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Le grand chantier haussmannien Paris au xix e siècle connaît une transformation complète, à la fois de son paysage et de sa structure urbaine. La croissance démographique fait passer la capitale d’un million d’habitants vers 1835 à deux millions vers 1870, trois millions en 1885 et peut-être quatre en 1900. Ce surplus de population vient en grande partie de la province et s’entasse d’abord à l’intérieur de l’ancien mur des Fermiers généraux avant de déborder vers les faubourgs et la banlieue. En 1860, Paris doit d’ailleurs être agrandi et compte désormais vingt arrondissements, à peu de chose près ceux que nous connaissons aujourd’hui. Ses nouvelles limites intègrent d’anciens villages, comme Passy, Montmartre, Belleville ou Vaugirard. Le paysage urbain lui-même se métamorphose, à la fois spontanément, à cause de la croissance démographique, et du fait d’une politique volontaire d’urbanisme : Notre-Dame, le Palais de justice et l’Hôtel de Ville sont dégagés du fouillis d’habitations qui les enserrait jusqu’alors, les masures sont rasées, la Préfecture de police est construite, l’Hôtel-Dieu est rebâti, des voies nouvelles sont créées, bordées de trottoirs, comme le boulevard de Sébastopol, artère type inaugurée en 1858 par l’empereur, et qui fait partie de la grande croisée est-ouest / nord-sud, inspirée du cardo et du decumanus antiques. Zola fait de ce nouveau Paris à la fois l’espace privilégié de certains de ses romans et un personnage à part entière. a Bisson frères, Paris, Panorama de l’île de la Cité et du Louvre en 1857 BNF, Estampes et photographie, Eo. 14 Le Paris de Zola J’aime d’amour les horizons de la grande cité. Critique du peintre Jongkind, 1872, Mélanges, OC, p. 86-87 Là-bas, du côté des Halles, on a coupé Paris en quatre. Oui, la grande croisée de Paris, comme ils disent. Ils dégagent le Louvre et l’Hôtel de Ville. Quand le premier réseau sera fini, alors commencera la grande danse, le second réseau trouera la ville de toutes parts pour rattacher les faubourgs au premier réseau. Les tronçons agoniseront dans le plâtre… Une entaille là, une entaille plus loin, des entailles partout. Paris haché à coups de sabre, les veines ouvertes… La Curée, p. 113-114

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Le grand chantier haussmannienParis au xixe siècle connaît une transformation complète, à la fois de son paysage et de sastructure urbaine. La croissance démographique fait passer la capitale d’un million d’habitantsvers 1835 à deux millions vers 1870, trois millions en 1885 et peut-être quatre en 1900.Ce surplus de population vient en grande partie de la province et s’entasse d’abord à l’intérieurde l’ancien mur des Fermiers généraux avant de déborder vers les faubourgs et la banlieue.En 1860, Paris doit d’ailleurs être agrandi et compte désormais vingt arrondissements, à peude chose près ceux que nous connaissons aujourd’hui. Ses nouvelles limites intègrent d’anciensvillages, comme Passy, Montmartre, Belleville ou Vaugirard. Le paysage urbain lui-mêmese métamorphose, à la fois spontanément, à cause de la croissance démographique, et du faitd’une politique volontaire d’urbanisme : Notre-Dame, le Palais de justice et l’Hôtel de Villesont dégagés du fouillis d’habitations qui les enserrait jusqu’alors, les masures sont rasées,la Préfecture de police est construite, l’Hôtel-Dieu est rebâti, des voies nouvelles sont créées,bordées de trottoirs, comme le boulevard de Sébastopol, artère type inaugurée en 1858par l’empereur, et qui fait partie de la grande croisée est-ouest/nord-sud, inspirée du cardoet du decumanus antiques. Zola fait de ce nouveau Paris à la fois l’espace privilégié de certainsde ses romans et un personnage à part entière.

a

Bisson frères, Paris, Panorama de l’île de la Citéet du Louvre en 1857BNF, Estampes et photographie, Eo. 14

Le Paris de Zola

J’aime d’amour les horizons de la grande cité.Critique du peintre Jongkind, 1872, Mélanges, OC, p. 86-87

Là-bas, du côté des Halles, on a coupé Paris en quatre. Oui, la grande croiséede Paris, comme ils disent. Ils dégagent le Louvre et l’Hôtel de Ville. Quand lepremier réseau sera fini, alors commencera la grande danse, le second réseautrouera la ville de toutes parts pour rattacher les faubourgs au premier réseau.Les tronçons agoniseront dans le plâtre… Une entaille là, une entaille plus loin,des entailles partout. Paris haché à coups de sabre, les veines ouvertes…

La Curée, p. 113-114

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Un «système» urbanistique

Qui est Haussmann?Georges Eugène Haussmann (1809-1891) serallie à Louis Napoléon Bonaparte dès 1848 :préfet de la Gironde en 1851, il y fait triompherle coup d’État, ce qui lui vaut d’être nommépréfet de la Seine dès 1853. En poste pendantseize ans, il se voue à la transformationdu paysage urbain de la capitale (le terme«haussmanniser » date de 1892) et s’entourede techniciens de valeur dont deuxpolytechniciens, ingénieurs des Ponts etChaussées, Belgrand (1810-1878) et Alphand(1817-1891). Il reste en fonction jusqu’enjanvier 1870, date à laquelle il est contraintde démissionner sous la pressiond’une coalition de mécontents (des prochesde l’empereur comme Rouher, des députésde province, des opposants républicains).

Les trois réseauxL’aménagement de la capitale va sedérouler en trois temps qui se traduisent,dans l’espace parisien, sous la formede trois « réseaux».

Le premier réseau (« la grande croisée deParis, comme ils disent ») est réalisé de1854 à 1858 à l’instigation de l’empereurlui-même qui en donne l’impulsion,selon le témoignage d’Haussmann dansses Mémoires. Il s’agit de désenclaverle centre en réalisant une grande croiséenord-sud et est-ouest. Napoléon III aurait« conçu une carte de Paris sur laquelleon voyait tracé par lui-même en bleu,en rouge, en jaune et en vert suivantleur degré d’urgence les différentes voiesnouvelles qu’il se proposait de faireexécuter ». La grande trouée nord-sud,de la Villette à la barrière d’Enfer(actuelle place Denfert-Rochereau),est réalisée par la percée du boulevardde Sébastopol, alors appelé boulevard deStrasbourg, inauguré en 1858 et prolongésur la rive gauche par le boulevard Saint-Michel. La grande percée est-ouest estquant à elle bien incomplète puisqu’ellene concerne que la rive gauche avecle boulevard Saint-Germain.

« Le second réseau trouera la ville detoutes parts pour rattacher les faubourgsau premier réseau» (La Curée, p. 113).De nouveaux boulevards (boulevard duPort-Royal, boulevard du Prince-Eugène– actuel boulevard Voltaire –, boulevardSaint-Marcel) permettent une circulationconcentrique avec l’objectif premier

Les hauteurs de Passy. Dans Une paged’amour, Paris devient un personnage à partentière, dont la description rythme à cinqreprises l’ensemble du roman.

de relier les gares parisiennes entre elles.Le résultat est en fait bien médiocre ;seules les gares du Nord et de l’Est sontaisément accessibles de l’une à l’autre.La gare Montparnasse est quant à elletrès mal raccordée au centre du faitd’une mauvaise conception de la rue deRennes : si son tracé avait été poursuivitout droit vers la gare du Nord, il auraitentraîné la destruction de l’Institut etd’une partie de la colonnade du Louvre.

« Il y aura un troisième réseau […] celui-là est trop lointain, je le vois moins,[…] mais ce sera de la folie pure, le galopinfernal des millions, Paris soûlé etassommé» (La Curée, p. 114). Le troisièmeréseau enfin, le plus onéreux, vise à ouvrirParis sur les 18 communes des faubourgsannexées en 1860. La capitale a alorsdoublé sa superficie en empiétantsur l’espace compris entre l’ancien murdes Fermiers généraux et les fortificationsdatant de 1841-1845. De nouveauxboulevards sont créés (boulevard Arago,boulevard de Grenelle) sur l’enceintedu xviiie siècle, détruite, et la populationparisienne passe de 1 million à 1696000habitants. Il s’agit de donner de l’espaceà la capitale par de larges «entailles »,tout en édifiant des monuments urbainsdignes d’une capitale européenne.

Ainsi du nouvel Opéra conçu par CharlesGarnier en 1861 et inauguré en 1875. Saconstruction est décidée par décret impérialsur un emplacement choisi par Haussmann lui-même, ce qui contribue à accentuer leglissement des activités vers l’Ouest parisien.

La masse énorme et sombrée de l’Opérafaisait penser à un vaisseau démâté, la carèneprise entre deux rocs résistante aux assautsde la tempête.

Une page d’amour, p. 288

Dès ma vingtième année, j’avais rêvéd’écrire un roman dont Paris, avec l’océande ses toitures, serait un personnage,quelque chose comme le chœur antique.

Une page d’amour, lettre préface à l’éditionillustrée de l’œuvre, publiée en 1884

Communes incorporées à Parisà partir de 1860

Paris pendant la première moitié du xixe siècledélimité par l’enceinte des Fermiers généraux

Enceinte fortifiée de Thiersconstruite de 1841 à 1845

Les travaux d’Haussmann(les principaux axes)

Grande croisée nord-sud et est-ouest

Belleville

Bercy

Montmartre

Les Batignolles

Vaugirard

Grenelle

Auteuil

Passy

Des bois périurbains sont aménagés : le boisde Boulogne, théâtre de la parade du tout-Paris,est cédé par l’État à la Ville à condition que celle-ci y réalise d’importants travaux d’aménagement,comme ces imposantes allées cavalières auxcourbes majestueuses et la plantation de plus de400000 arbres.

Ce coin de nature, ce décor qui semblaitfraîchement peint, baignait dans une ombrelégère, dans une vapeur bleuâtre qui achevaitde donner aux lointains un charme exquis.

La Curée, p. 42-43

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Le café Baudequin était situé sur leboulevard des Batignolles à l’anglede la rue Darcet.[…] La bande […]s’y réunissait régulièrement ledimanche soir.

L’Œuvre, p. 143

Plan de Paris, publié par E. Andriveau-Goujon, 1869,BNF, Cartes et plans, Gec 7134

Le quartier de la place Gaillon, à proximitéde l’Opéra. Zola y situe l’action de Pot-Bouille,le roman de la petite bourgeoisie, ainsi que celle deson « roman sur les grands magasins », Au Bonheurdes dames. On y voit en particulier le percementde la rue du Dix-Décembre (1848, date de l’électionde Louis Napoléon Bonaparte à la présidence dela République), devenue la rue du Quatre-Septembre(1870, date de la proclamation de la république).

Le quartier de la Goutte-d’Or,faubourg de Paris au-delà de la barrièrePoissonnière, devient alors un quartier populairedu nord de Paris. Zola y situe l’intégralitéde L’Assommoir, le « roman du peuple ».

Le quartier des Batignolles. Situé à proximitéde la place de Clichy, c’est le quartier desartistes. Zola y habite une grande partiede sa vie et y situe de nombreux épisodesde L’Œuvre. On y trouve le fameux caféGuerbois, transformé en « café Baudequin »dans le roman, lieu de rendez-vous despeintres, critiques d’art et journalistes.

Ce quartier, où elle éprouvait une honte, tant ilembellissait, s’ouvrait maintenant de toutes partsau grand air. […] Sous le luxe montant de Paris,la misère du faubourg crevait et salissait cechantier d’une ville nouvelle, si hâtivement bâtie.

L’Assommoir, p. 428-429

C’était à l’encoignure des rues Neuve-Saint-Augustin et de la Michodière, un magasinde nouveautés dont la porte s’ouvraitsur le triangle étroit de la place Gaillon.

Au Bonheur des dames, p. 15à raccorder à la page précédente

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Les grands aménagements Les travaux de captage des eaux sont confiésà l’ingénieur Belgrand : des aqueducspermettent d’approvisionner la capitale en eaupotable. Les eaux de la Dhuys sont ainsiamenées jusqu’au réservoir de Ménilmontantpar un aqueduc long de 131 km et alimententtout le Nord, alors que le Sud reçoit les eauxde la Vanne qui arrivent au réservoir deMontsouris par un aqueduc long de 140 km.Un réseau hiérarchisé de près de 600 kmd’égouts se met en place. Ils aboutissentà la Seine en aval d’Asnières.

Les HallesPrès de 300 maisons sont détruites pourlaisser la place aux nouveaux pavillons érigéspar Victor Baltard. Napoléon III intervient pourconseiller l’emploi du fer et du verre, peut-êtresur les conseils de Viollet-le-Duc : «Ce sont devastes parapluies qu’il me faut, rien de plus »,et l’architecte est contraint de se plier à sesdésirs en renonçant à la pierre. Les Halles sontachevées en 1874 et Zola y situe l’intégralitéde l’action du Ventre de Paris.

Les Halles centrales de Paris, xixe siècle, BNF, Estampes, Va 229c fol.

Les espaces vertsPlus de 1800 ha d’espaces verts vont êtrecréés dans la capitale par l’ingénieur Alphand,auquel Haussmann confie également la tâchede planter des arbres sur toutes les nouvellesartères de plus de 20 m de large. Des parcsintra-muros sont ainsi créés : le parcMontsouris, les Buttes-Chaumont, construitessur les collines de gravats provenant desdémolitions, et le parc Monceau, « plate-bandenécessaire de ce Paris nouveau » (La Curée).Dans La Curée, Aristide Saccard est unfinancier qui profite de la politique de grandstravaux de l’Empire. Il se fait construire unsplendide hôtel particulier en bordure du parcMonceau.

Un mobilier urbain unifié est égalementmis en place : bancs, grilles des parcs etdes jardins, kiosques, lampadaires équipentles nouvelles artères et les jardins publics.

Émile Zola, Plan des Halles, dossier préparatoire pour Le Ventre de Paris,BNF, Manuscrits, NAF 10335, f. 135

Ils entrèrent sous une des rues couvertes,entre le pavillon de la marée et le pavillonde la volaille. Florent levait les yeux, regardaitla haute voûte, dont les boiseries intérieuresluisaient, entre les dentelles noires descharpentes de fonte. Quand il déboucha dansla grande rue du milieu, il songea à quelqueville étrange, avec ses quartiers distincts, sesfaubourgs, ses villages, ses promenades etses routes, ses places et ses carrefours, misetout entière sous un hangar, un jour de pluie,par quelque caprice gigantesque. L’ombre,sommeillant dans les creux des toitures,multipliait la forêt des piliers, élargissaità l’infini les nervures délicates, les galeriesdécoupées, les persiennes transparentes ;et c’était au-dessus de la ville, jusqu’au fonddes ténèbres, toute une végétation, touteune floraison, monstrueux épanouissementde métal, dont les tiges qui montaient enfusée, les branches qui se tordaient et senouaient, couvraient un monde avec leslégèretés de feuillage d’une futaie séculaire.

Le Ventre de Paris, p. 67

Les soirs d’été, lorsque le soleil oblique allumait l’or des lampessur la façade blanche, les promeneurs du parc s’arrêtaient, regardaientles rideaux de soie rouge drapés aux fenêtres du rez-de-chaussée ;et, au travers des glaces si larges et si claires qu’elles semblaient,comme les glaces des grands magasins modernes, mises là pourétaler au-dehors le faste intérieur, ces familles de petits-bourgeoisapercevaient des coins de meubles, des bouts d’étoffes, des morceauxde plafonds d’une richesse éclatante, dont la vue les clouaitd’admiration et d’envie au beau milieu des allées.

La Curée, p. 53

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Place aux riches ! Véritable «monument» urbain, dontle gabarit et l’apparence sont désormaisunifiés, l’immeuble haussmanniencomprend généralement cinq étages,entresol compris, surmontés d’unsixième étage mansardé, réservé aupersonnel de service. La modernité etle confort sont de règle : eau couranteet «gaz à tous les étages», commele signalent les panneaux à l’entrée.Le règlement de 1859 établit désormaisun rapport entre la hauteur de l’immeubleet la largeur de la rue, qui doivent êtreidentiques. À l’intérieur, le principed’uniformité domine et les appartementsse ressemblent tous d’un étage à l’autre.La ségrégation verticale, qui opposaitles étages «nobles» du premier etdu deuxième aux étages roturiers dutroisième et du quatrième, laisse la placeà une ségrégation horizontale, entrela rue aux façades de pierre de tailleet la cour en brique, ou entre quartiersbourgeois à l’Ouest, et quartierspopulaires à l’Est, au Sud et au Nord.

Côté courUn terrible bruit s’en échappa. La fenêtre, malgré le froid,était grande ouverte. Accoudées à la barre d’appui, la femmede chambre noiraude et une cuisinière grasse […] se penchaientdans le puits étroit d’une cour intérieure, où s’éclairaient faceà face les cuisines de chaque étage. Elles criaient ensemble, lesreins tendus, pendant que, du fond de ce boyau, montaient deséclats de voix canailles… C’était comme la déverse d’un égout :toute la domesticité de la maison était là à se satisfaire.Octave se rappela la majesté bourgeoise du grand escalier.

Pot-Bouille, p. 9

Georges Bellenger, La cour des cuisines vuede haut en bas, illustration pour Pot-Bouille, 1883 BNF, Littérature et art, 4-Y2-799

La rue du Quatre-Septembre, percée sous Haussmann,éclairée par le nouveau système de « gaz perfectionné » (1879)BNF, Estampes, Va 236 e

L’immeuble haussmannien

Côté rueAu premier, des têtes de femmes soutenaient un balconà rampe de fonte très ouvragée. Les fenêtres avaient desencadrements compliqués, taillés à la grosse sur des poncifs ;et, en bas, au-dessus de la porte cochère, plus chargée encored’ornements, deux amours déroulaient un cartouche où étaitle numéro, qu’un bec de gaz intérieur éclairait la nuit.

Pot-Bouille, p. 6

Émile Zola, Plan de la maison de la Goutte-d’Or,dossier préparatoire de L’Assommoir, 1877BNF, Manuscrits, NAF 10271, f. 102

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Les objectifs d’HaussmannLa transformation du paysage urbainparisien répond à trois objectifs, d’ordrestratégique, politique et social.En détruisant les ruelles propicesà l’érection de barricades, le pouvoir asans doute répondu à un souci de maintiende l’ordre qui peut sembler évidentau lendemain des troubles politiquesayant suivi le coup d’État du 2 décembre.D’imposantes casernes sont érigéesau carrefour d’avenues rectilignescomme la caserne des Célestins àproximité du boulevard Henri IV. Paris estainsi « traversé par d’admirables voiesstratégiques qui mettront les forts au cœurdes vieux quartiers » (La Curée, p. 114).Mais cet objectif ne semble pas prioritaire,car de nombreuses ruelles subsistent et,surtout, les grandes percées concernentbeaucoup moins les quartiers populairesde l’Est et du Sud que les quartiersbourgeois de l’Ouest.Il faut en effet invoquer une deuxièmeraison aux bouleversements urbainsdu second Empire : le souci du prestigea joué un grand rôle, comme le montreparfaitement la célèbre avenue del’Impératrice, avec ses 140 m de large,qui conduit les visiteurs étrangers jusqu’aubois de Boulogne, où parade le « tout-Paris » de la fête impériale.Enfin, semble intervenir une dernière pré-occupation d’inspiration saint-simonienne :elle est d’ordre démographique et sanitaire.Il s’agit avant tout de faire circuler les fluxd’hommes, de marchandises, d’air etde lumière, en réduisant la misère urbaine,afin de relier les nouveaux quartiersles uns aux autres et de désengorgerle centre. « Il était impossible en présencedu développement de la population […]de conserver le vieux Paris tel qu’il était »,reconnaît, en 1867, le ministre Rouher,un des principaux opposants à l’urbanismehaussmannien.

Objectifs et bilan

Anonyme, Vue panoramique de Paris depuis l’Hôtel de Ville,conservée dans les «Notes sur l’œuvre » prises par Émile Zola en 1868-1869BNF, Manuscrits, NAF 10345, f. 131

Les comptes fantastiques d’HaussmannEn 1867, Jules Ferry fait paraître unebrochure dénonçant « Les comptesfantastiques d’Haussmann» (allusionironique aux « contes fantastiques»d’Hoffmann qui ont un grand succès sousle second Empire). Au total, deuxmilliards de francs-or ont été dépensés,ce qui équivaut au budget annuel de laFrance. Le célèbre opposant républicaindénonce surtout la spéculation effrénée,l’enrichissement d’une poignée depromoteurs (illustrés dans La Curéepar le personnage de Saccard). L’Étata en effet permis les expropriations parsimple décret impérial. Dans un premiertemps, le financement des travauxa été assuré par la revente des parcellesnon utilisées. Mais le Conseil d’Étatdécide en 1858 que ces dernières serontrendues à leurs propriétaires.Le financement doit désormais se fairepar les emprunts : de 60 millions en1860, on passe à 300 millions en 1868,sans compter les emprunts occultes.Ce sont les contribuables parisiensqui en paieront les intérêts, jusqu’en1914. Après cette date, l’inflation réduirala dette.

«Une ville de l’âge industriel »(Maurice Agulhon)Sur le plan de l’urbanisme, le succèsest certain. C’est une ville modernequi naît, réglée selon le principed’harmonie, avec le souci de la « grandecomposition». Le parc de logementest multiplié par deux, du fait del’élévation de la hauteur des immeubles.Sur le plan social, Paris devient une « villebourgeoise» qui se vide de ses classespopulaires. Les loyers ont explosé.Le confort et la modernité profitentaux «couches nouvelles de la société »célébrées par Gambetta, c’est-à-direles classes moyennes.

Pistes pédagogiques

• Prendre un plan de Paris aujourd’hui etrepérer les grandes mutations survenuesdepuis la fin du xixe siècle : paysage urbain,monuments de prestige, voies decommunication, moyens de transport,nouveaux quartiers.

• Le grand magasin Au Bonheur des damesest situé par Zola dans le quartier de l’Opéra.Trouver un plan de Paris aujourd’hui etrepérer les noms de lieux cités par Zola :rue Neuve-Saint-Augustin, rue de laMichodière, place Gaillon, etc.

• Aux yeux de la génération romantique,Paris devient un objet neuf, un spectaclepermanent, à regarder autrement.En vous appuyant sur le dossier mis en lignepar la BNF sur ce sujet, retrouver d’autresdescriptions de Paris chez les prédécesseursou les contemporains de Zola, en insistantsur leurs différences (Paris-femme, Paris-monstre, Paris-labyrinthe, etc.).

Bibliographie

• Agulhon (Maurice) et Duby (Georges),(sous la direction de), Histoire de la Franceurbaine, t. IV (avec Marcel Roncayolo),La Ville de l’âge industriel, le cyclehaussmannien, Paris, Le Seuil, 1983

• Gaillard (Jeanne), Paris la ville (1852-1870),Paris, Honoré Champion, 1976, rééditionL’Harmattan, 1998

• Loyer (François), Paris, xix e siècle.L’immeuble et la rue, Paris, Hazan, 1987

• Marchand (Bernard), Paris, Histoire d’uneville, xixe-xx e siècles, Paris, Le Seuil, 1993

• Zola (Émile), L’Assommoir, Paris,Classiques Hachette, 1999

• Zola (Émile), La Curée, Paris, Gallimard,Folio classique, 1981

• Zola (Émile), L’Œuvre, Paris, Le Livrede Poche, 1996

• Zola (Émile), Une page d’amour, Paris, Garnier-Flammarion, 1973

• Zola (Émile), Pot-Bouille, Paris, Gallimard,Bibliothèque de la Pléiade, t. III, 1964

• Zola (Émile), Le Ventre de Paris, Paris, Garnier-Flammarion, 1971

• « Le Paris d’Haussmann, au nom dela modernité », Textes et documentspour la classe, n° 693, avril 1995

Seules les belles constructions ont étéfavorisées, car la Ville perçoit alorsdes droits d’octroi élevés sur la pierrede taille ce qui permet de renflouer sescaisses. Les classes populaires quittentles anciens faubourgs, chasséesde Paris par l’élévation du prix desloyers dans la capitale et la perceptionde l’octroi, qui augmente le prixdes denrées et pèse désormais surles nouveaux quartiers intégrés depuis1860. Elles s’en vont peupler la«banlieue», dans des logements le plussouvent misérables, sans eau, sans airet sans hygiène.