Finalement, le bonheur n'était pas dans le pré

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31/05/09 08:36 Finalement, le bonheur n'était pas dans le pré Page 1 sur 4 http://www.marianne2.fr/Finalement,-le-bonheur-n-etait-pas-dans-le-pre_a179297.html Recherche Finalement, le bonheur n'était pas dans le pré Et si on changeait de vie? Si on se mettait au vert? Si on quittait ces existences de bruit et de fureur pour aller chercher le bonheur dans le pré? A l'heure des premiers week-ends prolongés ensoleillés, tout citadin stressé qui se respecte s'imagine plaquer boulot et appart pour s'établir à la campagne. Là où l'air est plus pur et l'herbe, plus verte. Là où les légumes ne poussent pas en barquettes mais au fond du jardin. Où les enfants s'ébrouent en toute insouciance, sans se faire racketter à la récré. Où on connaît les moutons par leur prénom... Faire comme nos amis bobos qui ont franchi le pas, comme ces «néoruraux» dont les magazines relaient l'éclatant bonheur. Leurs gamins sont sages, trop fatigués par la construction d'une cabane pour faire des caprices. Ils ont trois chevaux, dix-huit poules et 100 m 2 de potager, mais trouvent le temps d'être graphistes pour une agence de publicité parisienne - «facile, quand on se réveille à la même heure que les oiseaux». Ils vivent à 45 km du premier cinéma mais ont vu le dernier Wong Kar-Wai - «facile grâce à Internet haut débit». Ils gagnent moins mais vivent mieux, et n'ont à la bouche que des mots enchanteurs comme «authenticité», «qualité de vie» et «bien- être»... Alors? Et si, nous aussi, nous rejoignions les 5 millions de citadins qui ont pris la clé des champs? Après l'euphorie... Le problème, c'est que ces articles ne racontent jamais la suite de l'histoire, celle qui vient après l'euphorie de l'installation. Désillusions et déboires ne semblent pas exister au pays des vaches, des fleurs et du bio. Et ce ne sont pas les associations fédérant ces nouveaux campagnards qui diront le contraire: «Je ne connais que des gens qui «trippent» bien», répondent invariablement leurs responsables. Pourtant, certains «trippent» plutôt mal et nombreux sont ceux qui finissent par jeter l'éponge. Mais le retour en ville est tabou, ils n'en parlent qu'à voix basse et le vivent comme un échec. Back to the city again ne se crie pas sur tous les toits. Les expériences malheureuses ont souvent comme point de départ une méconnaissance de la vie rurale. On a vu les Enfants du marais , et hop! en route pour l'eldorado. «Quand ils débarquent, les nouveaux arrivants ont la tête farcie d'idées reçues. La confrontation avec la réalité peut être douloureuse», affirme Bernard Farinelli, auteur de guides pratiques sur la questionVivre à la campagne, Rustica Editions (2006).. Ainsi, le silence des pâturages n'est pas troublé par le seul gazouillis des oiseaux: machines ou bétail, le bruit est très présent. Une surprise pour les apprentis campagnards: «On est arrivés en pleine saison des moissons. Pendant un mois, on n'a pas pu manger dehors car le voisin faisait marcher son tracteur jusqu'à 23 heures! On s'est demandé ce qu'on foutait là», se souvient Jean-Pierre, quinquagénaire qui a quitté Lyon pour s'installer dans le Perche. Si ce père de famille s'est fait une raison, d'autres n'hésitent pas à se plaindre officiellement aux élus locaux pour que cessent ces nuisances. A tel point que le maire de Cesny-aux-Vignes, dans le Calvados, a dû prendre un arrêté municipal pour rappeler à ses nouveaux administrés qu'il ne pouvait interdire aux coqs de chanter au lever du soleil! Au temps pour le silence, mais vive l'air pur? Voire. Car les zones rurales ne sont pas vierges de pollution. Dans certaines régions, l'usage des pesticides est généralisé, et se promener à travers champs en période de traitements phytosanitaires n'est pas meilleur pour les bronches que de remonter à pied la rocade bordelaise... Quant à ceux que la hausse du prix de l'immobilier dans les grandes villes a poussés à la campagne, gare aux illusions! Face à la rareté des transports en commun, impossible de se passer d'une voiture. Et, au fin fond de la province, on parcourt plus de kilomètres qu'en zone urbaine. «Notre loyer a été divisé par deux, mais notre budget essence, lui, a été multiplié par trois!» résument Nathalie et Arnaud. Ce jeune couple récemment établi dans la Corrèze a dû investir dans un deuxième véhicule, car tous deux travaillent à plus de 40 km de leur domicile... et dans des directions opposées. Adieu cinés, musées, spectacles Mais combien de concessions sommes-nous capables de faire pour que nos chères têtes blondes soient élevées au grand air! Car le bien-être de leur progéniture est la raison principale qui pousse les citadins à fuir la ville. Enfants, ils sont généralement ravis de s'ébattre en pleine nature. Mais à l'adolescence les choses se compliquent. D'abord pour les parents. «Pas de transports en commun, ça veut dire que tous les week-ends il faut les trimbaler en voiture au club de judo. Et pas de taxi, ça veut dire faire la sortie des boîtes de nuit!» raconte Marie Deveaux, éditrice installée dans l'Allier et auteur d'un hilarant manuel à l'usage des > Le sommaire de la semaine > Achetez Marianne en version Numérique (2,50) > Abonnez-vous 2,501,50le numéro !

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Finalement, le bonheur n'était pasdans le préEt si on changeait de vie? Si on se mettait au vert? Si on quittait ces existences de bruit et defureur pour aller chercher le bonheur dans le pré? A l'heure des premiers week-ends prolongésensoleillés, tout citadin stressé qui se respecte s'imagine plaquer boulot et appart pour s'établirà la campagne. Là où l'air est plus pur et l'herbe, plus verte. Là où les légumes ne poussent pasen barquettes mais au fond du jardin. Où les enfants s'ébrouent en toute insouciance, sans sefaire racketter à la récré. Où on connaît les moutons par leur prénom... Faire comme nos amisbobos qui ont franchi le pas, comme ces «néoruraux» dont les magazines relaient l'éclatantbonheur. Leurs gamins sont sages, trop fatigués par la construction d'une cabane pour fairedes caprices. Ils ont trois chevaux, dix-huit poules et 100 m2 de potager, mais trouvent letemps d'être graphistes pour une agence de publicité parisienne - «facile, quand on se réveilleà la même heure que les oiseaux». Ils vivent à 45 km du premier cinéma mais ont vu le dernierWong Kar-Wai - «facile grâce à Internet haut débit». Ils gagnent moins mais vivent mieux, etn'ont à la bouche que des mots enchanteurs comme «authenticité», «qualité de vie» et «bien-être»... Alors? Et si, nous aussi, nous rejoignions les 5 millions de citadins qui ont pris la clédes champs?

Après l'euphorie...Le problème, c'est que ces articles ne racontent jamais la suite de l'histoire, celle qui vientaprès l'euphorie de l'installation. Désillusions et déboires ne semblent pas exister au pays desvaches, des fleurs et du bio. Et ce ne sont pas les associations fédérant ces nouveauxcampagnards qui diront le contraire: «Je ne connais que des gens qui «trippent» bien»,répondent invariablement leurs responsables. Pourtant, certains «trippent» plutôt mal etnombreux sont ceux qui finissent par jeter l'éponge. Mais le retour en ville est tabou, ils n'enparlent qu'à voix basse et le vivent comme un échec. Back to the city again ne se crie pas surtous les toits.

Les expériences malheureuses ont souvent comme point de départ une méconnaissance de lavie rurale. On a vu les Enfants du marais, et hop! en route pour l'eldorado. «Quand ilsdébarquent, les nouveaux arrivants ont la tête farcie d'idées reçues. La confrontation avec laréalité peut être douloureuse», affirme Bernard Farinelli, auteur de guides pratiques sur laquestionVivre à la campagne, Rustica Editions (2006).. Ainsi, le silence des pâturages n'estpas troublé par le seul gazouillis des oiseaux: machines ou bétail, le bruit est très présent. Unesurprise pour les apprentis campagnards: «On est arrivés en pleine saison des moissons.Pendant un mois, on n'a pas pu manger dehors car le voisin faisait marcher son tracteurjusqu'à 23 heures! On s'est demandé ce qu'on foutait là», se souvient Jean-Pierre,quinquagénaire qui a quitté Lyon pour s'installer dans le Perche. Si ce père de famille s'est faitune raison, d'autres n'hésitent pas à se plaindre officiellement aux élus locaux pour quecessent ces nuisances. A tel point que le maire de Cesny-aux-Vignes, dans le Calvados, a dûprendre un arrêté municipal pour rappeler à ses nouveaux administrés qu'il ne pouvaitinterdire aux coqs de chanter au lever du soleil! Au temps pour le silence, mais vive l'air pur?Voire. Car les zones rurales ne sont pas vierges de pollution. Dans certaines régions, l'usagedes pesticides est généralisé, et se promener à travers champs en période de traitementsphytosanitaires n'est pas meilleur pour les bronches que de remonter à pied la rocadebordelaise... Quant à ceux que la hausse du prix de l'immobilier dans les grandes villes apoussés à la campagne, gare aux illusions! Face à la rareté des transports en commun,impossible de se passer d'une voiture. Et, au fin fond de la province, on parcourt plus dekilomètres qu'en zone urbaine. «Notre loyer a été divisé par deux, mais notre budget essence,lui, a été multiplié par trois!» résument Nathalie et Arnaud. Ce jeune couple récemment établidans la Corrèze a dû investir dans un deuxième véhicule, car tous deux travaillent à plus de 40km de leur domicile... et dans des directions opposées.

Adieu cinés, musées, spectaclesMais combien de concessions sommes-nous capables de faire pour que nos chères têtesblondes soient élevées au grand air! Car le bien-être de leur progéniture est la raisonprincipale qui pousse les citadins à fuir la ville. Enfants, ils sont généralement ravis de s'ébattreen pleine nature. Mais à l'adolescence les choses se compliquent. D'abord pour les parents.«Pas de transports en commun, ça veut dire que tous les week-ends il faut les trimbaler envoiture au club de judo. Et pas de taxi, ça veut dire faire la sortie des boîtes de nuit!» raconteMarie Deveaux, éditrice installée dans l'Allier et auteur d'un hilarant manuel à l'usage des

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nouveaux campagnardsComment traire une poule?, Chif let et Cie (2006).. Luna, qui agrandi dans la Drôme dans une famille qu'elle qualifie de «baba cool», se souvient de sonadolescence au grand air: «Il n'y a rien à faire! Même si tu as une Mob, tu ne vas pas te taper100 km aller-retour pour aller au ciné. Alors, tu joues à la console avec tes potes, tu traînesdans les bars pourris du village et... tu réfléchis à ce que tu vas faire pour te barrer!»Aujourd'hui, Luna est une trentenaire branchée, parisienne jusqu'au bout des ongles.

Certes, depuis dix ans, les élus locaux ont fait beaucoup d'efforts pour améliorer l'accès à laculture en zone rurale. De nombreux festivals, souvent de qualité, attirent les foules. Leproblème, c'est qu'ils s'adressent surtout aux touristes. «A la campagne, la grande majoritédes événements culturels se tiennent à la saison estivale. L'hiver, certaines régions sontculturellement sinistrées», explique Christophe Trehet, rédacteur en chef de Transruralinitiatives, une revue d'actualité rurale. Mieux vaut, donc, compter sur soi-même: légal ou pas,le télécharge ment de films et de musique est le sport le plus pratiqué par la population rurale!A condition de vivre dans une région où l'on a accès à Internet en haut débit...

Mais qu'importe le cinéma quand on a sous les yeux mère Nature, le plus beau spectacle vivantau monde! Ah, regarder les fleurs pousser... On en oublierait presque que «zone rurale» n'estpas synonyme de «parc naturel»: avant d'être un lieu de loisirs pour touristes, la campagne estun espace de travail. Quand on vit de la terre, la préservation de sa beauté est moinsimportante que le rendement que l'on peut en tirer. Un choc pour les néoruraux quidécouvrent, un matin, que les arbres du petit bois voisin ont tous été rasés. L'écrivain PierreJourdeParadis noirs, Gallimard (2009)., fils de paysan du Cantal, et qui possède une fermeencore en activité, se désole des ravages de l'agriculture intensive: «La mode est à lafermentation du foin sous des bâches. La campagne se couvre de films plastique noirs retenuspar des pneus.» On est loin de l'image bucolique vendue par les magazines...

Bruyante, polluée, ennuyeuse et moche, la campagne? Evidemment non. Elle regorge de coinsde paradis où les citadins adorent passer les vacances. A l'occasion d'un week-end dans larésidence secondaire d'un ami, ils se découvrent la «main verte», dégustent un pastis au soleilcouchant et goûtent de mystérieux produits du terroir. De retour dans la fureur de la ville, ilsclaquent leurs économies dans un mas en ruine qu'ils transforment en maison d'hôte.Travailler sur son lieu de vacances et n'avoir pour seule responsabilité que de recevoir desinvités charmants, n'est-ce pas une définition du bonheur sur Terre? Guy et ElisabethFloriantJe hais la campagne... ma femme adore!, Le Rocher (2008). ont tentél'expérience. Lui écrit des chansons, elle était directrice commerciale chez Givenchy. Ils ontvendu leur pavillon de banlieue parisienne pour s'offrir une «demeure d'hôte» dans l'Yonne.Elle raconte: «Cinq chambres, ce n'est pas rentable. Pour boucler les fins de mois, on étaitobligés d'avoir une autre activité à côté. Mais, après une journée de boulot, je n'avais pasfranchement envie de faire la cuisine pour 10 inconnus. Au bout de deux ans, on a arrêté.» Etil ne suffit pas de planter une graine pour servir sa propre salade à sa table d'hôte. MarieDevaux a vite abandonné son potager: «C'est long, ça ne marche pas à tous les coups et il fauttrouver la bonne cadence pour ne pas crouler sous les pommes de terre!» Elle poursuit dansun éclat de rire: «Bêcher deux heures dans la semaine en été, c'est un plaisir. Mais deuxheures par jour en hiver, c'est une corvée.» Les petits plaisirs des vacances n'ont plus le mêmecharme quand ils deviennent un job à plein temps!

Mais, même quand on a la main verte et une excellente connaissance du «terrain», encorefaut-il s'intégrer à la population. Un faux problème, répondent en choeur toutes lesassociations aidant à l'installation des nouveaux arrivants: «Ruraux et néoruraux cohabitentsans problèmes. Les ruraux sont ravis de l'arrivée déjeunes couples qui dynamisentl'économie et participent au maintien des services publics. Et les néoruraux sont ravisd'apprendre le savoir-faire ancestral des agriculteurs de la région.» Voilà pour la théorie. Enpratique, les choses sont plus compliquées. Les conflits de voisinage impliquant ces deuxpopulations sont nombreux. C'est justement pour apaiser les tensions que François Molin, quisuit les «installations» pour la chambre d'agriculture du Gers, a mis en place une «journée dunouvel arrivant», permettant aux nouveaux voisins de se rencontrer. Il raconte: «On a eu lecas d'une association de paysans qui s'opposait, sans raison objective, à l'arrivée d'un jeunecouple voulant monter une porcherie. C'est même allé jusqu'aux lettres de menaces! Lapression a été si forte que le jeune couple est parti du jour au lendemain sans laisserd'adresse. Je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose.» Les agriculteurs ne voient pastoujours d'un très bon oeil l'arrivée sur leur territoire de ces «zigotos des villes». Le systèmesocial rural restant fondé sur des traditions et des accords tacites, l'installation de gens «quepersonne ne connaît» bouleverse cet équilibre. Dans certaines zones reculées, où il faut «septgénérations au cimetière du coin» avant d'être considéré comme du pays, l'acte de propriétén'a pas force de loi. Conséquence, «il y a, en France, plusieurs centaines de conflits liés à laterre opposants ruraux et néoruraux», affirme Bernard Farinelli, notre auteur de guidespratiques. Si la plupart se règlent devant les tribunaux, d'autres, malheureusement,connaissent une issue tragique. On se souvient du cas de Jean-Hugues Bourgeois. Originairede Gap, ce jeune homme s'était lancé dans l'élevage de chèvres au fin fond du Puy-de-Dôme.Entre avril et août 2008, on lui a égorgé son bétail, brûlé sa ferme et envoyé des lettresmenaçant de viol sa femme et sa fille. Son crime? Avoir repris une terre que des voisinsconvoitaient. Le vendeur était un retraité sans enfant et les habitants du village s'étaient déjàofficieusement partagé ses propriétés...

Clichés des champsUne fois qu ils ont accepté de vivre cote à côte, ruraux et néoruraux doivent apprendre à vivre«ensemble». Les rats des villes et les rats des champs n'ayant pas les mêmes habitudes, le chocculturel est parfois difficile à gérer. Côté paysan, les préjugés ont la vie dure. Les plus anciensont encore en mémoire les arrivages, dans les années 70, de hippies et autres marginauxn'ayant aucun désir de s'intégrer, et qui ne sont pas restés très longtemps. Sociologue au

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Cevipof, grand spécialiste des moeurs rurales et installé dans la région d'Aix-en-Provencedepuis trente ans, Jean VîardDialogue sur nos origines. Des champs, des provinceset d'ailleurs, avec Marc Portier, L'Aube (2005). a vu défiler plusieurs générations denouveaux campagnards. Leur point commun? «Babas ou bobos, ils craquent souvent après lepremier hiver! s'amuse-t-il. Du coup, les paysans ne se sentent pas dans l'obligation d'êtreaimables tout de suite. Ils attendent de voir si les nouveaux vont tenir le choc.» Une sageprudence rehaussée d'une pointe d'ironie. Dans les campagnes, le légendaire «Parisien, tête dechien» a toujours eu beaucoup de succès. Alors, quand il décide de jouer au paysan, le«Parigot, tête de veau» devient une source inépuisable de plaisanteries. «On était vraimentconsidérés comme les zozos qui débarquaient de la ville en talons aiguilles, raconte Sophie,quadragénaire qui a monté un centre équestre dans le Puy-de-Dôme, et a jeté l'éponge au boutde trois ans.

Au lieu de nous aider, ils se foutaient de notre gueule!» Dans ces conditions, pas facile de sefaire des amis...

Les néoruraux tiennent pourtant à se sociabiliser. Fuir l'anonymat des grandes villes etretrouver des relations sociales plus authentiques est une des raisons qui les poussent às'installer à la campagne. Pour éviter d'être trop isolés du reste du monde, certains choisissentde s'établir dans de petites villes. Là, ils sont confrontés à un autre problème. «Les gens seconnaissent depuis l'école, ils ont leur réseau de copains et pas vraiment la volonté d'enrencontrer de nouveaux», explique Laetitia, paysagiste d'une trentaine d'années. La jeunefemme avait rejoint son compagnon dans un «gros village» de l'Isère. N'y connaissantpersonne, elle s'est inscrite à plusieurs associations sportives et culturelles pour y nouer desliens amicaux et s'intégrer dans son nouveau milieu. «Les gens étaient gentils, mais ça nedépassait pas le stade de la. politesse. Dans le village, tout le monde savait que j'étais trèsseule, mais personne ne m'a jamais proposé d'aller boire un verre pour en parler», se désole-t-elle. Deux ans plus tard, elle regagne Paris et, paradoxalement, retrouve le plaisir del'anonymat: «Dans une grande ville, même s'il est difficile de se faire des amis, au moins, onvous fout la paix!» La jeune femme n'a, par exemple, pas apprécié que le poissonnier aitappris, par la boulangère, tous les détails de son installation. Et ce, avant même qu'elle ait eul'idée de cuisiner du colin. Elle se souvient encore des regards que lui lançaient les «bonnesfemmes qui [la] regardaient traverser la rue en chuchotant sur [s] on passage»... Petit rappelaux citadins souhaitant quitter la ville: le «respect de l'intimité» est une valeur typiquementurbaine. «Dans une grande ville, si un couple se dispute, les voisins font comme s'ilsn'entendaient pas. A la campagne, c'est un sujet de conversation!» confirme le sociologueJean Viard.

Comme dans tout milieu fermé, les cancans font partie intégrante du système social rural.Mais, mal intentionnés, ils peuvent avoir des conséquences dramatiques. Laurent et Florent,qui ont repris un café dans un petit village de l'Aube, ont ainsi été victimes d'une campagne dedénigrement qui leur a fait mettre la clé sous la porte. La raison? L'un des patrons étaithomosexuel. Il ne souhaitait ni l'afficher ni le cacher, mais on ne lui a pas laissé le choix. Troismois après l'ouverture du bistrot, la rumeur avait fait le tour du patelin, avec son cortège dequestions sulfureuses: un bar tenu par un homo est-il un bar fréquenté par des homos? Leraccourci a fait fuir les clients. «Pour les gars d'ici, aller bouffer chez les pédés, ça revient àprendre le risque de se faire enculer entre la poire et le fromage», se désolait l'un desresponsables du lieu dans Marianne. La libération sexuelle a conquis les grandes villes, maisl'homosexualité est encore, dans de nombreux coins de France, considérée comme uneperversion urbaine! Et les citadins partant à la campagne en quête de liberté en sont pour leursfrais. D'après Vincent, guitariste d'une quarantaine d'années, il ne fait pas bon arborer un lookd'éternel adolescent sur le plateau du Limousin: «J'ai été la risée de tout le village. A cause demes dreadlocks, les gens disaient que je ne me lavais pas et que j'avais des poux! Ils pensaientque je ne bossais pas, que faisais la java toute la journée puisqu'ils entendaient du rock parles fenêtres!»

Préjugés des villesPréjugés contre préjugés, les néoruraux arrivent eux aussi la tête pleine de clichés. Sur lacampagne, mais également sur ceux qui y vivent. Souvent préoccupés par l'environnement etl'agriculture bio, ils jugent les paysans à l'aune de leurs convictions. Peu d'exploitationstrouvent grâce à leurs yeux. Le bio reste marginal car moins rentable qu'une productionintensive. Et, «pour un exploitant agricole, c'est une donnée essentielle: on parle de sa sourcede revenu et pas d'une posture morale!» s'exclame François Molin. Alors, quand certainsnéoruraux appellent la chambre d'agriculture pour dénoncer les agissements peu écolo de leurvoisin, ou n'hésitent pas à «faire la leçon» aux producteurs, pour reprendre une expressionemployée par François Molin, ça passe très mal. «Pour quelqu'un dont la famille travaille uneterre depuis trois générations, il n'est pas agréable de s'entendre dire qu'il ne devrait pasfaire comme ci ni comme ça par un intello de la ville!» indique-t-il.

«Intellos de la ville»? Parce qu'ils ont vécu près des cinémas et des musées, les apprentiscampagnards sont généralement portés sur la culture, quand ils n'ont pas, eux-mêmes, desvelléités artistiques. «Les paysans aussi!» répondent les assodations fédérant les nouveauxarrivants. A les entendre, tous partagent la même soif de culture, et voir les ruraux comme«des bouseux qui ne s'intéressent qu'au sport: et à la météo» relève du cliché. Derrière lediscours labellisé «J'adore ma vie à la campagne», certains néoruraux assument pourtant leursexigences sociales et culturelles. Sophie, la quadragénaire qui a abandonné son projet decentre équestre dans le Puy-de-Dôme, a retenté sa chance dans l'Allier. Elle y est trèsheureuse: «Dans le fin fond des Combrailles, les gens sont très bourrus, très... «cul-terreux».On n'avait pas grand-chose à se dire: la littérature, ils s'en foutent, ils préfèrent la télé! Ici,les gens sont plus ouverts et plus cultivés.» Dans l'Allier, Sophie et son mari n'ont eu aucunmal à se constituer un réseau d'amis. Car, dans certaines régions, les néoruraux ont en réalité

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beaucoup de copains parmi leurs voisins! Mais voilà, peu d'entre eux sont agriculteurs depuisplus de dix ans: ils sont plutôt musiciens, éditeurs, ébénistes, producteurs de citrons bio,dessinateurs de BD... Ils mènent une vie sociale intense, rythmée par les événements organiséspar les associations dans lesquelles ils militent: expositions, festivals, braderies, concerts oulectures. Et chaque installation est accueillie par un apéro de bienvenue, véritableintronisation du nouvel arrivant parmi ses pairs.

Mentalité d'expatriésSe regrouper par affinités intellectuelles est un réflexe naturel. Mais Guy et Elisabeth Floriant,le couple qui a monté une maison d'hôte dans l'Yonne, se tiennent volontairement à l'écart dela confrérie des bobos ruraux. «Ce sont des gens intéressants mais tellement prétentieux»,explique Elisabeth. «Ils se croient mieux que tout le monde: mieux que les urbains, bien sûr,mais surtout mieux que les ruraux eux-mêmes!» fulmine Guy. Parce qu'ils sont très attachés àla nature et à sa préservation, les néoruraux ont parfois tendance à penser qu'ils aiment plusla campagne que les paysans eux-mêmes. Un peu comme les expatriés qui se disent plusamoureux de l'Afrique que les Africains eux-mêmes! Alors, en réalité, si la mode du «retour àla terre» consiste à vivre comme un expatrié dans son propre pays, il n'est pas nécessaire de seterrer à la campagne. Autant investir dans une usine désaffectée de Montreuil: on peut ycroiser ses amis artistes au marché bio, sans jamais avoir à partager la misère sociale de ceuxqui n'ont pas choisi d'y vivre. Et puis c'est plus près de la grande ville!

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