-gible (pages 3-10 et 17-22). Des licences proches dela GPL sont parfois lunique chance de sauver le logi-ciel de pointe que les propritaires abandonnent (pa-ges 59-62). Denre prissable, tel est le titre de la nou-velle prime cette anne (pages 42-44) et qui illustremalicieusement les textes de ce numro. Mais reve-nons sur terre pour constater que des chercheurs sepenchent sur des modles de viabilit conomiquedu mode de dveloppement de ces logiciels (pages 31-40). Des applications scientifiques bases entirementsur des logiciels libres se dveloppent (pages 45-50 et51-56) au cur mme de notre institution.

    Lors de la rencontre du 12 juin 2001 sur les logi-ciels libres lEPFL, Roberto Di Cosmo nous abrillamment dmontr les principales raisons de pas-ser du logiciel propritaire au logiciel libre : scurit,robustesse, autonomie, prennit, partage des con-naissances, partage des cots de dveloppement, pro-tocoles et formats de donnes publis, tout en nousmettant en garde sur le danger des brevets de logi-ciels [5]. Une remarque faite lors de cette rencontreest ici incluse et pourrait nous servir de conclusion(page 73).

    Pour donner suite ces lectures, rendez-vous surle site Logiciels libres de notre Ecole, elle.epfl.ch.

    Rfrences

    [1] http://sic.epfl.ch/publications/FI00/fi-10-00/10-00-page10.htmlhttp://www.gnu.org/licenses/licenses.html#GPL

    [2] Extrait de la licence GNU GPL, http://www.gnu.org/licenses/gpl.html: You are not required to accept thisLicense, since you have not signed it. However,nothing else grants you permission to modify ordistribute the Program or its derivative works. Theseactions are prohibited by law if you do not acceptthis License. Therefore, by modifying or distributingthe Program (or any work based on the Program),you indicate your acceptance of this License to do so,and all its terms and conditions for copying,distributing or modifying the Program or works basedon it.

    [3] http://www.gnu.org/[4] http://www.gnu.org/directory/[5] Un expos proche de celui quil nous a donn: http:/

    /www.pps.jussieu.fr/~dicosmo/TALKS/Orsay/. Lex-pos lui-mme sera accessible partir du site http://elle.epfl.ch

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    lus que jamais, le phnomne du logiciel libre fait parler delui, mdiatis par le nombre croissant darticles son sujet dansdiffrents journaux et par les rcentes prises de position en sa faveurde la part de grandes entreprises telles que IBM, Sun ou Hewlett-Packard.

    Le GULL, Groupe des Utilisateurs Linux (et des Logiciels Li-bres) du Lman, a particip pour la deuxime fois cette anne lexposition Computer Lausanne et peut dj tirer une premireconclusion: le logiciel libre et son navire amiral Linux interpellentde plus en plus de personnes, aussi bien les utilisateurs particuliersque les informaticiens des multinationales. Les besoins ne sont cer-tes pas identiques mais les mmes questions reviennent. Quest-ceque Linux? Quest-ce que cela va apporter de plus mon entre-prise? Est-ce compatible avec Windows? Quelles sont les applica-tions qui tournent? On ma dit que ce ntait ni sr ni fiable? Est-ceque le support existe?

    Le but de cet article est dexpliquer plus en dtails ce que sontles logiciels libres et leurs avantages pour les utilisateurs, et de faireun survol de leur position dans les entreprises, en examinant enparticulier les obstacles qui sopposent encore leur adoption.

    lisent. La licence la plus connue et laplus utilise est la GNU General Pu-blic License (GNU GPL), dfinie parRichard Stallman, fondateur de la FreeSoftware Foundation (FSF). Elle placelutilisation de logiciel dans un cadrejuridique, humoristiquement appelle copyleft en opposition au copyrightduquel se rclament les licences habi-tuelles. En diffusant son logiciel souscette licence, un auteur garantit cha-que utilisateur quatre liberts, quidfinissent un logiciel comme tantlibre: la libert dexcuter le pro-

    gramme, quel quen soit lusage; la libert dtudier le fonctionne-

    ment du programme et de ladap-ter vos besoins, ce qui ncessitelaccs aux codes sources;

    la libert de redistribuer des co-pies;

    la libert damliorer le pro-gramme et de publier vos amlio-rations.Lutilisateur dun logiciel a ainsi

    autant de droits que son auteur, ycompris celui de revendre le logicielet les modifications quil y a appor-tes. La seule contrainte que lui im-pose la GPL est quil ne peut pas pri-ver dautres utilisateurs de ces liber-ts, cest--dire que sil diffuse des ver-sions modifies du logiciel, il est ga-lement oblig de diffuser le codesource de ses modifications. Maiscette contrainte ne sapplique quauxmodifications du logiciel lui-mme,et pas dautres programmes qui in-ter-agiraient avec lui, contrairement ce que Steve Ballmer, le CEO deMicrosoft, dcrivait rcemment endclarant que Linux est comme uncancer (sic) qui sattache tout ce quiltouche. Ainsi, le fait que GNU/Linuxsoit un systme dexploitation diffussous licence GPL ne signifie pas que

    Lentreprise doit-elle adopter leslogiciels libres?

    Gilbert Robert, [email protected], Frdric Schtz, [email protected],GULL Groupe des Utilisateurs Linux du Lman [1]

    Quest-ce quun logiciellibre?

    Contrairement ce que peut lais-ser supposer lambigut de la langueanglaise, la caractristique principaledu free software nest pas dtre gra-tuit, mais bien dtre libre. Pour il-lustrer cette diffrence, on peut com-parer le code source (les sources) dunprogramme une partition de musi-que alors que le programme lui-mmesera lquivalent de son excution parun orchestre. Dans le cas dun logi-ciel libre, vous disposez de la parti-tion et vous pouvez la rejouer, de lamme manire ou avec un autre ins-trument ou une autre orchestration,alors que dans celui dun logiciel pro-pritaire, vous nentendez que la mu-sique et ne pouvez pas corriger

    dventuelles fautes daccord ou adap-ter le tout votre got. Un concertpeut tout fait tre gratuit, mme sile compositeur refuse de diffuser lapartition de son uvre (ce serait le casdun logiciel propritaire distribu gra-tuitement, mais sans son code source,tel que Microsoft Internet Explorer),alors qu linverse, sil a accept dediffuser sa partition, ceci nimposenullement la gratuit du concert (casdun logiciel libre, pouvant trevendu, mais accompagn de son codesource).

    Contrairement une opinion r-pandue, le logiciel libre nest pas sim-plement plac dans le domaine pu-blic par son auteur, qui abandonne-rait ainsi tous ses droits, mais il estsoumis une licence qui dtermineles droits et devoirs de ceux qui luti-

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    le code source de tout programme quifonctionne sous Linux doit obligatoi-rement tre rendu public !

    Il existe dautres types de licencespour logiciels libres, telle que la li-cence BSD, qui au contraire de laGPL, autorise un dveloppeur re-distribuer une version modifie dunprogramme sans devoir rendre publi-ques les modifications quil a appor-tes. Les diteurs peuvent ainsi int-grer des parties de logiciels libres dansdes produits qui ne le sont pas, ce quia par exemple permis Microsoft derutiliser dans ses programmes,Windows 2000 entre autres, des mor-ceaux de codes provenant de logicielslibres tels que le systme dexploita-tion FreeBSD, et ceci de faon tout fait lgale.

    Quels sont les avantagesdes Logiciels Libresdans le cadre duneentreprise?

    Les logiciels libres possdent desatouts techniques non ngligeables faire valoir dans lentreprise, en par-ticulier grce la disponibilit dessources. Parmi les plus souvent cits,on trouve: lutilisation de standards

    ouverts, et le respect de ces stan-dards, permettant une compatibi-lit entre diffrents produits;

    une scurit accrue; ladaptation de nombreuses

    plates-formes (PC, Mac, Sparc,Alpha, mainframes IBM S/390 oumme systmes embarqus).Contrairement la plupart des so-

    lutions non-libres, ladoption dunsystme GNU/Linux, par exemple, nencessite pas une mtamorphose ra-dicale du systme informatique delentreprise, et on peut envisager unemigration incrmentale service parservice. Ainsi, un serveur de fichiersqui utilise le logiciel libre Samba [12]peut remplacer avantageusement unserveur de domaine NT, et nemp-che pas de garder ses postes clientssous Windows. Une ancienne ma-chine, par exemple de type Pentium133, peut trs bien tre recycle laide de logiciels libres commefirewall ou comme serveur de cour-rier lectronique. A linverse, AlanCox, un des principaux dveloppeurs

    plusieurs annes sans quune faille nesoit trouve, et aucun expert naccep-tera de cautionner un systme non-public.

    Un logiciel libre ne sera pas in-trinsquement plus sr quun autre,mme si la disponibilit du codesource permet daugmenter le nom-bre de personnes aptes dcouvrir desdfauts et les corriger. Mais si undfaut est trouv et une correctionpropose, celle-ci peut tre diffuserapidement tous les utilisateurs, quine dpendent pas du bon vouloir delditeur original. Aprs leur sortie surle march, les bugs dun logiciel libreseront donc plus rapidement corrigs,ce qui donnera dans les faits des logi-ciels plus srs. Un exemple extrme-ment parlant est celui dInterbase, unebase de donnes distribue parBorland. Pendant plusieurs annes,elle a t vendue munie involontaire-ment dune backdoor, un dfaut ca-ch qui permettait un pirate dacc-der facilement toutes les donnescontenues dans le systme sans avoirle mot de passe. Quand Borland aouvert le code source de son pro-gramme, le problme a t dcouvertet corrig trs rapidement, alors quilaurait pu rester cach des utilisateurs(mais pas forcment des pirates) pen-dant encore longtemps.

    Mais pour une entreprise, hormisces qualits techniques, dautres fac-teurs importants peuvent rentrer encompte: lindpendance par rapport un

    diteur de logiciel et de sa politi-que, puisque lon dispose des co-des sources, des spcifications etque les standards sont suivis lalettre (dynamique des outils ga-rantie, fiabilit et scurit plusgrandes);

    le fait de navoir plus de licencecomplique grer et payer, dene plus risquer dtre hors-la-loi.Les mises jour peuvent ainsi treplanifies sans contraintes et uni-quement si cela est ncessaire.Concernant lindpendance, les

    exemples dentreprises dont le four-nisseur informatique a fait faillite nemanquent pas. Sur le plan romand,plusieurs PME se sont ainsi retrou-ves avec des logiciels (de comptabi-lit et gestion par exemple) figs quiltait impossible de modifier. En casde problme ou de besoin nouveau,

    Lentreprise doit-elle adopter les logiciels libres?

    du noyau de Linux, soulignait rcem-ment: Choisissez un serveur Microsoft,et vous devrez choisir un clientMicrosoft. Choisissez Microsoft Projectet vous devrez utiliser un systme dex-ploitation Microsoft, et pourriez bienavoir utiliser de tels systmes sur lamoiti de vos ordinateurs.

    A lheure o la plupart des postesde travail sont connects Internet,un des arguments-cl qui plaident enfaveur des logiciels libres est la scu-rit informatique. Ce problme ma-jeur, mais peu visible la plupart dutemps, est souvent sous-estim ouplac au second plan des proccupa-tions. Ceci est dautant plus grave quela majorit des gens pense encore quela meilleure scurit est fournie parles logiciels propritaires, car les ven-tuels pirates ne peuvent pas utiliser lessources pour dtecter les faiblesses.Cette vision de scurit par lobscu-rit ne tient pas quand on compare lenombre de problmes de scurit quiaffectent des systmes libres ou non-libres. Ces dernires annes, des pro-blmes de scurit dtects par desexperts indpendants dans des syst-mes aussi stratgiques que les cartesbancaires franaises ou le chiffrementdes communications des tlphonesportables GSM, et dont lesspcifications taient pourtant secr-tes, ont montr que ce principe de labote noire servait principalement cacher les faiblesses du systme sesutilisateurs lgitimes, qui nont aucunmoyen de vrifier par eux-mmes lascurit des systmes quils utilisentet sont obligs de croire sur parole lespromesses des concepteurs. Et ces der-niers, sils dcouvrent un dfaut dansun de leurs produits, peuvent tre ten-ts de le cacher plutt que de ternirleur image de marque. Cela peut sem-bler paradoxal, mais mme dans le do-maine hautement sensible de la cryp-tographie, aucun systme nest consi-dr comme sr sil na pas t pro-pos publiquement ltude de lacommunaut internationale pendant

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    la seule solution est alors de le rem-placer entirement par un nouveausystme, mais ce double investisse-ment est hors de porte de la plupartdes entreprises, et rien nempche lemme scnario de se rpter. A lin-verse, les utilisateurs qui ont dciddutiliser le gestionnaire de fichiersNautilus nont pas ce problme, carbien que la socit Eazel, son cra-teur, ait t emporte dans la tour-mente des faillites des socits .com,le fait que le logiciel soit libre garan-tit quil pourra quand mme voluer.

    Au sujet des licences complexeset difficiles suivre, un membre delAFUL, lAssociation Francophonedes Utilisateurs de Linux et des Lo-giciels Libres [2], rvlait dernire-ment que la Business Software Al-liance (BSA) http://www.bsa.org etMicrosoft avaient redress plusieurstablissements scolaires franais pournon conformit, ce qui a entran desprises de position de recteurs, de con-seils gnraux et rgionaux en faveurdes logiciels libres et de GNU/Linux.De nombreux tablissements utilisentdsormais la suite bureautiqueStarOffice http://www.staroffice.orget nachtent plus les mises jour deMicrosoft. Dans lacadmie dAmienspar exemple, tous les serveurs de typeproxy (qui stockent les pages Webpour en acclrer la rediffusion dansun rseau interne) sont passs sousGNU/Linux en 2001 et des forma-tions linstallation de stations detravail et de serveurs scuriss sousGNU/Linux ont t organises pardes instituts de formation des ma-tres.

    Maintenant si lon supprime cettepine des licences logicielles, lentre-prise peut dplacer son budget surles services et la personnalisation etconsacrer plus de moyens aux con-seils, la formation, et lassistancetechnique. Si linstallation peut treplus chre, on peut considrer ensuiteque lintgration, la personnalisation,la maintenance, la scurisation, lvo-lution et larchivage seront beaucoupplus aiss et moins chers mettre enuvre. Les entreprises habitues auxproblmes rcurrents de maintenanceinformatique, peuvent nouveau ta-blir une relation de confiance et deproximit avec les socits qui se d-veloppent sur la base de ce nouveaumodle conomique des logiciels li-

    MacOS. Daprs vous dans quelle voiece dcideur va-t-il engager lentre-prise?

    Cependant, on peut actuellemententendre un autre son de cloche. Lesmentalits et les responsables infor-matiques changent et les espritssouvrent. A loccasion de Computer,les membres du GULL ont pu ainsientendre de nombreuses ractions po-sitives sur ladoption dun systme in-formatique bas sur les logiciels libres.

    Outre un certain ras-le-bol desplantes rptition et des mises jourcoteuses, on a pu relever des argu-ments relatifs aux cots indirects (par-tie du TCO) que les dcideursoublient trop souvent de prendre encompte. Ces cots indirects engendrspar une maintenance plus importanteque prvue, les changements de stra-tgie des entreprises ditrices de logi-ciels propritaires, les adaptations auxproblmes de lentreprise qui nont past prvues ou les problmes lis lascurit informatique (virus, intru-sions).

    En ce qui concerne la mainte-nance, une tude mene lcole din-gnieurs de Marseille montre que letemps ncessaire la maintenancelogicielle de serveurs Windows estquasiment le double de celui de ser-veurs de type Unix. Dans les faits, lamaintenance basique (assistance uti-lisateur, et maintenance dun parc demachines sous Microsoft Windows)correspond plus de 60% du travaildun ingnieur systme, au lieu de seconsacrer la maintenance des ser-veurs, la scurit du site, la veilletechnologique, la rdaction de docu-ments et la rflexion stratgique long terme. En Suisse une tude deSwepix [17] a dailleurs montr queparmi tous les serveurs Web tests(ceux de banques, assurances, admi-nistrations et entreprises diverses), lesserveurs sous Windows IIS tombaienten moyenne 2 fois plus souvent enpanne quun serveur Apache [10].

    Cest sur la rduction des cotsengendre par ladoption des logicielslibres que lon appuie le plus souventdans les comparaisons entre les diff-rentes solutions. Les entreprises sontbien entendu trs sensibles cette ar-gumentation, mais on peut se deman-der si finalement les avantages quipourraient devenir les plus significa-tifs ne se situent pas ailleurs et notam-

    Lentreprise doit-elle adopter les logiciels libres?

    bres. Ces nouvelles socits doivent serapprocher des entreprises pour offrirun service autour de la mise en placerapide et moindres frais de serveurs(tels que serveur de fichier et dim-pression, serveur Web et de courrierlectronique, ou encore de firewall),autour de dveloppements rapidesdapplications personnalises grce la boite outils des logiciels libres:Perl, Apache, Mysql, PostgreSQL,PHP, Zope, Python, Postfix,

    Cest puissant, fiable,ouvert et alors?

    Pour une entreprise, largumentdu libre nest a priori pas trs impor-tant, compar lavantage davoir uninterlocuteur unique avec un nomconnu, la garantie dun support tech-nique, dune hotline et dun prix. Lesconsidrations philosophiques et lesguerres de religion informatique ne fontpas partie des proccupations des d-cideurs, et les pressions hirarchiquesou commerciales ont un poids quelon sous-estime souvent. Pourquoichercher dautres solutions dont onne connat pas grand chose, lorsquunpaquet prt lemploi vous est pro-pos? Pourquoi prendre des risquesquand on peut se couvrir simplementen choisissant le leader mondial dansle domaine?

    Quels choix le march offre-t-il?Tout dabord, du ct des serveurs, ily a la solution Microsoft Windows quireprsente environ 40% du march.Il y a ensuite les Unix propritaires,comme ceux produits par Sun ouIBM, qui sont certainement trs poin-tus, adapts aux gros systmes criti-ques, fiables, mais trop chers, et lescomptences sont rares. Aujourdhui,il y a GNU/Linux, et dautres Unixlibres, qui ne sont pas encore trs con-nus, et que lon peut se procurer gra-tuitement, ou en payant un faible prixsi lon veut acheter un CD original etun manuel imprim (moins de100 CHF pour une distributionLinux complte), ce qui ne donne pasune impression de srieux quand onles compare aux budgets informati-ques habituels. Du ct des postes detravail, le choix est encore plus res-treint, puisque plus de 85% du mar-ch est dtenu par MicrosoftWindows, contre environ 6% pour

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    ment dans la prennit des donneset dans la scurit.

    La prennit des donnes et desprotocoles est importante pour garan-tir linteroprabilit des applicationset des documents. On est toujourssensible au fait que lon ne puisse paslire le document de son voisin qui aune version diffrente du mme logi-ciel. On peut se poser la question est-ce que mes donnes qui sont sauvegar-des dans un format propritaire seronttoujours lisibles dans 10 ans? ou est-ceque ce logiciel sera toujours exploitabledans 2 ou 3 ans? A ces questions larponse est incertaine puisque lon naaucune matrise de lapplication m-tier que lon utilise et des documentsgnrs. Ainsi, avec lacclration dela socit de linformation, on peutmettre en pril moyen ou courtterme linvestissement informatiquede lentreprise. Il faut donc prendreen compte dans sa stratgie le facteurimportant que constituent les formatsdes donnes. Si ces formats sont ba-ss sur des standards dont on a lessources alors on pourra toujours lesrutiliser, les transcrire pour les exploi-ter nouveau et cela mme aprs20 ans. A ce sujet, on fait beaucoupmention actuellement de XML. Cestcertainement une rvolution dans lareprsentation de linformation et ilest fort parier que dans lavenir beau-coup doutils seront bass sur ce stan-dard. Encore faut-il, pour des raisonsde compatibilit, que le standardXML soit le mme pour tout lemonde!

    Au niveau de la scurit informa-tique, les grosses entreprises nontaucun mal globaliser les problmeslis laccs au rseau Internet. Ce quinest pas le cas des petites et moyen-nes entreprises (PME), pour qui s-curit rime souvent avec anti-virus.Or dans les deux cas il faut penser,comme nous le mentionnons dans lechapitre prcdent, que la scuritpasse par la matrise de son environ-nement informatique et donc par ladisponibilit des codes sources et dela documentation (volumineuse dansle cas des logiciels libres). La scuritinformatique nen est qu ses dbuts, lheure o lon parle dee-gouvernement, de e-voting ou dee-commerce, il faudra prendre cons-cience des dangers que constituent lesintrusions sur les systmes informati-

    Linux de 2 To et de les indexer dansune base documentaire en quelquessemaines. La solution conue par HPpourra tre diffuse gratuitement tous les autres muses du monde.

    On pourrait encore citer beau-coup de grandes entreprises dans laliste de celles qui ont fait le choix deGNU/Linux, telles IKEA, le Figaro,Mercedes, Boeing ou encore lOral,mais on y trouve aussi des PME quiont choisi cette voie pour grer lac-cs scuris Internet pour lIntranet,le partage des fichiers, des impriman-tes ou encore pour grer linformation laide dun serveur Web et un ser-veur de courrier lectronique.

    Longtemps les logiciels libres ontd faire face une critique fonde surle manque de support et de mainte-nance professionnels. Il est en effetimpensable quune entreprise envisagede faire un pas en direction des solu-tions libres si aucune garantie de sup-port informatique ne peut tre offerte.Devant ce manque, plusieurs entre-prises se sont cres, tout dabord duct franais avec entre autres, des so-cits telles Alcve [7], Easter-Eggs [8]ou Aurora http://www.aurora-linux.com/, et plus rcemment et plusprs de chez nous, en Suisse romande,avec des socits telles que Goelaan[5] ou ProLibre [6].

    Comme on peut le constater, lesarguments ne manquent pas pouradopter les logiciels libres dans uneentreprise. La route toujours pluslarge des logiciels libres, pave de qua-lits techniques indniables et doffresprofessionnelles grandissantes, est ce-pendant entrave par des obstaclesdun tout autre registre.

    Les obstacles

    Il existe videmment des obstacles ladoption des logiciels libres dansles entreprises et les administrations.Un des plus connus est sans nul doutela mconnaissance du phnomnedes logiciels libres, soigneusemententretenue par diffrents courantsdont le premier est sans surpriseMicrosoft, qui a rcemment publi undocument intitul Linux in Retail&Hospitality [20], dont voici quelquescourts extraits: Less Secure: Open source means that

    anyone can get a copy of the source

    Lentreprise doit-elle adopter les logiciels libres?

    ques internes et les dgts considra-bles que peuvent causer les virus.

    Aprs avoir mis en avant les prin-cipaux atouts des logiciels libres, ilnest pas de meilleure mthode pourse convaincre que de regarder les ex-priences que son voisin un peu plusentreprenant a ralises. A Genve, leCERN a choisi de diminuer lhtro-gnit de son parc informatique etde maintenir un ensemble de6000 mach ine s GNU/L inux ,3500 Windows, 3000 Unix et1200 imprimantes. Dans ce contextescientifique, les logiciels libres sont unchoix frquent pour les utilisateurs quiont de gros besoins en temps de cal-cul, en particulier parce quil est pos-sible de paramtrer le systme pourque le maximum de ressources soitdisponible pour les calculs (par exem-ple, une interface graphique est inu-tile sur un tel systme et ne fait queralentir les calculs). On peut aussi ci-ter l Observatoire de Genve [14], quia install une ferme de 64 machinesutilisant GNU/Linux et travaillant encommun pour effectuer des simula-tions astronomiques, Shell, qui utiliseune ferme de 1024 serveurs IBM sousGNU/Linux pour la recherche ptro-lire, et lextrme, le moteur de re-cherche Google http://www.google.com qui doit sa russite lemploidune ferme de 8000 serveurs utili-sant ce mme systme ! Lors de la jour-ne sur les logiciels libres, organisepar lobservatoire technologique delEtat de Genve et le GULL [19],Edouard Soriano, directeur de la so-cit DAPSYS, a expliqu comment,grce au choix de Linux dans un en-vironnement critique tel que limage-rie mdicale la clinique des Gran-gettes, il a pu sextraire des solutionspropritaires coteuses et assurer lafois un avenir conomique plus sereinet un accs aux donnes garanti longterme.

    Dans le mme registre, le musedu Louvre a dcid de dvelopper unesolution de numrisation de lensem-ble des uvres qui sera base sur leslogiciels libres, ceci afin de rendre plusprenne linvestissement et dviterdes changements de stratgie des so-lutions propritaires de gestion debase de donnes qui cotaient une for-tune. Cette solution utilisant les logi-ciels libres permettra de stocker lesimages sur un serveur de fichiers

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    code. Developers can find securityweaknesses very easily with Linux.The same is not true with MicrosoftWindows. Les trous de scurit sousLinux sont effectivement dcou-verts par les experts avant lescrackers, et les mises jour publiestrs rapidement et non linverse.

    Support / Maintenance Costs: Sup-port and maintenance for Linux isnot free. Most Linux distributorsmake their money by selling theirservices. Support options vary byvendor and can get quite expensivefor the enterprise. You will have topay for support when you need it.Mme sil est tout fait exact queles socits de service autour deLinux facturent le support et lesservices, larticle semble sous-en-tendre que ces mmes servicessont gratuits pour la plate-formeWindows.

    Citons pour finir un paragraphequi se passe de commentairesquand on compare la structureouverte et libre du dveloppementdes logiciels libres avec les dve-loppements centraliss conduitspar Microsoft: Lack Of FormalDevelopment Schedule, Research,and Standards: With Linux, noformal development schedule or setof standards exists. There arethousands of developers contributingto it from all over the world, withno accountability to the retailindustry. Linus Torvalds makes thefinal decision about what getsincluded in the latest Linux release,and he has no accountability to theretail industry. There is no formalresearch and development processwith Linux. Microsoft plans tospend over $4 billion in R&D in2001 and listens to the retailindustry.Il sagit clairement ici de dsin-

    formation, et on quitte le domainetechnique pour entrer dans la propa-gande. La mthode utilise consiste crer le doute et la peur de choisir dessolutions incompatibles avec le stan-dard, nhsitant pas pour cela inver-ser les rles. Les logiciels libres tantrputs justement pour leur compa-tibilit avec les standards. En conjonc-tion, Microsoft utilise aussi une tech-nique quils ont eux-mmes appeleEmbrace and Extend afin de fidliserleurs clients contre leur volont. Cette

    sieurs fois que ce nest pas forcmentle meilleur produit qui sera plbiscit,mais que ce sera souvent celui qui aurale poids financier, juridique et mar-keting important, ou qui arrivera lepremier sur le march. Mais alorsquels sont les arguments qui pour-raient faire changer le cours de lhis-toire?

    Le cours de lhistoire

    Les arguments dcisifs pourraienttre la venue dans le monde du logi-ciel libre de gros calibres tels que IBM,Oracle, Sun ou HP, dont la seule pr-sence donne une impression de cr-dibilit, et par les volonts politiquescomme cest le cas dans plusieurs payscomme la France, lAllemagne, leMexique ou la Chine.

    Les rcentes dclarations deMicrosoft, en particulier celles deCraig Mundie, Senior Vice President,dans The Commercial SoftwareModel [26], ainsi que des documentsinternes qui avaient t rvls aupublic en octobre 1998 (les clbresdocuments Halloween [21]) tendent montrer une certaine nervosit dela part du gant gratign et laissent penser que quelque chose est bien entrain de changer. Mais si lhistoire doitnous servir de guide, signale StphaneBortzmeyer dans son article AfterWord: lavenir du traitement de texte[40], alors cest le changement de pa-radigme qui bouleversera cette situa-tion monopoliste. Le BUNCH (len-semble des concurrents officiels dIBMdans les annes 70) na pas russi branler la domination de Big Blue.Seuls ceux qui nont pas fait de lIBM,cest--dire Digital, Apple, Commodoreou Atari, ont ramen un march mo-nopoliste un march concurrentiel, enouvrant les portes de la micro-informa-tique.

    GNU/Linux et les Logiciels Li-bres sont un nouveau paradigme. Ilsouvrent les portes un nouveau mo-dle conomique qui utilise le rseauInternet comme base de travail et lebazar organis pour produire desoutils dune grande qualit. Les chif-fres sont l pour montrer que ce nou-veau modle conomique fonctionnepuisque les logiciels libres phares sonttrs utiliss. Par exemple le serveur denom de domaine (DNS) bind repr-

    Lentreprise doit-elle adopter les logiciels libres?

    technique consiste utiliser un for-mat de donnes ou un protocoledchanges standards et ouvert qui afait ses preuves, mais le modifier l-grement pour quil soit incompati-ble avec dautres logiciels. Cest le caspar exemple du serveur de courrierlectronique MS Exchange, ou duprotocole de scurit Kerberos.

    Lautre contre-courant, plus s-rieux et plus subtil, se situe sur le ter-rain juridique. Devant leur impuis-sance contrler et matriser cemouvement, les grands groupes ten-tent dutiliser larme commerciale queconstitue les brevets appliqus auxlogiciels. En thorie, il nest pas pos-sible actuellement en Europe de bre-veter des logiciels, ceux-ci tant pro-tgs de la copie non-autorise par leslois sur le droit dauteur. Au contraire,les Etats-Unis ont tendu le domainede la brevetabilit aux biens immat-riels tels que les logiciels et les mtho-des daffaires, et des milliers de bre-vets ont t dposs, la plupart pourdes mthodes triviales et trs gnra-les. Contrairement au droit dauteur,qui ne protge que le logiciel lui-mme, ces brevets protgent les idesqui sont derrire, et servent effective-ment liminer toute comptition.En brevetant par exemple le formatdes documents produits par un logi-ciel, un diteur pourrait interdire tout autre programme de lire ce for-mat, et empcher ainsi les utilisateursdaccder leurs propres donnes sanspasser par son programme. StphaneFermigier, prsident de lAFUL, noteque les brevets sont donc un frein trsfort linteroprabilit, et ne peuventquaboutir un renforcement ou lex-tension de positions monopolistiquesdj existantes. Certains acteurs indus-triels font actuellement pression pourque lEurope adopte le mme systme,mais les dveloppeurs et les responsa-bles de PME europennes dans le do-maine de linformatique et des tl-communications sont pour la plupartopposs aux brevets logiciels, commeen tmoignent les 80000 signaturesrecueillies par la ptition pour une Eu-rope sans brevets logiciels [23].

    Tout cela montre que convaincreet essayer dimposer GNU/Linux etles logiciels libres dans lentreprise oules administrations nest pas facile.Lhistoire de linformatique et de latechnique en gnral a montr plu-

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    sente 90% des serveurs aux USA, lestrois serveurs de mail sendmail, postfixet qmail reprsentent 70% et le plusconnu, le serveur Web Apache plusde 60% des serveurs installs dans lemonde. Une tude de lIDC montreque la part de march de Linux crotplus vite que prvu. Il tait projetquil serait numro 2 en 2002 ou 2003et cest arriv en 1999. Une autretude de Forester Research montreque 56% des grands groupes mon-diaux utilisent des logiciels libres. Unautre signe tangible est le fait queLinux remplace petit petit les Unixpropritaires tels que IRIX de SiliconGraphics, ou AIX dIBM. Hewlett-Packard a de son ct engag BrucePerens, un des dfenseurs de longuedate des systmes libres et ouverts, entant que conseiller pour les stratgiesOpen-Source et fera peut-tre bienttle pas. Si la venue du monde cono-mique dans les logiciels libres est sou-haitable pour donner une image plusprofessionnelle, on peut sinterroger surles raisons qui poussent ces entrepri-ses investir des sommes parfois con-sidrables (1 milliard de dollars pourIBM en 2001) pour le dveloppementdapplications libres ou Open-Source.

    Un modle conomique un nouveau paradigme

    Les motivations dacteurs commeSun ou SAP pour se lancer dans lemonde du libre sont multiples, maisla principale est certainement la vo-lont de contrer la concurrence dansun march qui tend au monopole.Ainsi, les entreprises minoritaires dontles produits ont une part de marchngligeable ont intrt les dvelop-per de faon ouverte, dans lespoirden augmenter la diffusion et dentirer partie ensuite pour dvelopperdautres services valeur ajoute. Surce principe, SAP a ouvert le code desa base de donnes SAPdb, esprantcrer une rfrence dans le domaine partir dun logiciel qui tait tombdans loubli.

    Mais ce principe est aussi valabledans le cas dun dveloppement eninterne que lon souhaite maintenirpour ne pas le laisser tomber dansloubli. Cest la voie qua choisie Ma-tra division, en ouvrant le codedOpenCascade [11], son modeleur

    dplace ainsi les revenus sur les ser-vices, et sur ce principe le client abeaucoup y gagner, puisque le ser-vice est justement llment principaldu business model de lOpen Source.Alain Lefebvre, vice-prsident dugroupe SQLI, souligne que nous en-trons dans lre du service aprs avoirvcu successivement lre du matrielpuis lre du logiciel.

    Mais si on veut bouger lordre ta-bli, il faut secouer limmense pyra-mide de limmobilit et donnerlexemple. Cest ce stade que les gou-vernements et les personnalits poli-tiques se doivent dintervenir.

    Un engagementpolitique

    Dans un certain nombre de pays,lengagement politique sur le sujet de-vient de plus en plus prsent. Ainsi,le rapport du dput franais ThierryCarcenac Pour une AdministrationElectronique citoyenne [16], adressau premier ministre, souligne quepour un certain nombre de tches, leslogiciels open source se sont rvlsfiables, performants, scuriss, compti-tifs financirement. Les propositionsde ce rapport sont de mettre lensem-ble des dveloppements raliss par oupour les administrations sous licenceOpen Source ou analogue, ainsi quedavoir une distribution de base pourladministration. Et de rajouter quedans une utilisation gouvernementale,le caractre ouvert et public du codesource des logiciels libres permet denamliorer la prennit et la scurit.Par ailleurs, le caractre coopratif dudveloppement permet des tests trsnombreux et assure ainsi la robustessedes logiciels produits. Le forum qui asuivi ce rapport a donn lieu un largedbat dans lequel les contributeursont manifest, dans lensemble, uneforte apptence pour le renforcementde la place des logiciels libres dans lessystmes dinformation des adminis-trations.

    Lors de la confrence sur les logi-ciels libres lEPFL, le 12 juin der-nier, Jean-Pierre Archambault, actuel-lement la Mission Veille technologi-que du Centre National de Documen-tation Pdagogique en France(CNDP), a fait part des rcentes pri-ses de positions de lEtat franais en

    Lentreprise doit-elle adopter les logiciels libres?

    3D, qui reprsente plusieurs dizainesdannes-hommes de travail et un in-vestissement de 75 millions deuros.Dans un schma conventionnel, cetoutil serait probablement tomb dansloubli. Suite louverture de ce logi-ciel, une spin-off a t cre, gnrantdes revenus grce aux services fournisautour du logiciel, et comptant dj130 clients dans 17 pays.

    Il ne faut pas oublier que les in-formaticiens pays pour produire deslogiciels qui seront disponibles sur lemarch reprsentent tout juste 15%.85% des lignes de code crites tous lesjours ne le sont qu des fins internes,et leur ouverture ne menacerait pasles activits lucratives de ces entrepri-ses. Bien entendu, dans certaines ap-plications particulires, cest le savoir-faire de ces entreprises qui est contenudans ces programmes, et le diffusersans contrepartie serait suicidaire,mais la plupart du temps, les entre-prises ont les mmes besoins, etrinventent la roue, alors mme quelon manque dinformaticiens. Leslogiciels libres permettent dans ces casde mutualiser ces dveloppements, etcest ce que propose par exempleSourceforge (23'000 projets, 200'000dveloppeurs enregistrs) qui permetun travail collaboratif des dvelop-peurs travers Internet.

    Les Logiciels Libres et la large dif-fusion sont la meilleure mthode pourimposer un standard sil est acceptpar la communaut. De tels standardssont publis, et favorisent la compa-tibilit entre les logiciels, au contrairedes standards propritaires, qui sontgnralement conus pour retenirlutilisateur en lempchant dutiliserdautres logiciels que ceux du concep-teur du standard. Lexemple le plusflagrant est Internet, qui est entire-ment bas sur des standards libres etqui naurait jamais pu stendrecomme il la fait sil avait t conusur la base de standards propritairesne fonctionnant quavec certains sys-tmes. A linverse, la plate-forme.NET projete par Microsoft tente deconstruire un service rseau suppl-mentaire, ferm, au dessus des proto-coles dInternet, afin dempcher lesautres logiciels dy accder.

    Comme on peut le voir il existedes arguments intressants et un po-tentiel sur le plan commercial qui plai-dent en faveur des logiciels libres. On

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    faveur des logiciels libres et a montrque la tendance tait amorce et quilexistait une relle volont de la partdes responsables dtablissements etdadministrations publiques. Pour neciter que quelques exemples, le mi-nistre de la culture a commenc lamigration de 400 serveurs sous GNU/Linux, et la Direction Gnrale desImpts, trs attentive aux problmeslis la scurit, a choisi ce mme sys-tme pour ses 950 serveurs. La Chineou le Mexique ont quant eux adoptdes mesures radicales, en passant res-pectivement tout lappareil adminis-tratif sous Linux Red Flag ou toutesles coles, soit, 150'000 tablisse-ments, sous GNU/Linux.

    En Suisse aussi, le logiciel libre faitson apparition dans les administra-tions. Ainsi, Genve, quelques en-seignants ont lanc des expriencesdutilisation de logiciels libres, que cesoit pour la partie enseignement (avecStarOffice), ou pour ladministration(serveurs de fichiers utilisant Sambaet bases de donnes libres pour la ges-tion des notes). Tout rcemment, unserveur GNU/Linux utilisant Apacheet Perl a t mis en place au Palais deJustice genevois pour permettre lac-cs aux fiches de jurisprudence gene-voise [15].

    Dans les autres pays on dcouvreque la volont politique de promou-voir les logiciels libres est souvent lieaux problmes de scurit nationale.Ainsi, pour lAllemagne, la France oules Etats-Unis, il est tout simplementinconcevable de ne pas matriser debout en bout leurs systmes dinfor-mations sensibles (militaires en par-ticulier), et ceci est impossible rali-ser avec des programmes propritai-res. Les allemands ont t les premiers ragir en supprimant tous les pro-duits Microsoft des postes sensibles [28]dans le ministre des Affaires tran-gres et celui de la Dfense. Le der-nier rapport de la CommunautEuropenne [24] sur le rseaudcoute Echelon invite les institutionseuropennes et les administrations destats membres promouvoir des projetsde logiciels dont le texte-source soit pu-bli, tant donn quil sagit l de la seulemanire de garantir quils ne compor-tent pas de backdoors (dfauts cachs).

    Peut-tre plus important encore,la dmocratie est aussi implique. Descontroverses ont surgi en Belgique sur

    car les utilisateurs ont toujours le choix.Peut-tre faudrait-il plutt dire nou-veau le choix.

    Pour tre objectif, les logiciels li-bres sont lheure actuelle une solu-tion pour les entreprises dans le do-maine des serveurs, o les systmesdexploitation libre GNU/Linux,FreeBSD ou OpenBSD sont souventcits en exemple. Il nen est pas demme en ce qui concerne les postesde travail o les applications mtierstelles que la CAO, DAO, la compta-bilit ou la gestion de stock nont pasencore t portes sur ces plates-for-mes libres. Mme si des suites bureau-tiques comme StarOffice http://www.staroffice.org de SunMicrosystems ou KOffice de KDE http://www.kde.org sont une alter-native de qualit la suite Office deMicrosoft, les secrtaires ne sont pasencore prtes se passer de cette der-nire. Le jour o lon privilgiera leformat des donnes aux applicationsqui les manipulent, alors seulementon aura fait un grand pas vers la com-patibilit et la prennit des donnes.Le mouvement du logiciel libre aprouv quil tait trs dynamique, unesource de nouvelles ides, dinnova-tions et de partage. Mme si les logi-ciels libres nont de loin pas fini de sedvelopper, ils ne remplaceront cer-tainement pas entirement les pro-duits propritaires, qui ont de fortescomptences, en particulier dans lap-proche mtier, et il est probable queles deux mondes coexisteront, chacunse concentrant sur les domaines o ilest le meilleur.

    La plupart des grandes dcouver-tes de ce monde et leurs implicationssont dues aux travaux collaboratifs et la libre circulation de la connais-sance. Mme dans la recherche m-dicale, o la concurrence fait rage, lescollaborations entre les instituts de re-cherche sont ncessaires. Comme ledit Roberto di Cosmo, professeurdinformatique luniversit de ParisVII, les logiciels libres ne sont pas seu-lement une bonne ide, ils sont aussi unencessit. Si les logiciels libres sontune ncessit pour lentreprise et pourlconomie en gnral, ils ont aussi unrle important jouer dans lduca-tion, o les notions de pluralit, libertet galit sont fondamentales, mais cecincessiterait louverture dun autre d-bat et dun article lui tout seul.

    Lentreprise doit-elle adopter les logiciels libres?

    lutilisation de systmes propritairespour grer les votes lectroniques, undomaine o la transparence devraittre la rgle absolue dans une dmo-cratie. Des procdures sont en coursdevant des tribunaux belges, des ci-toyens ayant argument quil leur taitimpossible dtre convaincus de latransparence dun scrutin et de lab-sence de trucage, si en parallle onrefusait de leur laisser vrifier le sys-tme de vote. Lutilisation de logicielsouverts, permettant nimporte qui(sil en a les comptences) de vrifierle fonctionnement du systme estdonc indispensable pour viter que leprocessus de vote ne soit entre lesmains de quelques techniciens seule-ment. Le gouvernement genevois estmalheureusement en train de suivrela mauvaise voie avec un projet pilotede vote par Internet, dont la ralisa-tion a t confie deux entreprisescommerciales et pour laquelle des in-dices semblent montrer quune solu-tion entirement propritaire, sur les-quels les citoyens nauront aucun con-trle direct, sera choisie.

    Lavenir ...

    On dcouvre donc que le mondedu logiciel bouge diffrents niveaux.Avec ladoption des Nouvelles Tech-nologies de lInformation et de laCommunication (NTIC), tape d-cisive pour de nombreuses entrepri-ses, il faut que lon puisse garantirlinteroprabilit, la prennit et lascurit des systmes dinformation.Aprs le passage douloureux de lan2000, les diverses migrations et lesmises jour trs coteuses des syst-mes, les ingnieurs et les dcideurshsitent de plus en plus suivre lvo-lution effrne du matriel informa-tique et des logiciels. Les changementssont trop rapides et les stratgies chan-gent vite, aujourdhui Novell demainLotus Notes, aprs demain WindowsXP et pourquoi pas le leasing des lo-giciels et la technologie dcentralise.NET le mois prochain? Une rflexionde fond doit stablir et ce qui est sraujourdhui, cest que lon a des nou-veaux paramtres et arguments pren-dre en compte. Comme le souligneBill Gates, cet cosystme dans lequelcohabitent des logiciels libres et des logi-ciels commerciaux est essentiel et trs sain

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    Lentreprise doit-elle adopter les logiciels libres?

    Rfrences

    Groupes et sites gnraux

    [1] GULL, Groupe des UtilisateursLinux et des Logiciels Libres du L-man, http://www.linux-gull.ch

    [2] AFUL, Association Francophonedes Utilisateurs de Linux et des Lo-giciels Libres, http://www.aful.org.

    [3] FSF, Free Software Foundation,http://www.fsf.org.

    [4] APRIL, Association Pour la Promo-tion et la Recherche en Informati-que Libre, http://www.april.org

    Entreprises de services spcialisesdans les logiciels libres

    [5] Goelaan, socit romande,http://www.goelaan.ch.

    [6] ProLibre, socit romande,http://www.prolibre.com.

    [7] Alcve, socit franaise,http://www.alcove.com.

    [8] Easter-Eggs, socit franaise,http://www.easter-eggs.com.

    [9] Recherches dans la liste des entre-prises inscrites au GULL,http://www.linux-gull.ch/cgi-bin/admin.pl.

    Logiciels et projets libres, et exemplesdutilisation

    [10] Apache, serveur Web libre utilis sur60% des serveurs Web dans lemonde, http://www.apache.org.

    [11] OpenCascade, modeleur 3D deMatra Division,http://www.opencascade.org.

    [12] Samba, logiciel permettant un ser-veur de partager des fichiers et desimprimantes avec un clientWindows, http://www.samba.org.

    [13] Sourceforge, services pour le dve-loppement dapplications OpenSource, http://www.sourceforge.org.

    [14] Ferme de machines sous GNU/Linux pour le calcul de simulationsastronomiques lObservatoire deGenve, http://obswww.unige.ch/~pfennige/gravitor/gravitor.html.

    [15] Fiches de jurisprudence genevoise,un serveur utilisant GNU/Linux,Apache et Perl au Palais de Justicegenevois, http://justice.geneve.ch/jurisprudence/.

    Etudes et rapports

    [16] Le Rapport Carcenac, Pour une ad-ministration lectronique citoyenne -Mthodes et Moyens, Rapport remisau Premier ministre par ThierryCarcenac, dput du Tarn, le 19avril 2001, http://www.internet.g o u v. f r / f r a n c a i s / t e x t e s r e f /rapcarcenac/sommaire.htm

    [17] Rsum de ltude de SWePIX,Swiss Web Performance IndeX,http://www.sysformance.com/d/news/2000.html #Anchor-54790.

    [32] Bernard Lang, directeur de recher-che lINRIA, Logiciels Libres et En-treprises, 25 sept. 99,http://pauillac.inria.fr/~lang/ecrits/monaco/.

    [33] Eric S. Raymond,The Cathedraland the Bazaar, http://www.firstmonday.org/issues/is-sue3_3/raymond/index.html, etTraduction franaise de SbastienBlondeel, http://www.linux-france.org/article/these/cathedrale-b a z a r / c a t h e d r a l e -bazar_monoblock.html, une des-cription des mthodes de dvelop-pement des logiciels ouverts, etcomparaison avec les mthodescommerciales.

    [34] Bruce Schneier, Open Source andSecurity, Cryptogram, sept. 99,pourquoi les codes sources doiventtre ouverts afin damliorer la s-curit, http://www.counterpane.com/cr ypto-gram-9909.html#OpenSourceandSecurity

    [35] Bruce Schneier, An IntentionalBack Door, Cryptogram, fv. 01,sur la backdoor du logiciel Interbasede Borland,http://www. counterpane.com/crypto-gram-0102.html#5.

    [36] David A. Wheeler, Is Open SourceGood for Security?, SecureProgramming for Linux and UnixHOWTO,http://www.linuxdoc.org/HOWTO/Secure-Programs-HOWTO/open-source-security.html.

    [37] Natalie Walker Whitlock, Doesopen source mean an open door?,Casaflora Communications, mars01, http://www-106.ibm.com/developerworks/linux/library/l-oss.html.

    [38] Open source software: Will it makeme secure?, par John Viega, ReliableSoftware Technologies, http://www-106.ibm.com/developerworks/security/library/oss-security.html.

    [39] Google keeps pace with demands.Dtails techniques de linfrastruc-ture de Google, http://www.internetweek.com/infrastruc-ture01/infra050701.htm.

    [40] After Word: lavenir du traitementde texte, par Stphane Bortzmeyer,h t t p : / / w w w. i n t e r n a t i f . o r g /b o r t z m e y e r / a f t e r w o r d /afterword.html.

    [41] LOpen Source pousse les diteurs labandonware, par Alain Lefeb-vre, janv. 01,http://solutions.journaldunet.com/0101/010111_decrypt_oss.shtml.

    [42] Pourquoi les projets Open Sourcesont suprieurs, par Alain Lefebvre,fv. 01,http://solutions. journaldunet.com/0102/010207decrypt.shtml.

    Libre reproduction Copyright GilbertRobert et Frderic Schtz- GNU FreeDocumentation License .

    [18] Netcraft Web Server Survey, statis-tiques dutilisation des diffrentsserveurs Web du march,http://www.netcraft.co.uk/survey/.

    [19] Journe sur les logiciels libres du 6octobre 2000, organise par lOb-servatoire Technologique de lEtatde Genve et le GULL,http://www.geneve.ch/obstech/Ma-nifestations/rencontres.html#Logi-ciels_ libres.

    [20] Linux in Retail & Hospitality: WhatEvery Retailer Should Know.Microsoft Corporation, White Paper,fvrier 2001, http://www.microsoft.com/europe/retail/Multi_channel_retail/364.htm

    [21] Documents Halloween, Rapportsinternes de Microsoft sur les logi-ciels libres, http://www.opensource.org/halloween/

    [22] Page dinformation sur le e-voting Genve, sur le site du GULL,http://www.linux-gull.ch/evote/.

    [23] La Ptition pour une Europe sansbrevets logiciels dEuroLinux,http://petition.eurolinux.org/.

    [24] Rapport de la Communaut Euro-penne sur le rseau dcoute Eche-lon, prconisant lemploi de logicielsouverts, http://www.europarl.eu.int/tempcom/echelon/pdf/prechelon_fr.pdf.

    [25] Security focus, site rpertoriant lesproblmes de scurit informatique,http://www.securityfocus.com/.

    Articles et publications

    [26] Craig Mundie, Senior VicePresident de Microsoft, The Com-mercial Software Model, http://www.microsoft.com/presspass/exec/craig/05-03sharedsource.asp

    [27] Microsoft, Linux et la vague opensource..., interview de Bill Gatesdans CNet, traduite par ZDNET.fr.,h t t p : / / n e w s . z d n e t . f r / s t o r y /0,,s2089671,00.html

    [28] Bundeswehr verbannt Microsoft-Pro-gramme, Der Spiegel, 17 mars 01,http://www.spiegel.de/netzwelt/politik/0,1518,123170,00.html.

    [29] Roberto di Cosmo, Le prix delamour (lectronique), 9 mai 00, surles virus sattaquant aux applicationsWindows, http://www.pps.jussieu.fr/~dicosmo/LovePrice.html.

    [30] Roberto di Cosmo, Pige dans leCyberespace, sur le monopole deMicrosoft et les procds defidlisation des clients,http://www.pps.jussieu.fr/~dicosmo/Piege/PiegeFR.html.

    [31] Scurit, informatique et vie prive,prsentation la journe sur les lo-giciels libres, sur les problmes descurit et les dangers pour la vieprive que posent les logiciels pro-pritaires,http://www.pps.jussieu.fr/~dicosmo/TALKS/OT-Geneve-10-2000/.

  • FI SPCIAL T 2001 Logiciels libres page 11

    Intrt gnral et propritintellectuelle

    Philippe Quau, Directeur de la division de la socit de linformation lUNESCO

    Il en est des livres comme du feu de nos foyers,on va prendre le feu chez son voisin,

    on lallume chez soi, on le communique dautreset il appartient tous.

    Voltaire

    e droit ne descend pas tout arm de la cuisse deJupiter. Il est en gnral conu par ceux qui disposent dupouvoir et qui lgifrent au nom de lintrt gnral. Maisle mme droit peut produire des effets trs diffrents sui-vant la place quon occupe dans la socit. Comme lenote Anatole France: Notre droit dfend au riche commeau pauvre, dans une majestueuse galit, de voler du pain etde mendier au coin des rues. Le droit est une machine deguerre en faveur des plus riches surenchrit FranoisDagognet1. Il nest pas interdit de penser que cette fa-veur envers les riches et les forts est aujourdhui en passede saggraver.

    Ce biais sobserve en particulier dans le domaine, cen-tral lge du virtuel, de la proprit intellectuelle.

    Le droit actuel de la proprit intellectuelle empruntebeaucoup de sa philosophie au droit de la proprit ma-trielle. Le droit a toujours eu tendance appliquer auxproductions de lintellect des conceptions proches decelles rgissant la proprit des biens rels. Cette tendanceest ancienne et correspond une sorte de mouvement defond. Ainsi le droit dauteur est bas sur lide que lesproductions de lesprit sont minemment personnelles,lies des personnes bien relles, qui sont les concep-teurs, les auteurs, les inventeurs.

    Mais dans le mme temps, les lgislateurs ont gale-ment mis laccent sur les besoins de la socit de bnfi-cier collectivement de cette richesse intellectuelle, en vuede lintrt gnral. Cest pourquoi des dispositions va-ries sont apparues pour limiter et rduire les droits deproprit intellectuelle, avec en vue la proccupation dubien commun.

    Il sagissait de trouver un quilibre entre deux no-tions essentiellement opposes: le besoin de la socitdaccder au savoir, la cration, aux rsultats de lin-vention humaine, et les droits de lindividu crateur.

    Revenons aux fondements. Il sagit avant tout de pro-tger lintrt gnral et le progrs des sciences et des arts,en assurant la diffusion universelle des connaissances et

    des inventions, en change dune protection consentiepar la collectivit aux auteurs pour une priode limite.

    Cest une intuition premire. Il est plus avantageuxpour lhumanit de faire circuler librement les ides etles connaissances que de limiter cette circulation. Aris-tote affirme que lhomme est lanimal mimtique par ex-cellence. Pour Condillac, les hommes ne finissent par tresi diffrents, que parce quils ont commenc par tre copisteset quils continuent de ltre. Pour le philosophe Alain,copier est une action qui fait penser. Thomas Jefferson,rdacteur de la constitution des Etats-Unis, promoteurdu concept de bibliothque publique et de la doctrinedu fair use permettant les citations de textes protgs des fins ducatives ou de recherche, crivait aussi: lesinventions ne peuvent pas, par nature, tre sujettes la pro-prit.

    Cette intuition philosophique fondamentale adailleurs guid le lgislateur. Si la socit consent re-connatre un droit de proprit intellectuelle linven-teur dun procd, cest pour en viter la perte ou loubli,pour en faciliter la description publique, et pour en auto-riser aprs une priode de protection limite la libre co-pie (encourageant de ce fait la concurrence).

    Si lon cherche protger lauteur, cest pour lui as-surer un revenu, et pour protger son droit moral. Maisla cration dun monopole sur lexploitation des uvresaprs la mort de lauteur, et lextension de ce monopole,nest pas en soi de nature favoriser la cration. Elle auraitplutt tendance inciter les diteurs vivre sur leur ca-talogue dauteurs reconnus, plutt que dencourager larecherche de nouveaux talents.

    Or, depuis quelque temps, on assiste des modifica-tions du droit de la proprit intellectuelle qui semblentfavoriser certains intrts sectoriels et qui remettent doncen cause lquilibre ancien entre ayants droit et utilisa-teurs.

    Par exemple, en Europe, la directive du 29 octobre1993 relative lharmonisation de la dure de protec-

    1 Franois Dagognet, Philosophie de la proprit, Paris 1992

  • FI SPCIAL T 2001 Logiciels libres page 12

    tion du droit dauteur a allong la protection des uvreslittraires de 50 70 ans aprs la mort de lauteur.

    Depuis le dbut du sicle, le Congrs amricain al-longe rgulirement la dure du copyright au dtrimentdu domaine public. En 1998, le 27 octobre, le Congrsa vot le Sonny Bono Copyright Term Extension Actqui fait passer la dure du copyright de 50 70 ans aprsla mort de lauteur, et de 75 95 ans pour les droits desentreprises. On peut interprter cet allongement unila-tral de la protection, qui revient empiter sur le do-maine public, comme faisant essentiellement le jeu desgrands groupes de communication, et on pourrait y voiraussi une tendance la disparition pure et simple dudomaine public.

    Cette volution voulue par les diteurs et obtenuesans rel dbat dmocratique est incompatible avec ledveloppement dun accs universel linformation etcontraire lesprit mme de la loi sur la proprit intel-lectuelle. La collectivit accepte en effet de reconnatreet de protger les droits exclusifs des crateurs sur leursuvres, mais pour une dure limite seulement, tantentendu que ces uvres doivent in fine revenir la col-lectivit, et satisfaire ainsi lintrt gnral, qui est den-courager la libre circulation des ides et laccs de tousaux connaissances.

    Cette tendance de fond renforcer (sans contrepar-tie pour lintrt gnral) les intrts catgoriels peut aussise lire travers lvolution du droit de la proprit intel-lectuelle sur le vivant ou sur les OGM (organismesgntiquement modifis).

    Lvolution rcente du droit de la proprit intellec-tuelle va-t-elle rellement dans le sens de lintrt gn-ral? Par exemple, le problme des bases de donnes etdes donnes du secteur public fait lobjet dun dbat quireste toujours ouvert2, opposant en gros certains paysdvelopps au reste du monde.

    Une bataille historique cet gard sest tenue en d-cembre 1996 Genve, lors de la confrence diplomati-que sur certaines questions de droits dauteur et de droitsvoisins, organise par lOrganisation Mondiale de la Pro-prit Intellectuelle. Pour rsumer lampleur des criti-ques et des craintes quont suscit ces propositions, ci-tons la Fdration internationale dInformation et de Do-cumentation: le rle des collecteurs et des dissminateurspublics dinformation (bibliothques, archives, muses,)pourrait tre dtruit. Ou encore la raction de lIFLA(Fdration Internationale des Associations de Biblio-thques): Ces propositions vont obstruer plutt quamlio-rer le flot des informations La tendance actuelle la pro-tection des droits dauteur pour des raisons purement cono-

    miques semble tre en conflit avec le but originel du copyri-ght de promouvoir le progrs des sciences et des arts.

    Le trait sur les bases de donnes proposait la cra-tion dun nouveau droit de proprit intellectuelle, ledroit dit Sui Generis, suscitant des ractions extrmementviolentes de la part de reprsentants de la communautscientifique internationale, comme le Conseil interna-tional pour la Science (ICSU)3.

    Ainsi le public pourrait tre amen tre oblig depayer pour disposer dinformations du domaine public.

    La question de la proprit des donnes brutes estparticulirement proccupante un moment o lEtatse dsengage, et sous-traite beaucoup de ses bases de don-nes lindustrie prive pour les grer. Les informationscontenues dans ces bases appartiennent de plein droit audomaine public. LEtat ayant le monopole de la collectede ces informations publiques, il ne saurait sen dsint-resser sans prjudice pour le citoyen. Les sous-traitantsprivs qui grent ces bases de donnes publiques ne de-vraient pas devenir de ce fait propritaires des donneselles-mmes, ou ce qui revient au mme, du droit exclu-sif den disposer.

    Autre ide fondamentale: on ne peut pas protgerune ide pure. Par exemple un principe, une mthodeou un systme de pense, un thorme, une thorie ouun algorithme. On peut en revanche protger un logi-ciel informatique particulier qui utiliserait tel principeou tel algorithme.

    Evidemment cette doctrine ouvre la voie dinfiniescontestations. Car comment tracer prcisment la fron-tire entre le rel et le virtuel, surtout quand il sagit din-ventions de plus en plus dmatrialises? On se rappellela bataille du look and feel opposant Apple Microsoftsur lapparence de linterface de leurs systmes dexploi-tation.

    Si on prenait un peu de recul, on pourrait infrerlhypothse quavec chaque innovation technologique,le droit a toujours eu tendance renforcer (en thorie) ledroit de la proprit intellectuelle, et ce dautant plusque lvolution technologique rendait dautant plus ob-solte (en pratique) la philosophie mme de ce droit.

    Aujourdhui lenjeu du droit de la proprit intellec-tuelle est devenu stratgique. Il sagit de la source princi-pale de production de richesses dans le cadre de la socitde linformation. Les lobbies concerns sagitent. Ils de-mandent dtendre et de renforcer les droits sur les mar-ques, sur les brevets, sur les bases de donnes, et plusgnralement sur tout ce qui pourrait faire figure dacti-vit intellectuelle. Les intrts du public au sens large nesont pas reprsents. Pas davocats, pas de lobbyistes dansles couloirs de Bruxelles ou de Washington, pour dfen-

    2 Cette question est dbattue dans le livre vert de la Commission europenne: Linformation manant du secteur public: une res-source clef pour lEurope Livre vert sur linformation manant du secteur public dans la socit de linformation COM (1998) 585.

    3 The EU Directive could irreparably disrupt the full and open flow of scientific data which ICSU has long labored to achieve, and couldseriously compromise the worldwide scientific and educational missions of its member bodies. () All data including scientific data should not be subject to exclusive property rights on public policy grounds.

    Intrt gnral et proprit intellectuelle

  • FI SPCIAL T 2001 Logiciels libres page 13

    dre les intrts des utilisateurs. Lintrt gnral, une vi-sion suprieure du bien commun napparaissent pas clai-rement, et les militants de cette cause ne sont pas lgion.

    Les besoins des coles ou des universits, les difficul-ts des pays les moins avancs ou des milieux dfavorissdes pays dvelopps, ne reoivent pas dattention parti-culire dans le contexte de cette intense activit delobbying.

    De fait, on observe une extension spectaculaire desdroits de proprit intellectuelle, et parfois dans des di-rections inattendues. Par exemple, on a russi faire ad-mettre le principe dune privatisation du gnome hu-main aux Etats-Unis. Ceci se passe dans une relative in-diffrence de la part du public, trs mal inform des con-squences lointaines de tels hold-up ou land grab sur lepatrimoine de lhumanit.

    Pourtant des voix dissonantes tentent de se faire en-tendre. Par exemple, des dveloppeurs de logiciels sin-quitent. Ils ne veulent pas que leurs propres produc-tions logicielles soient tropprotges. Ils estiment quecela irait contre leur intrt.Cela aurait pour cons-quence de crer des oligo-poles surpuissants, limi-nant toute concurrence pos-sible, avec la cl une dimi-nution de la cration et delinvention.

    Le durcissement du ca-dre juridique protgeant laproprit intellectuelle peutsembler, a priori, en faveurdes crateurs et des innova-teurs actuels. Mais en ra-lit, sur le long terme, il esttrs vraisemblable que lescrateurs de demain et lesfuturs innovateurs se retrouvent prisonniers dun systmede clture intellectuelle empchant toute citation,rutilisation, inspiration, vocation, parodie, si on laissece gigantesque land grab soprer sans contre-pouvoir.Car rien ne sort jamais de rien. Aucun crateur ne creex nihilo. Le critique littraire Northrop Frye disait quonne peut faire de la posie quavec dautres pomes, et desromans quavec dautres romans. On pourrait dire la mmechose des programmes informatiques ou de la mise aupoint de nouvelles molcules. Si on limite laccs auxinformations et aux connaissances produites par la so-cit, par exemple en empchant le recours normal auxexceptions lgales permettant le droit de citation et ledroit de copie des fins denseignement et de recherche,alors ce ne sera pas lencouragement des sciences et des artsqui en rsultera, mais bien au contraire la cration demonopoles indracinables, le renforcement de la frac-ture numrique.

    Ceci est vrai de toutes les formes dactivit intellec-tuelle. O se situe lintrt gnral? Il sagit dencourager

    la cration et linvention, et donc dencourager lduca-tion, la recherche et laccs le plus large possible aux res-sources informationelles. Si les professeurs ne peuventplus citer les textes, si les tudiants ne peuvent plus lescopier, si on laisse les bureaux denregistrement des bre-vets octroyer des brevets pour linvention de procdsparfaitement anodins (ainsi le brevet accord Amazonpour lachat en ligne en une seule opration, dite one-click, qui lui a permis de poursuivre son comptiteurBarnes and Noble en justice), ou pour des ides triviales(comme les brevets accords Dell Computer autour delide de vendre des ordinateurs en ligne), alors les futurscrateurs et inventeurs seront empchs de dvelopperde meilleurs modles, de tester des amliorations succes-sives. Il est absolument ncessaire que le systmemondialis de la proprit intellectuelle prenne rellementen compte galement au plan mondial les intrtscontradictoires en prsence. Les pays du Nord nont pas cet gard forcment les mmes intrts que les pays duSud. Mais dans les pays dvelopps aussi, la ligne de con-

    tradiction interne estcomplexe tracer, entreutilisateurs et ayantsdroit, entre actionnaires,consommateurs et ci-toyens.

    Ce qui est sr, cestquun systme quilibr deproprit intellectuelledoit garantir lexistencedun vaste domaine public,librement accessible tous des fins dusage person-nel, denseignement ou derecherche.

    Ce domaine publicdoit tre protg contretoute forme de privatisa-tion. Il existe dexcellen-

    tes techniques juridiques cet effet comme le copyleft etla Licence Publique Gnrale (General Public License GPL) dveloppe par Richard Stallman et applique no-tamment la protection de LINUX contre toute tenta-tive dappropriation partielle ou non par des entreprisesprives.

    Il faut poser le problme de la proprit intellectuelleselon des prmisses compltement diffrentes, tenantcompte de lmergence progressive de la civilisation duvirtuel. Il est sans doute temps dinventer un nouveaumodle de lgislation, et mieux: une nouvelle pratique.Il faut trouver de nouvelles manires de rtribuer lacti-vit inventive, il faut sefforcer de dterminer de manireplus fine les responsabilits quant la protection des v-ritables crateurs, et viter que des avantages indus soientaccapars par des oprateurs dj surpuissants, et quipourraient, si lon ny prend garde, acqurir des pouvoirsinacceptables.

    La discrimination entre les ides (non protgeables)

    Intrt gnral et proprit intellectuelle

  • FI SPCIAL T 2001 Logiciels libres page 14

    et lexpression de ces ides (thoriquement protgeable)devient de plus en plus difficile. Lexpression des idespeut prendre de nombreuses formes matrielles essen-tiellement quivalentes, quil est ais de dtourner, demodifier matriellement des degrs trs divers.

    Devant ces difficults de plus en plus pressantes, lajurisprudence a eu tendance affaiblir la porte des loissur la proprit intellectuelle dans les domaines les plusexposs ces contradictions. Le Look and feel, que nousavons dj voqu, nest pas actuellement protgeable,par exemple. Mais les difficults sont innombrables. Unbrevet fut accord en aot 1993 Comptons NewMedia,une division de Tribune Company, sur des fonctionsdindexation pouvant sappliquer aussi bien aux CD-ROM quaux services en ligne. Le brevet dcrivait unsystme de recherche multimdia utilisant plusieurs indexcapables de montrer le degr de corrlation des informations.Il fut envisag par lentreprise de collecter des royaltiesau salon technique Comdex de novembre 1993 sur labase de ce brevet trs gnreux. La lgitimit du brevetfut videmment conteste par toute lindustrie concerne,et le brevet fut rvalu par le US Patent and TrademarkOffice puis annul en 1994.

    Si la communaut des industriels du secteur a pu ra-gir avec promptitude au caractre outrancier du brevetainsi trop lgrement accord, il est craindre que descommunauts moins mobilisables et moins informes,comme le grand public, soient soumises des dcisionsjuridiques trs dsavantageuses, priviligiant des groupesde pression mieux outills pour faire prvaloir leurs pointsde vue.

    La rvolution en cours va si loin que lquilibre clas-sique entre auteurs, intermdiaires (diteurs, diffuseurs)et utilisateurs va certainement tre affect dans un sensou dans un autre. Cest le fonctionnement social deschanges dinformations et dides qui pourrait tre re-mis en cause, ce qui pourrait avoir pour consquence ladisparition de droits acquis depuis longue date commele concept de bibliothque publique ou lusage des u-vres pour lducation et la recherche (fair use).

    Les connaissances acquises par lhumanit formenten principe un bien public mondial, appartenant tous.Le naturel, ainsi que le rationnel, ce que la nature nousdonne ou implique ne sauraient tre rservs quelques-uns. 4 En pratique, certains savent en tirer un avantagecomparatif particulirement dcisif, et beaucoup dautres,qui gagneraient immensment avoir accs ces con-

    naissances et les mettre en pratique, en sont privs,faute de moyens, et faute dducation de base. Cette si-tuation est videmment dommageable pour lintrt g-nral mondial. Les moyens de lamliorer relvent vi-demment dun grand nombre de facteurs. Mais il estparticulirement intressant danalyser dans ce contextelvolution rcente du droit de la proprit intellectuelle,et son rle facilitateur ou au contraire inhibiteur du pointde vue de la protection du domaine public5 et de lint-rt gnral.

    Comment le droit actuel de la proprit intellectuellevolue-t-il par rapport la dfense du domaine public,comment prend-il en compte les exceptions des finsdintrt gnral (copie prive, enseignement, recherche),tend-il renforcer ou affaiblir les exclusionsmtajuridiques, comme lexclusion de la protection desdonnes brutes ou des ides, procdures, mthodes, con-cepts mathmatiques, si ncessaire pour la libre circula-tion des ides? Le dveloppement de la protection intel-lectuelle, en faisant monter le cot de laccs aux con-naissances, favorise-t-il rellement la recherche fonda-mentale et le rythme des innovations? De trop fortes pro-tections ninduisent-elles pas des rentes de situations, desmonopoles juridiques sur des inventions, empchant parl-mme une plus large et plus gnrale diffusion du sa-voir et du progrs?

    Comment valuer la part du grand patrimoine com-mun des connaissances humaines dans toute innovationspcifique? Comment alors faire la part, en toute justice,entre ce qui revient en propre linnovateur et ce quirevient lhumanit dans son ensemble?

    Lvolution du droit de la proprit intellectuelle sem-ble favoriser depuis quelques annes une privatisationrampante du domaine public. Le droit de la propritintellectuelle semble nvoluer que pour servir toujoursdavantage les intrts des plus forts, des plus puissants,par le biais de lvolution du droit des brevets, par lem-prise croissante des normes technologiques, des standardsinformatiques. Cette volution se fait sans vritable d-bat dmocratique, et on a le sentiment quelle se fait auprofit de groupes de pression particulirement actifs,mobilisant les parlementaires leur cause, tout en sef-forant de tenir lopinion publique loigne de ce qui setrame.

    Or la gestion des biens communs de lhumanit de-vrait dsormais tre traite comme un sujet politique es-sentiel, touchant la chose publique mondiale. Limpli-

    Intrt gnral et proprit intellectuelle

    4 Franois Dagognet, op.cit .

    5 Le domaine public doit sappuyer sur le droit dauteur et non pas linfirmer. En effet, les logiciels libres sont protgs par le droitdauteur, et cest parce quils sont protgs par le droit dauteur que le crateur peut imposer des conditions qui font que lesutilisateurs ne peuvent les privatiser en les modifiant.Lintrt commun suppose donc, non seulement le domaine public (qui peut tre accru par un relvement des standards deprotection, un abaissement de la dure de celle-ci et des exclusions de principe comme par exemple pour les algorithmes), maisaussi par la reconnaisance dun droit daccs linformation structur (il y a dj une base juridique pour cela) et par lintroduc-tion dune exception gnrale de fair use.

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    cation politique principale est, nous lavons dj dit, lerle de la puissance publique dans la dfense de ces bienscommuns, qui sils sont laisss eux-mmes seront soitpills, soit trs mal rpartis, soit inexistants.

    Les puissances publiques peuvent dcider de renfor-cer les droits de proprit intellectuelle (leur champ dap-plication, leur nature, leur dure) consentis aux inven-teurs et aux crateurs pour encourager la production deconnaissance. Ceux-ci disposent alors de revenus tirsde lexploitation de leurs brevets, sur lesquels ils ont unmonopole dexploitation. Une plus grande activit in-ventive est encourage, mais au dpens dune restrictionde lutilisation des connaissances labores. Les connais-sances sont protges par un monopole et donc limitesdans leur usage ceux quipeuvent payer le cotdaccs demand par ledtenteur de ce mono-pole. Cet effet nest pasncessairement du gotde tous et ne rentre pasncessairement dans lecadre dune politiquecherchant promouvoirle libre accs de tous linformation ou lutilisa-tion la plus concurren-tielle possible des infor-mations, connaissances etinventions disponibles.La puissance publiquepeut alors dcider de r-quilibrer cet avantagedonn aux inventeurs en limitant la dure de la protec-tion de linvention (permettant alors un retour plus ra-pide dans le domaine public) ou de limiter ltendue etla nature des inventions protgeables, en exigeant uneactivit inventive rellement significative.

    Les connaissances techniques et scientifiques de baseainsi que les informations appartenant au domaine pu-blic sont des lments-cl dans la production de nouvel-les connaissances. Les inventeurs et les crateursdaujourdhui ne sont-ils pas comme des enfants assissur les paules de leurs aeux, des nains juchs sur des pau-les de gants? Ce sont les petits-enfants du savoir et destraditions, de la richesse inventive commune amasse parla collectivit humaine dans son ensemble. Commentrtribuer lapport effectif des nouveaux venus tout entenant compte de lintrt suprieur de la collectivit?Comment viter le hold-up toujours possible des nou-veaux arrivants sur le bien commun ouvert tous? Lapratique actuelle ne reconnat aucun droit la collecti-vit humaine en tant que telle dans linvention. Linven-teur, lhomme providentiel, le gnie solitaire, le Prom-the irremplaable est suppos incarner lui seul ltin-celle cratrice, lintuition salvatrice, arrachant hroque-ment le feu inventif aux dieux de lignorance. A lui leshonneurs et les brevets, lui le monopole sur lide et lesrevenus. A lui la protection accorde par la collectivit.

    Mais qui viendra dfendre les droits des silencieux, lesinnombrables apports consentis par la collectivit pourformer le savant, et surtout qui viendra parler pour d-fendre limmense domaine public, dans lequel tout lemonde prlve, mais que peu svertuent alimenter.Comme le domaine public est tous et que les ides nesont personne, il ny a pas de prix payer, croit-on, etchacun en particulier peut se les approprier, pourvu quela socit soit assez bonne fille pour reconnatre le faitjuridique de cet accaparement et accepte de le dfendrepar la loi et les tribunaux eux-mmes publics. Dans laplupart des cas, lexploitation des biens communs mat-riels, immatriels ou socitaux ne donnent lieu aucunreversement la collectivit de la part de ceux qui onttir un si bel avantage, si bon compte. Pourtant, on

    pourrait dfendre en toutequit et en bonne justice,mais aussi avec en vue unemeilleure utilisation desressources communes, derclamer au dposant debrevets, un paiement pro-portionnel aux recettes ef-fectives, pour ddommagerla collectivit mondiale delusage ainsi fait du biencommun et de la protec-tion juridique socialementreconnue, mais surtoutpour permettre cettemme collectivit de prpa-rer lavenir, de renforcer parce retour financier suppl-mentaire et lchelle mon-

    diale les coles et les universits, les bibliothques et leslaboratoires dont les nouvelles gnrations dinventeursauront le plus grand besoin, et en particulier celles quinont pas dans leurs propres pays toutes les ressourcesncessaires. Bref, il faut inventer et mettre en place unesolidarit inter-gnrationnelle et multi-latrale. Il fautprlever une part des bnfices dgags aujourdhui partous ceux qui profitent de ce bien commun quest le sys-tme de la proprit intellectuelle pour corriger les cartsinacceptables dans laccs mondial lducation et ausavoir, et donc linvention. Ces carts sont provoquspar labsence patente dune vritable gouvernance mon-diale effective dans ce domaine, laiss aux mains des Etats.Pourtant, les pays les plus avancs nont pas eu trop depeine, parce que cela les arrangeait, mettre au point desformes de gouvernance mondiale en action, permettantde creuser leur avantage relatif en matire de propritintellectuelle. Lexistence de lOrganisation Mondiale dela Proprit Intellectuelle (OMPI) tmoigne dun besoinlatent duniversalit en la matire. Mais il nest pas enti-rement rsolu par la cration dune telle entit. Il reste leplus important, cest--dire la dfinition dun quilibrepolitique plus gnral, qui relie par exemple les ques-tions assez troites de proprit intellectuelle aux probl-mes plus vastes dgalit dans laccs aux savoirs, la for-mation.

    Intrt gnral et proprit intellectuelle

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    Il relverait par exemple dun discours plus vrita-blement politique de dclarer que les ressources gnrespar la proprit intellectuelle doivent tre frappes dunimpt mondial, qui serait revers aux agences spciali-ses des Nations Unies et qui servirait augmenter leschances des pays en dveloppement de tirer parti du biencommun mondial des connaissances, et leur permettantpar l-mme dy contribuer leur tour.

    Le choix dun systme spcifique de rtribution delactivit inventive peut avoir des consquences extr-mement importantes sur le rythme des inventions. Enprotgeant de manire trop large ou trop longue, on ris-que tout simplement dappauvrir les opportunits pourdes inventions ultrieures, les futurs inventeurs tantdautant plus contraints pour capitaliser sur les savoirsprcdents. En protgeant de manire trop troite, onpeut tomber dans lexcs inverse et diminuer lincita-tion lactivit des inventeurs, dsormais non assursdun retour lucratif. Quoi quil en soit, il est clair quuneprotection trop forte6 a pour consquence dlever leprix de laccs aux connaissances, aux ides nouvelles, etdonc accentue invitablement le foss entre les info-lus,ayants droit linformation, et les info-exclus. Lexistencede cette distorsion peut devenir tout fait intolrablecomme le dmontre, aux Etats-Unis, pays libral par ex-cellence, lexistence de lois anti-trust visant rtablir(contre les consquences du libre fonctionnement dumarch) la possibilit dune concurrence loyale, fonde-ment de lidologie du libralisme conomique.

    Le procs men par le gouvernement fdral amri-cain contre Microsoft est exemplaire cet gard. Queles gardiens du temple du libralisme puissent mettre enaccusation lentreprise la plus emblmatique de lcono-mie post-industrielle nest pas sans prcdent dans lhis-toire amricaine. La question de la perversion du sys-tme libral par ses meilleurs disciples stait dj poseen dautres temps. Lclatement du monopole dATTavait t son poque un bon exemple du sursaut nces-saire de lintrt gnral devant la puissance acquise parles intrts sectoriels. Mais dans le cas de Microsoft ilreste savoir si le dysfonctionnement ainsi constat vientdu fonctionnement naturel du march, que lon se con-tenterait alors de rguler par les lois anti-trust, ou alorssil vient de lexistence dun droit de la proprit intel-lectuelle mal proportionn, donnant un avantage im-mrit, beaucoup trop fort, aux dtenteurs de brevets,acqurant un monopole. Autre hypothse encore: ce dys-fonctionnement ne vient-il pas de la nature mme delconomie du virtuel, base de normes et de rseaux, etdonnant ipso facto un avantage incommensurable auxpremiers arrivs, ou aux premier mergents, ou aux pre-miers dposants de telles ou telles composantes dun stan-dard technique, devenu absolument indispensable lacollectivit mondiale, et transfrant alors leurs dten-

    Intrt gnral et proprit intellectuelle

    teurs une rente de situation sans proportion avec leuractivit inventive relle?

    On voit que ces questions ne sont pas seulement denature juridique. Le droit, en loccurrence, nest que lechamp ouvert aux chocs dune bataille plus large, de na-ture profondment politique, bataille elle-mme alimen-te par un dbat philosophique sur le concept mme din-trt gnral, de bien commun, lchelle mondiale. Lesconflits dintrts sexacerbent particulirement entre lespays en dveloppement et les pays dvelopps, les pre-miers craignant juste titre que le renforcement du droitinternational de la proprit intellectuelle se fasse leursdpens, au moment o prcisment ils auraient le plusgrand besoin dlargir leur accs aux ressources mondia-les de linformation pour rattraper leur retard cognitif,scientifique et informationnel.

    Pour lobservateur, il est frappant de constater queles rares forums internationaux o slaborent les possi-bilits de consensus sur ces questions de proprit intel-lectuelle (OMPI, OMC) sont dabord des lieux dexer-cice des rapports de force entre coalition dintrts sec-toriels, plutt que des lieux dlaboration dune doctrinephilosophiquement ou politiquement acceptable partous, visant lintrt gnral.

    On a vu que les abus induits par une trop forte pro-tection de la proprit intellectuelle peuvent tre corri-gs dans une certaine mesure dans les pays dveloppsdisposant de lois anti-trust. Mais de tels mcanismesnexistent pas au niveau international. Labsence de loisanti-trust mondiales, mais aussi labsence de toute sou-verainet mondiale capable de faire respecter une formede justice mondiale en matire conomique, est bien lapreuve que le monde est actuellement essentiellementlivr aux rapports de force.

    Cest pourquoi nous pensons que le chantier de laproprit intellectuelle devrait dsormais tre trait, nonpas seulement dun point de vue juridique ou commer-cial, mais essentiellement dun point de vue thique etpolitique.

    6 Cf. Jean Monnet, Aspects actuels de la contrefaon, 1975: la protection du moyen gnral est quelque chose de nuisible la recherchepour la raison suivante: si lon reconnat que la fonction en elle-mme est protge, on aboutit la sclrose de la recherche car le brevet,ayant une protection dtendue norme, sera incapable dexploiter tout le domaine quil aura et de nombreux concurrents seront peuenclins aller dans ce domaine quils peuvent penser tre effectivement couvert par le brevet. cit par F. Dagognet in op.cit.

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    En guise dintroduction

    Comment un mathmaticien va-t-il cuire un uf dur,avec sa disposition un uf cru, une casserole vide, un ro-binet et un rchaud? Tout simplement en remplissant la cas-serole deau, en la faisant chauffer et en laissant luf dansleau bouillante pendant quelques minutes. Mais tout lin-trt de cette question rside dans un second problme ole mathmaticien dispose dun uf cru, dun robinet, dunrchaud et dune casserole deau bouillante. La raction detout bon mathmaticien est instantane: il jette leaubouillante, vidant ainsi la casserole pour se ramener au pro-blme prcdent. Cette histoire caricature peine lvolu-tion actuelle de notre systme conomique. Ses rgles ontt longuement labores et raffines pour optimiser le d-veloppement conomique et technique, dans un univers deproduction et de consommation contraint par la pnurie oupar les cots de production et de distribution. Or lcono-mie moderne repose, pour une part toujours croissante, surdes productions immatrielles pour lesquelles ces contrain-tes ont largement disparu. Grce linformatique et lInternet, les cots marginaux de production comme lescots de distribution sont quasiment nuls. Or, plutt quede repenser les structures conomiques et les rgles qui lesrgissent, on constate que, pour des raisons qui semblentrelever de la pure idologie, les responsables politiques etconomiques choisissent de jeter leau bouillante, cest--dire de rematrialiser limmatriel par des combinaisons desprocdures techniques (encryptage, filigranne) et juridiques(brevets, interdiction de certains outils), afin de se ramenerau problme prcdent. Malheureusement, ou heureuse-ment, cela nest sans doute pas viable terme. En effet, mmesi lon russit ainsi rtablir une certaine pnurie et main-tenir, temporairement, les vieilles structures conomiques,on ne peut plus stabiliser les marchs sur des cots margi-naux qui sont devenus nuls. En outre, on peut se poser la

    question de savoir si, avec cette nouvelledonne de limmatriel, ce sont toujoursles vieilles recettes qui optimisent le d-veloppement conomique et technique.

    Les ressources libres

    En dehors des ressources immatriel-les protges depuis 2 4 sicles par lebrevet ou le droit dauteur, il existedautres ressources, techniquement etconomiquement essentielles, mais quirestent librement utilisables, notam-ment celles qui constituent les connais-sances scientifiques. Le monde de laconnaissance scientifique est lui-mmeune structure conomique o lonchange des biens tels que connaissance,renomme, attention, voire des biensplus matriels, et dont le but est lac-croissement du savoir humain. Les m-canismes moteurs et rgulateurs de cetteconomie sont fonds sur une libre cir-culation et rutilisation de linforma-tion, sur le jugement des pairs, la libertde chacun de reprendre, amender, d-former, reformuler, tendre les contri-butions existantes, avec pour seuls ob-jectifs le dveloppement de connaissan-ces nouvelles et lamlioration, le per-fectionnement, des connaissances acqui-ses. Le rle de la libre diffusion est dansce contexte tellement important quecette diffusion de la connaissance de-vient un objectif en soi. On ne peut que

    Logiciels Libres et Entreprises

    Bernard Lang, Institut National de Recherche en Informatique et Automatique Association francophone des utilisateurs de Linux et des Logiciels libres France *

    * Cet article a t initialement prsent la Confrence: The influence of intellectual property on world economic development, Mo-naco, 19-21 Septembre 1999.Il a t publi dans le numro spcial 80/81 de la revue Terminal, ditions LHarmattan, 2000, intitul: Les logiciels libres: delutopie au march.

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    prendre acte de ce que ce modle a parfaitement rempli sonrle. Si bien que, ds les annes 1980, il a t propos parRichard Stallman de le reprendre pour le dveloppementdes logiciels informatiques. Sans mme recourir de rcentsrsultats de logique qui tablissent quun programme infor-matique est une entit de mme nature quune preuve ma-thmatique [1], on constate empiriquement que les program-mes informatiques se dveloppent dans un contexte sem-blable celui de la connaissance scientifique: rle prpon-drant de la matire grise sur linvestissement, grande com-plexit, ncessit dune dcomposition modulaire permet-tant de rutiliser des rsultats (programmes) en faisantconfiance leurs auteurs, techniques et rsultats toujoursperfectibles par les contributions et les critiques des pairs, etsurtout possibilit de rutiliser linfini, sans cot suppl-mentaire, un rsultat (programme) obtenu. Cest ainsi quunecommunaut dinformaticiens a depuis 20 ans entrepris dedvelopper des ressources informatiques libres [2], les logi-ciels libres, caractriss principalement par: la libert de diffusion la libert dutilisation la libert de modification .

    Ce mouvement a en outre t favoris aux tats Unispar la rglementation fdrale qui imp