FIRE AND FURY. INSIDE THE TRUMP WHITE HOUSE · l’opinion publique, ou du moins ses tentatives...

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«Cetteœuvreestprotégéeparledroitd’auteuretstrictementréservéeàl’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,detoutoupartiedecetteœuvre,eststrictementinterditeetconstitueunecontrefaçonprévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle.L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales.»

Titreoriginal:FIREANDFURY.INSIDETHETRUMPWHITEHOUSE

©MichaelWolff,2018

Encouverture:©JonathanErnst/Reuters©RichardDrew/AP/SIPAPRESS

Allrightsreserved.Traductionfrançaise:ÉditionsRobertLaffont,S.A.S.,Paris,2018

EAN:978-2-221-21838-9

(éditionoriginale:ISBN978-1-250-15806-2HenryHoltandCompany,NewYork)

CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.

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PourVictoriaetLouise,mèreetfille

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Prologue

AilesetBannon

Lasoiréedoitcommencerà18h30,maisSteveBannon,demoinsenmoinssoucieuxdes contrainteshorairesdepuisqu’il estdevenu l’undeshommes lespluspuissantsdumonde,estenretard.

BannonapromisdeveniràcedînerorganisépardesamisdansunemaisondeGreenwichVillage afind’y rencontrer son ancienmentor,RogerAiles,ex-patron de Fox News et grande figure de l’aile droite du monde médiatiqueaméricain. Le lendemain, 4 janvier 2017 – moins de deux semaines avantl’investituredesonamiDonaldTrumpcommequarante-cinquièmeprésidentdesÉtats-Unis –, Ailes doit partir à Palm Beach pour une retraite imposée qu’ilespèretemporaire.

Laneigeestannoncéeetledîneruninstantcompromis.Ailes,âgéde76ans,a depuis longtemps des problèmes de jambes et de hanches, et marche avecdifficulté. IlestvenuàManhattanavecsafemmeBethdepuisleurmaisondesrives de l’Hudson, dans le nord de l’État de New York, et il s’inquiète deschaussées glissantes. Mais il a très envie de voir Bannon. L’assistante de cedernier,AlexandraPreate,envoierégulièrementauxhôtesdeGreenwichVillagedestweetspourlesinformerdelalenteprogressiondeBannonverslaportedesortiedelaTrumpTower.

Alors que le petit groupe d’invités attend le conseiller du Président,Ailesprendlaparole.Ilestaussiébahiquelesautresparlavictoiredesonvieilami

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Donald Trump et s’engage dans une courte réflexion sur les hasards et lesabsurdités de la vie politique. Avant de lancer FoxNews en 1996, Ailes fut,pendantcinquanteans,l’unedesprincipalesfiguresduPartirépublicain.Mêmes’ilestsurprisparcetteélection,ilplaidelacaused’unefiliationenlignedirectedeNixonàTrump.Mais iln’estpassûrqueTrump lui-même–qui fut touràtour républicain, démocrate, indépendant – puisse défendre cette cause. Ilconnaît trèsbienTrump,et seditprêt à luioffrir sonaide.Ailes,quiaimeraitaussirejouerdanslacourdesmédiasdedroite,décritavecvervelespossibilitésde lever le milliard de dollars qu’il juge nécessaire pour lancer un nouveauréseaudechaînesdetélévision.

Ailes etBannon se considèrent tous deux comme des amateurs d’histoire,des autodidactes qui comprennent le sens caché du monde. Pour eux, cetterelationprivilégiéequ’ilsentretiennentavecl’histoireesttoutàfaitcomparableàcellequ’ilsontavecTrump:ilsn’ontqu’àlaisserleurcharismeagir.

Ailes,cependant,comprendàcontrecœurqu’ildoitpasserleflambeaudeladroiteàBannon,dumoinspourlemoment.Unflambeauquicarbureàl’ironie.FoxNews, qui génère 1,5milliard de profit annuel, a dominé le champ de lapolitiquerépublicainependantdeuxdécennies.Maintenant,c’estBannon,avecsonsiteBreitbartNewset son1,5milliondebénéfice,qui revendiquece rôle.Pendant trente ans,Ailes – jusqu’à récemment la figure la plus puissante desconservateurs–asupportélescapricesdeDonaldTrump,maisaufinal,cesontBannonetBreitbartquiontfaitélirelenouveauPrésident.

Sixmoisplustôt,quandlavictoiredeTrumpsemblaithorsdeportée,Ailes,accusédeharcèlement sexuel, était exfiltré avecungros chèquedeFoxNewsparlesfilsdeRupertMurdoch,85ans,leprincipalactionnairedelachaîneetlepluspuissantbarondelapresse.Lachuted’Ailesaétécélébréeparlagauche.Le plus détesté des grands conservateurs est tombé sous le joug de nouvellesnormes sociales. À peine trois mois plus tard, accusé de comportements bienpluslouches,TrumpétaitéluPrésident.

AilesapprécieTrumppourbeaucoupderaisons:c’estunbonvendeur,unbon showman, un baratineur. Il admire aussi son sixième sens auprès de

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l’opinionpublique,oudumoinssestentativesconstantesdelaséduire.Ilaimesesmanigances,soninfluenceetsoneffronterie.«Ilnes’arrêtejamais,lance-t-il, émerveillé, après lepremierdébatdeTrumpavecHillaryClinton.Vous luitapez sur la tête, et Donald continue, il ne sait même pas que vous l’avezcogné.»MaisAilesestcertainqueTrumpn’aaucuneconvictionpolitiqueetpasdavantagedecolonnevertébrale.LefaitmêmequeTrumpsoitdevenuledernieravatar du petit homme blanc en colère de Fox News constitue une nouvellepreuveque lemondemarchesur la tête.Toutcelaestunemauvaiseblague,etAilessedoutequ’ilpourraitenêtrelavictime.

Pourtant, il a observé les politiciens de près pendant des décennies et, aucours de sa longue carrière, il en a vu de tous les genres, des bizarres, desaffamés, desmaniaques.Les opérationnels comme lui – etmaintenant commeBannon–onttravailléavectouscestypesdansunerelationdesymbioseetdedépendance mutuelle. Les politiciens sont les hommes de pailles d’uneorganisation complexe. Les opérationnels connaissent les règles du jeu, lescandidatsetlesélusaussi.MaispasTrump,Ailesenestcertain.Trumpestsansdiscipline.Ilnesaitpas jouer le jeu.Ilnepeut intégrer lemoindresystème,niadhéreràunprogrammeouàdesprincipes.PourAiles,Trumpest«unrebellesanscause».IlestDonald,voilàtout.

Début août, moins d’un mois après le limogeage d’Ailes de Fox News,Trump a demandé à son vieil ami de prendre la direction de sa calamiteusecampagne électorale. Ailes, connaissant l’incapacité de Trump à accepter lesconseils des autres, etmême de simplement les écouter, a refusé l’offre. Unesemaineplustard,Bannonoccupaitleposte.

AprèslavictoiredeTrump,Ailessedemandes’ilfautplutôtregretterdenepasavoirsaisilachancededirigerlacampagnedesonami,oud’avoircruquecette offre ne serait pas la dernière. Il comprend que l’incroyable victoire deTrumpsigneletriomphedecequ’incarneFoxNews.Aufond,c’estAilesquialepluscontribuéàsoulevercettevaguedecolèreenfaveurdeTrump.C’estluiqui a inventé le média de droite qui a fait ses choux gras du personnage deTrump.

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Ailes,membreducerclefermédesamisetdesconseillersdeTrump,semetàespérerqu’ilpourrapasserdu tempsavec lenouveauPrésidentune foisqueBeth et lui s’installeront à Palm Beach. Il sait que Trump compte se rendresouvent dans sa propriété de Mar-a-Lago, proche de sa nouvelle résidence.Cependant, il est aussi conscient qu’en politique, la victoire change tout. Levainqueur est le vainqueur, et Ailes a du mal à considérer l’étrange etimprobable réalité : sonamiDonaldestmaintenant leprésidentdesÉtats-Unisd’Amérique.

À 21h30, alors que le dîner est déjà bien entamé, voici enfinBannon quiarriveavectroisheuresderetard.Ilporteunblazerfroissé,deuxchemisesl’unesurl’autrecommeàsonhabitude,etuntreillis.Malraséetensurpoids,l’hommede63anss’assiedàlatabledeseshôtesetprendimmédiatementlecontrôledelaconversation.Écartantd’ungesteunverredevinquiluiestproposé–«Jeneboispas»–,ilentredansunesortedecommentaireendirect,balançantunflotd’informationssur l’étatdumondequ’ilestsur lepointdeconquérir.«Onvainonder la zonepourque tous lesmembresdu cabinet soient confirméspar leCongrèsdanslesseptprochainsjours,déclare-t-ilsuruntonmartial.Tillerson,çaprendradeuxjours,Sessiondeuxjours,Mattisdeuxjours…»

IlenchaînesurMattis–«MadDog»Mattis,lechienfou,ungénéralquatreétoilesà laretraitequeTrumpanommésecrétaire1à laDéfense–ets’engagedansunelonguedissertationsurlatorture,l’étrangegauchismedesgénéraux,lastupidité des bureaucrates civils et militaires. Puis il aborde l’hypothèsenébuleuse d’une nomination de Michael Flynn – un favori du Président, ungénéralquiasouventchauffélessallesderéunionsélectoralesavantl’entréeenscènedeTrump–aupostedeconseilleràlaSécuriténationale.

«Ilestbien.Cen’estniJimMattisniJohnKelly…maisilestbien.Ilajustebesoind’unbonstaffautourdelui…Etsionretiretouslesanti-Trumpettousles néoconservateurs qui nous ont fait la guerre, on n’en a pas beaucoup enréserve.»

Bannonajoutequ’il a essayéde fairenommer à ceposte JohnBolton2, leplus célèbre faucon de la diplomatie américaine. Bolton est aussi le favori

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d’Ailes,quiaffirme:«C’estunlanceurdebombesetunpetitemmerdeur,maisonabesoindelui.

Quid’autreestbonsurIsraël?Flynnestunpeudingosurl’Iran.Tillerson–lesecrétaired’État3–neconnaîtquelepétrole.

—LamoustachedeBoltonestunobstacle,répondBannonavecunsourireencoin.Trumppensequ’iln’apaslatêtedel’emploi.Commevouslesavez,ilfautapprendreàl’aimer.

— Il paraît qu’il eu un problème, il s’est battu dans un hôtel, une nuit, ilcouraitaprèsunefemme.

—SijeraconteçaàTrump,ilpourraitavoirlejob.»

Curieusement,BannonestcapabledesoutenirTrumptoutensuggérantqu’ilne leprendpas toutà fait au sérieux. Il l’a rencontrépour lapremière foisen2010,alorsque lemilliardairehésitaitàdevenircandidatà laprésidence.Lorsd’uneréuniondanslaTrumpTower,Bannonluiasuggérédedépenserundemi-milliondedollarsenfaveurdescandidatsduTeaParty4afindeconsolidersesambitions présidentielles. Il est sorti de cet entretien persuadé que Trump necracheraitjamaisunepareillesomme,quecetypen’étaitpasunjoueursérieux.Entrecettepremièrerencontreetlami-août2016,quandBannonaprislesrênesdelacampagneprésidentielle,iln’apaspasséplusdedixminutesentêteàtêteavecTrump,àl’exceptiondequelquesinterviewspoursonémissionderadiosurBreitbart.

Maintenant, l’heuredeBannonestarrivée.Partoutdans lemonde règne ledoute. LeBrexit au Royaume-Uni, les vagues demigrants débarquant sur lesrives d’une Europe en colère, le désenchantement des travailleurs, le spectred’un nouvel effondrement financier, Bernie Sanders et son gauchismerevanchard,partout,c’estleretourdebâton.Même«lesmondialistes5»lesplusenthousiastes avouent leurs hésitations. Bannon est persuadé qu’un grandnombredegensattendentunnouveaumessage:lemondeabesoindefrontières–oudevraitreveniràuntempsoùlesfrontièresexistaientencore.Untempsoùl’Amérique était une grande nation. Trump est devenu le porte-voix de cemessage.

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Encesoirdejanvier,BannonestdepuisprèsdecinqmoisimmergédanslemondedeDonaldTrump.Mêmes’iladresséunelonguelistedesbizarreriesdecedernier,mêmes’ilpeuts’alarmerdesopinionsetducaractèreimprévisibledesonpatron,riennesembleeffriter l’extraordinairecharismedeTrumpdanslesrangs de la droite américaine, du Tea Party, des réseaux sociaux. D’autantqu’aveclavictoire,TrumpoffreunenouvellevieàSteveBannon.

« Il a compris ? » demande soudain Ailes en regardant Bannon avecintensité.

Ilveutdire :Trumpa-t-ilcompris? Ilaimeraitprobablementensavoirunpeuplussurleprogrammedeladroite:ceplayboymilliardairea-t-ilcomprislacause du petit peuple travailleur ?Àmoins qu’il ne s’agisse d’une question àfroidsur lanaturemêmedupouvoir :Trumpcomprend-il le rôleque luioffrel’histoire?

Bannon boit une gorgée d’eau. « Oui, il a compris. » Puis, après unehésitation un peu trop longue, il ajoute : « Enfin, il comprend ce qu’ilcomprend.»

Ailescontinueà regarderBannon, espérantqu’ilmettedenouvelles cartessurlatable.

« Franchement, il suit le programme. C’est son programme », et Bannonenchaîne sur l’agenda de Trump : « Le premier jour, on met l’ambassadeaméricaine à Jérusalem. Netanyahou est dans la boucle. Sheldon – SheldonAdelson, le milliardaire dont la fortune vient des casinos, grand défenseurd’IsraëletsoutiendeTrump–estdanslaboucleaussi.Surcesujet,onsaitoùonva.

—EtDonaldlesait?»demandeAiles,toujourssceptique.Bannonsourit,esquisseunclind’œiletcontinue:«LaissonslaCisjordanieàlaJordanie.LaissonsGazaàl’Égypte.Laissons-

lesgérerça.Ousombrerens’yessayant.LesSaoudienssontsur labrèche, lesÉgyptiens sont sur la brèche, ils ont tous une trouille mortelle de la Perse…Yémen,Sinaï,Libye…Toutçavamal…C’estpourquoi laRussieest laclé…

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LaRussieest-ellesidangereusequeça?Cesontdessalestypes,maislemondeestpleindesalestypes.»

Bannonpéroreavecexubérance–ilrefaitlemonde.«C’estbiendesavoirquelessalestypessontdessalestypes,ditAiles,mais

Donaldl’ignorepeut-être.»Le véritable ennemi, répond Bannon, soucieux de ne pas trop défendre

Trump sans toutefois le mettre sur la touche, c’est la Chine. La Chine est lepremier front d’une nouvelle guerre froide, et cela n’a pas été intégré duranttouteslesannéesObama–cequenousavionscrucomprendre,nousnel’avionspas du tout compris.C’est l’échec des services secrets américains. « Je pensequeComeyestunmecdetroisièmezoneetBrennanunmecdesecondezone»,ajouteBannonàproposdesdirecteursrespectifsduFBIetdelaCIA.

« LaMaison Blanche ressemble aujourd’hui à celle de Johnson en 1968.SusanRice–conseillèreà la sécuriténationaled’Obama–mène lacampagnecontre Daech à la manière d’une conseillère à la sécurité nationale. Ilschoisissent les cibles, elle décide où frapperont les drones. Franchement, ilsmènent cette guerre aussi efficacement que Johnson au Vietnam en 1968. LePentagone est totalement désengagé, les services de renseignements sontdésengagés.LesmédiasontététrèsindulgentsavecObama.Enlevezl’idéologie,ettoutcelaestuneaffaired’amateurs.Jenesaispascequ’Obamafait.Personnene le connaît au Congrès. Aucun homme d’affaires ne le connaît. Qu’a-t-ilaccompli?Quefait-il?»

«OùenestDonaldlà-dessus?demandeAiles,quicomprendqueBannonvabienplusloinquesonpatron.

—Ilesttotalementavecnous.—Concentré?—Ilestd’accordavecnous.— Il ne faut peut-être pas queDonald ait tropde choses à quoi penser »,

répondAiles,amusé.Bannonhausselesépaules.«Unpeutrop,pasassez,çanechangerien.»

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«Dansquoiils’estembarquéaveclesRusses?demandeAiles.—Engros,répondBannon,ilaétéenRussieparcequ’ilpensaitrencontrer

Poutine. Mais Poutine n’en avait rien à foutre de lui. Alors il a continué àessayer.

—C’estDonald,ça!— C’est magnifique… » répond Bannon qui semble considérer Trump

commeunemerveilledelanatureau-delàdetouteexplication.De nouveau, Bannon laisse de côté le problème Trump – cette présence

singulière et imposante à laquelle il convient d’exprimer reconnaissance etfidélité. Tenant le rôle qu’il s’est créé, celui de concepteur de la présidenceTrump,ilrevientàlacharge:

«LaChineestlepointcentral.Lerestenecomptepas.Sionn’estpasbonssur la Chine, nous n’irons nulle part. Tout cela est très simple. La Chineaujourd’hui est làoùenétait l’Allemagneen1929-1930.LesChinois, commelesAllemands,sontlesgenslesplusrationnelsdumonde,jusqu’aumomentoùilsnelesontplus.Etalorsilsvontbasculercommel’Allemagnedanslesannées1930.NousallonsavoirunÉtathypernationalisteet,aprèsça,vousnepourrezplusrentrerlegéniedanssabouteille.

—Donaldne serapasNixonenChine», admetAiles qui suggère que ceseraittoucherauxlimitesdelacrédibilitédevoirlePrésidentaméricainendossersacapedegrandréformateurdumonde.

Bannonsourit.« Bannon en Chine, dit-il avec un remarquable mélange d’emphase et

d’autodérision.— Et le gamin ? demande Ailes à propos du gendre et grand conseiller

politiquedeTrump,JaredKushner,âgéde36ans.—C’estmoncoéquipier,répondBannon,d’untonsuggérantquemêmes’il

nelepensepasréellement,telleestdésormaissaversionofficielle.—Vraiment?douteAisle.—Ilfaitpartiedel’équipe.—IlasouventdéjeunéavecRupert.—Àpropos,répondBannon,vouspourriezm’aideràcesujet.»

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Il entreprend pendant plusieurs minutes de recruter Ailes pour l’aider àneutraliserMurdoch.Cedernier,quiasuscitébeaucoupd’amertumechezAilesaprès son éviction de FoxNews, encourage le Président élu à s’aligner sur lamodération de l’establishment (l’élite constituée des républicains les plusmodérés,dumondedesaffairesetdesrichesNew-Yorkais).Encoreunétrangeretournement des valeurs dans les tumultueux courants du conservatismeaméricain. Bannon voudrait qu’Ailes suggère à Trump, un homme qui, entreautresnévroses,estterrifiéparlespertesdemémoireetlasénilité,queMurdochpourraitbienêtreenpertedevitesse.

« Jevais l’appeler,maisTrumpest prêt à toutpourplaire àRupert. C’estcommeavecPoutine.Tuluilècheslesbottesetiltechiedessus.Jemedemandequitirelesficelles.»

Levieuxmagiciendesmédiasdedroiteetsoncadet(plustoutàfaitjeune)continuentleurséchanges,àlagrandesatisfactiondesinvités,jusqu’àminuitetdemi.L’ancienveutpercerlanouvelleénigmenationalequ’estTrump–mêmesiAilesprétendque l’attitudedecedernier est tout à faitprévisible–, leplusjeunesembledéterminéànepasboudersanouvelledestinée.

« Donald Trump a gagné. C’est Trump, mais il a gagné, lance Bannon.TrumpestTrump.

—Ouais,c’esttoutTrump»,répondAilessuruntond’incrédulité.

1. CetitrecorrespondenFranceàceluideministre.(Touteslesnotessontdestraducteurs.)

2. JohnBoltonaéténotammentlereprésentantdesÉtats-Unisàl’OnusouslaprésidencedeGeorgeW.Bush.

3. L’équivalentduministredesAffairesétrangères.

4. LeTeaPartyestunmouvementnéaulendemainde lapremièreprésidencedeBarackObamaetsouventqualifiédelibertarienetréactionnaire.IlestenpartieliéàlabranchelaplusàdroiteduPartirépublicain.

5. Néologismeutiliséparlesnationalistespourdénoncerlespartisansd’unÉtatmondial.

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Lejourdel’élection

Dans l’après-mididu8novembre2016,KellyanneConway–directricedecampagne et personnalité centrale, voire star, dumondedeTrump– s’installedanssonbureauvitrédelaTrumpTower.Jusqu’àcesdernièressemaines,leQGducandidatestrestéunlieutranquille.Seulsquelquespostersavecdesslogansdedroiteledistinguentd’unbureaud’entreprise.

L’humeurdeConway, ce jour-là, est aubeau fixe, ce qui est remarquablepour quelqu’un qui s’apprête à vivre une défaite retentissante, voirecataclysmique. Donald Trump va perdre l’élection – elle en est tout à faitcertaine –mais pourrait terminer à moins de six points d’Hillary. Et cela, ceseraituneréellevictoire.Quantàladéfaiteimminente,elles’enlavelesmains.CeseralafautedeReincePriebus1,paslasienne.

Elleapasséunebonnepartiedelajournéeàtéléphoneràsesamisetalliésdu monde politique pour leur dire tout le mal qu’elle pense de Priebus.Maintenant, elle propose des éléments de langage aux producteurs etprésentateurs de télévision avec lesquels elle a noué des liens de confiance etauprès desquels, après plusieurs entretiens au cours des semainespassées, elleespère décrocher un job de présentatrice après l’élection. Elle a pris soin detraiteravecégardsuncertainnombred’entreeuxqu’ellearejoint lacampagnedeTrumpàlami-aoûtetqu’elleestdevenuelavoixcombativeetconvaincante

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de son camp – sourire mécanique à la fois blessé et imperturbable et visageparticulièrementtélégénique.

Au-delà de toutes les terribles gaffes de la campagne, le vrai problème,explique-t-elle, c’est l’incontrôlable RNC, le Comité national républicain, quedirigent Priebus, son acolyte de 32 ans Katie Walsh, et leur directeur de lacommunication Sean Spicer. Au lieu de les soutenir, le RNC, devenul’instrumentde l’establishmentrépublicain,s’estcarapatédepuis lanominationdeTrumpaudébutdel’été.EtquandTrumpaeubesoindeleursoutien,iln’yapluseupersonne.

Après ce préambule, dans la deuxième partie de son discours, Conwaysoutient quemalgré tout, la campagne deTrump a su remonter la pente.Uneéquipesous-financéederrière lepirecandidatde l’histoiremoderne–elle lèveles yeux au ciel à la seule mention du nom de Trump, ou présente le visagefermé d’un joueur de poker menteur – a finalement accompli un travailformidable. Conway, qui n’avait jamais intégré de campagne nationale et quigérait,avantTrump,unepetiteboîtedesondages,réaliseparfaitementqu’aprèsl’électionelledeviendral’unedesgrandesvoixconservatricesdelatélévision.

Pourtant,unsondeurdel’équipeTrump,JohnMcLaughlin,suggèredepuisunesemainequedansuncertainnombred’Étatsclés,desestimationsàl’originedésastreusessontpeut-êtreentraind’évoluerenfaveurdeleurchampion.Maisni Conway ni Trump ni son gendre Jared Kushner – le véritable chef decampagne, le représentant de la famille au sein de l’équipe dirigeante – neveulentendémordre:cetteaventureinattenduearriveàsafin.

Seul Steve Bannon, faisant bande à part, continue à prétendre que leschiffresvonttournerenleurfaveur.MaislesopinionsdecrazySteve(«Steveledingue»)sontloind’êtrerassurantes.

Presquetoutlemondedanscetteéquipedecampagne–encoretoutepetiteorganisation – se considère clairvoyant et réaliste. Le consensus général,maisnon dit, est que non seulement Trump ne sera pas Président, mais queprobablement il ne faut pas qu’il le soit. Cette conviction a un avantage.Personnen’auraàgérerlesconséquencesd’unevictoire.

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Alors que la campagne se termine, Trump est confiant. Il a survécu auPussygate2etauRNCquiavaitoséluidemanderdeseretirerdelacourse.Enoutre,ledirecteurduFBI,JamesComey,vientbizarrementderouvrirl’enquêtesurlese-mailsd’HillaryClinton3àonzejoursduscrutin,épargnantàTrumpunrazdemaréedémocrate.

«Jepeuxdevenirl’hommelepluscélèbredumonde,aproclaméTrumpaudébutdelacampagneàl’undesesconseillersintermittents,SamNunberg.

—Maisvoulez-vousdevenirPrésident?»arétorquéNunberg(unequestiond’unenaturedifférentedecellehabituellementposéeauxcandidats:«Pourquoivoulez-vousdevenirPrésident?»).

Trumpn’apasrépondu.Cen’étaitpeut-êtrepasnécessaire,puisqu’iln’allaitpasdevenirPrésident.RogerAilesdit toujoursquesionveutfairecarrièreà la télévision, il faut

d’aborddevenircandidatàlaprésidence.EtTrump,encouragéparsonvieilami,commenceàlancerlarumeurd’unfuturréseaudechaînesdetélévisionTrump.Unbelavenirl’attend.

IlassureàAilesqu’ilvasortirdecettecampagneavecunemarqueTrumppluspuissanteencore,etrichedenombreusesopportunités.«C’estencoreplusfortquejenel’imaginais,luidit-ilunesemaineavantlescrutin.Jenepensepasàladéfaiteparcequejenevaisrienperdre,j’aidéjàtoutgagné.»Sondiscoursdedéfaiteestprêt:«Onavolémavictoire!»

DonaldTrump et ses petits soldats sont résolus à perdre dans le feu et lafureur.Ilsnesontpasprêtspourlavictoire.

En politique, quelqu’un doit perdre, mais tout le monde, toujours, pensepouvoirgagner.Etpourgagner,ilfautcroireenlavictoire.Trumpéchappeàlarègle.

Son leitmotiv est de dire combien sa propre campagne est nulle et sescollaborateursdeslosers.Ilestégalementconvaincuquel’équipedeClintonestcomposéedebrillantsvainqueursenpuissance.«Ilsontlesmeilleurs,nouslespires.»Ilsuffitdevoyagerdanssonavionpourfairel’expérienceéprouvantedu

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mépris de Trump à l’égard de ses collaborateurs. Il prétend être entouréd’imbéciles.

Corey Lewandowski, son premier directeur de campagne, se faitrégulièrement houspiller. Pendant des mois, Trump le surnomme « le Pire »avant de finalement le virer en juin 2016.Après cela, le candidat ne cesse derépéterquesacampagneestfoutuesansLewandowski.«Onesttousdeslosers,dit-il,etvous,lesgars,vousêtescatastrophiques,personnenesaitquoifaire…SiseulementCoreypouvaitrevenir.»Peudetempsaprès,Trumpsefâcheavecsondeuxièmedirecteurdecampagne,PaulManafort.

En août 2016, il enregistre un retard de 12 à 17points derrièreClintonetaffrontechaque jour la tempêted’unepressedéchaînéecontre lui. Iln’estplusquestiond’envisagerunevictoire,etfidèleàcequ’ilest,ilvendauplusoffrantsacampagnequipartenvrille.BobMercer,unmilliardairededroite,abandonnele candidat républicain Ted Cruz et injecte 5 millions de dollars dans lacampagnedeTrump.Pensant celle-ci sur lepointde s’effondrer,Mercer et safilleRebekahdécollentenhélicoptèredeleurpropriétédeLongIslandpourundîner de levée de fonds rassemblant un grand nombre de potentiels donateursprêts à dégainer leur chéquier, dans lamaison d’été desHamptons deWoodyJohnson, héritier de la multinationale Johnson & Johnson et propriétaire del’équipedefootballaméricaindesNewYorkJets.

TrumpconnaîtàpeineMerceretsafille.IlaeuquelquesconversationsavecBob, qui généralement ne s’exprime que par monosyllabes. Ses liens avecRebekahserésumentàunselfiedanslaTrumpTower.MaisquandlesMercerluiprésententunplandesauvetagedesacampagneenproposantd’yintroduiredeuxdeleurslieutenants,SteveBannonetKellyanneConway,Trumpn’opposeaucunerésistance.Illeurditsimplementqu’ilnecomprendpaspourquoiilsfontça.«Cetruc,leurdit-il,estcomplètementfoutu.»

Si l’on en croit tous les indicateurs pertinents, ce n’est pas seulementl’ombre d’une destinée funeste qui plane sur ce que Bannon appelle « cettecampagnedemerde»,maisaussilesentimentd’uneimpossibilitéstructurelle.

Lecandidat,quiseprétendmilliardaire–et le répèteàsatiété–, refusedemettre un dollar dans sa propre campagne.Bannon signale à JaredKushner –

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lequel, quand Bannon a été embauché, était en vacances en Croatie avec safemmeetunennemidesonbeau-père,DavidGeffen–qu’aprèslepremierdébatdeseptembre,ilfaudraencore50millionsdedollarspourtenirjusqu’aujourduscrutin.

« Impossible de lui demander 50millions si l’on n’est pas certains de lavictoire,aréponduKushner.

—25millions,alors?—Onpeutluidirequelavictoireestplusqueprobable.»Finalement,toutcequeTrumpacceptedefaireestdeprêter10millionsde

dollars pour sa propre campagne, à condition qu’ils lui soient remboursés dèsquedenouveauxfondsaurontétélevés(SteveMnuchin,àl’époquetrésorierdela campagne, prend la précaution d’aller chercher l’argentmuni de l’ordre devirementdeTrumpafind’éviterquecelui-cinetrouveplusjudicieuxd’oubliertoutecetteaffaire).

En fait, il n’y apasvraimentde campagneparcequ’il n’y a pas vraimentd’organisation, sinon un embryon d’équipe dysfonctionnelle. Le 8 août 2015RogerStone,lepremierconseillerdelacampagne,démissionneouestrenvoyépar Trump – chacun des deux hommes a prétendu publiquement avoir laissétomberl’autre.Lemêmemois,SamNunberg,unconseillerdeTrumpquiavaittravaillé pour Stone, est bruyamment viré par Lewandowski, puis le candidatdécide de laver son linge sale en public en poursuivant Nunberg en justice.LewandowskietHopeHicks,l’attachéedepressequiarejointlacampagneàlademanded’IvankaTrump,ontunerelationsentimentalequisetermineparunebagarreenpleinerue–unincidentmentionnéparNunbergdanssaréponseauxpoursuitesjudiciairesengagéesparTrump.Cettecampagne,enréalité,n’estpasconçuepourgagnerquoiquecesoit.

Même si Trump réussit à éliminer les seize autres candidats républicains,aussi improbable que cela puisse paraître, l’objectif final – remporter laprésidentielle–sembletoujoursaussiabsurde.

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Àl’automne,pourtant,cettehypothèsedevientlégèrementplusplausible,etc’estalorsqu’éclatelePussygate.«Jesuisautomatiquementattiréverslesbellesfemmes,jecommencetoujoursparlesembrasser,déclareTrumpàBillyBush,présentateursurNBC,alorsqu’unmicroestouvert,enpleindébatnationalsurleharcèlementsexuel.C’estcommeunaimant,jelesembrasse,jen’attendsmêmepas.Etquandtuesunestar,ellestelaissentfaire,tupeuxfairen’importequoi…lesattraperparlachatte.Tupeuxfairecequetuveux.»

L’effondrementqui suit aquelque chosede théâtral.Les républicains sontmortifiésetquandReincePriebus,lechefduparti,prendletrainàWashingtonpourserendreàuneréuniond’urgenceàlaTrumpTower,iln’apaslecouragede quitter la gare new-yorkaise de Penn Station. Il faut deux heures pour leconvaincredetraverserlavillejusqu’auQGducandidat.«Monpote,peut-êtrequejenevaisjamaisterevoir,luiditautéléphoneBannonsuruntondésespéré,maistudoisvenirjusqu’ici,etfranchirlaported’entréedelatour.»

CetteignominiequeMelaniaTrumpdoitendurerprésentetoutdemêmeunavantage:aprèsladiffusiondecettevidéo,sonmarineserajamaisPrésident.

Le couple que formentDonald etMelania constitue une énigme pour sonentourage–entoutcaspourceuxquin’ontnid’avionsprivésnidenombreusesrésidences.Ilspassentrelativementpeudetempsensemble.Ilspeuventvivredesjourssanssecroiser,mêmelorsqu’ilssonttouslesdeuxdanslaTrumpTower.Souvent,Melanianesaitpasoùsetrouvesonmari,etnes’enpréoccupepas.Ilpassed’unedesespropriétésàuneautreaussifacilementques’ilchangeaitdepiècedansunappartement.Elleensaitpeusursesdéplacements,peuaussisursesaffaires,etnes’yintéresseguère.Trumpaétéunpèreabsentpoursesquatrepremiers enfants, il l’est encore davantage pour le cinquième d’entre eux,Barron,qu’il a eu avecMelania.C’estmaintenant son troisièmemariage, et ilannonceàsesamisqu’ilafinalementcomprislarègled’ordelavieconjugale:«Chacungèresavie.»

Sonattirancepourlesfemmesestnotoireetdurantlacampagneilestsansdoutedevenulepluscélèbregoujatdumonde.Sipersonnenedirajamaisqu’ilestunhommedélicataveclesfemmes,ilcultiveuncertainnombredethéoriesà

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leur sujet. Celle-ci, par exemple, qu’il développe auprès de ses amis : plus ladifférenced’âgeestgrandeentreunhommemûretunejeunefemme,pluscelle-cisemontreindulgenteàl’égarddesinfidélitésdesonmari.

Pourtant, ce mariage est une union véritable. Trump parle souvent autéléphoneavecMelaniaquandellen’estpasauprèsdelui.Iladmiresabeauté,etleproclamepubliquement–souventensaprésence,cequiestembarrassantpourelle.Ilaaffirméàplusieurspersonnes,avecfiertéetsansaucuneironie,qu’elleétaitune« femme trophée».Etmêmes’ilnepartagepas toujourssavieavecelle, il la fait profiter de ses largesses. « Une femme heureuse, c’est une vieheureuse»,dit-ilsouvent,reprenantunponcifappréciédeshommesriches.

Trumpcherchesouventl’approbationdesafemme(etdetouteslesfemmesde sonentourage).En2014,quand il commence sérieusementàenvisagerunecandidatureàlaprésidence,Melaniaestl’unedesrarespersonnesàpenserqu’ilpourrait gagner. Ivanka, la fille de Trump, qui prend ses distances avec lacampagnedesonpèreetnecacheguèresonaversionpoursabelle-mère,répètece bonmot à ses amis : «Tout ce qu’il faut savoir surMelania, c’est qu’ellepensequesiDonaldestcandidat,ilgagneral’élection!»

Enréalité,unetelleperspectiveestuncauchemarpourMelania.Elleestimequ’une victoire détruirait les protections qu’elle a érigées autour de sa viepersonnellecentréesursonfils,protectionsopportunescontreles intrusionsdutentaculaireclanTrump.

«Nemetspaslacharrueavantlesbœufs», luiditsouventTrump,amusé,alorsqu’ilesttouslesjourssurlesestradesetomniprésentàlaunedesjournaux.LapeuretlestourmentsdeMelanian’ontfaitqu’augmenteraufildutemps.

UnerumeurcourtsurelleàManhattan,àlafoiscruelleetcomiquedanssesinsinuations,quiluiestrapportéeparsesamies.SonancienneviedemannequinestpasséeaupeignefinenSlovénie, sonpaysnatal.Unmagazine local,Suzy,évoque cette rumeur après la désignationofficielle deTrump comme candidatrépublicainàlaMaisonBlanche,le21juillet2016.L’histoireserépandàtraverslemondeavecleDailyMailetleNewYorkPostmetlamainsurlasourcedelarumeur :une sériedephotosdeMelanianueprisesaudébutde sacarrièredemannequin.Tout lemonde, saufMelania, pensequeTrump lui-même serait à

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l’originede cettehistoire. Inconsolable, elledemandeà sonmari si c’est cela,leuravenir.Etsioui,elleluiannoncequ’ellenelesupporterapas.

Trump répond à sa façon –Portons plainte ! – et lui envoie des avocatsspécialisés.Mais il semble contrit, aussi, sentiment inhabituel chez lui.Attendencore un peu, lui dit-il. Tout sera terminé en novembre. Il l’assuresolennellementàsafemme:ilestimpossiblequ’ilpuissegagner.Etmêmepourcemari infidèlechronique– ildiraitplutôt« incontrôlable»–,cettepromessefaiteàsonépouse,ilsemblesûrdepouvoirlatenir.

LacampagnedeTrump,demanièrefortuite,reprendlescénarioducélèbrefilmdeMelBrooks,LesProducteurs,danslequeldeuxhéros,escrocsamateurs,Max Bialystock et Leo Bloom, entreprennent de vendre plus de 100 % desactions investies dans un show deBroadway qu’ils produisent. Comme ils neserontdécouvertsquesilespectacleestunsuccès,ilsfonttoutpourquelapiècesoit undésastre.Le showendevient si extravagantqu’il triompheet ruine lesproducteurs.

TouslesprésidentsdesÉtats-Unis–animésparl’orgueil,lenarcissismeouun sens très singulier de leur destinée – ont probablement passé une grandepartie de leur carrière, sinon même de leur vie depuis l’adolescence, à seprépareràcetteépreuve.Ilsontgravileséchelonsdesfonctionsélectives,ilssesont construit une personnalité publique, ils ont tissé leur réseau avec un soinmaniaque,puisquelesuccèsdépendtrèslargementdesalliésdontondispose.Ilsont bachoté (même dans le cas d’un président peu intéressé comme GeorgeW.Bushquicomptaitsurlesamisdesonpèrepourtravailleràsaplace).Ilsontfaitleménagedansleurvieprivéeoudumoinsprissoindecacherleurserreurspassées.Ilssepréparentàgagneretàgouverner.

Le calcul de Trump est différent. il pense que lui et son équipe pourrontengrangerdesbénéficess’ildevientpresqueprésident.Pasbesoinpourceladechangerdecomportementnidevisiondumonde:restonsnous-mêmespuisque,detouteévidence,nousn’allonspasgagner.

Denombreuxcandidatsàlaprésidentielleontérigéenvertulefaitdenepasêtredepurs technocratesdeWashington.Une stratégiequi favorisedavantage

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lesgouverneursquelessénateurs.Maistouslescandidatssérieux,quelquesoitleurméprisaffichéàl’égarddelacapitalefédérale,ontbesoindesconseilsetdusoutiendes initiésdeWashington.ChezTrump,personne,dans lecercleétroitdesesconseillers,n’ajamaistravailléenpolitiqueàunniveaunational–etsagarde rapprochéen’aaucuneexpérienceen lamatière.Toutau longdesavie,Trumpanouépeudevraiesamitiés,etquandilcommencesacampagne,ilneconnaît presque personne dans le monde politique. Les deux seuls politiciensdont il est proche sont Rudy Giuliani et Chris Christie, deux hommes qui,chacunàleurmanière,sontàlafoissinguliersetisolés.EtdirequeTrumpn’aabsolumentaucunedesnotionsdebasenécessairesàl’exercicepolitiqueestuneuphémisme.Audébutdelacampagne,dansunescènedignedesProducteurs,SamNunbergestenvoyéchezlecandidatpourluiexpliquerlaConstitutiondesÉtats-Unis.«Jen’enétaisqu’auquatrièmeamendementqu’ilavaitdéjàundoigtsurlalèvreetquesespaupièressefermaient.»

Àpeuprèstoutlemondedansl’équipedeTrumpestarrivéavecuntasdeconflitsd’intérêtsprêtsàexplosersouslenezduPrésidentetdesonétat-major.Mike Flynn, futur conseiller à la Sécurité nationale, qui chauffe les salles demeeting,etqueTrumpadoreécouterquand ilcritique laCIAet l’impuissancedes espions américains, s’est fait dire que ce n’était pas une bonne idéed’accepter45000dollarspourunallerdonnerdiscoursenRussie.«Bon,ceneseraitunproblèmequesinousallionsgagner»,dit-il,rassurant,sachantqueçan’enseradoncpasun.

PaulManafort, le lobbyiste internationalquidirige lacampagnedeTrumpaprès le départ de Lewandowski en juin 2016, le fait bénévolement – ce quiamèneàs’interrogersurlescontreparties.Manafortareprésentépendanttrenteans des dictateurs corrompus, amassant des millions de dollars qui depuislongtemps intéressent les enquêteurs. Il rejoint de surcroît la campagne aumoment même où il est poursuivi par l’oligarque russe Oleg Deripaska quil’accuseduvolde17millionsdedollarslorsd’uneescroquerieimmobilière.

Pour des raisons évidentes, aucun président avant Trump, et peu depoliticiens en général, sont issus du secteur de l’immobilier : un marché peurégulé, fondé sur la dette et exposé à de fréquentes fluctuations. Il dépend

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souvent des largesses gouvernementales et constitue le havre parfait dublanchiment.Quecesoit legendredeTrump,JaredKushner,ou lepèredecedernier,CharlieKushner, les filsdeTrumpDonJr. etEric, sa fille Ivanka,oubiensûrTrumplui-même,tousontplusoumoinsfaitprospérerleursentreprisesdansleslimbesdesfluxinternationauxdecashflowgratuitetd’argentsale.LesaffairesimmobilièresdeJaredKushnersonttotalementliéesàcellesdesonpère,Charlie, lequel a fait un séjour dans une prison fédérale pour évasion fiscale,subornationdetémoinsetfinancementpolitiqueillégal.

Les politiciens modernes et leurs équipes utilisent d’abord contre eux-mêmeslesoutilsdel’oppositionresearch4.Sil’entouragedeTrumpl’avaitfaitpour son candidat, il aurait réalisé qu’une enquête éthique pouvait facilementmettre leur campagne en péril. Mais Trump a ignoré ce procédé.Psychologiquement,illuiestimpossibledeposeruntelregardcritiquesurlui-même, a affirmé un jour Roger Stone, vétéran des conseillers politiques ducandidat, lors d’une conversation avec Bannon. Il ne pourrait pas non plustolérer que quelqu’un en sache trop sur lui, et puisse s’en servir. Et de toutefaçon,pourquois’engagerdanspareilexamen,potentiellementrisqué,alorsquel’onn’aaucunechancedegagnerl’élection?

Ainsi, non seulement Trump a délibérément ignoré les éventuels conflitsgénérésparsesaffairesetsesholdingsimmobilières,maisilaeuaussil’audacede refuser de publier sa feuille d’impôts. À quoi bon, puisqu’il ne va pasgagner?

Parailleurs,Trumpatoujoursrefusédes’occuperdesquestionsdetransitionentre Obama et lui, même sous forme d’hypothèses, sous prétexte que celapourraitluiportermalchance.Enréalité,ilpensequec’estunepertedetemps.

Ilnevapasgagner!Oubienperdre,c’estgagner.Trump sera l’homme le plus important dumonde, unmartyr d’Hillary la

véreuse.Sa fille Ivanka et songendre Jared, libérés de leur statut d’obscurs jeunes

gens riches, deviendront des célébrités mondiales et les ambassadeurs de lamarqueTrump.

SteveBannondirigeradefactoleTeaParty.

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KellyanneConwaydeviendraunestardelatélé.ReincePriebusetKatieWalshretrouverontleurPartirépublicain.Melania Trump pourra renouer avec ses déjeuners loin des regards

importuns.Voilàladéfaitesanspeinequ’ilsattendentle8novembre2016.Perdresera

trèsbienpourtoutlemonde.Peuaprès20heures,quandl’inattendusursaut–pouvantdonnerlavictoireà

Trump–sembleseconfirmer,DonJr.ditàundesescopainsquesonpère,DJTcommeill’appelle,alatêted’untypequivientdecroiserunfantôme.Melania,quiavaitcruenlapromessesolennelledeDonald,estenlarmes.Etcenesontpasdeslarmesdejoie.

En un peu plus d’une heure, remarque Bannon plutôt amusé, le TrumpconfusdevientunTrumpdéroutépuisunTrumphorrifié.Viendraplus tard latransformation finale et soudaine : Donald Trump est désormais un hommepersuadéqu’ilmérite,etqu’ilesttoutàfaitcapable,d’êtreprésidentdesÉtats-Unis.

1. Alors président du Comité national républicain, c’est-à-dire de la direction nationale du Partirépublicain. Ce comité est souvent désigné par son sigle anglais, RNC, pour Republican NationalCommittee.

2. Scandaleautourd’unevidéocontenantdespropossexistesdeDonaldTrump.

3. Dèsmars2015,unecontroverseéclateconcernantl’usaged’unemessageriepersonnelleparHillaryClintonalorsqu’elleétaitsecrétaired’ÉtatduprésidentObama.

4. Recherchesmenées par des entreprises privées qui rassemblent pour un parti ou unmouvementpolitiquedesdonnéesconcernantleursopposants.

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2

LaTrumpTower

Le samedi qui suit l’élection, Donald Trump reçoit un petit groupe desympathisants dans son triplex de la Trump Tower. Même ses amis les plusproches sont encore sous le choc, abasourdis, l’ambianceest à la stupéfaction.MaisTrumpal’œilrivésurl’horloge.

RupertMurdoch, jusque-làabsolumentsûrqueTrumpétaituncharlatanetun imbécile,a fait savoirque luiet sanouvelle femme,JerryHall,viendraientrendrevisiteauPrésidentélu.Murdochestenretard–trèsenretard.Trumpnecesse de rassurer ses invités : Rupert est en chemin, leur dit-il, il va bientôtarriver. Quand certains sont sur le point de partir, Trump les incite à resterencore un peu. Vous allez rester pour rencontrer Rupert. (Ou plutôt, commecommentera l’un des hôtes, vous allez rester pour voir enfin Trump avecRupert).

Avec Wendi, son ex-femme, Murdoch a souvent passé du temps encompagnie de Jared et d’Ivanka, mais il fait peu d’efforts pour cacher sonmanque d’intérêt pour Trump. Dans la dynamique du rapport de force entreTrump et son gendre, l’affection de Murdoch pour Kushner tient une placesingulière, donnéedont ce dernier a su jouer avec subtilité et dans sonpropreintérêt,lâchantsouventlenomdeMurdochaucoursdesconversationsavecsonbeau-père. En 2015, quand Ivanka a annoncé à Murdoch que Donald Trump

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allaitvraiment,assurément,selancerdanslacourseàlaprésidence,Murdocharepousséd’embléecettepossibilitéd’unreversdemain.

Mais ce samedi-là, le nouveau Président élu – après le plus incroyableretournementdesituationdel’histoireaméricaine–estsurdescharbonsardentsenattendantMurdoch.«Ilfaitpartiedesplusgrands,annonce-t-ilàsesinvités,alors que son agitation ne fait que croître. Vraiment, c’est un des grands, ledernierdesgrands.Vousdevezresterpourlerencontrer.»

C’est un curieux revirement, d’une ironique symétrie. Trump, ne réalisantpeut-être pas encore son propre changement de statut, tente de s’attirer lesbonnesgrâcesdumagnatdesmédiasjusqu’alorsdédaigneux.Murdoch,arrivantenfinàcettesoirée,semontreaussidiscretetdéconcertéquelesautresinvités,tentantderéévaluercethommequi,pendantplusd’unegénération,a,aumieux,faitfiguredeprincedesclownsauroyaumedesrichesetcélèbres.

Murdochn’estpasleseulmilliardaireàavoirmanifestéduméprisàl’égarddeTrump.Des années avant l’élection, Carl Icahn, que Trump a souvent citécomme l’un de ses amis et qu’il voulait nommer à un poste de hauteresponsabilité, a ouvertement ridiculisé son copain milliardaire (qui était loind’êtremilliardaire,ajoutait-il).

ParmiceuxquiconnaissentTrump,peuentretiennentd’illusionsàsonégard.C’estpeut-êtrecequifaitsoncharme:ilestcommeilest.L’œilpétillant,l’âmenoire.

Maismaintenant, ilest lePrésidentélu.Etçachangetout.Onpeutdirecequ’onveutdelui,maisilacettevictoireàsonactif.Ilaarrachél’épéedurocher,etcen’estpasrien.C’estmêmetout.

Les milliardaires doivent réviser leur jugement. C’est ce que chacun faitdansl’entouragedeTrump.Lesmembresdesonéquipedecampagne,soudainenpositionde raflerun jobauseinde laWestWing1–unecarrière,voireunpostequimarquera l’histoire–, tâchentderegardersousunnouveaujourcettepersonnalité étrange,difficile, ridicule, et finalementmalpréparée. Il a été éluPrésident. Par définition, Trump a donc une stature présidentielle, commeKellyanneConwayaimelesouligner.

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Néanmoins,personnenel’aencorevusecomporterenprésident–àsavoirse soumettre publiquement aux rituels et aux conventions de la politique. Oumêmemontrerunminimumdeself-control.

Maintenant, les recrutements commencent, et certains, en dépit de leurssentiments à l’égard du nouveau Président, acceptent de le rejoindre. JamesMattis, général quatre étoiles à la retraite, l’un des commandants des forcesarméeslesplusrespectés;RexTillerson,patrond’ExxonMobil;ScottPruittetBetsy DeVos, des loyalistes proches de Jeb Bush – tous reconnaissentmaintenant ce fait singulier : bien qu’il soit un personnage déroutant, que lasituationsoitabsurde,DonaldTrumpaétééluPrésident.

Onpeutfaireensortequeçamarche,sedisenttousceuxquigravitentdanssonorbite.Oudumoins,queçapuissepeut-êtremarcher.

Enfait,enyregardantdeplusprès,Trumpn’estpasl’hommegrandiloquentet bagarreur qui a attiré des foules enragées pendant la campagne. Il n’est nifurieuxnicombattif.Ilapuêtrelecandidatàlaprésidenceleplusmenaçantetle plus effrayant de l’histoire moderne, mais il semble maintenant presqueapaisé. Son extrême autosatisfaction se révèle contagieuse. La vie est belle.Trumpestunoptimiste,dumoinsàsonpropresujet.Ilestcharmantetflatteur,ils’intéresseauxgens. Il estdrôleetmaniemême l’autodérision.Et sonénergiesembleincroyable–Onyva!dit-ilàtoutpropos,onyva!Cen’estpasundur,mais«ungrandsingeaucœurtendre»,expliqueBannonenguised’éloge.

CofondateurdePayPaletmembreduComitédirecteurdeFacebook,PeterThiel–leseulsoutienimportantdeTrumpdanslaSiliconValley–areçuunemiseengardedelapartd’unautremilliardaire,vieilamideTrump:lePrésidentvabientôtluioffrirsonindéfectibleamitiédansuntorrentdeflatteries.Toutlemonde dit que vous êtes fantastique, vous etmoi allons avoir unemagnifiquerelationde travail, tout ceque vous voulez, appelez-moi et on le fera !L’amiconseille à Thiel de ne pas prendre l’offre de Trump trop au sérieux. Thielraconteraplustardque,malgrécetavertissement,ilétaitabsolumentcertaindela sincérité de Trump quand celui-ci lui disait qu’ils étaient amis pour la vie.Ensuite, il ne lui a plus jamais parlé et les appels de Thiel sont restés sansréponse.Lepouvoirfournitdesexcusesauxécartsdeconduite.

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Maisd’autresaspectsdelapersonnalitédeTrumpsontplusproblématiques.Presque tous les professionnels prêts à rejoindre son équipe doivent

désormaisaffronterlefaitqueTrumpsembleneriensavoir.Ilnedomineaucunsujet,sinon,peut-être,laconstruction.Aveclui,toutestimprovisé.Cequ’ilsait,ilal’airdel’avoirapprisuneheureauparavant,etàmoitiécomprisseulement.Chaquemembredelanouvelleéquipetentedeseconvaincrequecetypeaétéélu Président. De toute évidence, il doit avoir quelque chose à proposer. Sonpetitcercled’hommesrichesmesureparfaitementl’ampleurdesonignorance– Trump l’homme d’affaires incapable de lire un bilan, le piteux négociateur,inattentifauxdétails,quiafaitcampagnesursestalentsdebusinessman.Ilsluiconcèdentdel’instinct.C’estlemot.Ilaunefortepersonnalitéetvousfaitcroireenlui.

«Trumpest-ilunebonnepersonne,unepersonneintelligente,unepersonnecapable?sedemandeSamNunberg,sonancienconseillerpolitique.Jel’ignore.Maisjesaisqu’ilestunestar.»

Pourtenterd’expliquerlesvertusdeTrumpetsonpouvoird’attraction,PiersMorgan– le journalisteanglais,présentateur infortunédeCNNquiparticipaàl’émissionCelebrityApprenticeetrestaunamiloyal–avancequelesréponsessetrouventdanslelivredeTrumpTheArtoftheDeal2.Toutcequiluiapermisde devenir Trump et explique son bon sens, son énergie et son charisme s’ytrouve.SivousvoulezconnaîtreTrump, lisez-le.Mais lePrésidentélun’apasécritTheArtoftheDeal.TonySchwartz,soncoauteur,racontequeTrumpaàpeineparticipéà l’écrituredulivreetqu’ilne l’apeut-êtremêmepas lu.C’estprobablementlàlaclé:Trumpn’estpasunauteur,maisunpersonnage–hérosouanti-héros.

Amateurdecatchprofessionnel,devenusupporteretpersonnalitédumilieudu World Wrestling Entertainement (et même entré au panthéon du WWE),Trumpvit,tellelutteurHulkHogan,commeunpersonnagedefiction.Pourleplus grand plaisir de ses amis, et pour le malaise de nombreuses personnestravaillant avec lui auplushaut niveaudugouvernement fédéral,Trumpparlesouventdeluiàlatroisièmepersonne.Trumpafaitceci.Lestrumpistesontfaitcela. Sa personnalité (pour ne pas dire son rôle) est si puissante qu’il semble

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réticent,ouincapable,del’abandonnerpourdevenirPrésident–ougagnerunestatureprésidentielle.

SiTrumppeutêtredifficile,nombreuxsontceuxdanssonentouragequiluitrouventdesexcuses–ouvoientdanssonattitudelasourcemêmedesonsuccès.Ils la considèrent comme un avantage et non comme une limite. Pour SteveBannon, l’uniquevertupolitiquedeTrumpestd’êtreunmâledominant, peut-être le dernier d’entre eux.Un homme des années 1950, genreRat Pack3, unpersonnagetoutdroitsortideMadMen4.

Trumpauneconscienceencoreplusprécisedesanatureprofonde.Unefois,rentrantdans sonavionavecunamimilliardaireaccompagnéd’unmannequinétranger, Trump, essayant de faire des avances à la jeune femme, proposad’atterriràAtlanticCity.Ilvoulaitluifairevisitersoncasino.Sonamiassuralemannequin qu’Atlantic City n’avait rien de recommandable, c’était une villeenvahieparlawhitetrash5.

«C’estquoilawhitetrash?demanda-t-elle.—Cesontdesgenscommemoi,saufqu’ilssontpauvres»,réponditTrump.Trumprevendiqueledroitd’êtreanticonformiste,denepasêtrerespectable.

Ils’agitdegagner,mêmeenfaisantfidesrèglesoudelaloi.Gagner,quellequesoitlamanière,c’esttoutcequicompte.

Ses amis le savent bien et tentent d’ailleurs de ne pas en faire les frais :Trumpestsansscrupules.C’estunrebelle,unperturbateur,quivitau-dessusdesloisetlesméprise.Undesesamis,égalementprochedeBillClinton,lestrouvetouslesdeuxétrangementsemblables–saufqueClintonapparaîtrespectable.

L’undes aspectsde cettepersonnalité hors norme, aussi bien pourTrumpquepourClinton,est leur imaged’hommeàfemmes–voiredeharceleurs.Entantquechampionsdugenre,ilsn’ontjamaisétésaisisparlemoindredoutenilapluspetitehésitation.

Trumpaimerépéterqu’unedeschosesfaisantquelavievautlapeined’êtrevécueestdemettrelesfemmesdesesamisdanssonlit.Courtisantlafemmedel’und’entreeux,ilauraitessayédelapersuaderquesonamin’étaitpeut-êtrepasl’hommequ’ellecroyait.Ensuite,ilauraitdemandéàsasecrétairedeconvoquer

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l’amitrompédanssonbureau.Puis,ilseseraitlancéavecluidansunbadinagesexuelsansfin.Est-ceque tuaimes toujours faire l’amouravec ta femme?Àquelrythme?Tuasdûavoirdemeilleurscoupsavecd’autres,non?Raconte-moi.J’aidesfillesquiarriventdeLosAngelesà15heures.Onpeutmonteretbiens’amuser.Jetepromets…Etpendantcetemps-là,Trumpauraitbranchélehaut-parleurpourquelafemmedesonamientendeleurconversation.

Avant lui, d’autres présidents, et pas seulement Clinton, ont eux aussimanquédescrupules.MaispourbeaucoupdeceuxquiconnaissentbienTrump,le plus troublant est qu’il ait réussi à gagner cette élection, empocher cettevictoire ultime, sans posséder la qualité requise pour ce poste, celle que lesspécialistes des neurosciences appellent le sens de l’exécutif. Il a remporté lacourseàlaprésidence,maissoncerveausembleincapablederéaliserlestâchesessentielles liéesàsonnouvelemploi. Ilnesaitniplanifier,niorganiser,niseconcentrer, ni passer d’un sujet à l’autre. Il ne parvient pas à adapter soncomportement en fonction des buts recherchés. Plus fondamentalement, ilsembleincapabledefairelelienentrelacauseetl’effet.

L’accusation selon laquelle Trump aurait comploté avec les Russes pourgagnerlesélections,accusationdontilsemoque,est,seloncertainsdesesamis,leparfaitexempledesonincapacitéàrelierlespointsentreeux.Mêmes’iln’apas lui-même conspiré avec les Russes pour truquer les élections, ses effortspours’attirerlesfaveursdePoutine,notamment,ontsansaucundoutelaissédestraces:desparolesetdesactesinquiétantsquiaurontvraisemblablementuncoûtpolitiqueconsidérable.

Peudetempsaprèslesélections,sonamiAiles luiaconseillé,eninsistantsur l’urgence : « Tu dois clarifier ta position à l’égard de laRussie. »MêmeexilédeFoxNews,Ailesjouittoujoursd’unimportantréseauderenseignement.Il veut mettre Trump en garde contre les informations potentiellementdangereusesquivontsortir.

«Donald,tudoisprendreçaausérieux.—Jareds’enoccupe,répondTrump,trèscontentdelui.Toutestréglé.»

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La Trump Tower, qui jouxte Tiffany, est devenue le centre névralgiqued’une révolutionpopuliste.Elle s’est soudainmise à ressembler à unvaisseauspatial– l’ÉtoileNoire–sur la5eAvenue.Dèsque lesbons, lesgrandset lesambitieux,maisaussilesprotestatairesetlesbadaudsontcommencéàbattrelepavé devant le porche, un dédale de barrières a été érigé pour protéger lePrésidentélu.

LePre-ElectionPresidentialTransitionActde2010autorise lesprésidentsélus àbénéficierd’unbudget leurpermettantde commencer à sélectionner lesmilliers de candidats aux postes de la nouvelle administration6. Il permet decodifier les décisions qui détermineront les premières actions de la MaisonBlancheetdepréparerletransfertdesresponsabilités,le20janvier.Pendantlacampagne, le gouverneur du New Jersey, Chris Christie, chef de l’équipe detransitiondeTrump,adûsignifieravecinsistanceaucandidatqu’ilnepouvaitpas utiliser ce budget à d’autres fins, que la loi l’obligeait à s’en servir pourassurer la transition – même s’il pensait ne pas en avoir besoin. Un Trumpbougonluiaréponduqu’ilnevoulaitplusentendreparlerdetoutça.

Le lendemain de l’élection, les proches conseillers de Trump – soudainpressés de participer à un processus que presque tout le monde a négligé –commencentàreprocheràChristied’avoirnégligélapréparationàlatransition.Entoutehâte,sonéquipemaigrichonequitteWashingtonpourlaTrumpTower.

Cetimmeubleestcertainementlebienimmobilierlepluscherqu’uneéquipede transition ait jamais occupé (et même le plus cher d’une campagneélectorale).On peut y voir unmessage du style de Trump aux insiders : nonseulementnoussommesdesoutsiders,maisnoussommesplus fortsquevous.Plusriches.Pluscélèbres.Mieuxlogés.

Biensûr,cebienimmobilierestpersonnalisé: lenomdeTrump–etc’estfabuleux–s’étalesurlaported’entrée.Lesderniersétagesabritentsontriplex,bien plus grand que l’appartement privé de laMaisonBlanche, et son bureauqu’iloccupedepuislesannées1980.Lesétagesréservésàl’équipedecampagnelesontmaintenantpourl’équipedetransition–danslastricteorbitedeTrumpetnonpasdansle«marigot»deWashington.

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LaréactioninstinctivedeTrumpdevantsonsuccèsinespéré,sinonincongru,estlecontrairedel’humilité.D’unecertainefaçon,ils’agitd’enmettrepleinlavueà tout lemonde.Les initiésdeWashingtondoiventvenir à lui.LaTrumpTowerprendsansattendreledessussurlaMaisonBlanche.Tousceuxquivontvoir lePrésidentélu reconnaissent,ouacceptent,ungouvernementdenovices.Trumpobligesesvisiteursàseplierauritedelaparadedevantlapresseetlescurieuxmasséssurl’avenue.Unacted’obéissance,voireunehumiliation.

Cette grandiloquente Trump Tower permet de camoufler l’inexpériencepolitiqueetlégislativedupetitcercledesprochesdeTrump,soudaininvestisdela responsabilité de former un gouvernement. La politique est une affaire deréseaux, de relations entre personnes.Contrairement à d’autres présidents élus(qui, eux, avaient de grosses lacunes en management), Trump ne bénéficied’aucun réseau politique sur lequel s’appuyer. Il n’a même pas sa propreorganisationpolitique.Lesderniersdix-huitmoisdecampagneàtraverslepaysse sont faits à trois : le chef de campagne, Corey Lewandowski (renvoyé enjuin2016,unmois avant la convention républicaine) ;HopeHicks, 28 ans, lapremièrerecrue,porte-parole,représentanteetstagiaire;etTrumplui-même.Lestrictminimumauserviced’uneactionagressivenourrieà l’instinctdesurvie.Selon Trump, plus l’équipe est nombreuse, plus il est difficile de faire fairedemi-touràl’avionpourrentrerlesoiràlamaison.

L’équipe « professionnelle » – ne comptant guère de politiquesprofessionnelsensonsein–quirejoint lacampagneenaoûtconstitue l’ultimetentative d’éviter l’humiliation. Pour Trump, il s’agit de gens avec lesquels iln’auraàtravaillerquequelquesmois.

ReincePriebus,prêtàquitterleComiténationalrépublicainpours’installerà la Maison Blanche, s’alarme du fait que Trump propose souvent, sans yréfléchiretàdespersonnesqu’ilneconnaîtpas,despostesdontilnemesurepasl’importance.

Ailes,vétérandesadministrationsNixon,ReaganetBushsenior,s’inquiètedumanqued’intérêtduPrésidentélupourl’organigrammedelaMaisonBlanchequi pourrait pourtant le servir et le protéger. Il tente de faire comprendre àTrumplaférocitédel’oppositionquival’accueillir.

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« Il te faut un fils de pute comme chef de cabinet. Un fils de pute quiconnaissebienWashington,dit-ilàTrumpjusteaprèsl’élection.Tuvoudrasêtretonproprefilsdepute,maistuneconnaispasWashington.»AilessuggèreJohnBoehner, ancien président de la Chambre des représentants (poste qu’il a dûquitteraprèsunputschduTeaPartyen2011).

«C’estqui?»demandeTrump.Dans le cercle des milliardaires de Trump, on s’inquiète de son dédain à

l’égardde l’expériencedesautreseton tentede luiexpliquer l’importancedesnombreusespersonnesquidoivent former son entourage à laMaisonBlanche,des gens qui connaissent l’univers washingtonien. Votre équipe est plusimportantequevotrepolitique.Votreéquipe,c’estvotrepolitique.

« Frank Sinatra avait tort, déclare David Bossie, l’un des conseillers delongue date deTrump. Si vous réussissez àNewYork, vous ne réussirez pasnécessairementàWashington.»

Le chef de cabinet doit avoir une parfaite connaissance de la MaisonBlanche.AutantquelePrésident,ildéterminelefonctionnementdel’exécutif–quiemploie4millionsdepersonnesdont1,3milliondanslesforcesarmées.

Leposteestconsidérécommeceluid’unprésidentadjoint,ouencored’undirecteur général, voiremêmed’unPremierministre.Ony a vude très fortespersonnalités commeH.R.HaldemanetAlexanderHaigavecRichardNixon ;Donald Rumsfeld et Dick Cheney avec Gerald Ford ; Hamilton Jordan avecJimmy Carter ; James Baker avec Ronald Reagan ; le retour de Baker avecGeorgeBush senior ; Leon Panetta, Erskine Bowles, John Podesta avec BillClinton ;AndrewCard avecGeorgeW.Bush ; RahmEmanuel et Bill DaleyavecBarackObama.Sil’onconsidèreattentivementceposte,onvoitqu’unbonchefdecabinetdelaMaisonBlanchesedoitd’avoirunepersonnalitéaffirméeetl’expériencedeWashington.

DonaldTrumpestpeu,etmêmepeut-êtrepasdutout,conscientdel’histoireetdelaconceptiondecerôle.Ilimposesonproprestyledemanagementetsonexpérience d’entrepreneur. Pendant des décennies, il a travaillé avec seshommes, des vieux de la vieille, et sa famille.Même s’il aime comparer son

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business à un empire, il ne s’agit en fait que d’une holding discrète, uneentreprisedavantagevouéeàsatisfairesestoquadesdepropriétaireetdegérantd’unemarquequ’àobéiràdesexigencesderésultatsoudeperformance.

Ses fils, Don Jr. et Eric – derrière leur dos, les proches de Trump lesappellent Uday et Qusay, en référence aux fils de Saddam Hussein –, sedemandent s’ils ne pourraient pas, par hasard, faire coexister deux structuresparallèlesàlaMaisonBlanche,l’uneauservicedesgrandsprojetsdeleurpère,desesapparitionsenpublicetdesonartconsommédelavente, l’autredédiéeauxquestionsdemanagementquotidien.Ilsseverraientbienenchargedecettedeuxièmestructure.

L’unedespremièresidéesdeTrumpestderecrutercommechefdecabinetson ami Tom Barrack – l’un des magnats de l’immobilier faisant partie desconseillersdesongroupeavecStevenRothetRichardLeFrak.

Barrack,petit-filsd’immigrés libanais,estun investisseur immobilierdouéd’un légendaire sens des affaires. Il possède notamment le Neverland Ranch,l’ancien paradis excentrique de Michael Jackson. Avec Jeffrey Epstein – lefinanciernew-yorkaisdevenu la cibledes tabloïds après avoir plaidé coupablepourracolageactif,cequiluiavaluunepeinedeprisondetreizemoisàPalmBeach, en2008–,Trump etBarrack étaient les troismousquetaires de la nuitdanslesannées1980et1990.

Fondateur et présidentdu fondsde private equityColonyCapital,Barrackestdevenumilliardaireeninvestissantdanslesurendettementimmobilierautourduglobe.IlaparfoisrenflouésonamiDonaldTrump.Récemment,ilaparticipéaupaiementd’unecautiondeJaredKushner.

IlasuiviavecamusementlacampagneprésidentielleexcentriquedeTrumpetaaidéPaulManafortàremplacerCoreyLewandowskiendisgrâceauprèsdeKushner. Puis, surpris comme tout le monde par les succès continus de lacampagne, Barrack a présenté le futur Président en termes personnels etchaleureux lors de la convention républicaine deCleveland, en juillet (lui quid’habitudes’exprimesuruntonsombreetagressif).

C’estunpurfantasmedelapartdeTrumpd’imaginerquesonamiTom–ungénie de l’organisation conscient du désintérêt du Président élu à l’égard du

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managementquotidien–puisseaccepterdedirigerl’administrationdelaMaisonBlanche.PourTrump,ils’agitd’uneréponsesimpleetpratiqueàcetévénementimprévu qu’est son élection : travailler avec son mentor en affaires, sonconfident, son investisseur et son ami, décrit comme étant le plus capable de«gérer»Trump.Dansl’entourageduPrésidentélu,onappelleceplanceluides«dosamigos».Epstein,restéprochedeBarrack,aétéeffacédelabiographiedeTrump.

ParmilesraresindividusdontTrump,critiqueinvétéré,necontestepas lesqualités, Barrack apparaît comme celui qui peut vraiment faire avancer leschosesetlaisserTrumpêtreTrump.DelapartduPrésidentélu,ils’agitd’unepreuveinhabituelledelucidité:ilnesaitpeut-êtrepascequ’ilnesaitpas,maisil sait que Tom Barrack sait. Tom gérerait les affaires courantes et Donaldvendraitlamarchandise«MakeAmericaGreatAgain7».#MAGA

Barrack, comme tout le monde autour de Trump, considère le résultat del’électioncommelegros lotd’une inimaginable loterie :votre invraisemblablecopaindevientPrésident.MaisBarrack,mêmeaprèsd’innombrablescoupsdefild’unTrumplesuppliantetlecajolantàlafois,doitfinalementdécevoirsonami.«Jesuistropriche»,luiconfie-t-il.Jamaisilneparviendraitàdébrouillertousses avoirs et ses intérêts – notamment de gros investissements au Proche-Orient–d’unemanièresatisfaisantepourlesdéfenseursdelamoralepublique.Trumpsemontreindifférentoumêmedansledéniquandils’agitdesespropresconflits d’intérêts, mais Barrack, lui, ne voit rien venir d’autre que desemmerdements.Deplus, ilenestàsonquatrièmemariageetn’aaucuneenviede voir étalée au grand jour cette vie privée haute en couleur qu’il a souventpartagéeavecTrump.

Pour Trump, la solution de repli est son gendre. Tout au long de lacampagne,aprèsdesmoisd’agitationetdebizarreries(quandellesnesontpaslefaitdeTrump,elleslesontdepresquetoussesproches,ycomprisdesafamille),Kushner s’est imposé comme l’homme de main, toujours là, ne parlant quelorsqu’on l’interroge, donnant un avis calme et flatteur. Corey Lewandowski

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l’appelle« lemajordome».Trump, lui,a finiparcomprendrequesongendre,parcequ’ilsaitseteniràdistancedelui,estunhommesagace.

Défiant la loi et les habitudes, sans parler des regards outrés, le Présidentsemblevouloir s’entourerde sa familleà laMaisonBlanche.LesTrump, touslesTrump–saufsafemmequi,curieusement,resteàNewYork–,emménagentàWashington,prêtsàassumerdesresponsabilitéséquivalentesàcellesquisontattachéesà leurstatutdans laholdingfamiliale.Etpersonne,apparemment,neleurconseilledenepaslefaire.

Finalement,ladivadeladroiteetsoutiendeTrump,AnnCoulter,prendunjourlePrésidentéluàpartetluidit:«Manifestement,personnenevousl’adit,maisvousnepouvezpas.Vousnepouveztoutsimplementpasembauchervosenfants.»

Trumpcontinueàprétendrequ’ila ledroitdese faireaiderparsa familletout en demandant qu’on le comprenne. La famille, dit-il, « c’est un peudélicat».SonéquipecomprendnonseulementlesdifficilesconflitsetproblèmeslégauxqueposeraitlagestiondelaMaisonBlancheparlegendreduPrésident,mais aussi que ce dernier va désormais donner la priorité à sa famille. Aprèsavoirfaitl’objetdepressionsmultiples,ilacceptefinalementdenepasnommersongendreaupostedechefdecabinet–dumoinsofficiellement.

S’iln’estnipourBarracknipourKushner,TrumppensealorsquelepostedoitreveniraugouverneurduNewJersey,ChrisChristie.AvecRudyGiuliani,ilestleseuldesesamisàposséderuneexpériencepolitique.

Christie,commelaplupartdesalliésdeTrump,estpassédustadedefavoriàcelui de délaissé. Trump l’a vu avec mépris prendre ses distances quand lacampagneétaitcalamiteuseetrevenirdanslejeuaprèslavictoire.

LarelationdeTrumpetChristieremonteàl’époqueoùTrumptentait–envain–dedevenirunmagnatdu jeuàAtlanticCity,voiremêmeLEmagnatdujeu àAtlanticCity (Trump a longtemps été en compétition avec le roi deLasVegas,SteveWynn,hommequ’iladmireetqu’ilanommétrésorierduComiténationalrépublicain).TrumpaapportésonsoutienàChristiealorsqu’ilsefaisaitunnompolitiquedansleNewJersey.Iladmiraitsonfranc-parler,ettandisque

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Christieréfléchissaitàsaproprecandidatureàl’électionprésidentielle,en2012et2013–etqueTrumpcherchaitàrebondiraprès labaissed’audiencedeTheApprentice, son show télévisé –, il se demandait s’il ne pouvait pas devenirl’éventuelvice-présidentdeChristie.

Tôtdans lacampagne,Trumpaaffirméqu’ilne seprésenteraitpascontreChristie, mais ce dernier s’est retiré de la course en février 2016, après lescandale du Bridgegate (quand ses supporters ont bloqué la circulation sur lepont George Washington afin de déstabiliser le maire d’une ville voisine,opposantdeChristie).Legouverneuraalorsrejoint l’équipedeTrumpets’estridiculisé, aux yeux des républicains, en le soutenant dans l’espoir de devenirsonvice-président.

Enfait,TrumpfutdésolédenepasavoirpuoffrirceposteàChristie.Maissi l’establishment républicain ne voulait pas de Trump dans la course, il nevoulaitpasdavantagedeChristie.AinsiChristiesevit-ilattribuerlachargedelatransition avec la promesse implicite d’un job important à venir, Procureurgénéral8ouchefdecabinet.

QuandilétaitprocureurduNewJersey,ChristieaenvoyélepèredeJared,Charles Kushner, en prison, en 2005. Charles Kushner, poursuivi par legouvernementfédéralpouravoirtrichésursadéclarationderevenus,avaitmisaupointunsubterfugeavecuneprostituéeafinde fairechanter sonbeau-frèrequis’apprêtaità témoignercontre lui.Selonplusieurs récits, souvent rapportésparChristielui-même,Jaredavengésonpèreenmettantun termeauxespoirsdecarrièredeChristiedans l’administrationTrump.Lavengeanceparfaite : lefils d’un homme puni (car indéniablement coupable) use de son pouvoir pournuireàceluiquiatrahisafamille.D’autrestémoignages,cependant,offrentuneimageplussubtileetplussombrede l’histoire.Commetous lesgendres,JaredKushner avance sur la pointe des pieds dans le sillage de son beau-père endéplaçantlemoinsd’airpossible:levieilhommemassifetdominateur,lejeunehommeambitieuxetdocile.Dans cetteversionde lamise àmortpolitiquedeChristie, ce n’est pas le déférent Jared qui a porté le coup fatal,maisCharlieKushner lui-même qui a réclamé fermement son dû. Ivanka, belle-fille deCharlie,détientlevéritablepouvoirdanslecercledeTrump.C’estellequiaurait

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portélecoupenannonçantàsonpèrequelanominationdeChristieaupostedechefdecabinetouà toutautrepostedehaut rangserait trèsdureàvivrepourelle et sa famille.Mieux vaut, lui aurait-elle dit, que Christie soit expulsé del’orbitedeTrump.

Bannonest lapiècemaîtressedel’organisation.Trump,quisemblefascinéparlavervedeSteve–unmélanged’insultes,deponcifshistoriques,deragotssurlesmédias,deblaguesdedroiteetdelieuxcommuns–commenceàsuggéreràsescopainsmilliardairesquece typepourraitdevenirchefdecabinet.L’idéeleursembleridiculeetilsladénoncent,maisTrumpprétendquenombreuxsontceuxquilesoutiennentdanscechoix.

Quelques semaines avant l’élection,TrumpconsidéraitBannon comme unflatteur qui affirmait que la victoire était assurée. Désormais, il le crédite depouvoirs quasi magiques. Et de fait Bannon, sans expérience politiqueantérieure,estleseulàoffriruneversioncohérentedupopulismedeTrump:letrumpisme.

Lesforcesanti-Bannon–autantdiretouslesrépublicainsn’adhérantpasauTeaParty–réagissentvite.Murdoch,deplusenplushostile,déclareàTrumpqueBannonseraitunchoixdangereux.JoeScarborough,ancienparlementaireetco-présentateur deMorning Joe surMSNBC, une des émissions préférées deTrump, lui dit en privé que « Washington serait en flammes » si Bannondevenaitchefdecabinetetilcommenceàdénigrerrégulièrementcedernierdanssonémission.

Enréalité,Bannon lui-mêmeposeplusdeproblèmes encoreque ses idéespolitiques. Il est profondément désorganisé, souvent accaparé par un sujet etinattentifàtoutlereste.Serait-illepiremanagerquelaterreaitporté?Peut-être.Ilsembleincapablederappelerquelqu’un.Ilrépondauxe-mailsd’unseulmot,en raison de sa paranoïa, mais surtout de sa volonté d’apparaître commeénigmatique. Il tient ses assistants et gardes du corps à bonne distance. Il estimpossibledeprendrerendez-vousaveclui,ilfautjusteseprésenteràsaporte.Et bizarrement son adjointe, Alexandra Preate, une collectrice de fondsconservatrice travaillant également dans les relations publiques, est aussi

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désorganiséeque lui.Après troismariages,Bannonvit encélibataireàCapitolHill, dans unemaison connue sous le nomd’ambassadeBreitbart car elle faitaussi office de bureau pour Breitbart News. Aucune personne senséen’embaucheraitBannonpourunjobconsistantàfairepartirlestrainsàl’heure.

D’oùReincePriebus.AuxyeuxduCongrès, il est le seul choix raisonnable et il devient vite le

sujet d’un lobbying intense de la part du président de la Chambre desreprésentants,PaulRyan,etduleaderdelamajoritéauSénat,MitchMcConnell.S’ilsdoiventtravailleravecunextra-terrestrecommeDonaldTrump,mieuxvautavoirl’aidedequelqu’unquileurressemble.

À 45 ans, Priebus n’est ni un homme politique, ni un conseiller, ni unstratège. Il fait marcher la machine politique en exerçant l’une des plusanciennesprofessions:ilcollectedesfonds.

EnfantdelaclasseouvrièreoriginaireduNewJerseypuisduWisconsin,ilparticipe à l’âge de 32 ans pour la première et dernière fois de sa vie à unecampagneélectorale:ilconvoitesanssuccèsunsiègeausénatduWisconsin.Ildevient président du Parti dans son État puis conseiller général du Comiténational républicain. En 2011, il prend du galon en accédant au poste deprésident du Parti républicain au niveau fédéral. La crédibilité politique dePriebusvientdufaitqu’ilapacifiéleTeaPartydansleWisconsin,maisaussideson association avec le gouverneur du Wisconsin, Scott Walker, une étoilemontante républicaine (qui fut– très–peude temps le favoride l’électionde2016).

UnebonnepartieduPartirépublicainétantdéfinitivementopposéeàTrump,pensantqu’avecluions’achemineraitversunedéfaitehumiliante,Priebusafaitl’objet de fortes pressions après la nomination de Trump pour réduire lesfinancementsvoiremêmeabandonneràsonsortsacampagne.

Priebus, convaincu que Trump n’a aucun espoir, assure néanmoins sesarrières.Lefaitqu’iln’abandonnepastotalementTrumpouvreàcedernieruneétroite possibilité de victoire, et fait de Priebus une sorte de héros (selonKellyanneConway, une défaite aurait à l’inverse fait de lui une cible facile).

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C’est ainsi que Priebus devient le choix par défaut pour le poste de chef decabinet.

EntrerdanslecercledesprochesdeTrumpestpourluisourced’incertitudeet de confusion. Il sort déconcerté de son premier long entretien avec lePrésidentéluquin’apascessédeparlerets’estconstammentrépété.

«C’est sa façon de faire, lui confie un proche collaborateur. Pendant uneréuniond’uneheureaveclui,vousallezentendredeshistoiresdurantquarante-cinqminutes,deshistoiresquiseronttoujourslesmêmes.Sivousavezunpointdevueàdéfendre,ilvousfautl’exprimerdèsquevouslepouvez.»

Annoncéeàlami-novembre, lanominationdePriebusaupostedechefdecabinetn’empêchepasBannonde rester surunpiedd’égalitéavec lui.Trumprevient à son inclination naturelle qui consiste à ne jamais laisser personnedétenir trop de pouvoir. Priebus, même avec le poste le plus élevé dans lahiérarchie, apparaît comme un personnage faible, dans la lignée traditionnelledes lieutenants deTrump.Ce choix de Priebus convient également aux autresprétendants écartés. Tom Barrack pourra facilement contourner Priebus etcontinuer à parler à Trump sans intermédiaire. La position de Jared Kushnercommegendre et bientôt commepremier assistant reste solide.Quant à SteveBannon,quicommuniquedirectementavecTrump,ilrestelavoixincontestabledutrumpismeàlaMaisonBlanche.End’autrestermes,ilyabienquelqu’unquiporte le titre de chef de cabinet, mais ce n’est pas la personnalité la plusimportante.Plusieursautres,plusinfluentes,entretiennentàlafoislechaosàlaMaisonBlancheetl’indépendanceincontestéedeTrump.

JimBaker,chefdecabinetà la foisdeRonaldReaganetdeGeorgeH.W.Bush, un modèle en matière de gestion de la West Wing, avait conseillé àPriebusdenepasaccepterleposte.

LamutationdeTrumpde candidat pour rire à défenseur d’unepopulationmécontente,puisdecandidatridiculeàPrésidentélud’unenouvelleère,n’apasfaitmûrirsaréflexion.Aprèslechocdel’élection,ils’estréinventéenPrésidentinéluctable.

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Un exemple de son révisionnisme et de la nouvelle stature de l’hommed’Étatqu’ilsembledésormaisassumer: lavidéoBillyBush,auplusbasdesacampagne.«Vraiment,cen’étaitpaspasmoi»,affirme-t-ilenoffàl’undesesamis présentateur télé. Lequel reconnaît qu’il est assez injuste de se voircaractériséparununiqueévénement.«Non,répondTrump,cen’étaitpasmoi.Des gens qui s’y connaissentm’ont raconté que c’était très facile de trafiquertoutça,demettred’autresvoixetd’autresgens.»

En tant que vainqueur, il veut maintenant faire l’objet de respect, defascination et de sympathie. Il s’attend à ce que la presse hostile deviennebienveillante.Etpourtant,levainqueurcontinued’êtreétrillépardesmédiasqui,parlepassé,faisaientpreuved’unegrandedéférenceàl’égardduPrésidentélu,quel qu’il fût.À ses yeux, il est incompréhensible que lesmême personnes –c’est-à-direlesmédias–qui l’avaientviolemmentcritiquépouravoirditqu’ilpourrait contester les résultats de l’élection le traitent maintenant, lui,d’illégitime. (Les troismillions de votes qui ontmanqué à Trump9 lui restenttoujoursentraversdelagorge,mieuxvautéviterd’aborderlesujet).

Trump n’est pas un homme politique capable d’analyser les forces enprésencequil’attaquentoulesoutiennent.C’estunvendeurquidoitfourguersamarchandise.«J’aigagné.Jesuislegagnant.Jenesuispasleperdant»,répète-t-il,incrédule,commeunmantra.

Bannon ledécrit commeunemachine relativement simple.Sonboutonondélivre un déluge de flatteries, son bouton off un torrent de calomnies. Lesflatteriescoulent,nombreuses,pleinesdesuperlatifsetentièrementdéconnectéesdelaréalité:untelestlemeilleur,leplusincroyable,lenecplusultra,l’éternel.Lacalomnieestrude,sèche,amère,elleexcluttoujours,fermelaporte.

Telleestlanaturedesestalentsdevendeur:sacroyancepremièreestqu’iln’yaaucuneraisondenepaslancerunebonnedosedepoudreauxyeuxsurunclient potentiel.Mais si ce dernier ne se transforme pas en acheteur, il n’y aaucune raison non plus de ne pas l’étouffer sous le mépris et les poursuitesjudiciaires.Aprèstout,silesflatteriesn’ontpasd’effet,lescalomniespeuventserévélerpayantes.Bannonpense–avecpeut-êtretropdecertitude–queTrumppeutfacilementpasserduonauoff.

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Dans un paysage dominé par des rapports de force mortifères – avec lesmédias,lesdémocratesetlemarigot–encouragésparBannon,Trumppeutaussiselaisserséduire.Dansunsens,iln’aimerientantqued’êtrecourtisé.

Jeff Bezos, le patron d’Amazon et propriétaire duWashington Post, étaitdevenu l’une des nombreuses bêtes noires de Trump dans les médias. Il anéanmoinsprislapeinedeserapprochernonseulementduPrésidentélu,maisaussid’Ivanka.Pendantlacampagne,Trumpsoutenaitqu’Amazon«s’entiraitdiablement bien au niveau des impôts ». S’il était élu, « Oh, qu’est-ce qu’ilsauraientcommeproblèmes!».Désormais,TrumpchanteleslouangesdeBezosdevenu«ungéniedetopniveau».DanslaTrumpTower,ElonMusk,PDGdeSpaceX,demandeàTrumpquelanouvelleadministrationsoutiennesacourseversMars, idée queTrump saisit au bond.StephenSchwarzman, lepatrondugroupeBlackstone10–etamideKushner–proposed’organiserpourTrumpuneconférence avec les milieux d’affaires, ce que Trump accepte avecenthousiasme.AnnaWintour,larédactriceenchefdeVogue,reinedel’industriedelamode,avaitespéré,sanssuccès,êtrenomméeambassadricedesÉtats-UnisenGrande-BretagnesousObama.Puiselles’étaitrapprochéedeHillaryClinton.EtlavoilàmaintenantàlaTrumpTower(entréeentoutediscrétionparlaportedederrière)quisuggèreàTrumpdelanommerambassadriceàLondres.Trumpseditprêtàenvisagercetteéventualité.«Heureusement,commenteBannon,lecourantn’estpaspasséentreeux.»

Le14décembre,unedélégationdehautniveaudelaSiliconValleyarriveàlaTrumpTower pour rencontrer le Président élu,même si celui-ci, àmaintesreprises pendant sa campagne, a critiqué l’industrie de la tech. Plus tard dansl’après-midi, Trump appelle Rupert Murdoch qui lui demande comment s’estpasséelarencontre.

«Oh super, vraiment super, répondTrump. Très, très bien.Ces types ontvraiment besoin de mon aide. Obama ne leur était pas favorable, trop deréglementations.Pourmois’ouvrel’opportunitédelesaider.

— Donald, répond Murdoch, ces types ont eu Obama dans leur pochependanthuitans.Ilsontpratiquementgérél’administration.Ilsn’ontpasbesoindetonaide.

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—RegardeleproblèmeduvisaH-1B.IlsontabsolumentbesoindecesvisasH-1B11.»

Murdoch souligne que suivre une approche libérale à l’égard des visaspourrait se révéler difficile compte tenu des promesses de Trump surl’immigration.Maiscederniernesemblepass’ensoucier,assurantàMurdoch:«Ontrouveraunesolution.»

En raccrochant,Murdoch laisse tomber «Quel putain d’idiot ! » dans unhaussementd’épaules.

Dix jours avant l’investiture de Donald Trump, un groupe de jeunesmembresdesonpersonnel–leshommesencostume,lesfemmesdanslestylequ’il préfère, bottes montantes, jupe courte, cheveux mi-longs – regardent lePrésident Barack Obama prononcer son discours d’adieu sur l’écran d’unordinateurportabledanslesbureauxdel’équipedetransition.

«M. Trump a dit qu’il n’a jamais écouté un discours d’Obama dans sonintégralité,lanceundesjeunesgensd’untonferme.

—Ilssontsiennuyeux»,ditunautre.Tandis qu’Obama fait ses adieux, on prépare activement la première

conférencedepressedeTrumpquidoit avoir lieu le lendemain.L’idée est detout faire pour montrer que les conflits d’intérêts générés par la vieprofessionnelleduPrésidentéluserontprisenconsidérationdefaçonformelleetappropriée.

Jusqu’alors,Trumpconsidéraitqu’ilavaitétéélugrâceàcesconflits– sonsensdesaffaires,soncarnetd’adresses,sonexpérience,samarque–etnonpasendépit d’eux, et qu’il était absurdedepenser qu’il pouvait se désengagerdesonbusiness,quandbienmêmeillevoudrait.Enfait,devantlesjournalistesetceuxquiveulent l’entendre,KellyanneConwayexposeaunomdeTrumpunedéfense soulignant qu’il convient de s’apitoyer sur le sort du Président élu enraisondetoutcequ’ilasacrifiéjusque-là.

Aprèsavoirjetédel’huilesurlefeuenannonçantsonintentiond’ignorerlesrèglesconcernant lesconflitsd’intérêts,dansungestethéâtral,Trumpannoncequ’ilprendunnouveauchemin,plusgénéreux.DeboutdanslehalldelaTrump

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Tower,prèsd’unetablecouvertedepilesdedocumentsjuridiques,ildécrit lesgros efforts qui ont été faits pour réaliser l’impossible et lui permettre,maintenant,deseconcentrerexclusivementsurlesaffairesdupays.

Maissoudain,toutcecisemblebienloindel’essentiel.FusionGPS,unorganismed’oppositionresearch,apourclientsdessoutiens

duPartidémocrate.Enjuin2016,FusionaembauchéChristopherSteele,ancienespion britannique, pour mener des recherches sur les propos de Trump seflattantdesarelationavecVladimirPoutineetdelanaturedesescontactsavecleKremlin.Grâceautravaild’informateursrusses,dontunbonnombreviennentdesservicesderenseignement,Steeleécritunrapportdévastateur–appelé«ledossier»–quisuggèrequeDonaldTrumpafaitl’objetdechantagedelapartdugouvernementdePoutine.Enseptembre,SteeleinformedesjournalistesduNewYorkTimes,duWashingtonPost,deYahoo!News,duNewYorkeretdeCNNducontenudu«dossier».Tousrefusentd’utilisercesinformationsnonvérifiéesetàlaprovenanceincertaine,d’autantqu’ellesconcernentuncandidatayantpeudechancesdel’emporter.

MaislaveilledelaconférencedepressedeTrump,enjanvier2017,CNNdévoilelesdétailsdudossierSteele.Justeaprès,Buzzfeedpublielerapportdansson intégralité – une montagne de détails révélant un comportementinadmissible.

AlorsqueTrumpseprépareàdevenirPrésident,lesmédias,avecl’approcheparticulière qu’ils réservent aux sujets concernant Trump, font état d’uneconspirationàgrandeéchelle.Cettethéorie,soudainprésentéecommeprobable,affirme que les Russes ont piégé Donald Trump lors d’un voyage à Moscouaprèsavoirdéployéundispositifclassiquedechantage,incluantdesprostituéeset des vidéos d’actes sexuels déviants (notamment des golden showers12). Laconclusionimpliciteestqu’unefoisTrumpcompromis,ils’estentenduaveclesRusses pour gagner l’élection et s’installer à la Maison Blanche en tant quemarionnettedePoutine.

Sic’étaitvrai,lepayssetrouveraitàl’undesmomentslesplusincroyablesdel’histoiredeladémocratie,desrelationsinternationalesetdujournalisme.

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Sic’étaitfaux–etonnepeutguèreenvisagerd’entre-deux–,ilsembleraitalorsqueTrumpaitraison(etBannonaussi)dedirequelesmédias,aveuglésparleur dégoût et leur aversion idéologique ou personnelle à l’encontre d’unpersonnagedémocratiquementélu,auraienteurecoursàtouslesmoyenspourlefaire tomber.Dansle journalconservateur,maisanti-Trump,WeeklyStandard,Mark Hemingway décrit le nouveau paradoxe de cette situation à deuxnarrateurs dépourvus de crédibilité dominant la vie publique américaine : lePrésidentéluquiparlesansêtrevraimentinforméetsouventsansbasefactuelle,et « les médias pour lesquels tout ce que cet homme fait est soitinconstitutionnel,soitrelèvedel’abusdepouvoir».

L’après-mididu11janvier,cesdeuxapprochesopposéess’affrontentlorsdelaconférencedepressedanslehalldelaTrumpTower:d’uncôté,l’antéchristpolitique, un personnage sombre habitué aux scandales clownesques, sous lacoupe de l’adversaire historique de l’Amérique ; de l’autre, la masse desjournalistes nimbés de leur vertu, de leurs certitudes et de leurs théories ducomplot. Chacune des deux parties représente pour l’autre une versiontotalementfausseetdiscréditéedelaréalité.

Voici comment s’est déroulée la conférence de presse, digne d’une bandedessinée.

D’abordleslouangestresséesparTrumpàlui-même:«JeseraileplusgrandpourvoyeurdejobsqueDieuaitjamaiscréé…»Puisquelquesembryonsdedossiersquil’attendent:« Les anciens combattants qui souffrent d’un petit cancer ne peuvent pas

voirunmédecinavantqueleurmaladien’ensoitaustadeterminal…»Puisl’incrédulité:«Voiciquelquesannées,j’étaisenRussiepourl’électiondeMissUnivers–

ças’est très, trèsbienpassé–et j’aiditàtoutlemonde:attentionsivousnevoulez pas vous voir à la télévision parce qu’il y a des caméras dans tous lescoins.Maisenfaitc’estlamêmechosepartout,passeulementenRussie.Est-ceque quelqu’un peut vraiment croire cette histoire ? Je suis aussi un grandgermanophobe.Croyez-moi.»

Puisledéni:

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« Je n’ai aucun accord avec laRussie, je n’en ai pas car on s’est tenus àl’écart de ce pays, et je n’ai aucun emprunt en Russie. Je dois dire quelquechose… Pendant le week-end, on m’a offert 2 milliards de dollars pour uncontratàDubaietj’airefusé.Jen’avaispasbesoindelerefusercarcommevoussavezjen’aiaucunconflitentantquePrésident.Jenelesavaispasilyatroismois,maisc’estunebonnechose.Pourautantjen’aipasvoulutireravantagedecette situation. En tant que Président, j’ai un arrangement de non-conflitd’intérêts.Jepourraiscontinueràgérermesaffaires,àgérermesaffairesetgérerlegouvernementenmême temps.Jen’aimepasceschémamais jepourrais lefairesijelevoulais.JepourraisgérerlegroupeTrump,uneentreprisevraimentfantastique,etjepourraisaussigérerlepays,maisjen’ytienspas.»

Ensuite,uneattaquedirectecontreCNN,sonennemijuré:« Votre entreprise est nulle. Votre entreprise est nulle… Doucement…

Doucement… Ne soyez pas grossier… Non, je ne vais pas prendre votrequestion… Je ne vais pas prendre votre question… Vos informations sontfausses…»

Etenrésumé:«D’abord,cerapportn’auraitjamaisdûsortircarilvautmoinsquelepapier

surlequelilestimprimé.Jevaisvousdirequecelanedevraitjamais,jamaisseproduire. Vingt-deux millions de comptes ont été piratés par la Chine. C’estparcequenousn’avonsaucunedéfense,parcequenoussommesdirigéspardesgensquinesaventpascequ’ilsfont.LaRussieaurabienplusderespectpournotrepaysquandjeledirigerai.EtpasseulementlaRussie,maislaChine,quinefaitquetirerprofitdenous.LaRussie,laChine,leJapon,leMexique, touslespaysnousrespecterontdavantage,beaucoupplusqu’ilsnel’ontfaitaveclesadministrationsprécédentes…»

NonseulementlePrésidentéluclamehautetfortsesgriefsetsonamertume,maisilestmaintenantclairquelefaitd’avoirétééluPrésidentnechangerapassa façon d’étaler au grand jour, sans aucun filtre et apparemment de façonincontrôlable,sonlotdeblessures,deressentimentetdecolère.

«J’aitrouvésoninterventionremarquable,déclareKellyanneConwayaprèsla conférence de presse. Mais les médias ne le diront pas. Ils ne le diront

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jamais.»

1. L’aile ouest. LaWestWing désigne un bâtiment de laMaisonBlanche abritant les bureaux duPrésidentetdesescinquanteplusprochescollaborateurs.

2. PubliéenfrançaissousletitreTrumpparTrumpauxéditionsdel’Archipelen2017.

3. Danslesannées1950,grouped’artistesdeLasVegas,comprenantnotammentFrankSinatra,DeanMartinouSammyDavisJr.

4. Série télévisée américaine dont l’action se déroule dans les années 1960 dans le monde de lapublicité.

5. Whitetrash,quel’onpourraittraduirelittéralementpar«ordureblanche»,estuntermepéjoratifaméricainpourdésignerlesBlancspauvresetmarginaux.

6. LetermedésigneauxÉtats-Unisl’ensembledugouvernementetdesconseillersduPrésident.

7. «Rendreàl’Amériquesagrandeur»,leslogandecampagnedeTrump.

8. L’équivalentduministredelaJustice.

9. Selonlesystèmeélectoralaméricain,Trumpalégitimementétééluparlesgrandsélecteurs,maisilluiamanquétroismillionsdevoixpourobtenirlamajoritédesvotants.

10. L’undesplusimportantsfondsdeprivateequityaumonde.

11. LevisaH-1B,quipermetàdesétrangershautementqualifiésdevenirtravaillerauxÉtats-Unis,esttrèsprisédesentreprisesdelaSiliconValley.

12. Enfrançais,onpeutdire«ondinisme»ou«urophilie», jeuérotiquedonnantà l’urineunfortpouvoird’excitationsexuelle.

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3

Lepremierjour

À36ans,JaredKushners’enorgueillitdebiens’entendreavecdeshommesplusâgésquelui.Avecl’investituredeDonaldTrump,ildevientl’intermédiaireofficiel entre son beau-père et l’establishment. Pouvoir contacter Kushnersécurisecetteélitedéstabiliséeparlesévénements.

Plusieurs membres du cercle des confidents de son beau-père avouentsouventàKushnerleursinquiétudesàl’égarddeleurami,lePrésidentélu.

«Jeluidonnedebonsconseilssurcequ’ildoitfaireetlelendemainillessuitpendanttroisheures,puislesoubliecomplètement»,seplaintl’und’entreeux.Kushnerapourprinciped’écoutersansrépondresurlefond.Ilrassuresesinterlocuteursenleurdisantqu’ilcomprendleursfrustrations.

Ces gens importants tentent de transmettre àDonaldTrumpun sensde laréalitédumondepolitiquequ’ilsprétendentbienmieuxconnaîtrequelui.Ilsonttouspeurqu’ilnecomprennepascequil’attend.Etqu’iln’existepasdemoded’emploipourgérersafolie.

Chacun de ses interlocuteurs donne à Kushner une sorte de cours sur leslimites du pouvoir présidentiel, et sur le fait que Washington est aussi bienconçuepoursaperquepourservircepouvoir.

«Nelelaissezpasemmerderlapresse,ni lePartirépublicain,nemenacezpaslesmembresduCongrèscarilsvousbaiserontàlafin.Etpar-dessustout,nelelaissezpasfairechierlemondedurenseignement,recommandeunrépublicain

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éminentàKushner.Sivousdéconnezavec le renseignement, cesgens saurontvouslefairepayer,etvousvousretrouverezavecuneenquêtededeuxoutroisanssurlaRussie,avecchaquejourunenouvellefuite.»

OndressedevantKushner,dont lecalmeconfineausurnaturel,un tableauprécis du monde des espions et de leur pouvoir, la façon dont les secretscirculent entre ces espions et leurs prédécesseurs ou leurs alliés au Congrès,voiremêmejusqu’auxmembresdel’exécutif,puisenfinàlapresse.

L’undeshommesavisésquiappellentsouventKushnerestHenryKissinger,témoin privilégié de la révolte de l’administration et du renseignement contreRichardNixon. Il lui signale toutes les intrigues, et bien pire encore, que lanouvelleadministrationpourraitavoiràaffronter.

Le deep state1, cette notion, utilisée aussi bien par la droite que par lagauche, désigne un réseau secret et décisionnel rassemblant espions ettechnocrates.CetteexpressiondubréviairelexicaldeBreitbartNewsdevientletermedeprédilectiondel’équipeTrump:lenouveauPrésidentbousculecevieiloursqu’estledeepstate.Unoursauxmultiplesnoms:JohnBrennan,directeurde laCIA,JamesClapper,directeurdu renseignementnational,SusanRice, laconseillèreàlasécuriténationaled’Obama,surledépart,etBenRhodes,adjointdeRiceetsoutiend’Obama.

Des scénariosde films sont imaginés : la cabaled’unecliquede sbiresdurenseignement disposant des preuves les plus accablantes de l’imprudence deTrump et de ses transactions douteuses ferait en sorte, par une série de fuitescompromettantessuivantuncalendrierprécis,qu’ilsoitimpossiblepourTrumpdegérerlaMaisonBlanche.

Ce que Kushner entend, encore et encore, c’est que le Président doits’amender, tendre la main, se calmer. Il existe des forces qu’on ne doit pastraiteràlalégère,luidit-onaveclaplusgrandegravité.

Pendantlacampagneetplusencoreaprèsl’élection,Trumpaprispourciblelacommunautéaméricainedurenseignement–laCIA,leFBI,laNSC,autotaldix-septagences–qu’iltrouveincompétenteetmythomane.Parmisesmessagesmultiples et variés allant à l’encontre de l’orthodoxie conservatrice, Trumppourfendlesinformationserronéesdesservicesderenseignementsurlesarmes

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dedestructionmassivequiontconduità laguerreenIrak. Ilévoque la longuelistedeséchecsdel’administrationObamadanslesguerresd’Afghanistan-Irak-Syrie-Libye,etenfin,cerisesurlagâteau,ildénoncelesfuitessursesrelationsetmanigancessupposéesaveclaRussie.

Parsescritiquessurlerenseignement,Trumpsembles’alignersurlagauchequi,depuisundemi-siècle,accusecescroque-mitainesdesservicessecrets.Maisen réalité, la gauche et les espions se retrouvent unis dans leur détestation deDonaldTrump.L’essentieldelagauche(quiavaitrejetéavecfracasleportraitd’Edward Snowden dressé sans nuance par les services secrets comme celuid’untraîtreplutôtqued’unlanceurd’alertebienintentionné)acceptemaintenantlessoupçonsdesmêmesservicesselonlesquelsTrumpentretiendraitd’infâmesrelationsaveclesRusses.

Trumpseretrouvedangereusementisolé.C’est pourquoi Kushner pense qu’il serait judicieux d’inclure un geste

enverslaCIAparmilespremiersactesàlanouvelleadministration.

Trumpn’apasappréciésoninvestiture.IlavaitespéréunénormegalaavecTomBarrackenmaîtredecérémonie.EnplusduNeverlanddeMichaelJackson,BarrackpossèdedésormaisMiramax,rachetéàDisneyavecl’acteurRobLowe.Lui qui avait refusé le poste de chef de cabinet, a proposé de lever des fondspourl’investituredesonami.Ilveutcréerunévénement«aurythmepoétique»et«pleindedoucesensualité»,apparemmentendécalageaveclapersonnalitédunouveauPrésidentetdudésirdeBannond’uneinvestiturepopulaireetsanschichis.Trump,quantàlui,imploresesamisd’userdeleurinfluencepourfairevenirquelquesgrandesstarshollywoodiennes.Maiscelles-cisnobent lasoirée,cequil’embarrasseetleblesse;ilestfurieux.Bannon,voixapaisantemaisaussiagitateurprofessionnel,tentedeconvaincreTrumpdelanaturedialectique(sansutilisercemot)desonsuccès,quidépassetoutemesure,etestau-delàdetouteattente.Toutcequelagaucheetlesmédiaspeuventfaire,maintenant,c’estdejustifierleuréchec.

Aucoursdesheuresprécédantl’investiture,Washingtonsembleretenirsonsouffle. La veille au soir, Bob Corker, sénateur républicain du Tennessee et

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présidentduComitédesaffairesétrangèresduSénat,acommencésondiscoursàl’hôtelJeffersonaveccettequestionexistentielle:«Oùallons-nous?»Ils’estarrêtéuninstantpuisarépondu,d’untondeprofondeperplexité :«Jen’enaiaucuneidée.»

Plustardcemêmesoir,unconcertauLincolnMemorial(nouvelexempledel’effort, toujours maladroit, d’importer la culture pop à Washington) s’estterminé,fautedegrandesvedettes,avecTrumpsurlascène,furibond,insistantlourdementsurlefaitqu’ilpouvaitéclipsertouteslesstarsdupays.

Son équipe l’a dissuadé de descendre au Trump International Hotel deWashington,etilregretted’avoirsuiviceconseil.Lematindesoninvestiture,ils’estlevédumauvaispieddansunesuitedeBlairHouse,larésidenceofficielledes invitésde laMaisonBlanche.Tropchaud.Faiblepressiond’eau.Mauvaislit.

Ence20janvier2017,jourd’investiture,sonhumeurnevapass’améliorer.Tout au long de lamatinée, il s’estmanifestement disputé avec sa femmequisembleauborddes larmeset repartira le lendemainàNewYork.Chaquemotqu’illuiadresseestduretpéremptoire.KellyanneConwayavaitchoisiMelaniapouruneopérationde relationspubliques.Ellevoulaitpromouvoir lanouvellepremièredamecommeélémentessentieldusoutienauPrésident,voixsingulièreetutile.ElleamêmeessayédeconvaincreTrumpquesafemmepourraitjouerun rôle important à la Maison Blanche. Mais les relations entre Trump etMelaniarésistentàtoutquestionnementetconstituentunevariablemystérieusedel’humeurprésidentielle.

LorsdelarencontreofficielleàlaMaisonBlancheentrelePrésidentsortantet le nouveau, qui a lieu juste avant l’assermentation, Trump estime que lesObamaontétédédaigneux–«trèsarrogants»–enversluietsafemme.Aulieudesortirlegrandjeuenserendantàlacérémonie,lePrésidentélumontrecequesonentourageappellesatêtedegolfeur:fâché,énervé,lesépaulesvoûtées,lesbras ballants, le front plissé, les lèvres pincées. Cette tête est devenue sonmasquepublic–Trumpleféroce.

Unecérémonied’investitureestsupposéeêtreunmomentdebonheur.Unehistoireneuveetjoyeusecommencepourlesmédias.Pourlanouvellemajorité,

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des temps heureux s’annoncent. Pour les membres de l’administration – lemarigot –, c’est l’occasion de s’attirer les faveurs des arrivants et d’en tireravantage.Pour lepays, c’estuncouronnement.MaisBannona troismessagesqu’il tente, encore et encore, d’imposer à son patron : sa présidence seradifférente–plusdifférentequ’aucuneautredepuiscelled’AndrewJackson2(ilafourniauPrésidentélu,quin’ajamaislugrand-chose,deslivresetdescitationssurJackson);ilssaventquisontleursennemisetnedoiventpastomberdanslepiège de vouloir en faire des amis, car ils ne le seront jamais ; donc, dès lepremier jour, il leur faut se considérer en guerre. Cette approche convient auTrumpcombattif et bagarreur,maispas auTrumpquiveut être aimé.Bannontentedeconciliercesdeuxinclinationsenmettantl’accentsurlapremièreetenexpliquant à son patron qu’avoir des ennemis ici implique de se faire denouveauxamisailleurs.

En fait, l’humeur contrariée de Trump s’accorde bien avec le discourshargneuxqu’ilprononce lorsde l’investiture,etquiaétéécritparBannon.Laplus grande partie de cette allocution de seize minutes reflète les proposquotidiens de Bannon : l’Amérique d’abord, rendons l’Amérique auxAméricains, signons la fin du carnage général dans le pays.Mais ce discoursdevientplussombreetsonimpactplusgrandunefoisprononcéparunTrumpauvisage des mauvais jours. Cette administration adopte délibérément pour sespremierspasuntonmenaçant,enrelayantunmessageadresséparBannonàtousses adversaires : le pays va connaître un profond changement. La blessureressentieparTrump–sonsentimentd’êtrerejetéetmalaimédèslepremierjourdesaprésidence–donneplusdeforceàsesmots.Lorsqu’ilquittelepupitreunefois son allocution terminée, il déclare à plusieurs reprises : « Personnen’oublieracediscours.»

Sur l’estrade, GeorgeW. Bush murmure alors ce premier commentaire :«Queltrucmerdique!»

Malgrésadéceptiondevantl’incapacitédeWashingtonàl’accueilliretàlecélébrer, Trump, comme tout bon vendeur, reste optimiste. Les commerçants,pourcontinuerdevendre,recréentunmondepluspositifquelevrai.Làoùtous

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lesautresvoientunsujetdedécouragement,lesvendeursvoientsimplementuneréalitéàenjoliver.

Le lendemain matin, Trump cherche quelqu’un qui lui confirmerait quel’investiture a été ungrand succès. «C’est toute une foule qui est venue. Il yavait plus d’unmillion de personnes, n’est-ce pas ? » Il appelle de nombreuxamis qui lui donnent des réponses allant toutes dans son sens. Kushner luiconfirme qu’il y avait beaucoup de monde. Conway ne fait rien pour ledétromper.Priebusestd’accord.Bannons’ensortavecuneblague.

L’une des premières décisions de Trump en tant que Président est deremplacer les photos édifiantes de laWestWing par une série d’images desfoulesrassembléeslorsdesacérémonied’investiture.

Bannon rationalise la tendance de Trump à arranger la réalité. Seshyperboles,sesexagérations,sesenvoléesfantaisistes,sesimprovisations,et lalibertéqu’ilprendaveclesfaits,toutceladécouled’uneformed’arrogance,d’unmanquetotaldefinesseetdecontrôledesesimpulsions.Comportementsquiluiontpourtantpermisdecréercesentimentdeproximitéetdespontanéitéquiontsibienréussiàconvaincrelesindécislorsdelacampagne–etquienonthorrifiétantd’autres.

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PourBannon,Obamaestlaréservepersonnifiée.«Lapolitique,avance-t-ilavecuneautoritéquifaitoublierqu’iladébutédanslemétiersixmoisplustôt,estunjeutropintuitifpourlui.»Trump,selonBannon,estunWilliamJenningsBryandestempsmodernes(Bannonsoutientdepuislongtempsqu’ilmanqueàladroiteunnouveauBryan–selonsesamis,quandilditcela,Bannonpenseàlui-même).Au tournant duXXe siècle, Bryan avait captivé lemonde rural par sacapacitéàparlerpendantdesheuresdefaçonimpromptueetpassionnée.Trumpcompense–selonquelquesproches,dontBannon–sesdifficultésàlire,àécrireetàseconcentrer,paruneaptitudeàl’improvisationquiproduit,sinonlemêmeeffetqueBryanautrefois,dumoinsuneffetopposéàceluid’Obama.

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Mélanged’exhortation,detémoignagepersonnel,defanfaronnadesdepilierdebar,l’approchedeTrumpestdécousue,incohérente,je-m’en-foutiste.Iltientdel’animateurtélé,duprêcheur,ducomiquetroupier,ducoachetduyoutubeur.Danslapolitiqueaméricaine,certainsêtrescharismatiquesontdéfiniuneformedecharme,d’esprit,destylequel’onaqualifiéde«cool».Maisunautretypedecharismeaméricainexiste,quirelèveplusdel’évangélismechrétienetd’unspectacleémotionneletexpérientiel.

La stratégie centrale de la campagne de Trump a été construite autour degrands meetings rassemblant régulièrement des dizaines de milliers depersonnes,phénomènequelesdémocratesontignoréouperçucommelesigned’unattraitlimitépourlecandidatrépublicain.Pourl’équipedeTrump,cestyle,cette relationdirecte– sesdiscours, ses tweets, sescoupsde fil spontanésauxémissions de radio et de télévision, et souvent à qui veut bien l’écouter – estl’annonced’unepolitiquenouvelle,personnelleetcharismatique.De leurcôté,lesdémocratesyontvudesclowneriesinspiréesparunedémagogieautoritaireetbrutale,depuislongtempsdénoncéeetdiscréditéeparl’histoire.Surlascènepolitiqueaméricaine,unetelledémagogieatoujourséchoué.

Auxyeuxdel’équipedeTrump,lesavantagesdecestylesonttrèsclairs.Leproblème est qu’un tel comportement outrancier génère souvent – en faitrégulièrement–desaffirmationsn’ayantqu’unlienténuaveclaréalité.

ToutceciaprogressivementdébouchésurlathéoriedesdeuxréalitésdelapolitiquedeTrump.Selonlapremière,quiconcernelaplupartdesessupporters,il est compris et apprécié. Il est l’anti-bûcheur, le contre-expert, l’instinctif,monsieur Tout-le-monde. Il est le jazz – certains, à l’écouter, disentmême lerap–quand tous lesautres fontde lamusique traditionnelle.Selon la seconderéalité,quirassemblepresquetoussesadversaires,ilprésentedesdéfautsgraves,voiredestroublesmentaux,oumêmedespulsionscriminelles.Danscetteréalitése trouvent les journalistes qui, convaincus d’une présidence illégitime etbâtarde, estiment qu’il faut affaiblir Trump, le blesser, le rendre dingue, luienlevertoutecrédibilitéenpointantinlassablementseserreursfactuelles.

Prétendant être perpétuellement choqués, les médias ne peuvent pascomprendrequ’avoirtortn’estpaslafindetout.CommentTrumppeut-ilnepas

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avoir honte ? Comment son entourage peut-il le défendre ? Les faits sont lesfaits!Lesbraver,lesignoreroulesmodifier,c’estmentir,tromper,produireunfaux témoignage. (Unecontroversepassagère se faitmême jourdans lapressepoursavoirsilescontrevéritéssontdesinexactitudesoudesmensonges).

AuxyeuxdeBannon :1.Trumpnechangera jamais ;2. tenterde le fairechangerlepriveraitdetoussesmoyens;3.pourlessupportersdeTrump,celan’a aucune importance ; 4. de toute façon, les médias ne l’aimeront jamais ;5.mieuxvautjouercontrelesmédiasqu’aveceux;6.laprétentiondesmédiasdegarantirlaréalitéetl’exactitudedesfaitsestuneimposture;7.larévolutionTrump est un combat contre les hypothèses et les expertises conventionnelles,doncmieuxvautaccepterlaconduitedeTrumpquedetenterdelamodifieroudelaguérir.

Trumpneveutjamaissuivredescénario(«Sonespritnefonctionnepasdecettefaçon»,explique-t-ondanssonentourage).Leproblème,c’estqu’ilmeurtd’envied’obtenirl’approbationdesmédias.Mais,commeBannonlesouligne,ilne respectera jamais les faits, ne reconnaîtra jamaisqu’il s’est trompé,donc iln’obtiendra jamais cette approbation. Ce qui veut dire, et c’est un élémentcrucial, qu’il doit se défendre avec agressivité contre les objurgations desjournalistes.

Mais plus la défense est véhémente – notamment concernant desaffirmationsdontlafaussetépeutfacilementêtreprouvée–pluslesaccusationsdesmédiasserenforcent.Desurcroît,Trumpaffronteaussilescritiquesdesonentourage.Les appelsqu’il reçoit ne sont pas seulement ceux de ses amis quis’inquiètentpourlui.DesmembresdelaMaisonBlancheappellentdesprochespourqu’ilsluitéléphonentetluidemandentdesecalmer.

«Quiavez-vousautourdevous?l’interrogeunjourJoeScarboroughsurunton très inquiet. En qui avez-vous confiance ? Jared ? Qui peut vous aider àanalysercettequestionavantquevousnedécidiezd’agir?

—Eh bien, répond le Président, vous n’allez pas aimerma réponse,maisc’estmoi.Jemeparle.»

D’oùl’inventionparlePrésident,vingt-quatreheuresaprèsl’investiture,decemilliondepersonnesquin’existentpas.Ilenvoiesonnouveauporte-parole,

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SeanSpicer–dontlalitaniepersonnellevavitedevenir«Vousnepouvezpasraconter de pareilles conneries » – le défendre devant la presse. Ce quitransformeaussitôtSpicer,unprofessionneldelapolitiquetoutàfaitcoincé,enunefarcenationale.Ilsemblequ’ilnes’enremettra jamais.LecombleestqueSpiceraensuitesubilesfoudresdeTrump,furieuxparcequ’iln’avaitpasréussiàtransformersonmilliondefantômesenréalité.

CetépisodemontrequelePrésident,commejadislecandidat,n’enarienàfoutre,dixitSpicer.Onpeutluidiretoutcequ’onveut,ilsaitcequ’ilsait.Etsivouscherchezàlecontredire,c’esttrèssimple,ilnevouscroitpas.

Le jour suivant, Kellyanne Conway, versant de plus en plus dansl’exubérance et l’auto-compassion, revendique le droit dunouveauPrésident àprésentercequ’elleappelledes«faitsalternatifs».Enl’occurrence,Conwayavouludiredes«informationsalternatives»,cequisupposelacommunicationdedonnéessupplémentaires.Maisformuléainsi,lanouvelleadministrationsembleréclamerledroitderedéfinirlaréalité.Aufond,c’estcequ’ellefait.MaispourConway, ce sont lesmédiasquiprocèdent à la refontede la réalité, en faisantunemontagne–«Fakenews!»–d’unehonnêteetlégèreexagération.

Par ailleurs, la question récurrente est de savoir si Trump va continuer àenvoyer sans supervision ses tweets, souvent inexplicables, alors qu’il estofficiellement à laMaison Blanche et président des États-Unis. Une questionaussi souventposéeà l’intérieurqu’à l’extérieurde l’administration,etdont laréponseest:oui,ilvacontinuer.

Il s’agit sans doute de son innovation la plus fondamentale dans l’art degouverner:desexplosionsincontrôléesderageetdemauvaisehumeur.

Néanmoins, dans l’immédiat, lamission duPrésident est de se réconcilieraveclaCIA.

Le samedi 21 janvier, au cours d’un événement organisé par Kushner, lePrésidenteffectuesonpremierdéplacementofficielpouralleràLangley3.Selonle commentaire optimiste de Bannon, Trump y va pour « faire un peu depolitique ». Entre deux remarques soigneusement préparées pour cet acteofficiel, lePrésident glisse quelques-unesdes flatteries dont il a le secret, non

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seulementàlaCIAmaisaussiaurestedumonde–tentaculaireetcoutumierdesfuites–durenseignementaméricain.

Sans enlever son grandmanteau sombre qui lui donne l’air d’un gangsterpatibulaire, il fait lescentpasdevant lemurdesétoilesérigéen l’honneurdesagents décédés, devant une foule d’environ trois centsmembres de la CIA etquelques responsables de la Maison Blanche. Soudain, faisant preuve d’uneaudace imputable au manque de sommeil mais aussi à la joie d’avoir unauditoirecaptif,Trump,sansunregardpoursontexte,selancedanscequel’onpeut considérer comme l’une des interventions les plus curieuses jamaisprononcéesparunprésidentaméricain.

«JesaisbeaucoupdechosessurWestPoint.Jecroisbeaucoupauxétudesuniversitaires.Jedistoujoursquej’avaisunonclequiaétépendanttrente-cinqans un professeur formidable auMIT, il a fait un travail fantastique dans denombreuxdomaines académiques– c’était ununiversitairegénial – et puis onmedit,est-cequeDonaldTrumpestunintellectuel?Croyez-moi,jesuiscommeunepersonneintelligente.»

Ils’agitsansdouted’unesortedecomplimentadresséaunouveaudirecteurde laCIA,Mike Pompeo, qui a fait des études àWest Point et que Trump aamenéaveclui.Pompeoestmaintenantaussiperplexequetouslesautres.

« Vous savez, quand j’étais jeune… Bien sûr, je me sens jeune – j’ail’impressiond’avoir30…35…39…Quelqu’unmedemande:êtes-vousjeune?Je réponds je pense être jeune. Pendant les derniers mois de la campagne, jem’arrêtais quatre fois, cinq fois, sept fois – des discours, des discours devantvingt-cinq,trentemillepersonnes…quinze,dix-neufmille.Jemesensjeune–jepensequenoussommestoussijeunes.Quandj’étaisjeune,ongagnaittoujoursdeschosesdanscepays.Ongagnaitcommercialement,ongagnaitmilitairement–àuncertainâge,jemesouviensavoirentendul’undemesprofesseursdirequelesÉtats-Unisn’avaientjamaisperduuneguerre.Etpuis,aprèsça,c’estcommesionn’avaitriengagné.Vousconnaissezlavieilleexpression“Auvainqueur,lepactole”?Vousvoussouvenez,jedistoujoursgardezlepétrole.»

«Quidoitgarderlepétrole?»demandeunemployémédusédelaCIA,sepenchantversuncollègueaufonddelasalle.

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«Jen’étaispasunfandel’Irak,jenevoulaispasqu’onailleenIrak.Maisjevaisvousdire,unefoislà-bas,onn’enestpasbiensortisetj’aitoujoursditenplus de ça : gardez le pétrole. Maintenant, je le dis pour des raisonséconomiques,maissivousypensez,Mike(il s’adresseaudirecteurde laCIAdans la salle), si on avait gardé le pétrole, onn’aurait pas euDaech, car c’estcommeçaqu’ilsefontdel’argent,doncc’estpourçaqu’onauraitdûgarderlepétrole.OK,peut-êtrequevousaurezuneautrechance,maislefaitestquenousaurionsdûgarderlepétrole.»

LePrésidentfaitunepauseetsourit,visiblementsatisfait.« La raison pour laquelle je vous ai réservé mon premier déplacement,

commevouslesavezj’aiuneguerreencoursaveclesmédias,cesontlesêtreshumains les plus malhonnêtes de la planète, et ils font comme si j’avais demauvais rapports avec lemondedu renseignementet jeveuxvousdireque laraison pour laquelle je suis d’abord venu vous voir c’est juste le contraire,précisément,etilscomprennentça.Jevousparlaisdeschiffres.Onafait,onafait quelque chose hier, lors du discours. Est-ce que tout lemonde a aimé cediscours?Ilfallaitl’aimer.Maisilyavaitunefouleénorme.Vouslesavezvus.C’était bondé. En me levant ce matin, j’allume la télévision et je vois qu’ilsmontrentunepelousevideetjemedisattendezuneminute,j’aifaitundiscours.J’ai regardé au loin– l’esplanade était – ça semblait unmillion, unmillion etdemidepersonnes.Ilsontmontréunepelouseoùiln’yavaitpresquepersonne.Et ils ont ditDonald Trump n’a pas réuni grandmonde et j’ai dit il pleuvaitpresque, la pluie aurait dû leur faire peur,maisDieu a regardé la scène et ditNousneferonspaspleuvoirsurtondiscoursetenfaitquandj’aicommencéjemesuisditooohnon,àlapremièrelignej’aireçuquelquesgouttes,etj’aiditohc’estdommagemaisonyarrivera,etlavéritéc’estquelapluies’estarrêtéetoutdesuite…»

«Non,c’estpasvrai»,chuchotemachinalementuneemployéedelaMaisonBlanchevenueaveclui.Sereprenanttoutàcoup,elleregardeautourd’elled’unairinquietpourvoirsipersonnenel’aentendue.

« … puis le soleil est arrivé et je suis parti, et des trombes d’eau sonttombées juste après mon départ. Il a plu mais il s’est passé quelque chose

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d’amusantcar–honnêtement,ilsemblaityavoirunmillion,unmillionetdemide personnes, le chiffre importe peu, mais la foule s’étendait jusqu’auWashingtonMonumentetparerreur j’ai regardécettechaînequimontraituneesplanade vide et qui racontait qu’on avait attiré deux cent cinquante millepersonnes.Bon,c’estpasgrave,maisc’estunmensonge…Etonenaeuencoreun hier qui était intéressant. Dans le Bureau ovale il y a une belle statue deMartin Luther King et il se trouve que j’aime aussi Churchill – WinstonChurchill–jepensequelaplupartd’entrenousaimentChurchill,ilnevientpasde notre pays mais on eu pas mal affaire avec lui, il nous a aidés, un alliévéritable,etcommevouslesavezlastatuedeChurchillaétéretirée…DoncunreporterdeTimeetmoiavonsétésur lacouverturequatorzeouquinzefois.Jepenseque j’ai le recordhistoriquedunombredecouverturesdeTime. SiTomBradyestsurlacouverturec’estseulementunefois,parcequ’ilagagnéleSuperBowlouquelquechosecommeça.Onm’yamisquinzefoiscetteannée.Jenepensepas,Mike,quecerecordpuisseêtrebattu,vousêtesd’accordavecça…Qu’est-cequevousenpensez?

—Non,répondPompeod’unevoixaccablée.—Maisjediraiqu’ilsontditquec’étaittrèsintéressantque“DonaldTrump

aenlevélebuste,lastatuedeMartinLutherKing”alorsqu’elleétaitjustelà,ilyavaitunphotographeenfaced’elle.DoncZeke…Zeke…duTime…écritdansunarticlequejel’aienlevée.Jamaisjen’auraisfaitça.J’aibeaucoupderespectpourMartinLutherKing.Maisvoilà l’étenduede lamalhonnêtetédesmédias.Unegrossehistoire,maislarétractationestpasséecommeça(avecsesdoigtsilfaitunsignepoursignifierqu’elleétaitminuscule).Enuneligneoualorsilsnes’embêtentmêmepasavecça.Jeveuxsimplementdirequej’aimel’honnêteté,j’aimelesreportageshonnêtes.Jevaisvousdire,ladernièrefois,mêmesijeledisquandvous laissezentrerdesmilliersd’autrespersonnesquiontcherchéàentrer,parcequejereviens,onaurapeut-êtrebesoindevoustrouverunepièceplusgrande,onaurapeut-êtrebesoindevous trouverunepièceplusgrandeetpeut-être, peut-être, elle sera construite par quelqu’un qui s’y connaît enconstructionetonn’auraplusdecolonnes.Vouscomprenezça?Onsupprimelescolonnesmaisvoussavez,jevoulaisjustevousdirequejevousaime,queje

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vousrespecte,quejenerespectepersonneplusquevous.Vousfaitesuntravailfantastique et on va commencer à gagner de nouveau, et vous allezmener lacharge,doncmercibeaucoupàtous.»

Illustrant parfaitement l’effet Rashomon4 chez Trump (ses discours quiinspirentaussibienlajoiequel’horreur),destémoins,décrivantl’accueilquifutréservécejour-làauxproposduPrésident,parlentsoitd’untorrentd’émotionsdignedelaBeatlemania,soitd’uneinterventionsiconfuseetconsternanteque,danslessecondesquisuivirent,onauraitpuentendreunemouchevoler.

1. Littéralement:«Étatprofond».

2. Jackson a été le septième président des États-Unis, de 1829 à 1837. Il n’est pas un politicientraditionneletseraitconsidéréaujourd’huicommeunoutsider.Ilestélusurunprogrammededéfensedesdroitsdes«hommesordinaires»,maisaussisurladéportationdesIndiens.

3. SiègedelaCIA,prochedeWashington.

4. L’effet Rashomon (d’après le film d’Akira Kurosawa en 1950) se produit quand un mêmeévénementengendreplusieursversionsdesfaitsselonlestémoins.

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4

Bannon

Steve Bannon est le premier conseiller de haut rang à pénétrer dans laMaison Blanche après la prestation de serment de Trump. Durant la marched’investiture, il a attrapé la nouvelle chef de cabinet adjoint, Katie Walsh,ancienne collaboratrice de Priebus au RNC, et ils se sont échappés ensemblepour inspecter laWestWing, vacante depuis peu. Lamoquette a été nettoyéemaisriend’autreoupresquen’achangé.C’estunlabyrinthedepetitsbureauxàla propreté douteuse dont les murs auraient besoin d’une couche de peinture.Bannon s’octroie un bureau ordinaire juste en face de la suitemajestueuse duchefdecabinet,etréquisitionneenmêmetempslespanneauxblancssurlesquelsil a l’intention de schématiser son plan pour les cent premiers jours del’administrationTrump. Puis il enlève lemobilier de la pièce, ne voulant rienlaisser qui permettrait à un visiteur de s’asseoir.Ainsi, aucune réunion n’auralieu,oualorsdansun inconfort total.Limiter leséchanges.Limiter lesdébats.C’estlaguerre.C’estunesalledeguerre.

DenombreusespersonnesayanttravailléavecBannonpendantlacampagneetlatransitionnotentchezluiunchangementindéniable.Aprèsavoiratteintsonpremier objectif, il passe au suivant. Cet homme résolu a franchi un cransupplémentairedansladétermination.Ilestplusconcentréquejamais.

« Que se passe-t-il avec Steve ? » demandera bientôt Kushner. Puis :«QuelquechosenevapasavecSteve?»Etfinalement:«Jenecomprendspas.

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Nousétionssiproches.»Dès la première semaine, Bannon semble avoir remisé au placard la

camaraderiequirégnaitàlaTrumpTower–notammentcespalabresàn’enplusfinir à toute heure du jour et de la nuit – et prend ses distances au point dedevenirpresque inaccessible.« Je suisconcentré surmamerde»,dit-il. Il faitavancerlesdossiers.Maispourbeaucoup,celasignifiecomplotercontreeux.Sanaturedeconspirateurestbienconnue.Attaqueravantd’êtreattaqué.Anticiperlesmouvementsdesautres,lescontreravantqu’ilsnepuissentagir.Ilfautvoirloin, se focaliser sur un ensemble d’objectifs. Le premier a été l’élection deDonaldTrump,lesecondlesnominationsdessecrétairesd’État.Maintenant, ils’agitdesesaisirdel’âmemêmedelaMaisonBlancheetilcomprendcequelesautresn’ontpasencoreenvisagé:lecombatseramortel.

Au toutdébutde lapériodede transition,Bannonaencouragé l’équipedeTrumpà lireTheBestand theBrightestdeDavidHalberstam1. (Parmi lepetitnombredegensquisemblel’avoirécoutéfigureJaredKushner.)«Lalecturedece livre est une expérience saisissante, affirme Bannon. Il donne une visionclairedumonde,avecdespersonnagesincroyables,ettoutestvéridique.»

Ils’agitpourluidepeaufinersonimagedemarque–Bannonmontrelelivreauxnombreuxjournalistesdegauchequ’ilcourtise.Maisaussidetransmettreunmessageimportant,comptetenuducôtébrouillonduprocessusderecrutementdel’équipedetransition:choisissezbienceuxquevousembauchez.

Publiéen1972,lelivred’Halberstamestunefforttolstoïenpourcomprendrecomment les grands noms dumonde académique, intellectuel et militaire desannées Kennedy et Johnson se sont si gravement mépris sur la nature de laguerre du Vietnam et ont si mal géré sa mise en accusation. C’est un récitédifiantsurl’establishmentdesannées1960–leprécurseurdeceluiqueTrumpetBannondéfientaujourd’huidefaçonagressive.

Mais ce livre peut aussi être lu comme un guide pratique pour rejoindrel’establishment. Pour la génération des années 1970, les futurs experts, lesleaders mondiaux en herbe et les journalistes ambitieux sortant des meilleursuniversités–lagénérationdeBannon,maisluisesitueloindecesélites–,The

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BestandtheBrightestestlemanueldupouvoiretdescheminsquiymènent.Passeulement les bonnes écoles et les bons milieux sociaux, même si c’estimportant, mais aussi les attitudes, la suffisance, l’affect, le langage quipermettront de manière infaillible de se faire une place au cœur du pouvoiraméricain. Nombreux sont ceux qui ont lu ce livre comme une liste derecommandations pour y parvenir, alors que pour l’auteur il s’agissait aucontrairededirecequ’ilnefautpasfairequandonestausommet.TheBestandtheBrightest décrit aussi le typedegensquidevraient, selon l’auteur, accéderauxresponsabilités.L’étudiantBarackObamaétaitfascinéparcelivre,demêmequeleboursierBillClinton.

Lelivred’Halberstamdéfinitégalementl’allureetlanaturedupouvoirdelaMaisonBlanche.Unefaçondeparler,sonore, imposante,souventpompeuse,adonné le ton pour un demi-siècle chez les journalistes chargés de suivre laprésidence. Même les occupants de la Maison Blanche ayant échoué ou faitscandaleontététraitéscommedespersonnagesexceptionnelsquiavaientatteintles plus hauts sommets au terme d’un processus politique darwinien. LejournalisteBobWoodward,quiparticipaàlachutedeNixon,devenului-mêmeunpersonnagesanségaldanslamachineàfabriquerlesmythesprésidentiels,aécrit une étagère entière de livres dans lesquels même la plus malvenue desactionsprésidentiellessemblereleverd’uneépopéedontl’enjeuseraitlavieoulamort.Seulunlecteursanscœurnerêveraitpasd’êtrepartieintégrantedecetteincroyablesaga.

EtSteveBannonestungrandrêveur.

SiHalberstamdéfinitlapostureprésidentielle,Trumpladéfieetlaprofane.Aucundesestraitsdecaractèreneleplacedanslecerclevénérédesprésidentsaméricains. Et par un curieux renversement de la thèse d’Halberstam, cetteexceptionestlachancedeSteveBannon.

Moinsuncandidatestprésidentiable,plussonentourageest inexpérimentéetinapteàexercersesfonctions–àl’inverse,lesbonsconseillerschercherontàtravailler avec un candidat crédible. Lorsqu’un candidat hors normes gagnel’élection – et que les outsiders ont le vent en poupe – laMaisonBlanche se

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retrouvealorsoccupéepardesgensauxprofilstoutàfaitparticuliers.Biensûr,cequ’ontdémontréHalberstamet lacampagnedeHillaryClinton,c’estquelecandidatcrédiblepeutcommettreluiaussidegraveserreurs.D’oùlarhétoriquede Trump selon laquelle seuls les candidats non conformes, non issus del’establishment,ontdugénie.

Néanmoins, on a rarement vu de conseiller aussi improbable que SteveBannon.

À 63 ans, il obtient son premier emploi en politique en rejoignant lacampagnedeTrump.Stratègeenchef,sontitredanslanouvelleadministration(«Stratège!»soupireRogerStonequi,avantBannon,l’avaitétéluiaussipourTrump),estnonseulementsonpremierpostedans l’administration,maisaussidanslesecteurpublic.LePrésidentmisàpart,Bannonestsansaucundoutelapersonne inexpérimentée la plus âgée qui ait jamais travaillé à la MaisonBlanche.

Etc’estunecarrièreplutôterratiquequil’aconduitàceposte.ÉcolecatholiquedeRichmond,enVirginie.Puisuniversitélocale,Virginia

Tech.Aprèscela,septansdanslaMarine,lieutenantsurunnavire,etensuiteauPentagone.Pendantsonserviceactif,ilpasseunemaîtriseàlaSchoolofForeignService de Georgetown. Il quitte la carrière navale, obtient un MBA de laBusinessSchooldeHarvardetrestequatreanschezGoldmanSachsentantquebanquierd’affaires– lesdeuxdernièresannées, il seconsacreà l’industriedesmédiasàLosAngeles.

En 1990, à l’âge de 37 ans, Bannon crée Bannon & Co, une société deconseils financiers pour l’industrie du divertissement. L’entreprise, qui a l’aird’unecoquillevide,selancedansuneindustrieoùpeuréussissentetbeaucoups’élèvent, espèrent et tombent. Bannon & Co échappe à l’échec et finit parrassembler un peu d’argent pour financer des projets de films indépendants –dontaucunneconnaîtlesuccès.

Bannonest lui-mêmeunpersonnagedecinéma.Unegueule,de l’alcooletdesmariagesratés.Ilestàcourtd’argentdansunsecteuroùcelui-ciestl’aunedusuccès.Ilatoujoursdesprojets.Ilesttoujoursdéçu.

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Pour un homme persuadé d’avoir un grand destin, il passe inaperçu. JonCorzine,ancienpatrondeGoldman,futursénateurdesÉtats-UnisetgouverneurduNewJersey,grimpaitleséchelonsdelabanquequandBannonytravaillait,etil ne l’a jamais repéré. Quand Bannon, nommé directeur de la campagne deTrump,devientdujouraulendemainl’objetdetouteslesattentionsdelapresse– et une sorte de gigantesque point d’interrogation –, on cite une histoirealambiquée concernant la participation financière de Bannon& Co à la sérieSeinfeld. Mais les responsables, les créateurs ou les producteurs du fameuxsitcomsemblentn’avoirjamaisentenduparlerdelui.

MikeMurphy,un républicain spécialistedesmédias, enchargeduComitéd’actionpolitiquedeJebBush,devenuunpersonnagecentralde l’oppositionàTrump,aunvaguesouvenirdeBannoncherchantuneattachéedepressepourunfilm produit il y a une dizaine d’années. « On m’a dit qu’il a assisté à uneréunion,maisfranchementjenepeuxpasmettreunvisagesursonnom.»

LeNewYorkers’estpenchésurl’énigmeBannon,laquellepeutserésumerenunephrase:commentlesmédiasont-ilspuignorerquelqu’unquifaitsoudainpartiedespersonneslespluspuissantesdugouvernement?Lemagazineatenté,sanssuccès,deretrouversa traceàHollywood.LeWashingtonPostacollectétoutes ses anciennes adresses sans en tirer la moindre information, sauf unéventueldélitdefraudeélectorale.

Au milieu des années 1990, Bannon participe activement à un projet –Biosphere2–généreusementfinancéparEdwardBass,l’undeshéritiersdelafamille Bass qui a fait fortune dans le pétrole. Ce projet qui s’intéresse à lasurviedansl’espaceestconsidéréparTimecommel’unedescentidéeslesplusmauvaisesdusiècle–uncapricedemillionnaire.Bannonaunbesoinurgentdetravailler : il saute àpieds joints sur ceprojet qui commencedéjà àpéricliter.Son arrivée en précipite la chute et provoque un procès, notamment pourharcèlementetvandalisme.

AprèsledésastredeBiosphere2,ilparticipeàlarecherchedefinancementspour unemonnaie virtuelle au sein d’une entreprise nommée InternetGamingEntertainment.EllesuccèdeàDigitalEntertainmentNetwork,unestart-upquiafaitfailliteetdontl’undesprincipauxdirigeants,l’ancienenfantvedetteBrock

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Pierce(LesPetitsChampions) a été limogé.Bannonest nomméPDGdecettesociétéquicroulesouslescontentieux.

Les entreprises endétresse font les affaires des opportunistes.Et certainesontplusdevaleurqued’autres.Bannondoitgérerdesconflits,delaméchancetéet du désespoir. Son travail consiste à tirer un petit profit d’une trésorerie quis’étiole.Ilvitchichementenmargedegensquigagnentbeaucoupmieuxleurvieque lui. Il tenteencoreet toujoursde faire fortunemaisnedécroche jamais legroslot.

Lesecteurdesentreprisesendétresseestaussileterraindejeupréférédesinvestisseurs à contre-courant. Leur personnalité impulsive – mue parl’insatisfaction, la rancœur, l’instinct du joueur – intéresse de plus en plusBannon.Cette attirance pour l’anticonformisme vient en partie de ce qu’il estissud’unefamillecatholiqueirlandaise,afréquentédesécolescatholiques,etaconnuensuitetroismariagesmalheureuxsuivisdedouloureuxdivorces.

Iln’yapassilongtemps,Bannonauraitpuêtreunpersonnagemoderne,unanti-héros romantique, un ancien militaire venant de la classe ouvrière et quis’en est détaché en prenant du galon au gré de plusieurs mariages et dedifférentes professions, frustré par l’establishment,mais désireux à la fois d’yavoirsaplaceetd’yposerunebombe–unpersonnagepourRichardFord,JohnUpdike ou Harry Crews. L’histoire d’un Américain. Mais aujourd’hui, ceshistoires d’Américains deviennent politiques. Des histoires de droite. Bannontrouve sesmodèles parmi les politiciens habitués aux luttes intestines, commeLeeAtwater,RogerAiles,KarlRove.DesAméricainsplusvraisquenature,sebattantcontreleconformismeetlamodernité,ravisd’effaroucherlessensibilitésdémocrates.

Bannon,qu’ilsoitounonintelligentetcharismatique,etmêmes’ilprétendêtreunepersonneloyale,n’estpasungentil.Plusieursdécenniespasséesàgérersesaffairessansenobtenirlamoindresatisfactionn’adoucissentpaslesmœurs.L’un de ses concurrents dans le business des médias conservateurs, tout enreconnaissantsonespritetlagrandeambitiondesesidées,ledécritcommeuntype«méchant,malhonnête,sansempathie.Ilsembletoujourschercherdanslapièceunearmepourvousfrapperouvousescroquer».

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Les médias conservateurs conviennent à son tempérament furieux,anticonformisteetcatholique,etilestaiséd’yentrer.Lesmédiasdegauche,enrevanche,sonthiérarchisésetplusdifficilesàpénétrer.Lapressededroite,parailleurs, est unmarché très lucratif qui commercialise des livres (souvent desbest-sellers),desvidéosetd’autresproduitsenventedirecteafindecontournerlesonéreuxréseauxdedistribution.

Audébut des années 2000,Bannon devient un pourvoyeur de livres et deproduits dérivés pour les médias conservateurs. Dans cette entreprise, sonpartenaireestDavidBossie–unpamphlétaired’extrêmedroitejadismembreducomitéd’investigationduCongrèssurl’affaireWhitewaterquiembarrassaitBillClinton. Bossie le rejoint commemanager adjoint de la campagne de Trump.Bannonrencontre le fondateurdeBreitbartNews,AndrewBreitbart, lorsde laprojectiond’undocumentaireréaliséparBannonetBossie, In theFaceofEvil(«Faceaudiable»,sous-titré«LacroisadedeRonaldReaganpourdétruirelesystème politique le plus tyrannique et dépravé que le monde ait jamaisconnu»).CetterencontreenprovoqueuneautreavecunhommequivadonnersachanceàBannon:RobertMercer.

Bannon, sans aucune discipline en affaires, est aussi un entrepreneur sansvision.Ilvasimplementlàoùestl’argent,tentantd’enprendrelepluspossibleaux plus naïfs. Il ne peut trouvermieux queBobMercer et sa fille Rebekah,naïfs professionnels. Bannon les courtise et devient leur conseiller eninvestissementspolitiques.

La mission des Mercer est totalement chimérique. Ils ont dépensé desfortunes–mêmes’ilnes’agitqued’unepetiteportiondesnombreuxmilliardsdeBobMercer–pourtenterdeformer,auxÉtats-Unis,unmouvementpolitiqueradical anti-libéral, anti-musulman et anti-droits civiques, prônant le libre-échange, un État faible, l’enseignement à la maison, l’étalon-or, la peine demort,lachrétientéetlemonétarisme.

Bob Mercer, c’est le matheux absolu, un ingénieur spécialiste desalgorithmes et patron de Renaissance Technologies, l’un des hedge funds lesplus rentables du monde. Avec sa fille, Rebekah, et en suivant leur seule

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fantaisie,MercerafondéleurTeaPartyprivé,etunclubalt-right2.BobMercers’exprimetrèspeu,ilvousregarded’unœilmornesansouvrirlaboucheouvousoffreuneréponseminimaliste.IlafaitinstallersursonyatchunpianoSteinwaydemi-queueetlorsqu’ilconviedesamisousescollèguessurlebateau,ilenjouesanss’arrêterniprêterlamoindreattentionàsesinvités.Sesopinionspolitiques,pour autant qu’elles puissent être décelées, le portent plutôt vers Bush, et sesdiscussionspolitiques,pourautantqu’ilveuillebienyparticiper,tournentautourdu ground game3 et de la collecte de données. C’est Rebekah Mercer,impressionnée par Bannon, qui définit les vues politiques de la famille.Lesquelles sont sombres, inflexibles et doctrinaires. « Elle est… Waouh !Impossible d’avoir une conversation idéologique avec elle », raconte un hautresponsabledel’entouragedeTrumpàlaMaisonBlanche.

Avec la mort d’Andrew Breitbart, en 2012, Bannon, qui joue le rôle demandataire de Mercer pour ses investissements dans le site Breitbart News,reprendlebusiness.IlsesertdesonexpérienceenmatièredejeuxenlignepourutiliserGamergate, un portail d’extrême droite dont les membres, qui ont encommun leur antipathie vis-à-vis des femmes, harcèlent celles qui jouent enligne.BannongénèreungrostraficsurGamergategrâceàlaviralitédemèmespolitiques. Une nuit, à la Maison Blanche, il annonce qu’il sait exactementcomment construire un site Breitbart de gauche. Et il en tirerait un avantagemajeurcar«lesgensdegaucheveulentgagnerleprixPulitzertandisquemoi,jeveuxêtrePulitzer!».

Travaillant et vivant dans la maison que Breitbart louait à Capitol Hill,Bannon devient l’une des grandes figures – lesquelles sont de plus en plusnombreuses – duTea Party àWashington, et le conseiller deMercer.Mais ilreste marginal quand on sait que son projet d’alors est de promouvoir lacandidatureprésidentiellede2012deJeffSessions–dontledeuxièmeprénomest Beauregard, en hommage au général sudiste –, le plus obscur et le plusétrangedessénateurs.

Donald Trump est un cran au-dessus. Tôt dans la campagne de 2016, ildevient l’icône de Breitbart News. (De nombreux arguments développés par

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Trump pendant la campagne sont tirés des articles du site photocopiés parBannon à son intention.) Bannon commence à suggérer autour de lui – de lamêmefaçonqu’AileschezFox–qu’ilestlavéritableforcederrièrelecandidatqu’ils’estchoisi.

Bannon ne se pose pas trop de questions sur le sérieux de Trump, soncomportementousacapacitéàêtreélu.Trumpestjusteledernierhommerichequ’ilarencontré.Larichesseestunfaitétabliqu’ilfautsavoiraccepteretgérerdans unmonde entrepreneurial. Bien sûr, si Trump avait été plus sérieux, s’ilavaiteuuncomportementplusacceptable,etuneprobabilitéplusgranded’êtreélu,Bannonn’auraiteuaucunechance.

Peu importe son côté marginal, secret, arnaqueur de faible envergure :Bannon – le personnage d’un polar d’Elmore Leonard – n’est plus le mêmequandilentredanslaTrumpTower,le15août2016,etqu’iln’ensortplus,saufquelquesheureslanuit(etencore,pastoutes)pourrejoindresonappartementdeMidtown jusqu’au 17 janvier, quand l’équipe de transition déménage àWashington. Dans la Trump Tower, la concurrence est inexistante pour quiambitionne de devenir le cerveau des opérations. Parmi les personnagesprincipauxdelatransition,niKushnerniPriebusniConway,etcertainementpaslePrésidentélu,nesontcapablesd’élaborerunrécitcohérent.Chacundoitdoncse tourner vers la seule personne qui, au débotté, est capable de faire preuved’éloquence,deconcision,despontanéité,d’esprit,quiest toujoursprésenteetquialaparticularitéd’avoirluunlivreoudeux.

En vérité, pendant la campagne, Bannon se montre capable de gérerl’opérationTrumpetdelaréduire–quellequesoitlaconfusiongénérale–àuneseule injonction : la victoire passe par l’envoi d’un message économique etculturel à la classe ouvrière de Floride, de l’Ohio, du Michigan et dePennsylvanie.

Bannon collectionne les ennemis. Mais peu, parmi les républicainstraditionnels, lui inspirent autant dehaine et de rancœurqueRupertMurdoch,d’autantplusquelemagnatdelapresseal’oreilledeDonaldTrump.L’unedescertitudesdeBannonàl’égarddedesonpatron,c’estqueledernierquiluiparle

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a toujours raison.OrTrumpsevantedesnombreuxappelsdeMurdoch tandisqueMurdochracontequelePrésidentlepoursuitautéléphone.

« Ilneconnaît rienà lapolitiqueaméricaineetnemanifesteaucun intérêtpourlepeupleaméricain»,expliqueBannonàTrump,soulignantqueMurdochn’est pas né aux États-Unis. Mais Trump ne peut s’en passer. Il aime lesgagnants – pour lui,Murdoch est le premier de la catégorie – et commence àtraitersonamiAilesdeperdant.

Murdoch,cependant,estutileàBannon.Ilaimerappelerqu’ilaconnutousles présidents américains depuis Harry Truman, et sans doute plus de chefsd’Étatdanslemondequen’importequi.Dèslors,ilprétendmieuxcomprendreque les jeunes – et mieux que Trump avec ses 70 ans – que le pouvoir estéphémère.Ill’avaitdéjàditàBarackObama:unprésidentdisposedesixmoisetpasundepluspouravoirunimpactsursonpaysetfixersonprogramme.Ilamême de la chance si on lui laisse ces six mois. Après ça, il n’a plus qu’àéteindrelesincendiesetcombattrel’opposition.

C’est làunmessageurgentqueBannonveuttransmettreàTrump,souventdistrait.Au cours de ses premières semaines à laMaisonBlanche, Trump estnégligentet essayede réduire lenombrede ses réunions,de limiter lesheurespasséesdanssonbureauetdecontinueràjoueraugolfcommeavant.

Aux yeux deBannon, les armes du pouvoir sont « le choc et l’effroi4 ».Dominer plutôt que négocier. Il a rêvé du pouvoir et ne se voit pas enbureaucrate.Ilpenseêtreaniméparuneambitionetunemoraleplusélevées.Ilchercheàsevenger,etpensequ’ilsaitviserjuste.Joindrel’acteàlaparoleestuneobligationmorale:sivousditesvouloirfairequelquechose,faites-le.

Dans sa tête, Bannon aligne une série d’actions décisives suffisammentfortes pour marquer les premiers jours de la nouvelle administration, maissurtout pour affirmer aux yeux de tous que rien ne sera jamais plus commeavant.Ila63ans.Ilestpressé.

Bannon a étudié la nature des décrets présidentiels.AuxÉtats-Unis, il estimpossibledegouvernerpardécrets–saufqu’enfait,c’estpossible.L’ironiedel’histoire est qu’Obama lui-même, face à un Congrès récalcitrant, les a

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multipliés.Etmaintenant,dansuneespècedejeuàsommenulle,lesdécretsdeTrumpdoiventréduireànéantceuxd’Obama.

Pendant la transition,Bannon et StephenMiller, un ancien adjoint de JeffSessionsquiarejointlacampagnedeTrumpetestdevenul’assistantdeBannon,ont dressé une liste de plus de deux cents décrets à signer au cours des centpremiersjours.SelonBannon,lepremierdossieràtraiterestl’immigration.Lesétrangers sont la principale obsession du trumpisme. Ce thème, défendu parl’excentriqueJeffSessions,estsouventconsidérécommelamarottedequelquesesprits étroits.Mais Trump est persuadé que de nombreuxAméricains en ontplus qu’assez des étrangers, et sa campagne a montré que le nativisme5 a debeaux jours devant lui.Une fois l’élection gagnée,Bannon comprendqu’il nefautplushésiteràseproclamerethnocentristes.

Cerisesurlagâteau:cesujetrendlagauchetotalementdingue.Appliquées avec laxisme, les lois sur l’immigration sont au cœur de la

nouvelle philosophie démocrate et soulignent, selon Bannon, son hypocrisie.Pour lagauche, ladiversité représente lebienabsolu tandisqueBannonpenseque toute personne raisonnable, qui n’a pas été aveuglée par l’esprit desLumières, voit bien que les vagues d’immigrés apportent avec elles unemontagne de problèmes. Regardez ce qui se passe en Europe. Ces périlsn’affectent pas l’élite démocrate, mais les citoyens américains du bas del’échellesociale.

Grâce à son instinct ou à son génie imbécile, Trump comprend qu’il fauts’approprier cette question. Il aime répéter : Les vrais Américains existent-ilsencore ?Dans quelques-uns de ses premiers discours, avant même l’électiond’Obamaen2008,Trumpévoquedéjà, avec consternation et ressentiment, lesstricts quotas de l’immigration européenne et le déluge de personnes enprovenance « d’Asie et d’autres endroits » (comme la gauche l’a vérifié, cedéluge n’est toujours qu’une modeste rivière, même si elle a grossi). Sonobsessionconcernantlecertificatdenaissanced’Obamavientenpartiedufléauquereprésententpourluilesétrangersnon-européens–delapurediscriminationraciale.Quisontcesgens?Pourquoisont-ilsici?

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Une carte frappante des États-Unis a circulé pendant la campagne. Ellemontrait, dans chaque État, les principales tendances observées en matièred’immigration. Il y a cinquante ans, la plupart des immigrés étaient d’origineeuropéenne.Aujourd’hui,lamêmecarterévèlequel’immigrationmexicaineestmajoritaire dans tous les États de l’Union. Pour Bannon, voici la réalitéquotidienne du travailleur américain soumis à la présence toujours croissanted’uneforcedetravailalternativeetbonmarché.

LacarrièrepolitiquedeBannons’estdérouléedans lesmédias,mais aussisur Internet, avec des sites suscitant des réactions immédiates. La formule deBreitbartNewshorrifielagauchequiydécouvresessympathisantsdoublementcomblésdegénérerduclicenexprimantleurdégoûtouleursatisfaction.Onsedéfinitparlesréactionsdesesadversaires.Leconflit,c’estl’appâtdesmédias.Lanouvellepolitiquen’estpasl’artducompromis,maisceluiduconflit.

Lebut est d’exposer augrand jour l’hypocrisiedesvuesde lagauche.Endépitdes lois,des règlesetdeshabitudes, les«mondialistes»démocratesontcréé lemythed’une immigrationplusoumoins libre. Il s’agit en réalitéd’unedouble hypocrisie car l’administration Obama s’est montrée très ferme enreconduisant à la frontière les étrangers illégaux – mais ne le dites pas auxdémocrates…

« C’est très simple, dit Bannon, les Américains veulent récupérer leurpays.»

Bannon veut que les décrets présidentiels – une procédure en soi peulibérale–mettentun termeauxprétentionsd’ouverturede lagauche.Etplutôtqued’atteindresesobjectifssansfairedevagues–sans toucherà la feuilledevignedémocrate–,ilcherchelaconfrontation.

Pourquoi?c’estlaquestionlogiquedequiconqueconsidèrequelafonctionpremièred’ungouvernementestd’éviterlesconflits.

Cequiestlecasdelaplupartdesgensenposte.Lesnouvellesrecruesdansles agences gouvernementales et l’administration, notamment à la Sécuritéintérieure, ne souhaitent rien de plus que d’avoir le temps de se poser et deprendre leurs marques avant de travailler sur de nouvelles politiques

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spectaculaires ou controversées. Le général John Kelly, alors directeur de laSécurité intérieure, est remonté contre le désordre que causerait un nouveaudécretsurl’immigration.Lesplusanciens,recrutésparObamaetquioccupentencore la plupart des postes à responsabilités, trouvent inconcevable que lanouvelle administration se perde dans des procédures qui, pour la plupart,existentdéjà,etlesreformulententermespolémiquesetalarmistesafinquelesdémocratesn’aientd’autrechoixquedes’yopposer.

Bannon veut crever la bulle du « gauchisme internationaliste » qui refused’admettre les effets compliqués et coûteux d’une immigration incontrôlée. Ilveutforcerlesdémocratesàavouerquemêmeleursgouvernements,mêmeceluid’Obama,ontsuiviunepolitiqueréalistepourfreinerl’immigration.

Ledécretprésidentieldoitêtrerédigédemanièreàexprimerdefaçonfermecesvuessanscompassionde l’administration (oudeBannon).Maiscederniernesaitpasdu toutcommentprocéderpourchanger les règleset les lois. Ilestparfaitement conscient que ses propres limites pourraient contrecarrer leuraction.Laprocédure,làestl’ennemi.Doncagir–peuimportecomment–etagirsansattendre,voilàlapluspuissantedesripostes.

Agir devient le principe de Bannon, l’antidote radical à l’ennui et à larésistancedelabureaucratieetdel’establishment.C’est l’énergieduchaosquipermet de faire les choses. Peu importe que vous ne connaissiez pas laprocédure,dumomentqueleschosessoientfaites.Maisquivafairecequevousvoulez faire ?Comme personne dans l’administrationTrump ne sait vraimentcommentfairequoiquecesoit,iln’estpasévidentdesavoirquifaitquoi.

Justement, c’est le travail de Sean Spicer : expliquer qui fait quoi etpourquoi.Toutefois,iln’arrivepasàremplirsamissionparcequepersonnen’adevraijob,parcequepersonnen’estcapabled’enavoirun.

Priebus,entantquechefdecabinet,doitorganiserdesréunions,élaborerdesprogrammes,embaucherdupersonnel.Ildoitaussisuperviserlesfonctionsdesdifférents départements de l’exécutif.Bannon,Kushner, Conway et la fille duPrésidentn’ontenfaitaucuneresponsabilitéprécise.Ilspeuventfairecequ’ilsveulent quand ils le veulent. Il leur est possible de décider de faire n’importequoi–mêmes’ilsnesaventpascommentfairecen’importequoi.

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Motivé par sa volonté de faire les choses, Bannon, pourtant, n’utilise pasd’ordinateur.Commentpeut-iltravailler?sedemandeKatieWalsh.Maispourlui, l’important est d’avoir une vision large. Le processus ne compte pas. Lacompétence est le dernier refuge des démocrates, toujours perdants face à lavisionlarge.Seulelavolontédefairedegrandeschosespermetdelesaccomplir.«Ne vous éreintez pas sur les petits sujets », voici l’essentiel de la vision dumondedeTrump–etdeSteveBannon.«LastratégiedeSteve,c’estlechaos»,ditWalsh.

Bannon demande à Stephen Miller d’écrire le décret sur l’immigration.Miller, un homme de 55 ans dans le corps d’un garçon de 32, est un ancienconseiller de Jeff Sessions propulsé dans l’équipe de campagne de Trump enraison de son expérience politique. Pourtant au-delà de ses vues d’extrêmedroite,sestalentspersonnelsnesontpasévidentsàdéceler.Ilestsupposéécriredes discours, mais semble incapable de construire de vraies phrases. Il seraitl’intellectueldel’équipe,maispersonnenelelit.Ilestcensédonnerdesconseilsdepolitiquegénéralemaisensaitpeusurlaquestion.Ilpassepourunspécialistede la communication, mais se met presque tout le monde à dos. Pendant latransition,Bannonl’aenvoyéchercherunmodèlededécretsurInternet.

En arrivant à la Maison Blanche, Bannon a sur sa table son décretprésidentiel sur l’immigration rédigé à la va-vite et son « travel ban », unemesureinterdisantàlaplupartdesmusulmansétrangersd’entrerauxÉtats-Unis.Ilaétéédulcorédemauvaisegrâce,à lademandeexpressedePriebus,enuneversionpourtantencoredraconienne.

Après le mensonge sur la foule présente à l’investiture et le discoursloufoque à la CIA, le troisième acte fort de la présidence est donc le décretréformant la politique migratoire américaine. Presque personne au sein dugouvernement n’a vu ou entendu quoi que ce soit à ce sujet. Après avoircontourné les juristes, les régulateurs, lesagenceset lepersonnelenchargedesonapplication,Trump,avecBannondanssonombreluisoufflantàl’oreilleunefouled’informationscomplexes,signeledocumentqu’onaposédevantlui.

Le27janvier,unvendredi,le«travelban»estsignéaveceffet immédiat.Lerésultatestuntorrentd’indignationdanslesmédiasdegauche,lagrandepeur

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des communautés d’immigrés, de vives protestations dans les aéroports, uneconfusion générale au sein du gouvernement et, à la Maison Blanche, denombreuses mises en garde, des avertissements, l’opprobre d’amis et demembresdelafamille.Qu’est-cequetuasfait?Sais-tucequetufais?Ilfautfairemarchearrière!Vousêtesfoutusavantmêmed’avoircommencéàbosser!Quiestresponsableici?

MaisSteveBannonestsatisfait.IlaréussiàtracerunelignenetteentredeuxAmériques–celledeTrumpetcelledelagauche–etentresaMaisonBlancheàluietcellequ’occupentdesgensquinesontpasencoreprêtsàymettrelefeu.

Pourquoi avoir fait ça un vendredi, avec un impact maximal dans lesaéroports et desmilliersdegens en colèreprêts à sortir dans la rue ?PresquetoutelaMaisonBlancheseposelaquestion.

« Eh bien… c’est pour ça, répondBannon. Pour que les excités prennentd’assautlesaéroportsetsedéchaînent.»Ilveutbriserlesdémocrates:lesrendrefousetlespousserversl’extrêmegauche.

1. Publié en français sous le titreOn les disait les meilleurs et les plus intelligents aux éditionsHachetteen1974.

2. Abréviationd’alternativeright,termefloudésignantunepartiedel’extrêmedroiteraciste,sexiste,antisémiteetconspirationniste.

3. Untermepolitiqueaméricainquidésignel’effortdeterraindesactivisteslocauxpourfrapperauxportesetobtenirautantdevoixqu’ilslepeuventlorsd’uneélection.

4. Enanglais«shockandawe»,désigneunedoctrinemilitaireaméricainededominationmassiveetrapided’unchampdebataille.

5. Courantpolitiquedepayspeuplésd’immigrants(États-Unis,Australie,Canada,etc.)quis’opposeàtoutenouvelleimmigration.

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5

Jarvanka

Ledimanchesuivant ledécret sur l’immigration, JoeScarboroughetMikaBrzezinski, les présentateurs de l’émission Morning Joe sur MSNBC, sontconviésàdéjeuneràlaMaisonBlanche.

Scarborough est un ancien parlementaire républicain de Pensacola, enFloride, et Brzezinski la fille d’un collaborateur de haut rang à la MaisonBlanchedeLyndon Johnson et le conseiller à la Sécurité nationale de JimmyCarter.Morning Joe existe depuis 2007 et a développé son audience dans lesmilieuxpolitiqueset lesmédiasnew-yorkais.Trumpsuit leprogrammedepuislongtemps.

En2016,trèstôtdanslacampagne,aprèsunchangementdansladirectiondelachaîneNBCNews,ilsembleprobablequel’émission,dontl’audienceesten baisse, soit supprimée. Mais Scarborough et Brzezinski ont une bonnerelationavecTrumpetfontdeleurémissionleseulmédiaquinonseulementleprésentedefaçonpositive,maisdonneaussil’impressiondecomprendrecequ’iladans la tête.Trumpdevientun invité régulier et l’émissionunmoyende luiparlerplusoumoinsdirectement.

C’estletypederelationdontTrumpalongtempsrêvé:desjournalistesquile prennent au sérieux, qui parlent de lui souvent, sollicitent son opinion,l’informentsurlesdernierscomméragesetfontcirculersesrumeursàlui.Ainsi,lesdeuxprésentateurs entrentdans le cercledeTrump, et c’est exactement ce

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qu’il voulait. Bien qu’il aime se dire outsider, il est insatisfait quand il reste«dehors».

Trumpjugequelesmédiasqu’ilpromeutluisontredevables(danslecasdeScarboroughetdeBrzezinski,ilasauvéleurjob).Àl’inverse,lesmédiasquiluiconcèdent beaucoup d’espace et de temps d’antenne gratuit estiment qu’il estleurobligé.Deleurcôté,ScarboroughetBrzezinskiseconsidèrentcommedesconseillers semi-officiels, pour ne pas dire des imprésarios politiques, qui ontoffertàTrumpsonjobsurunplateau.

En août 2016, après undifférend enpublic,Trump tweete aussitôt : «Unjour, quand la situation sera plus calme, je raconterai la véritable histoire de@JoeNBCetde@morningmika,sapetiteamiedelonguedatesipeusûred’elle.Deuxclowns!»MaislesdisputesavecTrumpseterminentsouventsurl’accordtacited’entirerunavantagemutuel.Peudetempsaprès,toussontànouveauenbonstermes.

LorsdeleurarrivéeàlaMaisonBlanche,enceneuvièmejourdelanouvelleprésidence,Trumpleurfaitvisiter leBureauovaleavecfierté, fiertéun instantmise àmal quandBrzezinski raconte que, depuis l’âgede9 ans, elle s’y étaitrendue un grand nombre de fois avec son père. Trump leur montre quelquesobjetsdecollectionetlenouveauportraitd’AndrewJackson–lePrésidentqueBannonatransforméenfiguretutélairedelanouvelleadministration.

«Alors,quepensez-vousdecettepremière semainedemaprésidence ? »leurdemandeTrumpsuruntonenjoué,cherchantlaflatterie.

Surpris par la légèreté deTrump alors que les protestations semultiplientdanslepays,Scarboroughrépondsobrement:«Ehbien,j’appréciebeaucoupcequevousavez fait avecUSSteel et le faitquevousayezconvié les syndicatsdans le Bureau ovale. » Trump avait promis d’utiliser dans la fabrication despipelines américains l’acier produit aux États-Unis, et dans un geste trèstrumpien, il a invité les représentants des syndicats de la construction et de lasidérurgie–geste,souligneTrump,quen’ajamaisfaitObama.

PuislePrésidentréitèresaquestion,etScarboroughsoupçonnequepersonnen’aosédireàTrumpquesasemaineaétécalamiteuse,queBannonetPriebus,

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allant et venant dans les bureaux, l’ont même convaincu, sans doute, qu’elleavaitétéunsuccès.

Scarboroughs’aventurealorsàdirequeledécretsurl’immigrationauraitpuêtregérédemeilleurefaçonetque,globalement,lasemaineaétéplutôtagitée.Surpris,Trump entame un longmonologue expliquant à quel point les chosesvont bien, disant avec de grands éclats de rire à Bannon et à Priebus quiarrivent : « Joe ne pense pas que notre semaine se soit bien passée. » Et setournantversScarborough:«J’auraisdûinviterHannity1!»

Aucoursdudéjeuner–dupoisson,cequeBrzezinskinemangepas–,JaredetIvankarejoignentlePrésidentetsesconvives.JaredestdevenuleconfidentdeScarboroughetluifournitrégulièrementdesinformationssurcequisepasseàlaMaisonBlanche,bref,ilestl’auteurdefuitessurlegouvernementdesonbeau-père.Enretour,Scarboroughdéfendsapositionetsesidées.Pourlemoment,legendre et la fille se montrent discrets et déférents tandis que Scarborough etBrzezinskidiscutentavec lePrésident.Lequel,prenant laparoleplusqu’à sonhabitude,pérore.

Trump reste en quête d’impressions positives sur sa première semaine etScarborough réitère son éloge sur sa gestion des syndicats de l’acier. Jaredintervient alors pour dire que se rapprocher des syndicats, une traditiondémocrateenpériodeélectorale,«c’estlafaçondefairedeBannon».

«Bannon?rétorquelePrésidentenfusillantsongendreduregard.Cen’estpasl’idéedeBannon.C’estlamienne.C’estsignéTrump,pasBannon.»

Kushnersefaittoutpetitetneditplusrien.Changeantdesujet,lePrésidentsetourneversScarboroughetBrzezinski :

« Alors, vous deux, où en êtes-vous ? » Il fait allusion à leur relationsentimentalequin’estplusvraimentunsecret.

Lecouplerépondquelasituationestencoreunpeucompliquée,pasencoreofficielle,maisquetoutvabienetquelesproblèmesserontbientôtrésolus.

«Vousdevriezvousmarier,insisteTrump.—Je peuxvousmarier ! Je suis un prêtre Internet unitarien universaliste,

lancesoudainKushner,parailleursjuiforthodoxe.

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— Quoi ? lance le Président. Qu’est-ce que tu racontes ? Pourquoiaccepteraient-ilsque tu lesmariesalorsquemoi jepeux le faire?Alorsqu’ilspourraientêtremariésparlePrésident!ÀMar-a-Lago!»

Presque tout lemondeaconseilléà Jareddenepasaccepterdeposteà laMaisonBlanche.Sonstatutdemembredelafamilleluidonneuneinfluencequepersonnenepeutcontester.Enétant l’employédesonbeau-père,en revanche,son inexpérience pourrait être mise en cause, sa présence constituer un pointfaibledel’édificeprésidentielqueviendraientdémolirlesadversairesdeTrump.Parailleurs,dans laWestWing,quandvousavezun titre–autrequeceluidegendre–toutlemondechercheàvousleprendre.

JaredetIvankaécoutentceconseil–donnéégalementparlefrèredeJared,Josh,quin’aimepasTrump–maistouslesdeux,calculantrisquesetavantages,décidentdel’ignorer.Trumpencourageàplusieursreprisessongendreetsafilleà poursuivre leurs ambitions. Pourtant, alors que s’affirme leur intérêt, il semontresceptiquetoutensedisantincapabledelesfairechangerd’avis.

PourJaredetIvanka,pourtoutlemondedanslanouvelleadministration,etpour le Président lui-même, comment ne pas saisir l’opportunité d’un telretournement de l’histoire ? La décision est prise d’un commun accord par lecoupleet,dansunsens,pourun travailcommun.Jaredet Ivankaontpasséunpacte : si l’occasion se présente un jour, ce sera elle qui sera candidate àl’élection présidentielle (ou la première à s’exposer, en fonction descirconstances). Ivanka joue avec l’idée que la première femme présidente desÉtats-UnisneseraitpasHillaryClinton,maiselle.

Bannon, qui a inventé lemot Jarvanka, de plus en plus utilisé, semontrehorrifié quandon lui raconte l’accord conclupar le couple. « Ilsn’ontpasditça?Arrêtez.Oh,non.S’ilvousplaîtnemeracontezpasd’histoires.Oh,monDieu!»

Lavérité,c’estqu’àcemoment-là,Ivankaest l’unedespersonnesquia leplusd’expérienceparmitoutescellesquitravaillentàlaMaisonBlanche.C’estelle et Jared, ou Jared, et par ricochet elle aussi, qui sont les vrais chefs decabinet–dumoinsquiontlemêmeaccèsauPrésidentqueBannonetPriebus,le

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titulaire du titre. Sur l’organigramme, Jared et Ivanka jouissent d’un statuttotalement indépendant dans la West Wing. Un statut magnifique. Et quandPriebus ou Bannon tentent, même avec diplomatie, de leur rappeler lesprocédures internes, le couple fait comprendre aux deux hommes que lesprérogativesdelaPremièreFamillel’emportentsurtouslesrèglements.Trumple confirme en confiant à Jared le dossier du Proche-Orient, faisant de songendre l’un des plus importants acteurs de l’administration sur la scènemondiale. Au cours des premières semaines, ce dossier grossit pour inclurepresquetouteslesquestionsinternationales,desresponsabilitésauxquellesrien,danslepasséKushner,nel’avaitpréparé.

Pour Kushner, la raison la plus convaincante de travailler à la MaisonBlancheestl’«effetdelevier»quidésignechezluilaproximité.Bienau-delàdu statut demembre de la famille, chaque personne ayant accès au Présidentbénéficied’uneffetdelevier.Pluslaproximitéestgrande,plusfortestceteffet.OnpeutalorsimaginerTrumpcommeunesorted’oracledeDelphes,assissurson trône et faisant des déclarations devant être interprétées. Ou comme unenfant plein d’énergie dont toute personne capable de l’amadouer ou de ledistraire pourrait devenir le favori. Ou comme le dieu Soleil (cequ’effectivementTrumppenseêtre),lecentredetouteattention,quidispensesesfaveurs et délègue un pouvoir susceptible, à tout instant, d’être repris. LadimensionnouvelleestquecedieuSoleilfaitfiducalcul.Soninspirationétantimprévisible,mieuxvautêtreprèsdeluiàchaqueinstant.EtBannonn’estpasledernieràsecomporterdelasorte,luiquidîneavecTrumpchaquesoir,ouqui,du moins, se tient disponible – de célibataire à célibataire. Priebus remarquequ’au début tout le monde voulait faire partie de ces dîners avant qu’ils nedeviennent,quelquesmoisplustard,unmomentpénibleàéviter.

Jared et Ivanka savent qu’influencer Trump exige une présence constanteauprès de lui. Entre deux coups de fil – et ses journées, à part les réunionsorganisées, se passent entièrement au téléphone –, vous pouvez le perdre.Lessubtilités àmaîtriser sontnombreuses.Même siTrump,on l’avu, est souventinfluencé par la dernière personne qui lui a parlé, il n’écoute en réalité aucunconseil.Cen’estdoncpas la forced’unargumentoud’une requêtequi le fait

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bouger,maisplutôtlaprésence,laconnexionentrecequisepassedanssatêteetlepointdevuedelapersonnequisetrouveauprèsdelui.Etbienqu’ilsoitungrandobsessionnel,ilapeudeconvictions.

En fin de compte, Trump n’est peut-être pas si dissemblable, dans sonsolipsismefondamental,d’autrespersonnestrèsrichesayantpasséleurviedansunenvironnementfermé.Ilendiffèrenéanmoinsencequ’iln’ajamaisacquislamoindre règle de discipline sociale, il ne peut même pas tenter d’imiter labienséance. Il est incapable de bavarder, par exemple, d’échanger desinformationsoudespointsdevue.Iln’écoutepascequ’onluiditetn’accordequ’unintérêt limitéàcequ’ilrépond,d’oùlefaitqu’ilserépètesouvent.Ilnetraite personne avec courtoisie. S’il veut savoir quelque chose, il peut seconcentreretaccordersonattention,maissiquelqu’unl’interroge,ilatendanceàdevenirirritableetdéplaisant.Ilveutquevousl’écoutiez,puisdécidequevousêtesfaibleàramperainsidevantlui.Ilsecomportecommeunacteurinstinctif,choyéetengrangeantlessuccès.Lesgensquil’entourentsontsoitdesvaletsàsonservice,soitdesmagnatsducinémaessayantdesuscitersonattentionetdedirigersonjeu–etcecisanstropl’irriternilemécontenter.

L’avantage,c’estsonenthousiasme,sarapidité,saspontanéitéet–s’ilarrêteuninstantdenepenserqu’àlui–unsensaigudelafaiblessedesesopposantsetde leurs plus profonds désirs. Le problème de la politique, selon lui, sont lesgens qui en savent trop et s’effondrent, avant de commencer, devant lacomplexitédesdossiersettantd’intérêtscontradictoires.Trump,nesachantpasgrand-chose,pourrait,auxdiresdesessoutiens,décoincerlesystèmeetluioffrirunnouveaudépart.

Dansuntempstrèscourt–moinsd’uneannée–JaredKushnerestpassédedémocrate classique, comme ses parents, à compagnon du trumpisme,métamorphose déconcertante pour de nombreux amis ainsi que pour son frèredont la compagnie d’assurances, Oscar, fondée avec l’argent de la familleKushner,risquedevolerenéclatsencasd’abrogationdel’Obamacare.

Cetteconversionapparenteestenpartielerésultatdesconseilsconstantsetconvaincants de Bannon – une sorte d’engagement vital en faveur d’idéessusceptiblesdechangerlemondequin’avaientjamaiseffleuréKushner,même

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lorsdesesétudesàHarvard.Àl’influencedeBannons’ajouteleressentimentdeJared à l’égard des élites démocrates qu’il a tenté de courtiser en rachetant leNewYorkObserver,ungestequis’estviolemmentretournécontrelui.Unefoislancé dans la campagne, il veut se convaincre que plus on se rapproche del’absurde,plusleschosesprennentdusens.Ainsiletrumpismeseraitunesortederealpolitikdénuéedetoutsentiment,maisqui,aufinal,nelaisseraitpersonnesurlebordduchemin.Etpuis,surtout,ilestdanslecampdesvainqueurs.Ilnevapascritiquerlecadeauqu’onluifait.Etilestcertainqu’ilsauraunjour,seul,éclairerlapartsombredutrumpisme.

Aussi surprenant que cela puisse lui paraître – des années durant, il acourtisésonbeau-pèreplusqu’ilnel’aaimé–KushnerressembleàTrump.LepèredeJared,Charlie,partageaitdenombreux traitscommunsavec lepèredeDonald,Fred.Tousdeuxdominaientleursenfants,etilsyréussirentsibienque,malgré leurs exigences, leurs enfants leur furent toujours dévoués. Les deuxhommes étaient extrêmes : agressifs, intransigeants, durs, amoraux. Ils ontlongtempsfaitsouffrirleursenfantsquionttoujoursrecherchéleurapprobation.(Malgré ses efforts, le frère aîné de Trump, Freddy, n’y est pas parvenu.Homosexuel,ilsombradansl’alcooletmouruten1981àl’âgede43ans.)Destémoins sont déconcertés de voir que, dans les réunions de travail, Charlie etJaredKushnersesaluent,s’embrassentetqueJared,adulte,appelleencoresonpèrePapa.

Ni Donald ni Jared, en dépit de leurs pères autoritaires, n’ont connul’humilité.Leursprivilègesontcompensél’insécuritédeleurenfance.TousdeuxnéshorsdeManhattan(KushnerdansleNewJersey,TrumpdansleQueens),ilssont impatients deprouver leurs talents oude s’imposer au cœurde la grandeville.Onlesconsidèrearrogants,suffisants,prétentieux.Chacuncultiveuncôtélisse,pluscomiquequegracieux.«Certainespersonnestrèsprivilégiéesensontconscientesetnel’affichentpas.MaisKushner,sansdouteinconsciemment,parchacun de ses mots et de ses gestes, vous signale qu’il est un privilégié »,raconteunpatrondepressenew-yorkaisquiafaitdesaffairesaveclui.Lesdeuxhommes,enfait,nesortent jamaisde leurcercle.Ledéfiqu’ilss’imposentest

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d’aller plus avant encore, au cœur du premier cercle.Gravir l’échelle sociale,voilàleurmoteur.

Jaredcultivesurtoutl’amitiédesesaînés.IlapasséuntempsconsidérableavecRupertMurdoch,avidederecueillirlesconseilsqu’unmagnatdesmédiaspeutdonnersurunsecteurdanslequelilveutpercer.Kushneraaussilongtempscourtisé Ronald Perelman, un financier milliardaire, virtuose des rachatsd’entreprise, qui accueille Jared et Ivanka dans sa synagogue privée les jourssaints de la religion juive. Et bien sûr, Kushner a su séduire Trump qui estdevenuunfandujeunehommeets’estmontréparticulièrementtolérantquandsafilleIvankas’estconvertieau judaïsmeorthodoxe,dernièreétapeavant leurmariage. De la même façon, Trump, quand il était jeune homme, avaitconsciencieusement fréquenté de vieux mentors, notamment Roy Cohn,flamboyantjuristeethommederéseauquiavaitservidebrasdroitausénateurJoeMcCarthy,lecélèbre«chasseur»decommunistes.

Ladureréalité,c’estquelemondedeManhattanetsavoixlapluspuissante,celle desmédias, ne les aimentpas.Depuis longtemps, ils considèrentDonaldTrumpcommeunpoids plumedumondedes affaires. Ils le démolissent pouravoircommislepéchéultime:ilatroptentédeséduirelapresse.Sarenomméeétait plutôt une contre-renommée : il était tristement célèbre. Une gloiregrotesque.

Pour comprendre les rebuffades des journaux et leurs nombreux degrésd’ironie,ilsuffitd’ouvrirleNewYorkObserver,l’hebdomadairedesmédiasetdelabonnesociétédeManhattanachetéparKushneren2006pour10millionsde dollars – soit, selon la plupart des estimations, 10millions de plus que savaleurréelle.

Lancé en1987, leNewYorkObserver est la danseuse d’un homme riche,comme beaucoup de médias sans avenir. Il fait la chronique hebdomadaireinsipidedel’UpperEastSide,lequartierleplusopulentdeNewYorketapourprétentiondetraitercelui-cicommeunepetitevilleensoi.Maiscelan’intéressepersonne.Sonpropriétairefrustré,ArthurCarter,quiafaitfortuneàWallStreet,est présenté un jour à Graydon Carter (aucun lien familial) qui a lancé le

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magazineSpy, une imitation new-yorkaise de la publication satirique anglaise,Private Eye. Spy fait partie d’une série de publications des années 1980 –Manhattan,Inc.,lanouvelleversiondeVanityFairetlemagazineNewYork–fascinéesparlesnouveauxrichesetparcemomentcharnièredel’histoiredelaville.Decetteépoqued’excèsetdefascinationpourlescélébrités,Trumpestàlafoislesymboleetlacaricature.En1991,GraydonCarterdevientlerédacteuren chef duNew York Observer et recentre l’hebdomadaire sur la culture del’argent. Il en fait ainsi une sorte de vade-mecum pour les gens très richesdésireuxd’êtreprésentsdans lapresse.Onn’a jamaisvuunepublicationaussiégocentriqueetautoréférencéequeleNewYorkObserver.

Dans lemêmetemps, leNewYorkPostdeMurdochdevient legreffierdecettenouvellearistocratieavidedepublicité.AlorsqueDonaldTrump,àl’imagedenombreuxautresnouveauxrichesdesongenre,chercheàfaireparlerdeluidanslesmédias,leNewYorkObserverdécidedes’intéresseràlamanièredontTrump est couvert par la presse. L’histoire de Trump, c’est l’histoire d’unhommequiveutconstruiresonhistoire.C’estimpudique,théâtraletédifiant.Sivous ne craignez pas d’être humilié, le monde est à vous. Trump devientl’incarnationdecetappétitdegloireetdenotoriété.Ilcommenceàcroirequ’ilcomprendtoutdesmédias–qui ilfautconnaître,quelrôleilfaut jouer,quelleinformationavaleurd’échange,quelsmensonges sontbons àdivulguer, quelsbonimentsattendent-ilsdevous.Etlesmédiascommencentàcroirequ’ilssaventtoutdeTrump– sa futilité, ses illusions, ses fanfaronnades, et lesprofondeursabyssalesjusqu’auxquellesilpeuts’abaisserpourattirerplusencorel’attentiondesjournalistes.

Graydon Carter utilise vite le New York Observer comme tremplin versVanityFair–où,croit-il,ildeviendralui-mêmepluscélèbreencorequeDonaldTrump.En1994,PeterKaplan, éditeur douéd’ungrand sensde l’ironie et del’ennuipost-moderne,succèdeàCarteràl’Observer.

SelonKaplan,lepersonnagedeTrumpn’estpluslemême.Avant,ilétaitlesymboledusuccèsetl’onsemoquaitdelui.Désormais,aprèslerefinancementd’ungrospaquetdedettes,ilestlesymboledel’échec,etonsemoquetoujoursdelui.CerenversementinéditneconcernepasseulementTrump,maisaussila

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presse.Trumpdevientlesymboledudégoûtqu’ontlesmédiaspoureux-mêmes.L’intérêtqu’ilsontmanifestépourlui,sapromotionenditlongsurlesmédias.Kaplanl’exprimeainsi:Trumpnedevraitplusfairel’objetd’articlescarchaquenouvelarticleleconcernantestdevenuuncliché.

UnaspectimportantduNewYorkObserverdeKaplanestquelemagazinedevient unmodèle pour une nouvelle génération de reporters, à l’heure où lejournalisme est de plus en plus soucieux de sa propre image. Pour toute laprofessiontravaillantàNewYork,écriresurTrumpestunehontejournalistique,s’enabstenirdevientunepositionmorale.

En 2006, Arthur Carter vend l’Observer qui n’a jamais fait de bénéfices.L’acheteurestlejeuneKushner,alorsâgéde25ans,unhéritierinconnuvenudusecteur immobilier qui veut prendre de l’envergure et devenir célèbre à NewYork.Kaplan, en poste depuis quinze ans, reste rédacteur en chef et devientl’employé d’un jeune homme de vingt-cinq ans son cadet, le genre d’arrivistedontilauraitaiméécrireleportrait.

PourKushner, être propriétaire de ce journal se révèle déterminant – avecune ironie dont il ne mesure pas l’ampleur – car cela le propulse dans unnouveau cercle social au sein duquel il rencontre la fille de Donald Trump,Ivanka,qu’ilépouseen2009.Maislemagazinen’estpasuneréussitefinancière,cequiagaceKushnerettendsesrelationsavecKaplan.Cederniercommenceàraconterdeshistoiresdrôlesetdévastatricessurlesprétentionsetl’inexpériencedesonnouveaupatron,histoiresquiserépandentparmisesnombreuxprotégésdanslesmédias,etdoncpartout.

En2009,KaplanquittelemagazineetKushnercommetalorslamêmefautequelaplupartdeshommesrichesayantachetéuntitredepresse:iltentedefairedesbénéficesen réduisant lescoûts.Trèsvite, lemondedesmédiasconsidèreKushnercommeceluiquiaretirélemagazinedesmainsdeKaplanetasignésaperteen ledirigeantde façonbrutaleet incompétente.En2013,Kaplanmeurtd’uncancerà59ans.

Lapresse se nourrit des histoires des gens, elle décidequi va connaître lagloire et qui va sombrer dans l’oubli, qui va vivre et qui vamourir. Si vous

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restez longtemps dans son viseur, votre destin n’est pas enviable – une loiqu’HillaryClintonn’apassucontourner.Lesmédiasontlederniermot.

Longtemps avant d’avoir brigué la présidence, Trump et Kushner ont étémarquésdusceaudel’ignominie,ontsubilalentetorturequesontleridiculeetledédain.Ilsontétél’objetdespersiflageslesplusdrôlesetsontdevenusmoinsquerien,lesdéchetsdelapresse.MonDieu!

Trump prend une décision intelligente. Il emporte avec lui sa tristeréputationconstruiteparlesmédiasdeNewYork,villehypercritique,ets’envaàHollywood, ville sans valeurs, où il devient le roi de sa propre émission detéléréalité,TheApprentice.Àcetteoccasion,ilfaitsienneunethéoriequivaleservirpendant la campagneélectorale : dans cette zonequegénéralement l’onsurvoleenavion,lecentredesÉtats-Unis,riennevautlacélébrité.Êtreconnu,c’estêtreaimé–oudumoinsflatté.

L’incroyable, l’incompréhensible ironie de l’histoire est que la familleTrump–endépitdetoutcequelesmédiassavent,comprennentetontracontéàsonsujet–estparvenueàunniveaudenotoriétéquiconfineàl’immortalité.Au-delà du pire cauchemar et de la blague cosmique. Dans ces circonstancesextravagantes, Trump et son gendre sont restés unis, toujours conscients etjamaissatisfaits,necomprenantpaspourquoiilsétaientl’objetdeblaguesetlacibledel’indignationdesmédias.

LefaitqueTrumpetsongendreaientbeaucoupencommunnesignifiepasqu’ils jouent dans la même catégorie. Quelle que soit sa proximité avec sonbeau-père,Kushnern’estquel’undesmembresdel’entouragedeTrump,etilnelecontrôlepasdavantagequelesautres.

Cette difficulté àmaîtriser son beau-père constitue l’un des arguments deKushner pour justifier d’être passé demembre de la famille à responsable dehaut niveau à la Maison Blanche : il veut cadrer le Président et même –déclarationculottéedelapartd’unjeunehommesansexpérience–luiinsufflerplusdegravité.

SiBannonveutporterenbandoulièrele«travelban»commesapremièreactionàlaMaisonBlanche,Kushnerveutmanifesterpourlapremièrefoisson

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leadership en organisant une rencontre du Président mexicain Enrique PeñaNietoavecsonbeau-père, lesecondayantmenacéet insultélepremiertoutaulongdelacampagne.

KushnerappelleKissinger,alorsâgéde93ans,pourluidemanderconseil.Une sollicitude qui flatte le vieux diplomate et qui permet aussi à Jared demontrerqu’ilestprochedesgrandshommes.MaisKissingerluioffresurtoutdevéritables conseils. Trump n’a jamais rien fait d’autre que de causer desproblèmesauPrésidentmexicain. Inviter cedernier à laMaisonBlanche– endépitdeBannondontlapositionn’apaschangéd’uniotadepuislacampagne–marqueraituneévolutionsignificativedontKushnerpourrait tireravantage.Cedernier conçoit ainsi son rôle : suivre son beau-père de près, clarifier sespositionsavecnuanceetsubtilité,voirelesreformulerentièrement.

Les négociations préparant la visite du Président mexicain – la premièred’unchefd’ÉtatétrangeràlaMaisonBlanchesousl’èreTrump–commencentdèslapériodedetransition.Kushneryvoitl’opportunitédeconvertirlaquestiondumur que Trump veut ériger entre les deux pays en un accord bilatéral surl’immigration.Untelrésultatseraituntourdeforce.Le27janvier,unesemaineaprès l’investiture, arrive une délégation mexicaine de haut rang, pour uneréunion de préparation avec Kushner et Priebus. Dans l’après-midi du mêmejour,Kushnerfaitsavoiràsonbeau-pèrequePeñaNietoestd’accordpourveniràWashingtonetquel’organisationdesavisitepeutcommencer.

Le lendemain, Trump tweete : « Les États-Unis enregistrent un déficitcommercialde60milliardsdedollarsavecleMexique.Ledealestiniquedepuisle début du NAFTA2… » Et il continue dans un second tweet : « Nousenregistrons des pertes considérables en jobs et en entreprises. SiLeMexiquen’estpasprêtàpayerpourcemurdontnousavonsgrandementbesoin,mieuxvaudraitannulerlavisiteprévue…»

C’est exactement ce que fait Peña Nieto, annihilant ainsi le travail denégociationsetdediplomatiedeKushner.

Levendredi3février,aucoursd’unpetit-déjeuneràl’hôtelFourSeasonsdeGeorgetown,l’épicentredumarigot,IvankaTrump,agitée,descendlesmarches

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et entredans la salle àmanger enparlant fort dans sonportable : «C’est unevraiepagailleetjenesaispascommentensortir…»

La semaine a été difficile avec les retombées continues du décret surl’immigration–lajusticeestsaisieetl’administrations’attendàunrejetbrutal–etdesfuitesembarrassantesdedeuxcoupsdefilprésidentielscensés,enthéorie,arrondirlesangles,l’unaveclePrésidentmexicain(«badhombres3»),l’autreavec le Premier ministre australien (« de loin ma pire conversationtéléphonique »). De surcroît, la veille, la chaîne américaine des magasinsNordstrom a annoncé qu’elle abandonnait la marque de vêtements IvankaTrump.

Lajeunefemme,âgéede35ans,a levisage inquietd’unebusinesswomanquiadûabruptementdéléguerlecontrôledesesaffaires.Elleaaussiétéunpeudépassée par l’obligation de déménager ses trois enfants dans une nouvellemaisonaucœurd’unenouvellevilleetavoirdûlefaireàpeuprèsseule.Quandquelqu’unademandéàJared,plusieurssemainesaprès leuremménagement,sises enfants s’étaientbienadaptés à leurnouvelle école, il a réponduoui,maissanspouvoirimmédiatementnommerl’écoleenquestion.

Ivanka,cependant,prendsesmarques.Lepetit-déjeunerauFourSeasonsestdevenuunrituel.Elles’yretrouveavecceuxquicomptent.Sontprésentsdanslerestaurantcematin-làNancyPelosi,chefdesreprésentantsdémocrates;StephenSchwarzman, PDG de Blackstone ; Vernon Jordan, grande figure deWashington,lobbyisteetconfidentd’HillaryClinton;WilburRoss,secrétaireauCommerce;JustinSmith,PDGdeBloombergMedia;etunetabledefemmeslobbyistes très influentes, dont Hilary Rosen, représentante de longue date del’industrie de la musique àWashington ; Juleanna Glover, conseillère d’ElonMusk dans la capitale ; Niki Christoff, directrice d’Uber, et Carol Melton,chargéedesaffairespolitiquesdeTimeWarner.

Si l’on oublie son père à la Maison Blanche et ses tirades en faveur dudrainagedumarigotdanslequelévoluentlaplupartdespersonnesprésentescematin-là,Ivankasetrouveàl’endroitoùelleatoujoursvouluêtre,auseind’ungroupedontellearêvédefairepartie.Suivantlestracesdesonpère,elleafaitde son nom et d’elle-même une marque multiproduits. Elle personnifie la

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transition entre un père businessman, golfeur et mâle dominant, et une jeunefemme d’affaires ambitieuse et mère de famille. Bien avant que l’on ait puprédire l’électionde sonpère, elleavaitdéjàvenduunprojetde livre,WomenWhoWork:RewritingtheRulesforSuccess(«Femmesautravail:lesnouvellesrèglesdusuccès»),pourunmilliondedollars.

Le parcours d’Ivanka démontre une discipline inattendue pour cette jeunefemmesatisfaitedesonsort,distraiteetmondaine.Àl’âgede21ans,ellejouedans un film réalisé par son boyfriend d’alors, Jamie Johnson, un héritier deJohnson & Johnson. C’est un film curieux, parfois déconcertant, dans lequelJohnsonconduitsabandedejeunesgensrichesàexprimerleursinsatisfactions,leur manque d’ambition, et à dénigrer leurs familles. Ivanka, dont la voixressembleàcelled’unegaminecalifornienne–quideviendraplustardunevoixde princesse Disney –, ne semble ni plus ambitieuse ni plus occupée que lesautres,maisautrementmoinsrebelle.

Aujourd’hui,elletraitesonpèreavecunpeudelégèreté,voired’ironie.Lorsd’une interview télévisée, elle s’est même moquée de sa coiffure. Elle en asouvent décrit les coulisses devant ses amis : undessusdu crâneparfaitementlisse–unesorted’îleconstituéeaprèsuneopérationducuirchevelu–entouréd’un cercle de cheveux couronnant les côtés et le front puis rassemblés sur lehautdelatêteetbalayésenarrièreavantqu’unboncoupdelaquepermettedetenirtoutenplace.Lacouleurvientd’unproduitnomméJustforMen,précise-t-elle malicieusement, qui fonce à mesure qu’on le laisse agir. C’est donc parimpatiencequeTrumparborecettecouleurblond-orange.

Pèreetfilles’entendentétrangementbien,leplussouvent.Elleestunevraiemini-Trump (un titre auquel bon nombre de personnes aspirentmaintenant) etacceptesonpèretelqu’ilest.Ellel’aaidénonseulementdanssesaffaires,maisaussi dans ses remaniements matrimoniaux en lui facilitant les entrées et lessorties.Sivotrepèreestunblaireauetquetoutlemondelesait,celapeutêtreassez drôle et transformer votre vie en une sorte de comédie romantique – oupas.

Ivankaauraitpu,avecraison,êtrebeaucoupplusrancunière.Nonseulementelle a grandi dans une famille dysfonctionnelle, mais celle-ci faisait les gros

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titres de la presse people.Cependant, la jeune fille a le don de transformer laréalitéetdechoisirdevivredansununiversoùlenomdeTrump,aussidécriésoit-il, est affectueusement accepté.Elle a grandi dans sa bulle de gens richesravis de leur entre-soi, d’abord dans des écoles privées parmi ses amis del’Upper East Side de Manhattan, puis en compagnie de personnes travaillantdanslamodeoulesmédias.Elleaaussitrouvéuneprotectionetunstatutdansles familles de ses fiancés, toutes riches et compatibles avec la sienne,notammentcelledeJamieJohnson,puiscelledesKushner.

La relation Ivanka-Jared est chaperonnée parWendiMurdoch, elle-mêmeparfait exemple d’opportunisme social. Elle fait partie de cette nouvellegénération qui transforme les femmesmondaines et fantasques en femmes depouvoir, inventant ainsi une haute société post-féministe. Toutes aspirent àconnaîtred’autresriches,lesmeilleursriches,àintégrerdesréseauxderiches,etàfaireensortequeleurnomévoque…larichesseelle-même.Onnesesatisfaitjamais de ce que l’on a, cependant. On en veut plus, ce qui exige d’êtreinfatigable. Vous êtes votre propre produit, vous vous lancez sur le marché.Vousêtesvotrestart-uppersonnelle.

Au fond, c’est ce que le père d’Ivanka a toujours fait.Vendre samarque,plusquedel’immobilier.

Kushneretelleformentuncoupledepouvoir,peaufinantconstammentleurimage pour devenir des personnages accomplis, ambitieux, satisfaits d’évoluerdans cenouveaumondeglobalisé, d’y incarner, enfin, unenouvelle sensibilitééconomique,philanthropiqueetartistique.PourIvanka,toutcecisupposed’êtrel’amiedeWendiMurdochetdeDashaZhukova–alorsl’épousedel’oligarquerusse Roman Abramovitch, un grand nom du monde de l’art. Quelques moisavantl’électionprésidentielle,IvankaaparticipéavecKushneràunséminairedeméditationDeepakChopra.Ellecherchaitunsensàsavie–etl’atrouvé.Cettetransformation s’exprime non seulement à travers ses lignes de vêtements,bijouxetchaussures,maisaussidansdesprojetsde téléréalitéetuneprésencecontrôléesurlesréseauxsociaux.Ellemaîtrisemagnifiquementsonrôledemèredefamilleetambitionne,avecl’électiondesonpère,deluidonnerunenouvelleenvergureensefaisantgrandeordonnatricedelafamilleroyale.

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Envérité, la relationd’Ivankaavec sonpèren’a riende conventionnel.Sielle n’est pas basée sur l’opportunisme, elle est certainement l’objet d’uneconvention tacite. C’est avant tout du business. Construire la marque. Lacampagne présidentielle, maintenant la Maison Blanche. Tout ceci est dubusiness.

MaisquepensentvraimentIvankaetJareddeleurpèreetbeau-père?«Ilya entre euxbeaucoupd’affection, beaucoup, beaucoup–on le voit, on le voitvraiment»,affirmeKellyanneConway,sansréellementrépondreàlaquestion.

«Ilsnesontpasidiots»,lanceRupertMurdochquandonl’interroge.« Ils le comprennent, j’en suis sûr, estime JoeScarborough. Ils apprécient

son énergie,mais ils sont aussi un peu détachés. »Ce qui veut dire, continueScarborough,qu’ilssontàlafoistolérantsetsansillusion.

Cevendredi-làauFourSeasons,Ivankaprendsonpetit-déjeuneravecDinaPowell,ladernièrehiérarquedeGoldmanSachsàrejoindrelaMaisonBlanche.

Danslesjoursquiontsuivil’élection,IvankaetJaredontrencontréungrandnombredejuristesetdespécialistesdesrelationspubliques.Laplupartd’entreeuxsontméfiantsàl’idéedes’engageraveceux,sansdouteparcequelecouplene semble chercher que les conseils qui leur conviennent. Presque toutes lesrecommandations qu’on leur prodigue tournent autour du même message :entourez-vous – familiarisez-vous – avec les gens les plus crédibles del’establishment.Autrementdit :vousêtesdesamateursetvousavezbesoindeprofessionnels.

Le nomqui revenait le plus souvent était celui deDina Powell. Cadre duParti républicain, elle a acquis une grande influence et un gros salaire chezGoldman Sachs. Elle est l’opposé d’une républicaine trumpiste. Sa famille aémigréd’Égypte quand elle était enfant, elle parle couramment l’arabe.Elle apris du galon en travaillant pour une série de républicains à l’ancienne, parmilesquels la sénatrice du Texas Kay Bailey Hutchison, et le président de laChambre des représentants, Dick Armey. Lorsque Bush était à la MaisonBlanche, elle est devenue chef du bureau du Président et secrétaire d’Étatadjointeàl’éducationetàlaculture.EntréechezGoldmanen2007,elleenest

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devenueassociéeen2010,toutenprenantlaresponsabilitédelaGoldmanSachsFoundation, l’organisationphilanthropiquede labanque.Commesouventdanslescarrièrespolitiques,sonréseauest impressionnantetelleestuneexcellenteconseillère en affaires publiques et en relations publiques. Elle connaît lesbonnespersonnesdanslescerclespuissants,etsaitavecacuitécommentutiliserlepouvoirdesautres.

Ce matin-là, au Four Seasons, la table des femmes lobbyistes et desprofessionnellesdelacommunicationesttoutautantintéresséeparPowelletsaprésence dans la nouvelle administration, que par la fille duPrésident.Le faitqu’Ivankaait contribuéà faire entrerPowell à laMaisonBlanche, et qu’on lavoie cematin converser avec elle donne une nouvelle dimension à son imagequi,jusque-là,n’avaitpourintérêtquesanouveauté.DansuneMaisonBlanchesemblant vouloir aveuglément poursuivre un chemin trumpien, on peut voirsoudain l’éventualitéd’une routealternative.Dans l’espritdecesobservatricesdu pouvoir se dessine uneMaisonBlanche de l’ombre, celle de la famille deTrump,quine touchepasauxstructuresdupouvoirmais sepassionnepour lepouvoirlui-même.

Aprèsce longpetit-déjeuner, Ivanka se frayeun chemin à travers la salle.Tout en donnant des instructions au téléphone d’un ton sec, elle lance dechaleureuses salutations aux tables alentour et empoche quelques cartes devisite.

1. SeanHannity est un commentateur de Fox News qui a soutenu les thèses et la candidature deTrump.

2. AcronymedeNorthAmericaFreeTradeAgreement,enfrançaisl’ALENA,pourAccorddelibre-échanged’AmériqueduNord,signéle1erjanvier1994entreleCanada,lesÉtats-UnisetleMexique.

3. Unmélanged’anglaisetd’espagnolsignifiant«mauvaishommes»,ou«salestypes».

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Àlamaison

Danslespremièressemainesdesonmandat,certainsamisdeTrumpjugentqu’ilnesecomportepasenprésident,ou,entoutcas,qu’ilnetientpascomptede son nouveau statut, ni nemodère son comportement, depuis ses tweets dumatin jusqu’à son refus d’utiliser des éléments de langage, en passant par lesappelsoù il s’apitoie sur lui-mêmeauprèsde ses amis,dont lesdétails filtrentdéjàdanslapresse.Iln’apasfaitlesautqued’autresontexécutéavantlui.Laplupart de ses prédécesseurs à la Maison Blanche étaient issus du mondepolitiqueetnepouvaient s’empêcherd’être intimidésetd’avoir consciencedufait que leurs nouvelles fonctions, qui leur donnaient soudain accès à unerésidencedotéed’unpersonneletd’uneprotectiondignesd’unpalace,unaviontoujours prêt à décoller et un entourage de courtisans et de conseillers,modifiaient radicalement leur existence. Pour Trump, tout cela n’est pas sidifférent de l’ancienne vie qu’il menait dans sa Trump Tower, bien plusspacieuse et à son goût que la Maison Blanche, avec ses domestiques, sesvigiles, ses courtisans et ses conseillers toujours présents, et un avion prêt àdécoller.Cequ’ad’exceptionnellafonctiondeprésidentn’estpas,pourlui,uneévidence.

D’autres au contraire estiment que Trump est totalement déstabilisé parcequesonpetitmondebienordonnéaétémissensdessusdessous.Decepointdevue,Trump, à 70 ans, est un hommed’habitudes à un degré que peu de gens

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sansuncontrôledespotiquedeleurenvironnementpeuventimaginer.Ilvitdanslesmêmeslieux,unvasteespacedanslaTrumpTower,depuislafindestravauxde construction en 1983. Tous les matins, il descend à son bureau, quelquesétages plus bas. Cette pièce d’angle est une capsule temporelle échappée desannées 1980, avecmiroirs dans leur cadre doré et couvertures jaunissantes deTimeaumur.L’uniquechangementsubstantielestleremplacementdelaphotodu footballeur JoeNamathparcelledeTomBrady,autre footballeur.Derrièreles portes de son bureau, où qu’il pose le regard, ce sont lesmêmes têtes, lesmêmes domestiques – serviteurs, vigiles, courtisans, béni-oui-oui – qui sontdepuistoujoursàsonservice.

«Imaginez-vousàquelpoint ilestperturbantdechangervotreviedetouslesjourspourvousretrouveràlaMaisonBlanche»,s’exclameunvieilamideTrump,ensouriantdececoupdusort,oudesemonce.

Trump considère la Maison Blanche, ce vieux bâtiment irrégulièremententretenuetpartiellementrénovécommeunedemeurefâcheuseetmêmeunpeueffrayante (sansparlerdescafardsetdes rongeurs).Desamisquiadmirentsestalentsd’hôtelier sedemandentpourquoi il ne restaurepas toutbonnement leslieux,mais il semble intimidépar les regardsà l’affûtde sesmoindres faitsetgestes.

Kellyanne Conway, dont la famille est restée dans le New Jersey et quiprévoit de rentrer chez elle à chaque retour du Président à Manhattan, estsurprisedevoirNewYorketlaTrumpTowerbrusquementbarrésdansl’agendade sonpatron.Ellepenseque leprésident éluest conscientde l’hostiliténew-yorkaise à son égard et qu’il fait en outre un effort délibéré pour « s’intégrerdans cette grande maison ». Reconnaissant les difficultés inhérentes à sonadaptationàsonnouveaumodedevie,ellesedemande:«Combiendefoisira-t-ilàCampDavid?»– le lieudevillégiatureprésidentielle,spartiate,aufonddesboisduCatoctinMountainPark,dansleMaryland.«Sansdoutejamais.»

ÀlaMaisonBlanche,Trumps’estrepliédanssachambre–c’estlapremièrefoisdepuislesKennedyqu’uncoupleprésidentielfaitchambreàpart(mêmesi,jusqu’ici,Melania apassépeude temps àWashington).Lespremiers jours, ilcommandedeuxtéléviseurssupplémentairesetfaitposerunverrousursaporte,

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cequiprovoqueunbrefconflitaveclesagentsdesservicessecretsquiinsistentpour avoir accès à sa chambre. Il réprimande le personnel de maison qui aramassé sa chemise : « Si ma chemise est par terre, c’est parce que je veuxqu’ellesoitpar terre!»Puis il instaureunensembledenouvellesrègles :quepersonnene toucheàrien,surtoutpasàsabrosseàdents. (Ilapeurdepuisdelonguesannéesd’êtreempoisonné,c’estl’unedesraisonspourlesquellesilaimealler chez McDonald’s – personne ne sait qu’il va venir et la nourriture estpréparéeàl’avance,doncsansrisque.)Ilfaitaussisavoiraupersonnelquandildésirechangersesdrapsendéfaisantsonlitlui-même.

S’il ne dîne pas à 18 h 30 avec Steve Bannon, ce qu’il préfère est de semettreaulitàlamêmeheureavecuncheeseburger,deregardersestroisécransetd’appelersesamis.Letéléphoneestsonvéritablemoyendecommunicationaveclemonde.Leplussouvent,ilappelleTomBarrack,témoinprivilégiédesessautesd’humeurvespérales.

Mais,aprèscesdébutsdifficiles,leschosescommencentàprendreforme–voire,seloncertains,àprendreunetournureprésidentielle.Lemardi31janvier,lors d’une cérémonie bien huilée à une heure de grande écoute, un présidentTrump remonté et confiant annonce la nomination à laCour suprême du jugefédéralàlacourd’appelNeilGorsuch.Cethommeest laparfaitecombinaisond’une réputation conservatrice impeccable, d’une admirable probité etd’excellentes références juridico-légales.Cette nomination n’est pas seulementfidèle à la promesse que Trump a faite à ses électeurs et à l’establishmentconservateur,elleestapparemmentaussiunchoixtoutàfaitprésidentiel.

Elle constitue également une victoire pour une équipe qui a vu Trumplonguementhésitersurl’attributiondecejobenor.Ravidel’accueilfaitàcettenomination, et surtout du peu d’objections que les médias ont pu y trouver,TrumpvavitedevenirunfandeGorsuch.Maisavantdesedéciderensafaveur,ils’estdemandés’ilnedevraitpasoffrirceposteàundesesfidèles.Del’avisdeTrump, il est peu rentable d’accorder une telle faveur à quelqu’unqu’il neconnaîtmêmepas.

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Iladoncpasséenrevuelalistedesesamisavocats–deschoiximprobablessinon bizarres, tous novices en politique. Parmi eux, Trump est sans cesserevenusurunnom:RudyGiuliani.

TrumpestredevableàGiuliani–nonqu’ilsoitobsédéparsesdettes,maiscellequ’ilaenversluimérited’êtrehonorée.Aminew-yorkaisdelonguedate,Giuliani lui a offert un soutien constant, ardent et combatif alors que peu deRépublicains, et aucun de stature nationale, le prenaient au sérieux. Ce futparticulièrementvraidurantlesjournéeséprouvantesquiontsuivilePussygate.Toutlemonde–Bannon,Conway,lecandidatlui-mêmeetsespropresenfants–pensait alors que la campagne allait imploser, mais Giuliani n’a cessé dedéfendreTrump,avecenthousiasmeetsansscrupules.

Giuliani voudrait être secrétaire d’État, et Trump lui propose le poste demanièreexplicite.LecercleduPrésidentestopposéàcetteidée,pourlaraisonmêmequipousselePrésidentànommerGiuliani:c’estunhommequial’oreillede Trump et ne se laisse pas faire. L’équipemédit sur la santé et la stabilitémentaledel’ancienmairedeNewYork.MêmesapugnacitédanslePussygatefinitparluiporterpréjudice.IlsevoitproposerlespostesdeProcureurgénéral,de conseiller à la sécurité nationale et de directeur national du renseignement,mais il les décline tous, avec pour seule ambition d’accéder au Départementd’État.OuàlaCoursuprême–signeultimedeprésomption,selonl’état-majorde laMaisonBlanche.OnfaitvaloiràTrumpqu’ilnepeutnommerà laCourquelqu’un d’ouvertement favorable à l’avortement sans fragmenter sa base etrisquerladéfaite.TrumpsuggèrealorsdeluidonnerleDépartementd’État.

Quand cette stratégie échoue – c’est Rex Tillerson qui obtient le poste –,l’affairen’estpasclosepourautant.Trumpn’apasrenoncéàl’idéedenommerGiuliani à la Cour suprême. Le 8 février, lors du processus de confirmation,Gorsuch désavoue publiquement Trump qu’il accuse de vouloir discréditer laCour. Ce dernier, dans un moment d’énervement, décide d’annuler lanominationdeGorsuchet,aucoursdesesconversationstéléphoniquesd’après-dîner, il recommence à dire qu’il aurait dû placerRudy. Lui seul est loyal. IlrevientdoncàBannonetàPriebusde lui rappeler,et lui répéter indéfiniment,que l’undes raresgrandsmomentsde sa campagne, sameilleureopérationde

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séductionauprèsdesconservateurs,aété lapromessedeproposerà laSociétéfédéraliste1lacréationd’unelistedecandidatsàlaCoursuprême.Cequ’ellefitet,inutiledeledire,Giulianin’yfiguraitpas.

Gorsuchest lasolution.EtbientôtTrumpnesesouviendraplusd’avoirunjourvoulunommeràceposteunautrequelui.

Le3février, laMaisonBlancheaccueillelaréunionsavammentorchestréede l’une des nouvelles instances de conseil à l’usage du président, le Forumstratégique et politique. Il s’agit d’un groupe de PDG et d’hommes d’affairesimportants rassemblés par le patron de Blackstone, Stephen Schwarzman. Lapréparation de la rencontre – programme, invitations, présentations etdocuments–estl’œuvredeSchwarzmanplusquedelaMaisonBlanche.C’estlegenred’événementqueTrumpgèrebienetaffectionne.KellyanneConway,quand elle y fait référence, entonne son habituelle complainte : ce type deréunion–Trumpassisavecdesgenssérieuxautourd’unetablepourtrouverdessolutionsauxproblèmesdelanation–n’intéressepaslesmédias.

Ces groupes de conseil venus du monde des affaires sont le fruit d’unestratégie signée Jared Kushner. Cette approche éclairée des dirigeantsd’entreprises et des financiers éloigneTrump d’une droite trop rétrograde.Deplusenplusméprisant,BannonprétendquecesréunionsontpourseulobjectifdepermettreàKushnerdecôtoyerdesPDG.

SchwarzmanestlerefletdecetattraitsubitetsurprenantdeWallStreetetdumonde des affaires pour Trump. Peu de grands patrons l’ont publiquementsoutenu. La plupart d’entre eux attendaient la victoire de son adversaire etrecrutaientdéjàdeséquipesdepolitiquepubliqueprochedesClinton,tandisquelesmédiasprédisaientqu’unevictoiredeTrumpallaitprovoquerunechutedesmarchés.Puis,dujouraulendemain,l’atmosphères’estréchauffée.UneMaisonBlanche ultralibérale et la promesse d’une réforme fiscale l’ont emporté surl’éventuelleconséquencedetweetsperturbateursetlacrainteduchaostrumpien.D’ailleurs, le marché est à la hausse depuis le 9 novembre, lendemain del’élection.Mieux,aprèsleurentrevueavecTrump,lespatronssententdesondespositives dans ses flatteries et ses effusions, et expriment un soudain

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soulagement de ne pas avoir à subir les incessants chantages du clan Clinton(quepouvez-vousfairepournousaujourd’hui?Pouvons-nousnousutiliservotreplan?).

Cependant,cetengouementdesdirigeantsàl’égarddeTrumps’accompagned’uneinquiétudegrandissanteconcernantlesconsommateurs.LamarqueTrumpest peut-être devenue la plus célèbre dumonde,mais elle n’est pas unnouvelApple, elle est son exact opposé. Elle fait l’objet d’un dédain universel (dumoinsauprèsdesclientsquelesplusgrandesmarquescherchentàséduire).

D’oùlasurprisedesemployésd’Uber,dontlePDGd’alors,TravisKalanick,a intégré leconseildeSchwarzman,endécouvrant lematinde l’investituredeTrump des manifestants enchaînés aux portes de leur siège social à SanFrancisco. Ils reprochent àUber et à son PDG d’être des « collabos », de selaisser influencer par le Président. Les clients d’Uber sont majoritairementjeunes, urbains et progressistes, rien à voir avec le socle électoral de Trump.Cette génération sensible aux marques a vu au-delà du simple marchandagepolitiqueun conflit identitaire.Pour elle, le problèmeavec laMaisonBlancherétrogradeet impopulairedeTrumpestmoinsd’ordrepolitiqueetéconomiquequeculturel.

Kalanickdémissionneduconseil.LepatrondeDisney,Bob Iger, sèche lapremière réuniondu forum.LamajoritédesmembresduConseil –mis àpartElonMusk, qui donnera sa démission plus tard – n’appartient pas au mondedémocratedesmédiasoudesnouvellestechnologies,maisàlavieillegarde,dutemps de la « grandeur de l’Amérique ». Il s’agit deMaryT.Barra, PDG deGeneralMotors;GinniRomettyàlatêted’IBM;JackWelch,ancienpatrondeGeneralElectric;JimMcNerneyl’ex-PDGdeBoeing;etIndraNooyi,patronnedePepsiCo.SilanouvelledroiteaéluTrump,cedernierluipréfèrelesséniorsdupalmarèsdumagazineFortune.

Trump assiste à la réunion avec sa suite au grand complet, et notammentceuxquil’accompagnentpartout:Bannon,Priebus,Kushner,StephenMilleretleprésidentduConseiléconomiquenational,GaryCohn.Maisillaprésideseul.Chacune des personnes présentes parle cinqminutes d’un sujet de son choix,puisTrump lui pose des questions complémentaires.Bienqu’il ne semble pas

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avoirtravaillélesthèmesendiscussion,ilfaitdesremarquespertinentes,creusecertainspointsquil’intéressentettransformelaréunionenunéchangeconvivial.Selonl’undespatronsparticipants,cetteformulesemblelemoded’informationpréférédeTrump.Ilparledecequil’intéresseetamènelesautresàendiscuteraveclui.

Laréunionduredeuxheures.DupointdevuedelaMaisonBlanche,c’estduTrumpaumeilleurdesaforme.Ilestàl’aiseaumilieudegensqu’ilrespecte,«lesplusrespectésdupays»,dit-il.EteuxaussisemblentrespecterTrump.

CréerdessituationsdanslesquelleslePrésidentsesentbien,constituerunesortedebulleafindeleprotégerdesmesquineriesdumondeextérieur,voicilanouvelle priorité de son équipe. Ainsi ses proches cherchent-ils à reproduireminutieusement la formule suivante :Trumpdans leBureauovaleoudansungrand salon de réception de la West Wing présidant une réunion devant unauditoireattentif.Voilàquiferaitunebellephoto.Danscesoccasions,Trumpestlemeilleurmetteurenscènedelui-même,faisantentreretsortiravecà-proposlesfigurantsautourdelui.

Lesmédiassemontrentprudentspournepasdiresélectifs,quandils’agitdemontrerlavieàlaMaisonBlanche.Habituellement,lePrésidentetlaPremièrefamillenesontpas,ou trèspeu,exposésà la traquedespaparazzi,auxphotospeuflatteusesvoiregênantesoumoqueuses,ouauxspéculationsinfiniessurleurvie privée dans les magazines people. Même durant les pires scandales del’histoire, les présidents restent dignement en costume-cravate. Les parodiespolitiquesduSaturdayNightLive2sontdrôlesenpartieparcequ’ellesjouentsurla certitude qu’en réalité, les présidents sont des personnes réservées etconformistes, et leurs familles, non loin derrière, transparentes et dociles. LablaguesurNixon,c’estqu’ilétaitpathétiquementcoincé–mêmeàl’apogéeduWatergate,alorsqu’ilbuvaitbeaucoup, il restait encostume-cravateetpriait àgenoux.GeraldFords’estcontentédetrébucheràsadescented’AirForceOne,déclenchantl’hilaritégénéraleparcettepertedel’équilibreprotocolaire.RonaldReagan, souffrant pourtant des premiers effets de la maladie d’Alzheimer, atoujours sudonnerune impressiondecalmeetdeconfiance.BillClinton, aux

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prisesaveclaplusgrandeviolationdelabienséanceprésidentielledel’histoiremoderne, est quandmême toujours représenté commeun hommemaître de lasituation.GeorgeW.Bush,malgrétoutsondésengagement,était théâtralementaccrochéauxmanettesdupouvoir.BarackObama,peut-êtreàsesdépens,étaitconstamment décrit comme prévenant, équilibré, déterminé. C’est en partie lebénéficed’uncontrôle totalde l’imagepublique.Maisc’estaussiparceque lePrésidentestperçucommelechefultime–ouparcequelemythenationalexigequ’illesoit.

Telest le typed’imagequeDonaldTrumpacherchéàprojeterpendant laplusgrandepartiedesacarrière.L’idéaldel’hommed’affairesdesannées1950.Il aspire à ressembler à son père – ou, à tout lemoins, à ne pas le décevoir.Hormisquandilestentenuedegolf,onadumalàl’imaginersanssoncostume-cravate,parcequ’ilneporteriend’autre.Ladignitépersonnelle–c’est-à-direladroitureetlarespectabilité–estl’unedesesobsessions.Ilestmalàl’aisequandles hommes de son entourage ne sont pas vêtus de complets. Avant qu’ildevienneprésident,quasimenttousceuxquinesontnicélèbresnimilliardairesl’appelaient«Mr.Trump»:laraideuretlaconventionsontunélémentcentralde sa personnalité. L’image, loin de toute désinvolture, nous informe que lamarqueTrumpdéfendlepouvoir,lafortuneetlaréussite.

Le 5 février, leNew York Times publie une anecdote interne à laMaisonBlanche selon laquelle le Président, quinze jours après son intronisation,déambulait en peignoir de bain aux petites heures du matin, incapabled’actionnerlesinterrupteursélectriques.Trumpesteffondré.C’est,lePrésidentn’a pas tort de le souligner, une manière de le décrire en train de craquer, àl’instardeNormaDesmonddansSunsetBoulevard,unestarvieillissantevivantdans un monde imaginaire. (Cette interprétation de Bannon de l’histoire deTrumpdans leTimes est vite adoptée par toute laMaisonBlanche.)Bien sûr,unefoisencore,l’articleestperçucommeunemanipulationdesmédias:Trumpesttraitécommejamaisaucunautreprésidentnel’aété.

Ce n’est pas faux. LeNew York Times, dans ses efforts pour couvrir uneprésidence qu’il considère ouvertement aberrante, a ajouté à sa rubrique de laMaison Blanche une nouvelle forme de reportage. À côté des annonces

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marquantes de la présidence – séparant le trivial de l’important –, le journalsouligne également, souvent en première page, le sentiment de l’absurde, dupathétiqueetde l’«humain trophumain»qu’inspireTrump.Cesanecdotes letournent en ridicule.Deuxdes journalistes duNewYorkTimes accrédités à laMaison Blanche, Maggie Haberman et Glenn Thrush, sont pour Trump lespreuvesvivantesquelesmédiasveulentàtoutprix«l’avoir».Thrushvamêmedevenir un habitué des sketches du Saturday Night Live qui caricaturent lePrésident, ses enfants, son attaché de presse Sean Spicer et ses conseillersBannonetConway.

LePrésident,bienquevolontiersaffabulateurdanssaconceptiondumonde,prend très au sérieux lamanière dont il se voit lui-même. Il réfute donc cetteimage de type àmoitié dingue déambulant la nuit dans laMaisonBlanche enprécisantqu’ilnepossèdepasdepeignoirdebain.

« Est-ce que j’ai l’air d’un gars à porter un peignoir de bain, vraiment ?demande-t-ilsanshumouràpresquetouteslespersonnescroiséeslesquarante-huitheuressuivantes.Sérieusement,vousmevoyezenpeignoir?»

D’oùvientlafuite?PourTrump,lesdétailsdesaviepersonnelledeviennentune bien plus grande source de préoccupation que tous les autres types derévélations.

LebureaudeWashingtonduNewYorkTimes, inquiet d’être pris en fauteparlapossibleabsenced’unvraipeignoir,faitsavoirdiscrètementqueBannonestàl’originedelafuite.

SteveBannon,quisevanted’êtreunetombe,estdevenulavoixofficielledusilence, la « Gorge profonde » de la capitale. Il est spirituel, passionné, bonconteur et bouillonnant, sa discrétion théorique cède toujours le pas aucommentaire officieux dénonçant la prétention, le ridicule et le désespérantmanquedesérieuxdepresquetouslesmembresdelaWestWing–exceptélui.Dès la seconde semaine de la présidence Trump, tout le monde à la MaisonBlanchedressesalistedepossiblestaupesetfaitdesonmieuxpourfuiteravantdefairel’objetd’unefuite.

Maisune autre sourcede fuite sur les angoissesdeTrumpn’est autrequeTrumplui-même.Danslajournéeetlesoirdepuissonlit,ilappellesouventdes

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gens qui n’ont aucune raison de rester discrets. Il se plaint continûment – ycomprisdudépotoirqu’estlaMaisonBlanche,pourpeuqu’onyregardedeprès.Et beaucoup de ses interlocuteurs se dépêchent de colporter ses doléances àtraverslemondeattentifetimpitoyabledesragots.

Le 6 février, Trump passe un de ses appels téléphoniques furieux,complaisantsetimpulsifs,sansprésomptiondeconfidentialité,àunerelationdesmédias new-yorkais de passage à Washington. L’appel a pour seul motifd’exprimer son énervement vis-à-vis du mépris implacable des médias à sonendroitetdeladéloyautédesonétat-major.

L’objet initial de son courroux est le New York Times et sa journalisteMaggieHabermanqu’ilsurnomme«latarée».PuisilévoqueGailCollins,duTimes, qui a écrit un papier le comparant défavorablement au vice-présidentPence :c’est«uneabrutie».Ensuite,poursuivantdans lamêmeveine, ils’enprendàCNNetàlaprofondedéloyautédesonpatron,JeffZucker.Cedernier,qui,à la têtedeNBC,avaitcommandéTheApprentice, estun type« crééparTrump»,auxdiresduPrésident,parlantdelui-mêmeàlatroisièmepersonne.Ila«personnellement»aidéZuckeràobtenirsonposteàCNN.«Oui,oui,jel’aiaidé»,martèleTrump.

Puis il répète une histoire qu’il raconte à tous demanière obsessionnelle.Assistant à un dîner, il ne se souvient plus quand, il est assis à côté d’un«monsieurappeléKent»–sansaucundoutePhilKent,ancienPDGdeTurnerBroadcasting,lafilialedelaTimeWarnerquichapeauteCNN–«etcelui-ciaunelistedequatrenoms».Trumpn’ajamaisentenduparlerdetroisd’entreeux,maisilconnaîtJeffZuckergrâceàTheApprentice.«Zuckerestlequatrièmesurlaliste,alorsjeluiaiproposédelemettreàlapremièreplace.Jen’auraissansdoutepasdû,parcequeZuckern’estpassimalinqueça,mais j’aimemontrerque jepeuxfairecegenrede truc.»MaisZucker,«un incompétentquia faitchuterl’audimat»,faitvolte-faceaprèsavoirobtenuleposte«grâceàTrump».Il aurait déclaré : « Enfin, c’était incroyablement dégoûtant ! » au sujet du«dossier»russeetdel’histoiredelagoldenshower–lamanieàlaquelleCNN

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aaccuséTrumpdes’adonnerdanslasuited’unpalacemoscoviteencompagniedeplusieursprostituées.

AprèsavoirréglésoncompteàZucker,leprésidentdesÉtats-Unispoursuiten spéculant sur les implications de cette histoire de golden shower, élémentd’une campagne médiatique qui ne réussira jamais à l’écarter de la MaisonBlanche.Parcequ’ilssontdemauvaisperdantsetqu’ilslehaïssentàcausedesavictoire, lesmédias répandent de grossiersmensonges, des choses inventées à100%,sansfondements.Parexemple,lacouverturedeTimedecettesemaine-làmontre Steve Bannon, un type bien, disant que c’était lui le vrai président.«D’aprèsvous,quelle influenceSteveBannona surmoi ?»Trump répète laquestionavantderépondre:«Zéro!Zéro!»Etcelavautaussipoursongendre,quiabeaucoupàapprendre.

Nonseulementlesmédias luiportentpréjudice,continue-t-il, sansattendreuneapprobationnimêmeune réponse,mais en faisantdu tort à ses talentsdenégociateur, ils font du tort à la nation américaine. Cela vaut aussi pour leSaturdayNightLive,quipeutsecroiretrèsdrôlemaisestenréalitéblessantpourtous leshabitantsdupays.Etmêmes’ilcomprendque leSNL est làpourêtreméchantavec lui, ilssont très, trèsméchants.C’estune«faussecomédie». Ils’estinformésurletraitementmédiatiquedetouslesautresprésidents,etiln’yajamaisrieneudepareil,mêmepourNixonqui,pourtant,aététrèsinjustementtraité. « Kellyanne, qui est impartiale, a consigné tout cela. Vous pouvezvérifier.»

L’important,poursuit-il,c’estque,lemêmejour,ilasauvé700millionsdedollars par an en emplois qui devaient partir au Mexique, mais les médiaspréfèrentledécrireenpeignoir,alorsque«jen’enpossèdepasparcequejen’aijamaisportédepeignoir.Et jen’enporterai jamaisparcequejenesuispascegenre de type ». Les médias sabotent son honorable maison. Mais Murdoch,«quinel’ajamaisappelé,pasmêmeunefois»,luitéléphonemaintenantsansarrêt.Celaveutbiendirequelquechose!

L’appelauradurévingt-sixminutes.

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1. Groupe de juristes conservateurs et libertariens partisans d’une interprétation littérale de laConstitutionaméricaine.

2. ÉmissiondedivertissementàsketcheshebdomadairediffuséelesamedisoirsurNBC.

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7

LaRussie

Avantmêmequequoiquecesoitl’incrimine,onsoupçonneSallyYates.LerapportdetransitionrévèlequeTrumpn’aimepascetteavocatedudépartementde la Justice, âgée de 56 ans, originaire d’Atlanta, qui a fait carrière àl’universitépubliquedeGéorgie.ElleestproposéeaupostedeProcureurgénéralsuppléant.QuelquechoseenellerappelleObama.Samanièredemarcheretdesetenir.Unairdesupériorité.C’estletypedefemmeàprendreimmédiatementTrumpàrebrousse-poil.Lessupportricesd’Obama,cellesdeHillaryaussi,toutcommecellesdudépartementdelaJusticepartagentcedédain.

Une ligne de partage majeure sépare Trump des fonctionnaires dugouvernement. Le Président peut comprendre les politiques, mais il a dumalavec les bureaucrates, leur psychologie, leurs aspirations. Il ne parvient pas àsaisir cequi lesmotive.Pourquoiveulent-ils, quivoudrait être fonctionnaire àvie ? « Ils touchent quoi au max ? Deux cent mille dollars ? Eh ben… »s’exclame-t-ilavecuneexpressionunpeuétonnée.

SallyYates aurait pu être « oubliée » pour le poste de Procureur généralsuppléant–elleseraitrestéeàsaplacependantqueleProcureurgénéraldésigné,JeffSessions,attendaitsaconfirmation–,maiscenefutpaslecas,etTrumpenestfurieux.Dorénavant,elleestlasuppléanteenexerciceetelleaétéconfirméepar le Sénat, comme ce poste l’exige.Même si elle se considère comme uneprisonnièreenterritoireennemi,Yatesaacceptécettefonction.

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Étant donné le contexte, la curieuse note qu’elle présente au conseillerjuridiquedelaMaisonBlanche,DonMcGahn,pendantlapremièresemainedegouvernement (avantson refus,durant ladeuxièmesemaine,d’appliquer la loisur l’immigration, ce qui mènera à son renvoi) semble non seulementinopportunemaissuspecte.

Leconseilleràlasécuriténationalenouvellementconfirmé,MichaelFlynn,balaye d’un revers de main les articles duWashington Post mentionnant uneconversationavecl’ambassadeurrusseSergueïKisliak.C’étaitunesimplevisitedecourtoisie,explique-t-il.Ilassureàl’équipedetransition–parmilesquels,levice-président éluMike Pence – que les sanctions de l’administration Obamacontre lesRusses n’ont pas été abordées durant la discussion, une affirmationquePenceréitèreenpublic.

SallyYatesinformealorslaMaisonBlanchequelaconversationentreFlynnetKisliakaétécaptéeaumilieud’une«collectealéatoire»d’écoutes légales.Autrementdit,unemisesurécoutedel’ambassadeurdeRussieaprobablementété autorisée par la cour de surveillance du renseignement étranger et,incidemment,aenregistréFlynn.

Cette cour a été médiatisée par le passé, quand les révélations d’EdwardSnowden en ont fait la bête noire des démocrates qui s’insurgaient contre cesincursions dans la vie privée. Voilà qu’elle revient sur le devant de la scènemais, cette fois-ci, comme l’ami des démocrates qui espérent se servir de cesécoutes«aléatoires»pour impliquer lecampdeTrumpdansuneconspirationdegrandeampleuraveclaRussie.

Très vite,McGahn, Priebus et Bannon, qui avaient déjà des doutes sur lafiabilitéetlediscernementdeFlynn–un«raté»,selonBannon–,discutentdumessage de Yates. Flynn est de nouveau interrogé sur sa conversation avecKisliak;onl’informeaussiqu’ilenexistepeut-êtreunenregistrement.Unefoisdeplus,Flynnsemoquedecesinsinuations.

À laMaisonBlanche, on ridiculise les cancansdeYates, « comme si elleavait découvert que le mari de sa copine flirtait avec une autre et que, parprincipe,elledevaitledénoncer».

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Le plus inquiétant pour laMaisonBlanche, c’est la facilité avec laquelle,dansunecollectealéatoireoùlesnomsdescitoyensaméricainssontcensésêtre« masqués » – et où des procédures complexes sont requises pour les«démasquer»–YatesasuprendreFlynnlamaindanslesac.SanotesembleconfirmerquelafuiteauWashingtonPostsurcesécoutesprovientduFBI,dudépartementdelaJusticeoudesourcesissuesdelaMaisonBlanched’Obama.Le flot grandissant de fuites se déverse au Times et au Post, destinatairespréférésdestaupes.

La Maison Blanche finit par minimiser le problème Flynn, mais pas ledossierdeYates,quipourraitdevenirunemenace.LedépartementdelaJustice,avec ses nombreux fonctionnaires dévoués à Obama, écoute donc l’équipeTrump.

«Cen’estpasjuste,ditKellyanneConway,enexprimantleressentimentduPrésident, assisedans sonbureaudupremier étagepas encore aménagé.C’estmanifestementinjuste,c’esttrèsinjuste.Ilsontperdu,ilsn’ontpasgagné.C’estsiinjuste!C’estpourquoiPOTUS1refused’enparler.»

À la Maison Blanche, personne, pas même ceux dont c’est le rôle, nesouhaite parler de laRussie. Le sujet, à l’évidence, va embourber la premièreannée,aumoins,del’administrationTrump.Personnen’estprêtàyfaireface.

«Iln’yaaucuneraisond’enparler,déclareSeanSpicer,installésurledivandesonbureau, lesbrascroisés. Iln’yaaucuneraisond’enparler», répéte-t-ilobstinément.

Pour sa part, le Président n’a pas employé, bien qu’il aurait pu, le mot« kafkaïen ». Il considère l’affaire russe comme absurde et inexplicable, sansaucunfondement.Ilssesontbienfaitavoir.

Après avoir survécu au Pussygate pendant la campagne électorale, contretoute attente pour le premier cercle de Trump, l’équipe du Président doitmaintenantaffronterledossierrusse.Comparéaupremier,c’estlescandaledeladernière chance.Mais ce qui semble injuste, c’est que la question reste sur letapisetque,demanièreincompréhensible, l’opinionlaprendausérieux.Alorsqu’aumieux,cen’est…rien.

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Cesontlesmédias.LaMaisonBlanches’accoutumerapidementdesscandalesfomentésparles

médias,maissesoccupantssesonthabitués,aussi,àlesvoirdésenfler.Celui-cidure,etc’estfrustrant.

Del’avisducercledeTrump,s’ilyaunseulcommencementdepreuve,passeulement de la partialité des médias, mais de leur intention de nuire auPrésident, c’est ça, l’affaire de la Russie, ce que leWashington Post appelle« l’attaque russe contre notre système politique ». (« Si terriblement,terriblement injuste, sans preuve d’un seul vote truqué », selon KellyanneConway.)C’estinsidieux.Poureux,mêmes’ilsneledisentpas,cetteaffaireestcomparable aux obscures manigances contre les Clinton, que les républicainsaimaientmettresurledosdesdémocrates–Whitewater,Benghazi,lescandaledese-mails2.Soitunscénarioobsessionnelprovoquantdesenquêtes,quimènentà leur tour à d’autres enquêtes et à une couverture médiatique plusobsessionnelle encore à laquelle il n’y a pas moyen d’échapper. C’est lapolitiquemoderne:desconspirationssanglantesvisantàdétruiredeshommesetdescarrières.

Quand la comparaison avec le scandale du Whitewater est mentionnéedevantConway,celle-ci,aulieud’approuverlathèsedelapersécution,évoqueaussitotdesélémentsimpliquantWebsterHubbell,unpersonnagesouventoubliéde l’affaire Whitewater, et la culpabilité du cabinet d’avocats Rose del’Arkansas,dontHillaryClintonaétél’associée.Chacuncrieaucomplotquandsonproprecampestaccusé,tandisquechacuncroitbienréellel’accusationquitouchelecampadverse.

Quant à Bannon, qui a lui-même ourdi moult conspirations, il désamorcel’affaire russe avec des phrases toutes faites : « C’est juste une théorie ducomplot.L’équipeTrumpestincapabledeconspirercontrequoiquesoit.»

Dans le dossier russe – quinze jours seulement après le début de laprésidence–,chaquebordaccusel’autredediffuserdesfakenews.

ToutelaMaisonBlanchecroitquel’histoireaétécousuedefilblancautourd’une thèse ridicule : Nous avons truqué les élections avec l’aide des Russes,

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OMG3!Lasphèreanti-Trump,etsurtoutsesmédias–c’est-à-dire,lesmédias–,est persuadée qu’il existe une haute, sinon écrasante probabilité qu’il y aitquelquechosedesignificatiflà-dedans,etdeschancesraisonnablesd’entirerlesconséquences.

Lesmédiasbien-pensantsvoientcedossiercommeleSaint-Graaloulaballed’argent4quidétruiraitTrump,tandisquelaMaisonBlanchel’appréhendeaveccomplaisancecommeuneffortdésespérépourprovoquerun scandale.Chacunpeuttirersonépingledujeu.

Les démocrates du Congrès ont tout à gagner en affirmant, comme pourBenghazi,qu’iln’yapasdefuméesansfeu(mêmes’ilssoufflentactivementsurlesbraises).Ilsseserventdesenquêtespourpromouvoirleuropinionminoritaire–etparlamêmeoccasion,s’auto-promouvoir.

PourlesrépublicainsduCongrès,cesenquêtessontunecarteàjouercontrela rancune et l’imprévisibilité de Trump. Le défendre – ou en donnerl’impression et, en réalité, peut-être le poursuivre en justice – offre auxrépublicainsdenouveauxleviersdansleursrapportsaveclui.

La communauté du renseignement – avec sa myriade de fiefs, tous aussiméfiants à l’égarddeTrumpqueden’importe quel autre nouveauprésident –peututiliseràvolontélamenacedefuitesaugoutteàgouttepourpréserversespropresintérêts.

LeFBIetledépartementdelaJusticevontexaminerlespreuves,maisaussil’opportunitéd’unetelleaffairesurleurcarrière.(«LedépartementdelaJusticeestpleinàcraquerdeprocureurescommeYatesquidétestentTrump»,aconfiéun conseiller de Trump, avec une vision curieusement machiste des défis àvenir.)

Si lapolitiquepermetde tester la force, laperspicacité et le sang-froiddesonadversaire,alorscedossier,indépendammentdesfaitsobjectifs,présentedespièges dans lesquels beaucoup de gens peuvent tomber. En effet, à maintségards,cequiposeproblèmen’estpaslaRussie,maislaforce,laperspicacitéetlesang-froidrequis,qualitésquisemblentclairementmanqueràDonaldTrump.Rabâcherconstammentqu’ilyapeut-êtreeuuncrime,mêmesicen’estpasun

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vrai crime (et personne ne pointe encore un acte de collusion criminelle, niaucuneinfractionavéréedelaloi)peutentraînerunedissimulationquipourraitsemuerencrime.Oudéchaînerunetempêted’idiotieetdecupidité.

«Ilsprennenttoutcequej’aipudireetlemontentenépingle,seplaintlePrésidentlorsd’uncoupdetéléphonenocturne,durantsapremièresemaineàlaMaisonBlanche.Onexagèretout,mêmemesexagérations!»

Le 4 juillet 2016, Franklin Foer, l’ancien rédacteur en chef de la NewRepublic basé à Washington, fut le premier à parler d’un complot Trump-Poutine dans les pages de Slate. Son papier reflétait l’incrédulité qui soudainavaitsaisilesmédiasetl’intelligentsiapolitique:choseassezincompréhensible,Trump,lecandidatpourrire,devenaitplusoumoinssérieux.Etc’étaitpeut-êtrejustement à cause de son manque de sérieux, de sa nature « cash », sesfanfaronnades, ses faillites, ses casinos et ses concours de beauté qu’il avaitéchappéàtoutexamenminutieux.Pourlesexpertsentrumpisme–ceque,aprèstrenteansd’uneattentionsoutenue,beaucoupde journalistesétaientdevenus–les affaires immobilières new-yorkaises étaient louches, les entreprisesd’Atlantic City étaient louches, la compagnie aérienne Trump était louche, larésidencedeMar-a-Lago, les terrainsdegolfet leshôtels, toutçaétait louche.Aucuncandidatraisonnablen’auraitpusurvivreàl’exhumationd’uneseuledecesaffaires.Mais,defait,uncertainvolumedecorruptionaétéinscritaubilandelacandidaturedeTrump.Aprèstout,c’étaitlàleprogrammequ’ildéfendait.Jeferaipourvouscequ’unhommedurenaffairesfaitpourlui.

Pourprendrelavraiemesuredesacorruption,ilfallaitlamettreenscèneàplusgrandeéchelle.Foeraeuuneexcellenteidéepourcela.

Traçantlesgrandstraitsd’unscandalequin’existaitpasencore,Foer,sansrien qui ressemblait à des fusils fumants oumême à l’ombre d’une preuve, arassemblévirtuellement lescirconstances, les thématiques, lespersonnagesquiallaiententrerenscènedans lesdix-huitmois. (Aumêmemoment,à l’insudupublic, de lamajorité desmédias et des initiés, FusionGPS recrutait l’ancienespion britannique Christopher Steel pour enquêter sur un éventuel lien entreTrumpetlerégimerusse.)

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Poutine cherchait à faire renaître la puissance russe, ainsi qu’à contrer lesintrusions de l’Union européenne et de l’OTAN dans sa zone d’influence. Lerefus de Trump de traiter Poutine comme un semi-voyou – voire sonadministrationpourlui–signifiaitipsofactoqueTrumpsouhaitaitunretourdelapuissancerusseetpourraitmêmelefavoriser.

Pourquoi?Quepeutespéreren retourunpoliticienaméricainqui soutientpubliquement – et flatte – Vladimir Poutine ? Pourquoi encourager ce quel’Occidentvoitcommedel’aventurismerusse?

Théorie numéro 1 : Trump est attiré par les hommes forts et autoritaires.Foer a révélé au public une vieille fascination de Trump pour la Russie – ils’étaitmêmelaisséduperparunsosiedeGorbatchevquiavaitvisitélaTrumpTowerdanslesannées1980–etsesnombreusesetinutiles«odesàPoutine».Cet attrait suggère une certaine vulnérabilité, un « pacte avec le diable ».Favoriser des politiciens dont le pouvoir tient en partie à leur tolérance à lacorruption vous rapproche de cette même corruption. De même, Poutine estattiréparlespopulistesàson image,d’où laquestiondeFoer :«Pourquoi lesRusses ne voudraient-ils pas fournir à Trump l’assistance furtive qu’ils ontprodiguéeàMarineLePen,Berlusconietd’autres?»

Théorie numéro 2 : Trump est partie prenante d’intérêts et d’affairesinternationales de seconde zone, alimentées par des flots d’argent douteux, laplupart provenant de Russie et de Chine, loin de tout contrôle politique. Levolume de cet argent sale permettrait de prendre la mesure des affairescommercialesdeTrumpquidemeurentàl’abridesregardsindiscrets.(Là,deuxthéoriescontradictoiress’affrontent:ildissimulecesaffairesparcequ’ellesvontmal,oupourmasquerleurmauvaiseréputation.)ParcequeTrumpestmoinsquesolvable, Foer est de ceux, nombreux, qui pensent qu’il doit se tourner versd’autressources–del’argentplusoumoinssale,oudel’argentcompromettant.(Lafaçondontceprocessuspeutfonctionnerest,schématiquement,lasuivante:un oligarque place de l’argent dans un fonds d’investissement plus ou moinslégal pour le compte d’un tiers, qui, en contrepartie, investit chez Trump.)Trumpniecatégoriquementavoirbénéficiédeprêtsoud’investissementsrussesetpersonnen’ad’argentsalesursesregistrescomptables.

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Toujoursseloncettethéorie,Trump–jamaistrèsscrupuleuxconcernantlesréférences de ses subordonnés – s’entoure d’un grand nombre d’arrivistesvaquantàleurspropresaffaireset,choseplausible,favorisantcellesdeTrump.Franklin Foer a identifié les personnages suivants au titre de membres d’unpossiblecomplotrusse:

• Tevfik Arif, ancien fonctionnaire russe, patron du Bayrok Group, unintermédiairedanslesfinancementsdeTrump,quioccupeunbureaudanslaTrumpTower;•FelixSater (parfoisécritSatter),un immigréd’origine russedeBrightonBeach, Brooklyn, qui, après avoir purgé une peine de prison pour fraudedans une société de courtage dirigée par la mafia, est allé travailler pourBayrock.SacartedevisiteleprésentecommeconseillerdeTrump.(Quand,parlasuite,lenomdeSaterreferasurface,TrumpassureraàBannonqu’ilneleconnaîtpas.)•CarterPage,unbanquierdotéd’unportefeuille incertainqui,ayantpassédu tempsenRussie, sedit ex-consultantde la compagniepétrolièred’ÉtatGazprom. Il apparaît sur une liste dressée à la hâte des conseillers enpolitiqueétrangèredeTrump.LeFBIl’asurveillédeprèsdanscequi,selonle Bureau, était une tentative de recrutement des services russes. (Par lasuite, Trump niera avoir jamais rencontré Page, mais le FBI se diraconvaincu que les services russes ont bien ciblé Page dans l’espoir del’enrôler.)• Michael Flynn, l’ancien directeur de l’Agence du renseignement de ladéfense – limogé par Obama pour d’obscures raisons – devenu principalconseiller en politique étrangère de Trump puis conseiller à la sécuriténationale. Il accompagne Trump dans plusieurs étapes de la campagneélectorale.Ilaperçu45000dollarspouruneconférencedonnéeàMoscouetaétéphotographiélorsd’undîneravecPoutine.•PaulManafort,directeurdecampagnedeTrump,dontFoerarévéléqu’ilavaitétégrassementrémunérépouravoirconseilléViktorIanoukovytch, lecandidat duKremlin qui a remporté l’élection présidentielle d’Ukraine en

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2010avantd’êtredestituéen2014.Manafortafaitaffaireavecl’oligarquerusseetvieilamidePoutine,OlegDeripaska.Plus d’un an après, chacun de ces hommes alimentera le feuilleton quasi

quotidienRussie-Trump.Théorienuméro3:lathèseduSaint-GraalseraitqueTrumpetlesRusses–

etpeut-êtremêmePoutineenpersonne–sesoientliguéspourpiraterleComiténationaldémocrate.

Théorienuméro4 :celledeceuxqui leconnaissent lemieux,celleque laplupartdespartisansdeTrumpfinissentparadopter.Trumpestjusteunbaiseurdestars.IlexportesonconcoursdebeautéenRussieparcequ’ilcroitquecelafera de Poutine son ami. Mais Poutine s’en fiche comme d’une guigne.Finalement,Trumpseretrouveàundînerdegalaassisentreungarsquial’airde ne s’être jamais servi de couverts et Jabba le Hutt5 en polo de golf. End’autrestermes,Trump–sistupidequ’aitpuêtresonfayotageetsisuspectsoncomportementpuisse-t-ilsembler–demandaitjusteunpeuderespect.

Théorie 5 : lesRusses, en possession d’informations compromettantes surTrump,lefontchanter.C’estun«candidatmandchou6».

Le6janvier2017,prèsdesixmoisaprèslapublicationdel’articledeFoer,la CIA, le FBI et la NSA annoncent leur conclusion commune : « VladimirPoutine a commandité une campagne d’influence en 2016 visant l’électionprésidentielleaméricaine.»DudossierChristopherSteeleauxfuites régulièresdes services secrets, en passant par le témoignage et les déclarations de ladirection des agences de renseignements américaines, un ferme consensus sedégage. Un lien scélérat, peut-être encore actif, a existé entre Trump, sacampagne,etlegouvernementrusse.

Pourtant,ilestencorepossibledevoircetteaffairecommeunvœupieuxdesopposants de Trump. « Le postulat sous-jacent de cette histoire, c’est que lesespionsdisentlavérité,observelejournalisteEdwardJayEpstein,spécialistedurenseignement.Quilesavait?»Et,eneffet,l’inquiétudeàlaMaisonBlancheneporte pas sur le complot – peu plausible, voire grotesque – mais sur lesinformationsqui risqueraientdemenerauxcalamiteusesaffairesdeTrump (et

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deKushner).Faceàcedanger,lesmembresdel’état-majorhaussentlesépaulesd’unairdésespéréetsecachentlesyeux,lesoreillesetlabouche.

Telestleconsensussingulieretobsédant:nonpasqueTrumpsoitcoupablede tout ce dont on l’accuse, mais qu’il le soit de bien d’autres choses. Il esttoujourspossiblequelepeuplausiblemèneauhautementcrédible.

Le13février,auvingt-quatrièmejourdelanouvelleadministration,lesliensentre le conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn et la Russie sontofficiellementconfirmés.

Flynn–ungénéralsansgrandeenvergure,desurcroîtassezdingue–n’aenréalitéqu’unseulsoutienàlaMaisonBlanche,lePrésidentlui-même.Ilsontététrèsprochespendantlacampagne–unduod’enfer.Enraisondesonamourdesgénéraux,Trumppensemêmeunmomentfairedeluisonvice-président.Post-investiture, la porte du bureau de Trump est toujours ouverte pour lui. Unprivilègemal interprétéparFlynn : ilcroitquesonstatutà laMaisonBlanchereposesurl’appréciationpersonnelleduPrésidentetquelesflatteriesdeTrumpsontlesigneprobantqu’ilpossèdeunlienintangibleavecluiquiluiconfèreunecertainetoute-puissance.

GriséparlescomplimentsdeTrumpdurantlacampagne,Flynnétaitdevenuson singe savant. Quand d’anciens militaires passent des alliances avec descandidats politiques, ils se positionnent habituellement en experts ou grandssages. Mais Flynn était un partisan hystérique, partie intégrante du cirqueitinérant de Trump, un des prédicateurs et bonimenteurs qui chauffaient sesmeetings de candidat. Cet enthousiasme et cette loyauté l’aidaient à avoirl’oreilledeTrumpdanslaquelleildéversaitsesthéoriesanti-servicessecrets.

Audébutdelatransition,quandBannonetKushnerétaientencoredevraisfrèressiamois,ilspartageaientlavolontédecourt-circuiterFlynnetsonmessagesouvent problématique. Sournoisement, Bannon aimait à souligner que lesecrétaire à la Défense, Mattis, était un général quatre étoiles, et Flynn,seulementuntroisétoiles.«J’aimebienFlynn,ilmerappellemesoncles,disaitBannon.Maisc’estçaleproblème,ilmerappellemesoncles!»

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Bannon a contribué à ternir l’image de Flynn pour s’assurer un siège auconseildesécuriténationale.Pourlaplupartdesmembresdececonseilrestreint,l’obtention de ce siège par Bannon était le signal d’une stratégie de la droitenationalistedeprendrelepouvoir.MaislaprésencedeBannonpermettaitaussidesurveillerl’impétueuxFlynn,enclinàsemettreàdospresquetouslesautresconseillers (Flynn ? « Un colonel en tenue de général », selon un hautresponsabledesrenseignements.)

Flynn, comme tout l’entourage de Trump, est conquis par le sentimentsurnaturel d’opportunité que, contre toute attente, provoque le fait d’être à laMaisonBlanche.Et,fatalement,cettesituationlerendplusgrandiloquent.

En 2014, Flynn a été viré sansménagement du gouvernement, ce qu’il aimputéàsesnombreuxennemisdelaCIA.Ilaalorsmistoutesonénergieàselancerdans lesaffaires,enralliant les rangsd’ancienshauts fonctionnairesquitiraientbénéficedeleursréseauxpolitiquesdanslesentreprisesmondialisées.Etaprèsavoirflirtéavecplusieurscandidatsrépublicainspotentiels,ils’estattachéàTrump.Tousdeuxantimondialistes,TrumpetFlynnpensaientque lesÉtats-Unissefaisaientroulerdanslestransactionsmondiales.Mais,moneyismoney,et Flynn, qui, en tant que retraité, touchait quelques centaines de milliers dedollarsannuelsautitredesapensiondegénéral,n’apasfaitledifficile.Diversamis et conseillers lui ont pourtant recommandé de ne pas accepterd’émolumentsdelapartdelaRussieoudelaTurquieoùilofficiaitentantque«consultant».

De fait, c’est le genre de négligence dont tous ou presque se rendentcoupables dans le monde de Trump, y compris le Président et sa famille. Ilsévoluent dans des réalités parallèles et, tout en participant à une campagneprésidentielle,ilsviventaussidanslemondeprobable,celuidanslequelDonaldTrumpneserajamaisprésident.Parconséquent,lesaffairescontinuent.

Début février 2017, un avocat de l’administration Obama affilié à SallyYates fait remarquer avec délectation et beaucoup de justesse : « C’estcertainementunedrôlede situationdemener savie sanspenser être élu et desoudainl’être…etuneoccasionrêvéepourvosadversaires.»

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L’administrationestmenacéeparlenuagerusse,maisaussiparlesentimentque la communauté du renseignement se méfie de Flynn, et met sur son dosl’animositéqu’elleéprouveàl’encontredeTrump.Flynnestlavraiecible.ÀlaMaisonBlanche,onalasensationqu’unéchangeimpliciteestproposé:latêtedeFlynncontrelabienveillancedelacommunautédurenseignement.

Aumêmemoment,danscequed’aucunsvoientcommeunrésultatdirectdelafureurprésidentiellesuiteauxinsinuationssurlaRussie–spécialementcellessurlagoldenshower–,lePrésidentresserresesliensavecFlynn,luiassurantàmaintesreprisessonsoutienetrépétantquelesaccusationssurlaRussie,cellesrelativesàFlynnetà lui-même,sont«de la foutaise».Après ladémissiondeFlynn, un commentaire sur les doutes croissants de Trump à l’égard de sonconseillerseralivréàlapresse,maisc’estenfaittoutl’inversequiseproduit:pluslesdoutess’accumulentsurFlynn,pluslePrésidentestcertainqu’ilestsonalliéleplusprécieux.

Lafuitefatale,cellequiaentraînélachutedeFlynn,sembleémanerdesesennemisauConseildeSécuriténationale(NSC)etnonpasdudépartementdelaJustice.

Le mercredi 8 février, Karen DeYoung du Washington Post vient rendrevisiteàFlynnpourcequiestcenséêtreunentretienoff. Ilsse retrouvent,nonpasdanssonbureau,maisdanslesalonleplusélégantdubâtimentduBureauexécutifEisenhower,àproximitédelaMaisonBlanche–lesalonmêmeoùlesdiplomatesjaponaisavaientattendud’êtrereçusparlesecrétaired’ÉtatCordellHullalorsquecelui-ciprenaitconnaissancedel’attaquedePearlHarbor.

Selon toute apparence, c’est un entretien de fond sans histoires, et DeYoung,avecsonstyleàlaColombo,n’éveilleaucunsoupçonquandelleabordela question de rigueur : « Mes collègues m’ont demandé de vous poser laquestion:avez-vousparlédessanctionsauxRusses?»

Flynndéclarequ’iln’apaseucegenredeconversations,absolumentaucuneconversation, confirme-t-il encore. Peu après s’achève l’entretien auquel aassisté le responsableetporte-paroleduconseildeSécuriténationale,MichaelAnton.

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Mais plus tard lemême jour, DeYoung appelleAnton pour lui demanderl’autorisationdementionnerlesdénégationsdeFlynnontherecord.Antonn’yvoit aucun inconvénient – après tout, la Maison Blanche souhaite que lesdénégationsdeFlynnsoientclaires–etenaviseFlynn.

Quelquesheuresplustard,FlynnrappelleAnton, inquiet.Antonfait le testhabituel :«Sivoussaviezqu’unenregistrementdecetteconversationaveclesRussespouvaitfairesurface,seriez-voustoujourssûràcentpourcent?»

Flynn tergiverse, et Anton, soudain soucieux, lui conseille, au cas où iln’étaitpassûrdelui,de«rétropédaler».

Le papier du Post, qui paraît le lendemain sous trois autres signatures –indiquantquel’entretiendeDeYoungn’étaitpaslepluscrucial–,contientdenouveauxdétailssurlaconversationtéléphoniquedeFlynnavecl’ambassadeurKisliak.Leuréchange,affirmelePost,abienportésurlaquestiondessanctions.L’article rapporte aussi les dénégations de Flynn – « il répéta deux fois“non”»–ainsiquesonrétropédalage:«Mardi,Flynn,parlavoixdesonporte-parole, est revenu sur sesdénégations.Leporte-paroleprécisequeFlynn lui a“confié que, bien qu’il ne se souvienne absolument pas avoir abordé lessanctions,ilnepeutpasavoirlacertitudequelesujetn’ajamaisétéévoqué”.»

Aprèsl’articleduPost,PriebusetBannonremettentFlynnsurlegril.Flynnprétendnepassesouvenirdecequ’iladit.Silesujetdessanctionsestvenusurletapis,leurassure-t-il,ilsn’ontfaitquel’effleurer.Curieusement,personnenesembleavoirvraimentécoutésaconversationavecKisliak,nienavoirvuunetranscription.

Entre-temps, les hommes du vice-président, surpris par cette soudainecontroverse, prennent ombrage, moins des possibles fausses déclarations deFlynnquedufaitqu’ilsn’ontpasétémisaucourant.MaislePrésidentrestedemarbre–ou, selonuneautreversion,«agressivementdéfensif»–et,pendantque la Maison Blanche fait les gros yeux, Trump choisit ce moment pouremmenerFlynnàMar-a-Lagopassersonweek-endavecShinzoAbe,lePremierministrejaponais.

Cesamedisoir-là,étrangespectacle,laterrassedeMar-a-Lagosetransformeen salle de crise publique : le président Trump et le Premier ministre Abe

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discutentouvertementde laréponseàdonnerau lancementd’unmissilepar laCorée duNord, à quatre cent quatre-vingts kilomètres dans la mer du Japon.Postéderrièrel’épauleduPrésidentsetrouveMichaelFlynn.SiBannon,PriebusetKushner pensent que le sort de Flynn est dans la balance, le président nesemblepaspartagerleursvues.

Pour l’état-major de laMaison Blanche, le souci sous-jacent estmoins lamiseàl’écartdeFlynnquelarelationduPrésidentaveccedernier.DansquoiFlynn,paressenceunespionentenuemilitaire,a-t-ilembringuélePrésident?Qu’ont-ilspuconcocterensemble?

Le lundi matin, Kellyanne Conway apparaît sur MSNBC pour prendrefermement la défense du conseiller à la Sécurité nationale. « Oui, dit-elle, legénéralFlynnal’entièreconfianceduPrésident.»EtmêmesibeaucoupyvoientlesignequeConwayn’estpasdanslecoup,c’estaussilapreuvequ’elleaparlédirectementauPrésident.

UneréunionàlaMaisonBlanchecematin-làestsurlepointdeconvaincreTrumpde renvoyer Flynn. Il s’inquiète de l’impact qu’aurait le renvoi de sonconseiller à la Sécurité nationale après vingt-quatre jours à peine. Et il refusecatégoriquementdeblâmerFlynnd’avoirparléavec lesRusses,ycomprisdessanctions.SelonTrump,lelimogeagedesonconseillerl’associeraàuncomplot,alorsqu’iln’yariendetel.Safureurn’estpasdirigéecontreFlynn,maiscontrel’écoute téléphonique«aléatoire»qui l’aépinglé.Renouvelant saconfianceàsonconseiller,TrumpinsistepourqueFlynnparticipeaudéjeunerdulundiaveclePremierministrecanadien,JustinTrudeau.

Le repas est suivi d’une nouvelle réunion sur le scandale. Des détailscomplémentairesde la conversation téléphoniquey sont apportés, ainsiquedeplusenplusdeprécisionssurl’argentquiauraitétéverséàFlynnpardiversesentités russes. La théorie selon laquelle les fuites des services secrets ayantentraînélescandalerusseseraientdirigéescontreFlynnsusciteaussiunintérêtcroissant.Finalement,unenouvellelogiquesefaitjourvoulantqueFlynnnesoitpas limogéàcausede sescontacts russes,maisparcequ’il auraitmenti à leursujetauvice-président.C’estuneinventioncommodedelahiérarchie:enréalité

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Flynn n’a rien dit au vice-président Pence, et certains soutiennent qu’il estbeaucouppluspuissantquecedernier.

CettenouvellelogiqueconvaincTrump,ilfinitparadmettrequeFlynndoitpartir.

Pourtant, le Président ne lui retire pas sa confiance. Au contraire, lesennemisdeFlynnsont lessiens.Et laRussieestunearmepointée sur sa tête.Bienqu’ildoiveàcontrecœurseséparerdeFlynn,cedernierrestesonhomme.

Flynn, évincé de laMaison Blanche, devient le premier lien direct établientreTrumpet laRussie.Et selon cequ’il peut dire et à qui, il est désormaispotentiellementlapersonnelapluspuissantedeWashington.

1. AcronymedePresidentofUnitedStates,présidentdesÉtats-Unis.

2. Affaire des investissements de Bill et Hillary Clinton dans la Whitewater DevelopmentCorporation, société immobilière qui a fait faillite dans les années 1970 et 1980. Le 11 septembre2012,Benghazi fut le théâtre d’une attaque de l’ambassade des États-Unis où trouvèrent la mortl’ambassadeurChrisStevenset troisautresAméricains.Dansletroisièmescandale,HillaryClinton,secrétaired’ÉtatdesÉtats-Unisde2009à2013,auraitutilisésone-mailprivéaulieud’uncomptee-mailprofessionnelsécurisé.

3. OhMyGod!«Oh,monDieu!»

4. Seulecapabledetuerunloup-garou.

5. Grosalienprochedelalimace,personnagedefictiondeStarWars,sériedefilmsdeGeorgeLucas.

6. RéférenceauthrilleréponymedeRichardLondonpubliéen1959,l’histoired’unhommepolitiqueaméricainquisefaitlaverlecerveauparlescommunistes.

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L’organigramme

SteveBannon, l’ancien officier deMarine, comprend au bout de quelquessemaines qu’en réalité la Maison Blanche est une base militaire. Le bureaugouvernementalsecachederrièreunefaçaderésidentielleetquelquessalonsderéception,ausommetd’uneinstallationsécuriséesouscommandementmilitaire.Le contraste est frappant : hiérarchie et organisation militaire en arrière-plan,chaosparmilesoccupantscivilstemporairesàl’avant-scène.

Onadumalàtrouveruneentitéplusopposéeàladisciplinemilitairequ’uneorganisation à la Trump. Celle-ci ne repose pas sur une véritable structureascendanteoudescendante,maisjustesurunpersonnageausommet,ettouslesautres qui font des pieds et des mains pour attirer son attention. Elle nes’intéresse pas aux tâches à effectuer mais seulement aux réactions – ce quicapte l’attention de Trump occupe celle de tout le monde. C’était lefonctionnementàlaTrumpTower,celal’estdésormaisàlaMaisonBlanche.

Le Bureau ovale a été utilisé par ses précédents occupants comme lesymbole ultime du pouvoir, une apogée cérémonielle. Mais, dès son arrivée,Trumpaapportéunecollectiondedrapeauxdeguerrepourl’encadrerquandilestassisàsonbureau.L’Ovaledevientviteledécordu«bordel»quotidiendeTrump.Ilestprobablequ’ilsoitplusaccessiblequesesprédécesseurs.Presquetouslesdébatsdanslebureauduprésidentsont interrompusparunlongdéfilédesubalternes,ettoutlemondesebatpourassisteràlaprochaineréunion.Des

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gensrôdentautoursansobjectifclair:Bannontrouvetoujoursuneraisonouuneautrepourétudiersesdossiersdansuncoinafind’avoirlederniermot,PriebusgardeunœilsurBannon,etKushnersurveilleenpermanencelesautres.Trump,lui, aime garder Hicks, Conway et, souvent, son ancien complice de TheApprentice, Omarosa Manigault – pourvu d’un titre déroutant à la MaisonBlanche – en permanence avec lui. Comme toujours, Trump veut un publicconquisd’avance, il encourage leplusdegenspossible à tenterd’être auplusprèsdelui.Avecletemps,ils’amusedeslèche-botteslespluszélés.

Unebonnegestionréduitlatailledesegos,maisdanslaMaisonBlanchedeTrump,onasouventl’impressionqueriennesepasse,quelaréalitén’existepasendehorsdelaprésenceduPrésident.Sanslui,toutsemblesensdessusdessous.S’ilarrivequelquechose,etqu’iln’estpasprésent,ils’enmoqueetsaréactionselimiteàunbrefregardinsistant.CelaexpliquepourquoilerecrutementdanslaWestWingetdansl’exécutifesttrèslent.Étofferlabureaucratienefaitpartieni de ses objectifs ni de ses intérêts. Les visiteurs sont décontenancés par lemanquedepersonnelauseindelaWestWing.Aprèslesalutmilitairesolenneld’unMarineentenueàlaporte,ilsdécouvrentuneentréesansréceptionnisteetcherchent leurchemindanscemaquisqu’est le sommetdupouvoirdumondeoccidental.

Trump,lui-mêmeanciencadetdel’académiemilitaire–mêmes’ilnefutpasl’undesesmembreslesplusenthousiastes–,prôneunretouràlacompétenceetauxvaleursdel’armée.Enréalité, il tientsurtoutàpréserversondroitàdéfierouignorersaproprestructure.Nepasavoird’organisationstricteestlafaçonlaplusefficaced’éviterlespersonnesquilacomposentetdelesdominer.Ainsi,sacour demilitaires admirée de tous, comme JamesMattis, H. R.McMaster etJohn Kelly, travaille pour une administration inadaptée aux principes decommandementdebase.

DepuislespremierstempsdelaprésidenceTrump,laWestWingestgéréemalgrél’annoncequasi-quotidiennedudépartdeceluicenséenavoirlacharge,lechefdecabinet,ReincePriebus.Ilgardesonpostepouruneuniqueraison:ilne l’occupepasdepuisassez longtempspourêtreviré.Maispersonne,dans le

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premiercercledeTrump,nedoutequ’ilseradémisdesesfonctionsdèsquesondépart n’embarrassera plus trop le Président.Ainsi en déduit-on que personnen’abesoindeluiprêterattention.Priebus,quipendantlatransitiondoutaitdéjàdetenirjusqu’àl’investiture,sedemandeunefoisenpostes’ilpourrasupporterce calvaire pendant le délai, déjà peu respectable, d’une année. Il réduitfinalementsesattentesàsixmois.

LePrésident,enl’absencedetouterigueurorganisationnelle,agitsouventenqualité de chef de cabinet ou bien élève le poste d’attaché de presse à unefonction essentielle. Trump se charge parfois lui-même de la revue de presse,dictant des commentaires, téléphonant aux journalistes. Les membres de safamille, eux, agissent dans n’importe quel domaine de leur choix. Quant àBannon, il monte de grandes opérations de réalité alternative ou lance desinitiatives importantes dont lui seul a connaissance. Ainsi, il est facile pourPriebusdepenserqu’iln’aaucuneraisond’êtrelà,aucentred’uneorganisationjustementdépourvuedecentre.

Enmêmetemps,lePrésidentparaîtapprécierdeplusenplusPriebusparcequ’ilpeutfairede luicequ’ilveut.Cederniersupporte lesattaquesdeTrumpsursatailleetsastatureavecaffabilitéoustoïcisme.Ilestlepunching-ballidéalquandtoutvamaletilnerendpaslescoups,augrandplaisirdeTrump.

« J’adore Reince, dit le Président, avare de compliments. Qui d’autrevoudraitsaplace?»

Pourlestroishommesmisdefactosurunpiedd’égalitédanslaWestWing– Priebus, Bannon,Kushner –, seul un mépris réciproque les empêche de seliguerlesunscontrelesautres.

Durantlespremiersjoursdelaprésidence,lasituationestclairepourtoutlemonde:cestroishommessebattentpourdirigerlaMaisonBlanche,pourêtrelevraichefdecabinetderrièreletrône.Et,biensûr,Trumplui-mêmeneveutcéderdepouvoiràpersonne.

Danscedésordreémergeunejeunefemmede32ans,KatieWalsh.

Walsh,chefdecabinetadjointedelaMaisonBlanche,représente,dumoinsà ses propres yeux, un certain idéal républicain : irréprochable, vive,

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méthodique,efficace.Bureaucrateintègre,charmante,maisl’airtoujourssévère,Walshestunbelexempledesnombreuxprofessionnelsdelapolitiquechezquila compétence et les facultés d’organisation transcendent l’idéologie. « Jepréfère, dit-elle, appartenir à une organisation présentant une chaîne decommandement claire avec laquelle je ne suis pas d’accord qu’à uneorganisationchaotiquequicorrespondraitmieuxàmesopinions.»Walshestunefigure washingtonienne, issue du marigot. Son rôle consiste à privilégier lesobjectifsdeWashington,coordonnersonpersonneletrassemblersesressourceshumaines.Une personne organisée qui fait profil bas, ne dit jamais n’importequoi.Voilàcommentellesevoit.

« Chaque fois qu’on participe à une réunion avec le Président, il y a aumoins soixante-cinq choses à faire avant, explique-t-elle. Quel membre ducabinet faut-il prévenir de la présence de telle personne, quel habitué du siteInternet The Hill doit être consulté, le Président a-t-il besoin d’une synthèsepolitique,etsioui,quiacettesynthèseetàquidoit-illadonner?…Oh!et,aufait, il faut se renseigner sur le gars qui fait la synthèse. Ensuite, il faudra ladonner aux responsables de la com’ et voir s’il s’agit d’un récit national ourégional,etfait-onàpartirdeçadesanayses,donne-t-ondeschiffrespourlatélénationale et la presse… et tout cela se passe avant d’en venir au service desaffairespolitiquesetdesrelationspubliques…Enfin,pourchaquepersonnequiarendez-vousaveclePrésident,ilfautexpliquerauxautrespourquoiellesn’ontpaseuceprivilège,sinonellesvontressortird’iciencolèrecontrelesautres…»

Walshincarnecequelapolitiqueestcenséeêtre–oucequ’elleaété.Uneoccupation soutenue, entretenue et ennoblie par une classe politiqueprofessionnelle.Lapolitique,manifestedanslamonotonieetlatristessepropresàl’uniformewashingtonien,résolumentanti-mode,estuneaffairedeprocédureetdetempérament.L’éclatestpassager.Ilnepeutdurerlongtemps.

Sortie d’un lycée de filles catholique de Saint-Louis (elle porte toujours àson cou une croix de diamants) et bénévole pour les campagnes politiqueslocales,KatieWalsh a fait ses études à l’université George-Washington – lesfacultésdelarégionétantparmilesfournisseurslesplusfiablesdejeunestalentsdumarigot(leservicepublicn’estpasvraimentunedisciplinequel’onenseigne

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dans les universités de la Ivy League). Les trois quarts des organisationspolitiques et gouvernementales ne sont pas dirigés, pour lemeilleur et le pire,pardestitulairesdemastèresengestion,maispardesjeunesgensquiontsusedistinguer par leur zèle, leur ambition et leur idéal du service public (uneanomalie de la politique républicaine conduit des individus motivés par lesecteurpublicàseretrouveràtravailleràsaréduction).Lescarrièresprogressentàconditiond’apprendresurleterrain,debiens’entendreaveclerestedumilieuetdejouerlejeu.

En2008,WalshdevientdirectricerégionaledesfinancesdelacampagnedeMcCainpourleMidwest–spécialiséedanslemarketingetlafinanceàGeorge-Washington, elle est habilitée à signer les chèques. Puis elle passe directriceadjointe des finances du Comité sénatorial national républicain, ensuitedirectriceadjointedesfinances,puisdirectricetitulairedesfinancesduComiténational républicain,et, enfin,avant laMaisonBlanche, secrétairegénéraleduComiténationalrépublicainetbrasdroitdesonprésident,ReincePriebus.

Rétrospectivement,onpeutdécelerquelmomentcléapermis lesauvetagedelacampagnedeTrump.Ilsetrouvemoinsdansl’interventiondumilliardaireRobert Mercer et l’arrivée de Bannon et Conway à la mi-août, que dansl’acceptation de s’appuyer sur le Comité national républicain (le RNC). Cedernierconnaîtleterrainetpossèdeunebanquededonnéesnationales.Finaoût,avec l’accord de Kushner, Bannon et Conway concluent un marché avec leRNC, ce nœud de vipères du marigot. Ce malgré les allégations répétées deTrump : ils s’étaientdébrouillés jusque-làsans leRNC,alorspourquoi ramperdevantluimaintenant?

Presqueimmédiatement,Walshdevientunefigure-clédelacampagne,unepersonnedévouéequicentraliselesinformationsetfaitpartirlestrainsàl’heure.Sansdesgenscommeelle,peud’organisationspeuventfonctionner.Effectuantla navette entre le siège du RNC à Washington et la Trump Tower, elle estl’intendantegénéralequimetlesressourcespolitiquesnationalesàladispositiondelacampagne.

SiTrumplui-mêmeestunesourcedeperturbationdanslesderniersmoisdela course et pendant la transition, son équipe de campagne (notamment parce

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qu’iln’ad’autrechoixqued’inclureleRNC)estincroyablementplusréactiveetunie que celle de Hillary Clinton, alors même que cette dernière dispose deressourcesautrementplusimportantes.Faceàlacatastropheetàunehumiliationprétendumentcertaine,l’équipedeTrumpseressaisit–avecPriebus,BannonetKushnerdanslerôledutriodechoc.

MaislacamaraderienesurvitjamaislongtempsauseindelaWestWing.

Pour Katie Walsh, il est clair que l’objectif commun de la campagne etl’urgencedelatransitionserontabandonnésdèsquel’équipeTrumpentreraàlaMaisonBlanche.IlsontgéréTrump,maintenant,c’estluiquivalesgérer.Maisle Président, tout en s’écartant de façon radicale de normes et de traditionsgouvernementalesvieillesdeplusieursgénérations,manqued’idéesprécisessurlamanièredetransformersonveninenpolitique,etn’apasd’équipecapabledes’unirderrièrelui.

Dans laplupart des lieuxdepouvoir, la politique et l’action ruissellentduhautverslebas.L’état-majortâched’exécuterlesdésirsduPrésident–ou,àtoutlemoins,cequelechefdecabinetsupposeêtrelesdésirsprésidentiels.DanslaMaisonBlanchedeTrump,lapolitiqueremonteverslehaut,commelemontrel’exemple du décret sur l’immigration inspiré par Bannon. Tout est dans lamanière de suggérer ce que le Président pourrait vouloir, en espérant qu’ils’imagineyavoirdéjàsongélui-même.

TrumpobserveWalsh,possèdeunensembledeconvictionsetdepulsions,dontlaplupartl’obsèdentdepuisdenombreusesannées.Ellespeuventserévélercontradictoires les unes avec les autres et peu d’entre elles se conforment auxconventionslégislativesoupolitiques.Enconséquence,Walsh,commetouslesautres, doit traduire cet ensemble de désirs et d’obsessions en un programme,processus qui repose sur de nombreuses conjectures. C’est, selon Walsh,«commeessayerdedevinercequeveutunenfant».

Maisémettredessuggestionsconstitue,peut-être,leproblèmecentraldelaprésidence de Trump et façonne tous les aspects de sa politique et de sonleadership. Le Président ne traite pas l’information d’une manièreconventionnelle.Etparfois,ilnelatraitepasdutout.

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Trumpnelitpas,mêmeàlava-vite.Cequiestimprimépourraitaussibienne pas exister. Certains se demandent s’il n’est pas quasi illettré, d’autressoulignent que Trump peut lire les gros titres et les articles le concernant, demême que les potins et les ragots de la page 6 du New York Post. D’autrescroient qu’il est dyslexique. Une chose est sûre, sa capacité d’attention estlimitée.D’autresencoreconcluentqu’ilnelitpasparcequ’iln’estpasobligédele faire etque– là se situe l’unde ses atoutspopulistes– s’il ne lit pas, c’estqu’ilregardelatélévision.

Non seulement il ne lit pas, mais il n’écoute pas non plus. Il préféremonopoliserlaparole.Etafoiensapropreexpertise–aussipauvreouhorssujetsoit-elle–plusqu’encelleden’importequid’autre.

Parconséquent,ils’agitdeconvaincrel’administrationquel’onpeutsefierà un homme, certes ignorant, mais sûr de ses instincts et prises de position,mêmesielleschangentfréquemment.

Autreélément-clédelaMaisonBlanchedeTrump:l’expertise,cettevertudegauche,estsurfaite.Aprèstout,ilarrivesouventquedesgensayanttravaillédurpouraméliorerleursavoirprennentlesmauvaisesdécisions.Alorspeut-êtrel’instinct est-il aussi bon, etmêmemeilleur, pour aller au cœurdes questions,pourvoirlaforêtderrièrel’arbre.Peut-être.Espérons-le.

Biensûr,personnenelecroitvraiment,sauflePrésidentlui-même.Lapremièrevérité,quil’emportesursonimpétuosité,sesexcentricitésetses

connaissanceslimitées,c’estquepersonnenedevientprésidentdesÉtats-Unis–cetexploitquiéquivautàfairepasserunchameauparlechasd’uneaiguille–sansunefinesseetunerusehorspair.Pasvrai?DurantlespremiersjoursàlaMaisonBlanche,c’estl’hypothèsedel’état-major,partagéeparWalshettouslesautres:Trumpdoitsavoircequ’ilfait,ilabeaucoupd’intuition.

Maisilfautaussiprendreencomptel’envers,lafacecachéedesonintuitionprétendumentinfaillible,etonnepeutpasl’ignorer:souventsûrdelui,Trumpestaussisouventparalysé,bafouillantd’inquiétantescontre-vérités.Saréactioninstinctiveestdeserépandreeninvectives,desecomportercommesisestripesdictaientsonactionentermesclairsetpersuasifs.

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Durantlacampagne,ildevientunesortedechampion.Sonéquipes’extasiedevant sa volonté de rester enmouvement, de remonter dans son avion, d’endescendre et d’y remonter encore, enquillant meeting après meeting, avec lafierté d’en faire plus que tous les autres. Le double d’Hillary ! Il ridiculisetoujours le rythme de sénateur de son adversaire. Il performe. « Cet hommen’arrêtejamaisd’êtreDonaldTrump»,noteBannondansuncomplimentunpeusournois.

C’est au cours des premiers briefings avec les services secrets, organisésaussitôtaprèssadésignationcommecandidatàlaprésidentielle,quesanouvelleéquipe de campagne émet des signaux d’alarme : Trump semble incapable decomprendredesinformationsprovenantdetiers.Àmoinsqu’ilnes’yintéressepas.Ildétestequ’ondemandeformellementsonattention.Ilfaitdel’obstructionface à tout document écrit et se montre récalcitrant devant toute explication.«C’estungarsquiavraimentdétesté l’école,analyseBannon.Etcen’estpasmaintenantqu’ilvacommenceràl’aimer!»

Siinquiétantsoit-il,lemodedefonctionnementdeTrumpprésenteaussiunechance pour son entourage immédiat : en le comprenant, en observant sesmaniesetsesréflexes,quesesadversairesdanslesaffairesontapprisàutiliseràleuravantage,ilspourraientlecanaliser,lefairebouger.Néanmoins,sionpeutleremuerunjour,personnenesous-estimelesdifficultésqu’ila,lelendemain,àcontinueràbougerdanslamêmedirection.

L’une des manières d’appréhender ce que veut Trump, sa position et lanaturedesesintentions–ou,dumoins,desintentionsdontonpeutleconvaincrequ’elles sont bien les siennes – implique une analyse de texte incroyablementfine de ses discours bruts de décoffrage, de ses remarques fortuites et de sestweetsimpulsifspendantlacampagne.

Bannonréviseavecopiniâtretél’«œuvre»deTrumppourbiencomprendreses réflexions intimes et politiques. Une partie de l’autorité de Bannon à laMaison Blanche tient à sa qualité de gardien des promesses du Président,soigneusement consignées sur son panneau blanc. Pour certaines d’entre elles,Trumpsesouvientavecferveurlesavoirfaites.Pourd’autres,iln’enaaucune

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réminiscence, mais il est heureux d’admettre les avoir dites. Bannon joue ledisciple et promeut Trump au rang de gourou – ou d’un dieu aux voiesimpénétrables.

Cetteconjonctureaboutitàuneautrerationalisation,unevéritéàlaTrump:«LePrésidentaététrèsclairsurlemessagequ’ilvoulaittransmettreaupeupleaméricain,ditWalsh.C’estunexcellentcommunicant.»Enmême temps,ellereconnaît que ce qu’il veut n’est pas toujours intelligible. D’où une nouvellerationalisation:Trumpestun«inspirateurnonopérationnel».

Kushner,comprenantquelepanneaublancdeBannonreprésentedavantagesonpropreprogrammequeceluideTrump,finitparsedemanderquellepartdece texte est de Bannon. Il passe au crible les mots de son beau-père, maisn’arriveàrienetrenonce.

MickMulvaney, l’ancienreprésentantde laCarolineduSudàprésentà latête du Bureau de la gestion et du budget est en charge de la préparation dubudgetquisous-tendra leprogrammede laMaisonBlanche.Luiaussiserabatsur les verbatim de Trump. Le livre de Bob Woodward sorti en 1994, TheAgenda,estuncompte-rendudétaillédesdix-huitpremiersmoisdeClintonàlaMaisonBlanche,dontlestroisquartsportentsurl’élaborationdubudget.Onyvoit le nouveau président consacrer le plus clair de son temps à une profonderéflexion et à des discussions sur la répartition des ressources.Dans le cas deTrump, ce type d’engagement est inconcevable.L’élaboration d’un budget, cen’estpasunsoucipourlui.

«LesdeuxpremièresfoisoùjesuisalléàlaMaisonBlanche,quelqu’unadû répéter : “Voici Mick Mulvaney, le directeur du budget” », raconteMulvaney. Et selon lui, Trump, trop dispersé pour être utile, a tendance àinterrompreletravailavecdesquestionssanspertinencesemblantémanerd’unrapport de lobbyiste ou relevant de la lubie d’une association libertaire. SiTrumps’intéresseàquelquechose,ilenagénéralementuneidéeprécise,maisfondéesurdes informationspartielles.Si le sujetne l’intéresse,pas, ilneveutentendre ni idée ni information le concernant. Par conséquent, l’équipe dubudgetdeTrumpsevoitcontraintederevenirauxdiscoursduPrésidentenquêtedesthématiquespolitiquespouvantêtrerattachéesàunprogrammebudgétaire.

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Walsh,installéebienenvueduBureauovale,sesitueàl’épicentreduflux

d’informationsentrelePrésidentetsonétat-major.Ensaqualitédeplanificatricede l’emploidu tempsdeTrump, samission est d’organiser l’orientationde cefluxvers lePrésidentenfonctiondesprioritésdéfiniespar laMaisonBlanche.Walsh devient le véritable intermédiaire entre les trois hommes qui travaillentduràattirerl’attentionduPrésident:Bannon,Kushner,Priebus.

Chacun des trois voit en Trump une page blanche – ou gribouillée. Etchacun, réalise Walsh avec une incrédulité croissante, a sa manière à lui,radicalementdifférentedecelledesdeuxautres,derempliroudecorrigercettepage.Bannonestlemilitantdel’alt-right,Kushner,ledémocratenew-yorkais,etPriebus, le républicain classique. « Steve veut expulser unmillion de gens dupays, abroger la loi sur les soins de santé et instaurer un paquet de tarifsdouaniersquivontcomplètementdétruirenotrecommerceextérieur.Jared, lui,veut s’occuper de la traite des êtres humains et de la protection du planningfamilial.»Priebus,enfin,voudraitqueDonaldTrumpincarneunautretypederépublicain.

PourWalsh,SteveBannondirigelaMaisonBlanchedeSteveBannon,JaredKushnercelledeMichaelBloomberg,etReincePriebuscelledePaulRyan.Ondirait Pong, ce jeu vidéo des années 1970 dans lequel une balle blanche estrenvoyéededroiteàgauche,commeautennisdetable.

Priebus–longtempscenséêtrelemaillonfaible,cequipermettaitàBannonet àKushner d’être, à différentsmoments, les véritables chefs de cabinet – setransformeenpetitchiendegarde.ChezBannonl’anti-classiqueetKushner ledémocrate, le trumpisme représente une tendance politique sans lien avec lerépublicanismeclassique.Priebus, entre lesdeux,défendcommeuncerbère leclassicisme.

Bannon et Kushner sont plus qu’agacés quand ils réalisent que le discretPriebusasonpropreagenda:ilfaitsiennelaprédictionduprésidentduSénat,Mitch McConnell, selon laquelle « ce président signera tout ce qu’on luisoumettra».Iltireégalementavantagedel’inexpériencepolitiqueetlégislativedelaMaisonBlancheetdélocaliseauCongrèsletravaildepréparationdeslois.

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Aucoursdespremièressemainesdel’administrationTrump,Priebusfaitlenécessaire pour que le président de la Chambre des représentants, Paul Ryan,bêtenoiredeTrumppendant lacampagne,soitreçuà laMaisonBlancheavecun groupe de présidents de comités de la Chambre. Lors de la réunion, lePrésident déclare allègrement qu’il a peu de temps à accorder aux comités etqu’ilseréjouitdoncqu’unautreenaitàsaplace.Ryan,désormais,alibreaccèsau Président – un Président si profondément ennuyé par la stratégie et lesprocédures législatives qu’il donne carte blanche pour qu’on s’en charge à saplace.

Presque personne ne représente les thèses de Bannon. L’essence dubannonisme est un isolationnisme radical associé à un protectionnismeprotéiformeetunàkeynesianismerésolu.CesprincipesqueBannonattribueautrumpismevontà l’encontredu républicanisme.Quiplusest,Ryan,en théorie« l’as de la politique », est considéré par Bannon comme lent d’esprit sinonincompétent – la cible parfaite de ses persiflages.Cependant, si lePrésident aadopté sans réserve le duoPriebus-Ryan, il ne peut pas nonplus se passer deBannon.

L’uniquecompétencedeBannon–parcequ’ils’estfamiliariséaveclesmotsdu Président plus que le Président lui-même, – consiste à savoirmanipuler lePrésident.IlfaitcroireàTrump,entoutfaussemodestie,qu’ilestsondisciple.Bannonneprônepasledébatinterne,nefournitpasdelignepolitiqueetdétesteles présentations PowerPoint. Il est le talk show personnel de Trump. LePrésidentpeut lebrancher commeune radio à toutmoment et aimeécouter lerécit tonique des déclarations et des vues de son conseiller. Il peut aussi ledébrancher,Bannonrestealorssilencieux.

Kushner n’a ni l’imagination politique de Bannon ni les relationsinstitutionnellesdePriebus.Mais il faitpartiede la familleduchef, cequi luiconfère une certaine autorité. En outre, il a son statut de milliardaire. Il aentretenu des liens avec un large éventail de fortunes new-yorkaises etinternationales,des relationsetdesvieuxamisdeTrumpet, souvent,desgensdontlePrésidentauraitaiméqu’ilsl’apprécientdavantage.Àcetégard,KushnerdevientàlaMaisonBlancheleporte-paroledustatuquodémocrate.Ilressemble

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à ce que l’on appelait jadis un républicain à la Rockefeller. Aujourd’hui, ilpourraitêtreundémocrateà laGoldmanSachs.Lui–etpeut-êtreplusencoreIvanka–estdiamétralementopposéàPriebus,lerépublicaindesévangélistesetdes conservateurs de la Sun Belt1, et à Bannon, le perturbateur anti-parti,populisteetalt-right.

Chacun dans leur coin, ces trois hommes suivent leur propre stratégie.Bannon fait son possible pour retourner Priebus et Kushner et reprendre soncombat en faveur du trumpisme/bannonisme. Priebus, qui se plaint déjà des«néophytesenpolitiqueetdesrelationsdeTrump»,sous-traitesonprogrammeàRyanetauCongrès.EtKushner,quisuitl’unedescourbesd’apprentissagelesplusacceléréesdel’histoiredelapolitique,continueàfaireparfoispreuved’unenaïvetédéroutantequandilditaspireràdevenirl’undesacteurslesplusavertisdumonde,prônantlamodérationetlaprudence.Chacunasespartisans,opposésàceuxdesautres.LesamisdeBannonveulentpasserenforce.CeuxdePriebusse focalisent sur les opportunités du calendrier républicain. Ceux de Jared etd’IvankaencouragentlePrésidentimprévisibleàfairesemblantd’êtremodéréetrationnel.

Et,aumilieu,ilyaTrump.

« Les trois messieurs qui dirigent le pays », comme les appelle Walsh,serventtousTrumpàleurmanière.WalshsaitqueBannoninspirelePrésidentetluifixeunobjectif.LetandemPriebus-Ryanprometdemettreenœuvrecequi,aux yeux de Trump, ressemble aux tâches spécifiques d’un gouvernement.Kushner,quantàlui,sélectionneleshommesrichesquidiscutentavecsonbeau-pèreensoiréeetpressesouventcesderniersdemettrelePrésidentengardeàlafoiscontreBannonetPriebus.

Les trois conseillers sont entrés en conflit quinze jours à peine après ladébâclecauséeparledécretanti-immigrationetle«travelban».Cetterivalitétrouvesasourcedansdesdifférencesdestyle,dephilosophieetdecaractères.Maiselle résulte ausside l’absenced’organigrammeoudehiérarchieefficace.PourWalsh,sonquotidienrelèvede lamission impossible :àpeinereçoit-elle

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unordrede l’undes troisqu’elleadroitàuncontre-ordredudeuxièmeoudutroisième.

«Jeprendsuneconversationpourargentcomptantetmedébrouilleavec,sejustifie-t-elle.J’annoncecequiestauprogrammedujour,reçoislesgensdelacom’pourélaborerunplanmédiatiqueet j’informel’exécutifet leBureaudesrelationspubliques.EtpuisJareddemande :“Pourquoiavez-vous faitça?”Jeluiréponds:“Parcequenousavonseuuneréunionilyatroisjoursavecvous,ReinceetSteve,oùvousavezdonnévotreaval.

—Maisçanevoulaitpasdirequejevoulaisquecesoitauprogramme,cen’était pas l’objet de cette conversation”, poursuitKushner.Et peu importe cequiestdit:Jareddonnerasonaccord,etpuisceserasabotéetJarediravoirlePrésidentpourdire:“Vousvoyez,c’étaitl’idéedeReinceoucelledeSteven.”»

Bannonseconcentresurunesuccessiondedécretsprésidentielsquidoiventpermettre à la nouvelle administration d’avancer sans avoir à patauger auCongrès. Mais le processus est contrecarré par Priebus, qui cultive l’idylleTrump-Ryan et gère l’agenda républicain, lequel à son tour est contrarié parKushner,toutentierdévouéàlabonhomieprésidentielleetauxtablesrondesdePDG, parce qu’il sait combien le Président les apprécie (et combien Kushneraussi, lesapprécie,souligneBannon).Aulieudefairefaceauxconflits, le trioreconnaîtquecesdernierssontquasimentinsolubles.Lestroishommesrefusentd’affonterlaréalitéens’évitantmutuellement.

Ilsonttrouvé,chacunàsamanièreetavecsonastucepersonnelle,unmoyende s’adresser au Président et de communiquer avec lui. Bannon privilégie lerapport de force à la va-te-faire foutre ; Priebus rapporte les flatteries desdirigeants duCongrès ; quant àKushner, il transmet l’approbation des grandspatrons d’entreprises. Ces traits particuliers sont chacun si puissants que lePrésident,commeàsonhabitude,préfèrenepasfairededistinctionentreeux.Ilssontcequ’ilattenddelaprésidenceetnecomprendpaspourquoiilnepourraitpas lesavoir tous. Ilveutcréerunefracture, ilveutqu’unCongrès républicainluidonnedesdécretsàsigner,etenfinilveutl’amouretlerespectdespatronsetde l’élite new-yorkaise. Certains à la Maison Blanche comprennent que lesdécretsprésidentielsdeBannonsontunemanièrederépondreàlaproximitédu

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parti incarnée par Priebus, et que les patrons deKushner sont atterrés par cesdécretsetopposésàunebonnepartieduprogrammerépublicain.SilePrésidentlecomprendaussi,celanel’inquiètepasparticulièrement.

Étantparvenusàunesortedeparalysiedel’exécutifdèslepremiermoisdel’administration – chacun de ces trois conseillers a autant d’ascendant sur lePrésidentquelesautres,ettous,parmoments,l’exaspèrent–Bannon,PriebusetKushnermettentaupointleurpropretechniquepourinfluencerTrumpetévincerlesautres.

L’analyse et le débat ne marchent pas plus que le PowerPoint avec lePrésident. Ce qui fonctionne, c’est : qui dit quoi à Trump et quand ? Si, àl’instigationdeBannon,RebekahMercer l’appelle,celaproduitsonpetiteffet.Priebus peut compter sur l’appui de Paul Ryan. Et si Kushner fait appelerMurdoch,c’estnoté.Chaquenouvelappelannuleleprécédent.

Cette paralysie de l’exécutifmêne les trois conseillers à adopter une autremanière efficace d’atteindre le Président : lesmédias. Chacun d’eux divulguedes informations confidentielles. Bannon et Kushner évitent soigneusementl’expositionmédiatique.Deuxdesmembreslespluspuissantsdugouvernementsont, pour l’essentiel, complètement silencieux, fuient presque toutes lesinterviewsetjusqu’auxdébatspolitiquesclassiquesdelatélévisiondudimanchematin.Maislesdeuxhommess’occupentdubruitdefonddepratiquementtouslesreportagessurlaMaisonBlanche.Audébut,avantdesetirerdanslespattes,BannonetKushnerétaient solidairesdans leursoffensives individuellescontrePriebus. Le vecteur préféré de Kushner estMorning Joe, une des émissionsmatinalesque regarde régulièrement lePrésident.LehavrenatureldeBannon,cesont lesmédiasde l’alt-right–« lesmagouillesBreitbartdeBannon»,auxdiresdeWalsh.Dèslafindeleurpremiermoisenexercice,BannonetKushnerontbâtichacununréseaudechambresd’échodepremièrequalité,ainsiqu’unréseausecondairepourcontrebalancerlepoidsdupremier.LaMaisonBlanchemontre simultanément une extrême hostilité envers la presse et une grandefacilité à organiser des fuites. Sur ce point, aumoins, l’administration Trumpgarantitunetransparencehistorique.

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Les fuites constantes sont souvent imputées à des sous-fifres ou à desfonctionnaires.Finfévrier,SeanSpicerorganiseuneréuniondetoutlepersonnel– les téléphones portables sont déposés à la porte – au cours de laquellel’attachée de presse brandit desmenaces d’écoutes téléphoniques aléatoires etdesavertissementssurl’usagedemessageriescryptées.Chacunaccusetouslesautresd’êtreàl’originedesfuites.

Toutlemondefaitfuiterdesinformations.Un jour,Kushner accuseWalsh de baver sur son compte. Elle le met au

défi : « Mes relevés téléphoniques contre les tiens, ma messagerie contre latienne.»

Maislaplupartdesfuites,entoutcaslesplusjuteuses,viennentdeplushaut–sansparlerdelapersonnequioccupel’échelonsuprême.

Véritablemoulinàparoles,lePrésidentgeintets’apitoiebeaucoupsursonsort.Pour tous, il est clairque s’il aunebonneétoilepour leguider c’est sondésir d’être aimé. Il ne comprend jamais pourquoi personne ne l’aime, oupourquoi il est si difficile d’être aimé par tout le monde. Une visite desyndicalistesdelasidérurgieoudePDGàlaMaisonBlanchesuffitàlerendreheureux toute la journée. Le Président échange des compliments avec sesvisiteurs,puiscettebonnehumeurs’aigritdanslasoiréeaprèsplusieursheuresde télévision. Alors il prend son téléphone et, dans ses divagations nonsécurisées avec des amis ou d’autres, conversations qui durent en moyennetrente ou quarante minutes et peuvent se prolonger plus encore, il s’épanche.Quelques-uns des experts auto-proclamés deTrump– et tout lemonde est unexpert de Trump – affirment que le Président est décidé à « empoisonner lepuits»decesfuites,cequisusciteunclimatdesuspicion,demécontentementetdemenaces.

QuandlePrésidenttéléphoneaprèsdîner,sespropossontsouventdécousus.D’unemanièreparanoïaqueousadique,ilspéculesurlesdéfautsetlesfaiblessesdechaquemembredesonétat-major.Bannonestdéloyal(sanscompterqu’ilestfringuécommeunemerde).Priebusestunfaible(sansoublierqu’ilestpetit,unnain). Kushner, un lèche-bottes. Spicer est stupide (et il a une sale gueule).

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Conway est une pleurnicheuse. Jared et Ivanka n’auraient jamais dû venir àWashington.

Ses correspondants, parce qu’ils trouvent la conversation singulière,inquiétante ou contraire à la raison et au bon sens, ne tiennent pas souventcompte de la nature confidentielle de ces appels. Par conséquent certainesinformationssurlaMaisonBlanchecirculentlibrement.Enréalité,ellesportentmoinssursesrouagesinternesquesurlesélucubrationsduPrésidentquichangede sujet presque aussi vite qu’il s’exprime. Des thèmes récurrents ponctuenttoutefoissonrécit :Bannonvaêtreviré,Priebusaussi,Kushnerabesoindesaprotectioncontrelesméchants.

SiBannon,PriebusetKushnerselivrentuneguerrequotidienne,celle-ciestexacerbée par une sorte de campagne permanente de désinformation sur leurcompte, alimentéepar lePrésident lui-même.Éternel insatisfait, il voit chaquemembredesoncerclerestreintcommeunenfantàproblèmedontlesortreposeentresesmains.«NoussommesdespécheursetilestDieu»,ditl’un.«Nousleservonsàsongranddéplaisir»,ajouteunautre.

Dans laWestWing de chaque administration depuis aumoins Clinton etGore, le vice-président occupe un pouvoir indépendant. Et pourtant le vice-présidentMikePence–leplusréservédecetteadministrationdontladuréeestun sujet de pari national – est un fantoche, une présence souriante semblantrésisteràsonproprepouvoir,àmoinsqu’ilnesoitincapabledel’exercer.

« Je préside aux enterrements et coupe les rubans des inaugurations »,confie-t-ilàunanciencollègueduCongrès.Ceconstatlecantonneaurôled’unvice-président je-m’en-foutiste à l’ancienne, peut-être par crainte de contrariersonpatron.

KatieWalsh,aumilieudecechaos,voitlebureauduvice-présidentcommeunhavredepaix.LepersonneldePencen’estpasseulementconnuàl’extérieurpourl’empressementaveclequelilrappellesescorrespondantsetlafacilitéaveclaquelle il semble accomplir ses tâches au sein de laWestWing. Il est aussicomposédepersonnesquis’apprécientmutuellementettravaillentàunobjectifcommun:éliminerautantquepossiblelesfrictionsautourduvice-président.

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Pence commence presque toutes ses allocutions par ces mots : « Je voustransmets les salutationsdenotrequarante-cinquièmeprésidentdesÉtats-Unis,DonaldJ.Trump…»–unsalutdestinédavantageauPrésidentqu’àsonpublic.

Ilseperçoitcommeunpoliticiensanscharisme,passe-muraillesetpeineàexisterdansl’ombredeDonaldTrump.PeudefuitesproviennentdesoncôtédelaMaisonBlanche.CeuxquitravaillentpourPenceluiressemblent.Ilsnesontpasbavards.

Pence a trouvé la solution pour servir un président qui ne supporte pas lamoindrecomparaison:uneextrêmemodestie.

«Pence,ditWalsh,n’estpasidiot.»Pourtant, c’est ainsique les autreshabituésde laWestWing le jugent,un

hommed’uneintelligenceassezlimitée.Ets’iln’estpasfuté,ilnepeutpasfaireconcurrenceaupouvoir.

Du côté Jarvanka, Pence est une source d’amusement. Il apparaîtextraordinairement content d’être le vice-président deDonald Trump, heureuxdejouerlerôled’unsecondquinevapashérisserlepoilduPrésident.Derrièreson opportune modestie, les Jarvanka reconnaissent la main de la femme dePence, Karen. Il joue si bien son rôle que sa soumission a fini par paraîtresuspecteàcertains.

LecampdePriebus, auquelWalshappartient,voitPence comme l’un desraresgrandspersonnagesdelaWestWingquitraitePriebusenchefdecabinet.Pence ressemblesouventàunsimplesubordonné,undecespreneursdenotestoujoursprésentsdanslesréunions.

DucôtédeBannon,Pencen’engrangequedumépris.«Penceestsemblableaumarid’Ozzie&Harriet2,unnon-événement»,lanceunprochedeSteve.

Même si beaucoup le voient comme un homme susceptible d’assumer unjourlaprésidence,ilestperçucommelevice-présidentleplusfaibledepuisdesdécennies, un costume vide qui ne sert à rien dans l’effort quotidien pourcontrôlerlePrésidentetstabiliserlaWestWing.

Durantcepremiermois,l’incrédulitéetmêmel’angoissedeWalshfaceauxévénements de laMaisonBlanche la conduisent à songer à démissionner.Un

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compteàrebourscommence,jusqu’aujouroùellesaitqu’ellenepourraplusensupporter davantage – ce qui l’amène à la fin mars. Pour Walsh, fièreprofessionnelledelapolitique,lechaos,lesrivalitésetlemanqued’intérêtetdeconcentrationduPrésidentsonttoutbonnementincompréhensibles.

Débutmars,ellevatrouverKushneretluidemander:« Énumérez-moi les trois choses sur lesquelles le Président désire se

concentrer.QuellessontlestroisprioritésdelaMaisonBlanche?—Oui,ditKushner,sansrépondreàsaquestion.Ilnousfaudraitsansdoute

avoircetteconversation.»

1. «Laceinturedusoleil»composéedesÉtatsdusudetdel’ouestdesÉtats-Unis.

2. TheAdventuresofOzzieandHarriet,sitcomaméricainediffuséeentre1952et1966surABC.

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Legrandrendez-vousdesconservateurs

Le23février,alorsqu’ilfait24°CàWashington,lePrésidentseréveilleense plaignant que laMaison Blanche est surchauffée.Mais, pour une fois, sesdoléancesnesontpaslesujetdujour.Lapréoccupationprincipaledesmembresde laWestWingestd’organiserunenoriadecovoituragespourse rendreà laCPAC, laConservativePoliticalActionConference1, le rassemblement annueldes militants du mouvement conservateur, qui, ayant dépassé les capacitésd’accueil des hôtels de Washington, s’est délocalisée au Gaylord NationalResort&ConventionCenter, sur le front demer deNationalHarbor, dans leMaryland.LaCPAC,àdroiteducentredroitettâchantdetenirlecap,entretientdepuislongtempsdemauvaisrapportsavecTrumpqu’elleconsidèrecommeunconservateur improbable, sinon un charlatan. Elle estime aussi queBannon etBreitbartontdérivéversunconservatismeoutrancier.Pendantplusieursannées,Breitbart a organisé à proximité de la conférence un forum concurrent,surnomméTheUninvited2.

LaMaisonBlanchedeTrumpcomptedominerlaconférencecetteannée,ettout le monde veut être là pour ce grand événement. Le Président, prévu auprogramme du deuxième jour, prendra la parole à l’occasion de la premièreannéedesonmandat,àl’instardeRonaldReagan,alorsquelesdeuxBush,quise méfiaient de la CPAC et de ses activistes conservateurs, avaient snobé cerassemblement.

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KellyanneConway,spécialistedesouverturesdecolloque,estaccompagnéedesonassistante,desesdeuxfillesetd’unebaby-sitter.Bannonfaitsapremièreapparition publique en tant que conseiller du Président. Son entourage inclutRebekahMercer,donatriceinfluentedeTrumpetactionnairedeBreitbartNews,safille,etAllieHanley,aristocratedePalmBeach,philantrope,conservatriceetamiedeMercer.(LahautaineHanley,quin’ajamaisrencontréBannon,jugecedernier«peusoigné».)

IlestprévuqueBannonsoitinterviewélorsdelaséancedel’après-midiparleprésidentdelaCPAC,MattSchlapp,unepersonnalitéàl’amabilitéforcéequial’airdevouloirsoutenirTrump.Quelquesjoursauparavant,Bannonadécidéd’inviter Priebus à leur entretien, un geste personnel de bonne volonté, unedémonstration publique d’unité, et le signe d’une alliance naissante contreKushner.

Dans la ville voisine d’Alexandria, en Virginie, Richard Spencer, leprésidentduNationalPolicyInstitute,décritparcertainscommeun«think-tankalt-rightblanc »,considère,augranddamde laMaisonBlanche, laprésidencede Trump comme une victoire personnelle. Il prépare son déplacement à laCPAC, un moment de gloire autant pour lui que pour l’équipe de Trump.Spencer – qui, en 2016, avait déclaré « Faisons la fête comme en 1933 ! »,l’annéeoùHitleraccédaaupouvoir–aprovoquéuntolléavecsessaluts«HeilTrump » largement évoqués dans la presse, puis a joué aumartyr après avoirreçu un coup de poing de la part d’un contestataire, scène immortalisée surYouTube.

La CPAC, organisée autour de ce qui reste du mouvement conservateuraprèsladéfaiteapocalyptiquedeBarryGoldwateren1964,afiniparsauveretfaire triompher la droite. Elle s’est éloignée des adeptes de la John BirchSociety3 et de la droite raciste afin d’embrasser la doctrine conservatrice deRussellKirketWilliamF.Buckley.Elleasoutenuledésengagementdel’ÉtatetlesréformesdedérégulationdesannéesReagan,puisaadoptélespositionsdeladroite – anti-avortement, anti-mariage gay, plus un penchant vers lesévangélistes – et s’est associée avec les médias conservateurs, les premièresradios de droite et, plus tard, Fox News. De cet assemblage, elle a tiré un

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argumentaire fourre-tout sur la pureté, le synchronisme et la supérioritéintellectuelle du conservatisme. Parmi les distractions amusantes de laconférence,quiattiredenombreuxjeunesgenssouventmoquésparlesmédiasdegauche,onpeutciterlescoursdecatéchismeconservateur.

Mais après son essor dans les années 1990 lié à la présidenceClinton, laCPACacommencéàsefissurersouslemandatdeGeorgeW.Bush.LachaîneFox News est devenue le point névralgique du conservatisme américain. LesnéoconservateursdeBushetlaguerreenIrakontétédeplusenpluscontestéspar les libertariens et d’autres factions (entre autres les paléo-conservateurs) ;tandisque les traditionnalistesontétémenacésparunenouvellegénérationdeconservateurs.DurantlesannéesObama,ladroiteesttétaniséeparleTeaPartyet un nouveau média iconoclaste, Breitbart News, exclu des précédentesconférencesdelaCPAC.

En 2011, jurant fidélité au clan conservateur, Trump fait pression pourobtenir la parole et, suite à des rumeurs autour d’une contribution financièresubstantielle, se voit accorder une plage de quinze minutes. Si la CPAC estcenséetenirunecertainelignededroite,elleestaussiattentiveauxproposd’unlarge éventail de personnalités conservatrices, dont, au fil des ans, RushLimbaugh, Ann Coulter et diverses vedettes de Fox News. Un an avant laréélectiond’Obama,Trumprelèvedecettecatégorie.Mais,quatreansplustard,on le voit d’un autre œil. Au cours de l’hiver 2016, lors des primairesrépublicainesàl’issueencoreincertaine,Trump–considéréàlafoiscommeunapostatrépublicainetunamuseurpublic–décidedenepasserendreàlaCPAC,decraintederecevoirunaccueildéplaisant.

En2017, suiteà sonnouvelalignementavec le tandemTrump-Bannon, latête d’affiche de la CPAC est le champion de la droite alternative MiloYiannopoulos4, un provocateur britannique gay, lié à Breitbart News.Yiannopoulos, dont la position, prochede celle d’unprovocateur gauchiste de1968,consisteàbraverle«politiquementcorrect»etlesconventionssociales,est l’une des figures conservatrices les plus déconcertantes dumoment. Il estprobablequelaCPACl’achoisipourmettreà l’honneurBannonet laMaisonBlanche en vertu du lien implicite qui existe entre eux :Yiannopoulos fut en

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effet un protégé de Bannon. Mais quand, deux jours avant l’ouverture de laCPAC,unblogueurconservateurdécouvreunevidéodeYiannopoulossemblantjustifier lapédophilieà l’occasiond’étranges festivités, laMaisonBlanche faitsavoirqu’ildoits’enaller.

Laprésencede laMaisonBlancheà laCPAC– incarnéepar lePrésident,Bannon, Conway, la secrétaire à l’Éducation Betsy DeVos et le conseillerexcentrique de politique étrangère et ancien rédacteur de Breitbart, SebastianGorka – semble faire oublier le cafouillage de Yiannopoulos. La CPAC atoujours cherché à regonfler le charisme de tous ces hommes politiquesennuyeux en les starifiant. Désormais, c’est Trump et tous ceux qui gravitentautourdeluiquitrônentenhautdel’affiche.Avecsafamille,devantunesallecomble,Conwayest interviewéedans lestyled’OprahWinfrey5 parMercedesSchlapp–femmedeMattSchlapp,laCPACétantaussiuneaffairedefamille–,chroniqueuse au quotidien conservateur Washington Times qui rejoindra plustard le personnel en charge de la communication de la Maison Blanche.L’interviewintimistedeConwaymetenvaleurlesopinionsd’unefemmequiaréussi.C’estletyped’entretienauquelelleauraiteudroitàlatélévisionousurlecâble,pense-t-elle, si ellen’avaitpas étéune républicainedeTrumpet auquelonteudroitsesprédécesseursdémocrates,commeValerieJarrett.

Au moment où Conway explique sa position singulière sur le féminismeantiféministe,RichardSpencerdébouledans lecentreoùse tient laconférencedans l’espoir de participer à la table ronde intitulée « L’alt-right n’est pas dedroite », une discrète tentative de la CPAC pour réaffirmer ses valeurstraditionnelles.Spencer qui, depuis la victoire de Trump, s’est engagé à pleintemps dans le militantisme et les interventions médiatiques, espère poser lapremièrequestion.Maisàpeinearrivé,alorsqu’ilpayeses150dollarsdefraisd’accréditation, il attire l’attention d’un journaliste, puis d’un autre, le cerclegrandit,etfaceàcettebousculadespontanée,Spencerimproviseuneconférencedepresse.CommeYiannopouloset,àmaintségards,commeTrumpetBannon,Spencer incarne les incohérences dumouvement conservateurmoderne. Il estplusracistequeconservateuretilsoutientavecenthousiasmelesystèmepublicde santé. Et l’accueil qu’il reçoit, loin d’être un hommage au conservatisme,

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constitueunenouvelletentativedesmédiasdegauchededénigrercelui-ci.Dèslors, des agents des services de sécurité de la CPAC, la police de l’ironieconservatrice, fendent la petite foule d’une trentaine de personnes qui s’estforméeautourdeSpencer.

«Vousn’êtespaslebienvenuici,annoncel’undesgardiens.Onveutvousexpulser,onveutquevousarrêtiez.Onveutvousmettredehors…

—Waouh!s’exclameSpencer.Est-cepossible?—Çasuffitlaparlote,ripostelegarde.C’estunepropriétéprivéeici,etla

CPACveutvousexpulser.»Délestédesonaccréditation,Spencerestreconduitàl’extérieurdupérimètre

delaCPAC,quisetientdansl’hôteloù,installéausalondel’atrium,ilenvoietextosetmailsauxréseauxsociauxetauxjournalistesdesalistedecontacts.

CequeSpencerveutdémontrer,c’estquesaprésenceàlaCPACn’étaitpasvraimentplusgênanteouincohérentequecelledeBannon,oumêmed’ailleursde Trump. C’était peut-être lui qu’on expulsait, mais d’un point de vue pluslarge,àtraversluic’étaientlesconservateursquiseretrouvaientexpulsésdeleurpropre mouvement par de nouveaux acteurs, dont Bannon et Trump, queSpencer nomme les identitaires, porteurs des « intérêts, valeurs, coutumes etculturesdesBlancs».

Spencer est, pense-t-il, le vrai trumpiste, et le reste de la CPAC, desdéviants.

Danslesalonvert,aprèsl’arrivéedeBannon,dePriebusetdeleurséquipes,Bannon–chemiseetvestonsombres,pantalonblanc–setientàcôtédelascèneet discute avec son assistante,Alexandra Preate. Sur sa chaise demaquillage,Priebusselaissepatiemmenttartinerdefonddeteint,depoudreetdegloss.

«Steve…,ditPriebusalorsqu’ilselève,désignantsachaise.—Çava»,répondBannon,levantlamainpouresquisserencoreundeces

petits gestes censés le distinguer de Reince Priebus et de tous ces politicardsmaquillés.

L’importancedecettepremièreapparitionpubliquedeBannonnedoitpasêtresous-estimée.Elleintervientaprèsdesjoursetdesjoursd’agitationdansla

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WestWing,unecouverturedumagazineTime,desspéculationsincessantessursonpouvoiretsesintentions.Ilestdevenu,dumoinsdansl’espritdesmédias,lemystèrecentralde laMaisonBlanchedeTrump.PourBannonlui-même,c’estluiquiapenséetsoigneusementorchestrécemoment.Sonmomentdegloire.Ilagagné sabataillede laWestWing, songe-t-il, il a imposé sa supérioritéà lafois sur Priebus et sur ce crétin de gendre du Président. Et il va maintenants’emparerde laCPAC.Mais,pour lemoment, il fait commeside rienn’étaitalors qu’il est incontestablement le héros du jour.Ne pas se laissermaquillern’estpasjustelemoyendesedistinguerdePriebus,delerabaisser,c’estaussiunemanièrededirequ’enbonsoldat,ilsejettedanslabatailleàdécouvert.

«Voussavezcequ’ilpense,mêmequandvousnesavezpascequ’ilpense,avanceAlexandraPreate.C’estunpeucommeunenfantsagedonttoutlemondesaitqu’ilestméchant.»

Lorsque les deux hommes surgissent sur l’estrade et apparaissent sur lesgrands écrans de télévision, le contraste entre eux ne pourrait pas être plussaisissant.Lemaquillage donne àPriebus un teint de cire, il a l’air d’un petitgarçon dans son costume avec son pin’s. Bannon, le soi-disant ennemi desmédias,monopolise la caméra. C’est une star demusique country, un JohnnyCash. Il gratifie Priebus d’une puissante poignée de main, puis s’étaletranquillementdanssonfauteuilalorsquePriebusneposequeleboutdesfessessurlesien.

Priebusouvrelaséanceparlesbanalitésd’usage.Bannonprendlerelais.«Jetiensàvousremercierdem’avoirenfininvitéàlaCPAC.—Nousavonsdécidédedirequetoutlemondefaitpartiedenotrefamille

conservatrice », déclare Matt Schlapp, résigné, avant de souhaiter ensuite labienvenue au « fond de la salle » où se pressent des centaines de reporterschargésdecouvrirl’événement.

—C’est lepartid’opposition?»demandeBannon,enmettantsamainenvisièreau-dessusdesesyeux.

Schlappenvientàlaquestionarrangée:«Nousavonslupasmaldechosessurvousdeux.Hum…—Toutestvéridique,interromptPriebus.

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—Jeparieque toutn’estpasvrai, reprendSchlapp. Jepariequ’ilyadeschosesécritesquinesontpasexactes.Jevousdemandeàtouslesdeux:quelleest l’idée la plus fausse que l’on se fait sur la Maison Blanche sous DonaldTrump?»

Bannonafficheunsourirenarquois,sansrépondre.Priebusveut témoignerde saproximité avecBannon.Cedernier, dont les

yeuxpapillotent,lèvelemicrocommes’ils’agissaitd’unetrompetteetraconteuneblaguesurleconfortablebureaudePriebus–deuxdivansetunecheminée–etlesien,plusspartiate.

Priebuscontinue:«C’est,ah!…c’estvraiment…quelquechosequevousaveztouscontribué

àbâtir,cequiarrive,quandonserassemble,etcequemontrecetteélection,etce qu’amontré le Président Trump, et ne nous faisons pas d’illusion, je peuxvous parler des données et du terrain, et Steve peut vous parler des grandesidées,maislavéritésurcesujetc’estDonaldTrump,lePrésidentTrump,quiarassemblélepartietlemouvementconservateur.Etjevousdisquesilepartietlemouvementconservateursontunis(Priebusfrappesesdeuxpoingsl’uncontrel’autre)commeSteveetmoi,riennepeutlesarrêter.LePrésidentTrumpestleseul homme, il est le seul, et je peux vous le dire après avoir regardé seizepersonness’entretuer,c’estDonaldTrumpquipeutrassemblercepays,cepartietcemouvement.EtSteveetmoionlesaitetonlevit touslesjours,etnotreboulot c’est de gérer l’agenda du Président Trump et de l’inscrire noir surblanc.»

PendantquePriebusretrouvesonsouffle,Bannonprendlerelais.«Jepensequesivousregardezlepartid’opposition(tendantlamainversle

fond de la salle) et comment ils ont caricaturé la campagne, comment ils ontcaricaturé la transition, et maintenant encore comment ils caricaturentl’administration, ils ont tout faux. Je veux dire que le tout premier jour oùKellyanne etmoi avons commencé, nous avons tendu lamain àReince, SeanSpicer,Katie…C’estlamêmeéquipe,voussavez,qui,touslesjours,bossaitsurla campagne, la même qui a fait la transition, et si vous vous rappelez, lacampagne a été la plus chaotique, c’est ce qu’ont dit les médias, la plus

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chaotique, la plus désorganisée, la moins professionnelle. On ne savaitabsolumentpascequ’ilsfaisaient,etpuisonlesavustouscrieretpleurerlanuitdu8novembre.»

À laMaison Blanche, JaredKushner, qui suit les événements d’abord demanièredistraite,puisavecplusd’attention,sentsoudainlacolèremonterenlui.Àfleurdepeau,sur ladéfensive,sursesgardesaussi, il ressent lediscoursdeBannon comme étant dirigé contre lui. Bannon vient d’imputer la victoire deTrumpàtoutlemonde,sauflui.Kushneralacertitudequ’onlenargue.

Quand Schlapp demande aux deux hommes d’énumérer les exploits destrentederniersjours,Priebusrame,puisserabatsurlejugeGorsuchetledécretdedérégulation,«touteschoses,dit-il,aveclesquelles…(ilmarqueunepause,se battant avec les mots)… quatre-vingts pour cent des Américains sontd’accord.»

Auboutd’unbrefsilence,commes’ilattendaitque lasituationseclarifie,Bannonlèvelemicro:

« Je décompose ça en trois verticales, trois colonnes. La première, lasouverainetéet lasécuriténationale,c’estvosservicesderenseignement,votredépartementdelaDéfense,votresécurité intérieure.Ladeuxième,c’estcequej’appelle le nationalisme économique, et c’est Wilbur Ross, secrétaire auCommerce, SteveMnuchin au Trésor, Robert Lighthizer, représentant pour leCommerce extérieur, Peter Navarro et Stephen Miller qui réfléchissent à lamanièredontnous allons reconstruirenos échanges commerciauxautourde laplanète. La troisième, grosso modo, c’est la déconstruction de l’Étatadministratif…(Bannonmarque une nouvelle pause ; sa phrase, une premièredanslapolitiqueaméricaine,soulèvedevifsapplaudissements.)Lamanièredegouverner de la gaucheprogressiste, c’est que, s’ils n’arrivent pas à passer auCongrès,ilsconfientlebébésimplementsousformederèglementàuneagencegouvernementale.Toutçavaêtredéconstruit.»

Schlappposeunenouvellequestionpréparéecettefoissurlesmédias.Priebuss’enempare,parleetmarmonneunmomentpourneriendireetfinit

surunenotepositive:Nousréussironstousensemble.

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LevantsonmicrounefoisencoreàlamanièredeJoshuadeDarkAngel6,etavecungrandgestedel’autremain,Bannondéclare:

« Cela ne va pas seulement s’améliorer, cela va empirer tous les jours(rengaine apocalyptique qu’il sert à tout-va) et voilà pourquoi… La logiqueinterneadusens,parcequelesmédiasmondialistesglobalistesetcorporatistessont catégoriquement opposés, oui catégoriquement opposés, à un agendaéconomiquenationalistetelqueceluideDonaldTrump.Etvoilàpourquoiçavaempirer : parce qu’il va continuer à respecter son agenda. Et comme lesconditions économiques continuent de s’améliorer, ainsi que la situation del’emploi, ils nous combattront encore. Si vous pensez qu’ils vont vous rendrevotrepayssanslutter,vousvoustrompezlourdement.Ceserauncombatdetouslesjours.C’estlaraisonpourlaquellejesuisfierdeDonaldTrump.Touteslesoccasionsqu’ilaeuesdeflancher,touscesgensqu’ilavusveniràluiendisant:“Oh,unpeudemodération…”(UnenouvellepierreàKushner.)Touslesjours,dansleBureauovale,ilnousdit,àReinceetàmoi:“Jemesuisengagédevantlepeupleaméricain,jeluiaifaitcettepromessependantlacampagne.Etjevaistenirparole.”»

Etenfin,ladernièrequestionconvenueàl’avance:«CemouvementpourTrumppeut-ilsecombineraveccequisepasseàla

CPACetdansd’autresmouvancesconservatricesdepuiscinquanteans?Est-ceunepromessed’union…etcelava-t-ilsauverlepays?

— Eh bien, nous devons nous serrer les coudes dans l’équipe, répondPriebus.Ilfautquenousunissionstousnoseffortspourquecelaarrive.»

Bannoncommencesaréponseenparlantlentement,fixantsonpublicsouslecharme,captivé.

« J’ai dit qu’un nouvel ordre politique se dessine et qu’il est encore enformation.Sivousregardezladiversitéd’opinionsprésentedanscettesalle,quevous soyez populiste, conservateur partisan d’un désengagement de l’État,libertarien ou protectionniste, nous avons des opinions éclectiques et parfoisdivergentes,mais je reste persuadé que le cœur de nos convictions, c’est quenous sommes une nation avec une économie, pas une économie faisantsimplement partie d’un marché mondial aux frontières ouvertes, que nous

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sommesunenationpossédantunecultureetuneraisond’être.Jesuispersuadéquec’estcequinousrassemble.Etc’estcequivaunircemouvementquivadel’avant.»

Aprèsuninstantd’hésitation,Bannonabaissesonmicroetreçoituntonnerred’applaudissements.

À laMaisonBlanche,Kushner est foude rage. Il pensequ’il y a quelquechose d’insidieux dans l’usage que Bannon fait des mots « frontières »,«global»,«culture»et«union»,persuadéqu’ilssontdirigéscontrelui.

KellyanneConways’inquiètedeplusenplusdumanquedesommeiletdestraitstirésdesonprésidentde70ans.Selonelle,c’estsonagitationpermanentequiportel’équipe.Encampagne,ilvoulaittoujoursajouterdenouvellesétapeset de nouveaux discours. Il avait doublé son temps pour convaincre. Hillarytravaillaitàmi-temps, il travaillaitdeux foisplus. Il senourrissaitde l’énergiedesfoules.Maintenantqu’ilvitseulàlaMaisonBlanche,ilsembleperdrepied.

Maisaujourd’hui, ilestderetour. Ilestpassésous la lampeàbronzeretaéclairci ses cheveux.Lorsque lePrésident se réveille cematin, avec 25 °C enplein hiver (ce qui n’étonne pas le climatosceptique) le deuxième jour de laCPAC, il semble différent, rajeuni. À l’heure convenue, dans la salle de balbouclée duGaylord Resort, remplie de toutes les obédiences conservatrices – avec Rebekah Mercer et sa fille au premier rang – et de centaines dereprésentants des médias debout dans une galerie, le Président apparaît surl’estrade, sans la précipitation énergique que prisent les télévisions. Ilmarchelentement,d’unpaslégèrementchaloupésurlesaccordsdeI’mProudtoBeanAmerican7. Il se dirige vers l’estrade en homme politique fort, qui profite dumoment,etapplauditavec lepublic. Ilprend laposede l’artisteet s’approchelentement du podium, formant le mot « Merci » avec ses lèvres, la cravatepourprependantau-dessusdesaceinture.

C’est la cinquième communication de Trump à la CPAC. Steve Bannonaime non seulement se voir comme le créateur deDonald Trump,mais il luisemble aussi trouver une preuve de légitimité dans le fait que, depuis 2011,TrumpvientàlaCPACapporterlemêmemessage.Cen’estpasunnul,c’estun

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messager.Cepays,c’estlapagaille,commeilaimeàlerépéter.Sesdirigeantssont faibles, sagrandeurn’estqu’unsouvenir.Laseuledifférence,c’estqu’en2011 il lisait ses discours et ne faisait que quelques improvisationsoccasionnelles,maintenantilimprovisesurtout.

«MonpremiergranddiscoursaétépourlaCPAC,commencelePrésident.Ilya sansdoutecinqousixans.Monpremiergranddiscourspolitique.Vousétiezdéjà là. J’aiadoréça ! J’aiadoré lepublic, j’aiadoré levacarme. Ilsontsorticesondageoùj’aiexplosé.Jen’étaismêmepasdanslacourse.Maisçam’adonnéuneidée!Etjemesuissentiunpeuconcernéenvoyantcequisepassaitdanscepays,alorsj’aiditOnyva.C’étaittrèsexcitant.JesuisentréenscèneàlaCPAC.J’avaistrèspeudenotesetencoremoinsdepréparation.(Defait,ilalu son discours de 2011 sur une feuille de papier.) Alors quand on apratiquementpasdenotesetaucunepréparation,etpuisqu’onpartetquetoutlemondeestexcité…J’aidit,jecroisquej’aimeceboulot.»

Cepremierpréambulecèdelaplaceàundeuxième.«Jeveuxquevoussachiez tousquenouscombattons les fakenews.C’est

truqué,faux.Ilyaquelquesjours,j’aitraitélesfakenewsd’ennemidupeuple.Commelesgensn’ontpasdesources,ilssecontententdelesinventer.J’aivuunarticle,récemment,oùilsdisaientqueneufpersonnesavaientconfirmé.Oùsontlesneufpersonnes?Jenecroismêmepasqu’ilyenaiteuuneoudeux.Neufpersonnes.Etjeleuraiditlaissez-moitranquille.Jeconnaiscesgens.Jesaisàquiilsparlent.Iln’yajamaiseuneufpersonnes.Maisilsparlentdeneuf…»

Justeaprèsledébutdesonallocutiondequarante-huitminutes,ilimprovisedéjà,àcoupsderépétitions.

«Ilssontpeut-êtreaussimauvaisensondages.Oupeut-êtrenesont-ilspasréglos.C’est l’unou l’autre. Ils sont très intelligents, ils sont très rusés.Et ilssont très malhonnêtes… Juste pour conclure (alors qu’il allait en fait parlertrente-septminutesdeplus)c’estunsujettrèssensibleetilsnesontpascontentsquandnous dénonçons leursmensonges. Ils disent qu’onne peut pas critiquerleur couverturemalhonnête à cause du premier amendement8. Vous savez, ilsinvoquent(ilprendunevoixdefausset)lepremieramendement.Moi,j’adorelepremieramendement.Personnenel’adoreplusquemoi.Personne.»

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Tous les membres de l’équipe de Trump gardent un visage prudemmentimpassible.Quandilssedécrispent,c’estcommes’ilsavaientobservéundélaide rigueur, ou que les rires et les applaudissements de la foule les y avaientautorisés.Toutefois,ilsn’ontpasl’airdesavoirsilePrésidentenafiniavecsesdigressionsincongrues.

«Aufait,vousquiêteslà,lasalleestbourrée,ilyadesqueueslonguesdesixblocs(enréalité,personnenefaisaitlaqueuedevantl’entréedubâtiment),jevousledisparcequevousnelelirezpasdanslapresse.Maisilyadesqueuesdanslarue.

«Ilyauneseuleallégeancequinousunittous,l’allégeanceàl’Amérique,l’Amérique…Nous saluons tous avec fierté le même drapeau américain… etnous sommes tous égaux… égaux aux yeux de Dieu Tout-Puissant… Noussommes égaux… et je voudrais remercier au passage la communautéévangéliste,lacommunautéchrétienne,lescommunautésreligieuses,lesrabbinsetlesprêtresetlespasteurs,leshommesd’Église,parcequeleursoutien,commevous le savez, a atteint des records, en chiffres absolus, mais aussi enpourcentages…un incroyable raz-de-marée et jenevousdécevrai pas…aussilongtempsquenousauronsconfiancelesunsdanslesautresetfoienDieu,alorsiln’yaaucunobjectifquisoithorsdenotreportée…Iln’yapasderêvetropgrand… pas de tâche trop lourde… nous sommes américains et l’avenir nousappartient…L’Amériquerugit.Ellevaêtreplusgrande,meilleureetplusfortequejamaisauparavant…»

DanslaWestWing,certainssedemandentcombiendetempsilvatenir,s’ilpeutmaîtriseràlafoisletempsetsonlangage.Del’avisgénéral,uneéternité.Le sonde savoix, son absenced’inhibition, le fait qu’uneprésentation et unepenséelinéairessoientledernierdesessoucis,l’étonnementquecetteapprochealéatoiresemblesusciter,etsonstocktoujoursrenouvelédelibresassociations–touscesélémentslaissentpenserqu’ilapourseuleslimitesletempsdisponibleetlacapacitéd’attentiondesautres.

Lesmomentsd’improvisationdeTrumpsonttoujoursexistentiels,pluspoursesassistantsquepourlui.Ils’exprimesanscomplexeetavecplaisir,seprenantpour un bon humoriste, un animateur public, tandis que tout son entourage

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retient son souffle. S’il se produit un cafouillage quand ses remarques partentdans tous les sens, sonétat-majordoit recourir à laméthodeStanislavskipourtrouver laparade.Il fautunedisciplinerigoureusepournepasadmettrecequisauteauxyeuxdetous.

AlorsquelePrésidentachèvesondiscours,RichardSpencer,qui,moinsdequatremoisaprèsl’électiondeTrump,estdevenulemilitantd’extrêmedroitelepluscélèbredepuisGeorgeLincolnRockwell9, retournes’asseoirdansl’atriumduGaylordResortpourdébattredesesaffinitésavecDonaldTrump–et,croit-il,viceversa.

Spencer,curieusement,estl’unedesrarespersonnesàtenterdevoirdansletrumpismeunedoctrineintellectuelle.EntreceuxquiprennentTrumpàlalettremaispasausérieux,etceuxquinelesuiventpasàlalettremaisleprennentausérieux, il y a Richard Spencer. Lui, il le suit par conviction. Si Trump etBannon sont les poissons pilotes d’un nouveau mouvement conservateur, lui,Spencer–lepropriétairedealtright.comet,pense-t-il,lereprésentantlepluspurdumouvement–estleurpoissonpiloteextrémiste,qu’ilsleveuillentounon.

Soutenant des thèses proches de l’hitlérisme, ainsi que la plupart desjournalistesontpuleconstater,Spencerestcommeunedroguepourlapressedegauche venue en masse à la CPAC. Il est un exemple parmi d’autres de lapolitiqueanormaledeTrump.

S’il s’est fait connaître par des contributions dans des publicationsconservatrices, iln’estpasofficiellementreconnucommeunrépublicainouunconservateur. C’est un provocateur, mais sans la poigne ou le mordant quedéploientdanslesdînersmondainsuneAnnCoulterouunMiloYiannopoulous.Alors qu’eux sont des réactionnaires d’opérette, lui en est un vrai – unauthentique raciste ayant reçu une bonne éducation, dans les universités deVirginie,deChicagoetdeDuke10.

C’estBannonquiluiamislepiedàl’étrierendéclarantpubliquementqueBreitbartest«laplate-formedel’alt-right»–mouvementqueSpenceraffirmeavoirfondéoudontilpossèdedumoinslenomdedomaine.

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« Je ne pense pas que Bannon ou Trump soient des identitaires ou despartisansdel’alt-right»,expliqueSpencer,quicampejustedevantl’entréedelaCPAC, au Gaylord Resort. Ils ne sont pas, comme Spencer, des racistesphilosophes (ce qui est différent des racistes épidermiques). « Mais ils sontouverts à ces idées. Et ouverts aux gens qui sont ouverts à ces idées. Nousajoutonsdupiment.»

Spenceraraison.TrumpetBannon,avecJeffSessions11quifaitégalementpartie de l’équipe, se sont rapprochés plus que n’importe quel politiciend’envergurenationaledepuislesannées1960d’uneidéologieraciste.

«Trumpaditdestrucsquelesconservateursn’auraientjamaispensés…Sescritiquessurlaguerred’Irak,sonbashingdelafamilleBush,jenepouvaispascroirequ’illeferait…maisill’afait…Qu’ilsaillentaudiable!Si,enboutdeligne, une bonne famille blanche et protestante produit Jeb et W.12, alors,clairement, c’est un signe évident de déni… Et maintenant ils épousent desMexicaines…LafemmedeJeb…Ilaépousésafemmedeménageoujenesaisqui.

«DanssondiscoursàlaCPACde2011,Trumpdemandeexplicitementunassouplissementdes restrictionsd’immigration pour lesEuropéens…pour quenous refondions uneAmérique qui serait beaucoup plus stable et plus belle…Aucunautrepoliticienconservateurnediraitceschoses…mais,d’unautrecôté,presquetoutlemondelesapensées…alorsc’estfortdelesdire.Clairement,unprocessusdenormalisationestencours.

«Noussommesl’avant-gardedeTrump.LagauchediraqueTrumpestunnationaliste et un quasi-raciste ou un raciste qui ne dit pas son nom. Lesconservateurs,parcequ’ilssontsiprétentieux,disent,eux:Oh,non,biensûrquenon,c’estunconstitutionnaliste,oucequevousvoulez.Nous,partisansd’unedroite alternative, nous dirons : il est nationaliste et il est “racialiste”. Sonmouvementestunmouvementblanc. »

L’air très satisfait, Spencer marque un silence, puis reprend : « Nous luiaccordonsnotreautorisation.»

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Non loin de là, dans l’atrium du Gaylord Resort, Rebekah Mercer s’estinstalléeavecsafillescolariséeàdomicileetAllieHanley,sonamiemécènedesconservateurs. Les deux femmes sont d’accord pour dire que le discours duPrésidentàlaCPACl’amontrésoussonmeilleurjour,pleindegrâceettoutàfaitcharmant.

1. Conférence d’action politique conservatrice, grand rendez-vous politique considéré comme unbaromètrepourlechoixducandidatrépublicainàlaprésidentielleaméricaine.

2. «LesExclus».

3. Associationd’extrêmedroiteaméricainefondéeàIndianapolisen1958,enmémoiredeJohnBirch,militaireetmissionnaireprotestanttuépardescommunisteschinoisen1945.

4. Journalisteetentrepreneurbritanniquenéle18octobre1983.IlfondeTheKernel,unmagazineenligne sur les nouvelles technologies. Bien qu’ouvertement homosexuel, Yiannopoulos qualifiel’homosexualitéd’«aberration».

5. Animatrice, actrice, etproductriceaméricainede télévisionetdecinéma,elleest surtout connuepour son talk-show,TheOprahWinfrey Show. Elle est pressentie pour être la prochaine candidatedémocrate.

6. Être masculin transgénique mi-homme mi-chien dans la deuxième saison de la série de JamesCameron.

7. Morceaudel’albumAmericanPatriot,LeeGreenwood,1992.

8. PremieramendementàlaConstitutiondesÉtats-Unis,1791:«LeCongrèsn’adopteraaucuneloirelativeàl’établissementd’unereligion,ouàl’interdictiondesonlibreexercice;oupourlimiterlalibertéd’expression,delapresseouledroitdescitoyensdeseréunirpacifiquementoud’adresseraugouvernementdespétitionspourobtenirréparationdestortssubis.»

9. Chefdupartinéonaziaméricaindanslesannées1960.

10. Universitéderechercheprivéetrèsrenommée,situéeàDurhamenCarolineduNord.

11. Membre duParti républicain, sénateur fédéral de l’Alabama, puis Procureur général desÉtats-Unisdansl’administrationdeDonaldTrumpdepuis2017.

12. JebetGeorgeW.Bush.

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10

GoldmanSachs

ÀlaMaisonBlanche,leclanJarvankavoitseseffortssapésparlesrumeursrépandues par Bannon et ses alliés. Jared et Ivanka, toujours désireux de semontrer adultes, se sentent blessés par ces attaques. Kushner est désormaispersuadé que Bannon ferait n’importe quoi pour leur nuire. Une affairepersonnelle.Après desmois passés à défendreBannon contre les insinuationsdesmédiasdegauche,KushnerconclutqueBannonestantisémite.Ils’agitd’unproblèmedefond.Unsujetcompliquéetfrustrant,difficileàdémêleravecsonbeau-père – parce qu’une des accusations de Bannon contre Kushner, lespécialiste de l’administration sur leMoyen-Orient, c’est qu’il n’est pas assezengagédansladéfensed’Israël.

Après les élections, le présentateur de Fox News, Tucker Carlson, faitremarquerenprivéauprésident,suruntonjoyeuxmaissournois,qu’enconfiantavec désinvolture le portefeuille d’Israël à son gendre – qui, selon Trump, vainstaurerlapaixauMoyen-Orient–,ilneluiapasfaituncadeau.

«Jesais»,répondTrump,appréciantletraitd’humour.Les Juifs et Israël forment un curieux non-dit chez Trump. Son père, un

grossier personnage, proférait souvent des propos antisémites. Au sein del’immobiliernew-yorkais,unefractureexistaitentrelesJuifsetlesnon-JuifsetlesTrumpappartenaientaucampleplusfaible.LesJuifsreprésentaientlehautdupanieretDonaldTrump,davantageencorequesonpère,étaitperçucomme

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unparvenu.Ilmettaitsonnomsursesimmeubles,cequiparaissaitvulgaire,etpourtant, imposer sa marque sur les bâtiments s’est révélé une avancéesignificativedanslemarketingdel’immobilieretfutsonplusgrandfaitd’armescomme promoteur. Trump a grandi etmonté son affaire àNewYork, la plusgrandemétropole juivedumonde. Il a construit sa réputationdans lesmédiasnew-yorkais, l’industrie laplus juive,etcomprendbien ladynamiqueclaniquequi s’yexerce.SonmentorestRoyCohn,unJuifmi-mondain,mi-voyou. Il acourtisé d’autres personnalités qu’il considère comme des « Juifs durs » (uncompliment à ses yeux) :Carl Icahn, lemilliardaire de fonds spéculatifs ; IkePerlmutter, l’investisseurmilliardairequiaachetéet revenduMarvelComics ;Ronald Perelman, le président de Revlon ; Steven Roth, le magnat del’immobilier new-yorkais et Sheldon Adelson, le roi des casinos. Trump aadoptéuntondevieilonclejuifdesannées1950(dugenrecoriace)avectoutunassortimentdemotsyiddish–iladéclaréqu’HillaryClintonavaitétéschlongàlaprimairede2008–,quiluiconfèrentuneexpressivitéinattendue.Désormais,safille,premièredamedefacto,est,grâceàsaconversion,lapremièrerésidentejuivedelaMaisonBlanchedeTrump.

Tout au long de la campagne et, aujourd’hui, à la Maison Blanche, lesappartéssurlesJuifssontnombreux,leurestimepourDavidDuke1estambiguëtoutcommeleurdésirapparentderetoucher l’histoirede laShoah.Àunstadeencore précoce de la campagne, le gendre de Trump, dont la bonne foi estcontestéeparsespropresemployésauNewYorkObserver,acherchéàépaulerson beau-père et a rédigé une défense de Trump pour tenter de prouver qu’iln’étaitpasantisémite.Jaredfutensuiteréprimandéparplusieursmembresdesaproprefamille,visiblement inquietsde ladirectionqueprenait le trumpismeetdel’opportunismedugendre.

Sansoublier le flirtdeTrumpavec lepopulismeeuropéen.Dèsqu’il en al’occasion,Trumpsembles’aligneretapprouverl’extrêmedroiteeuropéenneetses positions antisémites. Enfin, Bannon se transforme parfois en pseudo-humoristeantisémite.Onnepeutnierqu’agacer les Juifsdegauchenedéplaîtpasàladroiteaméricaine.

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Kushner l’opportuniste, par le passé, a repoussé toutes les invitations àsoutenir les organisations juives traditionnelles. À chaque fois qu’il a étésollicité,lerejetonmilliardaireatoujoursrefusésacontribution.C’estpourquoipersonnen’estplusperplexequelesorganisationsjuivesaméricainesdevant lasoudaineascensiondeJareddevenugrandprotecteurd’Israël.Désormais,l’élitejuive,lesrespectésetleséprouvés,lesmandarinsetleurssbires,doiventfairelacour à Jared Kushner… qui, à peine quelques minutes auparavant, était unparfaitinconnupoureux.

PourTrump,confierIsraëlàKushner,cen’estpasseulementun test,c’estuntestjuif:leprésidentledistinguepoursajudéité,ill’enrécompense,maisluiimpose aussi une tâche impossible du fait de cettemême judéité. Il utilise leclichédelasupérioritédesJuifsdanslesnégociations.«HenryKissingerditqueJared va être le nouveau Henry Kissinger », répète souvent Trump, uncomplimentambigu.

Bannon,poursapart,n’hésitepasàcuisinerKushnersurIsraël,cecurieuxexamen de conscience de la droite. Bannon peut critiquer certains Juifs – lesmondialistes, cosmopolites, démocrates Davos-compatibles comme Kushner –parcequeplusonestàdroite,plusonestenphaseavecIsraël.Netanyahou, lePremierministreisraélien,estunvieilamidelafamilleKushner,maisquandils’estrenduàNewYorkàl’automnepouryrencontrerTrumpetKushner,iln’apasmanquédeconsulterégalementBannon.

Sur Israël, Bannon s’est associé à Sheldon Adelson, titan de Las Vegas,importantdonateurdeladroiteet,dansl’espritduPrésident,leJuifleplusdurdes durs (c’est-à-dire le plus riche). Adelson dénigre régulièrement lesmotivationsetlestalentsdeKushner.Trump,àlagrandesatisfactiondeBannon,ne cesse de répéter à son gendre de consulter Sheldon – et, donc, Bannon –concernantlastratégieàadopterpourIsraël.

Bannon, qui veut l’étiquette de champion d’Israël, dérouteKushner, élevédans une famille de Juifs orthodoxes. Ses lieutenants les plus proches à laMaison Blanche, Avi Berkowitz et Josh Raffel, sont eux aussi des Juifsorthodoxes.Levendrediaprès-midi, touteslesaffairesdeKushneràlaMaison

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Blanche s’arrêtent avant le coucher du soleil pour laisser place au respect duShabbat.

PourKushner, la défense d’Israël par la droite deBannon, embrassée parTrump,ressembleàuncombatdeju-jitsuantisémismedirectementdirigécontrelui.BannonveutdonneràKushnerunrôledefaibleetdemédiocre–decocu,danslelangagedeladroitealternative.

Alors Kushner se venge en introduisant à la Maison Blanche ses Juifscoriaces–ceuxdeGoldmanSachs.

KushnerainsistépourqueleprésidentdelabanqueGoldmanSachs,GaryCohn,dirigeleConseiléconomiquenationaletdevienneleprincipalconseilleréconomiqueduPrésident.LechoixdeBannons’étaitportésurleprésentateuretjournalisteconservateurdeCNBC,LarryKudlow.MaispourTrump, lecachetGoldmanéclipsemêmeunepersonnalitétélévisuelle.

C’est un moment à la Richie Rich2. Kushner fut stagiaire un été chezGoldman quand Cohn était directeur du négoce de matières premières. Cedernierestdevenuprésidentdelabanqueen2006.UnefoisCohndansl’équipedeTrump,KushnernemanqueaucuneoccasionderappelerqueleprésidentdeGoldman Sachs travaille pour lui. Bannon, suivant la personne qu’il veutoffenser,soitparledeKushnercommedustagiairedeCohn,soitremarquequeCohnœuvredésormaispoursonancienstagiaire.LePrésident,quantàlui,invitecontinuellementCohnàsesréunions,surtoutaveclesdirigeantsétrangers,dansleseulbutdeleurprésenterl’ancienprésidentdeGoldmanSachs.

Bannonsevanted’êtrelecerveaudeTrump,unefanfaronnadequiirriteleprésident.MaisKushnervoitenGaryCohnunmeilleurcerveaupourlaMaisonBlanche:nonseulementc’estunemeilleurestratégiepolitiquequeCohnsoitlecerveaudeKushner plutôt que celui deTrump,mais son intronisation est uneriposteparfaiteauchaosmanagérialdeBannon.CohnestlaseulepersonnedelaWestWingàavoirgéréunegrosseorganisation(GoldmanSachscomptetrente-cinqmille employés). Et, sans trop vouloir insister –même si Kushner ne segênepaspourlefaire–,BannonestpartideGoldmanenayantàpeineatteintlestatut de cadre moyen alors que Cohn, appartenant à la même génération, a

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poursuivi son ascension jusqu’au plus haut niveau de l’entreprise, empochantdes millions de dollars au passage. Cohn, un démocrate « mondialiste-cosmopolite » habitantManhattan, qui a voté pourHillaryClinton et échangerégulièrement avec l’ancien sénateur démocrate duNew Jersey et gouverneurJonCorzine,apparaîtimmédiatementcommel’antithèsedeBannon.

Bannonl’idéologueleconfirme:Cohnestsonexactopposé,unnégociantqui fait ce que font les négociants, ils tâtent le terrain et vont dans le sensduvent.«DemanderàGaryCohndeprendrepositionestaussivainquedevouloirclouerdespapillonssurunmur»,commenteKatieWalsh.

CohncommenceàdéfinirunefutureMaisonBlanchecentréesurlemondedes affaires et engagée à orienter le centre droit vers des positions plusmodérées.Dans cettenouvelle configuration,Bannon estmarginalisé etCohn,qui ne pense rien de bien de Priebus, devient une sorte de chef de cabinet endisponibilité. Pour lui, l’avenir est un large boulevard. Tout devrait se passercommeprévucarPriebus est un poids léger etBannon un plouc incapable degérerquoiquecesoit.

Quelques semaines après l’arrivée de Cohn dans l’équipe de transition,Bannon met son véto au projet de Cohn d’agrandir le Conseil économiquenationaldetrentenouveauxmembres.Kushner,desoncôté,s’opposeauprojetdeBannondeconfieràDavidBossie3laconstitutionetladirectiondesonstaff.Bannon raconte l’anecdote suivante (vraisemblablement proche de la vérité ettrès populaire chez Goldman Sachs) : Cohn, déjà désigné futur patron de labanque,enauraitétéviréaprèsavoirfâcheusementessayédeprendrelepouvoir,commeHaig– en1981, alors secrétaire d’État,AlexanderHaig avait tenté defaire valoir que le pouvoir lui revenait après la tentative d’assassinat contreReagan–alorsquelePDGdeGoldman,LloydBlankfein,suivaituntraitementcontre le cancer. Selon la version de Bannon, Kushner a acheté de lamarchandise avariée. LaMaison Blanche apparaît comme la planche de salutprofessionnelle de Cohn. Pourquoi, sinon, aurait-il intégré l’administrationTrump? (Unebonnepartiedeces spéculationsaété rapportéeà lapresseparSamNunberg,l’ancienfactotumdeTrumpquisertmaintenantBannon.Nunbergnemâchepassesmotssursesintentions:«J’exploseGarydèsquejepeux!»)

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Démontrantlepouvoirdesliensdusangetcelui,aussi,deGoldmanSachs,les démocrates Kushner-Cohn dominent la scène, alors que Washington setrouvesouslecontrôledesrépublicains,etquelaWestWingesttenueparunedroitevirulente,sinonantisémite.CetexploitestdûenpartieàKushnerquifaitpreuved’unepugnacité inattendue.Iln’aimepaslesconflits–danssafamille,sonpèreenavaitlemonopole.Iln’affronteniBannonnisonbeau-père.Stoïque,il commence à se voir comme le dernier homme modéré, l’incarnation de lamodestie,leballastnécessaireaunavire.Unexploitparticuliermetenévidencece constat : l’accomplissement de lamission que lui a confiée son beau-père,celle qu’il considère de plus en plus comme sondestin.Oui, il instaurerait lapaixauMoyen-Orient.

« Il va faire la paix au Moyen-Orient », dit souvent Bannon d’une voixpénétréeetd’unairinexpressif,cequidéclenchel’hilaritédetoussespartisans.

D’uncôté,Kushnerserévèleunpeudingueettoutàfaitridicule.Del’autre,c’est un homme, épaulé par sa femme et par Cohn, qui se sait chargé d’unemissionsurlascènemondiale.

C’est, là encore, une autre bataille à remporter ou à perdre. BannonconsidèrequeKushneretCohn(ainsiqu’Ivanka)viventdansuneautre réalité,souventdéconnectésdelavéritablerévolutiontrumpiste.KushneretCohn,eux,voient en Bannon un homme non seulement destructeur, mais aussiautodestructeur.Ilssontcertainsqu’ils’autodétruiraavantdelesdétruire.

Dans laMaisonBlanche deTrump, observeHenryKissinger, « c’est uneguerreentrelesJuifsetlesnon-Juifs».

Pour Dina Powell, l’autre recrue de Goldman dans la West Wing, leprincipal problème de ceux qui travaillent à la Maison Blanche est l’opinionnégative que suscite le fait d’être associés à la présidence Trump. PowellprésidaitauparavantlaFondationGoldmanSachs,labranchephilanthropiquedelabanque.VedetteàDavos, lagrandeprétressedes réseauxrelieentreeux lespuissantsdecemonde.Ellesesitueaucroisementde l’imageetde la fortune,dansunmondedeplusenplussensibleàlarichessepersonnelleetauxgrandesmarques.

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Sesambitionspersonnelles,etlaforcedepersuasiond’IvankalorsdeleursbrèvesrencontresàNewYorketàWashington,conduisentPowellàignorersesdoutes:ellemonteàborddunavire.Ellefaitlepari,politiquementrisquémaisàfortrendement,qu’ens’alignantsurJaredetIvanka,entravaillantàproximitédeCohn,sonamietalliédeGoldman,ellepourraits’emparerdelaMaisonBlancheaveceux.Ils’agitd’unplantacite,riendeplus,l’idéequeCohnouPowell–ettrès probablement les deux au cours des quatre ou huit années suivantes –finirontparoccuperlepostedechefdecabinet.Lesrécriminationscontinuellesdu Président envers Bannon et Priebus, notées par Ivanka, encouragent cescénario.

CequimotivePowell,etcen’estpasundétail,c’est le sentiment,partagéparJared et Ivanka– et jugé convaincant parCohn–, que laMaisonBlanches’offre à eux. Pour les deux anciens banquiers, la proposition de rejoindrel’administration Trump sort du cadre de l’opportunisme pour semuer en uneformededevoir.Ceseraitleurmission,encollaborantavecJaredetIvanka,deles aider à gérer et à façonner une Maison Blanche actuellement en passed’incarner l’inverse de la raison et de lamodération. Ils peuvent contribuer àsauverl’exercicedupouvoiretaussifaireungrandbondenavantpersonnel.

Pour Ivanka,qui se consacre à la causedes femmesà laMaisonBlanche,l’imagedeDinaPowellcontrebalancecelledeKellyanneConway,qu’IvankaetJareddédaignent.Conway,quigardelafaveurduPrésidentetrestetoujourssathuriféraire préférée dans les émissions télévisées, a publiquement déclaré quel’administration avait un visage, le sien. Pour Ivanka et Jared, ce visage esthorrible.LespirespulsionsduPrésidentsemblentêtre rapportéesparConway,sans filtre.Elle fait siennes la colère, l’impulsivité et les fautes de langageduprésident.Alorsqu’unconseillerduprésidentestcenséatténueretinterprétersesidiosyncrasies,Conwaylesexprime, lesmultiplie, les théâtralise.ElleprendaupieddelalettrelademandedeloyautédeTrump.Del’avisd’IvankaetdeJared,Conwayestunefemmeentêtée,hostile,enclineàdramatiser,tandisquePowellserait,espèrent-ils,uneinvitéeaviséeetcirconspectedesémissionspolitiquesdudimanchematin.

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Fin février, après la débandade du premier mois dans la West Wing, lacampagnedesapemenéeparJaredetIvankaàl’encontredeBannondonnesespremiersrésultats.LecouplereçoitlesretoursdesesinterventionsauprèsdeJoeScarborough et de Rupert Murdoch, notamment. Dans le même temps,l’irritation du président et sa frustration concernant l’importance supposée deBannon à la Maison Blanche se sont renforcées. Pendant les semaines quisuivent la couverture du magazine Time consacrée à Bannon, Trump y faitallusionavecamertumedanschacunedesesconversations.«Quandquelqu’und’autre que lui fait la couverture de Time, raconte Roger Ailes, cela signifieseulementpourTrumpquequelqu’unaprissaplace.»Scarboroughpimentesespotins en évoquant avec ironie « le président Bannon ». Murdoch sermonnecontinuellementTrumpsurlabizarrerieetl’extrémismedeBannonqu’ilassocieàAiles:«Ilssontfoustouslesdeux.»

KushnerfaitaussivaloirauPrésident–quialaphobiedetoutefaiblesseliéeàl’âge–queBannon,avecses63ans,netiendrapaslecoupsouslapressionquipèsesurlescollaborateursdelaMaisonBlanche.Bannontravailleentreseizeetdix-huit heures par jour, sept jours sur sept et, par peur de manquer uneinjonctionprésidentielleoucraignantquequelqu’und’autrenes’encharge,ilseconsidère d’astreinte toute la nuit. Au fil des semaines, son état semble sedétériorer,auxyeuxde tous. Ila levisagebouffi, les jambesenflées, lesyeuxlarmoyants,uneapparencenégligée,desmomentsd’inattention.

Au début du deuxième mois de la mandature de Trump, le camp Jared-Ivanka-Gary-Dina se consacre au discours que le Président doit prononcerdevantleCongrèsréunienséanceplénièrele28février.

«Réinitialisation,déclareKushner.Onréinitialisetout.»L’occasionestidéale.Trumpprononceralediscoursquidéfileradevantlui

sur un prompteur. Il sera aussi largement diffusé avant la séance. De plus,l’assistance, bien élevée, ne le poussera pas dans ses retranchements. Lesmanipulateurs sont sous contrôle.Etpour cetteoccasionce sont Jared-Ivanka-Gary-Dinaquisontàlamanœuvre.

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«Steve s’attribuera tout leméritede tondiscours s’il contientne serait-cequ’unseulmotdesoncru»,ditIvankaàsonpère.Ellesaitbienquelemérite,plus que le contenu, est sa préoccupation majeure, et son avertissement luigarantitqueTrumpnelaisserapasBannonytoucher.

«LediscoursGoldman»,commelesurnommeBannon.L’introduction, largement rédigée par Bannon et Stephen Miller, choque

Jaredet Ivanka.Mais l’unedesparticularitésde laMaisonBlanchedeTrump,qui aggrave ses problèmes de communication, réside dans l’absence d’uneéquipe chargée d’écrire les discours. Bannon, homme cultivé et sachant biens’exprimer, n’écrit rien lui-même, etStephenMiller se cantonne àmentionnerlespointsimportants.Ensuite,touslescoupssontàpeuprèspermis.Iln’existepasdemessagecohérentparcequ’iln’yapersonnepourleformuler.Encoreunexempleduméprisdecetteadministrationpourlamatièrepolitique.

Ivankas’emparedubrouillonets’empressed’yintégrerdescontributionsducampJarvanka.

Devant le Congrès, le 28 février, le Président se comporte exactementcommelesJarvankal’espéraient.VoilàunTrumpoptimiste,unTrumpvendeur,unTrump inoffensif, unTrump en soldat heureux. Jared, Ivanka et tous leursalliés jugent la soiréemagnifique, tombentd’accordpourdireque, finalement,au milieu de toute cette pompe – Mr. Speaker, the President of the UnitedStates–,Trumpavraimentl’airprésidentiel.Etpourunefois,mêmelesmédiassontd’accord.

Lesheuresqui suivent sont lesmeilleuresdeTrumpà laMaisonBlanche.Les journalistes entrevoient ce jour-là une présidence différente. Ce discoursaurait même soulevé une crise de conscience chez certains d’entre eux. Ceprésident aurait-il été gravement incompris ? Les médias, les médiastendancieux, sont-ils passés à côté d’unDonald Trump bien intentionné ? Cederniermontre-t-ilenfinsabonnenature?LePrésidentpassepresquedeuxjoursentiersànerienfaired’autresinonsavourersabonnepresse.Ilatteint,enfin,undoux rivage (avec des indigènes reconnaissants sur la plage). Le succès de cediscours conforte Jared et Ivanka dans leur stratégie, et Ivanka dans la

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compréhensiondesonpère:ilveutjustequ’onl’aime.Et,enfin,ilconfirmelapirecraintedeBannon:Trump,aufond,c’estdelaguimauve.

Trumpausoirdelaséanceplénièren’estpasseulementunnouveauTrump,il est aussi la preuve qu’il existe dans la West Wing un nouveau grouped’experts (qu’Ivanka compte rejoindre officiellement quelques semaines plustard).JaredetIvanka,assistésdeleursconseillersdeGoldmanSachs,changentlemessage,lestyleetlesthématiquesdelaMaisonBlanche.«Tendrelamain»devientlenouveaumantra.

BannonsetireuneballedanslepiedenjouantlesCassandreauprèsdetousceuxquil’écoutentencore.Ilclamequeseulundésastrepeutdécoulerdecetteattitudelénifianteenversdesennemismortels.Ilfautcontinueràcroiserlefer,onse leurresi l’oncroituncompromispossible.LavertudeDonaldTrump–selonBannon–résidedanslefaitquel’élitecosmopolitenel’accepterajamais.Etendépitdeseffortsdesonentouragepourlefairebriller,ilrestemalgrétoutDonaldTrump.

1. Hommepolitiqueaméricain,militantdelasuprématieblanche.

2. FilmaméricainréaliséparDonaldPetrieen1994,d’aprèslaBDdumêmenom.Lehéros,RichieRich,estproclamé« l’enfant leplus richedumonde».Maisengrandissant, il se rendvitecomptequ’ilyaunechosequel’argentnepeutacheter:descopains.

3. DirecteurdecampagneadjointdeDonaldTrump.

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Surécoutes

Avec trois écrans de télévision dans sa chambre à laMaison Blanche, lePrésidentpeutchoisir lui-mêmesesprogrammes.Maispour lapresseécrite, ildépend deHopeHicks. Elle a été l’une de ses collaboratrices juniors pendantl’essentiel de sa campagne et sa porte-parole (même si, comme il le rappellevolontiers,Trumpest sonpropreporte-parole).Chacuns’accordeàdireque lajeune femme a été mise sur la touche par la bande de Bannon, la factionGoldmanSachs,ainsiqueparReincePriebusetsonéquipeduRNC.LeshautsresponsablesdelaMaisonBlanchelaconsidèrenttropjeuneetinexpérimentée–lesjournalistescouvrantlacampagnesesouviennentsurtoutdesesmini-jupes–etlatiennentpourunebéni-oui-ouiayanttoujourspeurdecommettreuneerreur,peusûred’elleetrecherchantsanscessel’approbationduPrésident.Trumpvientsouventàsonsecours–«OùestHope?»–etlatiredunéantdanslequellesautress’efforcentdelaconsigner.Àlastupéfactiongénérale,Hicksdemeuresacollaboratricelaplusproche.Ilsereposeentièrementsurellepourlatâchepeut-êtrelaplusimportantedelaMaisonBlanche:interpréterlesarticlesdepressedela manière la plus positive, et le protéger des commentaires impossibles àprésentersousunjourfavorable.

Le lendemain du discours de « réinitialisation » devant le Congrès, le28février2017,HopeHicksdoitaffronterunesituationdélicate.Lespremièresréactionssontplutôtpositives,maisleWashingtonPost,leNewYorkTimesetle

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NewYorkerapportentcejour-là,matindu1ermars,unhorriblebouquetdetrèsmauvaises nouvelles. Heureusement, les trois articles n’ont pas encore étémentionnésparlestélévisions,cequilaisseàHicksunbrefrépit.Durantlaplusgrandepartiede la journée, la jeune femmeelle-mêmene semblepasmesurerl’étenduedesdégâts.

L’articleduWashingtonPost s’appuie surune fuitevenuedudépartementdelaJustice(lasourceestun«ancienhautfonctionnaire»,doncprobablementquelqu’un de l’administrationObama) et affirme, suite aux fuites dumois dejanvier1, que le nouveau Procureur général, Jeff Sessions, a rencontré à deuxreprisesl’ambassadeurdeRussie,SergueïKisliak.

Lorsquel’informationestprésentéeauPrésident,celui-cinevoitpasoùestleproblème.«Etalors?»demande-t-il.

Ehbien, luiexplique-t-on,SessionsaaffirmélecontraireaumomentdelaconfirmationdesanominationparleSénat.

Lorsdecetteaudiencedeconfirmationdu10janvier,aétéinterrogéparAlFranken,ancienhumoristedevenusénateurdémocrateduMinnesota,l’interroge.Franken avait l’air de chercher ses mots et de mener l’entretien à tâtons. Ilcommençait, s’interrompait, construisait laborieusement ses phrases. On lui afaitpasserunequestionsoulevéeparledossierSteelequivenaitd’êtrerévélé,etilafinipardéclarer:

Cesdocumentsaffirmeraientégalementque,jecite:«Ilexistaitunéchangecontinud’informations,aucoursde lacampagne,entre lesreprésentants de Trump et des intermédiaires du gouvernementrusse.»Unefoisdeplus,jeprécisequejevouslerapportetelquec’estsorti,pour que vous soyez informé. Mais si c’est la vérité, c’estévidemment très grave et s’il existe le moindre élément indiquantque quelqu’un d’affilié à la campagne Trump a été encommunication avec le gouvernement russe au cours de cettecampagne,queferez-vous?

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Aulieuderépondreà l’interrogationdétournéedeFranken–«Que ferez-vous?»–parunfacile«Biensûr,nousenquêteronsettouteactionillégaleferal’objetdepoursuites»,Sessions,désarçonné, répondàunequestionquine luiestpasposée.

Sénateur Franken, je n’ai pas connaissance de telles activités. Onm’anomméàuneoudeuxoccasions représentantde lacampagne,mais je n’ai pas eu, je n’ai pas été en communication avec lesRusses,voilàtoutcequejepeuxvousdire.

LaquestionqueseposelePrésidentestdesavoirpourquoiilseraitmauvaisdeparleraveclesRusses.Iln’yapasdemalàça,insiste-t-il.Commesouvent,ilestdifficiledeledétournerdesonidéepourl’orienterverslefondduproblème:unpossiblemensongedevantleCongrès.L’articleduPost,àsupposerqu’ill’aitcompris,nel’inquiètepasoutremesure.ToutcommeHopeHicks,ilnevoitdanscette histoire qu’unemanœuvre hasardeuse pour tenter d’épingler Sessions.Etpuisdetoutemanière,Sessionsabienditqu’iln’avaitpasrencontrélesRussesentantquereprésentantdelacampagne.Doncilnel’apasfait.Pointbarre.

«Fakenews»,conclutTrump,utilisantsarépliquefourre-tout.QuantàlasalehistoireracontéeparleTimes,tellequeHickslaluiprésente,

elle apparaît au Président comme une bonne nouvelle.Nourri de témoignagesanonymesissusdel’administrationprécédente(encoredessourcesestampilléesObama), l’article ajoute une nouvelle dimension aux soupçons toujourscroissantsdeconnexionentrelacampagneTrumpetlesRussesafind’influersurl’électionaméricaine:

Plusieurs alliés des États-Unis, dont les Britanniques et lesNéerlandais, ont fourni des informations faisant état de rencontres,dansplusieursvillesd’Europe,entredesofficielsrusses–etd’autresindividusprochesduprésident russe,VladimirV.Poutine – et descollaborateurs du président élu Trump, selon trois anciens hautsfonctionnaires américains qui ont requis l’anonymat pour évoquercesrenseignementsissusdesservicessecrets.

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Et:

De leur côté, les agences de renseignement américaines ontintercepté des communications d’officiels russes, certaines au seinmêmeduKremlin,danslesquellesétaientévoquésdescontactsavecdescollaborateursdeTrump.

Plusloin,dansl’article:

M. Trump a nié tout contact entre sa campagne et des officielsrusses, et est allé jusqu’à laisser entendre que les agences derenseignement américaines avaient fabriqué de toutes pièces desdocuments suggérant une tentative d’ingérence du gouvernementrusse dans l’élection présidentielle. M. Trump a accusél’administrationObamad’avoirfaitdubattageautourd’unscénariorussedanslebutdediscréditerlanouvelleadministration.

Etenfin,lenœudduproblème:

Dans la Maison Blanche d’Obama, les déclarations de M. Trumpalimentaientchezcertainslacraintequedesrenseignementspuissentêtre dissimulés ou détruits – ou leurs sources révélées – après lapassation de pouvoir. Il s’ensuivit une vague de préservation desdonnées, soulignant la profonde angoisse avec laquelle la MaisonBlanche et les agences de renseignement américaines en étaientvenuesàconsidérerlamenacequereprésentaitMoscou.

Ce qui confirme une thèse centrale chez Trump : depuis la défaite de sacandidate, la précédente administration, non contente de fouler aux pieds latradition démocratique qui consiste à aplanir le terrain pour le vainqueur,complote avec la communauté du renseignement pourminer cemême terrain.L’article suggère que des documents secrets ont été généreusement distribuésentrelesagencesderenseignementafindefaciliterlesfuites,et,danslemême

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temps,protégerleursauteurs.Cesrenseignements,selonlarumeur,proviennentdubureaudeSusanRiceetrassemblentleslistesdescontactsdel’équipeTrumpaveclaRussie.SelonunetechniqueempruntéeàWikiLeaks,cesdocumentsontétédupliqués sur unedouzainede serveurs éparpillés endifférents lieux.Sanscette vaste distribution, il aurait été facile d’identifier le petit groupe demouchards.Maisl’administrationObamaaconsidérablementbrouillélespistes.

C’est une bonne nouvelle, non ? N’est-ce pas la preuve, demande lePrésident,qu’Obamaetlessiensontjurésaperte?L’articleduNewYorkTimesest lui-même une fuite à propos d’une fuite – et il démontre clairementl’existenced’undeepstate.

HopeHicks, comme toujours, soutient le point de vue de son patron. Lecrime,c’estlafuite,etlecoupable,l’administrationObama.Ledépartementdela Justice, le Président n’en doute pas, va ouvrir une enquête sur l’ancienPrésidentetsaclique.Enfin.

HopeHicksapporteaussiauPrésidentun longpapierduNewYorker.Co-signé par trois auteurs – Evan Osnos, David Remnick et Joshua Yaffa –, ilexpliquel’agressivitédesRussesparl’émergenced’unenouvelleguerrefroide.Remnick, le rédacteur en chef duNewYorker, promeut depuis l’élection cettevision radicale : l’arrivée de Trump au pouvoir met en péril les normesdémocratiques.

Cetteanalyselonguede13500motsétablitopportunémentunlienentrelamortificationgéopolitiquedelaRussie,lesambitionsdePoutine,lestalentueuxhackersdupays,l’autoritarismedeTrumpetlaméfiancedesservicesaméricainsenversPoutineetlaRussie.Iloffrelesclésd’unnouveaurécit,aussicohérentetapocalyptique que celui de l’ancienne guerre froide, sauf que cette fois-ci, lavraiebombeatomique,c’estTrumplui-même.L’unedessourcesfréquemmentcitées est Ben Rhodes, un conseiller d’Obama que les trumpistes considèrentresponsabled’ungrandnombredefuites,sinon l’undesarchitectesdeseffortsacharnésdel’administrationprécédentepourmouillerTrumpetsonéquipedansdes histoires de collusion avec Poutine et la Russie. Pour de nombreusespersonnes à laMaisonBlanche,Rhodes est l’incarnationmêmedudeep state.

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Chaque fois qu’une fuite est attribuée à d’« anciens et actuels hautsresponsables»,ilspensentqueRhodesestl’ancienencontactaveclesactuels.

Si l’articlen’estqu’une récapitulationdescraintes suscitéesparPoutine etTrump, il fait aussi état, dans une parenthèse reléguée en bas de page, d’unerencontre en décembre à la Trump Tower entre Jared Kushner et SergueïKisliak,l’ambassadeurdeRussie,enprésencedeMichaelFlynn.

Hickspasse à côtéde cedétail.C’estBannonqui, plus tard, le signale auPrésident.

Troismembresdel’administrationTrump–l’ancienconseilleràlaSécuriténationale, l’actuel Procureur général, et le gendre et principal conseiller duPrésident–sontdésormaisdirectementreliésaudiplomaterusse.

Jared et Ivanka, de plus en plus conscients d’une menace, finissent parsoupçonnerBannond’avoirdivulguécetterencontreentreKushneretKisliak.

Peu de nominations, dans l’administration Trump, paraissaient plusparfaitement adaptées, plus pertinentes que celle de Jeff Sessions à la tête dudépartementdelaJustice.Selonlui,samissiondeProcureurgénéralconsisteàcontenir,circonscrireetdémantelerl’interprétationdelaloifédéralequi,depuistroisgénérations,minelacultureaméricaineetfaitoffenseàsaproprefonctionauseindecelle-ci.«C’estl’œuvredesavie»,affirmeSteveBannon.

EtSessionsnevapasmettresonjobenpérilpourcetteridiculehistoireaveclesRussesetpourcettegaleriedegrotesquesaffidésdeTrumpchaquejourplusnombreux.Dieuseulsaitcequemijotentcestypes.Riendebon,sansdoute.Lemieuxestdenerienavoiràfaireavecça.

SansconsulterlePrésidentnipersonneàlaMaisonBlanche,Sessionsdécidedes’éloignerlepluspossibledecettesourced’ennuis.Le2mars,aulendemainde l’article du Post, il refuse de prendre la responsabilité d’une éventuelleenquêteconcernantlaRussie.

Cette nouvelle fait l’effet d’une bombe au cœur de la Maison Blanche.SessionsestcenséprotégerTrumpdetouteenquêtetropagressivedansl’affairerusse.LePrésidentnevoittoutsimplementpaslalogiqued’unetelledécision.Ilserépandenimprécationsdevantdesamis:pourquoiSessionsrefuse-t-ildele

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protéger?Qu’a-t-ilàygagner?Pense-t-ilqu’ilyaduvraidansceshistoires?Sessionsdevraitfairesonboulot!

TrumpadebonnesraisonsderedouterledépartementdelaJustice.Ilaunesourcepersonnelle,uninterlocuteurfréquent,quiletientaucourantdecequis’ypasse–etillefaitmieuxqueSessionslui-même,pense-t-il.

Àcausedel’affairerusse,l’administrationTrumpsetrouveengagéedansunva-et-vientcompliquéaveclabureaucratie.LePrésidentvalui-mêmechercheràl’extérieurdugouvernementdesinformationssurcequisepasseàl’intérieur.Sasource,unamidelonguedate,possèdesespropresinformateursaudépartementde la Justice – bon nombre des riches et puissants amis du Président ont toutintérêtàsavoircequis’ypasse–etluipeintlesombretableaud’undépartementdelaJusticeetd’unFBIdéchaînésdansleurseffortspouravoirsapeau.Onyprononcelemot«trahison»,assure-t-il.

Le département de la Justice, précise la source, est plein de femmes quihaïssentTrump.Unearméedejuristesetdefinslimiersauxordresdel’ancienneadministration. « Ils veulent que le Watergate ait l’air d’un Pissgate encomparaison » – autrement dit : du pipi de chat. Une comparaison dérouteTrump : il croit que son ami fait allusion au dossier Steele et à ses goldenshowers.

Après la récusation du Procureur général, le Président, dont la réactioninstinctive à tout problème est de virer quelqu’un sur-le-champ, pense que lemieuxestdesedébarrasserdeSessions.Parailleurs,ilnedoutepasdecequiesten jeu. Il sait d’où viennent ces histoires liées à la Russie, et si les sbiresd’Obama croient pouvoir s’en tirer comme ça, ils vont tomber de haut. Il vaexposerleursturpitudesaugrandjour!

ParmilesnouveauxbienfaiteursquisepressentautourdeJaredKushnersetrouveTonyBlair, l’ancienPremierministrebritannique. Ilssesontconnusen2010surlesrivesduJourdainalorsqu’ilsassistaientaubaptêmedeGraceetdeChloéMurdoch, lesdeux fillesqueRupertMurdocha eues avec sa femmedel’époque,Wendi.Jaredet Ivankaont aussivécuàParkAvenuedans lemêmeimmeuble que les Murdoch (pour ces derniers, il s’agissait d’une location

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temporairedansunimmeubleappartenantàTrump,letempsqueleurtriplexsurla 5e Avenue soit rénové, ce qui prit trois ans). Durant cette époque, IvankaTrumpdevintl’unedesamieslesplusprochesdeWendi.Parlasuite,MurdochaaccuséBlair–leparraindeGrace–d’avoiruneliaisonavecsafemmeetd’êtreàl’originedeleurrupture.Aprèssondivorce,Wendiestrestéel’amiedesTrump.

Mais,depuisleurarrivéeàlaMaisonBlanche,ironiedel’histoire,JaredetIvanka sont ardemment courtisés par Blair comme parMurdoch. Cruellementdépourvuderéseauxdanslesnombreuxdomainesquisontlessiens,Kushnerestàlafoissensibleàcesattentions,etendemandedeconseils.Blair,quimèneàprésent nombre d’affaires philanthropiques, diplomatiques et commerciales auMoyen-Orient, se montre particulièrement désireux d’aider Jared à pilotercertainesdesesinitiativesdanslarégion.

Enfévrier,illuirendvisiteàlaMaisonBlanche.Lorsdecevoyage,Blair,devenuunesortedediplomatefree-lance,cherche

à prouver son utilité auprès de l’administration, et fait part à Kushner d’uneinformation des plus croustillantes. Il laisse entendre que lesAnglais auraientplacé l’équipe de campagne de Trump sous surveillance, interceptant lesconversationstéléphoniquesetautrescommunications,voirepeut-êtrecellesdeTrump lui-même. Comme Kushner le comprend, c’est la théorie du goy dushabbatappliquéeaurenseignement.Pendantleshabbat,lesjuifspratiquantsnepeuvent pas allumer les lumières ni demander à quelqu’un de le faire. Enrevanche,s’ilsexprimentl’opinionqu’ilseraitplusfaciled’yvoirclairavecdelalumière,etsiunnon-juifpassantparlàalabonneidéedel’allumer,celaneposepasdeproblème.Demême,sil’administrationObaman’apasouvertementdemandé aux Britanniques d’espionner la campagne de Trump, elle aurait puleurfairecomprendreàquelpointceseraitutile.

S’agit-ild’unerumeur,d’uneconjecture,d’unethéoriepersonnelleoud’unrenseignementfiable?Entoutcas,pendantquecetteidéetourneetmijotedanslatêteduPrésident,KushneretBannonserendentauquartiergénéraldelaCIA,à Langley, pour s’entretenir avecMike Pompeo et sa directrice adjointeGinaHaspel,histoiredevérifier toutça.Quelques joursplus tard, laCIA,nonsans

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langue de bois, rapporte que l’information est erronée : il s’agit d’un«malentendu».

La politique semble être devenue, bien avant Trump, comparable à uneliaisonfatale.C’estunjeuàsommenulle:quanduncampgagne,unautreperd.La victoire de l’un signe la mort de l’autre. L’ancienne conception de lapolitiquecommeunmarchandage,l’idéequel’autrepossèdeunechosequevousvoulez–unvote,unappui,unbonvieuxparrainage–etquelaquestionestcelleducoût,estpasséedemode.Àprésent,c’estunebatailleentrelebienetlemal.

Curieusement,pourunhommequiaprislatêted’unmouvementfondésurle ressentiment et la vengeance, Trump est (ou croit être) un politicien àl’anciennemode,dugenre«trouvonsunesolution»,«gratte-moiledos,et jegratteletien».Ilsevoitcommeleplusgranddestacticiens,sachanttoujourscequeveutl’adversaire.

SteveBannon incite fortementTrumpà invoquerAndrew Jackson commemodèledupopulismeetfaitprovisiondelivres(quin’ontjamaisétéouverts)surcetancienprésident.MaislavéritableréférencedeTrump,aufond,estLyndonJohnson. Un grand homme, capable de faire tomber des têtes, de passer desmarchésetdesoumettre lesmoinsfortsàsavolonté.Faireensortequ’àlafinchacun obtienne quelque chose, et que lemeilleur négociateur en obtienne unpeuplus.

Maisàprésent,auboutdeplusdeseptsemainesàlatêtedupays,Trumpsetrouve en fâcheuse posture, une situation aussi inédite qu’accablante. Jamaisauparavantunprésident(saufpeut-êtreBillClinton)n’aétéainsiassiégéparsesennemis.Pis,lesdéssontpipésensadéfaveur.Lemarécagebureaucratique,lesagences de renseignement, des juges injustes, desmédiasmenteurs, tous sontligués contre lui. Pour son état-major, c’est un sujet de conversation à partentièreaveclui:lepossiblemartyredeDonaldTrump.

Pendant ses appels téléphoniques vespéraux, il revient inlassablement surcette injustice envers lui, et sur ceque lui aditTonyBlair – et biend’autres.Toutcolle.C’estuncomplotcontrelui.

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L’entouragedeTrumpaconsciencedesoninstabilitéets’enalarme.Selonle niveau des attaques quotidiennes, ses réactions peuvent devenir totalementirrationnelles.Ilestalorsseuldanssacolèreetimpossibleàapprocher.Sonétat-major gère ces heures sombres en acquiesçant à tout, quoi qu’il dise. HopeHicks,elleaussi,approuveabsolumenttoutcequeditsonpatron.

ÀMar-a-Lago, le3marsau soir,DonaldTrump regardeune interviewdePaulRyanparBretBaiersurFox.BaierinterrogeleprésidentdelaChambredesreprésentants sur un rapport publié par le site d’informations en ligneCirca – propriété de Sinclair, un groupe de presse conservateur – alléguant que laTrumpTowerauraitétéplacéesoussurveillancependantlacampagne.

Le4mars,Trumpsemetàtweeterdèsl’aube:

Scandaleux!J’apprendsqu’Obamaamis«meslignessurécoutes»dans la Trump Tower juste avant la victoire. Rien trouvé. Dumaccarthysme!(4h35)

Est-ce légal qu’un président en fonction « pose des micros » lorsd’unecourseàlaprésidentielleavantuneélection?Déjàdéboutéenjustice.ONTOUCHELEFOND!(4h49)

Le Président Obama est tombé bien bas pour mettre mes lignestéléphoniquessurécoutespendantlesacro-saintprocessusélectoral.C’estduNixon/Watergate.Saletype(oumalade)!(5h02)

À6h40,ilréveillePriebusautéléphone.«Vousavezvumontweet?Cettefois,ilestgrillé!»Puisilluifaitécouterunerediffusiondel’émissiondeBaier.

Trump ne s’embarrasse pas de détails, nimême de lamoindre velléité deprécision.Toutchezluin’estquepureexclamationpublique,unefenêtreouvertesursadouleuretsonsentimentdefrustration.Avecsesfautesd’orthographeetsesréminiscencesdesannées1970–les«micros»évoquentdesagentsduFBIplanqués dans une camionnette sur la 5e Avenue –, cette histoire frise leburlesque.Lesmédias,lesagentsderenseignementetdesdémocratesaucomble

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delajoies’accordentàpenserquecettesériedetweetssurlesécoutesestcellequiexposedelamanièrelapluscruel’affligeanteignoranceduPrésident.

D’aprèsCNN,« deux anciens officiels de haut niveauont immédiatementrejetélesaccusationsdeTrump.“C’estn’importequoi”,acommentéunancienagentdu renseignement.»À laMaisonBlanche,onpensequece«n’importequoi»vientdeBenRhodes.

Ryan,poursapart,assureàPriebusqu’ilnesavaitpasdequoiparlaitBaieretquecetteinterviewn’estquefoutaise.

Si cette histoire d’écoutes n’est pas tout à fait vraie, elle incite l’équipe àtrouver quelque chose qui peut l’être vraiment. La Maison Blanche déterrefébrilementunvieilarticledeBreitbartNewscomportantunlienversunpapierdeLouiseMensch,uneanciennefemmepolitiquebritanniquevivantauxÉtats-Unis,quiétaitdevenueleJimGarrison2féminindeslienssuspectsentreTrumpetlaRussie.

L’équipe tente aussi de coller sur le dos de l’administration Obama cesécoutesabusives,maisauboutducompte,ils’agitd’unnouvelexemple–pourcertains,leplusextrême–deladifficultéqu’alePrésidentàfonctionnerdansunmondepolitiqueterreàterre,procédurieretsoumisauxliensdecauseàeffet.

C’est un moment décisif. Jusque-là, le cercle de Trump s’était montrépartant pour le soutenir.Mais après les tweets sur les écoutes, tout lemonde,sauf peut-être Hope Hicks, adopte une prudence penaude, voire un état deperpétuelleincrédulité.

SeanSpicer,parexemple,répètechaquejoursonmantra,sicen’estchaqueheure:«Desconneriespareilles,çanes’inventepas.»

1. Voirlechapitre«LaRussie»,p.115etsv.

2. Procureur américain qui a conduit, en secret, une contre-enquête sur l’assassinat de John F.Kennedy.

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Révoqueretremplacer

Quelques jours après l’élection, SteveBannon annonce au président élu –encoreune«embrouilleàlaBreitbart»,commeleditKatieWalshenhaussantunsourcilsceptique–queçayest,ilsontsuffisammentdevoixpourremplacerPaul Ryan au perchoir de la Chambre des représentants par Mark Meadows,présidentduFreedomCaucus,ungroupeparlementaireinspiréparleTeaPartyetsoutiendeTrumpdelapremièreheure.Sonépouses’étaitattirélerespectdel’équipeTrumpenfaisantcampagnedanslaBibleBelt justeaprès ladiffusiondelafameusevidéoduPussygate.

LelimogeagedeRyan–sonhumiliation,disons-le–est,presqueautantquelavictoireàlaprésidentielle,lesymboledecequeBannonchercheàaccompliret de la proximité entre le bannonisme et le trumpisme. Depuis le début, ladétestation de Paul Ryan est un élément central de la campagne de BreitbartNews en faveur de Donald Trump. L’adoubement de Trump par le site, etl’engagementpersonneldeBannondans lacampagnequatorzemoisaprès sonlancement, sont en partie liés au fait que le candidat a fait fi du bon senspolitiquepourmenerlachargecontreRyanetsesparrainsduPartirépublicain.Maislesdeuxhommesn’ontpaslamêmevisiondeRyan.

SelonBreitbart, la rébellionduTeaPartyachassé l’ancienprésidentde laChambredesreprésentants,JohnBoehner,etcetteassembléeestenbonnevoiepourdevenirlecentredunouveaurépublicanismeradical.Maiscemouvementa

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subiuncoupd’arrêtlejouroùPaulRyanaccédaauperchoir.AnciencolistierdeMitt Romney et personnage capable de conjuguer conservatisme fiscal etrectitude républicaine, Ryan est officiellement proclamé meilleur et ultimeespoirduPartirépublicain.(Bannontransformececlichéenélémentsdelangagepourlestrumpistes:«RyanaétéfécondéinvitroparlaHeritageFoundation.»)SilarébellionduTeaPartyapoussélePartirépublicainversladroite,Ryanestle butoir qui l’empêche d’aller plus loin dans cette direction. Le nouveauprésident de la Chambre affiche sa solidité adulte, il est une figure de grandfrère,loindel’immaturitédébridéeetl’hyperactivitépathologiqueduTeaParty.Unefiguredemartyraussi,enrésistantstoïqueautrumpisme.

Pendantquel’establishmentrépublicainchantelesvertusd’unRyanmatureetsagace, l’aileTeaParty-Bannon-Breitbartmonteunecampagneadhominemd’unRyandétachédelacause,stratègeinepteetleaderincompétent.Ilestpourcemouvementunobjetdemoqueries : l’archétypeducostumevide,unevasteblague,unehonte.

L’antipathie deTrump enversRyan est plus personnelle. Il n’a pas d’avisparticuliersursescompétencespolitiques,etnes’estjamaisvraimentintéresséàsesprisesdeposition.Sonpointdevueesttoutautre:Ryanl’ainsultéàmaintesreprises,iln’acessédepariercontrelui.Ryanaincarnélesentimentd’horreuretd’incrédulité que Trump inspire à l’establishment républicain. Cerise sur lagâteau:ils’estmêmeforgéunestaturemoraleensepayantlatêtedeTrump.Auprintemps2016,Ryan restait encore une alternative àTrumpdans la course àl’investiture.À ce stade, il en était l’unique.Un seulmot de lui, pensaient denombreuxrépublicains,et laconventionbasculeensafaveur.Maissoncalcul,qu’ilcroyaitmalin,aétédelaissersonadversaireremporterl’investiture.RyanapparaîtraalorscommelafigureincontournablepourprendrelesrênesdupartiaprèsladéfaitehistoriquedeTrumpdanslesurnesetl’inévitablepurgedel’aileTeaParty-Trump-Breitbartquis’ensuivrait.

Aulieudequoil’électionl’alaminé,dumoinsauxyeuxdeSteveBannon.Non seulement Trump a sauvé le Parti républicain, mais il lui a offert unemajoritépuissante.Le rêvedeBannonse réalisedeAàZ.LemouvementduTeaParty,avecTrumpcommeremarquablefiguredeproue,arriveaupouvoir–

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quelquechosequiserapprochedupouvoirabsolu.IlalePartirépublicaindanssapoche.BriserPaulRyanenpublicestl’étapesuivante,évidenteetnécessaire.

Sauf que lemépris deBannon et la rancune de Trump poussent les deuxhommes dans des directions différentes. Si Bannon considère Ryan commeréticentetincapabledeporterlenouveauprojetBannon-Trump,lePrésident,lui,voitdansceRyansévèrementremisàsaplacequelqu’und’agréablementabject,soumis, et utile. Bannon veut éradiquer l’establishment républicain, Trump sesatisfaitdelevoircourberl’échine.

«C’estun type intelligent, rapporteTrumpaprès sapremièreconversationavec le président de laChambre une fois l’élection passée.Quelqu’un de trèssérieux.Toutlemondelerespecte.»

Ryan,« atteignantunniveaude flagornerie et de fayotage si spectaculairequ’ilétaitpénibledeleregarder»,d’aprèsunhautconseillerdeTrump,parvientàretardersapropreexécution.AlorsqueBannonplaidelacausedeMeadows,Trumptergiverse,puisfinitpardécidernonseulementdenepaspousserRyanverslasortie,maisaucontrairedefairedeluisonhomme,sonpartenaire.Dansunparfaitexempledeseffetsbizarresetimprévisiblesquepeutavoirl’alchimiepersonnelle surTrump–et la facilité avec laquelle ilpeut changerd’avis– lePrésidentestmaintenantprêtàsoutenirardemmentlespositionsdeRyan.Toutlecontrairedecequiétaitprévu.

«Jecroisquenousn’avionspasanticipéqueleprésidentluidonneraitcarteblanche, doit reconnaîtreKatieWalsh.LePrésident etPaul étaient si éloignéspendant la campagne,pour arriver ensuite àune telle idylleoù lePrésident sefaitunejoiedetoutluipasser.»

Bannonn’estpasvraimentétonnéparcerevirement;ilestbienplacépoursavoir qu’il est facile de baratiner un baratineur. Il constate aussi que lerapprochement avecRyan en dit long sur l’état d’esprit du Président. Ryan aaccepté de s’incliner devant Trump, mais Trump aussi accepte de s’inclinerdevant sa propre angoisse, celle de ne pas savoir grand-chose sur la fonctionprésidentielle.SijepeuxcomptersurRyanpours’occuperduCongrès,sedit-il,ehbienouf,c’estdéjàçadepris.

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Trump s’intéresse peu, voire pas du tout, à l’objectif central desrépublicains : révoquer l’Obamacare. Septuagénaire en surpoids affligé dediversesphobiesphysiques(parexemple,ilmentsursonpoidspouréviterd’êtrecatalogué comme obèse), il est personnellement rebuté par les questions decouverture de santé et de traitements médicaux. Les détails de cette réformecontestéelebarbentauplushautpoint;sonattentioncommenceàsedisperserdès le début de toute discussion sur le sujet. Il ne pourrait pas énumérer lesmesures de l’Obamacare – sinon se moquer d’Obama qui avait promis quechacunpourraitgarder sonmédecin–et il seraitbien incapabled’expliquer lamoindredifférence,positiveounégative,entrelessystèmesdesantépréetpost-Obamacare.

Avantsonaccessionàlaprésidence,iln’aprobablementjamaiseudesaviela moindre conversation un peu sérieuse à propos de la couverture de santé.« Personne dans le pays, ni sur terre, n’a jamais moins pensé à l’assurancemaladie que Donald », affirme Roger Ailes. Prié de s’exprimer, lors d’uneinterviewdecampagne,surlanécessitéderemplacerl’Obamacare,ilsemontrepourlemoinshésitant:«C’estunsujetimportant,maisilyadestasdesujetsimportants.C’estpeut-êtredans le topdix.Probablement.Mais laconcurrenceestrude.Donconnepeutpasenêtresûr.Çapourraitêtredouze.Ouçapourraitêtrequinze.Entoutcasdansletopvingt,c’estsûr.»

C’est d’ailleurs un débat qui l’éloigne de nombreux électeurs : alors queBarack Obama et Hillary Clinton veulent discuter du système de protectionsociale,Trump,lui,nelesouhaiteabsolumentpas.

Ilpréfèresansdoutel’idéequedavantagedegenssoientcouverts,plutôtquemoins.Ilestmême,bonanmalan,plutôtplusfavorableàl’Obamacarequ’àsarévocation.D’ailleurs, ila faituneséried’audacieusespromessesdans lestyled’Obama, allant jusqu’à dire que sous le plan Trumpcare à venir (on l’afortement découragé d’utiliser cette appellation – les sages de la politique luidisentqu’ils’agitdel’undesraressujetsauquelilferaitmieuxdenepasaccolerson nom), personne ne perdrait sa couverture maladie, et que les conditionsd’assurance qui préexistaient continueraient de prévaloir. De fait, il estprobablement plus favorable que n’importe quel autre républicain à une

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couverturedesantéassuréepardesfondspublics.«PourquoiMedicarenepeutpassimplementcouvrirtoutlemonde?»demande-t-ilunjouràsesconseillersquiprennenttousgrandsoindenepasréagiràcettehérésie.

Bannontientbonlabarre,ensoulignantsévèrementquel’Obamacareestunpointderupturepourlesrépublicains,etque,détenant lamajoritéauCongrès,ils ne peuvent pas retourner solliciter les voix de leurs électeurs sans seconformer à ce pilier du catéchisme du parti. L’abrogation, selon lui, est leurengagement,etlerésultatleplussatisfaisant,cathartiquemême.Ceseraitaussile plus simple à obtenir, puisque pratiquement tous les républicains se sontengagéspubliquementàvoterpour.Maisdanslemêmetemps,comprenantquelerégimed’assurance-maladieestlepointfaibledel’attractivitédubannonisme-trumpismevis-à-visdel’Amériqued’enbas,ilveilleàsemettreenretraitdansle débat. Plus tard, c’est à peine s’il fera l’effort d’expliquer comment il s’estlavélesmainsdecepataquès,secontentantdedire:«Jenemesuispasengagéàproposdelacouverturesantéparcequecen’estpasmontruc.»

C’est Ryan qui, avec sa formule « révoquer et remplacer », brouille leslignes et conquiertTrump.Révoquer satisferait la ligne dure des républicains,tandisqueremplacersatisferait lespromessesimpromptueslancéesparTrump.MêmesilePrésidentetRyann’entendentcertainementpas lamêmechosepar«révoqueretremplacer»,ils’agitd’unsloganbienpratique,avecunsemblantdesenssanssignificationbiendéfinie.

La semaine qui suit l’élection, Ryan, accompagné de Tom Price –représentantdelaGéorgieauCongrèsetorthopédiste,devenul’expertsantéduprésident de la Chambre – se déplace jusqu’à la propriété de Trump àBedminster, dans le New Jersey, pour un briefing sur la révocation-remplacement. Les deux hommes résument pour Trump – qui n’arrête pas deparler d’autre chose et d’essayer d’orienter la conversation vers le golf – septannéesderéflexion législative républicaine àproposde l’Obamacareetde sesalternatives. Comme toujours, Trump est heureux d’approcher quelqu’un quisembleensavoirplusqueluisurunsujetdontiln’acure,ousimplementsurunde ces détails qu’il ne peut se résoudre à étudier de près. Great ! dit-il,formidable !, ponctuant toutes lesphrasespar lamêmeexclamation, impatient

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d’abrégerlaréunion.Sur-le-champ,ilaccepteavecjoiedelaisserRyanpiloterlaloisur laréformede lasantéetdebombarderPriceaupostedesecrétaireà laSanté.

Kushner,quireste largementabsentdudébat,sembleenpublicaccepter lefaitqu’uneadministrationrépublicainedoitendécoudreavec l’Obamacare.Enprivé, il laisse entendre que, personnellement, il était à la fois contre larévocationseuleetcontrelarévocation-remplacement.Safemmeetluiadhèrentà l’opinion démocrate traditionnelle : l’Obamacare est un moindre mal, lesproblèmes qui persistent peuvent être réglés à l’avenir. D’un point de vuestratégique,ilsauraientpréféréquel’administrationengrangequelquesvictoiresplus faciles avant de s’engager dans cette bataille difficile voire impossible àgagner.Enoutre, le frèredeKushner, Josh,dirigeunecompagnied’assurancesantédépendantedel’Obamacare.

Une fois de plus, donc, laMaisonBlanche se divise par rapport à tout lespectre politique, Bannon adoptant la position radicale de la base, Priebuss’alignantsurRyanensoutienà ladirectionduparti,etKushner affichant desvues démocratiquesmodérées sans y voir de contradiction.Quant à Trump, ilessaietoutsimplementdesedépatouillerd’unproblèmequinel’intéressaitpasspécialement.

Bons vendeurs, Ryan et Priebus promettent aussi au Président de ledébarrasserd’autressoucis.Laréformedel’assurance-maladie,selonleplandeRyan,estunesortedesolutionmiracle.LaloiqueleprésidentdelaChambresefait fort d’entériner devant le Congrès financerait les réductions d’impôt queTrump a garanties, lesquelles, à leur tour, rendraient possibles tous cesinvestissementsdanslesinfrastructuressurlesquelsils’étaitengagé.

Sur cette base – cette théorie des dominos devrait porter triomphalementl’administrationTrump jusqu’au-delà des vacances dumois d’août, et faire desonmandat l’un des plus réformateurs des tempsmodernes –, Ryan garde saplaceauperchoir, et lePrésident, conscientde son inexpérienceetdecelledesonéquipepourrédigerunprojetdeloi,atoutsimplementsous-traitéledossier–etàunancienennemijuré,quiplusest.

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En voyant Ryan lui voler l’initiative législative pendant la période detransition,Bannonvituninstantderealpolitikanticipée.SilePrésidentcomptecéderauprésidentdelaChambrelesréformesmajeures,ilesttempsd’organiserla contre-attaque, et de fomenter de nouvelles « embrouilles à la Breitbart ».Kushner,poursapart,devientdeplusenpluszen–ilfautbiensuivreleslubiesduPrésident,dit-il.QuantàDonaldTrump, trancherentreplusieursapprochescontradictoiresn’est clairementpas songenre. Il se contented’espérer que lesdécisionsdifficilesseprendronttoutesseules.

Bannonneméprisepasseulementl’idéologiedeRyan,iln’aaucunrespectnonpluspoursafaçondefaire.Àsonavis,cequ’ilfautàlanouvellemajoritérépublicaine,c’estunhommedelatrempedeJohnMcCormick,leprésidentdela Chambre démocrate de l’époque de son adolescence, qui avait cornaqué leprogramme législatif de la Grande Société sous le président Johnson.McCormicketd’autresdémocratesdesannées1960étaientleshérospolitiquesdeBannon.SansoublierTipO’Neilldanscepanthéon:catholiqueirlandaisissude la classe ouvrière, il était philosophiquement séparé des aristocrates et desnotables,sansaucuneaspirationàlesrejoindre.Bannonvénèrecespoliticardsdelavieilleécole.Ilenalephysique:visagetavelé,bajoues,œdème.Etilhaitlespoliticiensmodernes.Ilsmanquentnonseulementdetalent,maisaussid’âmeetd’authenticité. Ryan, lui, reste toujours l’enfant de chœur catholique irlandaisqu’il fut. En grandissant, il n’est pas devenu voyou, ni policier ni prêtre – nivéritablementpoliticien.

Ryann’estpasunacharnéducomptagedesvoix.Il raisonneàcourtevue,sansgrandescapacitésd’anticipation.Soncœurvaàlaréformefiscale,etpource qu’il en voit, le chemin de cette réforme passe par celle de l’assurance-maladie. Cependant, cette question l’intéresse si peu que, à peine chargé dudossierparlaMaisonBlanche,ilsous-traiteàsontourlarédactionduprojetdeloiauxcompagniesd’assurancesetauxlobbyistesdeWashington.

Ryan essaye de se comporter comme un John McCormick ou un TipO’Neill,assurantavecautoritéqu’ilmaîtriseparfaitementl’élaborationdelaloi.«C’est dans la poche », comme il l’assure au Président lors de sesmultiples

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coupsdefilquotidiens.LaconfiancequeTrumpplaceenluiestdeplusenplusélevée,et lePrésidentsemblepenserqu’ilaacquisunesortedemaîtrisetotaledu Capitole. Il a eu des inquiétudes au début, mais maintenant il est rassuré.«C’estdans lapoche.»LaMaisonBlanche,pratiquementsanseffort,està laveille d’une grande victoire, fanfaronneKushner, le succès attendu lui faisantoubliersonantipathiepourleprojet.

Lescraintesdedébâcleapparaissentbrusquementdébutmai.KatieWalsh,queKushner décrit maintenant comme « difficile et irascible », commence àsonner l’alarme. Mais ses tentatives d’impliquer personnellement le présidentafin qu’il aille chercher les voix sont bloquées parKushner dans une série deface-à-facedeplusenplustendus.Àpartirdelà,toutpartàvau-l’eau.

Trumpparleencoreavecdédaindu«machinrusse–ungrostasderien».Maisle20mars,ledirecteurduFBI,JamesComey,témoignedevantleHouseIntelligenceCommittee – la commission duCongrès chargée de surveiller lesactivités des agences de renseignement. Il livre toute l’histoire dans un jolipaquetcadeau:

Ledépartementde la Justicem’adonné le feuvertpourconfirmerque le FBI, dans le cadre de notre mission de contre-espionnage,enquêteactuellementsurlestentativesd’ingérencedugouvernementrusse dans l’élection présidentielle de 2016. Cela comprend uneinvestigation sur la nature de tous les liens entre des individusassociésàlacampagneTrumpetlegouvernementrusse,etsuruneéventuellecoordinationentrelacampagneetleseffortsdelaRussie.Comme toute enquête de contre-espionnage, celle-ci comprendraégalement une analyse visant à déterminer si des crimes ont étécommis.Cetteenquêteétantouverteetencours,etclasséesecrète,jenepeuxendiredavantagesurnosactionsnisurlespersonnesdontnousexaminonslaconduite.

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Certes,maisilenditassez.Ilconvertitlesrumeurs,lesfuites,lesthéories,lesinsinuationsetlebrassaged’air–jusque-làc’étaittout,avecenplusl’espoird’unscandale–enuneenquêteofficiellesurlaMaisonBlanche.Leseffortspoursalir cette version – l’étiquette « fakenews », l’argument « J’ai la phobie desmicrobes»duprésidentsedéfendantcontre lesrumeursdegoldenshowers, lerenvoi hautain de subalternes et de parasites, l’affirmation plaintive, à défautd’être vraie, qu’aucun crime n’avait été ne fût-ce que suggéré, les allégationsd’écoutesparObama–,toutcelaaéchoué.Comeyenpersonneréfutetouteidéed’écoutesillégales.Dèslesoirdesaprestation,ilestévidentpourtoutlemondequel’intriguerusse,loindes’essouffler,aunelongueviedevantelle.

Kushner, qui n’oublie pas les démêlés de son père avec la Justice, estparticulièrementinquietdevoirComeys’intéresseràlaMaisonBlanche.«FairequelquechoseàproposdeComey»devientchezluiunleitmotiv;«Qu’est-cequ’on va faire de lui ? », une question récurrente qu’il pose sans cesse auPrésident.

Etpourtant,c’estaussi–commeBannon,sanstropdesuccès,s’efforcedel’expliquer en interne – un problème structurel. Il s’agit là d’un coup del’opposition. On peut toujours s’étonner publiquement de la férocité, de lacréativité et de la perversité des attaques, mais pas que l’ennemi cherche àcogner.C’estbienjoué,maisloindel’échecetmat,etilfautcontinuerlapartieensachantqu’elleprometd’êtrelongue.Leseulmoyendelaremporter,avance-t-il,estd’adopterunestratégiefondéesurladiscipline.

SaufquelePrésident,aiguillonnéparsafamille,estunobsessionnel,pasunstratège.Pourlui,iln’yapasunproblèmeàrésoudre,maisunhommeàabattre:Comey.Dépourvu de subtilité, il fonce sur l’adversaire.Comey était déjà uneénigme pour Trump avant cette affaire : il avait d’abord refusé de lancer despoursuites du FBI contre Hillary Clinton dans l’affaire des e-mails, puis, enoctobre, amplifié les chances de Trump, tout seul, sans rien demander àpersonne,avecunelettredéclarantqu’ilallaitrouvrirl’enquête.

Dans leurs interactions personnelles, Trump a toujours trouvé Comeyrébarbatif – aucune faconde, aucun jeu. Mais le Président, qui se croitinvariablement irrésistible,estconvaincuqueComeyadmiresa facondeetson

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jeu.LorsqueBannonetd’autresveulentl’inciteràvirerComeysansdélai–uneidéeàlaquelleKushnerestopposé,etdoncunpointenplus,pourBannon,surlalistedesmauvaisconseilsdugendre–,lePrésidentrépond:«Nevousenfaitespas,ilmemangedanslamain.»IlnedoutepasdepouvoircharmeretflatterledirecteurduFBIpourl’ameneràdemeilleurssentiments,voireàlasoumissionpureetsimple.

Certains séducteurs ont une perception presque surnaturelle des signauxenvoyésparceuxqu’ilscherchentàséduire;d’autresessaientdeséduiretoutlemonde sans distinction et, statistiquement, y parviennent assez fréquemment.C’est l’approche de Trump avec les femmes – content en cas de succès,indifférentencasd’échec(etsouventpersuadéd’avoirséduitmalgrétouteslesapparencescontraires).IlenvademêmeavecJamesComey.

Au cours de leurs multiples rencontres depuis sa prise de fonctions – l’accolade présidentielle du 22 janvier ; leur dîner du 27, au cours duquelComey s’est vu demander de rester à la tête du FBI ; leur conversation de laSaint-Valentin,aprèsqueTrumpeutfaitsortirtouslesautrestémoins,ycomprisSessions,quiaautoritésurComey–,Trumpestsûrd’avoirposétouslesbonsjalons. Il a la certitude que si Comey comprend que lui, Trump, le soutient(c’est-à-direluipermetderesterenposte),Comeylesoutiendraaussi.

Et à présent, ce témoignage. Cela n’a aucun sens. Ce qui fait sens pourTrump, c’est que Comey veuille tirer la couverture à lui. La soif d’attentionmédiatique,ça,ilcomprend.Ehbiensoit:siComeylecherche,ilvaletrouver.

Ducoup,lesystèmedesanté,undossierdéjàassommant–etquiledevientplusencoresi,commecelaparaîtdeplusenplusprobable,Ryanéchoueàfairepasser le projet de loi –, perd tout attrait comparé à l’éclat de Comey, et safureur,sonhostilité,l’amertumequeTrumpetsafamilleluiprêtentdésormais.

Leproblèmemajeur,c’estComey.Lefairetomber,c’estlasolution.Avoirsapeau,lamission.

LaMaison Blanche enrôle Devin Nunes, président du House IntelligenceCommittee,dansunegrotesquemachinationpourdiscréditerComey et donnerdu poids à la théorie des écoutes. Le projet ne tarde pas à sombrer dans unridiculeabsolu.

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Bannon, sedésolidarisantà la foisde la réformede l’assurance-maladie etdudossierComey,commenceàsuggérerauxjournalistesdes’intéressernonpasàlasanté,maisàlaRussie.C’estuntuyauqu’ilfautdécoder:onnecomprendpasclairements’ils’efforcededétournerl’attentiondeladébâcleimminenteduprojet de loi sur la santé, ou s’il veut y ajouter cette périlleuse variable afind’alimenteruneatmosphèredechaosqui,engénéral,luiprofite.

MaisBannonestsanséquivoquesurunpoint.Àmesurequel’affairerusseavance,conseille-t-ilàlapresse,gardezunœilsurKushner.

Àlami-mars,laprésidencefaitappelàGaryCohnpouressayerdesauverleprojetdeloisurlasantéquibatdel’aile.Ilsepeutqu’ilvivecelacommeuneforme de bizutage, sa maîtrise des questions de législation étant encore pluslimitéequecelledepresquetoutlemondeàlaMaisonBlanche.

Lematinduvendredi24mars,jouroùlaChambredesreprésentantsdoitseprononcer sur le projet de loi, le site d’information Politico indique que leschancesqu’ilsoitmisauvotesontjouéesà« pileouface ».Lorsdelaréunionmatinale de l’état-major, Cohn, à qui l’on demande une évaluation de lasituation,répondpromptement:«Jecroisqueçarelèvedupileouface.»

«C’estcequetucrois?Sansblague!»penseKatieWalsh.Bannon, qui rejointWalsh dans son impitoyable mépris envers les choix

faits par laMaison Blanche, passe à la presse une série de coups de fil pourdescendre en flammesKushner,Cohn,Priebus,Price etRyan.D’après lui, onpeutcomptersurKushneretCohnpourcourirseplanqueraupremiercoupdefeu.(Defait,Kushnerapassél’essentieldelasemaineauski.)PriebusrégurgitelesélémentsdelangageetlesjustificationsdeRyan.Price,lesupposégouroudela couverturede santé, se révèle un imposteur, il se lève pendant les réunionspournebredouillerquedesabsurdités.

L’ennemic’esteux:ilsfonttoutpourquel’administrationperdelamajoritéen2018,ouvrantlavoieàunedestitutionduPrésident.Commeanalyse,c’étaitdupurBannon : d’un côté une apocalypsepolitique certaine et immédiate, del’autrelaperspectived’undemi-sièclederégimetrumpo-bannoniste.

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Persuadédeconnaîtrelechemindelavictoire,trèsconscientdesonâgeetdeslimitesdesopportunitésquis’offrentàluiet–pourdesraisonsobscures–sevoyant comme un intrigant politique de talent, Bannon cherche à tracer unefrontièreentrelescroyantsetlesvendus,entrel’êtreetlenéant.Pourréussir,illuifautisolerlesfactionsRyan,CohnetKushner.

Bannontientmordicusàfairepasserenforceunvotesurleprojetdeloideréformedelasanté–mêmeensachantladéfaiteinévitable.«JeveuxquecesoitinscritaubilandumandatdeRyanauperchoir»,dit-il.Comprendre:unbilanaccablant,unécheccuisant.

Lejourduvote,levice-présidentMikePenceestenvoyéauCapitolevendreunedernièrefoisleprojetdevantleFreedomCaucusdeMeadows.LeshommesdeRyanpensentqueBannoninciteensecretMeadowsàrésister,alorsqueplustôtdanslasemaineilafermementordonnéauFreedomCaucusdevoterpourleprojetdeloi–«unnuméroabsurdeàlaBannon»,d’aprèsWalsh.À15h30,RyanappellelePrésidentpourl’informerqu’illuimanquequinzeàvingtvoixetqu’il vaut mieux annuler le scrutin. Bannon, soutenu par unMickMulvaneydevenulachevilleouvrièredelaMaisonBlancheauCapitole,continued’exigerunvoteimmédiat.UnedéfaiteiciseraitunedéfaitemajeurepourlesleadersduPartirépublicain.CequiconvientparfaitementàBannon:qu’ilsseplantent.

MaislePrésidents’incline.Faceàcettesingulièreoccasiondefaireporterlechapeau à la direction du parti, et de la désigner comme étant le véritableproblème,Trumpsedégonfle,soulevantchezBannonuneragepassimuettequeça.Ryanrévéleraparlasuitequec’estlePrésidentquiluiademandéd’annulerlevote.

Pendant le week-end, Bannon appelle de nombreux journalistes pour leurdire–enoff,maisàpeine:«JenevoispasRyantenirencorebienlongtemps.»

Aprèsl’annulationduvote,cevendredi-là,KatieWalsh,furieuseetécœurée,informeKushner qu’elle veut partir. Elle dit voir dans cet épisode le navrantnaufragede laMaisonBlanchedeTrump,elles’exprimesansambagessur lesrivalités et les aigreurs, auxquelles s’ajoutent une incompétence généralisée etdes missions très mal définies. Kushner, comprenant qu’il faut la discréditer

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immédiatement,laisseéchapperl’idéequ’elleaelle-mêmeorganisédesfuitesetdoitdoncêtrepousséeverslasortie.

Ledimanchesoir,WalshdîneavecBannondanssonrefugedeCapitolHill,l’ambassadeBreitbart, dîner au coursduquel il l’implore envainde rester.Lelundi,ellerèglelesdétailsavecPriebus–elleiratravaillerenpartiepourleRNCetenpartiepourlelobby«Trump(c)(4)».Lejeudi,ellen’estpluslà.

Au bout de seulement dix semaines, l’administration Trump perd, aprèsMichaelFlynn, sa seconde figure – celle dont le poste consistait à réellementfaireavancerleschoses.

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LesconflitsintérieursdeBannon

Lui aussi se sent prisonnier, confie-t-il àKatieWalsh quand elle vient luiannoncersondépart.

Auboutdedixsemaines, l’emprisedeSteveBannonsur leprogrammedeTrump,oudumoinssurTrumplui-même,seréduitcommepeaudechagrin.Sonvague à l’âme est à la fois lié à son ancrage catholique – le goût pourl’autoflagellationd’unhommequipensevivreàunniveaudemoralitéplusélevéquelesautres–etfondamentalementmisanthrope.Pourcetasocialvieillissant,s’entendre avec les autres exige un immense effort, et souvent les choses sepassentmal.Par-dessus tout, ilestmalheureuxàcausedeDonaldTrumpdontles piques cruelles, toujours violentes,même quand elles semblent lancées enpassant,deviennent insupportablesquand l’hommeseretournevraimentcontrevous.

« J’ai détesté faire campagne, j’ai détesté la transition, je déteste être à laMaison Blanche », avoue-t-il un soir à Reince Priebus. En cette soiréeétonnammentchaudepourledébutduprintemps,ill’arejointdanssonbureau.Lesportes-fenêtressontouvertessurlepatioarboréoùPriebusetlui,désormaisgrandsamisetalliésdansleurantipathiepourJarvanka,ontinstalléunetable.

Cependant, Bannon reste convaincu de ne pas se trouver à la MaisonBlanchepour rien. Il a la certitudeque c’est lui qui a amené tous les autres àcetteplace–unecertitudequ’ilestincapabledegarderpourlui,cequin’arrange

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passacoteauprèsduPrésident.Plus important : il est le seul,parmiceuxquiviennenttravaillertouslesjours,àlefaireens’engageantréellementpourfairechangerlepays.Letransformerrapidement,radicalementetréellement.

L’idéed’unélectoratdivisé–ÉtatsbleusetÉtatsrouges,deuxcourantsdevaleursopposées,mondialistescontrenationalistes,establishmentcontrerévoltepopuliste – est réduite par les médias à une situation d’angoisse existentiellegénérale,dansuneépoquepolitiquementtroubléeetoù,dansunelargemesure,se perpétue cependant l’habituel statu quo. Bannon, lui, a une vision pluspragmatique de cette division. Les États-Unis sont devenus le pays de deuxpeuples hostiles. L’un doit nécessairement gagner et l’autre perdre. L’undomineraittandisquel’autreseraitreléguéàlamarge.

Bref, une guerre civilemoderne – la guerre de Bannon. La nation que lavertu, lavolontéet la forcedu travailleuraméricainavaientconstruitedans lesannées1955-1965était l’idéalqu’il se faisait fortdedéfendreetde restaurer :accords commerciaux, ou guerres commerciales, en soutien à l’industriemanufacturière américaine ; politique d’immigration protectrice pour l’actifaméricain (et, donc, pour la culture américaine, ou du moins pour l’identitéaméricained’entre1955et1965);isolationnismeinternational,afindepréserverles ressources intérieures et de tarir la sensibilité pro-Davos de la classedirigeante(etaussi,d’épargnerdesviesdesoldatsissusdesclasseslaborieuses).Ils’agit,auxyeuxdepresquetout lemondesaufdeDonaldTrumpetdel’alt-right, d’un méli-mélo d’économie vaudou et d’absurdité politique. Mais pourBannon,c’estuneidéerévolutionnaireetquiasesracinesdanslareligion.

Pour laplupartde ses collèguesà laMaisonBlanche,Bannonpoursuitunrêvechimérique.«Bah,Steve…c’estSteve»devientlaformuleaimablepourletolérer.«Ilsepassebeaucoupdechosesdanssatête»,commentelePrésidentquineperdpasuneoccasiondemanifestersonenviedelecongédier.

MaislaluttenesejouepastantentreBannonetlesautresqu’entreleTrumpbannoniste et le Trump non-bannoniste. Si, lorsqu’il est d’humeur sombre,déterminée, agressive, le Président peut défendre Bannon et ses idées, il peuttoutaussibienneriendéfendredutout–sinonsonproprebesoindesatisfactionimmédiate.C’estaumoinsunechosequelesanti-Bannonontcompriseausujet

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deTrump.Silepatronestdebonnehumeur,alorsuneapprochenormaledelapolitique,deuxpasenavantetunpasenarrière,prendledessus.Unesortedenéo-centrisme, aussi hostile au bannonisme qu’il est possible de l’être, a deschancesd’émerger.Ledemi-sièclederégimetrumpistequeBannonappelledeses vœux risque de se voir supplanté par le règne de Jared, d’Ivanka et deGoldmanSachs.

Fin mars, c’est ce camp-là qui a le dessus. Les efforts de Bannon pourbrandirlefiascodelaréformedelasantécommepreuvequel’establishmentestl’ennemise sont retournéscontre lui.Trumpprendcet échecpersonnellement,mais comme ilneconnaîtpas l’échec, cenepeut enêtreun.Ce seradoncunsuccès–sinontoutdesuite,dumoinsbientôt.Parconséquent,c’estBannon,leCassandredubancdetouche,quiposeproblème.

Trump revient sur son adoubement précoce de Bannon en niant l’avoirjamaislégitiméetenlecouvrantdemépris.Siquelquechosenetournepasrondà la Maison Blanche, c’est à cause de Steve Bannon. Le Président prend unmalin plaisir à le dénigrer, et ses propos prétendent atteindre des sommetsd’analyse:«LeproblèmedeSteveBannon,cesontlesrelationspubliques.Ilnecomprendpasça.Toutlemondeledéteste.Parceque…nonmaisregardez-le.Etsamauvaiseimagedéteintsurd’autres.»

Comment Bannon, le populiste, monsieur « nique le système », a-t-il puimaginerqu’ils’entendraitaveclemilliardaireDonaldTrump,monsieur«jemesersdusystèmepourmieuxenprofiter»?PourBannon,Trumpétaitlejeuqu’ilfallait jouer.Saufquedans les faits, il ne le jouepas.Aucontraire, il nepeuts’empêcher de le saper. Tout en proclamant que la victoire est bien celle deTrump,ilsoulignequelorsqu’ilaprisenmainlacampagneelleavaitunretarddans les sondages que personne avant lui, à dix semaines du scrutin, n’avaitjamais réussi à combler. À l’entendre, Trump sans Bannon, c’était WendellWillkie1.

Bannon comprend la nécessité de ne pas voler la vedette à Trump. Il estparfaitement conscientque lePrésidentgardeenmémoire toutes lesoccasionsoùquelqu’uns’estattribuéunméritequi,pense-t-il,nerevientqu’àlui.KushneretBannon,lesdeuxpersonnageslesplusinfluentsdelaMaisonBlancheaprèsle

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Président,restentmuetssurleursactivitésprofessionnelles.Pourtant,lesmédiasneparlentquedeBannon,etlePrésidentestconvaincu–àraison–quec’estlerésultatd’unecampagnedepresseprivée.Plusfréquemmentquel’autodérisionne le permet, l’homme se surnomme lui-même « Président Bannon ». UneKellyanne Conway aigrie, régulièrement brocardée pour sa propre soifd’attention médiatique, confirme cette observation du Président : Bannons’incrusteleplussouventpossibledanslesséancesphotodelaMaisonBlanche.(Apparemment, chacun tient les comptes de la présence des autres sur lesphotos.) Bannon ne fait pas trop d’efforts non plus pour dissimuler sesinnombrablescitations«desourceanonyme»danslapresse,nipourlimitersespeu discrets persiflages visant Kushner, Cohn, Powell, Conway, Priebus, etmêmelafilleduPrésident(souvent,même,lafilleduPrésident).

Curieusement, il nedit jamaisunmotde travers à l’encontreduPrésidentlui-même–dumoins,pasencore.L’idéed’unTrumpmodèlededroitureetdebonsensrestepeut-êtretropcentraledanssaconceptiondutrumpisme.Trump,ce qu’il représente, est ce qu’il faut soutenir. On pourrait voir là uneinterprétation traditionnelle du respect de la fonction. C’est pourtant tout lecontraire.L’hommeestlevaisseauamiral.Iln’yapasdeBannonsansTrump.Ilabeauseprévaloirdesacontributioninégalable,presquemagique,àlavictoiredeTrump, c’est au talent particulier de ce dernier qu’il doit cette chance.Luin’estriendeplusquel’hommedel’ombre–leCromwelldeTrump,commeilledit,bienqu’ilaitparfaitementconsciencedusortqu’asubiCromwell.

Cependant,saloyautéenversunTrumpabstraitnelepréservenullementdespiques continuelles du Trump réel. Le Président a rassemblé autour de lui unlarge jury pour décider de son sort, et il aime à l’humilier publiquement endébitant,suruntondecomiquedestandup,deschapeletsdemoqueries:«CetypeaunealluredeSDF.Vatedoucher,Steve.Çafaitsixjoursquetuporteslemêmefalzar.Ilditqu’ilagagnédufric,jevoudraisbienvoirça.»(Demanièrenotable, en revanche, il ne trouvait pas grand-chose à redire sur ses vuespolitiques.) L’administration Trump compte à peine deuxmois d’existence, ettouslesmédiasprédisentdéjàladéfenestrationimminentedeBannon.

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Unemanière de se faire bien voir duPrésident consiste à lui présenter denouvellescritiques,aussivachardesquepossible,enverssonstratègeenchef,ouàluirapportercellesémisespard’autres.Ilestimportantdenerienluidiredepositif sur Bannon. Même un vague éloge avant un « mais » – « Steve estintelligent,mais…» – peut déclencher une grimace renfrognée si le «mais »n’arrive pas assez vite. (Il est vrai que toute allusion à l’intelligence dequelqu’uncontrarieTrump.)KushnerinciteJoeScarboroughetMikaBrzezinskiàdébiterunflotcontinudecrassesanti-Bannonpendantleurmatinaletélévisée.

HerbertR.McMaster,legénéraltroisétoilesquiaremplacéMichaelFlynnaupostedeconseilleràlaSécuriténationale,aposécommeconditionledroitdemettresonvetoauxmembresduConseildeSécuriténationale.Kushner,grandpartisan de la nomination de McMaster, a rapidement veillé à ce que DinaPowell,unélémentcléde la factionKushner,entreauNSCetqueBannon ensoitexclu.

Les partisans de Bannon, non sans commisération, se demandent à voixbasses’ilvabien,s’iltientlecoup.Invariablement,ilstombentd’accordpourluitrouverunemineaffreuse,lestressmarquantencoreplussonvisagedéjàravagé.DavidBossieluitrouve«l’aird’unmourant».

«Jecomprendsmaintenantcequec’étaitd’êtreàlacourdesTudors»,ditBannon,songeur.Ilserappellequependantlacampagne,NewtGingrich«avaittoutes sortes d’idées idiotes.Quand on a gagné, c’étaitmon nouveaumeilleurami.Touslesjours,centidées.Maisensuite…»–quandvintleprintemps,àlaMaisonBlanche–«j’aieufroid,entraversantmavalléedelaMort.Unjourjelecroisedans l’entrée. Ilbaisse la tête, fuitmonregardetbredouilleunvague“Salut, Steve”. Je lui dis : “Qu’est-ce que tu fais là ? Viens, entre”, et il merépond:“Nonnon,çava,j’attendsDinaPowell.”»

Alors qu’il avait réussi l’inimaginable – amener un ethnopopulismeantilibéral radicalement d’extrême droite au cœur de la Maison Blanche –Bannonseretrouvedansunesituationinsupportable:humiliéettenuderendredescomptesàdesmilliardairesdémocratesquisecroiententerrainconquis.

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Paradoxalement,laprésidenceTrumpserévèleàlafoislaplusidéologiqueetcellequil’estlemoins.Ellereprésenteunassautstructurelcontrelesvaleursprogressistes : ladéconstructionde l’ÉtatadministratifvoulueparBannondoitentraîner avec elle les médias, l’université, les institutions à but non lucratif.Maisdepuisledébut,ilestclairquel’administrationTrumppeuttoutaussibientourner au régime républicain ambiance country-club ou démocrate tendanceWall Street. Ou se révéler simplement une aventure destinée à faire plaisir àDonald Trump. Le Président a certes sa collection de sujets fétiches, dûmenttestés auprès du consommateur lors de ses apparitions médiatiques et de sesmeetings géants, mais aucun ne semble avoir autant d’importance que sonobjectifsuprême:arrivertoujoursentête.

AlorsqueleséchosdurenvoideBannongrondentdeplusenplusfort,lesMercer interviennent pour protéger leur investissement dans le projet dusoulèvementd’unedroiteradicale–etdansl’avenirdeSteveBannon.

Àuneépoqueoùtouslescandidatspolitiquesquiréussissentsontentourés(sinon aux ordres) de milliardaires caractériels voire sociopathes cherchant àrepoussersanscesseleslimitesdeleurproprepouvoir–etplusilssontriches,plus ils sont caractériels et sociopathes – Bob et RebekahMercer cultivent ladiscrétion. Si l’ascension de Trump est inattendue, celle des Mercer l’estdavantageencore.

Même lesmilliardaires au caractère difficile – les frèresKoch et SheldonAdelsonàdroite,DavidGeffenetGeorgeSorosàgauche–sevoiententravésetfreinésparcetteréalité:l’argentcirculedansunmarchécompétitif.Onnepeutêtre odieux que jusqu’à un certain point. Lemonde des riches, à samanière,s’autorégule.L’ascensionsocialeobéitàdesrègles.

Mais dans le monde des ultrariches caractériels, les Mercer demeurentpresque entièrement dénués de relations sociales, traçant leur route sous desregards incrédules. Contrairement à d’autres qui versent des sommesastronomiques à des candidats politiques, eux sont prêts à ne pas gagner –jamais.Ilssontdansleurbulle.

Sibienquelorsqu’ilsgagnent,grâceàunimprobablealignementdeplanètesen faveurdeDonaldTrump, ils sontencorepurs.Àprésentqu’unextravagant

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coupdusortlesaportésaupouvoir,ilsnevontpasyrenoncersousprétextequeSteveBannonestblessédanssonegoetqu’ilmanquedesommeil.

Verslafinmars,lesMercerorganisentdansl’urgenceunesériederendez-vous,dontaumoinsunaveclePrésident.C’estexactementlegenrederéunionque Trump, en général, cherche à éviter : les problèmes personnels nel’intéressent pas car ilsmettent l’accent sur d’autres que lui. Et voilà qu’il seretrouveobligédes’occuperdeSteveBannon,alorsquel’inverseétaitprévu.Enoutre, il s’agit d’un problème qu’il a lui-même contribué à créer à force deconstamment railler Bannon, et on lui demande maintenant de faire amendehonorable.Mêmes’ilrépèteàtoutboutdechampqu’ilpourraitetdevraitvirerBannon, il est conscient du coût d’un tel geste : un tollé aux répercussionsimprévisiblesàl’extrêmedroite.

Trump,commetoutlemonde,trouvelesMercerbizarres.Iln’aimepasqueBobMercer le regardefixementsansdireunmot. Ildétestese trouverdans lamême pièce que cet homme ou que sa fille. Ces deux-là forment un duo trèsétrange–«desbarjots»,àsonavis.Maisilabeaurefuserd’admettrequesansleurdécisiondelesouteniretd’imposerBannondanslacampagne,enaoût,ilneseraitsansdoutepasàlaMaisonBlancheaujourd’hui,ilcomprendquesionlescontrarie, les Mercer et Bannon peuvent être des casses-pieds de classeinternationale.

La complexité du problème Bannon-Mercer le pousse à consulter deuxindividusquisontl’opposél’undel’autre:RupertMurdochetRogerAiles.Cefaisant,peut-êtresait-ildéjàqueleursréponsesdivergentess’annuleront.

Murdoch,misaucourantparKushner,luiditquesedébarrasserdeBannonestleseulmoyendeveniràboutdesdysfonctionnementsdelaMaisonBlanche.(Il suppose bien sûr que se séparer deKushner n’est pas envisageable.) C’estl’issue inévitable, alors autant le faire tout de suite. Cette réponse est d’unelogique parfaite : Murdoch en était venu à soutenir les modérés tendanceKushner-GoldmanSachs, voyant en eux les gens qui sauveraient lemonde deBannonet,àvraidire,deTrump.

Ailes,desoncôté,n’yvapasparquatrechemins:«Donald,tunepeuxpasfaireça.Tuasfaittonlit,etSteveestdedans.Tun’espasobligédel’écouterni

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det’entendreaveclui.Maisvousêtesmariés,touslesdeux.Tunepeuxpastepermettrededivorcermaintenant.»

JaredetIvankaseréjouissentàl’idéedevoirBannonprendrelaporte.Sondépart restituerait à l’organisation Trump un contrôle entièrement familial, lafamilleetsonpersonnel,sansrivalintérieurpourbrouillerl’imagedemarqueetinfléchirlesdécisions.Celalesaideraitaussi–dumoinsenthéorie–àfaciliterune des évolutions les moins plausibles de l’histoire : rendre Donald Trumprespectable.SansBannon,lerêvelongtempsdifférédu«virageTrump»aunechancedeseréaliserenfin.TantpissicetidéaldesKushner–sauverTrumpdelui-même et propulser Jared et Ivanka dans l’avenir – est presque aussiextravagantetchimériquequelefantasmebannonisted’uneMaisonBlancheseconsacrantàressusciterlamythologieaméricained’avant1965.

UndépartdeBannonrisqueraitaussid’ouvrirladernièrefailledansunPartirépublicaindéjàfracturé.Avantl’élection,unehypothèsesuggéraitqu’unTrumpvaincu engrangerait trente-cinq pour cent d’aigris comme capital politique etferait sonbeurre aveccetteminoritépleinede rancœur.Àprésent, lanouvellethéoriealarmanteestlasuivante:pendantqueKushners’efforcedetransformersonbeau-pèreenunesortedeRockefellertardif,commeTrump,siimprobablequecesoit,enaparfoisrêvé(leRockefellerCenterfutuneinspirationpoursapropreimagedemarquedansl’immobilier),Bannonpeutquitter les lieuxavecuneportionnonnégligeabledecestrente-cinqpourcent.

Ça,c’étaitlamenaceBreitbart.L’organisationBreitbartNewsrestesouslecontrôledesMercer,etpeutàtoutmomentintégrerdenouveauSteveBannon.EtmaintenantqueBannonasoudainacquisuneimagedegéniepolitiqueetdefaiseurderois,etquel’alt-righttriomphe,Breitbartapotentiellementgagnéunpouvoirénorme.LavictoiredeTrumpa,dansunsens,donnéauxMercerl’outilpourledétruire.Sijamaissasituations’aggravait,alorsquelemilitantismedesmédias dominants et le marigot s’organisaient contre lui, Trump auraitcertainement besoin que l’alt-right soutenue par les Mercer se lève pour ledéfendre.Aprèstout,qu’est-ilsanseux?

Alorsquelapressionmonte,ladisciplinedeferquiapermisjusqu’alorsàBannonderespecterDonaldTrumpensefaisantl’avataridéaldutrumpisme(et

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dubannonisme)etenjouantconsciencieusementsonrôledecollaborateuretdesoutien d’un talent politique non conformiste, commence à s’effriter. Malgrétouslesespoirsquel’onpeutplacerensapersonne,TrumpresteTrump,commele constate quiconque travaillant pour lui, rendant invariablement aigri sonentourage.

MaislesMercernelâchentpaslemorceau.SansBannon,ilspensentquelaprésidenceTrump,dumoinscellequ’ilsontimaginée(etcontribuéàfinancer),estterminée.LeurobjectifdevientdèslorsdefaciliterlaviedeSteve.Ilsluifontpromettredepartirdubureauàuneheureraisonnable–plusquestiond’attendredevoir siTrump souhaite sa compagnie pour le dîner. (De toutemanière, cesderniers temps, Jared et Ivanka ont décidé demettre fin à ces tête-à-tête.) Lasolutionestdésormaisdechercher leBannondeBannon :un stratègeenchefpourlestratègeenchef.

Finmars,lesMercertrouventunaccorddepaixaveclePrésident:Bannonneserapasrenvoyé.Bienquecelanegarantisseriensursapositionnisursoninfluence, c’est un gain de temps pour Bannon et ses alliés. Ils peuvent serestructurer. En attendant, Bannon pense que la médiocrité de ses rivaux,Kushneretsafemme,scelleraleurdestin.

Le Président accepte donc de ne pas limoger Bannon, mais il offre, enéchange, quelque chose à sa fille et à son gendre : il va leur faire prendre dugalon.

Le27mars,leBureaudel’innovationaméricaineestcréé,etKushnerplacéàsatête.Samissionofficielleestderéduirelabureaucratiefédérale,toutenencréant un peu plus.Un comité pourmettre fin aux comités.De surcroît, cettenouvelle structure étudierait la terminologie interne du gouvernement,mettraitl’accent sur la création d’emploi, encouragerait et proposerait des mesuresconcernant l’apprentissage, engagerait des partenariats entre public et privé etlutterait contre l’épidémie de dépendance aux opiacés. Autrement dit, rien denouveau sous le soleil, si ce n’est une poussée d’enthousiasme pour l’Étatadministratif.

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Levéritableintérêtdecegesteestd’offriràKushnersonproprepersonnelinterne à laMaisonBlanche, une équipedédiéenon seulement à ses projets – tousdiamétralementopposésàceuxdeBannon–maisaussiplus largementà«étendre[sa]sphèred’influence»,commeill’expliqueàunemployé.Kushneramêmedroitàsonpropre«dircom»,unporte-parolepersonnelpourassurersapromotion.CetédificebureaucratiqueestconçuautantpouréleverKushnerquepourdiminuerBannon.

Deuxjoursaprèsl’annoncedecerenforcementdupouvoirdeJared,Ivankase voit offrir elle aussi un poste officiel à laMaisonBlanche : conseillère duPrésident.Depuis ledébut, elleestdéjàuneconseillèreclépour sonmari–etpourelle-même.Maislà,dujouraulendemain,onobserveuneconsolidationdupouvoirdelafamilleTrumpauseindelaMaisonBlanche.C’est,auxdépensdeSteveBannon,unremarquablecoupd’Étatbureaucratique:uneMaisonBlanchediviséesevoitentièrementréuniesouslahoulettedelafamilleprésidentielle.

JaredetIvankanedoutentpasqu’ilsparviendrontàfaireressortirlemeilleurchez Trump, ou du moins à contrebalancer les demandes des républicains àcoupsderationalitéprogressive,decompassionetdebonnesœuvres.Àl’avenir,ils pourront consolider cettemodération en orientant vers le Bureau ovale unfluxcontinudePDGpartageantcesvues.Eteneffet,lePrésidentapprouveleursprojetsavecenthousiasme.«S’ilsluidisentqu’ilfautsauverlesbaleines,ilserafoncièrementpour»,noteKatieWalsh.

Mais Bannon, rongeant son frein dans son exil, demeure certain dereprésenter les vraies convictions du Président ou, pour être plus exact, sonressenti. Il saitqueTrumpest fondamentalementunhommed’émotions, et nedoutepasqu’aufond il resteemplidehargneetd’idéesnoires.LePrésidentabeauvouloirsoutenirlesaspirationsdesafilleetdesongendre,leurconceptiondumonden’estpaslasienne.VuparKatieWalsh,celadonne:«SteveseprendpourDarkVadoretpensequeTrumpestattiréparlecôtéobscur.»

Force est de reconnaître que les efforts deTrumppour nier l’influencedeBannonsontpeut-êtreinversementproportionnelsàladiteinfluence.

Le Président n’écoute véritablement personne. Plus on parle, moins ilécoute.«MaisStevefaittrèsattentionàcequ’ildit,etilyaquelquechosedans

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le timbre de sa voix, dans son énergie et sa passion, qui parle vraiment auPrésident,audétrimentdetoutlereste»,expliqueWalsh.

PendantqueJaredetIvankacrientvictoire,Trumpsigneledécret-loi13783modifiant la politique environnementale, soigneusement élaboré par SteveBannonpourviderdesasubstancelaloinationalesurl’environnement.Cetteloide1970posaitlesbasesdeprotectionsenvironnementalesmodernesenexigeantde toutes les agences de l’exécutif qu’elles rédigent des évaluations d’impactenvironnementalenamontdeleursactions.Entreautresconséquences,cedécretannuleunedirectiveobligeantàprendreencomptelechangementclimatique,unavant-goûtdesdébatsàvenirsur lespositionsdupaysvis-à-visdel’accorddeParissurleclimat.

Le3avril,KushnerfaituneapparitionsurpriseenIrakoùilaccompagnelegénéral Joseph Dunford, chef d’état-major des armées. D’après le bureau depressedelaMaisonBlanche,Kushner«s’estdéplacéàlademandeduPrésidentpour exprimer le soutien de ce dernier et son engagement envers legouvernementd’Iraket lespersonnelsaméricainsactuellementengagésdanslacampagne».Kushner,dont laprésencemédiatiqueesthabituellement lointaineetmuette,estabondammentphotographiépendanttoutlevoyage.

Regardant l’un des nombreux écrans qui forment une toile de fondomniprésenteàlaMaisonBlanche,BannonaperçoitKushnercoifféd’écouteursdans un hélicoptère au-dessus de Bagdad. Sans s’adresser à personne enparticulier,etseremémorantunGeorgeW.Bushnoviceetridicule,entenuedepilote, proclamant la fin de la guerre d’Irak sur le porte-avionsUSSAbrahamLincoln,ilmurmure:«Missionaccomplie.»

Serrantlesdents,Bannonvoitl’organisationdelaMaisonBlanchebasculeràl’exactopposédutrumpisme-bannonisme.Maismêmeàcetinstant,ilcontinuede croire que le véritable élan de l’administration va dans son sens. C’estBannon, stoïque et résolu, le grand guerrierméconnu, qui, aumoins dans sonesprit,sauveralanation.

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1. Candidat républicainà l’électionprésidentiellede1940.Grandchefd’entreprise sansexpériencepolitique,ilperditfaceàFranklinDelanoRoosevelt.

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Salledecrise

Justeavant7heuresdumatin,lejeudi4avril,soixante-quatorzièmejourdelaprésidenceTrump,lesforcesgouvernementalessyrienneslancentuneattaqueà l’armechimique sur lavilledeKhanCheikhoun, tenuepar les rebelles.Desdizaines d’enfants sont tués. C’est la première fois qu’un événementinternationald’unetelleimportanceseproduitdurantlaprésidenceTrump.

Laplupartdesmandatsprésidentiels sont façonnéspardescrisesexternes.La présidence est essentiellement une fonction où il faut être réactif. Lesinquiétudes au sujet de Donald Trump découlent de la conviction, largementpartagée, qu’on ne peut pas compter sur lui pour rester calme et posé dans latempête. Jusque-là, il a eu de la chance : dix semaines sans qu’il soitsérieusementmisàl’épreuve.Peut-êtreenpartieparcequelescrisesgénéréesdel’intérieurparlaMaisonBlancheontéclipsétouteconcurrenceextérieure.

Etencore:mêmecettehorribleattaque,touchantdesenfantsaucoursd’uneguerre déjà longue, n’est peut-être pas l’événement crucial que tout lemondeattendetquiseraitsusceptibledechangerlaprésidence.Maistoutdemême,ils’agitd’armeschimiqueslancéesparunmultirécidiviste,Bacharel-Assad.Soustouteautreprésidence,une telleatrocitéauraitappeléuneréactionréfléchieet,idéalement, habile. Obama, de fait, s’était pris les pieds dans le tapis enaffirmantd’abordquel’utilisationd’armeschimiquesétaitunelignerougeànepasfranchir–puisenlalaissantfranchir.

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Presquepersonnedansl’administrationTrumpneserisqueàprésumerdelaréactionduPrésident–nimêmeàprédires’ilenauraune.Attache-t-ilounondel’importanceàcetteattaqueàl’armechimique?Nulnepeutledire.

Si, comme toute nouvelle administration dans l’histoire des États-Unis, laMaison Blanche de Trump suscite des interrogations, les objectifs de sonPrésident,mal informé et capricieux, enmatière de politique internationale enconstituentl’undesaspectslesplusaléatoires.LesconseillersignorentsiTrumpest isolationniste oumilitariste, oumême s’il fait la distinction entre ces deuxdoctrines.Lesgénérauxlefascinentetiltientàcequelapolitiqueextérieuresoitmenéepardeshommesexpérimentésdans lecommandementmilitaire,mais ildétestequ’on luidisequoi faire. Ilestcontre laconstructiondesnations,maispensequ’il y a peude situationsqu’il nepeut personnellement améliorer. Il apeuoupasd’expériencede lapolitiqueétrangère,maisaucun respectpour lesexpertsnonplus.

Soudain,saréactionàl’attaquedeKhanCheikhoundevientun testdécisifpour évaluer sa normalité et pour ceux qui espèrent incarner celle-ci augouvernement.Ilyalàundecescontrastessaisissantsquisuscitentlespiècesdethéâtre réussies : des gens qui travaillent pour la Maison Blanche, et quicherchentcommentsecomporternormalement.

Aussisurprenantquecelapuisseparaître,cesgens-lànemanquentpas.Avoir un comportement normal, incarner la normalité – agir en personne

motivée,efficace,rationnelle–c’estainsiqueDinaPowellconçoitsonrôleàlaMaisonBlanche.À43ans,onl’avu,elleafaitcarrièrelàoùl’entrepriseprivéeetlespolitiquespubliquesserencontrent;elleagagné(très,trèsbien)savieenfaisantlebien.ElleabrillammentgravileséchelonsdanslaMaisonBlanchedeGeorge W. Bush, puis chez Goldman Sachs. Se retrouver maintenant aupénultième échelon de la Maison Blanche, avec au moins une chance dedécrocher l’un des postes non électifs les plus élevés du pays, pourrait luirapporterlejackpotlorsqu’elleretourneraitdansleprivé.

Mais à Trumpland, le contraire peut tout aussi bien se produire. Laréputation que Powell cultive, sa griffe (car elle est de ces gens qui soignent

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énormément leur image demarque), risque de devenir inextricablement liée àcelledeTrump.Pis,ellepeutfacilementseretrouverentraînéeavecluidansunecatastrophesansprécédent.Déjà,pourbeaucoupdeceuxquilaconnaissent–etquandonestquelqu’unquicompte,onconnaîtforcémentDinaPowell–,lefaitqu’elle ait accepté un poste dans cette administration dénote soit une grandeimprudence,soitunegravefautedejugement.

« Comment justifie-t-elle une chose pareille ? » s’interroge une amie delonguedate.Sesproches,safamille,sesvoisinsluidemandent:Sais-tubienoùtumetslespieds?Commentpeux-tufaireça?Etpourquoi?

Là se situe la ligne de partage entre ceux qui se trouvent à la MaisonBlanche mus par une authentique loyauté envers le Président, et lesprofessionnels que l’administration a besoin d’embaucher. Bannon, Conway,Hicks – parmi un assortiment d’idéologues plus oumoins farfelus qui se sontaccrochésàTrumpetàsafamille,tousdénuésd’uneréputationpotentiellementutile avant leur association avec lui – sont, pour le meilleur ou pour le pire,mariésauPrésident.(Mêmeparmilestrumpistesconvaincus,uncertainnombreretiennentleursouffleetrevoientconstammentleursambitionsàlabaisse.)Maisceux qui gravitent un peu plus loin du noyau dur, ceux qui jouissent d’unecertaine stature, réelle ou fantasmée, doivent se livrer à des contorsionsautrement plus compliquées pour justifier ce choix dans leurs cerclesprofessionneletpersonnel.

Bien souvent, ils laissent deviner leurs états d’âme. Mick Mulvaney,directeurdubudget,précisetoujoursqu’il travailledanslebâtimentduBureauexécutifetnondanslaWestWing.MichaelAnton,quireprendl’ancienpostedeBenRhodesauConseildeSécuriténationale,amisaupointunemimiquehabile(les « yeux au ciel à la Anton »). Herbert R. McMaster est perpétuellementrenfrogné,etsoncrânechauvesemblesouventsurlepointdelaisseréchapperdelavapeur.(«Maisqu’est-cequ’ila?»demandefréquemmentlePrésident.)

Ilexiste,biensûr,unargumentpluslouable:laMaisonBlancheabesoindeprofessionnels responsables, normaux, sains, cohérents. D’après un témoin,ceux-là considèrent qu’ils apportent des qualités – esprit rationnel, capacitéd’analyse, expérience professionnelle considérable – dans un lieu et une

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situationoùcescompétencesfontcruellementdéfaut.Ilsfontdeleurmieuxpourrendreleschosesplusnormaleset,donc,plusstables.Ilssontunrempart,ouseconsidèrentcommetel,contrelechaos,l’impulsivitéetl’idiotie.IlssontmoinslessoutiensdeTrumpquesonantidote.

«Sileschosespartentenvrille–jeveuxdire,plusqu’ellesnelefontdéjà–,je ne doute pas que Joe Hagin prendrait ses responsabilités et ferait lenécessaire », se rassure une figure républicaine de Washington, parlant d’unanciendel’équipeBushdevenuchefdecabinetadjointauxopérations.

Mais ce vertueux sens du devoir entraîne des calculs compliqués de ratioentrevotreeffetpositifsurlaMaisonBlancheetleseffetsnégatifssurvous.Enavril, un courrier électronique, envoyé à l’origine à une bonne douzaine depersonnes, finit par circuler très largement à force d’être retransmis et re-retransmis. Ce message, censé refléter l’opinion de Gary Cohn, résume avecconcisionl’effarementquirègneàlaMaisonBlanche:

Ça dépasse l’entendement.Un imbécile entouré de clowns. Trumprefusedelirequoiquecesoit–mêmelesmémosd’unepage,mêmeles synthèsesdedocumentsd’orientationpolitique ; rien. Il se lèveenpleineréunionavecdesdirigeantsmondiauxparcequ’ils’ennuie.Et sonéquipenevautpasmieux.Kushnerest infantile, ignorantetpersuadé que tout lui est dû.Bannon, un con arrogant qui se croitplus malin qu’il n’est. Trump est moins une personne qu’uneaccumulation de traits de caractère épouvantables. Personne nesurvivra à cette première année, à part sa famille. Je déteste cetravail,maisjemesenstenuderesterparcequejesuisleseuliciàsavoirunpeucequejefais.Laraisonpourlaquellesipeudepostessontpourvus,c’estqu’ilsimposentauxcandidatsdestestsdepureté1ridicules,mêmepourdes jobsdeniveaudécisionnairemédiocreoùlesgensneverrontjamaislalumièredujour.Jesuisdansunétatdechocetd’horreurpermanent.»

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Cettepagaillequirisqued’infligerdegravesdommagesàlanation,et,parassociation, à votre propre image si vous travaillez à laMaisonBlanche, peutencoreêtresurmontéesivousêtesconsidérécommeceluioucellequi,àforcedecompétenceetdeprofessionnalisme,enprendraitlecontrôle.

Dina Powell, entrée à la Maison Blanche comme conseillère d’IvankaTrump, sehisseenquelques semaines jusqu’àunsiègeauConseildeSécuriténationaleetseretrouvesoudain,avecCohn,soncollèguevenudechezGoldmanSachs,danslacoursepourl’undesposteslesplusélevésdel’administration.

Parallèlement,Cohnetellepassenttousdeuxbeaucoupdetempsavecleursconseillersen-dehorsdelaMaisonBlanchepourréfléchiràcommentensortir.Dina Powell peut prétendre à gagner desmillions dans la communication, ausein de diverses entreprises classées au Top 100 du magazine Fortune, oubriguer la direction d’un poids lourd des nouvelles technologies – après tout,Sheryl Sandberg, chez Facebook, avait fait un passage dans la philanthropied’entreprise et dans l’administration Obama. De son côté, Cohn, déjàmultimillionnaire,songeaitàlaBanquemondialeouàlaRéservefédérale.

Ivanka Trump – qui partage avec Dina Powell certaines considérationspersonnelles et de carrière, sauf qu’elle n’a pas de stratégie de sortie viable –restediscrète.Inexpressiveetmêmeàl’allurederobotenpublic,maisbavardequand elle se fait stratège dans l’intimité, elle est de plus en plus prompte àdéfendresonpère,maisaussideplusenplusalarméeparladirectionqueprendlaMaisonBlanche.SonmarietelleenfontporterlaresponsabilitéàBannonetàsa philosophie du « Laisser Trump être Trump » (souvent interprétée comme«LaisserTrumpêtreBannon»).Lecoupleenvientàleconsidérercommeplusdiabolique que Raspoutine. Il leur appartient donc d’éloigner le Président deBannonetdesidéologues.Trump,pensent-ils,estaufondungrandpragmatique(du moins dans ses bons jours), dévoyé par des requins prêts à exploiter sescapacitésd’attentionlimitées.

Dans une relation de codépendance, Ivanka compte sur Dina pour luiproposerdes techniquesdemanagementpouvant l’aider àgérer sonpère et laMaisonBlanche,tandisqueDinacomptesurIvankapourlarassurersurlefaitquetouslesTrumpnesontpascomplètementfous.Deparcelien,lapopulation

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élargie de la Maison Blanche perçoit Powell comme appartenant au cerclefamilial très restreint.Si cela renforce son influence, cela l’expose aussi à desattaques plus virulentes. « Son incompétence totale éclatera au grand jour »,prédit KatieWalsh qui voit en elle, plutôt qu’une influence normalisante, unnouvel intervenant dans les jeuxde pouvoir anormauxqui régissent la familleTrump.

Eteneffet,DinaPowelletGaryCohnonttousdeuxconcluenprivéquelafonction qu’ils convoitent l’un et l’autre – chef de cabinet, singulièrementnécessaireàlaMaisonBlanche–demeureinaccessibleàconduiresilafilleetlegendre du Président, aussi solidaires qu’ils soient avec eux, se comportent defactoensupérieurshiérarchiqueschaquefoisqu’ilsvoudraientl’exercer.

Dina et Ivankapilotent déjà une initiativequi, sans elles, aurait fait partiedes responsabilités fondamentales du chef de cabinet : contrôler le fluxd’informationsquiparviennentauPrésident.

Le problème inédit qui se pose est en partie d’informer quelqu’un qui neveutounevoudrait pas lire, et qui aumieuxn’écoutequed’uneoreille.Maisl’autrevoletduproblèmeestdecernerl’informationqu’ilaimerecevoir.HopeHicks, après plus d’une année à ses côtés, a affiné son intuition sur le genred’informations–lescoupuresdepresse–quiluiplaisent.Bannon,avecsavoixintense de confident, est capable de s’insinuer jusque dans les pensées duPrésident. Kellyanne Conway, elle, lui rapporte les dernières réactionsscandaliséesqu’ilaprovoquées.Ilyaaussisescoupsdefildel’après-dîner–lechœur des milliardaires. Et puis la télé câblée, programmée pour s’adresserdirectementàlui–pourlecourtiseroulefaireenrager.

Ce qu’il ne reçoit pas, en revanche, c’est l’information officielle. Lesdonnées. Les détails. Les options. Les analyses. Le PowerPoint, ce n’est paspourlui.Dèsquequelquechoseressembleàunesalledeclasseouàuneleçon–«professeur»estuneinjuredanssabouche,etilsevanteden’êtrejamaisalléencours,den’avoirjamaisachetéunmanuelscolaire,den’avoirjamaisprisdenotes–ilselèveetquittelasalle.

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Ils’agitd’unproblèmeàbiendeségards–àvraidire,danspresquetoutesles fonctions prescrites par la présidence. Mais en premier lieu, c’est unproblèmequandils’agitd’envisageretd’évaluerdifférentesstratégiesmilitaires.

Le président aime les généraux. Plus ils ont de breloques sur la poitrine,mieux c’est. Les compliments qu’il reçoit pour avoir embauché des meneursd’hommes respectés comme Mattis, Kelly et McMaster (oublions MichaelFlynn) l’enchantent. Ce qu’il n’aime pas, en revanche, c’est écouter lesgénéraux, qui, pour la plupart, sont versés dans le nouveau jargonde l’armée,avecprésentationsPowerPoint,avalanchesdedonnéesetexposésfaçoncabinetdeconseil.CequileséduisaitchezFlynnétaitnotammentquecelui-ci,portésurlesthéoriesducomplotetladramatisation,savaitlecaptiver.

Aumomentde l’attaquesyriennecontreKhanCheikhoun,McMastern’estconseilleràlaSécuriténationalequedepuissixsemainesenviron.Pourtant,seseffortspourinformerlePrésidents’apparententdéjààl’exerciced’unprécepteurs’efforçantd’éduquerunélèvebutéet récalcitrant.Leursdernières réunions sesont terminéesdansuneambianceàcouperaucouteau,et lePrésident racontemaintenantàplusieursamisquesonnouveauconseiller à laSécuriténationaleesttropbarbantetqu’ilvalevirer.

McMasteraétéchoisipardéfaut,etTrumplerappellesanscesse:pourquoil’a-t-ilnomméàceposte?Ilenveutàsongendre.

AprèsavoirlimogéFlynnenfévrier, ilaconsacrédeuxjournées,àMar-a-Lago,àdesentretiensd’embauchequiontbienentamésonpotentieldepatience.

JohnBolton,ancienambassadeurdesÉtats-UnisauxNationsuniesetchoixlogiquedeBannon,adébitéunlaïusagressif,incendiaireetva-t-en-guerre.

Puis le lieutenant-général Robert L. Caslen Junior, surintendant del’académiemilitairedeWestPoint,s’estprésentéavecunebienséancemilitaireà l’ancienne qui a produit chezTrump un effet très favorable.Oui,monsieur.Non,monsieur.C’estexact,monsieur.Ehbien,jecroisquenoussavonsquelaChinerencontrecertainsproblèmes,monsieur.Trèsvite, il semblequeTrumpvaluioctroyerleposte.

«C’estluiquejeveux,dit-il.Ilalatêtedel’emploi.»

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Mais Caslen hésite. Il n’a jamais exercé ce genre de fonctions. Kushnerpensequ’iln’estpeut-êtrepasprêt.

«Benoui,maisilm’aplu,cetype»,insisteTrump.PuisMcMaster,enuniformeavecsonÉtoiled’Argent,entreetselanceaussi

sec dans une leçon de stratégie mondiale de haute volée. Trump décrocherapidement.Etpluslegénéralparle,plusilserenfrogne.

«Cetypeestemmerdantàmourir»,conclut-ilunefoisMcMastersortidelapièce.MaisKushnerl’inciteàrevoirlegénéral,quiseprésentelelendemainencivil,dansuncostumeunpeuample.

«Ondiraitunreprésentantenbière»,commenteTrumpavantd’accepterdel’engager,maisàlaconditiondenepasavoirderendez-vousaveclui.

Peuaprèssanomination,McMasterestinvitédansl’émissionMorningJoe.Trumpregardeleprogrammeetrelèveavecadmiration:«C’estsûrqu’ilpassebien.»

LePrésidentseditqu’ilafaitlebonchoix.

Le4avril,danslamatinée,uneréunionplénièreestorganiséeàlaMaisonBlanchepourdiscuterdesattaquesàl’armechimique.Laplupartdesmembresducerclerestreints’occupantdesécurité,ainsiqu’IvankaetDinaPowell,voientdans le bombardement de Khan Cheikhoun l’opportunité de manifester uneréprobation morale catégorique. Les circonstances sont sans équivoque : legouvernementdeBacharel-Assad,bravantunefoisdeplusledroitinternational,aeurecoursàl’armechimique.Ilexistedespreuvesfilmées,etlesagencesderenseignement s’accordent à désigner Assad comme le responsable. Laconfigurationpolitiqueestfavorable:BarackObamaétaitrestélesbrascroisésfaceàuneattaquechimiqueenSyrie,maintenantTrumppeutagir.Les risquessont réduits, ce serait une riposte maîtrisée. Et, avantage supplémentaire, elleenverrait lemessagequelesÉtats-Unissavent tenir têteà laRussie,partenaireeffectif d’Assad en Syrie. L’occasion de marquer un point politique au plannational.

Bannon,quiestpeut-êtreauplusbasdesoninfluenceàlaMaisonBlanche– beaucoup de gens pensent encore que son départ est imminent – est la seule

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voix à s’élever contreune ripostemilitaire. Il semontre intransigeant : nepasmettre le pied dans des problèmes inextricables, et surtout ne pas y empêtrerencoredavantagelepays.Iltientbonfaceàlafaction«statuquo»quimonteenpuissance,arc-boutéesurlesprincipesqui,d’aprèslui,ontaboutiaubourbierduMoyen-Orient.Selonlui,letempsestvenudelaissertomberlesvieuxréflexes,représentésparl’allianceJarvanka-Powell-Cohn-McMaster.Oublierlanormalité–enfait,pourBannon,lanormalitéenelle-mêmeestproblématique.

LePrésidentadéjàaccédéàlademandedeMcMasterqueBannonsoitretiréduConseildeSécuriténationale,mêmesi lechangementnedoitêtreannoncéque le lendemain.Mais Trump n’est pas insensible à la vision stratégique deBannon : pourquoi faire quelque chose quand rien ne vous y oblige ? Oupourquoi faire une chose qui ne rapporte rien de concret ?Depuis sa prise defonctions, le Président a peu à peu acquis une conception instinctive de laSécuriténationale:faireleplusplaisirpossibleauplusgrandnombrepossiblededespotesqui,danslecascontraire,vousbaiseraient.Leprétenduhommefortest, fondamentalement,unhommeconciliant.Danscecasprécis,parexemple,pourquoiallercontrarierlesRusses?

En début d’après-midi, un vent de panique commence à souffler sur leConseildeSécuriténationale:lePrésidentnesemblepasbiensaisirlasituation.Bannon n’arrange pas les choses. Son approche hyperrationaliste séduitvisiblementunprésidentpastoujoursrationnel.Uneattaqueàl’armechimiquenechangerienàlasituationsurleterrain,argueBannon.Parailleurs,ilyadéjàeu des attaques bien pires qui ont fait bien plus de victimes. Si ce sont desenfants massacrés qu’on cherche, on peut en trouver n’importe où. Alors,pourquoiceux-là?

LePrésidentn’estpasungranddialecticien,ausenssocratiqueduterme.Iln’est pas non plus un grand décideur, au sens conventionnel, ni du genre àéplucherlesproblèmesetstratégiesdepolitiqueétrangère.Etpourtant,l’affaireestentraindetourneràl’affrontementphilosophique.

Les experts américains en politique extérieure ont longtemps considérél’inaction comme une inacceptable manifestation d’impuissance.L’interventionnisme découle d’un désir de prouver que l’on n’est pas réduit à

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rien.Onnepeutpasfaireétalagedepuissanceenrestantpassif.Maisl’approchedeBannonestplutôtcelledeMercutiodansRoméoetJuliette :«Lapestesoitdevosdeuxmaisons.»Cenesontpasnosaffaires,etàenjugerpartouteslespreuvesrécentes,tenterdemettredel’ordredanscebazarnepeutrienrapporterde bon. Cela risque d’entraîner des pertes humaines dans les troupesaméricaines,sansrapporteraucunerécompensemilitaire.Bannon,partisand’unchangement radical de politique extérieure, propose une nouvelle doctrine :« Qu’ils aillent se faire foutre. » Cet isolationnisme farouche séduit lapersonnalité«donnant-donnant»duPrésident:qu’avons-nous–etsurtoutlui–àygagner?

D’où l’impatience à sortir Bannon du Conseil. Le plus curieux est qu’audébut, on l’a cru bienplus raisonnable queMichaelFlynn, avec sa fixette surl’Irancommesourcedetoutmal.Bannonétaitcenséêtrelebaby-sitterdeFlynn.Mais en fait, à la stupéfaction de Kushner, il a une vision du monde nonseulement isolationniste,maisapocalyptique.Lemondevas’embraser,etnousn’ypouvonsrien.

L’annoncequeBannonquitteleConseilestfaitelelendemaindel’attaque.Ensoi,c’estdéjàunevictoireconsidérablepourlesmodérés:enàpeineplusdedeuxmois,ladirectiondelaSécuriténationale,d’abordconfiéeparTrumpàdesradicaux – voire à des dingues – revient entre les mains de personnes ditesraisonnables.

Ils’agitmaintenantquelePrésidentacceptedefairepartiedumêmegroupe.

La journée avance, et Ivanka Trump et Dina Powell font bloc dans leurdétermination à persuader le président de réagir… normalement. Au grandminimum,unecondamnationfermedel’usaged’armeschimiques,unesériedesanctions, et,dans l’idéal,une ripostemilitaire–maispas trop forte.Rienquisortedel’ordinaire.C’estlàl’idée:ilestcrucialdenepasréagird’unemanièreradicaleetdéstabilisante–ycomprisparuneabsenceradicalederéaction.

Jared se plaint maintenant à Ivanka que son père ne comprend toutsimplement rien.Même le consensus pour exprimer une condamnation fermelors du point presse de midi a été difficile à obtenir. Kushner et McMaster

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constatentquelefaitdedevoirpenseràl’attaquecontrariepluslePrésidentquel’attaqueelle-même.

Finalement, Ivanka explique à Dina qu’elles vont devoir lui présenter leschosesautrement.Ivankaacomprisdepuislongtempscommentfairepassersesidées auprès de son père. Il faut appuyer sur les bons boutons, ceux quiprovoquentsonenthousiasme.Ilabeauêtreunhommed’affaires,leschiffreslelaissentfroid.Leslistesetlestableaux,c’estbonpourlescomptables.Cequ’ilaime,lui,cesontlesgrandsnoms.Illuifautdegrandesimages–ausenspropre.Ilveutvoirleschoses.Ilaimel’«impact».

Mais sur ce plan-là, le renseignement et l’équipe chargée de la Sécuriténationale sont en retard. Ils vivent dans un monde de données plutôt qued’images.Orilsetrouvequel’attaquesurKhanCheikhounaétéabondammentfilmée. Bannon a peut-être raison de dire qu’elle n’a pas été plus meurtrièrequ’une autre, mais si on la fait sortir du lot grâce à unmontage vidéo, cetteatrocitéprendraunedimensionsingulière.

Plus tard dans l’après-midi, Ivanka et Dina élaborent un diaporama queBannon décrit avec dégoût comme une série de photos de gamins baveux.Lorsqu’elleslemontrentauPrésident,il lerepasseplusieursfois.Ilestcommehypnotisé.

Bannon,quiguette la réactionduPrésident,voit le trumpismefondresoussesyeux.Malgré sa résistanceviscéraleà la frilositéde l’establishmentet auxexpertsquiontentraînélepaysdansdesguerressansespoir,Trumpestsoudaincaptivé.Aprèsavoirvuetrevucesimagesatroces,iladopteimmédiatementunpointdevueconventionnel:nerienfaireestinconcevable.

Cesoir-là,ildécritlesphotosàunamiautéléphone–lamousse,toutecettemousse.Cenesontquedesgosses!Luiquiatoujoursméprisétouteripostequinesoitpasunpilonnagemilitaire,ilexprimeunintérêtsoudainetcandidepourlavastegammedesolutionsmilitaires.

Le mercredi 5 avril, on lui fait un briefing sur les diverses réactionspossibles.Maisunefoisdeplus,McMasterl’ensevelitsousunfatrasdedétails.Ils’agacerapidement,sesentantmanipulé.

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Le lendemain, le Président et ses plus hauts conseillers s’envolent pour laFloride, pour une réunion avec Xi Jinping, le président de la RépubliquepopulairedeChine–unerencontreorganiséeparKushneravecl’aided’HenryKissinger.À bord d’Air ForceOne, leConseil deSécurité nationale tient uneréunionsoigneusementchorégraphiée,enlienaveclepersonnelrestéausol.Àcemoment-là,ladécisionquantàlariposteàl’attaquechimiqueestdéjàprise:l’armée lancera une attaque au missile de croisière Tomahawk sur la baseaérienne d’Al-Chaayrate.Après un dernier tour de table, le Président, presquecérémonieusement,donnel’ordredefrappepourlesoirmême.

Laréunionterminée,etladécisionprise,Trump,d’humeurbadine,retournediscuteraveclesjournalistesquil’accompagnentdansl’avion.Suruntontaquin,ilrefusededirecequ’ilaprévudefaireenSyrie.Uneheureplustard,AirForceOneatterritetlePrésidentprendlaroutepourMar-a-Lago.

LePrésidentchinoisetsonépousearriventpourledînerpeuaprès17heureset sont accueillis par la garde militaire devant la résidence. Ivanka supervisel’événement,pratiquementtoutlehautcommandementdelaMaisonBlancheestprésent.

C’est au cours du dîner – sole, haricots verts et petites carottes rondes,Kushnerassisavec lecouplechinois,Bannonenboutde table–que l’attaquesurAl-Chaayrateest lancée.Peuavant22heures, lePrésident, lisantson textesur un prompteur, annonce que la mission est accomplie. Dina Powell faitprendre pour la postérité une photo du Président avec ses conseillers et sonéquipedeSécuriténationaledansune sallede crise improvisée àMar-a-Lago.Elleest laseulefemmeprésente.SteveBannonfulminedanssoncoin,écœuréparcettemiseenscèneetpar«cesconneriescomplètementbidon».

C’estunTrumpjoyeuxetsoulagéquirejointsesinvitéspourbavarderentrepalmiers et plantes tropicales. « C’était un gros coup », confie-t-il à un ami.L’équipe de Sécurité nationale est encore plus soulagée. L’imprévisiblePrésidentparaîtpresqueprévisible.L’ingérablePrésident,presquegérable.

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1. Testsportantsurlesthèmesdel’alcool,dusexeetdeladrogue.

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Médias

Le 19 avril, Bill O’Reilly, présentateur de Fox News et grande vedettetélévisée, est poussé dehors par la familleMurdoch suite àdes accusationsdeharcèlement sexuel.Ce n’est que la continuation de la purge qui a commencéneufmoisplus tôtavec le licenciementdudirecteurde lachaîne,RogerAiles.Foxestausommetdesoninfluencepolitiqueavecl’électiondeDonaldTrump,et pourtant l’avenir du groupe se retrouve en suspens au sein de la familleMurdoch,entrelepèreconservateuretlesfilsplusàgauche.

Quelques heures après l’annonce du départ de O’Reilly, Ailes, depuis sanouvellevilladeborddemeràPalmBeach–sonaccorddeséparationavecFoxinclutuneclausedenon-concurrencepourdix-huitmois–envoieunémissairedanslaWestWingavecunequestionàl’attentiondeSteveBannon:O’ReillyetHannitysontpartants,etvous?Ailesprépareensecretsoncome-backàlatêted’ungroupedemédiasconservateur.DufonddesonexilintérieuràlaMaisonBlanche,Bannon–«leprochainAiles»–esttoutouïe.

Ilnes’agitpasseulementd’uncomplotd’hommesambitieuxquifomententunevengeance.L’idéedemonterunnouveauréseaudetélévisionsdécouleaussidel’intuitionquelephénomèneTrumpestengrandepartiel’œuvredesmédiasd’extrêmedroite.Foxapassévingt ans àpeaufiner sonmessagepopuliste surunegauches’appropriantlepayspourlemeneràlaruine.Etjusteaumomentoùnombreuxsontceux–ycomprislesfilsMurdoch,quiprennentdeplusenplus

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lamain sur l’entreprise de leur père – qui commencent à croire que le publicvieillissantdeFoxestringardiséparsonmessageanti-gay,anti-avortement,anti-immigration,BreitbartNewsadébarqué.NonseulementBreitbarts’adresseàunpublicdedroitebienplusjeune–etencela,Bannonsesentaussiconnectéàsesauditeurs qu’Ailes aux siens – mais le site a converti son public en unegigantesquearméed’activistesduNet(etdetrollssurlesréseauxsociaux).

TandisquelesmédiasdedroiteserassemblentautourdeTrump–toujoursprêts à l’excuser pour sa façon de contredire la philosophie conservatricetraditionnelle –, la presse dominante lui est devenue tout aussi farouchementrésistante.Lesmédiasdivisentautantlepaysquelefaitlapolitique.Ilsensontl’avatar.EtAiles,missur la touche,est impatientderevenirdans le jeu.C’estsonterrainnaturel:1)l’électiondeTrumpdémontrelepouvoirquepeutprendreunebaseélectoraleréduitemaismotivée–toutcomme,entermesdetélévisioncâblée,unepetitebasede téléspectateurspursetdursvautmieuxqu’unpublicplus largemaismoins engagé ; 2) le corollaire est unemotivation équivalentedans un cercle tout aussi restreint d’ennemis passionnés ; 3) donc, le sang vacouler.

SiBannonestaussifiniqu’ilenal’airàlaMaisonBlanche,voilàsachance.En effet, le problème deBreitbartNews, centré sur Internet, avec sonmaigremillionetdemidedollarsdeprofitsparan, estquece supportnepeutni êtrerecapitalisé ni passer à une échelle supérieure. Mais avec des poids lourdscommeO’Reilly et Hannity, on peut s’attendre à une pluie d’or télévisuelle,alimentée à l’avenir par une ère de passion réactionnaire et d’hégémoniedroitièreinspiréesparTrump.

Lemessaged’Ailesàsonfuturprotégéestsimple:sonheureviendra,grâcenonseulementàl’ascensiondeTrump,maisaussiàlachutedeFox.

En réponse, Bannon informe Ailes que pour l’instant il s’accroche à sonposteàlaMaisonBlanche.Maisque,oui,lepotentielestévident.

AlorsmêmequelesortdeO’ReillyestendébatchezlesMurdoch,Trump,comprenantlepouvoirdel’hommeetsachantàquelpointlepublicdeO’Reillysesuperposeàsaproprebaseélectorale,lesoutientpubliquement.«Billn’arien

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fait demal àmon avis… c’est quelqu’un de bien », déclare-t-il auNewYorkTimes.

Mais en réalité, l’un des paradoxes de la nouvelle force des médiasconservateurs est Trump lui-même. Pendant la campagne, quand il y a trouvésonavantage,ils’estretournécontreFox.Sid’autresopportunitésmédiatiquesse présentent, il saute dessus. (Dans le passé récent, les républicains, surtoutdurantlasaisondesprimaires,onttoujoursprissoindedonnerlaprioritéàFoxavant touteautrechaîne.)Trump répète volontiers qu’il est plus grandque lesmédiasconservateurs.

Aucoursduderniermois,Ailes,unhabituédescoupsdefild’après-dîner,cessedeparlerauPrésident,piquéauvifd’entendrepartoutqueTrumpditdumal de lui et tresse des lauriers àMurdoch, lequel l’entoure d’attentions alorsqu’avantl’électioniln’avaitdecessedeleridiculiser.

« Les hommes qui exigent le plus de loyauté tendent à être les moinssincèresdesconnards»,note-t-il, sarcastique (alorsque lui-mêmeaccordeunegrandeimportanceàlaloyauté).

Unproblèmedemeure:lesmédiasconservateursconsidèrentTrumpcommeleurcréature, tandisque lui-mêmesevoitcommeunestar,unproduitvantéetchéripar tous lesmédias,enascensionperpétuelle.Uncultedelapersonnalitéestné,etlapersonnalité,c’estlui.Ilestl’hommelepluscélèbredelaplanète.Toutlemondel’aime–oudevraitl’aimer.

Onpeutvoirlàunegrossièreerreurd’analysedesapart.Àl’évidence,ilnecomprendpasquecequelesmédiasconservateursportentauxnues,lesmédiasprogressistesledescendentenflammes.Trump,éperonnéparBannon,continuedefairetoutcequiravitlesmédiasconservateursetprovoquel’iredelagauche.C’estleprogramme.Plusvossupporteursvousaiment,plusvosopposantsvoushaïssent.C’estcenséfonctionnerainsi.Etc’estcequisepasse.

Mais Trump est profondément blessé par le traitement que lui réserve lapresse grand public. Il ressasse de manière obsessionnelle le moindre affrontjusqu’àcequecelui-cisoitéclipséparlesuivant.Lesinsolencessontisoléesetrepasséesenboucle,l’humeurduPrésidents’assombritàchaquevisionnage(ilatoujours le doigt sur la touche replay). L’essentiel de sa conversation

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quotidienneseréduitàunelisterépétitivedecequelesdifférentsprésentateurset commentateurs ont dit de lui. Et il est contrarié non seulement quand onl’attaque,maisaussiquandons’enprendàsesproches.Enrevanche,jamaisilneremerciecesdernierspourleurfidélité,pasplusqu’ilneseremetenquestionouneblâmelanaturedesmédiasdegauchepourlesindignitéslancéesàlatêtede ses collaborateurs. C’est à ces derniers qu’il en veut, leur reprochant leurincapacitéàs’attirerunebonnepresse.

Lesmanifestationsdevertuoutragéeet leméprisde lapresseà l’égarddeTrump engendrent un tsunami de clics sur les sites d’extrême droite.Mais ceprésidentrageur,geignardettourmentén’yvoitpassonintérêt,oun’arrivepasàle comprendre. Il cherche partout l’amour des médias. En cela, il sembleprofondémentincapabledefaireladistinctionentreavantagepolitiqueetbesoinspersonnels.Ilraisonneémotionnellement,etnonstratégiquement.

Legrandintérêtd’êtrePrésident,desonpointdevue,estque l’ondevientl’hommelepluscélèbredumonde.Etlacélébritéesttoujoursvénéréeetadoréeparlesmédias,non?MaislefaittroublantestqueTrumpestdevenuPrésidentengrandepartiegrâceautalent(conscientounon)qu’iladesemettreàdoslesmédias,talentquifaitdeluiunpersonnageabondammentvilipendé.Cetespacedialectiqueestinconfortablepourunhommeaffligéd’unbesoinconstantd’êtrerassuré.

«PourTrump,noteAiles,lesmédiasreprésententlepouvoir,bienplusquelapolitique,etildésirel’attentionetlerespectdeleurspluspuissantesfigures.Donald et moi avons été très bons amis pendant plus de vingt-cinq ans, etpourtantilauraitpréférél’amitiédeMurdoch,quileprenaitpourundébile–dumoinsjusqu’aujouroùilestdevenuPrésident.»

Le dîner des correspondants de la Maison Blanche est prévu le 29 avril,centièmejourde l’administrationTrump.Cegalaannuel,autrefoisréservéauxinitiés, est devenu l’occasion pour les groupes de presse d’assurer leurautopromotioneninvitantàleurtabledescélébritésdontlaplupartn’ontrienàvoiraveclejournalismeoulapolitique.En2011,ils’étaitsoldéparl’affronttrèsremarquédeTrump,lorsqueBarackObamal’avaitprispourcibledeseslazzis.

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La légende prétend que cette humiliation a été l’élément déclencheur de sacandidatureàl’électionde2016.

Peuaprèsl’arrivéedeTrumpàlaMaisonBlanche,l’idéedecedînerdonnedes sueurs froides à son équipe. Par un après-midi d’hiver, dans le bureau deKellyanneConway,àl’étagedelaWestWing,HopeHicksetelleentamentunedouloureusediscussionsurlamanièredeprocéder.

Le nœud du problème est que le Président ne se montre ni enclin à semoquerdelui-même,niparticulièrementdrôle–oudumoins,pourreprendrelaformuledeConway,«iln’apaslesensdel’autodérision».

GeorgeW.Bush,onlesait,allaitaudînerdescorrespondantsàreculonsetyavait beaucoup souffert. Mais il s’y préparait intensément, et offrait chaqueannée une prestation convenable. En revanche, aucune des deux femmes,confiant leurs inquiétudes à un journaliste réputé bienveillant, ne pense queTrumpalamoindrechancedes’entirer.

«Iln’appréciepasl’ironie,ditConway.—Sonstyleestplusvieuxjeu»,renchéritHicks.Toutes deux, voyant clairement dans ce dîner un problème insoluble, le

qualifient sans cesse d’« injuste » – terme utilisé plus généralement pour letraitementdeTrumpdanslesmédias.«Ilsfontdeluiunportraitinjuste.»«Ilsneluilaissentjamaislebénéficedudoute.»«Iln’estpastraitécommel’ontétélesautresprésidents.»

Le fardeau deConway et deHicks est l’incapacitémanifeste de Trump àreplacer l’irrespect des médias dans la perspective plus large d’un paysagepolitique divisé, où il représente l’autre bord.Au contraire, il n’y voit qu’uneviolenteagression:pourdesraisonsabsolumentinjustes,desraisonsliéesàsapersonne, la presse ne l’aime pas, tout simplement. Elle le tourne en ridicule.Aveccruauté.Pourquoi?

Pour réconforter les deux femmes, le journaliste en question leur fait partd’unerumeur:GraydonCarter–rédacteurenchefdeVanityFair,hôtedesplusgrandesréceptionsdonnéesàlasuitedudînerdescorrespondants,et,depuisdesannées, l’un des principaux persécuteurs de Trump – va bientôt quitter lemagazine.

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«C’estvrai?lanceHicksenselevantd’unbond.Oh,monDieu,jepeuxleluidire?Çaneposepasdeproblème?Ilvaêtreheureuxdel’apprendre.»EtellesehâtededescendredansleBureauovale.

Curieusement,ConwayetHicksincarnentchacuneuneversiondel’alteregomédiatiqueduPrésident.Conway est le roquet, lamessagère ironiquequimetinvariablement les journalistes au bord de l’apoplexie. Hicks, elle, est laconfidentequis’efforcesansrelâched’êtregentilleavecTrumpetdelepeindresousun jour favorabledans lesseulsmédiasdont il sesoucievraiment–ceuxqui lehaïssent leplus.Mais, aussidifférentes soient-ellesdans leurs fonctionsmédiatiques et dans leur tempérament, toutes deux ont gagné une influenceremarquable dans l’administration en jouant les lieutenants indispensables,chargées de la préoccupation la plus pressante du Président : sa réputationmédiatique.

AlorsqueTrumpestàbiendeségardsunmisogynetrèsconventionnel,ilestplusprochedes femmesquedeshommessur son lieude travail.Àelles, il seconfie, alors qu’avec eux il garde ses distances. Il aime et dépend de ses« épouses de bureau », à qui il s’ouvre de ses soucis personnelsmajeurs.Lesfemmes,selonlui,sontplusloyalesetdignesdeconfiancequeleshommes.Cesderniers sont peut-être plus forts et plus compétents, mais ils sont aussi plussusceptiblesdenourrirdesintentionscachées.Lesfemmes,parnature,dumoinsselonlaconceptionqu’ilena,sontplusenclinesàseconsacrerentièrementàunhomme.Unhommecommelui.

Ce n’était pas par hasard ou par souci de parité que son acolyte dansl’émissionTheApprenticeétaitunefemmeouquesafilleIvankasoitdevenuesaplusproche confidente. Il sent que les femmes le comprennent.Dumoins, lesfemmes du genre qu’il aime : loyales, efficaces, positives et, de surcroît,agréablesàregarder.Tousceuxquiontréussiàtravaillerpourluisaventqu’ilyatoujoursunsous-texteconcernantsesbesoinsetsesmaniespersonnelles,dontil faut tenir compte ; en cela, il n’estpas si différentd’autrespersonnagesquiconnaissentunegranderéussite.C’estsimplementexacerbéchezlui.Onauraitpeineàimaginerunindividus’attendantàuneplusgrandeprévenancevis-à-vis

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deseslubies,desesrythmes,desespréjugésparticuliersetdesesdésirssouventvagues.Ilexigeuneattentiontouteparticulière.Lesfemmes,explique-t-ilàunamiavecunbrindelucidité,comprennentcelasouventmieuxqueleshommes.En particulier celles que samisogynie désinvolte et ses sous-entendus sexuelspermanents – associés, de manière incongrue et souvent perturbante, à uneattitudepaternaliste–nedérangentpas,cellesquecelalaisseindifférentes,cellesquecelaamuse,etcellesquisesontblindées.

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Kellyanne Conway a rencontré Donald Trump pour la première fois à

l’occasiond’uneréunionduConseildegestionduTrumpInternationalHotel,oùellerésidaitavecmarietenfantsaudébutdesannées2000,justeenfacedusiègedesNationsunies.Sonmari,George,diplômédeHarvardetdel’écolededroitdeYale, est associé dans la firme de fusions et acquisitionsWachtell, Lipton,Rosen&Katz (quiaffichedessympathiesdémocrates,maisGeorgea jouéunrôleencoulissedansl’équipequireprésentaitPaulaJoneslorsdesespoursuitescontreBillClinton).Danssonéquilibreprofessionneletdomestique, lafamilleConway est organisée autour de la carrière deGeorge.Celle deKellyanne estsecondaire.

Kellyanne,quipendantlacampagneaveilléàmettreenavantsesoriginesmodestesdefilledechauffeur routierélevéedans lecentreduNewJerseyparunemère seule (et, toujours selon son récit, par sa grand-mère et deux tantescélibataires).Elleaétudiéàl’universitéGeorgeWashingtonpuisafaitunstageauprès du responsable des sondages de Reagan, Richard Wirthlin. Elle estdevenue ensuite l’assistante de Frank Luntz, un étonnant personnage du Partirépublicain,connuautantpoursescontratstélévisuelsetsonpostichequepoursa perspicacité sondagière. Kellyanne a fait ses premières apparitions sur leschaînesducâbleàcetteépoque-là.

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L’unedesvertusducabinetderecherchesetdesondagesqu’ellealancéen1995estquesonactivitépouvaits’adapterà lacarrièredesonmari.Maissoninfluencerestaitmarginaledanslescerclespolitiquesrépublicains,etellen’afaitque surnager dans le sillage d’Ann Coulter et de Laura Ingraham qui setrouvaiententêtedepelotonàlatélévision.Maisenfin,c’estlàqueTrumpl’avue,àlatélévision,etill’areconnuelorsdecetteréunionduConseildegestion.

En réalité, ce n’est pas cette rencontre avec Trump, mais le fait d’êtreembauchée par les Mercer qui a donné un nouvel horizon à sa vieprofessionnelle. Ils l’ont recrutée en2015pour travailler pour la campagnedeTedCruz,alorsqueTrumpétaitencoreloindereprésenterlecandidatidéalpourles conservateurs.Par la suite, en août 2016, lesMercer l’ont intégréedans lacampagnedeTrump.

Elle comprend son rôle. « Je ne vous appellerai jamais autrement quemonsieurTrump»,dit-elleaucandidat avecune solennitéparfaite lorsde sonentretien d’embauche. Elle répète ce « monsieur Trump » interview aprèsinterview,unelitaniedestinéeàTrumpautantqu’auxautres.

Sontitreofficiel,«directricedecampagne»,estimpropre.Levraidirecteurc’estBannon,etelle,chefdessondages.MaisBannonconfie rapidementcetteresponsabilitéàquelqu’und’autre,etilresteàConwaycequeTrumpconsidèredeloinlerôleleplusimportant:êtresonporte-paroleàlatélévision.

Conway semble avoir un interrupteur on-off fort pratique. En privé, enpositionoff, elle considèreTrump comme un personnage épuisant, qui poussel’exagérationjusqu’àl’absurde–dumoins,sil’onexprimedevantelleuneidéeallant dans ce sens, elle laisse entendre qu’elle la partage. Elle illustre sonopinion sur son boss par toute une série demimiques : yeux au ciel, boucheouverte,têterenverséeenarrière.Maisenposition«on»,ellesemétamorphoseendisciple,enprotectrice,engardienne,enservantedévouée.Conwayestuneantiféministe(ouplutôt,parunesortedepirouetteidéologiquecompliquée,elleconsidèrelesféministescommeantiféministes)quiaffirmetenirsesméthodesetsontempéramentdesonexpérienced’épouseetdemère.Elleest instinctiveetréactive.D’oùsonrôlededéfenseuseultimedeTrump:ellesejetteverbalementdevanttouteballetiréedanssadirection.

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Trumpadoresonnumérodedéfense-à-tout-prix.Ilfaitnotersesapparitionstéléviséesdanssonagendapourpouvoirlesregarderendirect.Lepremierappelqu’elle reçoit aussitôt que la caméra s’éteint vient généralement de lui. EllecommuniquepartélépathieavecTrump,répétantmotpourmotlestrumpismesqui,horscaméra,luiferaientmimerlegestedesefairesauterlacervelle.

Aprèsl’élection–lavictoireentraîneuneréorganisationdomestiquechezlesConway,etdeseffortsentoussensafind’obtenirpoursonmariunpostedansl’administration –, Trump suppose naturellement qu’elle endossera le rôle deporte-parole.«Mamèreetlui,engrandsconsommateursdetélévision,pensentquec’estlejobleplusimportant»,explique-t-elle.D’aprèssaversiondesfaits,elledéclineoutergiverse.Elleproposetoutessortesdescénariosalternatifsdanslesquels elle est la directrice de la communication,mais aussi bien davantage.Pendantcetemps-là,àpeuprèstoutlemondechercheàdissuaderTrumpdelanommer.

LaloyautéestlavaleurlapluspriséeparTrump,etConwayconsidèrequesesprestationsdekamikazeàlatélévisionvalentbienuneplacedepremierplanàlaMaisonBlanche.Maisdanssonincarnationpublique,elleenfaittrop.Ellepoussesi loin l’hyperbolequ’elle finitpar rebutermême les fidèlesdeTrump.Surtout Jared et Ivanka qui, consternés par l’impudeur de ses apparitionstélévisées, critiquent de manière plus générale sa vulgarité. Quand ils parlentd’elle,ilslasurnomment«griffes»,enréférenceàsesmanucuresàlaCruellad’Enfer.

Mi-février, elle est déjà l’objet de fuites–bonnombrevenuesde JaredetIvanka – qui la disentmise au placard.Elle se défend demanière tonitruante,brandissantunelisted’apparitionstéléviséesencoreàsonprogramme,toutefoismoins prestigieuses que par le passé.Mais elle se lance aussi dans une scènelarmoyantedansleBureauovale,proposantsadémissionsilePrésidentaperdusafoienelle.Commepresquetoujoursfaceàunemanifestationd’abnégation,lePrésidentlarassure.«Vousaureztoujoursuneplacedansmonadministration,luidit-il.Vousserezlàpendanthuitans.»

Pourtant,elleestbienmiseenretrait,limitéeàdesmédiasdesecondezone,émissaire désigné pour s’adresser aux groupes d’extrême droite, et exclue de

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toutes les décisions importantes. Elle reproche cette situation auxmédias, unemalédiction qui la rapproche encore plus de Donald Trump dans l’auto-apitoiement.Eteneffet,sesliensavecleprésidentseresserrent,uniscommeilslesontdansleurblessuremédiatique.

Âgéede28ans,HopeHicksestlapremièreembauchéedanslacampagnedeTrump.ElleleconnaîtbienmieuxqueKellyanneConway,etellecomprendqueleplusimportantdanssafonctionestdenepasapparaîtredanslesmédias.

Hicks est originaire de Greenwich, dans le Connecticut. Son père, anciencadredanslesrelationspubliques,estmaintenantenpostedansleGloverParkGroup, société de conseil en communication et en politique à tendancedémocrate.Samèreafaitpartieducabinetd’unparlementairedémocrate.Élèvesans grand relief, Hicks a fréquenté la Southern Methodist University et estdevenuemannequinavantdedécrocherunemploidanslesrelationspubliques.Elle a d’abord travaillé pour Matthew Hiltzik qui dirigeait une petite agencenew-yorkaise réputée pour sa capacité à gérer une clientèle exigeante,notamment leproducteurdecinémaHarveyWeinstein (bientôt cloué aupiloripour des années de harcèlement et d’agressions sexuelles – accusations dontHiltzik et son équipe l’avaient longtemps aidé à se protéger) etKatie Couric,grand nom de la télévision. Hiltzik, un démocrate actif qui a travaillé pourHillaryClinton, représentait aussi la ligne de vêtements Ivanka Trump.Hickss’estoccupéedecedossieravantd’entreràpleintempsdanslasociétéd’Ivanka.En2015,celle-cil’arecommandéepourlacampagnedesonpère.Àmesurequelacampagnemonteenpuissance,passantdustatutd’anecdoteloufoqueàceluid’événementpolitiquepuisdepoidslourd,lafamilledeHicks,deplusenplusincrédule puis effarée, en est venue à la voir presque comme une victimed’enlèvement. (Après lavictoiredeTrump,alorsqu’elles’installeà laMaisonBlanche, ses proches discutent avec inquiétude des thérapies dont elle aurabesoinunefoissaprestationachevée.)

Aucoursdesdix-huitmoisdecampagne,l’escorteducandidatsecomposegénéralementdeHicksetdudirecteurdecampagne,CoreyLewandowski.Avecle temps, la jeune femmedevient – outre une participante fortuite à la grande

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histoire, qui la stupéfie autant que tout un chacun – une sorte de factotumtotalement soumis. Jamais un employé de Trump ne lui a été plus dévoué ettolérant.

Lewandowski, avec qui elle eut une liaison intermittente, est renvoyé enjuin2016pourcausedeviolentedisputeavecdesmembresdelafamilleTrump.Peu après,Hicks est à laTrumpTower avecTrump et ses fils. Inquiète de lamanièredontLewandowskiesttraitéparlapresse,ellesedemandeàvoixhautecommentellepourraitl’aider.Trump,quid’habitudesemontreplutôtprotecteuretmêmepaternelavecelle,relèvelatêteets’étonne:«Pourquoi?Tuenasdéjàassez faitpour lui.Unmorceaupareil, ilne retrouvera jamaisça.»Ellequitteaussitôtlapièce.

AlorsquedenouveauxcerclesseformentautourdeTrump,Hickscontinued’assurer les relations publiques de celui-ci, d’abord comme candidat désignépuisprésidentélu.Ellelesuitcommesonombre,etc’estellequil’approcheleplus facilement. « Tu as parlé à Hope ? » est l’une des phrases les plusfréquemmentprononcéesdanslaWestWing.

Parrainée par Ivanka et toujours loyale envers elle, Hicks est considéréecomme la vraie fille de Trump, tandis qu’Ivanka serait devenue sa véritableépouse.Demanièreplusfonctionnelle,maistoutaussifondamentale,elleestlaresponsable des médias pour le Président. Elle travaille à ses côtés, loin duservicedecommunicationdelaMaisonBlancheetdesesquaranteemployés.Lemessageetl’imagedeTrumpsontentresesmains–ou,pourêtreplusexact,elleestchargéeparlePrésidentdevendrecemessageetcetteimage.Àeuxdeux,ilformentunesorted’unitéindépendante.

N’ayantpasde lignepolitiquepersonnelle, et au regardde sonexpériencedesrelationspubliquesàNewYork,plutôtdédaigneusesdelapressededroite,elle devient l’agent de liaison officiel entre le Président et les médiastraditionnels. Celui-ci lui demande un exploit : décrocher un papier favorabledansleNewYorkTimes.

Ce n’est pas encore arrivé, «mais Hope ne lâche pas l’affaire », affirmeTrump.

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Plusd’unefois,aprèsunejournéederetombéesparticulièrementmauvaises,ill’accueilleparcesmotsaffectueux:«Tudoisêtrelaplusmauvaiseattachéedepressedumonde.»

Danslespremiersjoursdelatransition,alorsqueKellyanneConwayn’estpluscandidateaupostedeporte-parole,Trumpsemeten têtededénicherune«star».LaprésentatriceradioLauraIngraham,quiaprononcéundiscourslorsde la convention républicaine, est en lice, de même qu’Ann Coulter. MariaBartiromo,deFoxBusiness,estaussipressentie.(C’estpourlatélévision,ditleprésidentélu,doncilfautunebellefemme.)Commeaucunedecesidéesneseconcrétise, le poste est proposé àunhomme,TuckerCarlson, présentateur surFoxNews,quidéclinepoliment.

Maisilexisteunpointdevueopposé:leporte-paroledoitêtrelecontraired’une star.D’ailleurs, toute la communicationavec lapressedoit êtremiseensourdine.Si lapresseest l’ennemi,pourquoichercherà luiplaire,pourquoi luidonnerplusdevisibilité?Voilàdubannonismefondamental :cesserdecroirequel’onpeutarriveràs’entendreavecsesennemis.

Alors que le débat fait rage, Priebus propose un de ses adjoints au RNC,SeanSpicer,unprofessionnelde lapolitiqueâgéde45ansqui a enchaîné lespostes auCapitole pendant les annéesGeorgeW.Bush,puis auRNC. Spicer,hésitant et anxieux, pose sans cesse cette question à ses collègues dumarigotwashingtonien:«Sijefaisça,est-cequejeretrouveraiunboulotaprès?»

Lesréponsessontmitigées.Pendant la transition, de nombreux membres de la campagne de Trump

finissent par convenir avecBannon que laMaison Blanche doitmaintenir lesmédiasàdistance–etleplusloinpossible.Pourlesjournalistes,cetteinitiative,oudumoinslarumeurquicourtàcepropos,confirmel’attitudeanti-pressedel’administrationàvenir et ses efforts systématiquespour fermer le robinetdesinformations.Àvraidire,lesautresadministrationsavaientdéjàtoutesjouéavecl’idéededéplacerlasalledepressehorsdelaMaisonBlanche,oud’écourterlesdélaisimpartis,ouderéduirelesfenêtresdediffusionetl’accèsdesjournalistes.

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Lorsque son mari a été élu, Hillary Clinton a proposé de limiter lesaccréditations.

DonaldTrumpnepeuts’yrésoudre.Ilnerésistepasàlaperspectived’uneproximitéavec lapresseetd’uneestradedanssapropremaison. Il réprimanderégulièrementSpicerpoursesprestationsbalourdes,qu’ilsuitavecunegrandeattention.Sesréactionsauxpointsdepressesontdansladroitelignedecequ’ila toujourspensé:personnenesait jouerdesmédiascommelui,etallezsavoircomment, il se retrouve coincé avec une équipe de Pieds-Nickelés de lacommunication sans aucun charisme, sans aucun magnétisme, et sans réseaudignedecenomdanslesmédias.

La pression qu’il fait subir à Spicer – un flux constant d’éreintements etd’instructions déstabilisantes – contribue à transformer les points presse ennaufrages spectaculaires. Pendant ce temps, la véritable direction de lacommunication s’est plus ou moins diluée en une série d’organisationsconcurrentesauseinmêmedelaMaisonBlanche.

Il y a d’un côtéHopeHicks et le Président, vivant dans ce que les autresoccupants de laWestWingdécrivent commeununiversparallèle.Ununiversdans lequel les médias dominants n’ont pas encore découvert – mais cela nesaurait tarder – le charme et la sagesse de Donald Trump. Le temps que lesprécédents présidents ont consacré à disséquer les besoins, les désirs et lesmoyens de pression possibles sur les différents membres du Congrès, lePrésidentetHickslepassentàdiscuterd’uncertainnombredepersonnalitésdesmédias,s’efforçantdedevinerlesintentionscachéesetlestalonsd’AchilledesprésentateursetdesproducteursdetélévisionainsiquecellesdesjournalistesduNewYorkTimesetduWashingtonPost.

Biensouvent,l’objetdesambitionsillusoiresdeTrumpestlajournalisteduTimesMaggieHaberman.Enunedujournal,danscequipourraits’intituler«lesbizarreries de Donald Trump », Haberman conte avec brio la chronique desexcentricités,descomportementsdiscutablesetdesfadaisesquedébiteTrump,letoutécritsuruntonpince-sans-rire.Au-delàdufaitqueTrumpestungarsduQueensenadmirationdevantleNewYorkTimes,personneàlaMaisonBlanchenepeuts’expliquerpourquoiHickset lui font si souventappelà la journaliste

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pourcequisesoldesansfaillirparunportraitmoqueuretblessant.L’impressiongénéraleestqueTrumpretournesurleslieuxdesessuccèspassés:leTimesestpeut-êtrecontre lui,maisHabermana travailléauNewYorkPost pendant tantd’années. « C’est une grande professionnelle », dit Kellyanne Conway pourdéfendre le Président et tenter de justifier l’accès extraordinaire dont jouit lajournalistequeTrumpdécritcomme«cruelleethorrible».Etpourtant,surunrythmequasi hebdomadaire,Hicks et lui complotent pour décider quand fairerevenirMaggieHabermanàlaMaisonBlanche.

Kushnerasonservicedepressepersonnel,etBannonlesien.Laculturedesfuites est devenue si notoire et ouverte – pratiquement tout le monde peutidentifier lesfuitesdechacun–qu’ellessontdésormaisgéréespardeséquipesofficielles.

Le Bureau de l’innovation américaine de Kushner emploie Josh Raffelcomme porte-parole. Comme Hope Hicks, c’est un ancien de la société deMatthewHiltzik.Raffel, un démocrate qui a travaillé àHollywood, fait officed’attaché de presse personnel pourKushner et sa femme. Le couple juge queSpicer, entièrement dévoué à Priebus, ne se défonce pas assez pour lesreprésenter.Toutcelaestparfaitementexplicite.«JoshestleHopedeJared»,telleestsadescriptiondupostedeRaffeleninterne.

Raffelcoordonne toutes les relationsdeJaredetd’Ivankaavec lapresse– surtout d’Ivanka, plus sollicitée que son mari. Mais, plus important, ilcoordonne aussi les abondantes fuites de Kushner, ou, pour reprendre laterminologieenvigueur,ses«synthèsesetconseilsofficieux»dont l’essentielestdirigécontreBannon.Kushner, qui affirme avec une grande conviction nejamais rien faire fuiter, justifie en partie cette offensive comme une défensecontrelesattaquesdeBannon.

La«personne»deBannon,AlexandraPreate–unemondaineconservatricepleine d’esprit, grande amatrice de champagne – a déjà représenté BreitbartNewsetd’autresgrandesfiguresducampconservateurcommeLarryKudlowdeCNBC.Elle est une amie proche deRebekahMercer.Dans cette relation quepersonnen’arrivevraimentàexpliquer,ellegèretousles«rapprochements»de

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Bannonaveclapressemaisn’estpasemployéeparlaMaisonBlanche,oùelleatoutefoisunbureau,oudumoinsunsemblantdebureau.Lemessageestclair:sonclientestBannon,pasl’administrationTrump.

Bannon, à la consternation persistante de Jared et d’Ivanka, jouit toujoursd’unaccèsprivilégiéàBreitbart,unoutilpuissantpourfaçonnerl’humeuretlespréoccupations de la droite. Il a beau répéter qu’il a coupé les ponts avec sesancienscollègues,personnen’ycroit,etchacuncomprendqu’onn’estpascenséycroire.Cequ’ilveut,c’estfairepeur.

Tout le monde à la Maison Blanche s’entend à reconnaître queparadoxalement,DonaldTrump,présidentmédiatique,a l’undesdispositifsdecommunicationlesplusdysfonctionnelsdel’histoiredelaprésidencemoderne.MikeDubke, attaché de presse républicain embauché comme directeur de lacommunicationdelaMaisonBlanche,était,del’avisdetous,prèsdelaportedesortiedèslepremierjour.Auboutducompte,ilneresteraquetroismois.

Le dîner des correspondants de la Maison Blanche constitue, commen’importequelnouveaudéfi,untestdecompétencepourlenouveauprésidentetson équipe.EtTrump veut s’y rendre. Il est convaincu que le pouvoir de soncharmesauradominersarancœuràl’encontredesinvitésdelasoirée–oucellequecesderniersgardentàsonégard.

Il se souvient de sa prestation de 2015 dans l’émission satiriqueSaturdayNight Live – de son point de vue, une réussite totale. Il refuse même de sepréparer, répétant qu’il va « improviser », pas de problème. Les comiquesprofessionnelsn’improvisentpas,mêmes’ilsenontl’air,luiexplique-t-on.Toutestécritetrépétéàl’avance.Maiscesparolesrestentsanseffet.

Personne,hormislePrésidentlui-même,n’imaginequ’ilpeuts’entirer.Soncabinetestterrifiéàl’idéequ’ilaitunblancetseretrouvemuet,endirect,devantunauditoirehostileetdédaigneuxquipeutêtremordant,souventdemanièretrèsabrupte.Nulnevoitcommentilvaendurerunetelleépreuve.Pourtant,ilatrèsenvied’yalleretsemblemêmeprendre lachoseà la légère.MêmeHicks,quid’habitude encourage toutes ses impulsions, s’efforce cette fois de n’en rienfaire.

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Bannon met en avant l’argument symbolique : le Président ne doit passembler quémander la faveur de ses ennemis, ou chercher à les amuser. Lesmédias sont bien plus doués pour le châtiment que pour la complicité. Leprincipe Bannon, cette lance d’acier plantée dans le sol, demeure : ne pass’incliner,nepas tendre lamain,nepasfairedecompromis.Età lafin,plutôtqu’insinuerqueTrumpmanquedutalentetdel’espritnécessairespourtouchersonpublic,l’argumentdeBannons’avèrelemeilleurpourdissuaderlePrésidentdeserendreaudîner.

LorsqueTrumpaccepteenfinde faire l’impassesur l’événement,Conway,HicksetpratiquementtoutelaWestWingpoussentunsoupirdesoulagement.

Peu après 17 heures en ce centième jour de sa présidence – une journéeparticulièrement chaude et humide –, le président sort de laWestWing pourmonter dans l’hélicoptère Marine One qui s’envole pour la base aérienned’Andrews. Au même moment, environ deux mille cinq cents employés degroupes de presse et leurs amis sont réunis au Hilton deWashington pour ledînerdescorrespondantsdelaMaisonBlanche.

SteveBannon, StephenMiller, Reince Priebus, Hope Hicks et KellyanneConwayaccompagnentTrump.Levice-présidentPenceetsonépouserejoignentlegroupeàAndrewspourlecourtvolàbordd’AirForceOneversHarrisburg,enPennsylvanie,oùlePrésidentdoitprononcerundiscours.Pendantlevol,despâtésdecrabesontservis,etJohnDickerson,journalistedel’émissionFacetheNation,adroitàuneinterviewspécialepourlecentièmejour.

À Harrisburg, le Président se rend d’abord dans une usine d’outils dejardinageetinspecteavecattentionunalignementdebrouettescolorées.Ensuite,ildoitdonnerundiscoursdansunearènederodéodanslecentredeconférenceFarmShowComplexandExpoCenter.

Et c’est tout l’objet de ce petit déplacement. Il est conçu d’abord pourrappeleraupaysquelePrésidentn’estpasunguignolensmokingcommeceuxquiparticipentaudînerdescorrespondants(àsupposerquesabasesesoucieoumême soit au courant de l’événement), et il cherche peut-être aussi à faireoublieràTrumpqu’ilestentrainderaterlasoirée.

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Mais pendant ce voyage, le Président n’arrête pas de demander qu’on luirapportelesdernièresblaguesdudîner.

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16

Comey

« Il est impossible de lui faire comprendre qu’on ne peut pas arrêter cesenquêtes,indique,contrarié,RogerAiles,membreducabinetrestreintdeTrump,débutmai.Dans lepassé,onpouvaitdemanderdenepas semêlerde telleoutellechose.Àprésent,sionlefait,ondevientl’objetd’uneenquête.Ilnepeutpassemettreçaentête.»

Alorsquediversmembresdececabinetdemilliardairesontprisl’habitudedecalmerlePrésidentlorsdeleursappelstéléphoniquesdusoir,ilsl’alertentaucontraire des périls venant du département de la Justice et duFBI.Ces richesamisdeTrumps’imaginentexperts:aucoursdeleurscarrières,ilsonteuassezdedémêlés avec le département pour y avoir nouédes relations, y avoir leurssources, et être à présent au courant de toutes les rumeurs.Flynnva lemettredans lepétrin.Manafort va tomber.Et il n’y a pas que laRussie. Il y a aussiAtlanticCity.EtMar-a-Lago.EtleSoHodeTrump.

ChrisChristieetRudyGiuliani–expertsautoproclamésdudépartementdelaJusticeetduFBI,etgarantissanttoujoursàTrumpleurssourcesinternes–lepersuadentqueledépartementestbraquécontrelui.C’estuncomplotdatantdel’èreObama.

LacraintedeCharlieKushner,transmiseparsonfilsetsabelle-fille,quelesaffaires de la famille soient contaminées par les enquêtes sur Trump, est bienpluspressante.Enjanvier,desfuitesmettentfinàunaccordentrelesKushneret

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Anbang InsuranceGroup, colosse chinois de la finance, pour s’occuper de lafortedette liéeau666FifthAvenue, l’unde leursavoirs immobiliersmajeurs.Fin avril, grâce à des informations du département de la Justice, leNew YorkTimesassocie,dansunarticleàsaune,lasociétédesKushneràBenySteinmetz–milliardaire israélien spécialisédans lesdiamants, lesmines et l’immobilier,ayant des liens avec laRussie et faisant l’objet d’enquêtes récurrentes dans lemondeentier.(Pournerienarranger,lePrésidentaassuréàplusieurspersonnesque Jared pouvait résoudre la crise au Moyen-Orient puisque les Kushnerconnaissaient tous lesescrocsd’Israël.)Durant lapremière semainedemai, leTimes et le Washington Post révèlent les tentatives de la famille Kushnerd’attirerdesinvestisseurschinoisenleurpromettantdesvisasaméricains.

«Lesenfants»–JaredetIvanka–affichentunairdeplusenpluspaniquéàl’idéequeleFBIetledépartementdelaJusticesedétournentdel’enquêterussepour s’intéresser aux finances de la famille. « Ivanka est terrifiée », dit unBannonsatisfait.

Trumpsuggèreàsonchœurdemilliardairesqu’ilvarenvoyerledirecteurduFBI,Comey.Iladéjàévoquél’idéeàplusieursreprises,maisaumêmemomentetdanslemêmecontexte,semble-t-il,qu’ilenvisagederenvoyertoutlemonde.Etsi jeviraisBannon?Etsi jeviraisReince?EtMcMaster?EtSpicer?EtTillerson?Tousontcomprisquecerituelestplusunemanièred’affirmersonpouvoir qu’une décision personnelle. Pourtant, dans l’esprit de Trump, laquestion de renvoyer l’un ou l’autre et le fait d’en parler avec l’un desmilliardaires,setraduitenunaccorddutype:CarlIcahnpensequejedevraisvirerComey(ouBannon,Priebus,McMasterouTillerson).

Sa fille et son gendre, dont l’insistance est aggravée par la panique deCharlieKushner,l’encouragent,avançantqueComey,jadisplaisant,estdevenudangereuxetincontrôlableettireraitprofitdeleurperte.QuandTrumpaunsujetde tension, remarque Bannon, c’est que quelqu’un l’a mis sur la table. Lesdiscussionsfamiliales–insistantes,presquefrénétiques–neportentplusquesurl’ambition de Comey. Il va prendre du galon à leur détriment. Et la clameurenfle.

«CesalaudvatenterdevirerledirecteurduFBI»,ditAiles.

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Au cours de cette première semaine de mai, le Président a une entrevueagitée avec Sessions et son adjoint, RodRosenstein. L’entretien est humiliantpourlesdeuxhommes.Trumpaffirmequ’ilsnecontrôlentpasleurséquipesetlespousseàtrouveruneraisondelimogerComey–lesaccusant,enfait,denepasavoirtrouvécemotifdesmoisauparavant.C’estleurfaute,sous-entend-il,siComeyn’apasétéremerciésur-le-champ.)

La même semaine, une réunion est organisée entre le Président, Jared etIvanka,Bannon,Priebus, et le conseiller juridiquede laMaisonBlanche,DonMcGahn.Ellesetientàhuitclos–faitremarquablepuisqu’ilestinhabituelquelaporteduBureauovalesoitfermée.

Tous les démocrates détestent Comey, déclare le Président, exprimant unpointdevuedéfinitifetd’autojustification.TouslesagentsduFBIledétestentaussi–75%d’entreeuxnepeuventpaslesupporter.(Kushneresttombésurcechiffre et Trump s’en empare.) Limoger Comey représenterait un avantageconsidérablepourlacollectedefonds,ajouteunprésidentquineparlejamaisdecollectedefonds.

McGahn tented’expliquerqu’en fait,Comeynes’occupepasde l’enquêterusseetquesanslui,ellesepoursuivradetoutefaçon.L’avocat,dontletravailconsisteàémettredesmisesengarde,estsouventlacibledescolèresdeTrump.Elles débutent en général par une sorte d’exagération de ses propos oud’imitation avant de prendre une tournure sérieuse – une véritable crise,incontrôlable, avec grimaces et veines soudain très apparentes. À présent, lesdénonciationsduPrésidentseconcentrentenproposvirulentscontreMcGahnetsesavertissementsausujetdeComey.

«Comeyestunmouchard»,répéteTrump.Desmouchards,ilyenapartoutetilfauts’endébarrasser.JohnDean,JohnDean, lance-t-ilenboucle.«VoussavezcequeJohnDeanafaitàNixon?»

Trump, qui considère l’histoire à travers des personnages – des hommesqu’ilauraitpuaimeroudétester–estobsédéparJohnDean.Ils’emportequandcelui-ci, grisonnant et âgé, intervient dans des talk shows pour comparerl’enquête russeauWatergate.Aussitôt en alerte, lePrésident se lancedansunmonologue avec l’écran sur la loyauté et sur tout ce dont les gens seraient

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capables de faire pour attirer l’attention des médias. Il peut aussi émettrediversesthéoriesrévisionnistessurleWatergateetlefaitqueNixonaétépiégé.Etilyatoujoursdesmouchards,cesgensquivousfontchuterdansleurpropreintérêt.Ilfauts’attaqueràeux.Ilssontpartout.

(Plus tard,Bannon doit prendre le Président à part pour lui dire que JohnDean a été conseiller juridique de la Maison Blanche sous l’administrationNixon,etqu’ilvautpeut-êtremieuxallégerlachargesurMcGahn.)

Aucoursdelaréunion,Bannon,endésaccord,etdésormaisalliéàPriebusdans leurantipathiepour Jarvanka, saute sur l’occasionpour s’opposerà touteaction contre Comey – agissant du même coup contre Jared, Ivanka et leursalliés,«lesgénies».(«Génie»estl’undestermesutilisésparTrumppoursemoquerdequiconquel’agaceous’estimeplusintelligentquelui,etBannonsel’approprie, l’appliquant à la famille du Président.) Avec des mises en gardeconvaincantesetsinistres,BannonditauPrésident:«Cetteaffairerusseestdetroisième ordre, mais virez Comey et ce sera là, la plus grosse histoire aumonde.»

Àlafindelaréunion,BannonetPriebuspensent l’avoiremporté.Maisceweek-end-là, à Bedminster, devant le profond désarroi de sa fille et de songendre,lacolèreduPrésidentbouillonne.OutreJaredetIvanka,StephenMillerestprésent. Il faitmauvais tempset lePrésident,nepouvantpas joueraugolf,revient, avec Jared, sur sa fureur contre Comey. Dans la version de ceuxquin’appartiennentpasaucercleintimedeJarvanka,c’estJaredquipoussesonbeau-père à agir. Avec l’accord du Président, toujours selon cette version,KushnerdonneàMillerdesnotesexpliquantpourquoiledirecteurduFBIdoitêtrerenvoyéetilluidemandederédigerunelettrepouvantservirdebaseàunlimogeage immédiat. Miller – peu doué pour cet exercice – se fait aider parHicks, elle aussi dénuée de ce type de compétence. (Miller fut ensuitereprimandéparBannonpours’êtrelaisséembrigader,voirecompromettre,danscettedébâcle.)

Lebrouillondelalettre,rédigéparMilleretHickspaniquéssousladirectiondeKushnerousur instructionsvenuesdirectementduPrésident,estunétrangeméli-mélodepointsdediscussion–lagestiondel’enquêtesurHillaryClinton

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parComey;l’affirmation(deKushner)queleFBIs’estretournécontreComey;et, obsession majeure de Trump, le refus de Comey de reconnaître que lePrésidentne faitpas l’objetd’uneenquête. Ilsconcentrent lesargumentsde lafamilleTrumppoursedébarrasserdeComey.Tout,enrésumé,sauflefaitqueleFBIenquêtesurlePrésident.

LecampKushnerripostefarouchementàlamoindreallusionsurlefaitquelafamilleestaucœurdel’histoire,mettantlalettre–ainsiqueladéterminationàlimogerComey–entièrementsurledosduPrésidentetfaisantdesongendreuntémoinpassif. (LapositiondesKushners’articuleainsi :«Est-il [Kushner]enfaveurdeladécision?Oui.A-t-ilétéinformédecequiseproduit?Oui.L’a-t-ilencouragé?Non.S’est-ilbattupourcela[lerenvoideComey]depuisdesmois?Non.S’yest-ilopposé?Non.A-t-ilditquecelasepasseraitmal?Non.»)

Horrifié, McGahn empêche l’envoi de la lettre. Néanmoins, elle esttransmiseàSessions etRosenstein, qui semettent à rédigeruneversionde cequeKushneretlePrésidentveulentvraiment.

«À son retour, je savais qu’il pouvait exploser à toutmoment », déclareBannonquandlePrésidentrevientdesonweek-endàBedminster.

Le lundi 8 mai au matin, lors d’une réunion dans le Bureau ovale, lePrésident annonceàPriebus etBannonqu’il a pris sa décision : il va limogerComey. Les deux hommes le supplient de ne pas le faire, demandant, auminimum, plus de discussions.Différer l’échéance est un procédé connu pourgérerlePrésidentquis’accordebienavecsacapacitédeconcentration:quelquesoit leproblème, il passevite à autre chose.À la finde la réunion,PriebusetBannonpensentavoirtrouvéletempsdesouffler.

Plustarddanslajournée,SallyYatesetl’anciendirecteurdurenseignementnational, JamesClapper, comparaissent devant le sous-comité duCrime et duTerrorisme,quifaitpartieduComitéjudiciaireduSénat–etsontsaluésparunesériedetweetsfurieuxduPrésident.

C’est, constate à nouveauBannon, le problème fondamental de Trump. Ilpersonnalisedésespérémenttout.Ilvoitlemondeentermesdecommerceoudespectacle:ilyatoujoursquelqu’unpourvousbattreousefaireremarqueràvos

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dépens.D’oùunebatailleentrevouset lapersonnequiveutcequevousavez.PourBannon, réduire lapolitiqueàdesduels etdesprisesdebecminimise laplacedansl’histoireatteinteparTrumpetsonadministration,etdonneuneidéefausse des vrais pouvoirs auxquels ils s’opposent. Les institutions – pas leshommes.

PourTrump,ilsepositionnesimplementcontreSallyYates,qui,fulmine-t-il,est«unevraiesalope».

Depuis son limogeage le 30 janvier, Yates est d’une discrétion suspecte.Quand les journalistes l’approchent, elle ou ses intermédiaires leur expliquentqu’elleestréduiteausilenceparsesavocats.LePrésidentlapensesimplementenembuscade.Lorsqu’ilappellesesamis,ils’inquiètedeson«plan»etdesa« stratégie », et continue à demander à ses sources du soir ce qu’elle et BenRhodes,sonconspirateurd’Obamafavori,ont«dansleurmanche».

De bien des manières, le problème, pour lui, se résume à la stratégie decommunicationdesesennemis–commedesesamis.Lesmédiassontlechampdebataille.Trumppensequechacun,voulantsonquartd’heuredecélébrité,aunplandecommunicationentête.Sivousn’avezpasdirectementaccèsàlapresse,vousdevenezunmouchard.SelonTrump,iln’yapasd’informationsquisoientle fruit du hasard. Elles sont toutes manipulées, planifiées, glissées ici ou là.Jusqu’àuncertainpoint,ellessontfausses–il lecomprendd’autantplusqu’ila très souvent menti au cours de sa carrière. C’est pour cela qu’il a sinaturellement adopté l’étiquette « fakenews » : « J’invente des choses depuistoujoursetilslesimpriment»,sevantait-il.

LeretourdeSallyYates,poursonentretiendevantleComitéjudiciaireduSénat,marque ledébut, selonTrump,d’unecampagnemédiatique soutenue etbien organisée en faveur de la juriste. (Sa vision est confirmée enmai par unportrait hagiographique de Yates dans leNew Yorker. « À votre avis, depuiscombiendetempsplanifiait-elleça?»demande-t-ilpourlaforme.«Yatesn’estcélèbre que grâce à moi, se plaint le Président. À part ça, qui est-elle ?Personne.»

Devant le Congrès ce lundi matin, Yates interprète son plus beau rôle – froide, modérée, minutieuse, altruiste –, aggravant la fureur et l’agitation de

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Trump.

Le mardi 9 mai au matin, alors que le Président est toujours obsédé parComey, encouragé par Kushner et sa fille, Priebus joue encore la carte del’attente : « Il y a une bonne et une mauvaise façon de procéder, dit-il auPrésident.Nousnevoulonspasqu’ilapprennecelapar la télévision.Jevais ledireunedernièrefois:cen’estpaslabonnemanièredeprocéder.Sivousvoulezlefaire,ilfautleconvoqueretdiscuteraveclui.C’estlaseulefaçoncorrecteetprofessionnelle de se comporter. » Une fois de plus, le Président semble secalmeretseconcentrersurcequ’ildoitfaire.

Mais c’est un leurre. Afin d’éviter le recours à une discussion – oud’ailleurs, de toute notion réelle de cause et d’effet – le Président se contented’écartertoutlemonde.Pendantlerestedelajournée,personneoupresquenesait qu’il a décidé de prendre les choses en main. Dans les annalesprésidentielles,lelimogeagedudirecteurduFBI,JamesComey,estpeut-êtreladécision laplus arrogante jamaispriseparunchefd’État agissant entièrementseul.

IlsetrouvequeledépartementdelaJustice–leProcureurgénéralSessionset son adjoint Rod Rosenstein – monte, indépendamment du Président, undossiersurComey,adoptantlalignedeBedminster,etaccusantledirecteurduFBId’avoircommisdeserreursdansl’affairedese-mailsdeHillaryClinton–accusationproblématique,puisque si c’étaitvraiment le cas,pourquoiComeyn’avait-ilpasétérenvoyédèslaprisedefonctionsdel’administrationTrump?Mais, indifférent aux arguments de Sessions et Rosenstein, le Président estdécidéàagirseul.

JaredetIvankalepoussent,ignorantquelecouperettomberabientôt.HopeHicks, ombre indéfectible deTrump, qui sait en général tout ce qu’il pense –notammentparcequ’ilneparvientpasà se taire–n’estpasaucourant.Bienqu’il craigne un fiasco présidentiel, Steve Bannon ne sait rien encore. Sonsecrétaire général non plus. Tout comme son porte-parole. Sur le point dedéclencheruneguerreavecleFBI,ledépartementdelaJusticeetdenombreuxparlementaires,lePrésidentvaagirensolitaire.

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Aucoursdel’après-midi,Trumpparledesonplanàsafilleetsongendre.Immédiatementdanslaconspiration,ilsfonttairetouteopinioncontradictoire.

Étrangement, c’est une journée sans vague dans la West Wing. MarkHalperin,journalistepolitiqueetchroniqueurdelacampagne,attendHopeHicksà la réceptionqui vient le chercherunpeu avant 17heures.HowardKurtz deFox est aussi présent, patientant avant son entrevue avec Sean Spicer. Etl’assistant de Reince Priebus vient d’annoncer à son rendez-vous que leretardneseraquedequelquesminutes.

Juste avant 17 heures, le Président, qui vient d’informer McGahn de sesintentions,appuiesurladétente.L’agentdesécuritépersonneldeTrump,KeithSchiller, dépose la lettre de limogeage dans le bureau de Comey au FBI. Ladeuxième phrase de la lettre indique : «Vous êtes par la présente renvoyé etdestitué,aveceffetimmédiat.»

Peu après, à la suite d’un reportage erroné de Fox News, presque toutel’équipedelaWestWingcroit,l’espaced’uninstant,queComeyadémissionné.Maispardiversesinformationsémanantdesbureaux,lavéritééclate.

«Donc lasuite,c’estunprocureurspécial !»ditPriebus incréduleetà lacantonnade,enapprenantcequisepasse,peuaprès17heures.

Spicer,plustardaccusédenepasavoircommuniquédefaçonpositivesurlerenvoideComey,n’aquequelquesminutespourdigérerl’information.

Non seulement la décision a été prise par le Président sans aucuneconsultation, à l’exception du cercle familial,mais la réaction, l’explication etmêmelesjustificationslégalessontexclusivementoupresquegéréesparluietsafamille. Les raisons du limogeage données par Rosenstein et Sessions sontajoutéesàladernièreminuteet,surinstructionsdeKushner,lerenvoideComeydevient uniquement la décision du Président qui aurait agi selon leursrecommendations.Spicerest forcédeconfirmer, toutcommelevice-président.Maisl’arguments’effondretrèsvite,puisquelaplupartdescollaborateursdelaWestWing, ne voulant rien avoir à faire avec cette décision, contribuent à lefaireéchouer.

Au sein de laMaisonBlanche, le Président et sa famille se tiennent d’uncôté de la ligne de division, tandis que les collaborateurs – bouche bée et

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incrédules–setiennentdel’autre.Mais le Président semble aussi vouloir qu’on sache que, énervé et

dangereux, il a personnellementmis Comey à la porte.OubliezRosenstein etSessions,c’estpersonnel.Ceprésidentestpuissantetvengeur, irritéetoffensépar tous ceuxqui s’opposent à lui, etdéterminéàprotéger sa famillequi, elleaussi,veutleprotéger.

«Lafilleferatomberlepère»,ditBannon,d’humeurshakespearienne.Beaucoup, au sein de laWestWing, se rejouent des scénarios alternatifs.

PourlimogerComey,ilexistaitsurementdessolutionspolitiques–cequiavaitété suggéréparTrump. (Dontunequi semblaensuite ironique, consistant à sedébarrasser du général Kelly à la Sécurité intérieure et de le remplacer parComey.)Maisenvérité,TrumpavouluaffronterethumilierledirecteurduFBI.LacruautéestunattributdeTrump.

Le limogeage a lieu en public et devant sa famille – prenant Comeycomplètement au dépourvu alors qu’il prononce un discours enCalifornie. LePrésidentorganiseuneattaqueadhominemcontreledirecteur,suggérantqueleFBIestdesoncôtéetmépriseComey.

Lelendemain,soulignantetsavourantl’affrontetsonimpunité,lePrésidentrencontredeshuilesrussesdansleBureauovale,dontl’ambassadeurdeRussie,SergueïKisliak, au cœur de la fameuse enquête. Il déclare auxRusses : « Jeviens de renvoyer le directeur du FBI. Il est fou, un vrai cinglé. J’ai subid’énormespressionsàcausedelaRussie.C’estfini.»Puis,pourcouronner letout,ilrévèledesinformationsfourniesauxÉtats-Unisparunagentd’IsraëlenSyrie,àproposdeDaechutilisantdesordinateursportablespourdissimulerdesbombes dans les avions – et dévoilant suffisamment de choses pourcompromettre l’agent. (Cet incident nuira à la réputation de Trump dans lescerclesdurenseignementoùlessourcessontprotégéesplusquen’importequelsecret.)

«C’esttoutTrump,ditBannon.Ilpensequ’ilpeutcongédierleFBI.»

TrumpcroitquelelimogeagedeComeyvafairedeluiunhéros.Aucoursdes quarante-huit heures suivantes, il livre sa version des faits à divers amis.

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C’est simple : il a tenu tête au FBI. Il a prouvé qu’il était prêt à affronter lepouvoirétatique.L’outsidercontrelesinitiés.Aprèstout,ilaétéélupourça.

Il a raison jusqu’à un certain point. Les présidents ne limogent jamais ledirecteurduFBIparcequ’ilsenredoutentlesconséquences.C’estlesyndromeHoover : n’importequel président peut êtreotagede ceque sait leFBI, et unchef d’État qui le traite sans déférence le fait à ses risques et périls.Mais ceprésident-làatenutêteauxagentsfédéraux.Unhommeseulopposéàcepouvoirsansbornescontre lequel lagauches’est longtemps insurgée–etquiestaussidevenu un problème plus récemment pour la droite. « Tout lemonde devraitm’applaudir»,ditlePrésidentàsesamis,d’untondeplusenplusplaintif.

C’est l’une des particularités de Trump : son incapacité à voir ses actescommelesautreslesvoient.Ouàseconduirecommelesautresattendentqu’ilseconduise.L’idéequelaprésidenceestunconcept institutionneletpolitique,avec ce que cela comporte de rituel, de bienséance, de communicationsémiotique–desqualitésd’hommed’État–ledépassevraiment.

Au sein du gouvernement, le limogeage deComeyprovoque une sorte derévulsion bureaucratique. Bannon avait tenté d’expliquer à Trump la naturefondamentaledesfonctionnairesdecarrière,cesgensquipassent leurviedanslesorganisationslespluspuissantesetpourquilanotionde«causesupérieure»signifie quelque chose – ils sont bien différents de ceux qui cherchent unedistinction individuelle.Qui que soitComey au fond, il était d’abord et avanttoutunbureaucrate.LevirersanscérémonieestuneinsultedeplusdeTrumpàlabureaucratie.

RodRosenstein,l’auteurdelalettrequiasoi-disantservidejustificationaurenvoideComey,setrouveàprésentdanslalignedemire.À52ans,avecseslunettessansmonture,Rosenstein semble sedéfinir comme laquintessencedubureaucrate–ilestleprocureuraméricainàlapluslonguecarrièredupays.Ilvitau cœur du système, suit les règles et veut être considéré comme un hommesuivantcesrèglesàlalettre.Iljouefrancjeuettientàcequecelasesache.

ToutcelasetrouvesapéparTrump–voirepiétiné.LePrésidentagressifaharcelélesdeuxplushautsfonctionnaireschargésdefairerespecterlaloipourqu’ils accusent – de façon hâtive – le directeur du FBI. Rosenstein se sent

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manipulé et maltraité. Puis il comprend qu’il a aussi été piégé. Pris pour unpigeon.

Le Président a insisté pour que Rosenstein et Sessions construisent unargumentaire légal,mais il est incapablede faire semblantde le suivre.Ayantembarquélesdeuxhommesdanssesmanigances,Trumpdétourneàprésentleurplaidoyer raisonnableen imposture–voireenplanpourentraver la justice.LePrésident signifie qu’il n’a pas limogé le directeur du FBI parce qu’il a nui àHillary,maisàcausedel’enquêtetropagressivequeleFBImènecontreluietsonadministration.

RodRosenstein, très à cheval sur les règles – la quintessence de l’acteurapolitique–devientaussitôt,auxyeuxdeWashington,inutilepourTrump.Maissarevancheesthabile,rapide,écrasanteet(biensûr)danslerespectdesrègles.

ComptetenudeladécisionduProcureurgénéraldeserécuserdel’enquêterusse,sonadjointdoitstatuersurl’existenced’unconflit–c’est-à-diresi,pourdesquestionsd’intérêtpersonnel,lui-mêmenepeutpasagirdefaçonobjective.S’il estime qu’un tel conflit existe, il doit nommer un procureur spécial pourmeneruneenquêteet,potentiellement,engagerdespoursuites.

Le 17 mai, douze jours après le limogeage de Comey, sans consulter laMaisonBlancheou leProcureurgénéral,Rosensteinnomme l’anciendirecteurduFBI,RobertMueller,pour superviser l’enquête surTrump, sa campagne etlesliensdesonéquipeaveclaRussie.SiMichaelFlynnestrécemmentdevenul’hommelepluspuissantdeWashingtonenraisondecequ’ilpeutrévélersurleprésident,Mueller reprend ce rôle. Il a le pouvoir de faire parler Trump, sescopainsetseslarbins.

Rosenstein, avec un certain plaisir, comprend qu’il a porté ce qui pourraitêtreuncoupmortelàlaprésidencedeTrump.

En hochant la tête,Bannon laisse tomber ce commentaire flegmatique surTrump:«Ilnevoitpastoujourscequiarrive.»

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17

Àl’étrangeretàlamaison

Le 12 mai, Roger Ailes doit quitter Palm Beach pour New York etrencontrerPeterThiel,premieretseulsoutiendeTrumpdanslaSiliconValley,deplusenplusétonnéparlecaractèreimprévisibledecedernier.AilesetThiel,inquiets queTrump sabote le trumpisme, veulent discuter du lancement d’unenouvelle chaîne d’informations. Thiel la financerait et Ailes, on l’a vu,entraîneraitàleurscôtésO’Reilly,Hannity,etpeut-êtreBannon.

Deuxjoursavantlaréunion,Ailessecognelatêteentombantdanssasallede bains. Avant de sombrer dans le coma, il demande à sa femme de ne pasreporter le rendez-vous avec Thiel. Une semaine plus tard, Ailes, homme auparcourssingulier,de lamajoritésilencieusedeNixonà labasepassionnéedeTrump,meurt.

SesobsèquesàPalmBeach, le20mai, sont révélatricesde l’ambivalence,voiredelahonteéprouvéeparladroite.OnydéfendTrumpavecpassion,maisentresoi,onsemontreébranlésouembarrassés.Cejour-là,RushLimbaughetLauraIngraham s’efforcent d’analyser le trumpisme, tout en se distanciant deTrump.

Le Président est devenu le gagne-pain de la droite. C’est l’anti-gauchisteparfait : un partisan de l’autorité incarnant la résistance à l’autorité. Il estl’opposé exubérant de tout ce que la droite trouve condescendant, crédule et

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moralisateur à gauche. Et pourtant, Trump est Trump – irréfléchi, capricieux,déloyal,incontrôlable.Ceuxquileconnaissaientlemieuxlesavent.

La veuve, Beth, n’a volontairement invité aux obsèques que ceux quis’étaient montrés loyaux envers Ailes. Étaient exclus ceux qui n’avaient pasdéfendusonmaridepuissonrenvoi,outrouvéquel’avenirseraitmeilleurauprèsde la famille Murdoch. Trump, toujours enchanté de s’être rapproché deMurdoch,seretrouvedanslesecondcamp.Desheures,puisdesjours–comptésavecsoinparBeth–passentsanss’iln’appellepourprésentersescondoléances.

Lematindesobsèques, l’avionprivédeSeanHannitydécolleduRepublicAirportdeFarmingdale,àLongIsland.Ilembarqueunpetitgrouped’employésdeFox,encoreenposteounon,touspartisansd’AilesetdeTrump.Maischacunest angoissé, voire incrédule, devant Trump : le renvoi de Convey estincompréhensible,certes,maissonincapacitéàfaireneserait-cequ’unsigneàAiles,sonamidisparu,l’estencoreplus.

«C’estunimbécile,pasdedoutepossible»,dit l’anciennecorrespondantedeFox,LizTrotta.

La présentatrice de Fox, Kimberly Guilfoyle, passe une partie du vol àdiscuterde lavolontédeTrumpde lavoir remplacerSeanSpicer à laMaisonBlanche.«Çaposebeaucoupdeproblèmes,dontmasurviepersonnelle.»

Quant à Hannity, sa vision de la droite centrée sur Fox se retrouvemaintenantcentréesurTrump.Ilpensequed’iciunan,ilseraécartédelachaîneouqu’illatrouveratropinhospitalièrepourrester.Pourtant,ilestblesséparlesprévenancesdeTrumpà l’attentiondeMurdoch, qui a évincéAiles etdont leconservatismeserévèle,aumieux,utilitaire.«IlestpourHillary!»ditHannity.

Ruminant à voix haute, Hannity annonce qu’il va quitter la chaîne ettravailler pour Trump, puisque rien n’est plus important que la réussite duPrésident–«malgrélui»,ajoute-t-ilenriant.

Toute fois, il est furieux que Trump n’ait pas appelé Beth. «Mueller »,conclut-ilentirantsurunecigaretteélectronique,l’adistrait.

Trump est peut-être une créature de Frankenstein, mais c’est celle de ladroite, la première, la vraie, l’originale. Hannity peut voir au-delà du fiascoComey.EtdeJared.EtdelapagailleàlaMaisonBlanche.

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Pourtant,iln’apasappeléBeth.«Qu’est-cequinetournepasrondchezlui?»s’interrogeHannity.

Trump pense qu’il est près de pouvoir retourner la situation. Ou, plus

exactement, qu’il luimanque la bonne couverturemédiatique d’un événementquichangeraittout.Qu’ilaitlargementgaspillésescentpremiersjours–dontlesvictoiresauraientdûfairelacrédibilitédescentjourssuivants–estinsignifiant.Vouspouvezêtreauplusbasdanslesmédiasunjour,marquerunbutetdevenircélèbrelelendemain.

«Desgroscoups,ilnousfautdesgroscoups,dit-ilsouventd’untonrageur.Cen’estpasdulourd.Jeveuxdulourd.Amenez-moiungroscoup.Voussavezcequegrosveutdire?»

Le grand changement promis par Trump – révoquer et remplacer,l’infrastructure, lavraieréformedesimpôts–,avantdecomptersurPaulRyanpour l’assurer,est,dans les faits,enruine.L’état-majoraffirmeàprésentqu’iln’auraitpasfallucommencerparlaréformedusystèmedesanté.Quiaeucetteidée,aufait?

Ilauraitfalludébuterpardepluspetiteschoses,desversionsprogressivesduprogramme.Mais les petites choses n’intéressent pas Trump, elles le rendentmoroseetattisentsacolère.

OK,çaseradonclapaixauMoyen-Orient.Pour Trump et de nombreux entrepreneurs médiatisés, l’ennemi de tout,

c’est la complexité et la bureaucratie ; la solution, c’est de prendre desraccourcis.Contournerou ignorer lesdifficultés ; faire avancer en lignedroitesonidéequi,sielleestgrandiose,sevendratouteseule.Danscetteformule,ilyatoujoursdesintermédiairespourfaciliterleschosesetdespartenairesravisdesurfersurvotregrandeur.

C’estalorsqu’arriveMohammedbenSalmaneAlSaoud,aliasMBS,31ans,princehéritierd’Arabiesaoudite.

Leroi,pèredeMBS,n’étaitplusàlahauteur.Auseindelafamilleroyalesaoudienne, l’opinion penchait de plus en plus en faveur d’une (relative)modernisation.MBS–adepteinvétérédesjeuxvidéo–estunnouveaugenrede

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personnalitédanslamonarchiesaoudienne.Volubile,ouvertetchaleureux,c’estuncharmeur,unacteurdelascèneinternationaleetunvendeurruséplutôtqu’unsouverain distant et taciturne. S’étant emparé du portefeuille de l’économie, ilpoursuit son but – assez trumpien – de battre Dubaï à son propre jeu et dediversifierlesrevenusdupays.Sonroyaumedeviendraitmoderne,enfin,unpeuplus (oui, les femmes pourraient bientôt conduire – dieu merci, les voituresautonomes arrivent !). Les dirigeants saoudiens sont marqués par l’âge, letraditionalisme, l’anonymat relatif et le consensus prudent. La famille royale,d’unautrecôté,d’oùsontissuscesdirigeants,setrouvesouventassociéeàdesexcèsentousgenresetprofitedesjoiesdelamodernitéàl’étranger.MBStentedejeterunpontentrecesdeuxidentités.

Mais l’élection de Donald Trump a quasiment paralysé un leadershipmondial progressiste – par l’existencemême deDonaldTrump.Cependant, leMoyen-Orientvitdansununiversinversé.Labrutalité,l’hyper-rationalisationetlemicromanagement d’Obama, précédés dumilitarismemoral deBush et desconflitsquisuivirent,précédésencoreparlesaffairesetlestrahisonsdeClinton,ont ouvert la voie à la realpolitik à la Trump. Il n’a aucune patience face àl’apathiedel’après-guerrefroide,cetteimpressiond’échiquierbloqué,aumieuxde lenteprogression–avecpour seulealternative leconflit.Savisionestbienplussimple:quialepouvoir?Donnez-moisonnuméro.

Et,defaçontouteaussibasique:l’ennemidemonennemiestmonami.SiTrumpauneidéefixesurleMoyen-Orient,c’est–grâceauxcoursdeMichaelFlynn–quel’Iranestl’ennemidesÉtats-Unis.Parconséquent,toutopposantàl’Iranserévèleplutôtsympathique.

Aprèslesélections,MBStend lamainàKushner.Dans laconfusionde latransition, on a oublié de nommer une personne spécialisée en politiqueétrangère ou qui bénéficie d’un réseau international – même le nouveausecrétaired’Étatdésigné,RexTillerson,n’apasd’expérienceenlamatière.Pourseshomologuesétrangersdéroutés,ilestlogiquedeconsidérerquelegendreduprésident élu est l’élément de stabilité. Quoi qu’il arrive, il sera là. Et pourcertainsrégimes,enparticulierl’Arabiesaouditecentréesurlafamille,Kushner

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estbienplusrassurantqu’unhommepolitique.Iln’occupepasceposteenraisondesesidées.

IlestfaciledefaireentrerunchevaldeTroiedansl’unedesentaillescrééespar Trump dans la gestion d’une grande puissance moderne – à travers sescarencesenmatièredepolitiqueétrangère.Lemondeal’occasionderevoirsesliensavec lesÉtats-Unis– s’il estprêt àparler lenouveau langagedeTrump,quel qu’il soit. Il n’y a pas de feuille de route, mais de l’opportunisme, unenouvelleouverturedanslesnégociations.Voirel’occasiond’utiliserlespouvoirsdu charme et de la séduction auxquels Trump répond avec autantd’enthousiasmequ’auxcontratsavantageux.

C’estdelarealpolitikàlaKissinger.ConnaissantTrumpdelonguedateparlebiaisdelasociétémondainenew-yorkaise,KissingerprendKushnersoussonaile et réussit son retour en aidant à organiser des rencontres avecChinois etRusses.

La plupart des partenaires habituels de l’Amérique, etmême beaucoup deleurs adversaires, sont perturbés, voire horrifiés. Certains, pourtant, prennentcelapourunechance.LesRussesenvisagentunlaisser-passerenUkraineetenGéorgie,ainsiqu’unelevéedessanctions,enéchanged’unrelatifretraitenIranet en Syrie. Au début de la période de transition, un haut fonctionnaire dugouvernement turc fait appel, dansune totale confusion, à un éminent hommed’affairesaméricainpoursavoirsi laTurquieauraitplusd’influenceenfaisantpression sur la présencemilitaire des États-Unis sur son sol ou en offrant auPrésidentunsitestratégiquepourlaconstructiond’unhôtelsurleBosphore.

Uncurieuxparallèlepeutêtrefaitentre lafamilleTrumpetMBS.Commetous les responsables saoudiens, MBS n’est pratiquement pas instruit, ce qui,dans le passé, a limité les Saoudiens dans leurs choix politiques – personnen’étaitcapabled’explorerentouteconfiancedenouvellesvoies.Toutlemondehésite donc à leur faire imaginer un changement. Mais MBS et Trump sontquasiment sur un pied d’égalité. D’une certaine façon leur inculture lesrapproche.QuandMBSproposeàKushnerd’êtresonhommedansleroyaumed’Arabiesaoudite,c’est«commerencontrerquelqu’undesympadèslepremierjourenpension»,ditunamideKushner.

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Mettantdecôtécertaineshypothèsespassées– les ignorant,en réalité– lanouvelleapprochedeTrumpausujetduMoyen-Orientsuitceslignes:ilyaengrosquatreacteurs(toutdumoins,onpeutoublierlesautres)–Israël,l’Égypte,l’Arabiesaouditeetl’Iran.Lestroispremierspeuvents’unircontrelequatrième.Et si l’Égypte et l’Arabie saoudite obtiennent ce qu’elles veulent en ce quiconcerne l’Iran, voire davantage si cela n’interfère pas avec les intéretsaméricains,ellesferontpressionsurlesPalestinienspourconclureunaccord.Etvoilà.

C’était un méli-mélo d’idées à donner la nausée. L’isolationnisme deBannon (« La peste sur vos maisons » – et ne nous mêlez pas de cela) ; lesentiment anti-Iran de Flynn (dans lemonde, il n’y a rien de plus perfide ounocif que lesmollahs) ; et le kissingerisme de Kushner (ou plus exactement,l’effortappliquéàsuivrelesconseilsdunonagénaire,àdéfautd’avoirunpointdevuepersonnel).

Maisfondamentalement,lestroisdernièresadministrationssesonttrompéessur leMoyen-Orient.L’équipedeTrumpéprouveunmépris incommeusurablepour cette façon de penser traditionnellemontrant qu’on n’a rien compris. Lenouveau mot d’ordre est : faire l’opposé de ce qu’ils (Obama, ainsi que lesnéoconservateursdeBush)faisaient.Leurconduite,leursuffisance,leursidées– etmême leursmilieux, leur éducation et leur classe – sont suspects. Et sansmêmesavoirtoutcela,ilsuffitjusted’agirdifféremmentdeparlepassé.

L’anciennepolitiqueétrangèreétaitbaséesur l’idéedenuance : faceàdescalculsmultilatérauxinfinimentcomplexesdemenaces,d’intérêts,d’incitations,d’accords, voire de relations changeantes, il fallait tout faire pour arriver à unaveniréquilibré.Enpratique, lanouvellepolitiqueétrangère,véritabledoctrinede Trump, consiste à réduire l’éventail à trois éléments : les puissances aveclesquelles travailler, celles avec lesquelles ne pas travailler, celles sans grandpouvoirqu’ilestpossibledenégligeroudesacrifier.

C’étaitl’espritdelaguerrefroide.Eteneffet,danslavisiondeTrump,lesÉtats-Unis,questiond’époqueetdecirconstances,avaientalorsunavantagesurlemonde.C’étaituntempsoùl’Amériqueétaitgrande.

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Kushner pilote la doctrine Trump. La Chine, le Mexique, le Canada etl’Arabiesaouditeluiserventdetest.Iloffreàchacunl’occasiondefaireplaisiràsonbeau-père.

Dèslespremiersjoursdel’administration,leMexiqueratesachance.Dansles transcriptions des conversations entre Trump et le président mexicainEnrique Peña Nieto rendues publiques, il est évident que le Mexique necomprend pas ou refuse de jouer à ce nouveau jeu. Peña Nieto ne veut pasprétendrequ’ilpaiera lemur,unefeintequiauraitpuêtreàsonavantagesansqu’ildoiveréellementenfinancerlaconstruction.

Peu après, le nouveau Premierministre canadien, Justin Trudeau, 43 ans,partisan du libre-échange dans le style de Clinton et de Blair, se rend àWashington. Il sourit constamment et tient sa langue. Lamanœuvre paie : leCanadadevientrapidementlenouveaumeilleuramideTrump.

LesChinois,souventcalomniésparTrumpdurantlacampagne,serendentàMar-a-LagopourunsommetorganiséparKushneretKissinger. (OnsuggéraàTrump,quiappelait leprésidentchinois«MisterX-i»,deselereprésenterenfemmeetdel’appelershe.)Ilssontd’humeurplaisante.IlssouhaitentclairementfaireplaisiràTrumpetréalisentvitequesionleflatte,ilvousflatteenretour.

MaiscesontlesSaoudiens,égalementtrèsattaquésdurantlacampagne,qui,grâceàleurcompréhensionintuitivedelafamille,delacérémonie,desrituelsetdesconvenances,marquentdespoints.

L’establishment de la politique étrangère a une relation longue etparfaitementbienrodéeaveclerivaldeMBS,leprincehéritierMohammedbenNayef(MBN).DesmembresclésdelaNSAetdudépartementd’Étatcraignentque les discussions de Kushner et l’évolution rapide des relations avecMBSenvoientunmessagedangereuxàMBN.Etc’estbiensûrcequi sepasse.Lesspécialistesde lapolitique étrangère croient queKushner se fait rouler par unopportunistedontlesvuessontencorefloues.Kushnerestime,naïvement,qu’onnelemanipulepas,ouqu’ils’enmoque,avecl’aplombd’unhommede36ansquiassumesesnouvellesprérogativesderesponsable:acceptonstoutepersonnequinousaccepte.

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LeplanKushner/MBSest simple, à l’inverse de la politique étrangère : sivous nous donnez ce que nous voulons, nous vous donnerons ce que vousvoulez.QuandMBSassurequ’ilapporteradetrèsbonnesnouvelles,ilestinvitéà laMaisonBlancheenmars.Ceshommescorpulents,Trumpl’aînéet lebienplus jeune MBS – deux charmeurs et flatteurs chacun dans leur style –s’entendentàmerveille.

C’est un exercice de diplomatie agressive. MBS utilise son entente avecTrumppouraffermir sonpouvoirdans son royaume.Et laMaisonBlanchedeTrumplelaissefaire,toutenaffirmantlecontraire.Enéchange,MBSoffreunesérie d’accords et d’annonces qui coïncident avec une visite présidentielle enArabiesaoudite–lepremiervoyageàl’étrangerdeTrump,unevictoirepourcedernier.

Prévu avant le limogeage de Comey et la nomination de Mueller, cedéplacementinquièteledépartementd’État.Ladurée–du19au27mai–seraitexcessivepour toutprésident, elle l’est enparticulierpourun telnovice, aussiinexpérimenté. (Trump, atteint demultiples phobies sur le voyage et les lieuxinconnus, se plaint du poids que représente ce déplacement.) Mais venantimmédiatementaprèslesépisodesComeyetMueller,c’estundonduciel.C’estlemoment idéalpour faire lesgros titres loindeWashington.Unvoyagepeuttouttransformer.

LeséquipesdelaWestWingauquasi-complet,cellesdudépartementd’ÉtatetdelaSécuriténationalesontduvoyage:MelaniaTrump,IvankaTrump,JaredKushner, Reince Priebus, Stephen Bannon, Gary Cohn, Dina Powell, HopeHicks,SeanSpicer,StephenMiller,JoeHagin,RexTillersonetMichaelAnton.SarahHuckabeeSanders,adjointeduporte-parole ;DanScavino,directeurdesréseauxsociaux;KeithSchiller,enchargedelasécuritéduprésidentetWilburRoss, secrétaireduCommerceétaient aussi là. (Ne ratant jamais l’occasiondemonter àbordd’AirForceOne,Ross fait l’objet demoqueries.Comme le ditBannon : « Wilbur, c’est Zelig, dès qu’on se retourne, il est là. ») Cedéplacementetl’importantedélégationaméricaineconstituentunantidoteetundérivatifaprèslanominationdeMueller.

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Le Président et son gendre ont du mal à contenir leur assurance et leurenthousiasme. Ils sont certains d’être sur la voie de la paix auMoyen-Orient,ressemblantsurcesujetàbonnombred’administrationsavanteux.

Trumpnetaritpasd’élogessurKushner.«JaredamislesArabesdenotrecôté.C’estdanslapoche,affirme-t-ilautéléphoneàl’undesesinterlocuteursunsoiravantsondépart.Çavaêtremagnifique.»

«Ilpense,ditsoninterlocuteur,quecevoyagepeuttoutrégler,commeuntwistdansunmauvaisfilm.»

Le long des routes désertes deRiyad, le cortège présidentiel passe devantdesphotosdeTrumpetduroid’Arabiesaoudite(lepèredeMBSquia81ans)aveclalégendeENSEMBLENOUSVAINCRONSsurlespanneauxd’affichage.

L’enthousiasmeduPrésidentvientenpartiedel’exagération–oupeut-êtrel’a-t-elle causé – de ce qui a réellement été convenu durant les négociationsprécédantlevoyage.Avantsondépart,ilditautourdeluiquelesSaoudiensvontfinancer une nouvelle présence militaire dans le royaume, supplantant, voireremplaçant,labaseaméricaineauQatar.Etcesera«laplusgrandeavancéedetouslestempsdanslesnégociationsentreIsraëletlaPalestine».Cesera«unnouveausouffle,énorme,dujamais-vu».

Envérité,saversiondecequidevraitêtreaccompliesttrèsloindecequiaétéconvenu,maiscelanesemblepasaltérersonzèlenisajoie.

Les Saoudiens achètent immédiatement 110 milliards de dollars d’armesaméricaines,etuntotalde350milliardssurdixans.«Descentainesdemilliardsde dollars d’investissements aux États-Unis et des emplois, des emplois, desemplois », déclare le Président. De plus, Américains et Saoudiens vont« neutraliser les messages extrémistes violents, couper le financement duterrorisme et faire progresser la coopération enmatière de défense ». Ils vontaussiinstalleràRiyaduncentrepourcombattrel’extrémisme.Etsicen’estpasexactement la paix au Moyen-Orient, le Président, selon le secrétaire d’État,«voitlàunmomenthistorique.LePrésidentvaparleravecNetanyahoudecesavancées.IlvadiscuteraveclePrésidentAbbasdecequ’il faut,selonlui,auxPalestiniens,pourréussir».

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C’est un grand moment trumpien. Pendant ce temps, le Président, lapremière dame, Jared et Ivanka sont transportés en voiturettes de golf, et lesSaoudiensorganisentunefêteà75millionsdedollarsen l’honneurdeTrump,qui s’asseoit sur une sorte de trône. (Alors qu’il reçoit cet honneur du roisaoudien,ilsemble,surunephotographie,s’êtreincliné,déclenchantlecourrouxauseindeladroite.)

CinquantenationsarabesetmusulmanessontsomméesparlesSaoudiensdevenircourtiserlePrésident.Ilappellesesamispourleurdireàquelpointtoutestsimple et naturel ici, et qu’Obama, de façon inexplicable et douteuse, a toutgâché. « Il y a eu un peu de tension, mais il n’y en aura pas avec cetteadministration-ci»,assure leprésidentàHamedbenIssaal-Khalifa,souverainduBahreïn.

AbdelFattah al-Sissi, l’homme fort d’Égypte, caresse le Président dans lesens du poil : « Vous êtes une personnalité unique capable de fairel’impossible.»ceàquoiTrumplui répond :«J’adorevoschaussures.Waow,ceschaussures…»

C’est un changement spectaculaire d’attitude et de stratégie de politiqueétrangère et ses effets sont quasi immédiats. Ignorant voire allant à l’encontredes conseils dans ce domaine, le Président donne le feu vert au plan desSaoudiens pour brimer le Qatar. Trump pense que ce dernier soutientfinancièrementdesgroupesterroristes–enmettantdecôtéunehistoiresimilaireenArabiesaoudite.(Lenouvelargumentétantqueseulscertainsmembresdelafamille royale saoudienne avaient apporté une telle aide.) Quelques semainesaprèscevoyage,MBS,faisantprisonnierMBNenpleinenuit, leforceàcéderson titredeprincehéritier, qu’il endosseaussitôt.Trump raconte ensuite à sesamisqueJaredet luiavaientmanigancéuncoupd’Étatdanscepays :«Onamisnotrehommeausommet!»

DeRiyad,legroupeprésidentielserendàJérusalemoùTrumps’entretientavecNetanyahou, puis avecAbbas à Bethléem, s’exprimant avec encore plusd’assurance,àlatroisièmepersonnedusingulier:«Trumpvafairelapaix.»ÀRome,ilrencontrelepape.ÀBruxelles,etc’esttoutlui,iltraceuneséparation

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entrelapolitiqueétrangèreoccidentalebaséesurdesalliances,enplacedepuislaSecondeGuerremondiale,etlanouvelleéthiqueAmericaFirst1.

PourTrump,toutcelaauraitdûdonnerformeàsaprésidence.Etilapeineàcroirequesesréussitesspectaculairesn’attirentpasplusl’attentiondesmédias.Bannon,Priebusetd’autressoulignentqu’ilestdansledénifaceauxgrostitrescontinussurComeyouMueller.

L’unedesfaiblessesdeTrump–uneconstantedanslacampagne,puisdanssaprésidence–estsonincompréhensionduliendecauseàeffet.Jusque-là,lesproblèmesqu’ilavaitpuprovoqueravaientsystématiquementétésupplantéspardenouveauxévénements,l’assurantqu’unesalehistoirepouvaitêtreremplacéeparuneautre,plusdramatiqueetplusfracassante.Ilpouvaittoujourschangerdesujet.LevoyageenArabieSaouditeetsacampagneaudacieusepourrenverserlesrelationsinternationalesduvieilordremondialauraientdûyparvenir.MaislePrésident, incrédule,sesent toujourspiégéparComeyetMueller.Cesdeuxaffairessemblenttoutbloquer.

Après le volet saoudien du voyage, Bannon et Priebus, épuisés par leurgrande proximité avec le Président et sa famille, rentrent à Washington. Àprésent,ilsdoiventgérercequ’estdevenue,enl’absencedescollaborateursdelaMaisonBlanche,lacrisesuprêmedelaprésidence.

Que pense réellement l’entourage de Trump à son sujet ? Il s’agit d’unequestion senséeque seposent ses collaborateurs. Ils sedébattent constammentpourcomprendrelefonddeleurproprepenséeetceque,seloneux,pensentlesautres.

Avant tout, ils ne partagent pas leurs impressions, mais dans le cas deComeyetMueller, au-delàdes esquiveshabituelles et des fausses explicationsrationnelles, tous, en dehors de la famille du Président, rejettent la faute surTrump.

Lemomentestvenuderéaliserqueleroiestnu.Ilestdésormaispossiblededouteràvoixhautedesonjugement,desonflair,etsurtout,desconseilsqu’ilreçoit.

«Iln’estpasquefou,déclareTomBarrackàunami,ileststupide.»

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MaisBannon,avecPriebus,s’estfortementopposéaulimogeagedeComey,alorsqu’IvankaetJaredontsoutenuetencouragécette idée.Ceséisme inspireunnouveaurefrainàBannon,qu’ilrépèteàl’envi:toutconseilvenantducoupleestmauvais.

Désormais, personne ne croit que renvoyer Comey était une bonne idée ;même lePrésident a l’airpenaud.Bannonestimeque sonnouveau rôle est desauverTrump–etTrumpenatoujoursbesoin.Peut-êtreest-ilungrandacteur,maisilnesaitpasgérersacarrière.

Ce défi donne à Bannon un net avantage : quand l’étoile de Trumps’assombrit,lasiennebrille.

LorsduvoyageauMoyen-Orient,Bannonsemetautravail.IlsefocalisesurlapersonnedeLannyDavis,l’undesavocatsdel’impeachment2deClintonqui,pendant deux ans environ, est devenu l’infatiguable porte-parole et défenseurpublicdelaMaisonBlanche.BannonestimequeComeyetMuellerétaientaussimenaçantspourl’administrationTrumpqueMonicaLewinskyetKenStarrpourClinton,etilvoitdanslaréactiondecedernier,unmodèlepouréchapperàundestinfatal.

« LesClinton ont eu recours à des tactiques brutales avec une incroyablediscipline,explique-t-il. Ilssesontdéfendus,puisn’enontplusjamaisreparlé.Ilsont toutbroyé.Starr avait toutpour les condamner,mais ils sontpassésautravers.»

Bannonsaitexactementcequ’ilfautfaire:bouclerlaWestWingetmonterune équipe de défense et de communication indépendante pour le Président.Danscettestructure,Trump–commeClinton–occuperaituneréalitéparallèle,tenu à distance de ce qui deviendrait un combat partisan et sanguinaire. Lapolitiqueseraitréléguéedansuncoindéplaisant,etTrumpagiraitenprésidentetcommandantenchef.

« Nous allons donc faire comme eux, insiste Bannon avec une jubilationguerrière et une énergie frénétique. Cellule de crise indépendante, avocats etporte-parole différents. Il faut garder ce combat ici pour pouvoir enmener unautre là-bas. Tout lemonde le comprend. Sauf peut-être Trump. Ce n’est pasclair.Unpeupeut-être.Cen’estpascequ’ilavaitimaginé.»

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Bannon,trèsexcité,etPriebus,ravid’avoiruneexcusepourneplusêtreauxcôtésduprésident,filentverslaWestWingpourcommenceràlasécuriser.

PriebusremarquequeBannonveutcréerunearrière-gardededéfenseurs–DavidBossie, Corey Lewandowski et JasonMiller, pouvant tous être porte-paroleàl’extérieur–quiserontsurtoutloyauxenverslui.Ilneluiéchappepasnon plus que Bannon demande au Président de tenir un rôle contraire à sapersonnalité:celuidechefdel’exécutiffroid,stableetstoïque.

Et pour ne rien arranger, ils ne peuvent pas s’adjoindre les services d’uncabinetd’avocatsdepremierordre.QuandBannonetPriebus sont de retour àWashington, trois cabinets prestigieux déclinent leur proposition. Ils redoutentdefairefaceàunerébelliondeleursplusjeunescollaborateursenreprésentantTrump,d’êtrepubliquementhumiliésparlePrésidentsileschosestournentmal,etquecederniernerèglepasleurshonoraires.

Aufinal,neufcabinetsdepremierordrerefusent.

1. L’Amériqued’abord.UndesslogansdecampagneducandidatTrump.

2. Procédure de mise en accusation qui permet de destituer un haut fonctionnaire, y compris lePrésident.

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18

Bannon,leretour

Bannon est de retour, selon les dires de sa propre faction. Comme ill’affirme lui-même : « Je suis bon. Je suisbon. Je suis de retour. J’ai dit, nefaitespasça.OnnelimogepasledirecteurduFBI.Lesgéniesducoinpensentlecontraire.»

Bannon est-il de retour ? s’inquiète l’autre camp – Jared et Ivanka,DinaPowell,GaryCohn,HopeHicks,H.R.McMaster.

S’il l’est,celasignifiequ’ila réussiàbraver lesprincipesstructurelsde laMaisonBlanchedeTrump : la famille triomphe toujours.Mêmedanssonexilintérieur, Steve Bannon n’a pas cessé ses attaques verbales contre Jared etIvanka. Ses apartés deviennent de vraies déclarations publiques. Il s’agit decritiquesamères–souventhilarantes–delaperspicacité,del’intelligenceetdesmobilesducouple:«Ilspensentledéfendre,maisilsnedéfendentqu’eux.»Àprésent,Bannondéclarequ’ilssontfinisentantqueclésdevoûtedupouvoir–anéantis.Etsicen’estpaslecas,ilsdétruirontlePrésidentavecleursconseilsintéressés. IvankaestpirequeJared.«Elleétaitunnon-événementpendant lacampagne.Une fois devenue collaboratrice à laMaisonBlanche, les gens ontréalisé qu’elle était bête comme ses pieds. Elle a un peu de bon sens enmarketing et de l’allure, mais quand il faut comprendre comment tourne lemonde,cequ’est lapolitiqueetcequ’ellesignifie, iln’yapluspersonne.Dès

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lors que vous trahissez cela, vous perdez toute crédibilité. Quant à Jared, ilpapillonneets’occupedesaffairesarabes.»

Les pro-Jarvanka semblent de plus en plus redouter ce qui arrivera s’ilsirritent lecampdeBannon.Ilsont l’airdecraindreque lespro-Bannon,soientdesassassins.

DanslevolpourRiyad,DinaPowellconsulteBannonausujetd’unefuitelaconcernantsurunsited’informationsdedroite.Elle luiditsavoirqu’ellevientdeJuliaHahn,prochedeluietanciennejournalistedeBreitbart.

«Tudevrais luienparler, répondBannon,amusé.Maiselleest féroce.Etellevat’attaquer.Tiens-moiaucourantdelasuite.»

Powell est devenue une des cibles régulières de Bannon. Elle est souventprésentéecommeconseillèreadjointeàlaSécuriténationale,parfoismêmeparleNewYorkTimes.Enfait,elleestconseillèreadjointeà laSécuriténationalechargéede lastratégie – ladifférence, souligneBannon, entre lepatrond’unechaîned’hôtelsetleconcierge.

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Auretourdesonvoyageàl’étranger,Powellsemetàparlersérieusementàses amis de sondésir dequitter laMaisonBlanche et de reprendreun emploidanslesecteurprivé.SherylSandberg,dit-elle,estsonmodèle.

«Oh,merde»,ditBannon.Le26mai, la veille du retour du groupe présidentiel, leWashington Post

rapporte que durant la transition, Kushner et Sergueï Kisliak, l’ambassadeurrusse, ont, à l’instigation du premier, débattu de la possibilité de laisser lesRusses mettre en place un canal de communications secret entre l’équipetemporaireetleKremlin.LePostcite«desfonctionnairesaméricainsinforméspardesrapportsderenseignement».LecampdeJarvankacroitqueBannonestlasource.

La conviction que Bannon et ses équipes sont responsables de plusieursrapportssurlesinteractionsdeJaredetdesRussesestàl’originedelaprofonde

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hostilitéentrelescampsdeJarvankaetdeBannon.Ilnes’agitplusd’unesimpleguerre de politique interne,mais d’un combat àmort. Pour queBannon vive,Kushnerdoitêtretotalementdiscrédité–misaupilori,avantd’êtrel’objetd’uneenquête,voireemprisonné.

Si tout lemonde l’aassuréqu’ilnegagneraitpascontre la familleTrump,Bannon ne cache pourtant pas sa conviction qu’il dominera bientôt la partie.Dans le Bureau ovale, Bannon attaque Ivanka ouvertement devant son père.«Toi, dit-il en la désignant du doigt, tu n’es qu’unementeuse. »Les plaintesd’Ivanka à son père, qui dans le passé a dénigré Bannon, sont à présentaccueillies avec indifférence par Trump : « Je t’avais dit que cette ville étaitdure,machérie.»

MaissiBannonestderetour,lesensdeceretourn’estpasclair.Trumpétantcequ’ilest,s’agit-ild’unretourengrâceouéprouve-t-ilunerancœurplusviveenvers Bannon qui a survécu à son intention de le tuer ? Personne ne croitvraimentqueTrumpoublie– il s’appesentit et rumine,plutôt. «Lepire, c’estquandilcroitqu’onaréussiàsesdépens,expliqueSamNunberg,quifitpartiedes proches de Trump avant d’être écarté. Si votre victoire peut être perçuecommesaperte,pfff!»

Poursapart,Bannonpensequ’ilestànouveaulàcar,àunmomentcrucial,ses conseils se sont avérés bien meilleurs que ceux des « génies ». LimogerComey, solution à tous les problèmes de Jarvanka, a déclenché une série deconséquencesdramatiques.

LecampdeJarvankacroitqueBannonexerceunchantagesurlePrésident.LàoùpasseBannon,sedéchaînelavirulencedesmédiasnumériquesdedroite.Malgré son obsession apparente pour les fake news publiées par leNew YorkTimes,leWashingtonPostetCNN,lePrésidentestenfaitplusmenacéàdroite.S’iln’accusepasFox,Breitbartetlesautresdementir,cesmédias–capablesdevomirunméli-mélodeconspirationsdanslequelTrump,affaibli,sevendàunestablishment puissant – sont potentiellement bien plus dangereux que leurséquivalentsdegauche.

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Bannon semble aussi corriger une erreur bureaucratique antérieure. Siinitialement,ils’estréjouid’êtrelecerveaudel’opération–certaind’êtrebienplus intelligentque les autres (d’ailleurs, ils furentpeu à tenterde lui ravir cetitre) – il met à présent bien en place son organisation et ses partisans. Sonéquipedecommunicationofficieuse–Bossie,Lewandowski,JasonMiller,SamNunberg (même s’il est depuis longtemps fâché avec Trump) et AlexandraPreate–formeunebellearméeprivéed’informateursetdedéfenseurs.Deplus,siBannonetPriebussesontbrouillés,ilssesontréconciliésautourdeleurhainecommune de Jared et d’Ivanka. La Maison Blanche professionnelle est uniecontrecettefamilled’amateurs.

Outrecenouvelavantagebureaucratique,Bannonexercetoutesoninfluencepour recruter l’équipe pare-feu d’avocats et de communicants qui, ensemble,deviendrontleLannyDavisdeladéfensedeTrump.Nepouvantembaucherdupersonnel prestigieux, Bannon se tourne vers l’un des avocats musclés duPrésident,MarcKasowitz.Ils’estrapprochédeKasowitzquandiladûgérerunesérie de problèmes épineux durant la campagne, notamment les allégations etmenaces de procès d’une liste croissante de femmes accusant Trump deharcèlement.

Le31mai,leplandeBannonentreenvigueur.Dorénavant,toutequestionen lienavec laRussie,avec lesenquêtesdeMueller etduCongrèsetd’autressoucis légauxpersonnels seront traitéspar l’équipedeKasowitz.LePrésident,alorsqueBannondécritsonprojetenprivéetconseillesonpatron,n’auraplusàaborderundecessujets.C’estletoutdernierdestrès,trèsnombreuxeffortspourmettredeforceTrumpenmodeprésidentiel.

BannondonneàMarkCorallo,anciencommunicantdeKarlRove,lepostedeporte-parole. Il compte aussi intégrerBossie etLewandowski à l’équipe degestiondecrise.Etàl’instigationdeBannontoujours,Kasowitztented’isolerunpeupluslePrésidentenluidonnantunconseilcrucial:renvoyezlesenfantsàlamaison.

Bannon est bel et bien de retour. C’est son équipe. Son mur autour duPrésident.Etilespèrequ’iltiendraJarvankaàl’écart.

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LeretourofficieldeBannonestsaluéparunévénementmajeur.Le1erjuin,aprèsunâpreetlongdébatinterne,lePrésidentannoncesadécisiondeseretirerdesaccordsdeParis sur leclimat.Bannonest raviducamouflet infligépar lagauche intègre – Elon Musk et Bob Iger démissionnent aussitôt du conseiléconomiquedeTrump–etde laconfirmationdesvraispenchantspro-Bannonduchefd’État.

En outre, c’est la décision contre laquelle Ivanka avait le plus lutté à laMaisonBlanche.

«Gagné,ditBannon.Cettegarceestfinie.»

Il y a peu de paramètres politiques modernes qui soient plus perturbantsqu’unprocureursérieux.C’estlejokerultime.

Par la présence du procureur, le problème au cœur de l’enquête – ouinvariablement, une cascade de problèmes – est constamment sous l’œil desmédias. Ouvrant leur propre voie, les procureurs sont assurément desinformateurs.

C’est pourquoi, tout lemonde, dans un cercle de plus en plus large, doitprendreun avocat.Une implication,même lointaine, peut coûter une fortune ;uneparticipationimportantes’élèveàplusieursmillions.

Au début de l’été, àWashington, tout lemonde veut son avocat pénal depremierordre.Alorsquel’enquêtedeMuellersepoursuit, lesconseillersdelaMaisonBlancheseruentsurlesmeilleurscabinets.

« Jenepeuxpasparlerde laRussie, jenepeux riendire», déclareKatieWalsh,troismoisaprèssondépartdelaMaisonBlanche,surlesconseilsdesonnouvelavocat.

Toute interview ou déposition délivrée aux enquêteurs risquent de vouscompromettre.ChaquejouràlaMaisonBlancheapportedenouveauxdangers:n’importequellerencontreinopinéepeutvousexposer.

Bannon souligne l’importance capitale de ce point – et l’importancestratégiquepourlui.SivousnevoulezpasvousretrouversurlasellettedevantleCongrès,voirvotrecarrièreetvosavoirsmisenpéril,faitesattentionàquivousparlez. Et surtout : en aucune circonstance, ne parlez à Jared et Ivanka,

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désormais contaminés par la Russie. Bannon se targue d’avoir cet atout et cemérite:«JenesuisjamaisalléenRussie.Jeneconnaispersonnelà-bas.Jen’aijamaisparléàunRusse.Etc’estaussibienquej’évitedeparleràquelqu’unquil’afait.»

Ilobservel’infortunéPencedansdenombreuses«mauvaisesréunions»,faitrecruterlestratègerépublicainNickAyerscommechefdecabinetdePenceafinde sortir « notre homme de repli » de laMaisonBlanche et qu’il « courre lemondeenayantl’aird’unvice-président».

Auxcraintesetauxperturbationsprésentes,s’ajoutelaquasi-certitudequ’unprocureurspécialchargéde trouveruncrimevaen trouverun–etsansdoute,beaucoup. Tout le monde devient un agent potentiel dans l’implication desautres.Lesdominosvonttomber,lescibless’inverser.

PaulManafort, qui gagnait bien sa vie dans les zones grises de la financeinternationale,sescalculsderisquessebasantsurdesprobabilitésàlongtermeun peu douteuses, fait à présent l’objet d’un examenminutieux. Son ennemi,OlegDeripaska – réclamant 17millions de dollars àManafort et espérant untraitement favorable des autorités fédérales qui l’empêchent de se rendre auxÉtats-Unis – aurait offert aux plaignants américains les fruits de son enquêtepousséedanslesaffairesdeManafortenRussieetenUkraine.

Aucourant des fluxde conscience et de l’histoire financière duPrésident,TomBarrackserendsoudaincomptedesapropreexposition.Eneffet,touslesamismilliardaires qui échangent des ragots et divaguent avecTrump sont destémoinspotentiels.

Dans le passé, les administrations contraintes de traiter avec un procureurspécial nommé pour enquêter sur le Président, étaient en général trèspréoccupées par la question. Leurmandat se découpait en un « avant » et un« après » – l’« après » étant désespérément enlisé dans unmauvais feuilletonimpliquantleFBI.Désormais,cettesituationpourraitbienconcerner la totalitédel’administrationTrump.

L’idée de collusion et de complot entre Trump et les Russes – espoir oucroyancedesmédiasetdesdémocrates–semble invraisemblableauseinde laMaison Blanche (la remarque de Bannon disant que la campagne de Trump

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n’étaitmêmepasassezorganiséepours’associeravec lesorganisationsdesonpropreÉtatdevientlesujetdediscussionpréférédetous.D’autantquec’estlavérité). Mais personne ne répond des accords parallèles, des opérationsindépendantes et de ces choses insignifiantes qui sont le pain quotidien d’unprocureur.Ettoutlemondepensequesil’enquêtes’orienteverslalonguesériede transactions financières de Trump, elle atteindra forcément sa famille et laMaisonBlanche.

Viennent ensuite les affirmations insistantesduPrésident sur sa capacité àagir.Jepeuxlerenvoyer,dit-il.C’est,eneffet,cequ’ilditenboucle:jepeuxlerenvoyer. Jepeux le renvoyer.Mueller. L’idée d’un duel remporté par le plusfort, le plus déterminé, le plus intransigeant et le plus indifférent auxconséquences,estaucœurdelamythologiepersonnelledeTrump.Ilvitdansunmonde d’affrontements où, si la respectabilité et le sentiment de dignitéindividuellenereprésententpasunenjeuprimordial–sivousn’êtespasfaibleau point de vouloir passer pour raisonnable et respectable – vous avez unavantageincroyable.Etsivouspensezquelecombatcompteaupointd’êtreuneaffairedevieoudemort,vousavezpeudechancesdecroiserquelqu’und’aussimotivéquevousàl’érigerenaffairepersonnelle.

VoilàlavisionfondamentaledeBannonàproposdeTrump:pourlui,toutestpersonneletiln’arrivepasàpenserlecontraire.

LePrésident,dissuadédeconcentrer sacolère surMueller (aumoinspourl’instant),sefocalisesurSessions.

Sessions–«Beauregard1»–estunalliédeBannon,etenmaiet juin, lespiquesquasiquotidiennesduPrésidentcontreleProcureurgénéral(plutôtquesaloyauté et sa détermination, Trump critique sa taille, sa voix et sa façon des’habiller)sontuneboufféed’airfraispourlesanti-Bannon.Bannon,sedisent-ils,nepeutpasvraimentêtreautopsil’undesesalliésestaccusédetoutcequivamaldanslaviedeTrump.Commetoujours,l’estimeouleméprisdeTrumpsontcontagieux.Sivousêtesdanssesbonnesgrâces,ilenvademêmepourvosactionsetvosassociés.Danslecascontraire,toutcequivoustouchedeprèsesttoxique.

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Lemécontentement deTrumpdevient plus violent. Sessions, petit hommeauxairsdeMr.Magoo2,àl’accentd’unautretemps,faitl’objetdesmoqueriesdu Président qui dresse un portrait acerbe de ses faiblesses physiques etmentales. L’onde de choc de l’insulte est palpable quand on passe devant leBureauovale.

LeseffortsdeBannonpourapaiserlePrésident–luirappelerlesdifficultésqu’ils rencontreraient à la nomination d’un nouveau Procureur général,l’importance de Sessions pour la base conservatrice, sa loyauté durant lacampagnedeTrump–ont l’effet inverse. Ils entraînentunenouvellevoléedecritiquesdeTrumpàl’égarddeBannon–àlasatisfactiondesesennemis.

L’attaquecontreSessionsouvrelavoie,dumoinsdansl’espritduPrésident,àunevolontédeleremplacer.MaispourdirigerledépartementdelaJusticeiln’yaquedeuxcandidatsdontTrumppenseobteniruneabsolueloyauté:ChrisChristie et Rudy Giuliani. Il est certain qu’ils pourraient se conduire enkamikazes pour lui – alors que tout lemonde sait qu’ils ne seront sans doutejamaisconfirmésàceposte.

À l’approche du témoignage de Comey devant la commission du Sénataméricain chargée de la surveillance du renseignement national – le 8 juin,douze jours après le retour de l’équipe présidentielle du voyage au Moyen-OrientetenEurope–l’état-majorcommenceouvertementàs’interrogersurlesmotivationsetl’étatd’espritdeTrump.

Une question évidente semble la susciter : pourquoi n’a-t-il pas limogéComey dès sa prise de fonctions, quand ce départ serait passé pour unchangement naturel, sans lien avec l’enquête russe ? À ce sujet, plusieursréponsesprêtentàconfusion:désorganisationgénérale,rapiditédesévénements,innocenceetnaïvetéàproposdel’enquête.Maisilyadésormaisunenouvelleexplication : Donald Trump croyait avoir plus de pouvoir, d’autorité et decontrôle qu’en réalité, et il pensait que son talent pourmanipuler, infléchir etdominer les gens était également bien plus grand. Pour poursuivre ceraisonnement:l’état-majorpensaitqu’ilavaitunproblèmeaveclaréalitéetqu’àprésent,elleledépassait.

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Cettenotion,sielleestréelle,s’opposedirectementauprincipedebasedesoutienàTrumpdelapartdesescollaborateurs.Enunsens,assezpeuremisenquestion, ils croyaient qu’il avait presque des pouvoirs magiques. Puisque saréussiteétait inexplicable, ildevaitavoirdes talentsqu’ilsn’imaginaientpas– son instinct, ses dons de vendeur ou son énergie. Ou le simple fait d’êtrel’opposédecequiétaitattendudelui.C’étaitunepolitiqueextraordinaire–unepolitiquedechoc–maisquipouvaitfonctionner.

Etsicen’étaitpaslecas?Ets’ilsavaienttousprofondémenttort?Le limogeagedeComey et l’enquête deMueller déclenchent une prise de

conscience à retardement qui met fin à des mois de crédulité volontaire. Cesdoutesetcesconsidérations–auplushautniveaudugouvernement–nevontpasjusqu’àremettreencauselacapacitéduPrésidentàassumersonrôle.Mais,pour lapremière fois,estévoquéesa tendanceà l’auto-sabotage.Cette idée, sieffrayantesoit-elle, laisseaumoinsunepossibilité:encontrôlantcesélémentsd’autodestruction– ses informations, ses contacts, ses remarques publiques, lesentiment qu’il a d’être en danger et menacé – il peut peut-être s’en tirer etréussir.

AssezrapidementcetteidéedevientlavisiondominantedelaprésidencedeTrumpetunepossibilitétoujoursséduisante:vouspouvezêtresauvéouabattuparceuxquivousentourent.

Bannon pense que la présidence Trump échouera de façon plus oumoinsapocalyptiquesiKushneretsa femmerestentsesconseillers lesplus influents.Leur inexpérience en politique et dans le monde réel a déjà entravé laprésidence,maisdepuisladébâcledeComey,c’estpire:auxyeuxdeBannon,c’estlapaniquequirégitdésormaisleursactes.

Le camp de Kushner croit que Bannon, ou le bannonisme, a poussé lePrésident à une dureté nuisant à sa capacité naturelle à charmer et à tendre lamain.Bannonetlessiensenontfaitlemonstrequ’ilsembleêtredevenu.

Enattendant,quasimenttoutlemonderejettelafautesurReincePriebus,quiaéchouéàcréeruneMaisonBlancheprotégeantlePrésidentdelui-même–oudeBannon,oudesesenfants.CroirequePriebusestàl’originedel’échecfaitdeluiunboucémissairefacileetpresquerisible:avecsipeudepouvoir,lechefde

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cabinet est incapable de diriger Trump ou son entourage. Priebus se contented’alléguer,pastrèsobligeamment,quenulneréaliseàquelpointtoutauraitétépire sans sa médiation stoïque avec les proches du Président, ses talents demanipulateur et ceux, terribles, de Trump.On compte peut-être deux ou troisfiascospar jour,mais sans la déterminationdePriebus et les coups deTrumpqu’ilaencaissés,ilpourraityenavoirunedouzainedeplus.

Le8juin,entre10heuresdumatinet13heures,JamesComeytémoigneenpublic devant la commission de la surveillance du Sénat. Les déclarations del’ancien directeur du FBI, vrai tour de force de franchise, de sens moral,d’honneurpersonneletdedétailsaccablants,sontunmessagesimpleaupays:lePrésident est sans doute un crétin et certainement un menteur. À l’ère de lalangue de bois dans les médias, peu de présidents ont été aussi directementattaquésdevantleCongrès.

Tout est là, dans le récit brutal de Comey : le Président estimait que ledirecteurduFBItravaillaitpourlui,qu’illuidevaitsonposteetparconséquent,ilattendaitquelquechoseenretour.«Monsentiment,déclareComey,etjepeuxmetromper,maismonsentimentestques’ilaccèdeàmarequêtedemelaisseràmonposte,ilsouhaiteraobtenirquelquechoseenéchange.»

SelonComey,lePrésidentveutqueleFBIlaisseMichaelFlynntranquilleetcessedepoursuivrel’enquêterusse.Leschosesnepeuventpasêtreplusclaires:si lePrésident faitpression sur ledirecteurdecraintequ’une investigation surMichaelFlynnluicausedutort,c’estuneentraveàlajustice.

Lecontraste entreComeyetTrump, c’est le fosséqui existe entreunbongouvernement et Trump lui-même. Comey donne l’impression d’être précis,rationnel, scrupuleux en exposant les détails des faits et la nature de saresponsabilité – il agit selon les règles. Trump, dans le portrait dressé parComey, est louche, impulsif, malhonnête, indifférent aux règles voireinconscientdecelles-ci,etnepensequ’àsesintérêts.

LePrésidentaffirmequ’iln’apasregardél’audition,alorsquetoutlemondesait qu’il l’a fait. Dans la mesure où il s’agit, dans l’esprit de Trump, d’uncombat entre deux hommes, c’est une confrontation aussi directe qu’on peut

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l’imaginer.LetémoignagedeComeyconsisteàremanieretàcontredirecequelePrésidentaécritdanssestweetsenragésetdéfensifsetdanssesdéclarations;à jeter le soupçon sur ses actes et ses motifs ; et à suggérer qu’il comptaitsubornerledirecteurduFBI.

Mêmeles loyalistespourquiComeyestun imposteuret l’affaire,uncoupmonté,pensentque,danscejeumortel,lePrésidentestincapabledesedéfendre.

Cinqjoursplustard,le13juin,c’estautourdeJeffSessionsdetémoignerdevant la même commission. Il doit tenter d’expliquer les contacts avecl’ambassadeur russe qui l’avaient contraint à se récuser – et à devenir lepunching-ball du Président. À l’inverse de Comey, invité au Sénat pour fairevaloirsavertu–etquiavaitsautésurl’occasion–,Sessionsestlàpourjustifiersesparoleséquivoques,sonerreur,ousabêtise.

Aucoursd’unéchangesouventtendu,leProcureurgénérallivreunevisionétrange du privilège de l’exécutif. Bien que le Président n’ait pas évoqué ceprivilège,Sessionsjugebondetenterdeleprotégermalgrétout.

Regardant le témoignage dans la West Wing, Bannon est vite consterné.«Allez,Beauregard!»,dit-il.

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Malrasé,Bannonsetientauboutd’unelonguetabledeconférenceenbois,dansleBureaudusecrétairegénéral,lesyeuxrivéssurl’écranplat.

« Ils croyaient que les “cosmopolites” seraient contents si nous limogionsComey,dit-il–ilsétantJaredetIvanka.Les“cosmopolites”nousacclameraientsi nous abattions l’hommequi avait fait tomberHillary. »Si lePrésident voitSessionscommelacausedufiascoComey,pourBannon,ilenestunevictime.

Kushner,encostumecintrégrisetfinecravatenoire,seglissedanslapièce.(Uneblaguerécenteledépeintcommel’hommeleplusélégantdeWashington,ce qui est tout sauf un compliment.) Il arrive que la lutte de pouvoir entreBannonetKushnersembleprendreuneformephysique.LaconduitedeBannon

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changerarement,maisKushnerpeutêtreirascible,condescendantetdédaigneux–ou,commecejour-là,hésitant,confusetrespectueux.

Bannon l’ignore jusqu’à ce que le jeune homme toussote. « Comment çava?»

Bannonmontrel’écrandetélévision,signifiantVoispartoi-même.Il finitparparler.«Ilsneréalisentpasqu’ilnes’agitpasd’hommes,mais

d’institutions.»«Ils»,apparemment,c’estlecampdeJarvanka–voire,ausenspluslarge,

tousceuxquisontstupidementavecTrump.« Cette ville repose sur les institutions, poursuit-il. Nous renvoyons le

directeur du FBI, c’est tout le FBI qui est renvoyé. Trump est opposé auxinstitutionsetelleslesavent.Commentpenses-tuqueçavasepasser?»

C’étaitlerefrainfavorideBannon:aucoursdelacampagne,DonaldTrumpavaitmenacévirtuellementtouteslesinstitutionsdelaviepolitiqueaméricaine.IlétaituneversionclownesquedeJamesStewartdansMonsieurSmithauSénat.Trump croyait, en alimentant la colère et le ressentiment de l’Amériqueprofonde, qu’unhommepouvait être plusgrandque le système.Cette analyseprésupposequelesinstitutionsdelaviepolitiquesontaussiréceptivesquecellesdu milieu des affaires dont vient Trump – et qu’elles aspirent à céder auxdemandes du marché et de l’air du temps. Mais si ces institutions – médias,magistrature,renseignement,exécutifetlemarigotavecsescabinetsd’avocats,sesconsultants,seshommesd’influenceetses informateurs–nevoulaientpass’adapter ? Si, par nature, elles étaient décidées à subir, alors ce Présidentaccidentelétaitcontre.

Kushnerneparaîtpasconvaincu.«Jenelediraispascommeça,répond-il.—Jepenseque c’est la leçondes centpremiers joursque certains ici ont

apprise,ditBannon,ignorantKushner.Çanevapass’arranger.C’estcommeça.—Jenesaispas,ditKushner.—Jelesais,répliqueBannon.—JepensequeSessionss’ensortbien,non?»conclutKushner.

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1. DeuxièmeprénomduProcureurgénéral,JeffSessions.

2. Personnaged’undessinanimédesannées1950,petit,âgéettrèsmyope.

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Mikaqui?

LesmédiasontrévélélavraienaturedeDonaldTrump,maispeul’ontfaitde façonaussidirecteetpersonnelleque JoeScarboroughetMikaBrzezinski.LeurémissiondumatinsurMSNBCestunfeuilletonpermanent,voireunshowàlaOprah1surleurrelationavecTrump:lamanièredontillesadéçus,dontilssont revenus de leur respect initial pour lui, sa capacité à se ridiculiserrégulièrementetde la façon laplusnavrante.Les liensqu’ila tissésaveceux,fondés sur leur notoriété respective, et un amour possessif de la politique(Scarborough, ancien parlementaire, semble estimer qu’il aurait aussi bien puêtreprésidentqueDonaldTrump),ontdopé l’émissiondurant lacampagne.Àprésent,l’égratignerenpublicfaitpartieduritueldel’informationquotidienne.ScarboroughetBrzezinskilesermonnent,exprimentlessoucisquesefontpourlui ses amis et sa famille, le réprimandant et s’inquiètent pour lui : il estmalconseillé (Bannon) et perd ses facultés mentales. Ils revendiquent le droit dereprésenter une alternative de centre droit raisonnable auPrésident, et sont unbonbaromètredeseffortsetdifficultésquotidiennesàvivreaveclui.

CroyantavoirétéutiliséparScarboroughetBrzezinski,Trumpaffirmequ’ilneregardeplusl’émission.Maischaquematin,HopeHicks,tremblante,doitluienfairelerécit.

MorningJoeestuneétudeaurasdespâquerettesdelafaçondontlesmédiasontsurinvestiTrump.Ilestladiguecontrelaquellesejettent,avecuneobsession

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quasiextatique,lesémotionsdesmédias,lerespectdesoi,l’ego,l’excitationaucombat, l’avancement professionnel et le désir d’être au centre de l’histoire.À l’inverse, les médias sont aussi une digue ayant, pour Trump, la mêmefonction.

Trump y ajoute l’un de ses tics, ce sentiment permanent que les gensprofitent de lui – tic qui vient peut-être du manque de générosité et de lamesquinerie de son père, de sa conscience d’être un gosse de riches (et, sansdoute,soninsécuritéàcesujet),oudesacompréhensiondenégociateurquerienn’estgagnant-gagnant,queprofitetpertevontdepair.Trumpnesupportepasdesavoirquequelqu’unbénéficied’unavantageàsesdépens.Sonécosystèmeestàsommenulle.Danssonmonde,toutcequ’iljugeprécieuxfigureàsoncréditouluiaétévolé.

Scarborough etBrzezinski ontmonétisé leur relation avecTrump sans luiverserdepourcentage–etdanscecas,ilestimequesacommissiondoitêtreuntraitementservileetflatteur.Direquecelalerendfouestau-dessousdelavérité.Ilruminesurcequ’ilprendpouruneinjustice.MentionnerJoeouMikadevantluiestproscrit.

Sesblessuresd’amour-propreetsonincompréhensiondevantcesgensquilerejettent alors qu’il cherche leur consentement sont « profonds, follementprofonds»,confiesonconseillerSamNunberg,lui-mêmevictimedesonbesoind’approbationtotaleetdesonsoupçonamerd’êtreabusé.

Toute cette rage accumulée lui dicte son tweet du 29 juin sur MikaBrzezinski.

Du pur Trump : aucun filtre entre discussions et déclarations publiques.L’appelantdansun tweet«cette folledeMikaau faibleQI», ilécritdansunautrequ’elle«saignaitbeaucoupaprèsunlifting»quandelleluiarenduvisiteavec Scarborough àMar- a-Lago au Nouvel An précédent. Beaucoup de sestweetsne sontpas aussi spontanésqu’ils enont l’air.Sesdésaccordsdébutentsouvent par des insultes qui se veulent comiques, puis tournent ensuite enaccusations cinglantes avant de devenir, dans unmoment où il ne se contrôleplus,uneproclamationofficielle.

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L’étapesuivante,dans leparadigmedeses tweets,est l’opprobregénérale.Son tweet surBrzezinski entraîne près d’une semaine de rage sur les réseauxsociaux,demeaculpatélévisuel,decondamnationenunedesjournaux.Àcelailfaut ajouter l’autre partie de la dynamique deTrump sur Twitter et les autresconséquences:enbraquantl’opiniondegauchecontrelui,ilunitladroiteensafaveur.

En fait, il n’est pas toujours conscient de la nature de ses paroles, nipourquoiellessuscitentdes réactionsaussipassionnées. Il sesurprendsouventlui-même. «Qu’est-ce que j’ai dit ? » demande-t-il après unviolent retour deflammes.

Ilnedistribuepascesinsultespourfairedel’effet–pastotalement,entoutcas. Et sa conduite n’est pas calculée : c’est un prêté pour un rendu, et il enaurait sans doute dit autant s’il n’y avait plus personne dans son camp. (Sonabsence de calcul, son incapacité à être tactique, font partie de son charmepolitique.)C’estunechancequeles35%d’électeursqui,d’aprèslaplupartdessondages,semblentlesoutenirquoiqu’ilfasse(ycompris,selonlui,s’iltiraitsurquelqu’unsurla5eAvenue),nebronchentpas,voires’amusentdechacundesescoupsd’éclat.

Ayanteulederniermot,Trumpestànouveaudebonnehumeur.«MikaetJoeadorentça.Ça leur faitde l’audimat»,dit lePrésident,non

sanssatisfactionetilyalàunfonddevérité.

Dixjoursplustard,unegrandetabléedepro-BannondîneauBombayClub,unrestaurantindienhautdegammeàdeuxruesdelaMaisonBlanche.L’undesconvives – Arthur Schwartz, un conseiller en relations publiques – pose unequestionsurl’affaireMikaetJoe.

Peut-êtreest-ceàcausedubruit,maispluscertainementest-cerévélateurdela vitesse des événements à l’èreTrump, la lieutenante deBannon,AlexandraPreate,répondavecuneréelleconfusion:«Qui?»

LefeuilletondestweetssurMika–lagrossièretéetlesinsultesduPrésident,sonmanquedesérieux,decontrôleetdejugement,etlacondamnationmondiale

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dont il fait l’objet–estdéjàausecondplan,éclipsépard’autresexplosionsetcontroversesdeTrump.

Mais avant de passer à l’épisodeOMG ! suivant, il faut comprendre quecetteaccumulationd’événements,àunrythmequotidienouplusrapideencore–chacunannulantleprécédent–représentelavéritableaberrationetlanouveautéaucœurdelaprésidencedeTrump.

Jamais auparavant dans l’histoire – de guerres mondiales, en chutesd’empires, de périodes de transformation sociale extraordinaires en scandalesgouvernementaux – des événements politiques ont eu un impact aussiémotionneletcomplexe.Commedanslebinge-watchingd’unesérietélévisée,lavraieviepasseaprès lespectaclepublic. Ilneseraitpasdéraisonnablededire,hé,attends,uninstant,laviepubliquenesedéroulepascommeça!Enfait,laviepubliquemanquedecohérenceetdesensdudrame.(L’histoire,aucontrairelesacquiertaveclerecul.)

Accomplirlestâcheslesplusanodinesauseind’unexécutiftentaculaireetrésistant est un lent processus. La Maison Blanche traîne le boulet de labureaucratie.Toutes lesadministrationsont tentédedépasserceproblèmeetysont rarement parvenues. À l’âge de l’hypermédia, les choses se sont encorecompliquéespourlaMaisonBlanche.

La nation est distraite, fragmentée et préoccupée. Ce fut, sans doute, latragédie de Barack Obama qui, bien que cherchant à changer les choses – etcommunicateurinspirant–neputjamaisvraimentsusciterbeaucoupd’intérêt.Ilseraitégalementdramatiquequelesmédiasaientcontribuéàréduiresonchamp,encroyantdefaçondépassée,voireaveugléeparlecivisme,quelapolitiqueestlaformed’informationlaplusnoble.Hélas,lapolitiqueelle-mêmeestdevenuedeplusenplusdiscrète.SonattraitestleBtoB–businesstobusiness.Levraimarigot est celui des intérêts particuliers, consanguins, incestueux. Il s’agitmoins de corruption que de sur-spécialisation : c’est une vie de bosseur. Lapolitique est partie d’un côté, la culture d’un autre. Les partisans del’affrontement droite-gauche peuvent prétendre le contraire, mais la politiquen’estpaslapremièredespréoccupationsd’unegrandemajorité.

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Et pourtant, s’opposant à toute logique culturelle et médiatique, DonaldTrumpproduitauquotidienunrécitimpossibleànepassuivre.Etcen’estpasparcequ’ilchangeoubouleverselesfondamentauxdelavieaméricaine.Ensixmois de présidence, ne maîtrisant presque aucun aspect du processusbureaucratique,iln’apratiquementrienfait,àpartplacersoncandidatàlaCoursuprême.Etpourtant.OMG!Iln’yapresqueplusd’autresujetdeconversationenAmériqueet ailleurs.C’est lanature radicalede laprésidenceTrump : ellecaptivelemonde.

ÀlaMaisonBlanche,lebrouhahaquotidienetlafascinationqu’elleexercesurlemondenesontpasunmotifdejoie.Del’avisacerbedupersonnel,cesontlesmédiasquifontdechaquejourunmomentsordideetdécisif.Etenunsens,c’estexact:chaqueévénementnepeutpasêtreparoxystique.Leclimaxd’hierserabientôt,insignifiantcomparéauprochain.Lesmédiasneparviennentplusàapprécierl’importancerelativedesévénements:lapluparttournentcourtetsontpourtant salués avec la même émotion et le même sentiment d’horreur. Lepersonnelde laMaisonBlanchepenseque lacouverturemédiatiquedeTrumpmanquede«contexte»–signifiantparlàqu’ilfautréaliserqueTrumprâleetgesticuleplusqu’autrechose.

Enmêmetemps, ilssontpeuà laMaisonBlancheànepasrejeter lafautesur lui aussi. Il semble ne pas comprendre que les mots et les actions d’unprésidentsontamplifiésaucentuple.Ets’iln’arrivepasà lecomprendre,c’estparcequ’ildésiredel’attention,mêmes’ilestsouventdéçu.Maisilytientaussipuisque la réaction le surprend encore et encore – et comme si chaque foisétaitlapremière,ilnepeutpaschangersaconduite.

SeanSpicer, professionnel par ailleurs raisonnable, calme et concentré sursontravail,gèrelegrosdesdramesquotidiens,semuantenunesortedejokeràlaMaisonBlanche.Danscetteexpériencededédoublement,témoindesaproprehumiliation et à court de mots, Spicer finit par s’apercevoir – même s’il acommencéàlecomprendredèslepremierjourenréglantleconflitdunombrede spectateurs à l’investiture–qu’il est « tombédans le terrierdu lapinblancd’Alice».Danscelieuétrange,l’artificepublic,lafeinte,lamesure,lebonsens

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et la consciencede soi ont été larguésou–parcequeTrumpne comptait pasvraimentêtreélu–n’ontjamaisfigurédanslerôleduPrésident.

D’un autre côté, l’hystérie constante a une vertu politique involontaire. Sichaque nouvel événement en annule un autre, comme une sorte d’escroqueriepyramidaleducyclede l’information,alors il est toujourspossiblede survivreunjourdeplus.

LesfilsdeDonaldTrump,DonJr.,39ansetEric,33ans,sontobligésdemaintenirunerelationinfantileavecleurpère:unrôlequilesgêne,maisdontilsprofitent au plan professionnel. Ils ont pour fonction d’être les héritiers et lestémoinsdeDonaldTrump.Leurpèreprendplaisiràdirequ’ilsn’étaientpaslàquandDieuadistribuél’intelligence–maisilatendanceàsemoquerdetoutepersonne plusmaline que lui. Leur sœur, Ivanka, qui n’a rien d’un génie, estqualifiéedebrillante,sonmari,Jared,étantlemanipulateurdelafamille.CequilaisseàDonetEriclescoursesetlagestion.Enfait,ilssontdevenusdescadresassezcompétentsde l’entreprise familiale (cequinesignifiepasgrand-chose),leurpèreayantpeuoupasdutoutlapatiencedegérersesaffaires.Biensûr,ilsconsacrent une bonne partie de leur temps à leurs lubies, leurs projets et leurpromotion.

La campagne de leur père a eu l’avantage de tenir Trump éloigné de sonbureau.DonetEricontpourtantétéchargésdegérerenpartiecettecampagneetquandelleprendunetournuresérieusepourlesaffaireset lafamilleTrump,ladynamiquedu clan est perturbée.Soudain, d’autrespersonnesdésirent être leslieutenantsdeDonaldTrump.IlyadesétrangerscommeCoreyLewandowski,ledirecteurde campagne, ainsi quedesgensde l’intérieur, à l’instardubeau-frère, Jared. Trump met tout le monde en concurrence, ce qui n’a rien desurprenantdansuneentreprisefamiliale.Elle luiappartient.Elleexistegrâceàsonnom,sapersonnalité,soncharismeetlemeilleurpostevaauplusméritant.Avant sa candidature à la présidence, ce poste n’était pas très convoité, maisdébut 2016, alors que le Parti républicain s’effondre et que Trump prend del’importance, ses fils affrontent une nouvelle situation familiale etprofessionnelle.

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Jareds’estpeuàpeuinvestidanslacampagne,enpartieàlademandedesafemmeconscientequelemanquederetenuedesonpèrepeutnuireàl’entreprises’ilsnegardentpasunœilsur lui.Puis,avecsesbeaux-frères, ilesthappéparl’excitation générale. À la fin du printemps 2016, quand la nomination estquasiment sûre, lacampagnedevientuncentredepouvoirs rivauxet laguerreestouverte.

LewandowskiconsidèrelesdeuxfrèresetJaredavecunméprisabsolu:DonJr.etEricsontnonseulementstupides,etJared(lemajordome)àlafoishautainetobséquieux,maispersonnenes’yconnaîtenpolitique–aucunn’alamoindreexpérienceenlamatière.

Aufildutemps,Lewandowskidevientprocheducandidat.Pourlafamille,et pour Kushner en particulier, Lewandowski est un facilitateur. Les piresinstinctsdeTrumppassentpar lui.Début juin,unpeuplusd’unmoisavant laconventionnationale républicaine,Jaredet Ivankadécidentd’agirpour lebiendelacampagneetdel’entrepriseTrump.FaisantcausecommuneavecDonJr.etEric,ilsveulentconvaincreTrumpd’évincerLewandowski.DonJr., sesentantexcluparLewandowskimaiségalementparJared,sautesurl’occasion.IlveutsedébarrasserdeLewandowski et le remplacer–onze joursplus tard, cedernierétaitparti.

Tout cela sert de toile de fond à l’une des réunions politiques les plusgrotesquesquiaientjamaiseulieu.Le9juin2016,àlaTrumpTower,DonJr.,Jared et Paul Manafort rencontrent plusieurs personnages douteux qui leurpromettentdesinformationspréjudiciablesàHillaryClinton.DonJr.,encouragéparJaredetIvanka,veutprouveràsonpèrequ’ilpeutprendredel’importancedanslacampagne.

Quand la rencontre devient publique, treize mois plus tard, sa révélationsuggèreàlafoisl’improbabilitédelacollusionaveclesRusses,etlapossibilitédecelle-ci.Cen’estpasuneaffairedetêtespensantesetdesubterfuges,maisdegens stupides et aveugles, si candides et insouciants qu’ils conspirentjoyeusementauvuetausudetous.

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Ce jourde juin, laTrumpTower accueilleunavocatdeMoscouayantunbon réseau, sansdouteunagent russe ; des associésde l’oligarquerusso-azériArasAgalarov;unpublicitaires’occupantdelacarrièremusicaledufilsdecedernier, une pop-star russe ; et un lobbyiste du gouvernement russe àWashington.IlsserendentauQGd’uncandidatpotentield’ungrandpartiàlaprésidencedesÉtats-Unispourrencontrertroisdesplushautscollaborateursdela campagne.Cette rencontre est précédée d’une série d’e-mails adressés à demultiples destinataires dans l’état-major de Trump : les Russes offrent unramassisd’informationsnégatives,voireincriminantes,surleurrivale.

Voiciquelquesthéoriesexpliquantcetteréunionstupide:• Les Russes, de façon organisée ou non, tentent d’attirer la campagneTrumpdansunerelationcompromettante.•Larencontrefaitpartied’unecoopérationdéjàactiveentrel’état-majordeTrumpetlesRussesafind’obteniretdepartagerdesinformationsnuisiblessur Hillary Clinton. Quelques jours plus tard, WikiLeaks annonce s’êtreprocurélese-mailsdelacandidate.Moinsd’unmoisaprès,ilcommenceàlespublier.•Lanaïvetédel’état-majordeTrump,quifaitsemblantdefairecampagnesanspenserremporterl’élection,neleprotèged’aucunerequête.Iln’arienàperdre.Don Jr. (Steve Bannon le surnomme Fredo, un de ses nombreuxemprunts au Parrain) veut simplement prouver qu’il est l’homme de lasituation.•Sontprésentsàlaréunionledirecteurdecampagne,PaulManafort,etsonacteurleplusinfluent,JaredKushner,car:a)uncomplotdehautniveauestcoordonné ; b)Manafort etKushner, ne prenant pas la campagne très ausérieux et sans penser aux conséquences, s’amusent à jouer d’éventuelsmauvais tours ; c) les trois hommes sont unis dans leur désir de sedébarrasser de Lewandowski – Don Jr. tenant le rôle du bourreau – et,danscecadre,ManafortetKushnerdoiventsemontreràlastupideréuniondeDonJr.Quellequesoit la raisonet lescénariodurendez-vous,personnenedoute,

un an plus tard, queDon Jr. a voulu que son père sache qu’il avait pris cette

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initiative.«LaprobabilitéqueDonJr.n’aitpasamenécesagents russesdeseconde

zonedanslebureaudesonpèreau26eétageestdezéro»,ditBannon,étonnéetmoqueur,quandlarencontreestrévélée.

Lestroispersonnesexpérimentéesdelacampagne,poursuit-il,incrédule,onttrouvéquec’étaitunebonneidéedes’entreteniravecungouvernementétrangerdanslasalledeconférencedelaTrumpTowerau25eétage–sansavocats.Ilsn’avaientpasd’avocats.Mêmeenpensantquecen’étaitpasdelatrahison,del’antipatriotismeouunegraveconnerie,et il se trouvequec’est toutcelapourmoi, il fallait appeler le FBI immédiatement. Même si vous êtes totalementamorauxetquevousvoulezdesinformations,vousallezdansunHolidayInnàManchester, dans le New Hampshire, avec vos avocats qui rencontrent cespersonnes, passent tout en revue, parlent en aparté avec un autre avocat, et sivousobtenezquelquechose,voustrouvezlemoyendelerefileràBreitbartouàunsitedugenre,voireuneautrepublicationplus légitime.Vousnedevezrienvoir,neriensavoirparcequevousn’enavezpasbesoin…Maisvoilàlegrouped’expertsdontilsdisposaient.»

Touslesparticipantsfinissentparplaiderquelarencontreétaitsansintérêt,etparadmettrequ’elleétaitmalvenue.Maismêmesic’estvrai,unanplustard,sarévélationatroiseffetsprofonds,voiredécisifspourlasuite:

•Premièrement, lesdémentisconstantsetrépétéssurlefaitqu’iln’yapaseu de discussion entre des employés de l’état-major et des Russes liés auKremlin, et, dans les faits, aucun contact significatif entre les premiers et legouvernementrusse,volentenéclats.

• Deuxièmement, la certitude dans l’équipe de la Maison Blanche queTrumpaété informédesdétailsde l’entretienet a rencontré lesprotagonistes,signifiequelePrésidentestprispourunmenteurparceuxdontlaconfianceluiestindispensable.Quechoisir?Seréfugierdanslebunker,s’embarquerdanslafolleaventure,ousauterenmarche?

•Troisièmement,ilestdésormaisclairquelesintérêtsdechacundivergent.Les destins deDon Jr., PaulManafort et JaredKushner sont en jeu. En effet,

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beaucoup dans laWestWing estiment que les détails de la rencontre ont étéébruitésparlecampdeKushner,sacrifiantainsiDonJr.

Avant que la réunion de juin 2016 ne soit ébruitée, l’équipe juridique deKushner – montée à la hâte depuis la nomination de Mueller, le procureurspécial – a dressé un tableau détaillé des contacts russes de la campagne, desfinancesdes entreprises deKushner et de l’origine de leurs fonds.En janvier,ignorant lesnombreuxappelsà laprudence,JaredKushner fait sonentréeà laMaison Blanche en tant que haut responsable dans l’administration. Sixmoisplustard,ilfaitfaceàungravepériljudiciaire.Ilatentédefaireprofilbas,sevoyant en conseiller de l’ombre,mais sonposte public lemet endanger ainsique les affaires familiales.Tant qu’il reste exposé, sa famille est coupéede laplupartdesessourcesfinancières.Sansaccèsàcemarché,leursavoirsrisquentdesemuerenendettementsdangereux.

La vie fantasmée que se sont créée Jared et Ivanka – deux jeunes gensambitieux,bienélevésetappréciés,évoluantdansleshautessphèressocialesetfinancièresdeNewYorkaprèsavoir,entoute l’humilitéseloneux,acceptéunpouvoir mondial – se trouve à présent, alors que ni l’un ni l’autre n’est enfonction depuis assez longtemps pour avoir pris une quelconque décision, aubordduprécipiceetdudéshonneur.

Laprisonestpossible,toutcommelafaillite.Trumppeutbien,suruntondedéfi,promettred’accorderdesgrâcesousevanterd’enavoirlepouvoir,celanerésoud pas les problèmes professionnels de Kushner, ni ne calme CharlieKushner,sonpèrecolériqueetsouventirrationnel.Deplus,réussiràpasserparlechasdel’aiguillejudiciairenécessiteuneapprochestratégiquenuancéedelapartduPrésident–démarcheplusqu’improbable.

En attendant, le couple accuse tout le monde à la Maison Blanche. Ilreproche à Priebus le désordre qui a produit cette atmosphère guerrièreentraînant des fuites graves et permanentes, à Bannon d’être un mouchard, àSpicerdemaldéfendreleurvertuetleursintérêts.

JaredetInvankadoiventprendreleurdéfenseenmain.Unestratégieconsisteàquitterlaville(Bannongardeunelistedesmomentsdetensiondurantlesquels

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ils ont justement pris des vacances) et il se trouve que Trump assistera ausommetduG20àHambourgles7et8juillet.JaredetIvankal’accompagnentenAllemagneet,durantlevoyage,apprennentquelarencontredeDonJr.aveclesRusses – qu’ils présentent toujours comme la rencontre de Don Jr. – a étédivulguée. Pis encore, l’histoire est sur le point d’éclater dans le New YorkTimes.

À l’origine, l’équipe de Trump s’attend à ce que des détails de cetterencontres’étalentsurlesiteInternetCirca.Lesavocatsetleporte-paroleMarkCorallo ont œuvré pour gérer cette nouvelle. Mais une fois à Hambourg, lescollaborateursduPrésidentapprennentqueleTimesprépareunarticlebienplusdétaillésurlaréunion–peut-êtrefournieparlecampdeKushner–àparaîtrelesamedi 8 juillet. L’équipe juridique de Trump est tenue à l’écart de cetteinformationsousprétextequ’ellenelaconcernepas.

ÀHambourg,sachantquelanouvelleéclaterabientôt,Ivankaprésentesonprojetphare:unfondsdelaBanquemondialepouraiderlesentrepreneusesdanslespaysenvoiededéveloppement.Unefoisdeplus,l’état-majordelaMaisonBlanche considère le couple comme à côté de la plaque. Nulle part, dans lacampagnedeTrump,surlestableauxdeBannonoudanslecœurduPrésident,iln’yaeud’intérêtpourlesentrepreneusesdespaysenvoiededéveloppement.Leprogrammede la filleest singulièrementenconflitavecceluidupère–oudumoins,celuiquil’afaitélire.Del’avisdenombreuxcollaborateursdelaMaisonBlanche, Ivanka comprend très mal la nature de son travail et convertit lesfonctionstraditionnellesd’unepremièredameentâchesluiincombant.

PeuavantdereprendreAirForceOnepourlevolduretour,Ivanka–aveccequi ressembleàprésentàunaveuglementéperdu–prend laplacedesonpèreentre le Président chinoisXi Jinping et la Premièreministre anglaise TheresaMay à la table de conférence principale duG20.Mais ce n’est qu’un détail :quand lePrésident et son équipemontent dans l’avion, le sujet principal n’estpaslesommet,maislaréponseàdonneràl’articleduTimessurlaréunionàlaTrumpTowerdeDonJr.etJared,quivasortirdansquelquesheures.

Pendant le vol vers Washington, Sean Spicer et ses collaborateurs sontrelégués au fond de l’avion et exclus des discussions affolées. Hope Hicks

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devient la stratège en communication avec, comme toujours, lePrésidentpouruniqueinterlocuteur.Lesjourssuivants,lehautprivilèged’être«danslasalledecrise»,estrenversé.Etnepasyêtre–danscecas,c’estlacabineavantd’AirForceOne–devientunstatutdechoixetunecarte«vousêteslibérédeprison».«J’étaisheurtéauparavantquandjelesvoyaisfairedeschosesquiétaientdansmes attributions, dit Spicer.À présent, je suis content de ne plus être dans laboucle.»

Le Président, Hicks, Jared et Ivanka et leur porte-parole Josh Raffelparticipent à la discussion dans l’avion. D’après les souvenirs de son équipe,Ivanka quitte très vite la réunion, prend un somnifère et s’endort. Selon sescollaborateurs,Jaredapuêtrelà,mais«n’aprisaucunenote».Àcôté,dansunepetite salle de conférence, Dina Powell, Gary Cohn, StephenMiller et H. R.McMaster regardent le film Fargo, et affirment que bien que physiquementproches du déroulement de la crise, ils en étaient coupés. En effet, toutepersonne « dans la salle de crise » va bientôt attirer l’attention du procureurspécial,laquestionétantdesavoirsiunoudesemployésfédérauxenontpousséd’autresàmentir.

Contrarié,inflexibleetmenaçant,lePrésidentdomineledébat,obligeantsafilleetsonmari,HicksetRaffelàs’alignersursaversion.Kasowitz–l’avocatdont la tâcheconsisteà tenirTrumpàdistancedesquestions russes–patienteune heure au téléphone sans réussir à lui parler. Le Président soutient que laréunionàlaTrumpTowerconcernaitsimplementunprogrammed’adoptiondelaRussie.C’estcequiaétéabordé,unpoint,c’esttout.Mêmes’ilestplausible,voirequasicertain,queleTimesdétientlese-mailsincriminants–enfait,ilestpossible que Jared, Ivanka et les avocats sachent que le journal les a – lePrésident ordonne que personne ne reprenne le sujet plus problématiqued’HillaryClinton.

C’est un exemple de déni et de dissimulation en temps réel. Agressif, lePrésidentcroitcequ’ilveutcroire.Laréalitéesttellequ’ilestconvaincuqu’elleest – ou doit être. D’où l’histoire officielle : il y a eu une brève visite decourtoisieàlaTrumpTowerausujetd’unprogrammed’adoption,sansrésultat,entre de hauts collaborateurs et des ressortissants russes indépendants. Cette

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histoire montée de toutes pièces est une opération aberrante menée par desdébutants–deuxélémentsexplosifsdansunedissimulation.

À Washington, Kasowitz et le porte-parole de l’équipe judiciaire, MarkCorallo,nesontpasinformésdel’articleduTimesouduplanderipostejusqu’àlasortiedeladéclarationdeDonJr.avantlapublicationdel’article,cesamedi-là.

Au cours des soixante-douze heures suivantes, l’état-major se trouvetotalementisolé–etencoreunefoisstupéfait–desactionsdupremiercercleduPrésident. Dans ce cas précis, la relation entre le Président et Hope Hicks,longtempstoléréecommecelle,désuète,entreunhommeplusâgéetunejeunefemme de confiance, apparaît anormale et alarmante. Entièrement vouée à lesatisfaire, elle, sa médiatrice des médias, le laisse agir sans contrôle. Lespulsions et les pensées du Président sortent sans filtre, sans relecture, sansopposition,mais viaHicks, au vu dumonde, et sans l’arbitrage de laMaisonBlanche.

« Le problème n’est pas Twitter, c’est Hope », remarque un membre del’équipedecommunication.

Le9juillet, lelendemaindelapublicationdesonpremierarticle, leTimesrévèle que la rencontre à la Trump Tower a été organisée spécialement pourdiscuterl’offredesRussesdelivrerdesdocumentspouvantnuireàClinton.Lejour suivant, alors que le journal s’apprête à publier la série d’e-mails, DonJr.s’endéchargeàlahâte.S’ensuitledévoilementquasiquotidiendenomsdenouveauxpersonnages–tous,àleurmanière,particuliersetdérangeants–ayantparticipéàlarencontre.

Mais l’existence de cette réunion à la Trump Tower prend une autredimension,peut-êtreplusgrande.C’est l’effondrementde lastratégie juridiqueduPrésident:lafindeSteveBannoncommepare-feucontreClinton.

Les avocats, dégoûtés et alarmés, voient chacun des acteurs devenir letémoin potentiel desméfaits d’un autre – conspirant entre eux pour que leurshistoires coïncident. Le client et sa famille paniquent et se chargent de leurpropre défense. Les gros titres balaient toute forme de stratégie à long terme.«Lapirechoseà faireestdementiràunprocureur»,ditundesmembresde

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l’équipejuridique.PourTrump,mentirauxmédiasn’estpasuncrime.Pourtantles avocats considèrent cette idée au mieux comme imprudente, et en soi,potentiellement passible de poursuites : une tentative explicite de mettre desbâtonsdanslesrouesdel’enquête.

MarkCoralloreçoitl’ordredenepasparleràlapresse,nidedécrochersontéléphone.Plustarddanslasemaine,nevoyantpasd’issuepositive–etconfiantenprivéquelaréunionàbordd’AirForceOnepeutreprésenter,selonlui,uneentraveàlajustice–ildémissionne.(LecampdeJarvankaannoncequ’ilaétérenvoyé.)

«Cesgarsn’ontpasl’intentiond’êtreremisencauseparlesenfants»,ditunBannonfrustréausujetdel’équipepare-feu.

Delamêmefaçon,lafamilleTrump,peuimportelesrisquesjuridiques,nevapas être contrôléepar ses avocats. Jaredet Ivankaaident à coordonnerunesérie de fuites sordides au sujet de Marc Kasowitz – alcoolisme, mauvaiseconduite, vie personnelle en déroute – qui avait conseillé au Président de lesrenvoyerchezeux.PeuaprèsleretouràWashingtondel’équipeprésidentielle,Kasowitzestécarté.

Lesaccusationscontinuentdevolerbas.Toutlemondechercheàéviterleseffluves d’une réalité nouvelle et dure, voire tragique, liée au fiasco Comey-Mueller.

LescampsauseindelaMaisonBlanche–Jared,Ivanka,HopeHicks,etlesambivalentsDinaPowelletGaryCohnd’uncôté,ettoutlemondeoupresquedel’autre,dontPriebus,Spicer,ConwayetsurtoutBannon–sedistinguentparleursentimentdeculpabilitéou leurdistancevis-à-visdudésastreComey-Mueller.CommelesoulignesanscesselecampopposéàJarvanka,c’estundésastredeleur propre fait. Par conséquent, les pro-Jarvanka font tout pour se tenir àdistancedescausesdeladébâcle–toute implicationpasséeestdécritecommestrictementpassiveourépondantàunordre–etsuggérerqueleursadversairessontaumoinstoutaussifautifs.

Peuaprèslapublicationdel’articlesurDonJr.,lePrésidentchangedesujet,nonsanssuccès,enaccusantSessionsdufiascoComey-Mueller,continuantàle

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rabaisser,lemenaçantetlaissantentendrequesesjourssontcomptés.BannondéfendtoujoursSessions.Alorsqu’ilpenses’être,defaçonactive–

par des attaques cinglantes contre la bêtise de Jarvanka –, protégé contrel’affaireComey, il reçoitsoudaindesappelsde journalistesayantété informésqu’ilavaitparticipéaulimogeagedudirecteurduFBI.

Lorsd’unéchangetéléphoniquerageuravecHicks,Bannonl’accused’êtreàl’originedesfuites.Ilconsidèremaintenantlajeunefemmede28anscommeunagentinfortunéduPrésidentetunlarbindeJarvanka–etlacroittrèsimpliquéedanstoutcedésastreenayantparticipéàlaréunionàbordd’AirForceOne.Lelendemain, après d’autres questions de journalistes, il confronteHicks dans lacabinetroom2,l’accusantdesechargerdesbassesbesognesdeJaredetIvanka.L’affrontementvirerapidementauconflitexistentielentrelesdeuxcampsdelaMaisonBlanche–tousdeuxprêtsàlaguerre.

«Tunesaispascequetufais,hurleBannon,horsdelui,àHicks,exigeantde savoirpourqui elle travaille, laMaisonBlancheou Jared et Ivanka.Tu neréalisespasàquelpoint tuesdans lepétrin, crie-t-il, lui disantqui si elle neprendpasd’avocat,ilappellerasonpèrepourluiconseillerd’enchoisirunpourelle.Tues conne comme tespieds !»Passantde lacabinetroom à une pièceouverteàportéed’oreilleduPrésident,Bannon,«bruyant,effrayant,clairementmenaçant»selonJarvanka,hurle«Jevaistedéfoncer,toiettonpetitgroupe!»tandisquelePrésidentdemanded’untonplaintif:«Qu’est-cequ’ilsepasse?»

Selon le récit du camp de Jarvanka, Hicks est alors partie en courant,sanglotantet«visiblement terrifiée».D’autresdans laWestWingvoientcelacommeletempsfortdel’hostilitéentrelesdeuxfactions.Pourlespro-Jarvanka,la colèredeBannonest aussiunépisodequ’ilspensentpouvoirutiliser contrelui. Ils poussent Priebus à soumettre la question au conseiller juridique de laMaison Blanche, parlant dumoment le plus vulgaire de l’histoire de laWestWing,oucertainementl’undesplusgrossiersàcejour.

PourBannon,cen’estqu’unemanifestationdésespéréedeplusdelapartdeJarvanka–eux,etpaslui,ontl’affaireComey-Muellersurledos.Etcesonteuxquipaniquentetperdentlecontrôle.

Jusqu’àsondépartdelaMaisonBlanche,BannonneparleraplusàHicks.

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1. OprahWinfrey,reinedestalk-showsrichesenrebondissementetconfessionsentousgenres.

2. SalledelaMaisonBlancheoùseréunitlecabinet,quisecomposeduPrésident,desessecrétairesetdesesconseillers.

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20

McMasteretScaramucci

Bienqu’impétueux,Trumpn’aimepasprendrededécisions,dumoinspascellesquine lui laissentd’autrechoixqued’analyserunproblème.Et iln’yapasdedécisionquilehanteautant–depuisledébutdesaprésidence–quecellesurl’actionàmenerenAfghanistan.C’estuncasse-têtequiprendlaformed’uncombat impliquant sapropre résistanceau raisonnementanalytique,maisaussil’antagonismeentrelecerveaugaucheetlecerveaudroitdesaMaisonBlanche,entreceuxquisontfavorablesauchangementetlespartisansdustatuquo.

Dans ce contexte,Bannon devient la voix détonnante et improbable de laMaisonBlancheenfaveurdelapaix–oudumoins,uneformedepaix.Àsesyeux,ilestleseul,avecl’indéterminéDonaldTrump,às’opposerà l’envoide50000soldatsaméricainssupplémentairesdanscetAfghanistandésespéré.

Réprésentant lestatuquo–et, idéalement,un renforcementdeseffectifs–H. R. McMaster devient, avec Jarvanka, la cible de choix des insultes deBannon.Surce front,Bannonformeaisémentun lienavec lePrésidentquinecache pas son mépris pour ce général adepte des présentations PowerPoint.BannonetTrumpontplaisir,ensemble,àdiredumaldeMcMaster.

McMaster est un protégé de David Petraeus, ancien commandant duCENTCOM1etenAfghanistan,devenu ledirecteurde laCIA d’Obama avantd’être contraint à démissionner suite à un scandale impliquant une histoireamoureuseet lamauvaisegestiond’informationsclasséessecrètes.Petraeus,et

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désormaisMcMaster, incarnentuneapproche traditionnelleen l’Afghanistanetau Moyen-Orient. McMaster s’entête à proposer au Président de nouvellesversionsdel’escalademilitaireetàchaquefois,TrumplefaitsortirduBureauovale,lesyeuxlevésauciel,dépitéetincrédule.

Le dégoût et la rancœur du Président pour McMaster vont croissant àl’approche d’une prise de décision au sujet de l’Afghanistan, décision qu’ilcontinueàrepousser.Sapositionsurlaquestion–unbourbiermilitairedontilnesaitpasgrand-chosesicen’estquec’estunbourbier–atoujoursétélerejetrailleuretcaustiquedecetteguerredeseizeans.Lefaitd’enavoirhériténelepoussepasauxbonssentimentsniàvouloirs’yattarder.Pour lui,cetteguerreestmauditeetilestimeinutiled’ensavoirplus.Ilenrejettelaresponsabilitésursesdeuxboucsémissairesfavoris:BushetObama.

PourBannon,l’Afghanistanreprésenteunéchecsupplémentairedelapenséede l’establishment. Plus précisément, elle symbolise l’incapacité del’establishmentàaffronterl’échec.

Curieusement,McMasterajustementécritunlivresurlesujet,unecritiquecinglante des postulats incontestés des chefs militaires lors de la guerre duVietnam. L’ouvrage a été apprécié par les progressistes et l’establishment, et,pourBannon,McMasters’estdèslorsalignésureux.Aujourd’hui–parpeurdel’inconnu, voulant garder toutes les options ouvertes, prônant la stabilité, etprotégeant sa crédibilité vis-à-vis de l’establishment –McMaster recommandeundéferlementdetroupesenAfghanistan.

Début juillet, la pression, en vue d’une décision, grimpe jusqu’à un stadecritique. Trump a déjà donné au Pentagone son feu vert pour déployer lesressourcesenhommesjugéesnécessaires,maisMattis,lesecrétaireàlaDéfense,refused’agirsansautorisationspécialeduPrésident.Trumpdoitseprononcer–saufs’iltrouveunmoyendereculerencorel’échéance.

Bannon pense qu’on peut prendre la décision pour le président – de lamanièredontlePrésidentappréciequelesdécisionssoientprises–s’ilarriveàse débarrasser de McMaster. D’un même coup, il neutralise le plus grand

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partisandes renforts enAfganistan et prend sa revanchevis-à-vis de celui quil’avaitévincéduNSC.

TandisqueleprésidentprometdestatuerenaoûtetqueMcMaster,MattisetTillerson réclament une résolution rapide, des médias pro-Bannon se lancentdans une campagne de stigmatisation de McMaster, dépeint comme unmondialiste,uninterventionniste,enprime,coupabled’indulgenceavecIsraël.

C’est une attaque calomnieuse, bien qu’en partie vraie.En fait,McMasterparle beaucoup avec Petraeus. Selon une rumeur, McMaster donne desinformations à Petraeus, mis à l’écart pour avoir plaidé coupable dans samauvaise gestion de documents secrets. Mais surtout, McMaster n’est pasappréciéparlePrésidentetsetrouveàlaveilled’unedestitution.

C’est du pur Bannon, qui, ayant à nouveau le vent en poupe, savoure unexcèsdeconfiance.

Aussi, pour prouver qu’il existe d’autres options qu’un envoi de troupessupplémentairesouunedéfaitehumiliante–alorsqu’entoutelogiqueiln’yenasansdoutepasd’autres–Bannonserangeducôtéd’ErikPrince, fondateurdeBlackwater2, qui propose de remplacer l’armée américaine par des sociétésprivées,dupersonneldelaCIA,etdesForcesspéciales.L’idéeestbrièvementadoptéeparleprésidentavantd’êtretournéeenridiculeparl’armée.

Désormais,BannoncroitqueMcMasterseramissurlatoucheenaoût.Ilestconvaincud’avoirlaparoleduprésidentàcesujet.Affaireréglée.«McMasterveut envoyer plus d’hommes enAfghanistan, donc nous allons l’envoyer lui-même », dit Bannon, triomphaliste. Dans son scénario, Trump octroie unequatrièmeétoileàMcMasteretlepromeutaugradesuprêmedecommandantenchefenAfghanistan.

Commepourl’attaquechimiqueenSyrie,c’estDinaPowell–alorsqu’ellefait tout pour quitter la Maison Blanche et marcher dans les pas de SherylSandbergou,àunsautdepucedelà,devenirambassadriceauxNationsunies–qui lutte pour soutenir l’approche la moins dérangeante et la plus ouverte.PuisquecetteapprochesembleàlafoislaplussûreetlaplusenoppositiondecelledeBannon,ellerecrutesanshésiterJaredetIvanka.

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La solution soutenue par Powell, destinée à repousser le problème et sonrèglementd’un,deuxoutroisans,rendlapositiondesÉtats-UnisenAfghanistanencoreplusdésespérée.Aulieud’envoyer50000ou60000hommes–cequireprésenteuncoûtinsupportableetrisquededéclencherlacolèrenationale,maispourrait faire gagner la guerre – le Pentagone en déploierait un nombre bienmoindre, passant quasi inaperçu et qui empêcherait tout juste au pays deconnaître une défaite. Dans l’esprit de Powell et Jarvanka, c’est une solutionmodérée et facile à vendre, et le parfait équilibre entre les scénariosinacceptablesde l’armée : la retraiteet ledéshonneuroubiendes troupesplusnombreuses.

Trèsvite,leprojetd’envoyer4000à7000hommes(aumaximum)devientlastratégieintermédiaireapprouvéeparl’establishmentdelasécuriténationaleet à peu près tout lemonde, à l’exception deBannon et du président. Powellparticipe même à l’élaboration d’une présentation PowerPoint que McMastermontre à Trump : des photos de Kaboul dans les années 1970 qui ressembleencore à une villemoderne. Elle pourrait le redevenir, dit-on au Président, sinoussommesdéterminés!

Pourtant,mêmeseulcontretous,Bannonestsûrdegagner.Ilaunepressededroiteuniederrière lui,et,croit-il, labaseélectoraledeTrump,cetteclasseouvrière lasse – dont les enfants servent de chair à canon enAfghanistan. Et,surtout,ilaleprésidentdesoncôté.Agacédesetrouverfaceaumêmeproblèmequ’Obama avec les mêmes options, Trump continue à déverser sa bile et sesmoqueriessurMcMaster.

KushneretPowellorganisentunecampagnededéfensedeMcMaster.Leurproposn’estpasdepenseràl’envoiderenforts,ilsinsistentplutôtsurlesfuitesde Bannon et la manipulation qu’il fait des médias de droite pour salirMcMaster,«l’undesgénérauxlesplusdécorésetrespectésdesagénération».Le problème n’est pas l’Afghanistan, mais Bannon. Dans cette histoire,McMaster,figuredestabilité,s’opposeàBannonleperturbateur.LeNewYorkTimes et leWashingtonPost viennent prendre la défense deMcMaster contreBreitbart,sescopainsetsessatellites.

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L’establishment et lesplus farouchesopposants àTrump se liguent contreles partisans d’America First. À bien des égards, Bannon est dépassé mais ilpenseencoretriompher.Etquandilgagnera,nonseulementunchapitrestupidede la guerre d’Afghanistan aura été évité,mais en prime, Jarvanka, Powell etleursintendantsserontcataloguéscommeinsignifiantsetdénuésdetoutpouvoir.

Alorsque ledébatapprochedesa résolution, leNSC–dont le rôleestdeprésenterdesoptionsplutôtquedelespromouvoir(mêmes’illefaitaussi)–,ensoumettrois:leretrait;l’arméeprivéed’ErikPrince;unrenfortconventionnel,maislimité.

Le retrait, quels que soient ses mérites – quand bien même la reprise del’AfghanistanparlesTalibanspourraitêtreretardéeouatténuée–laisseDonaldTrump avec une guerre perdue sur les bras, situation insoutenable pour leprésident.

LaCIAécarted’embléeladeuxièmeoption,celledel’arméeprivéeetdelaCIA.L’agencearéussiàseteniràl’écartdel’Afghanistandurantseizeans:toutlemondesaitquelà-bas,lescarrièresmeurentaulieud’avancer.Donc,mercidenouslaisserloindetoutça.

NerestedoncquelapositiondeMcMaster,enfaveurdesrenfortsmodestes,défendue par Tillerson, le secrétaire d’État : des troupes supplémentaires enAfghanistan sur une base légèrement nouvelle, avec une mission subtilementdifférentedecellesquilesontprécédées.

L’armées’attendàcequelePrésidentadoptelatroisièmesolution.Maisle19juillet,lorsd’uneréuniondelaSécuriténationaledanslasalledecrisedelaMaisonBlanche,Trumpexplose.

Pendantdeuxheures,ils’emportecontrelepétrindontilahéritéetmenacededestituerquasimenttouslesgénérauxdanslachaînedecommandement.Ilnecomprend pas, dit-il, pourquoi il a fallu des mois pour arriver à ce plan quin’apporteriendenouveau.Ildécrielesconseilsquiluiviennentdesgénérauxetloueceuxdessimplessoldats.SinousdevonsêtreenAfghanistan,demande-t-il,pourquoin’en tirons-nousaucunprofit ?LaChine, se plaint-il, possède là-basdesdroitsminiers,paslesÉtats-Unis.(Ilfaitallusionàunaccordvieuxdedix

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ans soutenu par les États-Unis). C’est comme le 21 Club, dit-il, surprenantsoudainsonauditoireaveccetteréférenceàl’undesesrestaurantsfavorisàNewYork.Danslesannées1980,le21Clubafermépendantunanetembauchédesconsultantspourtrouverlemoyenderendrelerestaurantplusrentable.Aufinal,lesdits consultants conseillèrent d’agrandir la cuisine. C’est ce qu’aurait ditn’importequelserveur,hurleTrump.

PourBannon,cetteréunionestunmomentfortdelaprésidencedeTrump.Lesgénérauxparlentdanslevideettententdesauverlaface–selonBannon,ilsneprononcentqu’unpur«charabia»danslasalledecrise.«Trumpleuratenutête, raconte-t-il, ravi. Il les a éreintés. Il a chié sur leurs plans afghans. Il estrevenu à plusieurs reprises sur le même point : nous sommes coincés, nousperdonsetpersonnen’adeplanpourfairemieuxqueça.»

Même s’il n’y a toujours pas la moindre trace d’une stratégie alternativeviableenAfghanistan,Bannon,ausommetdesafrustrationenversJarvanka,estcertaindegagner.McMasterestgrillé.

Plus tard ce jour-là, Bannon entend parler d’un autre projet insensé deJarvanka.IlscomptentrecruterAnthonyScaramucci,alias«TheMooch3».

Depuis que Trump est le candidat officiel des républicains, plus d’un anauparavant,Scaramucci–fondateurd’unfondsd’investissementetreprésentantde Trump sur les chaînes d’informations du câble (surtout Fox BusinessChannel)–estdevenuincontournableàlaTrumpTower.Mais,danslesderniersmoisdecampagne,faceauxsondagesannonçantladéfaitehumiliantedeTrump,il disparaît. La question « Où est The Mooch ? » devient alors un énièmeindicateurdelafincertaineetsanspitiédelacampagne.

Pourtant, au lendemain de l’élection, Steve Bannon – bientôt nomméconseillerstratégiquedu45eprésidentélu–estaccueillienmilieudelamatinéeà la Trump Tower par Anthony Scaramucci qui lui tend un café à emporterStarbucks.

Aucoursdestroismoisquisuivent,Scaramucci,àprésentinutileentantquereprésentant et sans fonction particulière, devient une présence constante à laTrump Tower. Début janvier, il interrompt une réunion dans le bureau de

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Kellyanne Conway pour s’assurer qu’elle sait que le cabinet de son mari,Wachtell, Lipton, le représente. Ayant fait cette annonce, cité des nomsimportants et chanté les louanges des associés clé, il s’invite à la réunion et,devant Conway et son interlocuteur, se lance dans un exposé touchant sur lecaractère unique et la sagacité deDonaldTrump et desmembres de la classeouvrière qui l’ont élu – il en profite pourmentionner ses originesmodestes àLongIsland.

Scaramuccin’estpasleseulparasiteenquêted’unemploiquelconqueàlaTrumpTower,maissaméthodeenfaitl’undesplustenaces.Ilpassedesjoursàchercher des réunions auxquelles se faire inviter ou des visiteurs à aborder – tâche facile puisque les autres demandeurs d’emploi recherchent desinterlocuteursetilsetransformeenunesorted’agentd’accueilofficiel-officieux.Dèsqu’ilpeut, ilpassequelquesminutesavecundesmembresde l’état-majorquinelerabrouepas.Alorsqu’ilattenduneoffredeposteàresponsabilitéàlaMaisonBlanche,ilsemblesûrdelui,réaffirmantsaloyauté,sonespritd’équipeet son exceptionnelle énergie. Il est si confiant en son avenir qu’il conclut unaccord pour céder son fonds d’investissement, Skybridge Capital, au HNAGroup,unméga-conglomératchinois.

Lescampagnespolitiques,baséesengrandepartiesurlevolontariat,attirenttoutes sortes d’opportunistes des plus bêtes aux plus encombrants. Celle deTrumpplace labarreplusbasque laplupartdesprécédentes.TheMooch,parexemple,n’estpaslevolontaireleplussingulierdanslacourseàlaprésidencedeTrump,maisbeaucouplejugentparticulièrementsansvergogne.

Car, ce n’est pas seulement parcequ’il a été unopposant systématiquedeDonald Trump avant de devenir son soutien zélé, ou parce qu’il a soutenuBarack Obama ou Hillary Clinton, le problème avec Scaramucci, c’est quevraiment personne ne l’aime. Même pour quelqu’un dans la politique, il estimpudent et incorrigible, adepte de déclarations intéressées et souventcontradictoires faites à celui-ci au sujet de celui-là, qui reviennentinvariablementauxoreillesdelapersonnelapluscalomniée.

Ilnefaitpasseulementsonauto-promotiond’unefaçonéhontée;ilestfierde la faire. Il sedécrit commeun fantastique réseauteur. (Vantardise sûrement

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vraiepuisqueSkybridgeCapitalétaitun«fonddefonds»cequinefaitpastantappelàuneexpertiseenmatièred’investissementqu’àuneconnivenceaveclesplusimportantsgestionnairesdefonds,etàlacapacitéàinvestiraveceux.)Ilapayéundemi-milliondedollarspourquelelogodesasociétéapparaissedanslefilmWall Street : l’argent ne dort jamais, et y fait une rapide apparition. Ilorganisepourdespatronsdefondsdeplacementuneconférenceannuelledontilest la star. Il passe sur FoxBusiness Channel. C’est un fêtard notoire chaqueannée à Davos, qui a un jour dansé sans complexe aux côtés du fils deMouammarKadhafi.

Unefois ralliéàDonaldTrump lorsde la campagneprésidentielle–aprèsavoirpariégroscontre lui– ilseprésentecommeuneversiondeTrump.Pourlui, ils représentent un nouveau genre d’hommes de spectacle et decommunicantsdestinésàtransformerlapolitique.

Même si son obstination et son incessant lobbying personnel le rendentdéplaisant, la question se pose : « Que faire de Scaramucci ? », question àlaquelleilfautrépondred’unemanièreoud’uneautre.PourréglerleproblèmeetsedébarrasserduMooch,Priebusluiproposedeleverdesfondsenqualitédedirecteur financier du RNC – offre que Scaramucci rejette dans un accès decolère à laTrumpTower, débinant Priebus en termes crus, offrant comme unavant-goûtdecequiviendraparlasuite.

S’ilconvoiteunposteauseindel’administrationTrumpleMoochenveutun qui puisse lui conférer un avantage fiscal sur la vente de son affaire. Unedisposition fédéralepermetunpaiementdifférédesplus-valuesdans le casdeventesdebienseffectuéesafinderespecterdesexigenceséthiques.Scaramucciabesoin d’un poste qui lui fournisse cet avantage, dont Gary Cohn, sait-il, abénéficiépourlaventedesespartsdansGoldman.

Un semaine avant l’investiture, on lui propose enfin un tel poste, celui dedirecteurduBureaudesengagementspublicsetaffaires intergouvernementales.IlseralereprésentantduPrésidentdevantlesgroupesd’intérêtpro-Trump.

MaisleBureaudel’éthiquedelaMaisonBlancherechigne–ilvafalloirdesmoispourbouclerlaventedesonentrepriseetilvanégocierdirectementavecuneentitécontrôlée(aumoins)enpartieparlegouvernementchinois.Etcomme

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ilnedisposepasd’appuis,Scaramucciseretrouvebloqué.Celaconstitue,note-t-ilavecressentiment, l’undes rarescasdans legouvernementdeTrumpoù lesconflitsd’intérêtsinterférèrentavecunenominationàlaMaisonBlanche.

Etpourtant,aveclaténacitéd’uncommercial,leMoochn’abandonnepas.Ils’auto-désigne ambassadeur de Trump sans portefeuille et déclare être sonhomme àWall Street,même si en pratique, il n’en est pas un et s’emploie àquitter sa société financière àWall Street. Il reste aussi en contact permanentavecquiconque,danslecercledeTrump,semontredisposéàluiparler.

La question «Que faire deScaramucci ? » demeure.Kushner, envers quiScaramucci a fait preuve d’une rare retenue durant la campagne, a souvententendudesgens,àNewYork,louersaloyauté.Ilremetlaquestionsurletapis.

Priebus et d’autres tiennent Scaramucci à distance jusqu’en juin, puis onpresse soudain celui-ci d’accepter le poste de vice-président et chef de lastratégie de l’Eximbank, une agence de la branche exécutive que Trump a,depuislongtemps,juréd’éliminer.MaisTheMoochn’estpasprêtàbaisserlesbras : après encoreplus de lobbying, il est, à l’instigationdeBannon,nomméambassadeurdel’Organisationdecoopérationetdedéveloppementéconomique(OCDE). Le poste est assorti d’un appartement de vingt pièces au bord de laSeine, d’une équipe de collaborateurs, mais – et Bannon trouve celaparticulièrementamusant–sanslamoindreinfluenceniresponsabilité.

Uneautrequestionpersistante,«QuefairedeSpicer?»,estvenues’ajouteraudésastreconcernantl’ébruitementdelarencontredejuin2016entreDonJr.,Jared et les Russes. Puisque le Président, à bord d’Air Force One, a dicté laréponsedeDon Jr. aux révélations duTimes, Trump etHopeHicks sont tousdeuxmisencause:lepremierl’adictée,lasecondel’atranscrite.MaiscommelePrésidentnepeutpasêtreresponsabled’unfiasco,Hicksestépargnée.Etbienqu’écarté de la crise à la Trump Tower, Spicer se retrouve accusé de toutl’épisode,précisémentparceque,saloyautémiseendoute,luietsonéquipedecommunicantsdoiventêtreexclus.

Dans le cas présent, l’équipe de communication est jugé opposée, voirehostile,auxintérêtsdeJaredetIvanka;Spiceretseshommesontéchouéàles

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défendre tout comme ils n’ont pas su protéger la Maison Blanche de façonadéquate.Cequisoulignelepointessentiel:bienqueJaredetIvankasoientdesimples collaborateurs sans position institutionnelle à la Maison Blanche, ilspensent et agissent comme s’ils faisaient partie de l’entité présidentielle. Leurcolère et leur amertume croissantes viennent de l’aversion – en fait, d’uneprofondeetmassiverésistance–d’unepartiedupersonnelà les traitercommefaisantpartieintégrantedelaprésidence.(Unjour,PriebusdoitprendreIvankaàpartpours’assurerqu’ellecomprendbienque,danssonrôleofficiel,ellen’estqu’unecollaboratrice.CeàquoiIvankarépondqu’elleestunecollaboratrice–slash–«Premièrefille».)

Bannon représente leur ennemi public, ils n’attendent rien de lui.Mais ilsconsidérentPriebusetSpicercommedesfonctionnaires,chargésdepoursuivrelesobjectifsdelaMaisonBlanche,maisaussileursbutsetleursintérêts.

Spicer,toujoursmoquéparlesmédiaspoursadéfensefarfeluedelaMaisonBlancheet sa loyautéenapparencestupide,a,dès l’investiture,été jugépar lePrésidentcommenisuffisammentloyalnisuffisammentagressifquandilprendsa défense. Ou, dans l’esprit de Jared et Ivanka, quand il protège la famille.«Que font vraiment les quarantemembres de l’équipe de Spicer ? » est unequestionrécurrentedanslafamilleduPrésident.

Presquedès ledébut, lePrésidentamenédesentretiensavecdepotentielsnouveaux porte-parole. Il a proposé le poste à plusieurs personnes, dontKimberlyGuilfoyle, animatrice de Fox News et coprésentatrice du talk-showTheFive.Unerumeurprétendquel’ex-épousedudémocratecalifornienGavinNewsom est la petite amie d’Anthony Scaramucci. À l’insu de la MaisonBlanche, la vie personnelle de Scaramucci est en chute libre. Le 9 juillet, safemme,enceintedeneufmoisdeleurdeuxièmeenfant,demandeledivorce.

Guilfoyle,sachantSpicersurledépartmaisayantrefuséleposte–ouseloncertainsàlaMaisonBlanche,n’ayantpasétépressentie–,suggèreScaramucci,lequel tente de convaincre Jared et Ivanka qu’ils souffrent d’un problème decommunicationetsontmaltraitésparl’équipeactuelle.

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Scaramucciappelleunjournalistequ’ilconnaîtafindeluifairesupprimerunarticleàvenirsurlesconnexionsrussesdeKushner.Illefaitensuiterappelerparuncontactcommunpourluidirequesilepapierestbeletbiensupprimé,TheMoochpourraitobtenirunposteàlaMaisonBlancheet,àcetitre,luiaccorderunaccèsprivilégié.TheMoochassurealorsJaredetIvankaqu’ilahabilementmisuntermeàcettehistoire.

À présent, Scaramucci bénéficie de toute leur attention. Il nous faut unenouvelleapproche,seditlecouple,ilnousfautquelqu’unquisoitvraimentdenotre côté. Scaramucci – riche, venant deWall Street et de New York – lesrassure:ilcomprendlesenjeuxetsaurajouerunjeutrèsoffensifsinécessaire.

D’un autre côté, le couple ne veut pas être perçu comme trop dur. Aprèsavoir accusé Spicer de ne pas les défendre correctement, ils rétro-pédalent etprétendentqu’ilsnecherchentqu’àajouterunenouvellevoixauchœur.Lepostededirecteurde lacommunication, sansdomaineprécis, estvacantdepuismai,lorsque Mike Dubke, dont la présence a été à peine remarquée à la MaisonBlanche, a démissionné. Scaramucci pourrait occuper ce poste et devenir sonallié,seditlecouple.

«Ilestbonàlatélévision»,glisseIvankaàSpicerquandelledoitjustifierlerecrutementdel’anciengestionnairedefondsd’investissementcommedirecteurdelacommunicationdelaMaisonBlanche.«Ilpeutpeut-êtrenousaider.»

RencontrantScaramucci, lePrésident se retrouve conquis par les flatteriesgrimaçantes et incitatives duMooch deWall Street. (« Je ne peux qu’espéreravoiruneinfimepartiedevotregénieentantquecommunicant,maisvousêtesmon exemple etmonmodèle » a, selon un témoin, lancé Scaramucci dans sasupplique.)Etc’estTrumpquiinsisteensuitepourqueScaramuccidevienne levraichefdelacommunication,travaillantdirectementsoussonautorité.

Le19 juillet,par lebiaisd’intermédiaires, Jared et Ivanka tâtent le terrainauprèsdeBannon:quepenserait-ilsiScaramuccisevoyaitoctroyerunpostedecommunicant?

CetteidéeparaîtsiridiculeàBannon–elles’apparenteàuncridedésespoiretmontrebienquelecoupleestvraimentprêtàtout–qu’ilrefused’envisagerla

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questionoumêmedesedonnerlapeined’yrépondre.Ilenestdésormaissûr:Jarvankadéraille.

1. Commandement cental desÉtats-Unis, chargédes interventionsmilitaires enAsie et auMoyen-Orient.

2. SociétémilitaireprivéeaméricaineintervenantentreautresenIraketenAfghanistan.

3. Sangsue,parasite.

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21

BannonetScaramucci

L’appartement deBannon àArlington, enVirginie, situé à 15minutes derouteducentredeWashington,estappeléle«lieusûr»–cequisonnecommeunaveuducaractèreéphémèredeBannonetressembleàunclind’œil,quelquepeuironique,àlanatureunderground,voireromantique,desapolitique–lecôtévoyou et va-t-en-guerre de l’extrême droite. Bannon a quitté l’ambassadeBreitbartdansAStreet,àCapitolHill,pourvenirici.Ils’agitd’unstudiodigned’un étudiant, dans un immeuble à usage résidentiel et commercial, au-dessusd’unénormeMcDonald’s–cequidémentlesrumeursdefortunedeBannon–aveccinqousixcents livres(surtoutdevulgarisation)empiléscontre lesmurssansétagère.Sonlieutenant,AlexandraPreate,vitdanslemêmeimmeuble,ainsiquel’avocataméricaindeNigelFarage, leaderanglaisdedroitepro-BrexitquiappartientaucercleélargideBreitbart.

Le soir du jeudi 20 juillet, au lendemain de la réunion litigieuse surl’Afghanistan, Bannon accueille quelques invités – le dîner est organisé parPreateavecdesplatschinoisàemporter. Ilestd’unehumeur joyeuse,presquefestive. Pourtant, il sait que, dans l’administration Trump, quand on àl’impressiond’êtreausommet,onpeuts’attendreàsefaireabattre.C’estlestyleetleprixdelagouvernanced’unhommeseul–etmanquantd’assurance.S’ilestpuissant,l’hommequisetientàsescôtésdoitêtreabsolumentrabaissé.

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Beaucoup,dansl’entouragedeBannon,pensentqu’ilentredenouveaudansunmauvaiscycle.Lorsdesonpremiertourdepiste,ilaétépuniparleprésidentpoursacouverturedumagazineTimeetleportraitdansleSaturdayNightLive1du«présidentBannon»–lapluscruelledespiquesenversTrump.Unnouveaulivre, The Devil’s Bargain, affirme notamment, au travers de citations deBannon, que Trump n’aurait pas réussi sans lui. Le président est, une foisencore,trèsirrité.

Pourtant,Bannonal’impressiond’avoirfaitunepercée.Quoiqu’ilarrive,ila l’esprit clair. Un telmanque d’organisation règne à laMaison Blanche quecetteclarté,àdéfautdemieux,luidonneunavantage.Sonordredujourfigureaudevantdelascèneetsesennemisseretrouventsur la touche.Attaquésjouraprèsjour,JaredetIvankanesepréoccupentplusquedeleurseuleprotection.Dina Powell cherche un autre emploi. McMaster s’est sabordé avecl’Afghanistan.GaryCohn,jadisennemimortel,estprêtàtoutpourêtrenommédirecteur de la Réserve fédérale et cherche à s’attirer les bonnes grâces deBannon–« ilme lèche lecul»,ditcedernierenricanant.Enéchangedesonsoutien,BannonsoutireàCohnsonallégeanceauprogrammedeladroite.

Lesgéniessontfoutus.MêmelePrésidentestpeut-êtrefoutu.MaisBannonaunevisionetdeladiscipline–ilenestsûr.«Jesuismortderiretouslesjours.Le programme nationaliste, on le domine complètement. Je suis là pour uneéternité.»

Avantledîner,BannonfaitcirculerunarticleduGuardian–mêmeclasséàgauche,leprincipaljournalanglaisrestesonpréféré–surlesrépercussionsdelamondialisation. Le journaliste de gauche Nikil Saval y accepte le principepopuliste central de Bannon – « La concurrence entre les ouvriers des paysdéveloppésetceuxdespaysenvoiededéveloppement…apermisd’abaisserlessalairesetlasécuritédel’emploidestravailleursdespaysriches»–etl’élèveaurangdecombatdenotreépoque.Davosestmort,etBannon,lui,estbienvivant.« Les économistes, autrefois ardents défenseurs de la mondialisation, sontdevenus ses critiques les plus éminents, écrit Saval. Les partisans d’hierconcèdent à présent, du moins en partie, qu’elle a produit de l’inégalité, duchômageetunepressionsurlessalairesenletirantverslebas.Lesnuanceset

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les critiques que les économistes soulevaient uniquement lors de colloquesprivéséclatentenfinaugrandjour.»

«Jecommenceàmelasserdegagner»,c’est toutcequeditBannondansl’e-mailcontenantlelienversl’article.

Àprésent,agitéetfaisantlescentpas,BannonracontecommentTrumps’estdéfoulésurMcMasteretsavoure l’absurditéabyssaledustratagèmedesgéniesavecScaramucci.Maissurtout,ils’estpasséquelquechoselaveillequilelaisseperplexe.

Àl’insudel’état-major,oudel’équipedecommunication–sicen’estparlebiais d’une note – le Président a accordé une longue interview auNew YorkTimes,organiséeparJared,IvankaetHopeHicks.MaggieHaberman,duTimes,la bête noire de Trump (« Trèsméchante et pas intelligente ») et pourtant sajournalistedeconfianceencasdebesoind’approbation,aétéconviéedevantlePrésidentavecsescollèguesPeterBakeretMichaelSchmidt.L’entretienquienrésulteest l’undesplusétrangesetmalavisésde l’histoireprésidentielle,de lapartd’unhommequiadéjàfranchiceseuilàdenombreusesreprises.

Danscetteinterview,Trumpasuivil’injonctiondeplusenpluspressantedesafilleetsongendre.Sansbutnistratégieclairs,ilmenaceleProcureurgénéralqui s’est récusé, ouvrant ainsi la porte à un procureur spécial. Il pousseouvertement Sessions à démissionner – se moquant de lui, l’insultant et lemettantaudéfid’essayerderester.Sicelanefaitavancerlacausedepersonne,sauf,peut-êtrecelleduprocureurspécial,l’incrédulitédeBannon–«JeffersonBeauregard Sessions ne s’en ira pas » – se concentre sur un autre passage del’entretien:lePrésidentamisengardeleprocureurdenepasfranchirlalignerougeets’intéresserauxfinancesdelafamille.

«Ehhh…Ehhh…Ehhh ! s’écrieBannon, imitant le sond’une alarme.Neregardezpasparlà!Disonsàunprocureuroùnepasfouiller!»

Bannon décrit alors sa conversation avec le Président plus tôt dans lajournée:«J’aifoncésurluiendisant:“Pourquoiavez-vousracontécela?”Ilmedemande:“LetrucsurSessions?”etjeréponds:“Non,ça,c’estmal,maisce sont les affaires courantes ici.” J’aidemandé : “Pourquoi avoirditqu’il estinterditde fouillerdans les financesdevotre famille?”Et ilme répond : “Eh

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bien,c’est…C’estfait.”Etjeluidis:“Eh,cesonteuxquidéterminentcepourquoiilssontmandatés…Çapeutnepasvousplaire,maisvousvenezdegarantirque si vous remplacez le procureur spécial, tous les sénateurs lui feront jurerqu’il aura pour première tâche d’assigner à comparaître toutes vos putains dedéclarationsderevenus.”»

Bannon, toujours plus perplexe, rapporte les détails d’un article récent duFinancialTimessurFelixSater,l’undespersonnageslesplusvéreuxassociésàTrump,quiestétroitementenlienavecl’avocatpersonnelduprésident,MichaelCohen(unecible,apparemment,del’enquêtedeMueller)etununélémentclépoursuivrelesmouvementsd’argentverslaRussie.Sater–«Tenez-vousbien,je saisqueçapeut choquer,mais écoutezça !»–avait eudegrosproblèmesaveclajusticeauparavant,«chopéavecdeuxtypesàBocaentraind’écoulerendoucede l’argent russe».Et il s’avèreque«FrèreSater»estpoursuivipar–« écoutez ça » –AndrewWeissmann (Mueller venait de recruterWeissmann,puissantavocatdeWashingtonàlatêtedelasectiondesFraudesdelaDivisioncriminelledudépartementde laJustice).«Tuassur ledos lesenquêtessur leblanchimentd’argentdeLeBronJames,Jarvanka.Moi,montrouduculvientdesecontracter!»

BannonsetientlittéralementlescôtespuisenrevientàsonéchangeaveclePrésident.«Etlà,ilmesort:“Ilsnesontpasmandatéspourça.”Sérieusement,mec?»

Preate, disposant les plats chinois sur une table, lance : « Ils n’étaient pasmandatéspouréjecterArthurAndersenpendantl’affaireEnron,maisçan’apasarrêtéAndrewWeissmann»–l’undesenquêteursdansl’affaire.

« On voit où ça va aller, poursuivit Bannon. C’est une histoire deblanchimentd’argent.MuellerachoisiWeissmannenpremier,lespécialistedelaquestion.Leur routepourbaiserTrumppasseparPaulManafort,Don Jr. etJaredKushner…C’estgroscommelenezaumilieudelafigure…Çapasseparla Deutsche Bank et toutes les conneries de Kushner, des conneries bienpoisseuses. Ils vont fouiller direct là-dedans. Ils vont choper cesdeuxmecs etleurdiredesemettreàtable.Mais…“Privilègedel’exécutif,imiteBannon.On

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a leprivilègede l’exécutif !”Çan’existepasce truc-là !Nous l’avonsprouvéavecleWatergate.»

Toujours expressif, Bannon semble soudain épuisé. Après une pause, ilajouted’unairlas:«Ilssontassissuruneplageettententd’arrêterunouragandecatégorie5.»

Lesmainstenduesdevantlui, ilmimeunchampdeforcequil’isoleraitdudanger. « Ce ne sont pas mes affaires. Il a les cinq génies autour de lui :Jarvanka, Hope Hicks, Dina Powell et Josh Raffel. » Il lève les mains denouveau,commepourdire:baslespattes.«JeneconnaisaucunRusse, jenesaisrienlà-dessus.Jenesuispasuntémoin.Jeneprendspasd’avocat.Cen’estpas moi qui vais me retrouver devant un micro à la télévision nationale àrépondreàdesquestions.HopeHicksest tellementfoutuequ’ellenes’enrendmêmepascompte.IlsvontlamettreKO.IlsvontfaireavouerDonJunioràlatélénationale.C’estdéjàfaitpourMichaelCohen.Il[lePrésident]m’aditquetoutlemondeauraitpuseretrouvercommeDonJunioràuneréunionaveclesRusses.J’airépondu:“Pastoutlemonde.Jesuisofficierdemarine.JenevaispasàuneréunionavecdesRusseset,desurcroît,auquartiergénéral,vousêtesmalade?”Etilmefait:“Maisc’estunbongarçon.”Iln’yapluseuderéuniondecegenrequandj’aireprislacampagne.»

LetondeBannonpassedudésespoiràlarésignation.« S’il vire Mueller, ça ne fera qu’accélérer sa destitution. Pourquoi pas,

allons-y. Droit devant. Pourquoi pas ? Qu’est-ce que je vais faire ? Aller lesauver ? C’est Donald Trump. Il ne s’arrêtera jamais. Il veut un Procureurgénéralnonrécusé.JeluiaiditquesiJeffSessionss’enva,RodRosenstein lesuitetRachelBrandaussi–Procureurgénéraladjointe,derrièreRosensteindanslahiérarchie–etonvadescendrecommeçajusqu’auxhommesd’Obama.Etunfidèle d’Obama va se retrouver Procureur général. Je vous ai dit que vousn’auriez pas Rudy » – Trump avait exprimé de nouveau son désir de voir ceposteoccupéparsesloyalistesRudyGiulianiouChrisChristie–«parcequ’ilaparticipéàlacampagneetdevraserécuser,commeChrisChristie.Cesontdesfantasmesmasturbatoires,chassez-lesdevotreesprit.Etàprésent,pourqu’unenomination soit confirmée, ilsdevrontprêter serment, s’assurerque les choses

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vontdel’avantetnerenvoyerpersonneparcequevousavezdithier–Ehhh…Ehhh…Ehhh!–“Pastoucheauxfinancesdemafamille.”Etilsvontexigerlapromessed’intégrerlesfinancesfamilialesàl’enquête.Jeluiaiditquec’estuneconséquenceévidente,doncautantespérerqueSessionsresteenplace.»

«Hier soir, il a appelédesgens àNewYorkpour leurdemander cequ’ildevaitfaire,ajoutaPreate.(ToutlemondeàlaMaisonBlanchesuivaitlefildelapenséedeTrumpencherchantàquiilavaitparlélaveilleausoir.)

Bannons’adosseàsonsiègeet,avecunefrustrationgrandissante, tracelesgrandes lignes de son plan judiciaire à la Clinton. « Ils ont attaqué avec unediscipline incroyable. Ilsont foncé.»Mais,souligne-t-il,c’estunequestiondedisciplineetTrumpestl’hommepolitiquelemoinsdisciplinéquisoit.

LadirectionempruntéeparMuelleretsonéquipeestclaire,ditBannon:ilsvontsuivrel’argentviaPaulManafort,MichaelFlynn,MichaelCohenetJaredKushner,etremonterpetitàpetitjusqu’auPrésident.

C’est shakespearien, dit-il, énumérant les mauvais conseils de son cerclefamilial:«Cesontlesgénies,lesmêmesquil’ontpersuadédevirerComey,lesmêmesqui,àbordd’AirForceOne,ontécartésonéquipejudiciaireextérieure,sachantquel’e-mailétaitlà,qu’ilexistait,lesmêmesontsortiladéclarationsurDonJunior, sur le faitquecette réunionportait sur lesadoptions…lesmêmesgéniesquiessayentdefairevirerSessions.

«Regardez.Kasowitz leconnaîtdepuisvingt-cinqans. Il l’a tiréde toutessortes de pétrins. Pendant la campagne, il y avait combien ?Une centaine defemmes?Kasowitzs’estoccupédechacuned’elles.Etàprésentilresteenpostequoi,quatresemaines?Ileststone,maintenant,mutique.C’estl’avocatlepluscoriace deNewYork, il est brisé.MarkCorallo, le salaud le plus dur que jeconnaisse,pareil.»

JaredetIvankapensent,poursuitBannon,ques’ilspréconisentuneréformepénitentiaire et sauvent le DACA – le programme qui protège les enfantsd’immigrés illégaux– lagauche lesdéfendra. Il faitunebrèvedigressionpourdéfinir le flair législatif d’Ivanka Trump et sa difficulté – devenue une vraiepréoccupationàlaMaisonBlanche–àtrouverdessoutienspoursapropositiondecongéfamilial.«Voilàpourquoijeluirépètequ’iln’yapasd’électeurspour

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ça. Tu sais à quel point c’est facile de trouver quelqu’un pour parrainer uneproposition de loi, n’importe quel abruti peut le faire. Tu sais pourquoi tapropositionn’estpasparrainée?Parcequelesgensvoientàquelpointelleestidiote. » En fait, dit Bannon, bouche bée, yeux levés au ciel, c’est l’idée deJarvankadetenterdetroquerl’amnistiecontrelemuràlafrontière.«Sicen’estpasl’idéelaplusstupidedelacivilisationoccidentale,ellefiguredansletop3.Cesgéniesont-ilslamoindreidéedequinoussommes?»

Bannon décroche alors son téléphone et son interlocuteur lui dit queScaramucci risque d’avoir le poste de directeur de la communication. «Ne tefouspasdemoi,dit-ilenriant.Nemeracontepasdetellesconneries!»

Il raccroche en s’étonnant de nouveau devant le monde imaginaire danslequel vivent les génies – et, pour faire bonnemesure, repasse une couche deméprisàleurégard.«Jeneleurparlelittéralementpas.Voussavezpourquoi?Jefaismonboulotetilsn’ontrienàvoiravecça,jemefousdecequ’ilsfont…Jem’entape…Jenerestepasseulaveceux,jenerestepasdanslamêmepiècequ’eux.Aujourd’hui, Ivankaestentréedans leBureauovale…[et]dèsqu’elleestentrée,jel’airegardéeetjesuissorti…Jenerestepasdanslamêmepièce…jeneveuxpas…HopeHicksestentrée,jesuissorti.»

«LeFBIamislepèredeJaredenprison,ditPreate.Ilsn’ontpascomprisqu’onnefaitpasn’importe…»

«CharlieKushner,coupeBannonensetapantlefront,incrédule.Ildevientfouparcequ’ils vont fouiner dans ses affaires pour savoir comment il financetout…Les rabbins avec les diamants et tous ces trucsvenant d’Israël…et lesmecsd’Europedel’Est…TouscesRusses…cestypesduKazakhstan…Etilnepeutrienpourle666[FifthAvenue]quandilvafairefaillitel’anprochain,toutçac’estdes foutuesgarantiescollattérales…Ilestenmiettes, fini, foutu,c’estterminé…Cuit.»

Ilseprendlatêteentrelesmainsunmomentpuisseredresse.« Je suis assez bon pour trouver des solutions, j’en ai trouvé une pour sa

campagnepourrieenunejournéeenviron,maislà,jenevoispas.Jenevoispascommentilpeuts’ensortir.Jeluiaidonnéunplan,jeluiaidit:isolezleBureauovale, renvoyez les deux gamins chez eux, virez Hope, tous ces parasites et

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écoutez l’équipe judiciaire – Kasowitz, Mark Dowd, Jay Sekulow et MarkCorallo,cesontdesprofessionnelsquiontdéjàfaitçadanslepassé.Écoutez-leset ne dites plus unmot là-dessus, contentez-vous de vous conduire comme lecommandantenchefetvouspourrezêtreprésidentpendanthuitans.Sinon,vousne le pourrez pas, c’est simple. Mais il est le Président, il a le choix et vaclairementchoisirdesuivreuneautrevoie…etonnepeutpasl’arrêter.Lemecveuttirerlesficelles.C’estTrump…»

Ilreçoitunautrecoupdefil,cettefoisdeSamNunberg.Luiaussiappelleausujet de Scaramucci et ses paroles provoquent une sorte de stupéfaction chezBannon:«Putain,non.Putaindemerde.»

Bannon raccrocheetdit : «MonDieu.Scaramucci. Jenepeuxmêmepasréagir. C’est kafkaïen. Jared et Ivanka ont besoin de quelqu’un pour incarnerleurs conneries. C’est de la folie. Il va rester deux jours sur le podium avantd’être abattu et de pisser le sang. Il va littéralement sauter dans une semaine.C’est pour ça que je ne prends pas ça au sérieux.EmbaucherScaramucci ? Iln’estpasqualifiépourfairequoiquecesoit.Ildirigeunfondsdefonds.Voussavez ce que c’est ?Ce n’est pas un fond.Mec, c’est fou.Onpasse pour desbouffons.»

Dès le premier jour d’Anthony Scaramucci, le 21 juillet, Sean Spicerdémissionne, ce qui, étrangement, sembleprendre tout lemonde audépourvu.Lors d’une réunion avec Scaramucci,Spicer etPriebus, le Président – qui, enannonçantl’arrivéedeScaramucciaupostededirecteurdelacommunicationl’apromudevantSpicer,maisaussidevantPriebus,sonchefdecabinet–suggèrequelestroishommesdevraientpouvoirs’entendre.

Spicerretournedanssonbureau,imprimesalettrededémissionetl’apporteauPrésident dérouté qui répète qu’il voulait vraiment travailler avec lui.MaisSpicer,sansdoutel’hommeleplusridiculiséd’Amérique,comprendqu’onvientdeluifaireuncadeau.SesjoursàlaMaisonBlanchesontfinis.

PourScaramucci, l’heure de la revanche est venue. Pour lui, ses sixmoisd’humiliationétaientengrandepartie la fautedeReincePriebus–après avoirannoncé son avenir à laMaison Blanche, vendu sa société, il s’était retrouvé

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sansrien,oudumoinssansriendevaleur.Àprésent,dansunrevirementdigned’unvraimaître de l’univers – dignedeTrumpenpersonne–,Scaramucciseretrouveà laMaisonBlanche,plusgrand,puissantetprestigieuxqu’iln’aosél’imaginer.EtPriebusestunhommemort.

C’estlesignalenvoyéparlePrésidentàScaramucci:mettezdel’ordreici.AuxyeuxdeTrump,lesproblèmesdesonmandatneconcernaientjusquelàquesonéquipe.Sanssonéquipe,plusdeproblèmes.Scaramucciavaitdoncsafeuillederoute.LefaitquelePrésidentaittraitésonéquiped’incapabledèslepremierjour,quecette rengaineait été lamêmedepuis ledébutde la campagne,qu’ilrépètequ’ilveutvirertoutlemondeavantdeseraviseretdedirequ’ilneveutpasvirertoutlemonde:toutcelapasseau-dessusdelatêtedeScaramucci.

Scaramucci se met à narguer Priebus en public et, au sein de la MaisonBlanche,adopteuneattitudededuravecBannon–«Jenevaispassupportersesconneries.»Trumpsembleadorer cette conduite etScaramucci a l’impressiond’êtreencouragé.JaredetIvankasontégalementravis.IlspensentavoirmarquédespointsavecScaramuccietsontsûrsqu’ilpourralesdéfendrecontreBannonetlesautres.

BannonetPriebusontdumalàycroire,ilsontdumalaussiànepaséclaterde rire. Pour eux, Scaramucci est soit une hallucination passagère – ils sedemandents’ilsdoiventjustefermerlesyeuxletempsqueçapasse–,soitunedescentedeplusdanslafolie.

Même comparée à d’autres semaines difficiles à la Maison Blanche deTrump,celledu24juilletestparticulièrementéprouvante.Elles’ouvreparunenouvelletentativedefaireabrogerl’ObamacareparleSénat,uneopérationquis’apparentedeplus en plus à un opéra comique.Comme toujours auSénat, ils’agit moins d’une question de système de santé que d’une lutte entre lesrépublicains du Congrès et entre les républicains de la Maison Blanche. LapositionduPartirépublicainestdevenuelesymboledesaguerrecivile.

Celundi,legendreduPrésidentapparaîtaumicrodevantlaWestWingpourdonnerunaperçudesadéclarationauxenquêteursduSénatsurlesliensaveclaRussiependantlacampagnedeTrump.N’ayantquerarementparléenpublic,il

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nieàprésent touteculpabilitédans l’affaire,arguantune totalenaïveté.Parlantd’une voix aiguë et sur un ton d’auto-apitoiement, il se dépeint comme unpersonnageàlaCandidedéçuparunmondecruel.

Cesoir-là,lePrésidentserendenVirginie-Occidentalepours’adresserauxBoy Scouts of America. Une fois encore, son discours est en rupture avec lemoment, le lieu,et lebonsens.Trèsvite, lesBoyScoutsdoivents’enexcuserauprèsdeleursmembres,leursparents,etlepaystoutentier.Cebrefvoyagenefait rienpouraméliorer l’humeurdeTrump: le lendemainmatin, fulminant, ilattaqueencoreenpublicsonProcureurgénéralet–pourfairebonnemesureetsans raison – poste un tweet sur son interdiction aux personnes transgenresd’intégrer l’armée. (Quatre choix en lien avec lapolitiquede l’arméepour lespersonnes transgenres avaient été soumis au Président. La présentation devaitdonneruncadreàladiscussionencours,maisdixminutesaprèsavoirreçucespropositions et sans autre consultation, Trump annonça son interdiction surTwitter.)

Lelendemain,mercredi,Scaramucciapprendqu’unedesesdéclarationsdesituationfinancièreafuité.Supposantqu’ils’agitd’uneattaquedesesennemis,ScaramucciaccusedirectementPriebus,cequi,defaçonimplicite,constitueuneaccusationdecrime.Enréalité,ladéclarationdeScaramucciétaitundocumentpublic,accessibleàtous.

Dans l’après-midi,Priebus annonce auPrésidentqu’il comprendqu’il doitdémissionneretqu’ilfautparlerdesonremplaçant.

Puis,lesoir,unpetitdînerestorganiséàlaMaisonBlancheavecdifférentsemployés anciens ou actuels de Fox News, dont Kimberly Guilfoyle – uneinformation qui est ébruitée. Buvant plus que d’habitude, tentant de cacher lechaosde saviepersonnelle (avoirun lienavecGuilfoyle n’allait pas aider lesnégociations avec sa femme) et tendu par des événements dépassant sescapacités,ScaramucciappelleunjournalisteduNewYorkeretvidesonsac.

L’articlequienrésulteestsurréaliste–douleuretcolèreysontsiflagrantesque, pendant près de vingt-quatre heures, personne n’ose d’admettre qu’il acommisunsuicidepublic.L’articleciteScaramucciparlantsansménagementduchef de cabinet : « Reince Priebus – si vous voulez une info – va devoir

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démissionnertrèsbientôt.»Déclarantqu’ilavaitacceptésonnouveaujobpour«servirlepays»etqu’ilne«tentaitpasdesefairedelapublicité»,Scaramuccis’attaqueaussiàSteveBannon:«JenesuispasSteveBannon.Jen’essaiepasdesucermaproprebite.»(Bannonprendraconnaissancedel’articlequandlesjournalistes chargés de vérifier les faits l’appeleront pour savoir, si commel’affirmeScaramucci,ilsucesaproprebite.)

Ayant renvoyé Priebus en public, Scaramucci se conduit si bizarrementqu’onn’estplustrèssûrsdesavoirlequeldesdeuxréussiraàsemaintenir.Surlepointd’êtrecongédiédepuislongtemps,Priebusréalisequ’ilapeut-êtreacceptédedémissionnertroptôt.Ilauraitpuavoirl’occasiondevirerScaramucci!

Levendredi,alorsquel’abrogationdelaloisantééchoueauSénat,Priebusmonteàbordd’AirForceOneaveclePrésidentquidoitfaireundiscoursàNewYork. Scaramucci doit être du voyage. Mais pour éviter les retombées del’article duNew Yorker, il prétend aller rendre visite à samère àNewYork,alorsqu’enfait,ilsecacheauTrumpHotel,àWashington.Etlevoilàavecsesbagages(defait,ilallaitbeletbienresteràNewYorketrendrevisiteàsamère),agissantcommesiderienn’était.

Pendantlevolduretour,PriebusetlePrésidentdiscutentdumomentdesondépartetcedernierl’encourageàfaireleschosescorrectementetàprendresontemps.«Dites-moicequiest lemieuxpourvous,ditTrump.Faisonsbien leschoses.»

Quelquesminutesplustard,Priebusdescenddel’avionetunealertedesontéléphone l’informe que le Président vient d’annoncer sur Twitter avoir unnouveau chef de cabinet, JohnKelly, le secrétaire à la Sécurité intérieure desÉtats-Unis,etquelui,Priebus,prendlaporte.

LaprésidencedeTrumpn’aquesixmois,maislaquestiond’unremplaçantpour Priebus a, dès le départ, constitué un sujet de discussion. Parmi lescandidatssetrouvaientPowelletCohn,lesfavorisdeJarvanka;ledirecteurduBureaudelagestionetdubudget,MickMulvaney,undeschoixdeBannon;etKelly.

Enfait,Kelly–quis’excusaplatementauprèsdePriebuspourlemanquedecourtoisie avec lequel avait été traitée sa démission – n’a pas été consulté à

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proposdesanomination.Ill’apprendparletweetduPrésident.Mais il n’y a pas de temps à perdre.Désormais, le problème principal du

gouvernementTrumpestde trouverquelqu’unpourvirerScaramucci.PuisqueScaramuccis’estdébarrassédePriebus–quilogiquementauraitdûlerenvoyer–lenouveauchefdecabinetdoits’enchargerauplusvite.

Et six jours plus tard, quelques heures après avoir prêté serment, KellyrenvoieScaramucci.

Calmé,lejeunePremiercouple,cesgéniesquiavaientrecrutéScaramucci,paniquentà l’idéed’êtreaccusés,à juste titre,de l’unedesembaucheslesplusridicules, voire catastrophiques dans l’histoire contemporaine de la MaisonBlanche.Et ils s’empressentdedireàquelpoint ils soutiennent ladécisiondecongédierScaramucci.

«Donc,jetecollemonpoingdanslafigure,remarqueunSeanSpicersurlatouche,etjedisensuite:“Oh,mondieu,ilfautteconduireàl’hôpital!”.»

1. ÉmissiondesketchsparodiquesdelachaîneNBC.

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22

GénéralKelly

Le4août,lePrésidentetdesmembresclésdelaWestWingpartentpourlegolfdeTrump,àBedminster.Lenouveauchefdecabinet,legénéralKelly,estprésent,maispasleconseillerstratégiqueduprésident,SteveBannon.Trumpsemontregrincheuxausujetduvoyagededix-septjoursquil’attend,etagacéqueses parties de golf soientmoquées par lesmédias.Désormais, il part donc en« déplacement professionnel » – autre exemple de sa vanité qui suscitehaussements d’épaules et hochements de tête de l’équipe chargée de sonagenda : ilsdoivent fairepasserpourdu travail les immensesplagesde tempslibéréespourlegolf.

Enl’absenceduprésident,laWestWingdoitêtrerénovée–Trump,àlafoishôtelieretdécorateur,sedit«dégoûté»parsonétat.Ilrefusedes’installerdanslebâtimenttoutprocheduBureauexécutifoùseraienttemporairementgéréeslesaffaires de laWestWing –et où SteveBannon est assis, attendant son appelpourserendreàBedminster.

Bannonrépètequ’ilestsurlepointdepartiràBedminster,maisl’invitationtarde.S’attribuantlemérited’avoirfaitvenirKellyaugouvernement,iln’estpassûrdecequepensedeluilenouveauchefdecabinet.Ildemandeàd’autressiKellyl’apprécie.Plusgénéralement,ilnesaitpastropcequefaitKelly,hormisson devoir. Où est la place du nouveau chef de cabinet dans l’univers deTrump?

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SiKelly se situe quelque part au centre droit du spectre politique et s’estrévéléunhommedemaincoriacesurlapolitiquedel’immigrationàlaSécuritéintérieure,iln’estcertainementpasaussiextrémistequeBannonouTrump.«Cen’estpasunpur et dur», ditBannon avec regrets.Cependant,Kelly n’est, enaucunefaçon,prochedesprogressistesnew-yorkaisdelaMaisonBlanche.Maisla politique n’était pas de son ressort. À la tête de la Sécurité intérieure, il aregardéavecdégoût lechaosà laMaisonBlancheet songéàdémissionner.Àprésent, il a accepté d’essayer de lemater.À 67 ans, il est déterminé, sévère,sérieux.«Ça lui arrivede sourire ?»demandeTrump,pensantdéjàavoir étérouléenlenommant.

Certainspro-Trump,enparticulier lesplusproches,pensentqu’il s’est faitmanipulerpours’êtresoumisd’unefaçonsipeutrumpienne.RogerStone, l’undeceuxdontlesappelsauprésidentsontàprésentfiltrésparlechefdecabinet,propage la rumeur sinistre selon laquelle Mattis, McMaster et Kelly se sontentendus pour qu’aucune interventionmilitaire n’ait lieu sans leur accord – etqu’au moins l’un d’eux soit toujours présent à Washington en l’absence desautres.

Après le renvoi de Scaramucci, la famille de Trump et Steve Bannonconstituent les deux problèmes urgents de Kelly, à l’ordre du jour deBedminster.Lesunsoul’autredoiventclairementpartir.Voirelesdeux.

Pour un chef de cabinet dont la fonction est d’établir un processus decommandementetdefairerespecterlahiérarchie–orienteruncanaldécisionnelvers le Président – il n’est pas évident qu’il puisse travailler efficacement oumêmeexisterdansuneMaisonBlancheoùlesenfantsduprésidentbénéficientd’unaccèsparticulieretd’uneinfluencedéterminante.

Si la fille et le gendre de Trump affichent désormais un respect serviledevant les responsables du nouveau commandement, ils vont sûrement, parhabitudeetcaractère,foulerauxpiedssoncontrôledelaWestWing.Ilsontnonseulement une influence particulière sur le Président, mais ses collaborateursimportants les considèrent puissants – ils sont les personnages clés del’avancementetdupouvoirdanslaWestWing.

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Curieusement,malgré leur inexpérience, Jared et Ivanka sont devenus uneprésenceredoutable,craintsparlesautrescommeeux-mêmescraignentBannon.Quiplusest,ilssontdouéspourlesluttesintestinesetlesfuites–ayantaccèsauprésidentetàdescanauxsecrets–mêmesi,offusqués,ilsosentaffirmerqu’ilsn’ontjamaisriendivulgué.«Commeilsontfabriquéetprotégéleurimage,dèsqu’ilsentendentquelqu’unparlerd’euxoutenterdepercercettefaçade,ilssontcontrariésetcherchentàsevenger»,ditunmembredel’état-major.

D’un autre côté, si « les enfants » peuvent rendre le travail de Kellyimpossible,garderBannonn’apasnonplusbeaucoupdesens.Quelsquesoientses talents, c’est un comploteur invétéré et mécontent, qui agit de façoninsidieuse dans n’importe quelle organisation. Et, alors que débute la pause àBedminster – de travail ou non –, Bannon figure une fois de plus sur la listenoireduprésident.

TrumpfulminetoujoursàcausedeTheDevil’sBargain, le livredeJoshuaGreenattribuantàBannontoutleméritedesonélection.EtsilePrésidenttendàserangerducôtédeBannoncontreMcMaster,lacampagnededéfensedecelui-ci,soutenueparJaredetIvanka,faitsoneffet.Murdoch,recrutéparJaredpourdéfendreMcMaster,faitpressionsurleprésidentpourqu’ilrenvoieBannon.Lespro-Bannon sentent qu’ils doivent le protéger d’une décision impulsive duprésident:pourl’instant,ilscalomnientMcMasterausujetd’IsraëletpersuadentSheldonAdelsondefairepressionsurTrump–cedernierditauprésidentqueBannonestlaseulepersonneenquiilaconfianceàproposd’IsraëlàlaMaisonBlanche.Lesmilliardsd’AdelsonetsacruautéimpressionnenttoujoursTrump,etsonappui,estimeBannon,consolidesaposition.

Maisau-delàdesagestiondudysfonctionnementdelaWestWing,lesuccèsde Kelly – ou sa pertinence, comme lui glisse à l’oreille toute personne enpositiondeluidonnerunavis–dépenddesacapacitéàreleverledéficrucialdesonposte:contrôlerTrump.Ouplutôt,réussiràvivresanslegérer.Sesdésirs,besoinsetpulsionsdoiventexister–nécessairementexister–horsdelastructurehiérarchique. Trump constitue la seule variable qui ne peut, en termes demanagement,êtrecontrôlée.C’estunenfantde2ansrécalcitrant.Sivoustentez

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deluidirequoifaire,vousobtiendrezl’effetinverse.Encela,lechefdoitdoncfermementgérersespropresattentes.

Lors d’une réunion matinale avec le Président, le général Kelly parle deJaredetIvanka:commentlePrésidentvoitleurrôleetsonévolutionetcequi,selonlui,fonctionneounefonctionnepasàleursujet–unefaçond’aborderleurdépart.EtKellyapprendvitequelePrésidentestravidetoutcequ’ilsfontdansla West Wing. Jared deviendra peut-être secrétaire d’État – c’est le seulchangement qu’il envisage.Ainsi,Kelly ne peut que lui faire admettre que lecoupledoitmieuxrespecterladisciplineetnepaspasserdevantlesautres.

C’est au moins quelque chose que le général pourrait tenter de fairerespecter.Lorsd’undîneràBedminsterentrelePrésident,safilleetsongendre,ilssontsurprisdevoirKellylesrejoindreàtable.Ilscomprennentvitequ’ilnetentepasde faireplusampleconnaissance,ouqu’il semontre trop familier. Ilmetenapplicationlesrègles:JaredetIvankadoiventpasserparluipourparlerauprésident.

Mais Trump a bien souligné que le rôle de ses enfants dans sonadministrationn’abesoinqued’unajustementmineur,cequiposeunproblèmemajeuràBannon.CedernieravraimentcruqueKellyallait trouverunmoyende renvoyer Jarvanka au bercail. C’était obligé. Bannon s’est alors convaincuqu’ils représentent le plus gros danger pour Trump. Ils le mènent à sa perte.AinsiBannonpense-t-ilqueleprésidentnepeutpasresteràlaMaisonBlanches’ilsyrestent.

Au-delàdel’irritationdeTrumpenversBannon,vueparbeaucoupcommesonressentimenthabituel,lespro-Bannonsententqueleurchefprendledessus,aumoinssurleprincipe.Jarvankaestmarginalisé;aprèslaréformedelasanté,le Parti républicain se retrouve discrédité ; la réforme fiscale de Cohn etMnuchinestungâchis.Àcôté,l’avenirdeBannonsemblepresquerose.

SamNunberg,l’ancienalliédeTrumppassédanslecampdeBannon,pensequecederniervaresterdeuxansàlaMaisonBlancheavantdes’occuperdelacampagnederéélectionduprésident.«Sionpeutfaireélirecetidiotdeuxfois»,s’émerveilleNunberg,onpeutobtenirunesorted’immortalitépolitique.

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Parailleurs,Bannonnepeutpasresterenposte.Ayantprisdelahauteur,ilestmaintenantcapablede réaliseràquelpoint laMaisonBlancheestdevenueridicule.Iladumalàtenirsalangue–d’ailleurs,ilnelatientpas.Iln’arrivepasàenvisager l’avenirde l’administrationTrump.Etsidenombreuxpro-BannonsoutiennentqueJarvankaestinutileetinefficace–uncouplejustebonàignorer,luidisent-ils–,Bannon,avecuneférocitécroissante,lesupportechaquejourunpeumoins.

Toujours dans l’attente de l’appel du président l’invitant à Bedminster, ildécide de forcer les choses et propose sa démission à Kelly – une tactiqued’intimidation car il souhaite bien rester. D’un autre côté, il veut voir partirJarvanka,c’estdoncunultimatum.

Lors du déjeuner, le 8 août, au club-house deBedminster – aumilieudeslustres, des trophées de golf et des souvenirs de tournois –, le Président estflanqué de Tom Price, secrétaire à la Santé et aux Services sociaux, et de safemme,Melania.KellyanneConwayestprésente,ainsiqueKushneretplusieursautres. C’est l’un des événements « de travail » : pendant le repas, unediscussion s’engage sur l’épidémie des opioïdes, suivie d’une déclaration duprésident et d’une brève série de questions de la presse. Lisant sa déclarationd’untonmonotone,Trump,accoudé,gardelatêtebaissée.

Aprèsdesquestionsbanalessurlesopiacés,unjournalisteenposeunesurlaCoréeduNord.Soudain,aprèsunarrêtsurimage,Trumps’anime.

LaCoréeduNord,pense-t-il,estunproblèmecomplexesur lequelpeuderéponsesontétéapportées,créépardesesprits inférieursetfaibles–et iladumal à y prêter attention. De plus, il a personnalisé son antagonisme avec ledirigeantnord-coréen,KimJong-un,qu’ilinsultefréquemment.

Sonentouragenel’apaspréparéàcettequestion,maissoulagédes’écarterdeladiscussionsurlesopiacés,etsatisfaitd’aborderceproblèmepersistant, ils’aventure,pardesproposqu’ilasouventrépétésenprivé–ilserépètesouventpourtout–auborddugouffred’unecriseinternationale.

«LaCoréeduNordferaitbiendecesserdemenacerlesÉtats-Unis.Elleseheurteraaufeuetàlafureur,àundegréquelemonden’ajamaisvu.Elleaété

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trèsmenaçante,au-delàdecequiestnormaletj’aidit,laCoréeaffronteralefeu,la fureur et franchement à une puissance telle que lemonde n’en a jamais vuauparavant.Merci.»

LaCoréeduNord,problèmeque lePrésidentauraitdûminimiser, commeon le lui a conseillé, devient un thème central pendant le reste de la semaine.L’état-major estmoinspréoccupépar le sujet lui-mêmequepar la réactiondeTrumpquimenace«d’exploser»ànouveau.

Dans ce contexte, presque personne ne prête attention à Richard Spencer,soutien de Trump et le militant d’extrême droite qui annonce l’organisationd’une manifestation à l’université de Virginie, à Charlottesville, contre ledéboulonnagede la statuedeRobertE.Lee.«Unite theRight1 », thèmed’unrassemblementlesamedi12août,estclairementconçupourlierlapolitiquedeTrumpaunationalismeblanc.

Le11août,alorsqu’àBedminster lePrésidentmenaceencore laCoréeduNord–etévoque,defaçoninexplicable,uneinterventionarméeauVenezuela–,Spencerappelleàmanifesterlesoir.

À20h45,environ250jeuneshommesenpolosetpantalonsdetoile,stylevestimentairetrès trumpien,organisentundéfilésur lecampusuniversitaireenportant des torches de jardin. L’encadrement, équipé de casques à écouteurs,gère les manifestants. À son signal, ils commencent à scander les slogansofficiels dumouvement : «Le sang et le sol ! » «Vous ne nous remplacerezpas!»«Lesjuifsnenousremplacerontpas!»Bientôt,aucentreducampus,prèsd’une statuedu fondateurde l’université,Thomas Jefferson, legroupedeSpencer se retrouve face à une contre-manifestation. Sans véritable présencepolicière,c’estlepremieraffrontementduweek-end,avecdesblessés.

Lelendemainmatin,à8heures,leparcprèsdelastatuedeLeedevientunchamp de bataille avec déferlement de racistes blancs armés de matraques,boucliers, gaz lacrymogène et fusils automatiques (laVirginie autorise le portd’armes en public) – un mouvement issu de la campagne et de l’élection deTrump, commeRichardSpencerveutendonner l’impression.Faceàeux,unegauche militante et endurcie appelle à résister. Malgré le nombre limité de

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participants, la scène ressemble à la findes temps.Une sériede charges etderipostesalieudurantlamatinée–uncombatàcoupsdepierresetdebouteilles,àcôtéd’unepolicequin’intervientpas.

LesévénementsquiontlieuàCharlottesvillefontpeudebruitàBedminster.Puisvers13heures,JamesAlexFieldsJr.,nazienpuissancede20ans,fonceàborddesaDodgeChargerdansungroupedecontre-manifestants,tuantHeatherHeyer(32ans)etblessantplusieurspersonnes.

Dansuntweetrédigéàlahâteparsonéquipe,lePrésidentdéclare:«NousdevonsTOUSêtreunisetcondamnercequecettehainereprésente.Iln’yapasdeplacepourcetypedeviolenceenAmérique.Unissons-nous!»

Malgré tout, il s’agit d’une journée ordinaire pour le président :Charlottesville représente une simple distraction et l’état-major tente dedétourner Trump de la Corée du Nord. Ce jour-là, l’événement principal àBedminster est la signature d’une loi sur le financement d’un programmepermettant aux anciens combattants d’être soignés en dehors d’hôpitauxspécifiques. La cérémonie a lieu dans une grande salle de réception du club-house,deuxheuresaprèsl’attaqued’AlexField.

Durantlasignature,Trumpprenduninstantpourcondamner la«haine, lesectarisme et la violence de tous les côtés » à Charlottesville. Aussitôt, il estattaquépourson refusapparentdedifférencier les racistesconfirméset l’autrecamp. Comme l’a bien compris Richard Spencer, les sympathies du présidentsontambiguës.

Mêmes’ilestsimpleetévidentdecondamnerlesracistesblancs–voiredesnéonazisautoproclamés–,ilrésisteinstinctivement.

IlfautattendrelelendemainmatinpourquelaMaisonBlanchetenteenfindeclarifierlapositiondeTrumpparuncommuniquéofficiel:«LePrésidentadit très fermement hier dans sa déclaration qu’il condamne toutes formes deviolence, de sectarisme et de haine. Bien sûr, cela inclut les suprémacistesblancs,leKKK,lesnéonaziset touslesgroupesextrémistes.Ilaappelédesesvœuxàl’uniténationaleetaurassemblementdetouslesAméricains.»

Maisenfait,iln’apascondamnélessuprémacistesblancs,leKuKluxKlanetlesnéonazis,ets’entêteànepaslefaire.

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Lors d’un coup de fil àBannon, Trump cherche de l’aide pour étayer sesarguments :«Oùcelava finir ?Vont-ilsabattre leWashingtonMonument, leMontRushmoreetMountVernon?»Bannon–attendanttoujourssoninvitationpourBedminster–luiconseilledecondamnerlaviolenceetlesasociaux,toutendéfendantl’histoire(malgrélepeudeculturedeTrump).Soulignerleproblèmeprécisdesmonumentsagaceraitlagaucheetréconforteraitladroite.

Mais Jared et Ivanka, épaulés par Kelly, lui recommandent une conduiteprésidentielle.TrumpdoitrentreràlaMaisonBlancheetcritiquervivementlesgroupeshaineuxetlesracistes–legenredepositionsansambiguïtéqueTrumpneprendrapasdesonpleingré,selonleraisonnementdeRichardSpencer.

ComprenantcestendanceschezTrump,BannonfaitpressionsurKelly, luidisantquel’approchedeJarvankaaural’effetinverse:sonmanquedesincéritéseraitévident,dit-il.

Peuavant11heures,lundimatin,lePrésidentarriveàlaMaisonBlancheentravaux, sous une avalanche de questions à propos de Charlottesville :«Condamnez-vous lesactionsdesnéonazis?Condamnez-vous lesactionsdessuprémacistesblancs ? »Uneheureetdemieplustard,ilsetientdanslesalonderéceptiondesdiplomates,lesyeuxrivéssurleprompteur,etfaitunedéclarationdesixminutes.

Maisilnevientpastoutdesuiteàl’essentiel:«Notreéconomieestforteàprésent.LaBourse continuede battre des records, le chômage est au plus basdepuis seize ans, et les entreprises sont plus optimistes que jamais. Ellesregagnent les États-Unis et amènent des miliers d’emplois avec elles. Nousavonsdéjàcrééplusd’unmilliond’emploisdepuismaprisedefonctions.»

Puis,seulement:«Nousdevonsnousaimerlesunslesautres,nousmontrerde l’affection et nous unir pour condamner la haine, le sectarisme et laviolence…Nous devons redécouvrir les liens de l’amour et de la loyauté quinous unissent en tant qu’Américains… Le racisme, c’est le mal. Et ceux quicausent laviolenceensonnomsontdescriminelsetdesvoyous,ycompris leKKK, les néonazis, les suprémacistes blancs et tout autre groupe haineux quisontrépugnantsfaceàtoutcequinousestcherentantqu’Américains. »

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Il s’incline, avec réticence, en une sorte de nouveau rétro-pédalage aprèscelui qui concernait le lieu de naissance d’Obama durant la campagne :beaucoup de faux-fuyants, puis une admission marmonnée. En tentant des’aligner sur la ligne du parti à Charlottesville, il donne l’image d’un gaminconvoquédanslebureaududirecteur.Ameretirascible,illitclairementuntextequin’estpaslesien.

D’ailleurs,peudegensaccordentfoiàcesremarquesaustyleprésidentieletles journalisteshurlent :pourquoi luia-t-il fallu tantde tempspouraborderceproblème?EnmontantàborddeMarineOnepour retournerà l’AndrewsAirForceBase,puisàJFK,ManhattanetlaTrumpTower,lePrésidentestd’humeursombreetrésignée.Enprivé,il tentedetrouveruneexplicationlogiqueaufaitd’êtremembreduKKK–onpeutnepasvraimentcroireauxidéesduKKKquin’asansdoutepluslesmêmesconvictionsquedanslepassé,maisd’ailleursquisait ce que pense le KKK aujourd’hui ? En fait, dit-il, son père a été accuséd’êtreimpliquédansleKKK–faux.(Enréalité,oui,c’estvrai.)

Lelendemain,mardi15août,laMaisonBlancheaprévuuneconférencedepresseàlaTrumpTower.BannondemandeàKellydel’annuler.Elleestinutilede toute façon puisqu’elle doit traiter d’infrastructure – de l’annulation d’unarrêtésurl’environnement,cequipouvaitpermettred’accélérercertainsprojets.Maisc’estsurtoutunmoyendemontrerqueTrumptravaille,qu’iln’estpasenvacances. Pourquoi s’en soucier alors ? De plus, Bannon dit à Kelly qu’ilremarquecertainssignes : lapressionde lacocotte-minuteTrumpaugmenteetellevaexplosersouspeu.

Laconférencedepresseafinalementlieu.Derrièrelepupitre,danslehalldelaTrumpTower,lePrésidentrestequelquesminutesdanslesclous.

Surladéfensive,ilsepositionnedetellefaçonquelafautesetrouvedetouscôtés,etils’enferredanssonexplication.Ilcontinuesanspouvoiraccordersesémotionsàlasituationpolitiquedumoment,etsansmêmefaireuneffortpoursesauver lui-même – un exemple de plus, dans une longue série, de l’hommepolitiquepersonnaged’unfilmd’humourabsurdequidittoutcequiluipasseparlatête.Sansfiltre.Prochedelafolie.

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« Et l’extrême gauche qui a chargé l’extrême droite, comme vous dites ?N’a-t-elle pas une part de culpabilité ? Et que dire du fait qu’elle a chargématraques à lamain ? En ce quime concerne, ça a été une journée horrible,horrible…Jepensequ’ilyades tortsdesdeuxcôtés. Jen’aipasdedoute là-dessus,vousn’enavezpasnonplus.Sivous rapportiez les faitscorrectement,vousleverriez.»

Attendant toujours dans son bureau temporaire, Steve Bannon se dit, oh,monDieu,ilyva.Jel’avaisbiendit.

En dehors de la partie de l’électorat qui, comme l’a affirmé Trump, lelaisserait tirer sur quelqu’un dans la 5e Avenue, le monde civilisé est assezuniversellement atterré. Toute personne ayant un poste à responsabilité et unattachement à une idée de respectabilité de l’establishment se doit de ledésavouer. Les directeurs généraux d’entreprises qui s’étaient associés à laMaison Blanche de Trump doivent désormais couper les liens. Le problèmeprincipal ne porte pas sur ses sentiments apparemment rétrogrades – BannonaffirmequeTrumpn’estpasantisémite;pourlereste,iln’estpassûr–,maissurlefaitqu’ilnepeutpassecontrôler.

Aprèscetteconférencedepressedésastreuse,lesregardssetournentsoudainvers Kelly. C’est son baptême du feu avec Trump. Spicer, Priebus, Cohn,Powell, Bannon, Tillerson,Mattis,Mnuchin – l’état-major et le cabinet de laprésidenceTrump,passésetprésents,onttraversédesmomentsd’incertitude,dedéfi,defrustration,decombat,d’autojustificationetdedoute,avantderéaliserque,vraisemblablement,l’hommepourlequelilstravaillent–etqu’ilsontaidéàfaireélire–nepossèdepaslesressourcesnécessairespourassurersesfonctionsdemanièreadéquate.Aujourd’hui, aprèsmoinsdedeuxsemainesà sonposte,c’estautourdeKellyd’êtreaubordduprécipice.

Ledébat,selonBannon,n’estpasdedétermineràquelpointlasituationduprésident estmauvaise,mais de savoir si elle est suffisammentmauvaise pourreleverdu25eamendement2.

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Pour Bannon, sinon pour Trump, le pivot du trumpisme c’est la Chine.L’histoiredelaprochainegénération,croit-il,estécriteetelledevrafairefaceàuneguerreaveclaChine.Uneguerrecommerciale,culturelle,diplomatique–unconflitglobaldoitêtremenéalorsquepresquepersonneenAmériquen’estprêtàsebattre.

Bannonavaitcompiléunelistede«fauconsdelaChine»quifranchissentleslignespolitiques,allantdugangdeBreitbartàl’ancienrédacteurenchefduNew Republic Peter Beinart – qui n’avait que mépris pour Bannon – et auprogressiste et loyal Robert Kuttner, à la tête du petit magazine AmericanProspect. Mercredi 16 août, au lendemain de la conférence de presse duprésident à la Trump Tower, Bannon, dans son bureau temporaire, appelleKuttnerdefaçoninattenduepourparlerdelaChine.

Bannon est alors convaincu qu’il va quitter laMaisonBlanche. Il n’a pasreçud’invitationàrejoindrelePrésidentàBedminster,signequesacoteestendéclin.Cejour-là,ilapprendlanominationd’HopeHicksaupostededirectricede lacommunication temporaire–unevictoirede Jarvanka.Lesmurmuresducamp de Jarvanka continuent à annoncer sa mort certaine, et ces murmuresdeviennentunbruitdefondconstant.

Bannon n’est toujours pas sûr d’être renvoyé. Pourtant, il appelleKuttnerpouraccordersadeuxième interviewdepuis lavictoiredeTrumpet,de fait, ilscellesonpropresort.S’ilaffirmeensuiteque laconversationn’étaitpas«ontherecord»,c’estsaméthode–Bannontentesimplementlesort.

Trump a désespérément fait du Trump lors de sa dernière conférence depresse,etBannonfaitduBannonendiscutantavecKuttner.Iltentedevenirausecoursd’unTrumpqu’ilfaitpasserpourfaiblefaceàlaChine.Ilcorrige,surletondelamoquerie,l’esbroufeduPrésidentsurlaCoréeduNord–«dixmillionsde personnes à Séoul » vont mourir, déclare-t-il. Et il insulte ses ennemisinternes–«Ilssepissentdessus.»

SiTrumpestincapabled’avoirl’aird’unprésident,Bannonluiressemble:ilestincapabled’avoirl’aird’unconseillerprésidentiel.

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Cesoir-là,ungroupepro-Bannonse rassembleprèsde laMaisonBlanchepourdîner aubarde l’hôtelHay-Adams.MaisArthurSchwartz, un chargé derelationspubliques,aunealtercationavecunbarmanqui refusedechangerdechaîne pour se brancher sur Fox où son client, Stephen Schwarzman de labanqueBlackstone,directeurd’undesconseilséconomiquesduprésident,doitparler.LeConseiléconomiqueperdsesmembreslesunsaprèslesautresdepuisla conférence de presse sur Charlottesville, et Trump, dans un tweet, avaitannoncésadissolution.(VoyantleConseilsevider,Schwarzmanavaitproposéauprésidentdeprétendre,aumoins,dedéciderd’ymettrefin.)

Offensé, Schwartz annonce qu’il quitte le Hay-Adams pour s’installer auTrumpHotel.IlinsisteégalementpourqueledîneraitlieuchezJoe’s,antennedurestaurantJoe’sStoneCrabdeMiami.MatthewBoyle,duservicepolitiquedeBreitbartNews,prisdansletourbillondudépartacrimonieuxdeSchwartz,sevoithouspillerpouravoiralluméunecigarette.«Jeneconnaisaucunfumeur»,grimace-t-il. Bien que Schwartz soit bien dans le camp de Bannon, cetteremarque sous-entend que les employés de Breitbart n’ont, selon lui, aucuneclasse.

Ces deux pro-Bannon débatent des conséquences de l’interview duconseillerstratégique,quiapristoutlemondeaudépourvu.Nil’unnil’autrenecomprendpourquoiill’aaccordée.

Bannonest-ilfini?Non,non,non,argumenteSchwartz. Il l’apeut-être étéquelques semaines

plustôt,quandMurdochs’estliguéavecMcMaster,allantvoirlePrésidentpourl’inciteràrenvoyerBannon.MaisSheldonatoutarrangé,ditSchwartz.

«Steveest resté chez luiquandAbbasestvenu,poursuit-il. Il n’allaitpasrespirerlemêmeairqu’unterroriste.»C’estprécisémentlaphrasequeSchwartzservira aux journalistes les jours suivants, soulignant ainsi les convictions dedroitedeBannon.

Alexandra Preate, bras droit de Bannon, arrive essouflée chezJoe’s. Quelques secondes plus tard, Jason Miller, autre chargé de relationspubliquesdanslecampdeBannon,lesrejoint.Pendantlatransition,Milleravaitétéenvisagécommedirecteurdelacommunication,maisilavaiteuuneliaison

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avecunepersonnedel’équipe,quiétaitenceintedelui–aumêmemomentquela femmedeMiller.Ayant perdu son poste promis à laMaisonBlanchemaiscontinuantàagirentantquevoixdeTrumpetdeBannonà l’extérieur,Milleraffronte aujourd’hui, depuis la naissance de ses enfants de deux femmesdifférentes, une nouvelle vague d’articles de presse négatifs. Pourtant, il estconcentré, à la limite de l’obsession, sur la signification de l’interview deBannon.

Àprésent,latablebourdonnedespéculations.Commentleprésidentréagira-t-il?

CommentKellyréagira-t-il?Est-celafin?Pour les proches de Bannon, qui le côtoient en permanence, il semble

incroyablequepersonnenecomprenneque,forcéounon,ilvasûrementquitterla Maison Blanche. Au contraire, l’interview préjudiciable s’est, de l’avisgénéral,convertieenstratégiedegénie.Bannonnevapaspartir–d’autantquesanslui,Trumpn’existepas.

Le dîner est très animé, une bonne occasion de réunir un groupe de genspassionnés attachés à un homme considéré comme le personnage le plusfascinantdeWashington.Ilestvucommeunirréductible:BannonestBannon,unpointc’esttout.

Aucoursdelasoirée,MattBoylesebatparSMSinterposésavecJonathanSwan, journaliste accrédité à laMaisonBlanche auteur d’un article annonçantqueBannonvaperdreleduelcontreMcMaster.Trèsvite,touslesreportersdelavilleayantunbonréseauéchangentdesmessagesavecundesconvives.QuandunSMSarrive, ledestinatairebranditsontéléphonesi lenomquis’afficheestcelui d’un journaliste important. À un moment, Bannon envoie un SMS àSchwartz avec quelques points à débattre. Est-ce seulement un jour ordinairedansundrametrumpiensansfin?

Schwartz,quial’airdeconsidérerlastupiditédeTrumpcommeunedonnéepolitique de base, offre une analyse vigoureuse sur la raison pour laquelle lePrésident ne peut pas se passer de Bannon. Puis, cherchant des preuvessupplémentaires pour alimenter sa théorie, il envoie un SMS à SamNunberg,

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considérécommel’hommecomprenantlemieuxleslubiesetlesimpulsionsdeTrump, etqui avait sagementprédit la surviedeBannonàchaquemomentdedouteaucoursdesderniersmois.

«Nunbergsaittoujours»,ditSchwartz.Quelquessecondesplustard,Schwartzrelevelatête.Ilécarquillelesyeux,

restesilencieuxuninstant.Puis,illance:«NunbergditqueBannonestmort.»Eteneffet,àl’insudesespartisans,mêmelesplusproches,Bannonesten

train de finaliser sa sortie avec Kelly. Le lendemain, il démenagera son petitbureau et, le lundi, quand Trump regagnera dans la West Wing renovée –peinturesrefaites,nouveauxmeublesettapis,décorationdansl’espritduTrumpHotel – Steve Bannon sera de retour à l’ambassade Breitbart, à Capitol Hill,toujourssûrd’êtrelegrandstratègedelarévolutionTrump.

1. «Unirladroite».

2. Amendementdéfinissantleprocessusdedestitutionduprésident.

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Épilogue

BannonetTrump

Par unematinée étouffante d’octobre 2017, l’homme qui a plus oumoinsseulprovoquéleretraitaméricaindel’accorddeParissurleclimat,setientsurlesmarchesdel’hôtelparticulierdeBreitbartets’exclame,avecunrirefranc:«Jesupposequeleréchauffementclimatiqueestbienréel.»

SteveBannonaperdudixkilosdepuissondépartdelaMaisonBlanche,sixsemainesplustôt–ilfaitunrégimeàbasedesushis.«Cebâtiment,ditsonamiDavidBossie,àproposde laMaisonBlancheetenparticuliercelledeTrump,prenddesgensenparfaitesantéetlesrenvoievieuxetmalades.»MaisBannon,décritparBossiecommeàboutdeforcesdurantsesderniersjoursdanslaWestWing,estànouveau,«enpleineforme».Ilaquittésonstudiod’Arlingtonpourrevenir à l’ambassade Breitbart transformée en quartier général pour laprochaineétapedumouvementTrump,quipourraitbiennepas inclureTrumplui-même.

Interrogésur lamainmisedeTrumpsur lemouvementnational-populiste,Bannon annonce un changement significatif dans le paysage politiqueaméricain:«Jesuisleleaderdumouvementnational-populiste.»

LafanfaronnadeetlanouvelledéterminationdeBannonviennentdufaitqueTrump, sans raison évidente, soutient Mitch McConnell, le candidat del’establishmentplutôtquelepopuliste,auxprimairesrépublicainesenAlabama,pourlesiègeauSénatlaissévacantparleProcureurgénéralJeffSessions.Après

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tout, McConnell et le Président se parlent à peine. Durant les « vacancesstudieuses » du Président à Bedminster, en août, ses collaborateurs ont tentéd’organiser une réunion de réconcialition avec McConnell, celui-ci a faitrépondrequec’étaitimpossible:ilavaitrendez-vouschezlecoiffeur.

Le Président – blessé et troublé par son incapacité à s’entendre avec lesdirigeants du Congrès et réciproquement – se déclare en faveur de LutherStrange,soutenuparMcConnell,quiseprésentecontrelecandidatdeBannon,le fauteur de troubles RoyMoore. (Même pour l’Alabama,Moore se situe àl’extrêmedroite:ilaperdusonpostedeprésidentdelaCoursuprêmedel’ÉtatenrefusantderetirerunmonumentdédiéauxDixCommandementssituédevantletribunal,malgréunedécisiondecettemêmeCour.)

PourBannon, le raisonnement politique deTrump est, aumieux, obtus. Iln’obtiendrasansdouteriendeMcConnell–etn’ariendemandéenéchangedesonsoutienàLutherStrange,annoncédansun tweetenaoût.Si lesespoirsdeStrangesontfaibles,ilrisqueenoutreunedéfaitehumiliante.RoyMooreestlecandidatévidentdelabasedeTrump–etc’estceluideBannon.Ils’agitdoncd’une compétition : Trump contre Bannon. En fait, le Président n’a pas àexprimerdesoutien.Personneneseseraitplaints’ilétaitresténeutredansuneprimaire.Ous’ilavaittacitementsoutenuStrange,sansenrajouteràlongueurdetweets.

PourBannon,cetépisodesoulignemoins laconfusionétrangeetconstantedu président à propos de ce qu’il représente, que ses motivations versatiles,excessivesetsouventfarfelues.Contretoutelogiquepolitique,ilsoutientLutherStrange,parceque,confie-t-ilàBannon,«Lutherestmonami».

«Iladitçacommeunenfantde9ans»,raconteBannonavecrépugnance,soulignantqu’iln’yaaucundomainedanslequelTrumpetStrangesemontrentamis.

Pourlesmembresdel’état-majordelaMaisonBlanche,ceserauneénigmesansfindansleurgestionduprésident:le«pourquoi»desaconduitesouventdéroutante.

«Fondamentalement,leprésidentveutêtreaimé,analyseKatieWalsh.Ilafondamentalementtantbesoind’êtreaiméquec’esttoujours…toutestunelutte

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pourlui.»Ce qui se traduit par un besoin permanent de gagner quelque chose –

n’importequoi.Toutaussiessentiel:ildoitavoirl’aird’ungagnant.Biensûr,tenterdegagnersansconsidération,planouobjectifsclairs,n’aentraînéquedespertes au cours des neuf premiers mois de l’administration. En même temps,confondanttoutelogiquepolitique,cemanquedestratégie,cetteimpulsivité,ceplaisir apparent de l’affrontement, ont contribué à créer cette turbulence quisemble,pourbeaucoup,joyeusementpulvériserlestatuquo.

Mais à présent, Bannon pense que l’attrait pour la nouveauté s’émousseenfin.

Selonlui,lacourseentreStrangeetMooreamislecultedelapersonnalitédeTrump à l’épreuve. Le Président continue à croire que les gens le suivent,qu’il incarne le mouvement – et que son soutien vaut 8 à 10 points dansn’importequelleélection.Bannonadécidédemettrecettethèseàl’épreuve,etde le faire le plus spectaculairement possible. Globalement, les leaders de lamajorité républicaine au Sénat et d’autres ont dépensé 32 millions de dollarspourlacampagnedeStrange,tandisquecelledeMooreacoûté2millions.

BienqueconscientduretarddeStrangedans lessondages,Trumpaccepted’intensifiersonsoutienetdesedéplacer.MaissonapparitionàHuntsville,enAlabama, le 22 septembre, devant une foule énorme, est un coup de grâcepolitique. Il prononce un vrai discours à la mode Trump : quatre-vingt-dixminutes de digressions et d’improvisation – lemur sera construit (et seratransparent), l’interférence des Russes dans l’élection américaine est unmensonge,ilrenverratousceuxquisoutiennentMooredanssoncabinet.Maissisa base se déplace enmasse, toujours attirée par la nouveauté que représenteTrump,sonsoutienàLutherStrangesuscite,aumieux,unsilencegêné.Alorsquelafoulecommenceàs’agiter,lerassemblementmenacedesetransformerenuneffroyableembarras.

Comprenantsonpublicetcherchantdésespérémentuneissue,TrumpévoquesoudainColinKaepernick qui s’est agenouillé pendant l’hymne américain lorsd’unmatchde laNationalFootballLeague–phrasequi lui vaut une standingovation.LePrésidentabandonnedoncLutherStrangepourlerestedudiscours.

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De la même manière, la semaine suivante, il continue d’attaquer la NFL. Etn’accorde pas la moindre attention à la défaite retentissante de Strange, cinqjours aprèsHuntsville. Peu importe la taille et l’échelle du rejet deTrump, letriomphedeMooreetdeBannonetson lotdenouvellesperturbationsàvenir,Trumpatrouvéunnouveausujet,etunbon:lefootballeuràgenoux.

TousceuxquiontintégrélaMaisonBlanchedeTrumpontcruàceprincipefondamental : ça peut marcher. Nous pouvons faire en sorte que ça marche.NeufmoisaprèsledébutdumandatdeTrump,iln’yaplusunmembredel’état-major qui y adhère encore. La plupart des hauts responsables pensent que laseuleutilitéàfairepartiedel’administrationTrump,c’estd’empêcherlepiredeseproduire.

Débutoctobre, le sortdu secrétaired’ÉtatRexTillersonest réglé– si sonambivalenceenverslePrésidentnel’avaitpasdéjàfait–aprèslarévélationqu’ilaqualifiéTrumpde«putaind’idiot».

Insulterl’intelligencedeTrumpestàlafoislachoseànepasfaire,etcelledont tout lemonde est coupable – ce qui suscite des éclats de rire au sein del’état-major.Chacun,àsafaçon,luttepourexprimercettecruelleévidencequele Président n’en sait pas assez, n’est pas conscient de son ignorance, ne s’ensoucie pas particulièrement et, en prime, manifeste confiance et sérénité àl’égarddesescertitudesindiscutées.Àprésent,toutlemonderitàproposdequiatraitéTrumpdequoi.PourSteveMnuchinetReincePriebus,c’estun«idiot».PourGaryCohn,ilestune«pauvremerde».HerbertR.McMasterletraitede«crétin.»Etlalisteestlongue.

Tillerson ne deviendra qu’un subalterne de plus à penser que ses proprescapacités intellectuelles peuvent, d’une certaine façon, compenser lesdéfaillancesdeTrump.

Les trois généraux, Mattis, McMasters et Kelly, s’alignent sur Tillerson,estimant représenter la maturité, la stabilité, la maîtrise. Et chacun, bien sûr,agace Trump pour cette raison. L’idée que l’un de ces hommes soit plusconcentréetplacidequeluiprovoquechezlePrésidentbouderiesetcolères.

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Chaque jour, lesmembresde l’état-major,encoreprésentsoudéjàpartis– qui ne croient plus en l’avenir deTillersondans l’administrationTrump – sedemandent combien de temps le général Kelly se maintiendra en poste. Onassisteàunesortedeconcoursdanslesbureaux,c’estàquilanceralesparis,etuneblague court selon laquelleReincePriebus battra sans doute un record dedurée en tant que chef de cabinet. L’aversion de Kelly pour le Président estconnue – il se montre condescendant envers lui dans tous ses gestes et sesparoles–etcelledeTrumppourlegénérall’estplusencore.LePrésidentaimedéfier Kelly devenu ce qu’il n’a jamais supporté : une figure paternelledésapprobatriceetsévère.

Personnen’aplusd’illusionsà laMaisonBlanche.L’antipathie stoïquedeKelly pour le président ne rivalise qu’avec son dédain pour sa famille –«Kushner, dit-il, est insubordonné ». La façon dont Cohn tourne en dérisionKushner et leprésident est encoreplus forte.En retour,Trump insulteCohn :l’ancien président de Goldman Sachs est désormais « un parfait idiot,complètement con ». En fait, Trump a aussi cessé de défendre sa famille, sedemandantquandils«allaientpigeretrentrerchezeux».

Mais bien sûr, il s’agit toujours de politique : ceux qui sont capables desurmonter la honte et l’incrédulité – et,malgré la grossièreté et l’absurdité deTrump, lui lécher les bottes et lui faire plaisir – peuvent obtenir un avantage.Maisc’estlecaspourpeud’entreeux.

Cependant, en octobre, l’équipe du président remarque l’une des raresopportunistes restantes, Nikki Haley, ambassadrice à l’Onu. Haley – « aussiambitieuse que Lucifer », d’après un membre de l’état-major – a conclu queTrumpallaitdurer,aumieux,unmandat,etqu’elle,aveclasoumissionrequise,pourraitêtresonhéritière.Haleys’estliéed’amitiéavecIvankaquil’aintroduitedanslecerclefamilialoùelleattirel’attentiondeTrump,etréciproquement.

Ilestdeplusenplusévidentpourl’équipechargéedelapolitiqueextérieureetdelaSécuriténationalequeHaleyestlapréféréedelafamillepourlepostedesecrétaire d’État après l’inévitable démission de Rex Tillerson. (Dans cetteréorganisation,DinaPowelllaremplaceraitàl’Onu.)

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LePrésidentapassébeaucoupdetempsavecHaleyàbordd’AirForceOneet il semble la préparer pour un avenir politique national.Haley, républicainetraditionnelle,avecuncôtémodéréprononcé–espècequalifiéederépublicainàla Jarvanka – est, c’est évident, formée à laméthode Trump. Le danger, ici,avanceuntrumpienconfirmé,c’estqu’«elleestbienplusintelligentequelui».

Cequel’onpeutvoir,avantmêmelafindelapremièreannéeduprésident,c’est qu’il existe à laMaisonBlanche une réelle vacance du pouvoir. Trump,dans sonéchecàdépasser le chaosquotidien,vit àpeinedans l’instant.Mais,commetoujoursenpolitique,larelèveseprépare.

Encesens,l’avenirdeTrumpetdesRépublicainsdépassedéjàcetteMaisonBlanche.OnobserveBannon,travaillantdel’extérieurettentantderécupérerlemouvementtrumpien;lamajoritérépublicaineauCongrès,essayantdebarrerlarouteautrumpisme–voiredeletuer;JohnMcCainfaisantdesonmieuxpourlemettre dans l’embarras ; et le bureau du procureur spécial poursuivant lePrésidentetsonentourage.

LesenjeuxsontclairspourBannon.Haley,figurepeutrumpienne,maisdeloinlaplusprochedeluiparmilesmembresdesoncabinet,peutavecquelquesruses et de l’intelligence inciter Trump à lui confier sa révolution. Redoutantl’emprise de Haley sur le président, le camp de Bannon – ce même matind’octobretropclémentoùils’esttenusurlesmarchesdusiègedeBreitbart–amis les bouchées doubles pour pousserMike Pompeo de la CIA au poste deTillerson.

Toutcelafaitpartiedel’étapesuivantedutrumpisme:leprotégerdeTrump.

LegénéralKelly tente consciencieusement d’éliminer le chaos de laWestWing.Ilacommencéparcompartimenterlessourcesetlanaturedecedésordre.Laprincipalesource,biensûr,cesont leséruptionsduprésident,queKellynepeut pas maîtriser et qu’il s’est résigné à accepter. Et la secondaire s’est engrandepartie apaisée avec les éliminationsdeBannon,Priebus,Scaramucci etSpicer,laissantlaWestWingcontrôléeparJarvanka.

Au bout de neuf mois, l’administration affronte un autre problème : ils’avère très difficile d’embaucher des hauts responsables ayant l’envergure de

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ceuxqui sont partis.Et la staturede ceuxqui restent semblediminuer chaquesemaine.

HopeHicks(28ans)etStephenMiller(32ans),quiontdébutéentravaillantsurlacampagne,sontàprésentlescollaborateurslesplusconfirmésàlaMaisonBlanche.Hicks est aux commandes des opérations de communication, MillerremplaceBannonentantqueconseillerstratégique.

Après le fiasco Scaramucci et le fait que le poste de directeur de lacommunicationestdifficileàpourvoir,Hicksdevientdirectrice«parinterim».Elle reçoit ce titre d’interim parce qu’il semble invraisemblable qu’elle soitqualifiéepourdirigerun servicedéjàmaltraité.Parailleurs, si elleobtenaitunpostepermanent,toutlemondepenseraitquelePrésidentenassurelui-mêmelagestion.Cependant,mi-septembre,letemporairesevoitdiscrètementconvertienpermanent.

Dans lemondedesmédiasetde lapolitique,Miller–queBannonappelle«madactylo»–devientunsujetcroissantd’incrédulité.Dèsqu’ilestenpublic,il se lance dans des accès déments, voire hystériques, de dénonciations et degriefs.Ilconçoit,defacto,politiquesetdiscours,alorsque,jusqu’àprésent,ilasurtoutécritsousladictée.

Mais le plus problématique c’est que Hicks etMiller, et tout le camp deJarvanka avec eux, sont maintenant liés aux actions concernées par l’enquêterusseetauxeffortspourlamanipuler,ladétourneroul’étouffer.MilleretHicksontrédigé–oudumoinstapé–,àBedminster,laversiondelalettredeKushnerlimogeantComey.HicksarejointKushneretsafemmeàbordd’AirForceOnepourécrire,sousladirectiondeTrump,lecommuniquédepresseausujetdelarencontredeDonJr.etKushneraveclesRussesàlaTrumpTower.

Ceproblèmeestdevenudéterminantpour l’équipede laMaisonBlanche :quis’est trouvéaumauvaismomentaumauvaisendroit?Etau-delàduchaosgénéral,lamenacejuridiquepermanentedécouragelesgensdevenirtravailleràlaWestWing.

Kushner et sa femme – à présent considérés comme une bombe àretardementàlaMaisonBlanche–passentuntempsconsidérableàsedéfendreetàcombattreuncomportementparanoïaquecroissant,notammentàproposde

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ce que les membres de l’état-major déjà partis pourraient dire sur eux. Mi-octobre, Kushner étoffe son équipe juridique avec Charles Harder, l’avocatprogressistequiadéfenduHulkHoganlorsdesonprocèsendiffamationcontrele site Gawker, etMelania Trump contre leDailyMail. La menace voilée àl’égard des médias et des critiques est claire. Parlez de Jared Kushner à vosrisques et périls. Cela signifie sans doute aussi que Donald Trump s’occupeencoredeladéfensejuridiquedelaMaisonBlanche,appelantsesavocats«dursàcuire»préférés.

Au-delàdessingeriesquotidiennesdeDonaldTrump,leproblèmebrûlantdelaMaisonBlancheestl’enquêtedirigéeparRobertMueller.Lepère,lafille,legendre, sonpère, l’expositionprolongéede la famille, leprocureur, les larbinscherchantàsauverleurpeau,lepersonnelqueTrumparemercié:dansl’espritdeBannon,toutcelarisquedefairepasserShakespearepourDr.Seuss2.

Chacunattendlachutedesdominos,pourvoircommentleprésident,danssafureur,réagiraetchangeraànouveauladonne.

SelonSteveBannon,ilyaurait33,3%dechancesquel’enquêtedeMuellermèneàladestitutionduprésident,33,3%dechancesqueTrumpdémissionne,peut-êtreàlasuited’unemenaceducabinetderecourirau25eamendement(luipermettantdeledestituerpourincapacité),et33,3%dechancesqu’ilsetraînejusqu’àlafindesonmandat.Danstouslescas,iln’yauraitcertainementpasderéélection,nidetentativededécrocherunsecondmandat.

«Ilnevapass’ensortir,ditBannonàl’ambassadeBreitbart.Ilaperduletruc.»

Avec moins de volubilité, Bannon annonce autre chose : que lui, SteveBannon, sera candidat à la présidence en 2020. La phrase « Si j’étaisprésident…»semueen«Quandjeseraiprésident…».

Les plus gros donateurs de la campagne de Trump sont dans son camp,affirme-t-il : Sheldon Adelson, les Mercer, Bernie Marcus et Peter Thiel.Commes’ils’yétaitpréparédepuis longtemps, ila,enpeude temps,quitté laMaison Blanche et organisé juste après le début d’une campagne. Jusqu’icihomme de l’ombre, Bannon rencontre méthodiquement tous les leaders

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conservateurs du pays – faisant de son mieux, dit-il, pour « lécher le cul etrendrehommageàtouteslesbarbesgrises».Etildresseunelisted’événementsconservateursànepasrater.

« Pourquoi Steve parle ? Je ne savais pas qu’il parlait », remarque lePrésidentavecperplexitéetinquiétude,devantsesconseillers.

Trump se voit aussi voler la vedette par d’autres moyens. L’interviewimportante qu’il devait donner à 60 Minutes3 est brutalement annulée aprèsl’entretien de Bannon avec Charlie Rose dans la même émission, le11septembre.Lesconseillersduprésidentsententqu’ilnedoitpassemettreenposition d’être comparé à Bannon. Ses collaborateurs, inquiets que sesrépétitions alarmantes (les mêmes phrases prononcées avec les mêmesexpressionsàquelquesminutesd’intervalle)aientgrandementaugmenté,etquesacapacité à rester concentré,déjà faible, ait diminué,pensentqu’iln’y seraitpasà sonavantage.L’interviewavecTrumpa finalement étéproposéeàSeanHannity–àconditionquelesquestionssoientcommuniquéesenavance.

Bannon reprend le groupe de recherches de Breitbart – l’équipe qui acompilé les révélations incriminantes deClintonCash4 – et le recentre sur cequ’il appelle « les élites politiques ». C’est une liste fourre-tout d’ennemiscomprenantdenombreuxrépublicainsetdémocrates.

Bannonsefocalisesurtoutsurlaprésentationdecandidatspour2018.SilePrésidenta souventmenacédesoutenirdescandidatsauxprimairescontre sesennemis,c’estaufinalBannon,quiaprisdel’avance,quilefera.C’estBannonqui inspire la peur dans leParti républicain,pasTrump.En effet, il est prêt àchoisirdescandidatsoutranciers,voire loufoques–dont l’ancienéludeStatenIsland,MichaelGrimm,quiafaitdelaprison–pourmontrer,commeill’afaitavec Trump, la dimension, la ruse et la menace de la politique à la Bannon.Mêmesi lesRépublicains risquent, selonBannon,deperdrequinzepointsauxélectionsde2018, ilpensequeplus lespositionsde ladroite seront extrêmes,pluslesdémocratesprésenterontdescandidatsdegauchecinglés,encoremoinséligibles.Laruptureestenmarche.

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Dans l’esprit de Bannon, Trump représente un chapitre, voire un détour,danslarévolutionTrumpquiatoujoursreposésurlesfaiblessesdesdeuxgrandspartis. Sa présidence – quelle que soit sa durée – a créé une ouverture quidonneraunechanceauxvraisoutsiders.Trumpn’estqu’undébut.

Debout sur les marches de l’ambassade Breitbart, ce matin d’octobre,Bannonsourit:«Çavaêtreunvraibordel.»

1. Lesamizdatétaitunsystèmeclandestindediffusiond’écritsdissidentsenURSS.

2. Auteuretillustrateurdelivresloufoquespourenfants.

3. Magazined’informationsdelachaîneCBS.

4. Best-sellerdePeterSchweizerquienquêtesurlesfinancesducoupleClinton.Lesrecherchesontétémenées par une organisation à but non lucratif fondée par SteveBannon et Peter Schweizer etfinancéeparlesmilliardairesRobertMercer,CharlesG.KochetDavidH.Koch.

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Notedel’auteur

J’aiécritcelivrepouruneraisondesplusévidentes.Lejourdel’investituredeDonaldTrump, le20 janvier2017, lesÉtats-Unis sont entrésdans l’œilduplus formidablecyclonepolitiquedepuis leWatergate. J’aidécidéde raconter,danslamesuredupossible,cettehistoireaujourlejour,etd’essayerdedécrirelavieàlaMaisonBlanchesousl’èreTrumpàtraversleregarddesesproches.

Àl’origine,celivredevaittraiterdescentpremiersjoursdel’administrationTrump,ce traditionnelpremierbiland’uneprésidence.Mais lesévénementssesont succédé sans répit pendant plus de deux cents jours et le rideau de cepremier acte n’est finalement tombé que fin juillet, avec la nomination dugénéralenretraiteJohnKellycommechefdecabinetdelaMaisonBlanche,etledépart, troissemainesplustard,duconseillerstratégiqueduPrésident,StephenK.Bannon.

Lerécitdesévénementsdécritsdanscelivreestbasésurlesconversationsquej’aieues,surunepériodededix-huitmois,aveclePrésident,laplupartdeshautsresponsablesdesonéquipe–certainsd’entreeuxm’ontparlédesdizainesdefois–etdenombreusesautrespersonnesquis’étaiententretenuesaveceux.Àlafindumoisdemai2016,bienavantquejepuisseimaginerqu’unjourTrumpseraità laMaisonBlanche,etplusencoreavantdepenseren faireun livre, jel’avaisinterviewédanssamaisondeBeverlyHills.Lecandidatqu’ilétaitalorsterminaitunpotdeglaceàlavanilleHäagen-Dazstoutenmedonnantsuruntondégagésonavisàproposd’untasdesujetsalorsquelesmembresdesonéquipede campagne,HopeHicks,CoreyLewandowski et JaredKushner, entraient et

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sortaient de la pièce.Mes conversations avec ces derniers se sont poursuiviesjusqu’àlaconventionrépublicainedeCleveland,alorsqu’uneélectiondeTrumpétait encore difficilement concevable. Après cela, tout le monde s’est installédanslaTrumpTowerencompagnieduvolubileSteveBannon.Avantl’élection,Bannon semblait original et amusant. Après, il était devenu un faiseur demiracles.

Danslesjoursquiontsuivile20janvier2017,j’aiprismeshabitudessuruncanapédelaWestWing.Depuislors,j’airéaliséplusdedeuxcentsinterviews.

Bienquel’aversiondel’administrationTrumpàl’égarddelapressesoituneréalité politique, laMaisonBlanche s’est révéléeplusouverte auxmédiasquedurantlesprécédentesprésidences.Audébut,j’aicherchéàobtenirunesortedestatutmedonnantunaccèsofficielàlaMaisonBlanche,celuid’unobservateurdiscret, telle unemouche sur unmur, et lePrésident lui-mêmem’a encouragédanscettevoie.Trèsvite,lesnombreuxclansdel’administrationsontentrésenconflit les uns avec les autres, et personnen’a pumeprocurer ce statut.Maispersonne non plus n’est venume dire dem’en aller. Plus qu’invité bienvenu,j’étais désormais un intrus permanent. Et je suis resté cet observateur discret,cettemouchesur lemur, sansavoir jamaisdûmesoumettreàunequelconquerèglenipromettredetaireouderévélerquoiquecesoit.

LaplupartdesrécitssurlaMaisonBlanchedeTrumpsontcontradictoiresetbeaucoup d’entre eux, fidèles à la tradition trumpienne, totalement faux. Cescontradictions,cettelégèretéàl’égarddelavérité,voiredelaréalitéelle-même,formentlatramedecelivre.Parfois,j’ailaissémesinterlocuteursprésenterleurspropresversionsdesfaits,etlesoinaulecteurdelesévaluerlui-même.D’autresfois,grâceàlasoliditédessourcesenqui j’avaisconfiance, j’aioptépouruneversiondesévénementsquimesemblerelaterlavérité.

Certainesdemessourcesm’ontparlédans lecadredecequ’onappelle ledeepbackground,qui,dansleslivrespolitiques,consisteàrapporterlesproposdespersonnesinterviewéesenfaisantensortequ’aucunélémentnepermettedeles identifier. J’aieudroitaussiaux interviewsditesoff therecord offrant unephraseàciteràconditionqu’ellenesoitattribuéeàpersonne.D’autressourcesm’ontdemandéque leursproposnesoientpaspubliésavant la sortiedu livre.

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Certaines,enfin,sesontadresséesàmoiontherecord,mepermettantainsidelesciter.

Il faut noter qu’ilm’a fallu souvent deviner la règle à suivre en raison del’absence de procédure officielle ou de l’inexpérience de mes interlocuteurs.Certainesconversationsofftherecordouendeepbackgroundsontdevenuesontherecord.Dessourcesm’ontparléentouteconfianceet,commelibéréesparcepremier échange, ont partagé ensuite leurs propos avec un grand nombre degens.J’aidûtenircomptedelanégligencedeplusieursdemesinterlocuteursquiontomisdedéfinirleniveaudeconfidentialitédeleurrécit,etconsidérerparfoisqu’ilseraitrisibledenepasciterquelqu’undontlesopinionssontbienconnuesetlargementrelayéesparlesmédias.J’aidécouvert,enfin,cestylesamizdat1dela diffusion d’une phrase, sa répétition alors même qu’elle provenait d’unentretienprivéetconfidentiel.Etpartout,danscettehistoire,defaçonconstante,inlassable et incontrôlée, dans un cadre public ou privé, circule la voix duPrésident,retransmisepard’autres,touslesjours,parfoispresquedansl’instant.

Quelles que soient leurs raisons, presque toutes les personnes que j’airencontrées – hauts responsables de l’équipe de la Maison Blanche ouobservateurspassionnés–ontpassébeaucoupdetempsavecmoietontcherchéàm’aideràcomprendrelanaturesingulièredelavieàlaMaisonBlancheavecTrump.Finalement,cedontjefusletémoin,etquiconstituelesujetmêmedecelivre,c’estlamanièredontdesindividusontluttépourtrouverunsensaufaitdetravaillerpourDonaldTrump.

Jeleurensuisénormémentreconnaissant.

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Remerciements

JeremercieJaniceMinetMatthewBelloniduHollywoodReporter,qui,ilyadix-huitmois,m’onttirédulitunmatinpourquejesautedansunavionàNewYork et que le soir, je puisse interviewer ce candidat invraisemblable à LosAngeles.Mes éditeurs, Stephen Rubin et John Sterling, chezHenryHolt, ontsoutenuce livreavecgénérositéetm’ontguidéavecenthousiasmeetattentionauquotidien.Monagent,AndrewWylie,a,commetoujours,faitensortequecelivreexistepresquedujouraulendemain.

Michael Jackson de Two Cities TV, Peter Benedek chez UTA, et mesavocats,KevinMorrisetAlexKohner,ontfaitpatiemmentavancerceprojet.

Unerelectureparunavocat,c’estcommeunevisitechez ledentiste.Maisdansma longue expérience, aucun avocat spécialisé en diffamation n’est plusnuancé,sensibleetstratègequ’EricRayman.Unefoisdeplus,c’estpresqueunplaisir.

De nombreux amis, confrères et personnes généreuses dans lemonde desmédias et de la politique ont rendu ce livre plus intelligent, dontMikeAllen,Jonathan Swan, John Homans, Franklin Foer, Jack Shafer, Tammy Haddad,Leela de Kretser, Stevan Keane, Matt Stone, Edward Jay Epstein, SimonDumenco, Tucker Carlson, Joe Scarborough, Piers Morgan, Juleanna Glover,NikiChristoff,DylanJones,MichaelLedeen,MikeMurphy,TimMiller,LarryMcCarthy, Benjamin Ginsberg, Al From, Kathy Ruemmler, Matthew Hiltzik,LisaDallos,MikeRogers, JoannaColes, SteveHilton,Michael Schrage,MattCooper,JimImpoco,MichaelFeldman,ScottMcConnell,andMehreenMaluk.

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Je sais gré aussi aux personnes qui ont vérifié les faits, Danit Lidor,ChristinaGouldingetJoanneGerber.

EtmespluschaleureuxremerciementsàVictoriaFloethepoursonsoutien,sapatienceetsesidées,etpouravoir,debonnegrâce,laissécelivreprendreunesigrandeplacedansnosvies.

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Index

Abbas,Mahmoud 1, 2, 3

Abe,Shinzō 1, 2

AbrahamLincoln,USS 1

Abramovitch,Roman 1

abrogationetremiseenplacedel’Obamacare 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22

AccorddeLibre-Échangenord-américain(ALÉNA) 1, 2

AccorddeParissurleclimat 1, 2, 3, 4

Actiondifféréepourlesarrivéesd’enfance(DACA) 1

Adelson,Sheldon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10

Afghanistan 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,21, 22, 23

Agalarov,Aras 1

AgencecentraledeRenseignement(CIA) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,15, 16, 17

AgencedurenseignementdelaDéfense(DIA) 1

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AgencenationaledelaSécurité(NSA) 1

Agenda,The(Woodward) 1

Ailes,Beth 1, 2, 3, 4, 5, 6

Ailes,Roger 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70

Alabama 1, 2, 3

alt-right 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13

AmericanProspect 1

antisémitisme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Anton,Michael 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Apprentice,The(émissiontélévisée) 1, 2, 3, 4, 5, 6

Arabiesaoudite 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17

Arif,Tevfik 1

armeschimiques 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Armey,Dick 1

ArtoftheDeal,The(TrumpetSchwartz) 1, 2

ArthurAndersen 1

Assad,Bacharel- 1, 2, 3, 4

AssociationGoldmanSachs 1

AtlanticCity 1, 2, 3, 4

Attaqueàl’armechimiquedeKhanCheikhoun 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Atwater,Lee 1

Australie 1

Ayers,Nick 1

Azerbaïdjan 1

Bahreïn 1

Baier,Bret 1, 2, 3

Baker,James 1, 2, 3

Baker,Peter 1

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Bannon,Steve 1, 2, 3

àproposdeTrump 1, 2, 3

antécédents 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24

appeldeKuttneretlicenciement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10

contreJarvanka 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34,35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47

etCharlottesville 1, 2, 3

etCohn 1, 2, 3, 4, 5, 6

etFlynn 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

etIsraël 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9

etIvanka 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13

etKelly 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

etKushner 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15- 16

etlacampagne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,18, 19, 20, 21

etlaChine 1, 2, 3, 4, 5, 6

etlaCPAC 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30

etlapersonnalitédeTrump 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13

etlaSyrie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

etlaveilledel’investiture 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29

etl’AccorddeParissurleclimat 1, 2

etl’Afghanistan 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10

etl’alt-right 1, 2, 3, 4

etl’Arabiesaoudite 1, 2

etlelicenciementdeComey 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32

etleNSC 1, 2, 3, 4, 5, 6

etl’enquêtesurlaRussie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,16, 17- 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32,33, 34

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etlesmédias 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16

etlespremièressemainesdelaprésidence 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29,30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46,47, 48, 49, 50

etlesrendez-vousàlaMaisonBlanche 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

etl’immigration 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,18, 19, 20, 21, 22, 23

etl’interviewdeTrumpauTimes 1, 2

etl’investiture 1, 2, 3, 4, 5, 6

etl’Obamacare 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16

etPence 1

etPriebus 1, 2, 3, 4, 5

etRyan 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

etScaramucci 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14

etSessions 1, 2, 3, 4, 5, 6

influence 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

isolationnisme 1

l’agendade,àlaMaisonBlanche 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31,32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42

l’agendade,aprèssonlicenciement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,14, 15, 16

sonrôledanslesdébutsdelaprésidence 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

Trumpcontraintdelicencier 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14

Banqued’import-exportdesÉtats-Unis 1

Banquemondiale 1

Barra,Mary 1

Barrack,Tom 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17

Bartiromo,Maria 1

Bass,Edward 1

Beinart,Peter 1

Benghazi 1, 2

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Berkowitz,Avi 1

Berlusconi,Silvio 1

BestandtheBrightest,The(Halberstam) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Bezos,Jeff 1, 2

Biosphère2 1, 2

Blackwater 1, 2

Blair,Tony 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Blankfein,Lloyd 1

Bloomberg,Michael 1

Boehner,John 1, 2

Boeing 1

Bolton,John 1, 2, 3, 4, 5

Bombardementdelabaseaérienned’Al-Chaayrate 1, 2

Bossie,David 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Bowles,Erskine 1

Boyle,Matthew 1, 2

Brady,Tom 1

Brand,Rachel 1

Breitbart,Andrew 1, 2, 3, 4

BreitbartNews 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35

Brennan,John 1, 2

Brexit 1

Brooks,Mel 1

Bryan,WilliamJennings 1, 2

Brzezinski,Mika 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22

Buckley,WilliamF. 1

Bureaudelagestionetdubudget(OMB) 1, 2

Bureaudel’innovationaméricaine 1, 2, 3

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Bureaudesaffairespubliquesetintergouvernementales 1

Bureaufédérald’enquête(FBI) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49

Bureaupourl’éthiquegouvernementale 1

Bush,Billy 1, 2, 3, 4, 5

Bush,GeorgeH.W. 1, 2, 3, 4

Bush,GeorgeW. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16

Bush,Jeb 1, 2, 3, 4

CampDavid 1

Canada 1, 2, 3

Card,Andrew 1

Carlson,Tucker 1, 2

Carter,Arthur 1, 2

Carter,Graydon 1, 2, 3

Carter,Jimmy 1, 2

Caslen,RobertL.,Jr. 1, 2

CelebrityApprentice(émissiontélévisée) 1

Cheney,Dick 1

Chine 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,22, 23, 24, 25

Chopra,Deepak 1

Christie,Chris 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22

Christoff,Niki 1

Churchill,Winston 1, 2, 3, 4

Cisjordanie 1

Clapper,James 1, 2

Clinton,Bill 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14

ClintonCash(Schweizer) 1

Clinton,Hillary 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18

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affairedese-mails 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

etComey 1, 2, 3, 4, 5

ClubdegolfBedminster 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18

CNBC 1, 2

CNN 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9

Cohen,Michael 1, 2, 3

Cohn,Gary 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49

Cohn,Roy 1, 2

Collins,Gail 1

Comey,James 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23- 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38,39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57,58

ComitédubudgetpourlaChambredesreprésentantsaméricaine 1

ComitéduRenseignement 1, 2, 3

Comiténationaldémocrate 1

Comiténationalrépublicain(RNC) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,16, 17, 18

Comitésénatorialnationalrépublicain 1

commerce 1, 2, 3

CommissiondesFinances 1

etl’abrogationdel’Obamacare 1, 2, 3, 4, 5

communautédurenseignement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14

Compagnied’assurancesOscar 1

concoursdeMissUnivers 1

Congrèsaméricain 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21

ConseildeSécuriténationale(NSC) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13

Conseiléconomiquenational 1, 2, 3

ConseilleràlaSécuriténationale

Brzezinski 1, 2, 3

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Flynn 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14

McMaster 1, 2, 3

Rice 1, 2, 3

Constitutionaméricaine 1

Conventionnationalerépublicaine 1, 2, 3

Conway,George 1, 2, 3, 4, 5, 6

Conway,Kellyanne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37,38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56,57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70

Corallo,Mark 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

CoréeduNord 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9

Corker,Bob 1

Corzine,Jon 1, 2

Coulter,Ann 1, 2, 3, 4, 5

CourdesurveillanceduRenseignementétranger(FISA) 1

Coursuprêmeaméricaine 1, 2, 3, 4

Couric,Katie 1

crisedesopioïdes 1

Cruz,Ted 1, 2

DailyMail 1, 2

Daley,Bill 1

Davis,Lanny 1, 2

Dean,John 1, 2, 3, 4, 5

décrets 1, 2

changementclimatique 1

immigrationet«travelban» 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,16, 17, 18, 19, 20

démasquage 1, 2

DépartementdelaJustice 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,18, 19, 20

DépartementdelaSécuritéintérieure 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

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Départementd’État 1, 2, 3, 4, 5

DépartementduCommerce 1

DépartementduTrésor 1

Deripaska,Oleg 1, 2, 3

DeutscheBank 1

Devil’sBargain,The(Green) 1, 2

DeVos,Betsy 1, 2

DeYoung,Karen 1, 2, 3, 4

Dickerson,John 1

DigitalEntertainmentNetwork 1

DînerdescorrespondantsdelaMaisonBlanche 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

DirecteurdescommunicationsdelaMaisonBlanche

Dubke 1

Hicks 1, 2

Scaramucci 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Directeurdurenseignementnational 1, 2

Disney 1, 2

DossierSteele 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9

Dowd,Mark 1

droitduPrésidentausecret 1, 2

Dubaï 1

Dubke,Mike 1, 2

Duke,David 1

Dunford,Joseph 1

Égypte 1, 2, 3, 4, 5

élections

de2008 1, 2

de2016 1, 2, 3, 4

de2017 1, 2, 3

de2018 1, 2

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de2020 1, 2

Emanuel,Rahm 1

Enron 1

Epstein,EdwardJay 1

Epstein,Jeffrey 1, 2

Europe 1, 2

Facebook 1, 2

Farage,Nigel 1

Fields,JamesAlex,Jr. 1, 2

FinancialTimes 1

Five,The(émissiontélévisée) 1

Floride 1

Flynn,Michael 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38,39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57,58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76,77, 78

Foer,Franklin 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9

Ford,Gerald 1, 2

Forumstratégiqueetpolitique 1

FoxBusinessChannel 1, 2, 3

FoxNews 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33

Franken,Al 1, 2, 3

FreedomCaucus 1, 2, 3

FrèresKoch 1

FusionGPS 1, 2, 3

Gamergate 1

GawkerMedia 1

Gaza 1

Gazprom 1

Geffen,David 1, 2

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GeneralElectric(GE) 1

GeneralMotors 1

Géorgie(post-soviétique) 1

Gingrich,Newt 1

Giuliani,Rudolph 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15

Glover,Juleanna 1

GloverParkGroup 1

GoldmanSachs 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25

Goldwater,Barry 1

Gore,Al 1

Gorka,Sebastian 1

Gorsuch,Neil 1, 2, 3, 4, 5, 6

Grande-Bretagne 1

Grimm,Michael 1

GroupeBayrock 1, 2

GroupeBlackstone 1, 2, 3, 4

Grouped’assurancesAnbang 1

GuerreduVietnam 1, 2

Guilfoyle,Kimberly 1, 2, 3, 4, 5

Haberman,Maggie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Hagin,Joe 1, 2

Hahn,Julia 1

Haig,Alexander 1

Halberstam,David 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Haldeman,H.R. 1

Haley,Nikki 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Hall,Jerry 1

Halperin,Mark 1

HamedbenIssaal-Khalifa,roideBahreïn 1

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Hanley,Allie 1, 2, 3

Hannity,Sean 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12

Harder,Charles 1

Haspel,Gina 1

Hemingway,Mark 1

HeritageFoundation 1

Heyer,Heather 1

Hicks,Hope 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73

Hiltzik,Matthew 1, 2, 3, 4

Hitler,Adolf 1

HNAGroup 1

Hogan,Hulk 1, 2

Hoover,J.Edgar 1

Hubbell,Webster 1

Hull,Cordell 1

Hussein,Saddam 1

Hutchison,KayBailey 1

Ianoukovitch,Viktor 1

IBM 1

Icahn,Carl 1, 2, 3

Iger,Bob 1, 2

immigrationet«travelban» 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,18, 19, 20

impeachment 1, 2

IntheFaceofEvil(documentaire) 1

industriesidérurgique 1, 2

infrastructure 1, 2

Ingraham,Laura 1, 2, 3

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interdictionpourlestransgenres 1

InternetGamingEntertainment(IGE) 1

Irak 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Iran 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

ISIS 1, 2, 3

isolationnisme 1, 2, 3, 4, 5

Israël 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21

Jackson,Andrew 1, 2, 3, 4, 5

Jackson,Michael 1, 2

Japon 1, 2

Jefferson,Thomas 1

Jérusalem 1

JohnBirchSociety 1

Johnson,Jamie 1, 2, 3

Johnson,LyndonB. 1, 2, 3, 4, 5, 6

Johnson,Woody 1

Jones,Paula 1

Jordan,Hamilton 1

Jordan,Vernon 1

Jordanie 1

Juifs 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16

Kaepernick,Colin 1

Kalanick,Travis 1, 2

Kaplan,Peter 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Kasowitz,Marc 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

Kazakhstan 1

Kelly,John 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,40, 41, 42, 43, 44

Kennedy,JohnF. 1, 2

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Kent,Phil 1

Khadafi,Mouammar 1

KimJong-un 1

King,MartinLuther,Jr. 1, 2, 3

Kirk,Russell 1

Kislyak,Sergey 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10

Kissinger,Henry 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

KuKluxKlan(KKK) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Kudlow,Larry 1, 2

Kurtz,Howard 1

Kushner,Charlie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13

KushnerCompanies 1

Kushner,Jared

antécédents 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19

etBannon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52,53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69,70, 71, 72, 73

etChristie 1, 2, 3, 4

etComey 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31

etKelly 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

etlaChine 1, 2, 3

etlacommunautédurenseignement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10

etlaCPAC 1, 2, 3, 4

etlamanifestationdeCharlottesville 1

etlapolice 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,36, 37

etlaRussie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,36

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etlavictoireélectorale 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9

etl’Arabiesaoudite 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

etleBureaudel’innovationaméricaine 1, 2, 3, 4

etlediscoursdeTrumpauCongrès 1, 2

et leMoyen-Orient 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32

etlepersonneldelaMaisonBlanche 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30,31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44

etlesaffaires 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14

etlesmédias 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27

etl’Obamacare 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

etMcMaster 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

etMexico 1, 2, 3, 4, 5, 6

etMurdoch 1, 2, 3, 4, 5

etréunionsd’affaires 1, 2, 3, 4

sonrôleàlaMaisonBlanche 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32,33, 34, 35, 36, 37

Kushner,Josh 1, 2

Kuttner,Robert 1, 2, 3, 4

LePen,Marine 1

Lee,RobertE. 1

LeFrak,Richard 1

Lewandowski,Corey 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24

Lewinsky,Monica 1

Libye 1, 2

Lighthizer,Robert 1

Liguenationaledefootballaméricain 1, 2

Limbaugh,Rush 1, 2

Loidepassationdespouvoirsprésidentiels(2010) 1

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Lowe,Rob 1

Luntz,Frank 1

Manafort,Paul 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15

Manhattan,Inc. 1

ManifestationdeCharlottesville 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Manigault,Omarosa 1

Mar-a-Lago 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

Marcus,Bernie 1

Mattis,James 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12

May,Theresa 1

McCain,John 1

McCarthy,Joe 1

McConnell,Mitch 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

McCormick,John 1, 2, 3

McGahn,Don 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

McLaughlin,John 1

McMaster,H.R. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38,39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55

McNerney,Jim 1

Meadows,Mark 1, 2, 3, 4

Medicare 1

Melton,Carol 1

Mensch,Louise 1

Mercer,Rebekah 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28

Mercer,Robert 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31

Mexique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

MightyDucks,The(émissiontélévisée) 1

Miller,Jason 1, 2, 3, 4, 5, 6

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Miller,Stephen 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20

Mnuchin,Steven 1, 2, 3, 4, 5

MohammedbenNayef,princehéritierd’Arabiesaoudite(MBN) 1, 2, 3, 4

MohammedbenSalmane,princehéritierd’Arabiesaoudite(MBS) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17

Moore,Roy 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Morgan,Piers 1

MorningJoe(émissiontélévisée) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Moyen-Orient 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23

MSNBC 1, 2, 3

Mueller,Robert 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26

Mulvaney,Mick 1, 2, 3, 4, 5, 6

murÉtats-Unis-Mexique 1, 2, 3, 4, 5

Murdoch,Chloe 1

Murdoch,Grace 1, 2

Murdoch,Rupert 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38,39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52

Murdoch,Wendi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Murphy,Mike 1

Musk,Elon 1, 2, 3, 4

NationalPolicyInstitute(thinktank) 1

nationalistes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Navarro,Peter 1

NBC 1, 2, 3

néoconservateurs 1, 2

néonazis 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Netanyahou,Benyamin 1, 2, 3, 4

NewRepublic 1, 2

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NewYork(magazine) 1

NewYorkObserver 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9

NewYorkPost 1, 2, 3, 4

NewYorkTimes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29

NewYorker 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Newsom,Gavin 1

Nixon,RichardM. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12

Nooyi,Indra 1

Nunberg,Sam 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18

Nunes,Devin 1

Obama,Barack 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33

discoursd’adieu 1, 2

etFlynn 1

etlaRussie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10

etlecertificatdenaissance 1, 2, 3

etleDépartementdelaJustice 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

etleDînerdescorrespondantsdelaMaisonBlanche 1

etleMoyen-Orient 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13

etlesdécrets 1, 2, 3

etlesécoutestéléphoniques 1, 2, 3, 4, 5, 6

etl’immigration 1, 2, 3

etl’investituredeTrump 1, 2, 3, 4, 5

oligarquesrusses 1, 2, 3, 4, 5

O’Neill,Tip 1, 2

Opérationsspéciales 1

O’Reilly,Bill 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Organisationdecoopérationetdedéveloppementéconomiques(OCDE) 1

Organisationdutraitédel’AtlantiqueNord(OTAN) 1

Osnos,Evan 1

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Page,Carter 1, 2, 3

Palestiniens 1, 2, 3

Panetta,Leon 1

Partidémocrate 1, 2, 3, 4

Partirépublicain 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38,39

fracture 1, 2, 3, 4, 5, 6

PayPal 1

Pelosi,Nancy 1

PeñaNieto,Enrique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Pence,Karen 1, 2

Pence,Mike 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,21, 22, 23

Pentagone 1, 2

Perelman,Ronald 1, 2

Perlmutter,IsaacIke 1

Petraeus,David 1, 2

Pierce,Brock 1, 2

PlannedParenthood 1

Podesta,John 1

Pompeo,Mike 1, 2, 3, 4, 5, 6

populistes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13

Poutine,Vladimir 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23

Powell,Dina 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47

Preate,Alexandra 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

premieramendementdelaConstitution 1, 2, 3, 4

prestatairesmilitaires 1, 2

Price,Tom 1, 2, 3, 4, 5

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Priebus,Reince 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21

etFlynn 1, 2, 3

etlaCPAC 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25

etlanominationdechefdecabinet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30,31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47,48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59

etl’enquêtesurlaRussie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,16, 17, 18, 19

etl’épisodedemisesurécoutesparObama 1, 2

etlesréunionsd’affaires 1

etl’investiture 1

etsacampagne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

etScaramucci 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13

sarésignation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Prince,Erik 1, 2

PrivateEye(magazine) 1

Producers,The(film) 1, 2

Pruitt,Scott 1

Qatar 1, 2, 3

quatrièmeamendementdelaConstitution 1

Raffel,Josh 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Reagan,Ronald 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9

réformefiscale 1, 2, 3, 4

règlementationenvironnementale 1, 2

Remnick,David 1, 2

RenaissanceTechnologies 1

RéservefédéraledesÉtats-Unis 1

RéuniondesConservateurs(CPAC) 1- 2

réunionsd’affaires 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9

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Rhodes,Ben 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Rice,Susan 1, 2, 3

Rometty,Ginni 1

Rose,Charlie 1

Rosen,Hilary 1

Rosenstein,Rod 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17

Ross,Wilbur 1, 2, 3, 4

Roth,Steven 1, 2

Rove,Karl 1, 2

Rumsfeld,Donald 1

Russie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,41, 42, 43, 44, 45, 46

Bannonàproposde 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12

débutsd’enquêtes 1, 2- 3

etComey 1, 2, 3, 4- 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16

etFlynn 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36,37, 38, 39

etKushner 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46

etlaSyrie 1, 2, 3

etledossierSteele 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

etlemeetingdeDonaldJr.àlaTrumpTower 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11,12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23

etlepistagedel’argent 1, 2, 3, 4

etl’épisodedemisesurécoutesparObama 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

etlessanctions 1, 2, 3, 4, 5, 6

etSessions 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9

MuellernomméProcureurspécial 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,15, 16, 17, 18

théoriesdeFoer 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10

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Ryan,Paul 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,59

Sandberg,Sheryl 1, 2

Sanders,Bernie 1

Sanders,SarahHuckabee 1

Sater,Felix 1, 2, 3, 4

SaturdayNightLive(émissiontélévisée) 1, 2, 3, 4, 5, 6

Saval,Nikil 1, 2

scandaleduWatergate 1, 2, 3

scandaleduWhitewater 1, 2, 3

Scaramucci,Anthony 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37,38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56,57, 58, 59, 60, 61, 62

Scarborough,Joe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32

Scavino,Dan 1

Schiller,Keith 1, 2

Schlapp,Matt 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Schlapp,Mercedes 1

Schmidt,Michael 1

Schwartz,Arthur 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13

Schwartz,Tony 1

Schwarzman,Stephen 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Scoutsd’Amérique 1, 2

Seinfeld(sérietélévisée) 1

Sekulow,Jay 1

Sénataméricain 1, 2

ComitédeJustice,sous-comitédelaCriminalitéetduTerrorisme 1, 2

ComitédesRelationsétrangères 1

etl’Obamacare 1, 2

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Sessions,Jeff 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48

Sinclair 1

Sissi,AbdelFattahal- 1

sited’actualitésCirca 1, 2

sited’informationsPolitico 1

sited’informationsYahoo!News 1

666FifthAvenue 1, 2

SkybridgeCapital 1, 2

Slate(journal) 1

Slovénie 1

Smith,Justin 1

Snowden,Edward 1, 2

60Minutes(émissiontélévisée) 1

sommetduG20 1

Soros,George 1

Spencer,Richard 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28

Spicer,Sean 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,40, 41, 42, 43

Spy(magazine) 1, 2

Starr,Ken 1, 2

Steele,Christopher 1, 2, 3, 4

Steinmetz,Benny 1

Stone,Roger 1, 2, 3, 4, 5

Strange,Luther 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12

suprématieblanche 1

Suzy(magazine) 1

Swan,Jonathan 1

syndicatsouvriers 1, 2, 3, 4

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Syrie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10

Talibans 1

TeaParty 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16

TheFederalistSociety 1

TheGuardian 1

TheWashingtonPost 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20

TheWashingtonTimes 1

TheWeeklyStandard 1

Thiel,Peter 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Thrush,Glenn 1, 2

Tillerson,Rex 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17

Time(magazine) 1, 2, 3, 4, 5, 6

TimeWarner 1, 2

Trotta,Liz 1

Trudeau,Justin 1, 2

Truman,Harry 1

Trump,Barron 1

Trump,Donald

affairesetfinances 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28

défaiteduPartirépublicainlorsdessénatorialesenAlabama 1, 2, 3, 4

desfemmescommeconfidentes 1, 2

discoursàlaCIA 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14

discoursauCongrèsréuniensessioncommune 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

discoursauxscouts 1

discoursdesoutienàStrangeàHuntsville 1, 2

doutesducabinetàsonpropos 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13

échangestéléphoniquesavecdesleadersétrangers 1

etApprentice 1, 2

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etBannon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52,53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69,70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86,87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102,103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116,117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130,131, 132, 133

etCharlottesville 1, 2, 3, 4

etComey 1, 2, 3, 4, 5, 6- 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26

etConway 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14

etFlynn 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31

etHaley 1, 2, 3, 4

etIsraël 1

et Ivanka 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27

etKellycommechefdecabinet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,15, 16, 17, 18, 19

etKushner 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46

etlacassettedeBillyBush 1, 2, 3

etlaChine 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

etlacommunautéduRenseignement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

etlacontroversedelaNFL 1

etlaCoréeduNord 1, 2, 3, 4, 5

etlaCPAC 1- 2

etladroite 1, 2, 3, 4, 5, 6

etlanominationdeGorsuch 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10

etlapolitiqueextérieure 1, 2, 3, 4, 5, 6

etlaréformefiscale 1

etlaRussie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12- 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52,

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53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69,70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84

etlaSyrie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

etlatélévision 1, 2, 3, 4

et la transition 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34,35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51,52, 53

etl’AccorddeParissurleclimat 1, 2

etl’accusationdemisesurécoutesparObama 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11,12, 13, 14, 15, 16

etl’Afghanistan 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

etl’Arabiesaoudite 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13

etl’avenirdelaprésidence 1, 2, 3, 4

etleCanada 1, 2

etleCongrès 1, 2

etledépartementdelaJustice 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14

etleDînerdescorrespondantsdelaMaisonBlanche 1, 2, 3, 4, 5, 6

etledroitdegrâce 1

etleharcèlementsexuel 1

etlelicenciementdeBannon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,16, 17

etleMexique 1, 2, 3, 4, 5, 6

etlePartirépublicain 1, 2, 3, 4, 5, 6

etleporte-parole 1, 2, 3, 4, 5

etlevotepopulaire 1

etlevoyageàHarrisburg 1

etl’enquêtedeMueller 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,17, 18, 19, 20, 21, 22, 23

etlesaménagementsducabinet 1, 2, 3, 4

etlesappelstéléphoniquesnocturnes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,14, 15, 16

etlescomptesrendusdesRenseignements 1

etlesconflitsinternesàsoncabinet 1, 2, 3, 4, 5, 6

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etlesdéclarationsd’impôts 1, 2

etlesdécrets 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16

etlesfakenews 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9

etlesfunéraillesd’Ailes 1, 2, 3, 4

etlesJuifs 1, 2, 3, 4, 5

etlesmédias 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52,53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69,70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86,87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96

etl’immigration 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,18, 19, 20, 21, 22, 23

etl’interviewdeHannity 1

etl’Obamacare 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,18, 19, 20, 21, 22, 23, 24

etMcMaster 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

etMelania 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15

etMercers 1, 2, 3, 4

etMurdoch 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17

etO’Reilly 1

etPence 1, 2, 3

etPriebuscommechefdecabinet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31,32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41

etsacampagne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34,35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51,52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66

etScaramucci 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10

etScarboroughetBrzezinski 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29

etsesfils 1, 2, 3, 4, 5

etsesquartiersàlaMaisonBlanche 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,14, 15, 16, 17, 18

etSessions 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21

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etsoninvestiture 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30

etYates 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18

informationset influencessur 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31

interviewéparleNewYorkTimes 1

lestylecahotiquedesonleadership 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30,31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47,48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64,65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74

lesinfluencesnormalisantes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13

parAiles 1, 2, 3, 4, 5

rencontreAbeàMar-a-Lago 1

rencontreavecKisliakdansleBureauovale 1, 2

réunionsd’affaires 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

samanièredeparler 1, 2, 3, 4, 5, 6

sapersonnalitéetsoncomportement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30,31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45

sonmodèlepolitique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,17, 18, 19

victoireélectorale 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34,35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51,52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68,69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84

Trump,Don,Jr. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30

Trump,Eric 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Trump,Fred(père) 1, 2, 3

Trump,Freddy(frère) 1

TrumpInternationalHotels 1, 2, 3, 4

Trump,Ivanka 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

antécédents 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19

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etBannon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,36

etChristie 1

etComey 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,19, 20, 21, 22

etHaley 1

etKelly 1, 2, 3, 4, 5, 6

etlamanifestationdeCharlottesville 1

etlaRussie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12

etlaSyrie 1, 2

etl’AccorddeParissurleclimat 1

etl’Afghanistan 1, 2, 3

etl’Arabiesaoudite 1, 2

etledînerd’ÉtatenChine 1

etlepersonneldelaMaisonBlanche 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22

etlesmédias 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9

etl’Obamacare 1

etPowell 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16

sonrôleàlaMaisonBlanche 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31

Trump,Melania 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,20, 21, 22, 23, 24

TrumpSoHo 1

TrumpTower 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16

DonJr.rencontrelesRussesà 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23

KisliakrencontreKushneretFlynnà 1

surveillancede 1, 2

Turquie 1, 2

Uber 1, 2, 3, 4

Ukraine 1, 2, 3

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Unioneuropéenne 1

UniversitédeVirginie,manifestation«UnitetheRight» 1, 2

USSteel 1

VanityFair 1, 2, 3, 4

Venezuela 1

vingt-cinquièmeamendementdelaConstitution 1, 2, 3

VisasH1B 1, 2, 3

Vogue 1

Wachtell,Lipton,Rosen&Katz 1, 2

Walker,Scott 1

WallStreet2(film) 1

Walsh,Katie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,40, 41, 42, 43, 44, 45, 46

Weinstein,Harvey 1

Weissmann,Andrew 1, 2, 3

Welch,Jack 1

WikiLeaks 1, 2

Wintour,Anna 1

Wirthlin,Richard 1

WomenWhoWork(IvankaTrump) 1

Woodward,Bob 1, 2

WorldWrestlingEntertainment 1

Wynn,Steve 1

XiJinping 1, 2, 3, 4

Yaffa,Joshua 1

Yates,Sally 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18

Yémen 1

Yiannopoulos,Milo 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Zhukova,Dasha 1

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Zucker,Jeff 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

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Sommaire1. Couverture2. Titre3. Copyright4. Dédicace5. Prologue-AilesetBannon6. 1-Lejourdel’élection7. 2-LaTrumpTower8. 3-Lepremierjour9. 4-Bannon10. 5-Jarvanka11. 6-Àlamaison12. 7-LaRussie13. 8-L’organigramme14. 9-Legrandrendez-vousdesconservateurs15. 10-GoldmanSachs16. 11-Surécoutes17. 12-Révoqueretremplacer18. 13-LesconflitsintérieursdeBannon19. 14-Salledecrise20. 15-Médias21. 16-Comey22. 17-Àl’étrangeretàlamaison23. 18-Bannon,leretour24. 19-Mikaqui?25. 20-McMasteretScaramucci26. 21-BannonetScaramucci27. 22-GénéralKelly28. Épilogue-BannonetTrump29. Notedel’auteur

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30. Remerciements31. Index

Guide

1. Couverture2. Pagedetitre3. Débutducontenu4. Bibliographie5. Index