Festival des Libertés 2012 : L'Antécrise

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Il est des phrases que l’on aime répéter. L’annonce de notre Festival annuel en fait partie. Fidèle au rendez-vous et à ses engage- ments, le Festival des Libertés prendra place au Théâtre National et au KVS du 18 au 27 octobre prochain.Il est des discours qui se répètent, de manière plus pénible. Depuis bientôt quarante ans, on nous dit que c’est la crise. La crise économique bien sûr mais aussi la crise de l’immobilier, la crise gouvernementale, les crises humanitaires ou encore la crise de civi- lisation. Quand la notion de crise occupe une telle place dans l’actualité, en bon libres penseurs, il nous semble intéressant d’inter- roger ce qu’elle signifie, ce qu’elle implique, ce qu’elle cache, les effets qu’elle engendre, les réactions qu’elle déchaîne...

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ED Sommaire

Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Bruxelles Laïque Echos est membre de l'Association des Revues Scientifiques et Culturelles - A.R.S.C. (http://www.arsc.be/)

Bruxelles Laïque asblAvenue de Stalingrad, 18-20 - 1000 BruxellesTél. : 02/289 69 00 • Fax : 02/502 98 73E-mail : [email protected] • http://www.bxllaique.be/

Editorial (Ariane HASSID)............................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 3

L’ Antécrise (Mathieu BIETLOT)............................................................................................................................................................................................................................................................................................ 4

Changer de cheval (Anselm JAPPE)................................................................................................................................................................................................................................................................................. 8

L’Écopar, une proposition économique libertaire (Normand BAILLARGEON) ..................................................................................................................................................................... 12

Réflexion d’un altermondialiste dépressif en voie de guérison (Amaury GHIJSELINGS).......................................................................................................................................... 16

INTERVIEW : Daniel CAUCHY : Benasayag, nouveau guide suprême ? (Amaury GHIJSELINGS) ................................................................................................................... 17

D’autres mondes en chantier 2.0 (Sébastien KENNES et Sophie LÉONARD)...................................................................................................................................................................... 21

Les initiatives de transition (Josué DUSOULIER) ............................................................................................................................................................................................................................................. 26

Vers un nouvel équilibre alimentaire (Daniel CAUCHY) .............................................................................................................................................................................................................................. 30

“On ne joue pas avec la nourriture” (Virginie PISSOORT)........................................................................................................................................................................................................................ 34

Les inégalités sociales de santé en Belgique (Michel ROLAND et Jean-Pierre UNGER) ......................................................................................................................................... 38

La médicalisation de l’accouchement : approche historique du genre (Francesca ARENA)................................................................................................................................ 43

Le sans-papiers décomplexés (Cedric TOLLEY) .............................................................................................................................................................................................................................................. 48

INTERVIEW : Ahmed AHKIM : La caravane qui ne passe pas (Pascale NIZET)................................................................................................................................................................. 52

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Il est des phrases que l’on aime répéter. L’annonce de notre Festival annuel en fait partie. Fidèle au rendez-vous et à ses engage-ments, le Festival des Libertés prendra place au Théâtre National et au KVS du 18 au 27 octobre prochain.

Il est des discours qui se répètent, de manière plus pénible. Depuis bientôt quarante ans, on nous dit que c’est la crise. La criseéconomique bien sûr mais aussi la crise de l’immobilier, la crise gouvernementale, les crises humanitaires ou encore la crise de civi-lisation. Quand la notion de crise occupe une telle place dans l’actualité, en bon libres penseurs, il nous semble intéressant d’inter-roger ce qu’elle signifie, ce qu’elle implique, ce qu’elle cache, les effets qu’elle engendre, les réactions qu’elle déchaîne…

Parmi ces réactions, l’angoisse et la panique ne sont pas des moindres. Le Festival des Libertés a souligné, dès 2006, que la peur,comme la plupart des réactions émotionnelles, n’est pas bonne conseillère et qu’elle favorise le déploiement de politiques sécuri-taires peu respectueuses des libertés. En 2012, nous pouvons nous inquiéter d’une généralisation de cette logique de la paniquebien au-delà des questions sécuritaires.

Mais plutôt que de nous inquiéter davantage, nous vous invitons, cette année, avec Nietzsche, à prendre le contre-pied de la criseet de l’effroi, à démultiplier les perspectives et rebondir positivement sur ce qui vacille pour inventer “L’Antécrise”. Celle-ci sedémarque des visions apocalyptiques et catastrophistes, en remettant en question le monde actuel pour tenter d’en construire unmeilleur. Elle invite à voir les choses autrement et à expérimenter de nouvelles voies.

Vous en saurez un peu plus au sujet de L’“Antécrise” en parcourant les pages qui suivent mais surtout en venant réfléchir et festoyeravec nous tout au long du Festival. Des documentaires exceptionnels illustreront les constats de crise dans des domaines etcontrées divers et variés. La déconstruction, le changement de perspective, la confrontation des points de vue et l’exploration depratiques alternatives animeront notre riche programme de débats et forums. Les contradictions de l’époque éclateront au grandjour sur la scène théâtrale. La musique, quant à elle, communiquera l’énergie positive nécessaire aux défis d’un monde à refaire.

Les réjouissances commenceront en fanfare avec la rencontre de deux formations tziganes : Taraf de Haidouks et Kocani Orkestar.

Le lendemain, films et débats interrogeront la place des populations Roms dans l’histoire et leur accueil aujourd’hui dans nos paysdémocratiques. Une petite crise, qu’avec nos partenaires habituels, nous avons vécue de près à Bruxelles et que nous tenterons dedépasser au Festival des Libertés.

Rendez-vous donc dès le 18 octobre au Théâtre National !

Ariane HASSIDPrésidente

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Dans l’Apocalypse de Saint-Jean comme dans les hadiths islamiques, les Antéchrists

ou al-Dajjâl annoncent la fin des temps et l’ouverture d’une ère nouvelle lorsqu’ils

auront été combattus. Etymologiquement, l’apocalypse est une mise à nu, l’enlèvement

du voile qui nous plonge dans l’illusion. Nietzsche a intitulé L’Antéchrist un de ses

ouvrages où il dénonce l’hypocrisie chrétienne et le mensonge idéaliste, où il réduit en

miettes toute philosophie du ressentiment, de la soumission, de la glorification de ce

qui nous écrase et nous affaiblit. Il invite à la transvaluation de toutes les valeurs, à ren-

verser et démultiplier les perspectives. Dans son livre suivant, Ecce Homo, il en appelle

à ne pas seulement détruire et dénoncer mais à affirmer la vraie vie, à faire croître les

énergies vitales, à prendre la place du créateur.

Par Mathieu BIETLOT*

*Bruxelles Laïque Echos

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Crises à n’en plus finir

Cela en devient lassant, désolant etennuyeux : notre actualité est à la crise. Onne parle presque plus que de cela. Onserait tenté de n’en vouloir plus rien savoir.Néanmoins, au lieu de la subir, nousaurions intérêt à interroger le concept decrise, ses usages sociaux et politiques, cequ’il voile ou ce qu’il révèle…

Historiquement, le premier emploi du motcrise, en latin et en français, est médical.Aujourd’hui, il est avant tout associé àl’économie : crise industrielle depuis lesannées 1970, crise économique depuis lesannées 1980, crise financière avec ses sou-bresauts de plus en plus réguliers depuisles années 1990 dont la crise des sub-primes en 2008-2009 et la crise de la detteet de l’euro en 2011-2012… Alors qu’unecrise désigne en général une manifestationsoudaine et temporaire, sur le plan écono-mique, le discours de crise, avec l’austéritéqu’elle implique, s’est installé dans la duréedepuis quarante ans. Il se répète, non pascycliquement mais continuellement. S’agit-il encore d’une crise ? Le discours se per-pétue mais la crise ne concerne pas tout lemonde de la même manière et dissimulesouvent les profits des plus riches. Il s’agitpeut-être moins d’une crise économiqueque d’une crise de la répartition desrichesses, une crise sociale.

Et de fait l’ambiance de crise déborde l’éco-nomique : crise sociale, crise de l’emploi,crise gouvernementale, crise environne-mentale, Europe en crise, crise humanitaire,crise immobilière, crise sanitaire, crise iden-titaire, crise des valeurs, crise de civilisa-tion… Toutes ces crises n’ont évidemment

pas le même sens ni la même portée maisl’on peut observer une certaine logique dela crise et des réactions similaires qu’elle atendance à provoquer dans chacun desdomaines pris séparément.

Paniques et crispations

La réaction la plus courante face à unesituation de crise consiste à paniquer ouangoisser. D’un point de vue psycholo-gique, la crise décrit ici une réaction émo-tionnelle de perte de moyens pouvant allerjusqu’à la crise d’apoplexie.

Peurs et angoisses dominent de plus enplus les rapports sociaux. Panique sociale,perte de pouvoir d’achat, menace nucléaire,affolement financier, alarme écologique,tsunami, terreur islamiste, épuisement dupétrole, grippe porcine, nocivité du tabac,nouveau millénarisme, malbouffe, accidentsd’autocar, angoisse existentielle… On apeur de tout ! Plus que jamais la peur est unmode de gouvernement de la société et unmode de fonctionnement des individus.

On peut comprendre que la plupart desgens paniquent face aux grandes crisesque traverse notre société. Certains deleurs avoirs ou acquis sociaux sont mena-cés, leurs droits et libertés remis en ques-tion, leur environnement et leur santé endétérioration continue… Plus profondé-ment, le sentiment général d’angoisse et denervosité ambiante est alimenté par l’ab-sence de perspectives au sein d’unesociété qui elle-même perd son assuranceet la confiance de ses citoyens, tant elles’avère de plus en plus incapable deconvaincre de sa propre cohérence etd’une maîtrise réelle de son destin.

Même si elles sont légitimes, les réactionsémotionnelles à brûle-pourpoint ne condui-sent pas à la plus juste et sereine desréponses. La peur, mauvaise conseillère,dérègle le jugement, paralyse, pousse aurepli et amène à accepter, voire à réclamer,la mise en place d’un pouvoir fort et demesures liberticides censés assurer la pro-tection. La peur pousse à la crispation.Chacun redoutant de perdre quelquechose, se raccroche au peu qu’il possède.Les patrons se crispent sur leurs préroga-tives, les syndicats sur leurs acquissociaux, les employés sur leurs emplois,les hommes politiques sur leur pouvoir, lesEtats sur leurs frontières, les “civilisations”sur leur culture… On assiste à un mélangeou une alternance de frilosité et de rigidité,voire de radicalisation. Les positions sefigent, les rapports se tendent, les opposi-tions s’exacerbent et personne ne voitcomment sortir de l’impasse.

Cette tendance à la crispation, au repli, à laposition défensive n’est évidement pasfavorable à la réflexion, au dialogue, à l’es-prit critique… bref à la culture démocra-tique. Elle s’avère en revanche de plus enplus propice à l’entretien des rancœurs, audéchaînement des haines et à des explo-sions de violence. Elle fait le lit des poli-tiques sécuritaires qui, pour répondre à desmenaces, souvent exacerbées, parfoisinventées, rognent sur les droits et libertés,dissuadent la contestation et stigmatisentdes boucs émissaires.

Se crispant sur ce qu’on connaît et ce quireste, on répond à la crise d’un systèmepar le renforcement de celui-ci. La crisefinancière occasionne la prise de mesuresfortes pour sauver la finance et les

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banques. La crise économique soulignequ’il faut relancer la croissance, intensifierla compétitivité et réduire les coûts du tra-vail. La crise de l’emploi justifie une injonc-tion à travailler plus et gagner moins.L’ébranlement des frontières territoriales etpolitiques par l’accélération de la mondiali-sation s’accompagne de nostalgies natio-nalistes ou régionalistes. Face à la crisedes valeurs, on observe une réaffirmationdes valeurs avec plus de fermeté voire defermeture d’esprit. Au lieu de prendreconscience, en cas de crise identitaire, quenos identités sont toujours plus multiples,mouvantes et mélangées, on assiste à larevendication d’identités figées aussi bienminoritaires que majoritaires.

Ainsi, la crise d’un système, au lieu de met-tre à jour ce qui défaille, entraîne la réaffir-mation de ce qui précisément a généré lacrise. La faillite d’un système se voit récu-pérée en motif de sa pérennisation. Au nomde la gravité de la crise, il faut se serrer lescoudes et la ceinture. Il n’y plus de placepour la réflexion, pour la nuance, pour lasouplesse, pour la prise de recul, il faut fon-cer tête baissée dans les solutions sim-plistes que nous inspirent nos certitudes ounos croyances bien ancrées.

Enfin, la convocation de la crise, en perma-nence et à tout propos, reflète une dépoliti-sation des questions, un abandon de lapolitique entendue comme déploiementd’action transformatrice au profit d’unenaturalisation des processus humains. Lescrises sont subies comme des catas-trophes naturelles de sorte que personnen’en est responsable mais qu’elles requiè-rent la responsabilisation de tous… Auxréponses politiques, on substitue des

réponses catastrophistes, fatalistes, poli-cières, sanitaires qui poussent à la soumis-sion et au sacrifice, ainsi qu’à la restrictiondes droits et des libertés. C’est au nom dela crise de l’emploi qu’on rogne sur le droitdu travail, au nom de la crise de la sécuritésociale qu’on restreint les allocations et lespensions, au nom de la crise de l’intégra-tion qu’on précarise les migrants.

Essoufflements et fins de règne

Loin du catastrophisme et de la défensive,au lieu de vouloir dissimuler les failles voirela faillite des systèmes en crise et de s’ac-crocher à ce que nous connaissons, negagnerions-nous pas à creuser les brèchespour découvrir que ce monde, déjà ancien,auquel nous nous référons est en train dese craqueler et de vaciller ?

A bien y regarder, toutes ces crises et cris-pations ressemblent à des symptômes defin de règne. Les systèmes, les modèles oules configurations (économiques, poli-tiques, sociaux, culturels, identitaires…)s’essoufflent, sentent qu’ils touchent à leurfin et s’acharnent – parfois thérapeutique-ment – à survivre coûte que coûte. La crisepersistante indiquerait alors qu’ils ont faitleur temps. L’histoire nous apprend qu’au-cun système ou modèle n’est éternel, pasplus qu’une série de notions qui nous sem-blent évidentes mais qui ne sont que desconstructions historiques telles que l’ar-gent, le marché, le travail salarié, l’État,l’impôt, la laïcité...

La plupart de nos paradigmes actuelsremontent plus ou moins à la modernité ous’inscrivent dans son sillage : l’économieindustrielle et de marché, l’État-nation et sa

prolongation dans l’Organisation desNations Unies, la démocratie parlemen-taire, la domestication de la nature, l’Étatsocial… Ils se sont mis en place suite à lafaillite des paradigmes du Moyen-Âge,remis en question par des évolutionsdémographiques, technologiques, écono-miques, géopolitiques, culturelles… Dansun premier temps, le Moyen-Âge s’estcrispé sur ses repères et sur ses fiefs,inapte qu’il était à intégrer ces évolutions.Ensuite, le changement de paradigmes etd’époque s’est inscrit dans la durée etn’eut pas lieu sans passer par des crises,des épidémies, des guerres, des luttes, desnégociations, des changements de rap-ports de force, des révolutions…

Opportunités et décisions

Peut-être traversons-nous aujourd’hui unepériode de transition historique d’un ordresimilaire. Nous ne savons pas où nousallons mais nous devons prendreconscience que le monde n’est plus habi-table avec les repères, les aménagementset les habitudes d’hier. Au lieu de vouloirsauver les meubles à tout prix, ne serait-ilpas temps d’anticiper, d’accompagner,voire d’organiser le déménagement ?

Dans sa connotation naturaliste et médi-cale, la crise est quelque chose que l’onsubit. Mais en grec, crise signifie d’aborddistinguer, trier, décider ; le terme “critique”en est d’ailleurs dérivé. Même le sensmédical renvoie au moment décisif d’unemaladie. Si la crise est un moment critique,il importe d’en faire également le momentde la critique. Un moment où il faut décider,faire des choix. En chinois, “crise” résultedu couplage de deux idéogrammes, l’un

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signifiant “danger”, l’autre “opportunité”.Leur association souligne le caractèreambigu, conflictuel et protéiforme de toutecrise.

A nous de voir alors dans les multiplescrises qui nous assaillent des opportunitésde sortir des réactions primaires et cris-pées, de se détacher de systèmes en fail-lite, de changer de grilles de lecture pourdécider de prendre d’autres directions,d’inventer d’autres réponses aux dangersqui guettent, de penser et d’expérimenterd’autres modes de gestion des ressourceset des libertés.

Décrispations et ouvertures

Il s’agit donc de substituer aux diversescrispations, une attitude de décrispation ;de troquer les œillères contre l’ouvertured’esprit ; de remplacer la rigidité et les sim-plifications par l’humilité et la nuance ; desortir du repli pour s’ouvrir à l’altérité et à lanouveauté. La décrispation implique unlâcher prise, une certaine détente pourprendre du recul mais il ne faudrait pasqu’elle aboutisse à la nonchalance et àl’apathie qui seraient une autre version dufatalisme que nous refusons.

Nous aurions tout à gagner si nous com-mencions par détendre nos relations avecautrui et avec le monde. Détendre ensuitenotre rapport au temps. Sortir desurgences, relever le nez du guidon de cecamion fou qui court à sa perte. Prendre letemps de la réflexion, de l’échange, del’imagination, de l’exploration et de l’expé-rimentation.

Prendre du recul pour élargir le champ de

vision et les visions trop souvent particu-lières, partielles et partiales. Prendre letemps de faire le ménage, de dépoussiérernos regards et d’opérer un certain tri entreles urgences qui nous assaillent. Prendre letemps d’interroger nos paradigmes, noscatégories de décryptage du monde, nosprincipes d’action. S’il faut reconnaîtrequ’une bonne part de nos repères sontobsolètes et ne sont plus aptes à penser ettransformer le monde de demain, tout n’estpas à jeter… Des principes ou projetscomme les droits de l’Homme, la démocra-tie ou la laïcité ne nous paraissent pasdépassés mais leurs modalités d’exerciceet de déploiement, les instances et sys-tèmes chargés de les garantir sont sansdoute à revoir, d’autant plus qu’ils ne sontplus en mesure d’en assurer l’effectivité.Faire le tri entre ce qui est à abandonner, cequi est à raviver, ce qui est à actualiser et cequi est à réinventer. Comparer ces repèresconnus à de nouveaux paradigmes, denouvelles manières de penser et d’agir.S’ouvrir à d’autres modalités d’organisationde la démocratie, à d’autres manières d’ha-biter la terre et d’aménager l’environne-ment, à d’autres liens entre économie etpolitique, à d’autres répartitions des terri-toires, à d’autres définitions de la propriété,à d’autres mécanismes de solidarité, àd’autres structures institutionnelles, à d’au-tres formes de socialisation, à d’autres rap-ports au corps…

Engagements et prises de risque

Il s’agit donc de prendre du temps et de ladistance sans pour autant s’extraire dumonde d’aujourd’hui et des réalitéssociales. Ces réflexions doivent s’ancrerdans la pratique afin de tenter de faire prise

sur un monde en changement. Interrogerl’histoire d’où nous venons et que nousvivons tout en se faisant acteur de l’histoireen cours.

Nous sommes aussi en période de crisedans le sens où c’est une période de trou-bles, où la situation est trouble. Nous nemaîtrisons pas tous les paramètres puisqueceux-ci sont en train de changer. Il n’y apas d’horizon clair, plus de modèle de réfé-rence, pas encore de voie à suivre. Il nousfaut sauter dans l’inconnu, avancer àtâtons et travailler sans filet. Assumer l’in-certitude. Une telle démarche implique uneprise de risque. Il faut être prêt à perdrecertaines choses pour en découvrir d’au-tres. Il faut savoir que le cheminementsera long, que nous ne trouverons pas toutde suite le ou les bons chemins, que nouspasserons sans doute par quelques égare-ments.

Mais nous devons déjà commencer à mar-cher en progressant par essais et erreurs.S’engager dans des recherches-actions. Iln’y aura pas de solution miracle ni uniquemais il existe déjà des projets novateurs,des idées qui s’essaient, des pratiques quise confrontent à la réalité. Les esquissesd’expérimentations vont un peu dans tousles sens. Il nous faut accepter cette multi-plicité, l’interroger. Confronter les initiativeset en débattre. Prendre le risque de laconfrontation, du débat et des pratiquescontradictoires. Assumer la conflictualitéinhérente à tout changement, à toute crise.Fertiliser les conflits pour en faire des vec-teurs de rassemblement non consensuel etde progrès humain.

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“Lorsque les artisans communistes se réunissent, c'est d'abord la doctrine, la propagande,

etc., qui est leur but. Mais en même temps ils s'approprient par là un besoin nouveau, le besoin

de la société, et ce qui semble être le moyen est devenu le but. On peut observer les plus bril-

lants résultats de ce mouvement pratique, lorsque l'on voit réunis des ouvriers socialistes fran-

çais. Fumer, boire, manger, etc., ne sont plus là comme des prétextes à réunion ou des moyens

d'union. L'assemblée, l'association, la conversation qui ont aussi la société pour but leur suffi-

sent, la fraternité humaine n'est pas chez eux une phrase vide, mais une vérité, et la noblesse

de l'humanité brille sur ces figures endurcies par le travail”1

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Lorsque Karl Marx écrivit, à 26ans, les Manuscrits de 1844, unde ses textes les plus impor-tants, il vivait à Paris et fréquen-tait les associations d’ouvriers

où l’on parlait socialisme. Il a toujoursattribué une grande importance à cettepremière rencontre avec des hommes quise proposaient de renverser pratiquementl’ordre bourgeois. Dans le paragraphe icicité (qui se trouve à l’intérieur d’un déve-loppement consacré à la dégénérescencedu besoin dans la société capitaliste), illeur a rendu un bel hommage – non seule-ment à leurs doctrines (qu’il commencerabientôt à critiquer sans pitié), mais enoutre à leur esprit de fraternité. Dans leurexistence quotidienne, dans leurs actesles plus simples, ils vivaient déjà d’unemanière différente par rapport à la sociétéqu’ils entendaient combattre.

Différentes études ont confirmé l’extraor-dinaire fertilité des milieux appelés “proto-socialistes”, surtout à l’époque de Louis-Philippe. Plutôt que d’“ouvriers” au sensmoderne, ils étaient formés essentielle-ment d’artisans avec un sens très déve-loppé de l’indépendance qui leur venait dusouvenir de leurs conditions anciennes,maintenant menacées par le progrès de lagrande industrie. Marx s’est éloignéensuite de ce qu’il appelait “le socialismeutopique” et de théoriciens comme P.-J.Proudhon qui restaient proches de l’étatd’esprit de ces artisans-ouvriers. Marxpréconisait alors un passage à peu prèsobligatoire de toutes les sociétés par lesaffres du capitalisme avant de pouvoiraboutir au communisme. Mais à la fin desa vie il a dû admettre à nouveau (dansses fameuses lettres à Vera Zassoulitch)

qu’il existait déjà des communautés prati-quant la propriété collective des moyensde production et qui auraient pu former labase du communisme futur : il s’agissaitdes communautés agraires russes tradi-tionnelles (mir).

A part la question de l’importance des réa-lités prémodernes pour un dépassementdu capitalisme2, ce qui apparaît ici est lapossibilité que l’opposition à la sociétébourgeoise et capitaliste soit menée pardes êtres humains profondément diffé-rents de cette société, de ses modes devie et de ses valeurs. Des êtres qui, mêmes’ils sont exploités et opprimés par cettesociété, pratiquent déjà, entre eux, deséléments de la vie qu’ils veulent réaliser àl’avenir par une lutte collective. Beaucoupde mouvements révolutionnaires dans lespériphéries, ainsi qu’une bonne partie dela mouvance anarchiste, sont nés de cettesituation d’extériorité par rapport au capi-talisme. Celui-ci était alors vécu commel’invasion d’une force venue d’ailleurs. Lemouvement anarchiste en Espagne qui atrouvé son climax dans la révolution de1936 tirait sa force de son enracinementdans une culture quotidienne des classespopulaires largement marquée par destraditions précapitalistes. Le mépris pourla richesse, une fois les nécessités debase satisfaites, et l’aversion au travail,surtout au travail industriel, étaient au fon-dement de cette mentalité3. Il s’agissaitsouvent plutôt d’un refus d’entrer dans lasociété capitaliste que d’un effort pour ensortir ou pour l’améliorer. Plus d’un siècleavant, les révoltes des Luddites enAngleterre avaient le même but : ne pasdevoir devenir des ouvriers. Au début dela Révolution industrielle, des propriétaires

d’usines en Angleterre constataient avecdésespoir que mettre au travail un high-lander – un habitant de la sauvage Écosseintérieure – dans une usine était comme“attacher un cerf devant une charrue”.

Jusqu’aujourd’hui, la diffusion du modede vie et de production capitaliste rencon-tre souvent de fortes résistances dans desrégions et des milieux qui lui sont encoreétrangers. Il ne faut pas idéaliser cesrésistances, parce qu’on y défend parfoisdes ordres fortement patriarcaux et hiérar-chiques, basés sur une primauté absoluede la communauté sur l’individu. Maiselles démontrent que le capitalisme peuttrouver des oppositions qui ne sont pasimmanentes, c’est-à-dire qui ne se pla-cent pas sur leur propre terrain. Ce qu’ontfait, au contraire, les courants principauxdu mouvement ouvrier. Les sociaux-démocrates se sont limités très vite, etexplicitement, à ne demander qu’une dis-tribution plus juste des fruits de la produc-tion capitaliste. Les léninistes affirmaientvouloir renverser complètement ce modede production. Mais pour y arriver,disaient-ils, il fallait d’abord passer par lecapitalisme, moderniser le pays, appren-dre de l’ennemi. Comme on le sait, Lénineindiquait dans la poste allemande unmodèle pour la construction du socia-lisme. Conséquemment, il prônait l’impor-tation du fordisme et du taylorisme –l’“organisation scientifique du travail” – enUnion soviétique. Dans ses notes sur“Américanisme et Fordisme”, AntonioGramsci, qu’on présente souvent commeune des sources les plus importantes pour le renouveau d’une critique socialealternative à feu le socialisme d’État, s’en-thousiasmait également pour le fordisme

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et la chaîne de montage – non seulementà cause de l’accroissement de la produc-tion qu’ils permettaient, mais aussi pourles effets bénéfiques sur la vie morale desouvriers. La discipline du travail, ditGramsci, leur ferait perdre des vicescomme le sexe hors mariage et laparesse !

Le radicalisme dans les méthodesemployées ne devrait pas faire oublier queles léninistes dans toutes leurs variantes,ainsi que les gauchistes, les communistesde conseils, … et également la majoritédes anarchistes ne se plaçaient pas horsdu cadre de la société basée sur la valeuret la marchandise, l’argent et le travailabstrait. Au contraire, le culte du travail yétait souvent porté à son paroxysme. Lagauche dénonçait l’exploitation du travailet les conditions dans lesquelles il sedéroulait. Mais elle avait totalement mis decôté un des fondements de la théorie deMarx : il n’est pas du tout naturel, maiscaractéristique du seul capitalisme, quel’activité sociale compte seulement, sanségard à son contenu, en tant que simpledépense de temps indifférencié – ce queMarx appelle le “travail abstrait” –, que cetemps forme une “valeur” fantomatique etque celle-ci se représente finalement dansl’argent. Exactement comme la scienceéconomique bourgeoise, la gauche danstous ses états considérait valeur et travailabstrait, marchandise et argent commedes facteurs éternels de toute vie sociale– il s’agissait donc seulement d’en assurerune distribution plus juste.

De même, la production industrielle et leproductivisme étaient fortement approu-vés par toutes les gauches (avec la seule

exception d’une partie du mouvementanarchiste, de certains artistes, commeles surréalistes, et de penseurs commeWilliam Morris). L’identification du bon-heur avec la consommation de marchan-dises ne trouvait que peu de critiques àgauche avant les années 1960, et est res-tée marginale même après. L’occupationprogressive de tous les espaces de la viepar la marchandise et le travail compor-taient la diffusion d’attitudes humainescomme l’efficacité, la vitesse, la discipline,l’esprit de sacrifice dans le domaine dutravail et la conception narcissique de sonpropre rôle dans la vie. La gauche souventen rajoutait encore, se félicitant infatiga-blement de toute “modernisation”. Bref,les oppositions anti-capitalistes du XXe

siècle étaient très largement des mouve-ments alter-capitalistes : des oppositionsimmanentes, qui entendaient mener labataille sur la meilleure façon de gérer lasociété du travail. La différence entre“radicaux” et “modérés” de gauche regar-dait alors plutôt la forme de l’interventionque son contenu. L’usine en autogestionouvrière, tout aussi polluante et tout aussitournée vers la réussite sur le marchéqu’avant, en était peut-être l’emblème.

Pendant les dernières décennies, l’écolo-gisme et le féminisme, les modes de vie,“alternatifs” et, récemment, des mouve-ments comme la “décroissance” ont misen question le modèle de vie propagé parle capitalisme industriel. Mais on sait quela revanche de la “critique artiste” sur la“critique sociale”4 a eu, elle aussi, deseffets pervers : elle aide le capitalisme à serestructurer, en récupérant ses critiquespour réaliser une gestion plus souple etplus individualisée, et en restant donc,

même sans le vouloir, dans une perspec-tive “immanente”.

Mais c’est surtout dans l’adoration du tra-vail-fétiche que le capitalisme et sesadversaires présumés démontrent leurappartenance en vérité au même univers.Sauf quelques exceptions timides et sou-vent incohérentes, presque personne nepeut s’imaginer une société qui ne soitplus basée sur la nécessité de vendre saforce de travail pour pouvoir vivre – mêmesi l’on ne trouve plus nulle part d’acqué-reurs. Les technologies ont remplacé letravail humain à un tel degré, dans tous lessecteurs, et dans le monde entier, que letravail a perdu son rôle de force produc-tive principale. Cependant, la productioncapitaliste n’a pas pour but la richesseconcrète, mais l’accumulation de valeur –qui ne se crée qu’avec l’utilisation de laforce de travail et qui, avec le surtravail,engendre la survaleur. Et ce n’est pasn’importe quel travail qui crée de la valeur,mais seulement celui qui reproduit le capi-tal investi selon les standards de la pro-ductivité mondiale. Voilà pourquoi mêmedes millions de nouveaux travailleurs enChine ne permettent pas à l’accumulationcapitaliste exsangue de se ranimer. Lesprofits encore obtenus par quelquesacteurs économiques, notamment dans ledomaine de la finance, ne démontrent nul-lement que le capitalisme, dans sonensemble, soit en bonne santé.

Pour le dire très brièvement, le problèmeprincipal aujourd’hui n’est plus seulementl’exploitation du travail (même si elleexiste, et plus qu’avant), mais le fait quedes couches de plus en plus larges depopulations ont été rendues “superflues”

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par une production qui se passe de laforce de travail humaine. Il est ridiculed’imaginer pouvoir donner du “travail” àtous les “superflus”. Il faudrait plutôt com-mencer à imaginer une société qui n’utilisepas son potentiel productif pour satisfairela quête d’un être fantomatique et féti-chiste comme la “valeur marchande”,mais qui se sert de ce potentiel pour satis-faire les besoins humains.

La crise du capitalisme est en mêmetemps la crise de ses adversaires tradi-tionnels. Avec la fin graduelle du travail, etdonc de la valeur et de l’argent “valable”qui en résulte, toutes les oppositions quis’y réfèrent ou qui veulent s’en emparerpour en faire un meilleur usage perdent deleur pertinence. Il en est de même pourceux qui veulent conquérir le pouvoir éta-tique pour le transformer en levier d’unetransformation émancipatrice. Pour pou-voir sortir de la société capitaliste finis-sante, il faut d’abord se séparer de toutesses bases, même dans la tête. Cela estplus difficile que ce qu’on peut croire,même si la conscience de l’urgence decette tâche semble plus répandueaujourd’hui qu’il y a quinze ans. Tous lesmembres des sociétés actuelles ontgrandi et vécu dans des conditions oùpresque chaque élément de la vie assumeune forme marchande et où l’on obtient cequ’on cherche à travers l’argent gagné parle moyen du travail (le sien ou celui desautres ; du travail présent ou passé).L’idée de disposer d’une grande quantitéd’argent est alors évidemment agréable,comme celle de voir les pouvoirs publicsmieux utiliser leurs fonds. En revanche,devoir affronter une dévalorisation généra-lisée de l’argent et du travail peut donner

le vertige et faire peur. Cependant, c’est àpartir du constat de cette nouvelle situa-tion créée par la crise qu’on peut com-mencer à imaginer une société post-capi-taliste qui ne se réduise pas à être uneautre version de ce que nous connaissonsdéjà.

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Anselm Jappe ainsi que BernardFriot participeront au débat Aprèsl’économie de marché ? le vendredi19 octobre à 20h. En partenariatavec Les Amis du MondeDiplomatique.

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

1Karl Marx, Manuscrits de 1844 (Économie politique et phi-losophie), tr. d’E. Bottigelli, Éditions sociales, Paris, 1972,pp. 107 & 108, chapitre “Signification des besoins humainsdans le régime de la propriété privée et sous le socialisme”.Traduction modifiée (dans la première phrase citée, Marxparle d’artisans (Handwerker), non d’ouvriers, comme tra-duit Bottigelli, et ensuite il utilise le mot français “ouvrier”). 2 Je me permets de renvoyer à mon article “Grandeur etlimites du romantisme révolutionnaire” (à propos de plu-sieurs ouvrages de M. Löwy et R. Sayre), Revue des livres(Paris) n° 2, novembre 2011.

3Voir “De ‘La lucha por Barcelona’ à ‘El elogio del trabajo’.L’anti-capitalisme des anarchistes et anarcho-syndicalistesespagnols des années trente” in Sortir de l’économie n° 4,2012, consultable au lien suivant : http://sortirdelecono-mie.ouvaton.org/sde-n4-p266.pdf 4 Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capita-lisme, Gallimard (“Essais”), Paris, 1999.

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L’Écopar,Par Normand BAILLARGEON*

*Professeur à l’Université de Québec Montréal

Nous aurions été enchantés d’accueillir Normand Baillargeon au Festival des Libertés afinde débattre avec lui à propos des alternatives à l’économie capitaliste et de la manière deconcrétiser celles-ci. Malheureusement, il n’aura pas pu nous rejoindre tant il lui tenait àcœur de soutenir ses étudiants face au retard accumulé à l’occasion des grandes grèvesde 2012. Le mouvement social qui secoue le Québec, rappelons-le, est emmené par lesétudiants qui résistent à la hausse des droits d’inscriptions, aux restrictions d’accès à l’en-seignement et aux dérives autoritaires du pouvoir québécois qui va jusqu’à promulguerdes lois pour entraver la liberté de manifestation et, partant, la liberté d’expression. Noussupposons que cette effervescence sociale sera aussi l’occasion d’une expérience poli-tique dans laquelle les propositions de Normand Baillargeon s’affermiront et seront abor-dées en prise directe avec la réalité sociale.

une proposition économique libertaire“C’est l’espérance, et non le désespoir, qui fait

le succès des révolutions”Pierre Kropotkine

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“Devant les terribles carences – ce sontsouvent de véritables crimes – de nos socié-tés, beaucoup de gens et bien des activistesse demandent, avec raison, quel autremode d’organisation sociale on pourraitimaginer qui nous épargnerait ces carenceset ces crimes et qui serait capable de le fairedans la longue durée et pas seulement àcourt terme ou de manière réformiste”.L’auteur de ces lignes est Noam Chomskyet, à n’en pas douter, il exprime ici tout hautce que bien des gens pensent tout bas.Mais la réponse qu’il donne à ces questionsen étonnera plus d’un. Chomsky poursuiten effet en disant : “L’Écopar est l’effort leplus sérieux que je connaisse pour donnerune réponse précise à certaines de ces cru-ciales questions, une réponse reposant surune pensée et des analyses sérieuses etcrédibles”.

Qu’est-ce donc que cette Écopar ? Il s’agiten fait d’un modèle économique d’inspira-tion libertaire dont Michael Albert, militantaméricain bien connu1, et Robin Hahnel,professeur d’économie à l’Université deWashington, sont les créateurs et il suscite,depuis quelques années, un intérêt crois-sant. On l’appelle en anglais Pare-con pour Participatory Economics, en fran-çais Écopar pour “économie participative”ou “participaliste”. Si on veut décrire trèssommairement cette économie, on pourradire qu’elle veut distribuer de manière équi-table les obligations et les bénéfices du tra-vail social, assurer l’implication des mem-bres dans les prises de décision àproportion des effets que ces décisions ontsur eux, développer le potentiel humainpour la créativité, la coopération et l’empa-thie, enfin, utiliser de manière efficace lesressources humaines et naturelles.

On peut en croire Chomsky : il s’agit d’untravail immense et sérieux, d’un travailcomme on n’en retrouve que trop rarement,aussi bien dans les milieux universitairesque militants et auquel, je dois le dire, je nepourrai rendre justice en quelques pages.Mais ce travail ambitieux est aussi fortmodeste. C’est que les auteurs n’ignorent niqu’une société est bien plus qu’une écono-mie, ni que le changement social ne sedécrète pas, ni enfin que l’instaurationd’une économie autre ne peut être queconsentie et exploratoire. Et c’est pourquoiils affirment volontiers que si la conceptiond’une économie est une tâche importante,elle ne représente qu’une part, cruciale sansdoute mais insuffisante, d’une analyse etd’une visée de transformation radicale de lasociété.

Éléments d’économie participaliste

Pour réfléchir aux questions que l’économieparticipaliste nous invite à envisager, nouspartirons d’une définition de ce qu’est uneéconomie. Une économie est un ensembled’institutions accomplissant essentielle-ment trois fonctions : allocation de res-sources, production, consommation. Lemarché est justement une institution écono-mique puisque par lui on alloue des res-sources, on produit et on consomme. Leplan des économies planifiées est un autreexemple d’institution économique etaccomplit lui aussi ces trois fonctions.Laissons de côté pour le moment le fait,indéniable et inévitable, qu’en pratique cesmodèles purs ne sont jamais entièrementréalisés2 et demandons-nous, avec Albert etHahnel, selon quels critères il convientd’évaluer les institutions économiques– réelles ou putatives. Poser cette question,

c’est en fait se demander quelles valeursnous souhaitons voir incarnées et promuespar nos institutions économiques.

Les créateurs de l’Écopar en proposentquatre, ce qui peut sembler peu mais quiest en réalité beaucoup et est même exac-tement ce qu’il faut – du moins si on pour-suit sérieusement ces valeurs.

La première est l’équité. Pour comprendrece qui est en jeu ici, il est commode de pen-ser à une économie comme à une tarte, quicontiendrait tout ce qu’une économie pro-duit en termes de biens, de services et ainside suite. La question de l’équité est desavoir quelle règle de partage doit prévaloir.Ici, quatre écoles de pensée proposentautant de conceptions de l’équité, qui s’in-carnent dans autant de maximes distribu-tives. La première défend le paiement selonla contribution de la personne ainsi quecelle des propriétés détenues par elle. Cequi serait alors équitable serait d’avoir droità ce que vous-mêmes et vos possessionscontribuent à la tarte. La deuxième maximepropose le paiement selon la seule contri-bution personnelle. La plupart des écono-mies et des économistes adoptent l’une oul’autre de ces maximes ou en proposentdes aménagements. Les traditions progres-sistes les rejettent cependant, notammentparce qu’elles produisent trop d’inégalitéset érodent la solidarité. Une autre maximepossible serait le paiement selon le besoin.Notons que cette maxime est admise par laplupart des gens n’ayant pas étudié l’éco-nomie (et cela en dit peut-être long surl’économie…) et par presque tout le mondeau moins en ce qui concerne certains biensparticuliers comme les soins de santé. Touten reconnaissant que c’est vers ce critère

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qu’il faut tendre, l’Écopar propose un nou-veau critère d’équité : l’effort. C’est là unchoix crucial et qui a fait l’objet de bien des discussions et de bien des débats.Explicitons-le. Dans une économie partici-pative, si une journée de travail consiste à,disons, cueillir des fruits, ce n’est pas laquantité de fruits cueillis par X mais l’effortfourni par lui ou elle qui détermine sa rému-nération. Bref : à effort égal, salaire égal.

Revenons à notre tarte. Sa production sup-pose du travail, on vient de le voir.Comment organiser celui-ci ? Et qui décidede ce qui est produit et consommé ? Onpourrait laisser ces décisions au marché etorganiser le travail selon un modèle hiérar-chique organisé : en ce cas, certains, enhaut, donnent des ordres tandis que d’au-tres, en bas, les exécutent. Les premiers,dans un marché, sont typiquement les pro-priétaires des outils de travail, dans uneéconomie planifiée, ce sont les dirigeantsdu Parti. L’Écopar rejette ces deux optionsau nom d’un principe d’autogestion. L’idéegénérale est ici la suivante : chacun de nousdoit pouvoir influer sur les décisions qui ontde l’impact sur lui à proportion de cetimpact. C’est là une des innovations lesplus intéressantes de l’Écopar et elle estlourde de conséquences sur la manièredont les décisions d’allouer des ressources,de consommer et de produire seront prises.Dans une telle économie, la prise de déci-sion à la majorité des voix n’est qu’un descas possibles de la décision juste : celui oùtous les participants sont également affec-tés par cette décision. Mais il y a des cas oùje suis seul à être affecté par une décision :en ce cas, il me revient à moi seul de déci-der. Notre deuxième valeur est donc l’auto-gestion.

La troisième valeur est la solidarité, enten-due comme la considération égale du bien-être des autres. En d’autres termes,l’Ecopar préconise une économie où je suisinvité à, et capable de, donner une considé-ration égale au bien-être des autres. La der-nière valeur est la variété, entendue icicomme diversité des outputs.

Que valent les institutions économiquesusuelles si on les évalue selon ces critères ?

Puisque la planification centrale aaujourd’hui si peu d’adeptes, je rappelleraisimplement ici la critique du marché pré-sentée par les auteurs – mais il faut savoirque leur critique de la première est aussitrès sévère3. Ils concluent que loin d’êtrecette institution socialement neutre et effi-ciente dont on vante les mérites, le marchéérode inexorablement la solidarité, valorisela compétition, pénalise la coopération, nerenseigne pas adéquatement sur les coûtset bénéfices sociaux des choix individuels(notamment par l’externalisation), supposela hiérarchie du travail et alloue mal les res-sources disponibles. Lors d’un entretien, M.Albert m’avouait : “Le marché, même àgauche, ne fait plus guère l’objet d’aucunecritique, tant la propagande a réussi àconvaincre tous et chacun de ses bienfaits.Je pense pour ma part que le marché estune des pires créations de l’humanité, quesa structure et sa dynamique garantissent lacréation d’une longue série de maux, quivont de l’aliénation à des attitudes et descomportements antisociaux en passant parune répartition injuste des richesses. Je suisdonc un abolitionniste des marchés,– même si je sais bien qu’ils ne disparaîtrontpas demain – mais je le suis de la même

manière que je suis un abolitionniste duracisme”.

Si on accepte cela, il faut inventer une nou-velle procédure d’allocation, de consomma-tion et de production : c’est justement ceque propose l’Écopar.

Au sein des lieux de production d’une Éco-par, personne n’occupe à proprement parlerun emploi, du moins au sens où ce termeest entendu d’ordinaire. Chacun s’occupeplutôt d’un ensemble équilibré de tâches,lequel est comparable, du point de vue deses avantages, de ses inconvénients ainsique de son impact sur la capacité de sontitulaire à prendre part aux décisions duconseil de travailleurs, à n’importe quelautre ensemble équilibré de tâches au seinde ce lieu de travail. De plus, tous lesensembles de tâches qui existent au seind’une société fonctionnant selon l’Écoparseront globalement équilibrés et il arriveramême, dans ce dessein, que des travail-leurs aient à accomplir des tâches à l’exté-rieur de leur lieu de travail.

Ce que de tels lieux de travail produirontsera déterminé par les demandes formuléespar des conseils de consommation.Chaque individu, famille ou unité, appartientainsi à un conseil de consommation dequartier, chacun de ces conseils appartientà son tour à une fédération parmi d’autres,lesquelles sont réunies en structures deplus en plus englobantes et larges, jusqu’auconseil national.

Le niveau de consommation de chacun estdéterminé par l’effort qu’il fournit, évalué parses collègues de travail.

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Le mécanisme d’allocation consiste en uneplanification participative décentralisée. Desconseils de travailleurs et des conseils deconsommateurs avancent des propositionset les révisent dans le cadre d’un processusqui a fait l’objet d’un travail considérable dela part des créateurs de l’Écopar, qui ont étéjusqu’à en construire un modèle formel. Ils yfont notamment usage de procédures itéra-tives, proposent des règles de convergenceet montrent comment des outils de commu-nication comme les prix, la mesure du tra-vail ainsi que des informations qualitativespeuvent être utilisées pour parvenir à unplan efficient et démocratique. M. Albert etR. Hahnel considèrent en fait que leur spé-cification de cette procédure constitue leurplus importante contribution au développe-ment d’une conception et d’une pratiqueéconomique libertaire et égalitaire.

Des limites d’espace m’obligent à arrêter icimon exposé – mais des indications bibliogra-phiques suivent ce texte et elles aideront quile veut à aller plus loin. Je souhaiteraiscependant conclure en disant pourquoi cetravail me semble tellement utile et important.

Contre le cynisme et la fatalité

Je partirai d’un constat. Depuis deuxdécennies d’assaut soutenu du capitalisme,nos mouvements militants ont tout comptefait peu mobilisé, ne l’ont fait que dans uneproportion sans commune mesure avec laréaction qu’appelaient et qu’appellent tou-jours les terrifiantes conséquences qu’a euce “train de la mort” néolibéral lancé à l’as-saut de toute la planète, et n’ont finalementobtenu que de préserver des acquis etd’empêcher certains maux sans avoir beau-coup de gains positifs à rapporter. L’Écoparfait le plausible pari qu’en proposant desavenues désirables et intellectuellementcrédibles, on lutte contre le sectarisme, lenihilisme, le cynisme, on lutte contre un mili-tantisme qui trouve son seul aboutissementdans l’énumération des misères du monde.L’Écopar nous invite à répondre clairementet profondément à la question : “Que vou-lons-nous ?”. Pour cela il nous incite àconstruire des modèles désirables et plausi-bles.Par eux, l’action militante peut se donnerdes objectifs et une direction, elle peut

prendre la mesure des progrès accomplis.Sans se contenter de ne viser que desavancées réformistes, elle peut faire reculercette pernicieuse idéologie selon laquelle lemonde que l’on connaît est nécessaire etl’avenir qu’il annoncent un destin contrelequel il serait illusoire et inutile de se battre.En outre, si elle est accomplie avec tout lesérieux qu’elle appelle, la démarche deconstruction de modèles, qui nous obligenon seulement à expliquer de manièreconvaincante pourquoi il faut refuser telle outelle institution, mais aussi par quoi il seraitpossible et souhaitable de les remplacer, ad’immenses vertus pédagogiques. Enfin,nos luttes souffrent de n’envisager tous lesproblèmes que dans le cadre que lui donnela propagande des institutions dominantes.La construction de modèles aide demanière forte à imaginer des solutions quisortent de ce cadre, par exemple en met-tant sur pied des institutions fonctionnantselon le modèle construit. C’est justementle cas de l’économie participaliste qui ins-pire déjà de nombreuses coopératives.

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Les alternatives aux institutions ducapitalisme et les représentationsdu salariat seront débattues avecAnselm Jappe et Bernard Friot lorsde la rencontre Après l’économie demarché ? le vendredi 19 octobre à20h.

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

1Michael Albert est, avec d’autres, le fondateur de la maison d’édition South End Press. Il a aussi fondé et il anime le méga-site Internet du mensuel Z [www.zmag.org]. On y trouvera uneimportante section consacrée à l’Écopar : [http://www.parecon.org/]. 2On peut par exemple arguer, et cela est très lourd de conséquences pratiques et politiques, que nos supposées économies de marché sont, dans une substantielle mesure, des économiesinterventionnistes de privatisation/nationalisation des coûts et de privatisation des profits ; ou encore que les firmes transnationales sont, de facto, des modèles d’économie planifiée.

3Un part de cette critique est celle des économistes néoclassiques, remarquant que pour que la planification soit efficiente, il faudrait que les décideurs puissent connaître et maîtriser l’in-formation nécessaire pour effectuer les calculs permettant l’élaboration du plan et pouvoir imposer les incitatifs qui assureront que les agents économiques accompliront leurs tâches res-pectives. Mais même si on accorde ces improbables prémisses, de telles économies détruisent systématiquement l’autogestion, empêchent la détermination par chacun de préférencespersonnelles qui prennent en compte de manière raisonnable les conséquences sociales de ses choix et favorisent la montée d’une classe de coordonnateurs en plus de générer de bienpiètres résultats sur le plan de la variété.

P o u r e n s a v o i r p l u sMichael Albert & Robin Hahnel, Looking Forward: Participatory Economics for the Twenty First Century,Boston: South End Press, 1991.Michael Albert, Après le capitalisme. Éléments d'économie participaliste, Editions Agone, Marseille, 2003.Michael Albert, L’élan du changement. Préface de Normand Baillargeon, Écosociété, Montréal, 2004.Normand Baillargeon, “Une proposition libertaire : L’économie participative”. Paru dans Les chiens ont soif,Comeau-Nadeau, Montréal, et Agone, Marseille, 2001. Disponible en ligne à :http://revueagone.revues.org/871

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Pour les altermondialistes, il y aura un avantet un après Miguel Benasayag. C’est dumoins ce que je crois en supposant quemon parcours tient davantage d’un mouve-ment historique qui me dépasse que del’anecdotique. Bien que M. Benasayagcompte de nombreuses qualités, je me per-mets de le réduire à sa fonction de psycha-nalyste en vous recommandant vivementce “médecin” franco-argentin qui m’a guéridu sentiment de culpabilité qui m’habitaitfaute de pouvoir formuler un modèle d’or-ganisation sociale alternatif, clé sur porte,au système actuel.

Mes premières séances avec l’auteur furentun choc. En rupture avec les idées révolu-tionnaires dominantes du 20e siècle, M. Benasayag ne nous promet rien !Platement, il nous fait voir la réalité en face :le monde est beaucoup trop complexe

pour que l’homme soit un jour capable demaîtriser son devenir et à terme de mettreen place un système où la justice socialeserait garantie une fois pour toute grâce àun manifeste magique qui, par ailleurs,reste à produire. A vrai dire, je l’avais déjàcompris, mais il m’a permis de me déculpa-biliser d’avoir pris mes distances avec lesgrandes idéologies des pères progressistesen affirmant que c’était sans doute la meil-leure chose qui m’était arrivé. Ensuite, il afallu renégocier avec moi-même mon projetexistentiel car je m’étais promis-juré-cra-ché sur la tête de Che Guevara que je feraisla révolution ! Cela faisait déjà quelquestemps que je vivais mal cette promesse,j’étais un militant triste. C’est ainsi que M. Benasayag nomme ceux qui, animéspar l’une ou l’autre idéologie, consacrentleur journée à expliquer à d’autres la recettedu Grand Soir et qui se réveillent chaque

matin un peu plus tristes de constater queleur prophétie ne se soit toujours pas réali-sée.

Bref, j’ai réorienté ma carrière vers un agirlocal et même si cette thérapie m’a amenéà enterrer mes utopies, je me rends compteque mon engagement a repris du sens. Eninvitant chacun à agir ici et maintenant,c’est l’horizon d’une justice sociale beau-coup plus proche de nous qui se dessine.Aujourd’hui, au travers d’expériencesconcrètes, des collectifs se consacrent à lamise en place de pratiques qui se différen-cient du système dominant. En créant cesespaces, d’autres se libèrent et nous pre-nons conscience de notre puissance d’agir,c'est-à-dire du pouvoir et du plaisir dechaque jour créer d’autres mondes dansl’ancien.

RéflexionPar Amaury GHIJSELINGS*

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on BenasayagInterview de Daniel CAUCHY, propos recueillis par Amaury GHIJSELINGS

Daniel Cauchy, formateur en éducation au développement et à l'environnement,

travaille actuellement à la mise en place d’un outil pédagogique visant à aborder

les alternatives citoyennes au système dominant. Dans ce but, il a mis en place

une soirée de réflexion collective sur la pensée de Miguel Benasayag. Ils seront,

tous deux, côte à côte, lors d’une conférence au prochain Festival des Libertés.

Daniel Cauchy partage ici son regard sur cet auteur qui est une de ses princi-

pales sources d’inspiration dans ses projets pédagogiques.

nouveau guide suprême ?

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Miguel Benasayag semble être devenuun incontournable au sein des mouve-ments alternatifs et des collectifscitoyens. Comment expliquer ce vifintérêt ?

Certains ont compris que notre époqueest celle de l’effondrement d’un grandrêve : celui des lendemains qui chantent.Plus précisément la faillite du développe-ment “à l’occidentale” : notre modèle devie, parce qu’il crée un désastre environ-nemental et des inégalités de plus en plusinsupportables, n’est ni généralisable, nisouhaitable. Les anciens repères ne fonc-tionnent plus. Nous sommes entrés dansune période d’incertitude et les crisess’accumulent : environnementale, sociale,financière, économique, climatique… laquestion se pose de comprendre les inter-actions de ces crises ou plutôt la crise dumodèle.

Le capitalisme (la modernité occidentale)n’est pas réductible à un mode de produc-tion et de distribution de la richesse, il estune culture, une conception du monde, unesprit, un projet. Nos dirigeants semblentbien perdus et tentent de gérer la criseavec les mêmes recettes que celles quil’ont produite. Dès lors, quand il n’y a plusde modèle, que faire ? Comment repenserl’action dans cette incertitude ?

Des associations citoyennes tentent d’ex-périmenter d’autres voies : un change-ment par la base, par le quotidien ; unchangement de culture. Miguel Bena-sayag s’intéresse depuis longtemps à ceslaboratoires, à ces lieux d’expériences denouvelles solidarités entre les humains etdes humains avec leur environnement. Il

propose une réflexion alimentant nos pra-tiques, mais aussi et surtout nous permet-tant de donner sens à nos actions. BertoltBrecht nous disait déjà : “Si tu ne peuxchanger le monde, change ta rue !”.Miguel Benasayag nous explique la vali-dité de cette proposition ! Depuis desannées, il observe l’émergence des nou-velles radicalités. Il se définit comme unmilitant chercheur, il tente d’apprendreavec l’aide de nombreux groupes à articu-ler la rationalité scientifique et l’engage-ment existentiel. Il nous aide à sortir de lacivilisation de la Promesse et de laConsolation en construisant un sens àl’action en situation, en rencontrant la joiede l’engagement comme mouvement iciet maintenant et non “pour demain”. Il for-mule très bien les réflexions qui animentde nombreux projets1 : agir pour plus dejustice, solidarité, respect tout en sachantqu’il s’agit d’un combat jamais achevé :justice, solidarité et respect sont toujoursà construire, jamais atteints. Paulo Freireécrivait : “le monde n’est pas, le mondedevient”.

Pour Miguel Benasayag, le changementsocial passera avant tout par une révo-lution anthropologique. Qu’entend-ilpar là ? Est-ce lié au courant éco-systé-mique auquel vous vous référez danstes approches pédagogiques ?

Pour Miguel Benasayag, la question del'alternative est anthropologique mais paspolitique (il dit que la politique vient tou-jours plus tard). Il nous faut construire desformes de vie différentes de celles que lesystème nous propose, créer des noyauxde résistance dans notre vie au quotidien.Le pôle alternatif ne peut être qu'un pôle

de vie, un pôle de création. Le mondepolitique n'a pas la possibilité de résoudreles grands problèmes car son domainec'est la gestion : il gère ce qui existe auprésent.

Je vous propose une petite histoire pouréclairer cette question. Elle nous vientd’un des fondateurs de l’approche systé-mique. Il était une fois un roi de Prusse quiaimait les cerises. Ayant assisté, outré, auspectacle d’oiseaux mangeant les cerisessur les arbres, il commanda à tout le peu-ple de Prusse d’exterminer les oiseaux.Tout le monde se mit à l’ouvrage, lesPrussiens aimaient sans doute aussi lescerises ou alors étaient obéissants, on nesait. Les oiseaux furent donc exterminés.L’année suivante il n’y eut pas de cerise auroyaume de Prusse.

Notre ami Benasayag dirait “Il y a del’épistémologie dans cette histoire”.Bateson aurait dit : cette histoire nousrévèle “une façon de penser”, c’est-à-direde créer une boucle entre un “pâtir”, unmodèle du monde et une façon d’agir. Enclair : si les oiseaux mangent les cerises(cause), en les éliminant, j’aurai descerises (effet). Notre drame actuel est clai-rement exprimé dans cette petite histoire.Nous coupons la réalité en morceaux, iso-lons ces morceaux de leur contexte et deleurs rétroactions, nous nous croyonsmaîtres du monde, indépendants et supé-rieurs du reste de la vie. Depuis lors, lesrois de Prusse se sont multipliés et lesoiseaux massacrés aussi ! Notre culture aoublié les liens. Cette manière de penser,nous séparant du vivant, nous instaurantcomme maîtres d’une réalité prévisible etcontrôlable s’est avérée désastreuse. Elle

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Le mouvement que l’on a appelé “systé-mique” a principalement porté une atten-tion à cette “façon de penser” et à sondépassement. Chaque époque, maisaussi chaque culture, a construit unefaçon de se représenter le monde ou plu-tôt de le fabriquer. Ce courant appelle“épistémologies” ces façons singulièresde fabriquer le monde. Les grands pèresfondateurs de cette révolution ont, chacunà leur manière, montré que la façon depenser des Occidentaux (c’est ainsi queGregory Bateson synthétisait la penséeanalytique et linéaire actuelle) avait certespermis de construire d’admirablesmachines, mais nous avait amenés à toutconsidérer comme des machines, y com-pris le vivant et nous-mêmes ! Ceci nous aconduits à l’impasse : le vivant relèved’autres fonctionnements que celui desmachines triviales ; il est auto-organisé etcomplexe.

Bateson écrivait : “La plupart de nos pro-blèmes proviennent de l’écart entre notremode de pensée et le mode de fonction-nement de la nature”. Considérant levivant comme une machine prévisible, lamodernité a cru devenir maître de la vie etmaître de son destin.

Pour les systémiciens, la crise est doncdans notre façon de penser, c’est unecrise épistémologique avant d’être unecrise économique, sociale ou climatique.Si l’on parle d’un indispensable change-ment de paradigme, c’est en ce sens :changer les bases, ou plutôt les prémisses

de notre façon de concevoir le monde etnotre place en son sein. Dire que la criseest paradigmatique, épistémologique,anthropologique sont différentes manièresd’attirer l’attention sur notre façon deconcevoir le monde, le vivant, l’homme.

Exprimé plus simplement, nous pourrionsdire qu’une des grandes caractéristiquesde l’homme est sa capacité à se raconterdes histoires et de vivre “dans” les his-toires qu’il se raconte. Nous vivons dansune maison de mots disait MichelTournier ! Et l’histoire que nous nousracontons en Occident, disons notre grandrécit, est assez spéciale et nous l’avonspas mal exportée. Sa forme contempo-raine s’est élaborée progressivement surquelques grandes inventions qui datent duXVIIe siècle. Nous avons inventé le réelobjectif et il convenait que ce réel ait uneforme particulière, qu’il soit mesurable,quantifiable, maîtrisable. Pour ce faire,l’observateur et l’esprit furent séparés del’objet observé. Il fallait découper lesobjets d’étude en petits morceaux. Les loisde la nature étaient découvertes et le fonc-tionnement de la grande horloge dévoilé.L’homme rationnel allait devenir maître deson destin, la médecine allait éradiquer lamaladie, l’économie, créer l’abondancepour tous… La figure du progrès et la pro-messe du paradis sur terre s’installèrentdans notre imaginaire collectif.

Personnellement, je comprends MiguelBenasayag comme un héritier et un conti-nuateur de cette révolution “systémique”,mais ce mouvement systémique a cecid’inconfortable : on ne sait où il com-mence ni où il se termine ! Les grandsthèmes de la systémique sont développés

par Benasayag : questionner notre repré-sentation du réel, la place de l’observateurdans l’observation, le lien entre la pensée,le sentir (le pâtir) et l’action, le rapportentre le tout et la partie ; considérer levivant comme auto-organisé, commeétant un mouvement, un processus plutôtqu’un état… Miguel Benasayag nousinvite à repenser l’engagement en fonctionde cette “nouvelle” façon de concevoir lemonde.2 Il nous invite à articuler notreengagement et notre action à cette épisté-mologie.

Benasayag n’a pas le monopole desidées qu’il développe. Quels sont lesautres auteurs dont la pensée s’articuleà la sienne ?

Je me méfierais fort d’un prophète isolé !L‘épistémologie de Benasayag est dans lacontinuité, est l’héritière des travaux deBateson, de Von Foerster, de Maturana etde Varela, de Von Bertalanffy… et de tousles auteurs et mouvements sociaux qu’ilcite. C’est passionnant de se rendrecompte qu’un peu partout dans le mondedes groupes de recherche vont formulerdes idées très proches : Paulo Freire et lemouvement de l’éducation populaire auBrésil, Edgar Morin en France, les systé-miciens aux Etats-Unis… Les idées desystème, de rétroaction, de boucles del’action et de la pensée, de complexité seformulent différemment mais émergentdans différentes disciplines et dans diffé-rents endroits du monde simultanément.

Quant à l’engagement, les mouvementssociaux indiens et l’expérience duChiapas seront importants pour MiguelBenasayag. Il souligne le pas de côté

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décisif de ces mouvements par rapport aupolitique. À ses yeux, les plus intéressantsde ces mouvements se placent dans un"au-delà" de la logique du pouvoir et ten-tent, sans modèle, sans attendre le grandsoir et ses lendemains qui chantent, dechanger la société, de transformer la vieen partant des situations concrètes.

Des mouvements variés apparaissent unpeu partout et ont des similitudes. Poursynthétiser très fort, ce sont des mouve-ments qui savent que le changement neviendra pas d’“en haut”, que cette fois-cic’est un changement de culture, devaleurs, de façon de vivre, de concevoir lavie qui est nécessaire. Un changement“anthropologique”… Le changement vien-dra “d’en bas, à gauche” écrit le sous-commandant Marcos.

Pour expliciter cela, je voudrais citerBruno Latour, qui écrivait dans un articleparu dans Le Monde : “Jusqu’ici, la radi-calité en politique voulait dire qu’on allaitrévolutionner, renverser le système écono-mique. Ce que nous avons à mettre enœuvre est d’un tout autre ordre : la criseécologique nous oblige à une transforma-tion si profonde qu’elle fait pâlir, par com-paraison, tous les rêves de changer desociété. La prise du pouvoir est une fiori-ture à côté de la modification radicale denotre train de vie. Que peut vouloir direaujourd’hui “l’appropriation collective desmoyens de production” quand il s’agit demodifier tous les moyens de production detous les ingrédients de notre existence ter-restre ? D’autant qu’il ne s’agit pas de leschanger “en gros”, d’un coup, totalement,mais justement en détails par une transfor-mation minutieuse de chaque mode de

vie, chaque culture, chaque plante,chaque animal, chaque rivière, chaquemaison, chaque moyen de transport,chaque produit, chaque entreprise,chaque marché, chaque geste”3.

Des mouvements donc, non plus seule-ment de lutte pour la distribution équitabledu gâteau, mais pour changer sa recette,comme le dit si bien Serge Latouche. Cesmouvements savent que nous ne connais-sons pas la réponse avant d’avoir posé laquestion ! C’est à la création de quelquechose de neuf que nous assistons, c’est àla création de quelque chose de neuf quenous participons. Ces mouvements ontintégré les idées d’interdépendance,d’écologie, de limites de notre biosphère,de solidarité comme indispensablebalance à la compétition. Ils tentent derépondre aux défis de notre temps etsavent que si nous pouvons nous inspirerdes expériences antérieures, c’est pour-tant quelque chose de neuf qui est àconstruire.

Miguel Benasayag a beaucoup écrit etnous en tirons déjà plusieurs citations.Selon vous, laquelle résume le mieux sapensée ?

Résumer la pensée de cet auteur seraitplutôt difficile ! Je choisis une citation quiexprime notre interdépendance avec levivant. Notre association tente de s’enri-chir d’autres cultures, et l’idée que nousappartenons au vivant et non l’inverse tra-verse les traditions. Nous recevons notreidentité de nos appartenances. Miguelécrit : “Nous ne sommes que liens. Avecnos amis, notre famille, notre environne-ment… Tout ce réseau forme le soubasse-

ment dont nous sommes la résultante. Laquestion “à qui vais-je me lier ?” n’a aucunsens.”

Miguel Benasayag nous parlera auFestival de l’engagement dans uneépoque obscure en dialogue avecDaniel Cauchy et Pablo Servigne, lemercredi 24 octobre à 19h. En parte-nariat avec Quinoa et Rencontre descontinents.

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

1Citons notamment : Les villes en transition, la pédagogiede Recherche Action pour la Résolution de ProblèmesCommunautaires de Claude Poudrier (Québec), lesAMAP… qui œuvrent “en situation” sans attendre que lechangement ne vienne d’en haut. 2 Tout en sachant que cette façon de concevoir le mondeest très ancienne ! Tchouang-tseu a dit : “On ne peut paschosifier le monde sans préalablement se chosifier soi-même.”

3Bruno Latour, “L'avenir de la terre impose un changementradical des mentalités”, Le Monde, 4 mai 2007.

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*Rencontre des Continents **Bruxelles Laïque Echos

en chantier 2.0Lors de sa précédente édition,

le Festival des Libertés a questionné les utopies porteusesd’un projet de société alternatif au modèle dominant. Nenous cantonnant pas au niveau réflexif et conceptuel, nous avions également souhaité allerà la rencontre de ceux qui cheminent concrètement, à travers des pratiques et des expé-riences d’utopies vécues ici et maintenant.

A cette occasion, Rencontre des Continents et Bruxelles Laïque ont réuni différentes initia-tives actives sur la scène bruxelloise1 dans des domaines aussi variés que l’agriculture pay-sanne et urbaine, le logement, le compostage, l’artivisme, la gestion de l’eau, la mobilité…mais partageant un horizon commun : construire une société plus juste, plus solidaire,davantage respectueuse de l’humain, de l’environnement et de la planète.

“Nous avons désespérément besoin d’autres histoires, non de contes de fées où tout est possible auxcœurs purs, aux âmes courageuses, ou aux bonnes volontés réunies, mais des histoires racontant com-ment des situations peuvent être transformées lorsque ceux qui les subissent réussissent à les penserensemble.”

Isabelle Stengers. Au temps des catastrophes

© photo Jérôm

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Au-delà de faire connaître cesprojets à un plus largepublic, cette table-rondeavait pour objectifs princi-paux de comprendre les

principes qui guident ces actions et depermettre un échange sur les questionsque se posent les acteurs ainsi que surles difficultés qu’ils rencontrent dansleurs pratiques. Un échange riche et unbel exercice d’écoute et d’intelligencecollective que nous avons souhaitérenouveler et inscrire dans la continuitéde cette édition 2012 du Festival desLibertés.

Le marasme dans lequel nous sommestoujours embourbés, cette “crise” donton ne voit comment sortir et qui renforcechez la plupart un sentiment d’impuis-sance, des replis identitaires et la crispa-tion sur de vieilles recettes dont on saitpourtant qu’elles sont éculées… Cette“époque obscure” rend en effet d’autantplus nécessaire la mise en lumière d’ini-tiatives citoyennes qui, à des échellescertes locales et sans doute encore tropsouvent méconnues, ne se contententpas de rêver à “un autre monde” et à deslendemains meilleurs utopiques, maisœuvrent concrètement à la constructionde nouveaux dispositifs d'actioncitoyenne, de façons d'agir et de penser,d'espaces de collaboration qui sontautant d'expressions “d’autres mondesen chantier” et d'alternatives possibles.

Sans viser à retransmettre l’exhaustivitédes échanges (y compris préparatoires)à la table-ronde, la présente contributionvise à faire la synthèse des réflexions etquestionnements principaux qui ont tra-

versé nos échanges en 2011, parmi les-quels la question de la participation et del’accessibilité de ces initiatives à unpublic plus large, question que noussouhaitons approfondir cette année.

Un changement de culture politique

Au-delà des différents champs d’action,de la diversité des thématiques et demodes d’action très variés, ces projetstémoignent d’abord de l’émergenced’une nouvelle culture politique de l'en-gagement où la réappropriation du poli-tique et des questions de société nepassent pas/plus uniquement par lesvoies traditionnelles des structures insti-tutionnalisées (associations, partis, syn-dicats...) ou lignes idéologiques.

Partant de problématiques et de situa-tions concrètes liées aux crises quenous traversons, comme l’absence delogement ou des problèmes récurrentsd’inondation dans un quartier, cetteautre manière d’agir en politique seconcrétise par la mise en place d’actionscollectives et territorialisées, plusancrées dans l’expérience et le quoti-dien. Si ces actions comprennent, de parleur existence même, une part de dénon-ciation et de critique du modèle enplace, l’objectif des acteurs impliquésvise avant tout à participer concrètementà l’élaboration de modèles alternatifsviables à long terme, sur le plan social,culturel, écologique et économique.

Loin d’une conception passive de ladémocratie, où le citoyen se limite, à tra-vers son vote, à déléguer la gestion desbiens communs2 à un pouvoir politique3

ou à s'en remettre à des opérateurs pri-vés dotés “d'expertise technique”, lesacteurs ici impliqués se réapproprient ledroit à définir leur environnement poli-tique, économique, culturel, écolo-gique… et à proposer des solutionspragmatiques.

Cette réappropriation passe par la cons-truction de savoirs collectifs et d’uneexpertise citoyenne, par la récupérationd’espaces publics privatisés, mais aussipar la libération des imaginaires, de lacréativité et du plaisir. C’est un travail delongue haleine, tant les chantiers sontmultiples, béants et le plus souventurgents. Pourtant, sans naïveté, en touteconscience du chemin à parcourir, desrapports de force et des embûches, cescitoyens, à travers la mise en place deprojets tels que des potagers collectifs,des occupations de logements vides oudes pratiques de désobéissance civile,transforment en douceur le paysage et lasociété.

Des questions et des pistes

Ces initiatives préfigurent-elles unmodèle alternatif au capitalisme néo-libéral dominant ?

Bien qu’elles revendiquent des principesà vocation universelle, le droit à un loge-ment pour tous par exemple, et qu’ellessoient animées d’un désir de change-ment radical et profond, ces expériencescollectives ne prétendent pas détenir unmodèle idéal, généralisable dans tousles contextes et à l'échelle planétaire. Ils’agit avant tout d’essaimer4, de montrerdes exemples et modèles, de donner

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l'envie, l’espoir, d’inspirer. Les projetssont également considérés comme desprocessus évolutifs. Ainsi, un squatpourra après une certaine période légali-ser sa situation, en obtenant uneconvention temporaire d’occupation et,au-delà encore, c’est le changement desnormes qui sera visé. La mise en placed'un potager collectif peut débouchersur la mise en place d'autres potagersou projets sur des terrains en fricheappartenant à la commune, …

Quel lien établir entre ces initiativescitoyennes et le pouvoir politique ?Faut-il, pour obtenir ce changementen profondeur, institutionnaliser cesprojets ?

La question du rapport au pouvoir poli-tique est prégnante et complexe, lesréponses varient également. Parmi lesdifférentes initiatives présentes à latable-ronde en 2011, plusieurs articula-tions apparaissent allant d’une inexis-tence totale de liens à différentes formesd’institutionnalisation : à des projets, audépart entièrement portés par des béné-voles, ont, à terme, obtenu un finance-ment public permettant dans plusieurscas l’engagement de personnel ou lapérennisation d'un projet. Plusieursacteurs mettent en avant la crainte derécupération, de confiscation ou detransformation des projets vis-à-vis desobjectifs initiaux. Mais la plupart desacteurs ne refusent cependant pas toutealliance avec les pouvoirs publics à lacondition que ceux-ci acceptent de sor-tir d’une logique verticale de la participa-tion et reconnaissent pleinement larichesse de l’expertise citoyenne et col-

lective. Une reconnaissance qui passesans doute par la constitution d’unemasse critique assez puissante pour sefaire entendre, laquelle n’est possiblesans une large transmission d’informa-tions et une visibilité de ce qui existedéjà.

D’aucuns pensent, par ailleurs, que lavoie de la légalisation et du changementdes normes est nécessaire pour assurerla pérennisation des projets et une ins-cription plus large dans le long terme, etque l’argent public doit ou pourrait servirà financer des processus de réappro-priation et de gestion des biens com-muns.

Il s’agit aussi de pouvoir faire allianceavec le pouvoir politique sans qu’il neprenne la main, sans qu’il ne se substi-tue à nouveau aux citoyens, qu’il nefasse “à la place de”, une préoccupationpartagée par ces acteurs dont l’actionconsiste avant tout à sortir des logiquesd’assistanat, à autonomiser, émanciper.En d'autres mots, “agissons, le politiquesuivra...”

Une autre préoccupation liée à la crois-sance de ces projets collectifs menés leplus souvent en autogestion, et à l’enga-gement de personnel, tient aux constatsque cela amène parfois certains à se met-tre en retrait par rapport à leurs responsa-bilités, voire que cela dépolitise l’action,au risque de perdre de vue la finalité dechangement radical du système.

D’une manière ou d’une autre, le rapportau pouvoir, aux structures politiques, auxexperts et le constat d’un décalage entre

“la politique d’en haut” (“La politique”) etcelle des “gens de la rue” et des“citoyens-militants” en action (“Le poli-tique” au sens de l'engagement), sontdonc très présents au niveau desréflexions qui animent ces acteurs aspi-rant à plus de – ou à une réelle – démo-cratie participative.

Comment favoriser l’autonomie et laréappropriation par les citoyens ?

Cette question est également transver-sale aux expériences présentes.Plusieurs difficultés sont rencontrées àce niveau : l’urgence des situations, àl’instar des personnes qui vivent dans larue et qui ont avant tout besoin d’un lieuoù se stabiliser ; les logiques d’assista-nat mises en place par les pouvoirspublics et de nombreuses associationsqui ont fait “à la place de”, volontaire-ment ou non ; le sentiment pour beau-coup que “cela ne nous concerne pas”ou “qu’on n’y connait rien”.

Pour les acteurs présents, il faut agirlocalement, sur des situations concrètes,ce qui ne signifie pas que l’action ne soitpas articulée à une vision qui tientcompte des enjeux plus globaux.

Les acteurs mettent également en évi-dence la nécessité d’avoir des porteursde projets. Mais l’objectif, une foisencore, n’est pas de “faire à la place de”.Il s’agit dès lors de donner des outils,construire des savoirs collectifs dont latransmission et l’échange sont trèsimportants, notamment par rapport à laculture de masse qui valorise exclusive-ment la consommation et le profit indivi-

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richesse sociale de Pour que çue com comme entre les vivre ense

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duel. Le rôle des logiciels libres et desmédias alternatifs dans ce partage a étésouligné.

Il s’agit aussi avant tout d’ouvrir surd’autres imaginaires, un autre lien auvivant, d’autres manières de “bienvivre”5… La question du temps a étéégalement soulevée par de nombreusespersonnes lors de la table-ronde : com-ment ré-aménager son temps ?Comment en libérer ? Pour d’aucuns, ladiminution du temps affecté au travailsalarié, et donc de revenu monétaire,peut être compensée par d’autresapports non monétaires : des légumescultivés dans un potager collectif, la pro-duction d'engrais organique issu d’unprojet de compost de quartier, l’appren-tissage d’une langue dans un serviced’échange local, une vie communautaireplus conviviale, l'impact direct d'uneaction de désobéissance civile, ou lacréation de liens de solidarité entre habi-tants ou communautés... La liste estlongue.

Comment favoriser la solidarité dansune société individualiste ?

Dans une société où la solidarité a été leplus souvent déléguée à l’Etat et oùrègnent les dogmes du profit, de la com-pétition, du rendement… il est néces-saire de réapprendre à coopérer, à vivreensemble. C’est, par exemple, le prin-cipe de base des GASAP6 (Grouped'Achat Solidaire de l'AgriculturePaysanne) où les consommateurs parta-gent les risques avec les producteurs etagriculteurs par l’intermédiaire d’unrevenu fixe.

Pour que cela marche, un investisse-ment collectif important est indispensa-ble, il s’agit dès lors de promouvoir lesinvestissements autrement que par leprofit et le rendement, mais par des divi-dendes sociaux, environnementaux, spi-rituels… Il s’agit de renouer concrète-ment avec d’autres valeurs à l’instar dela convivialité, la lenteur, la mesure…d’inventer d’autres manières d’habiter.

Des dispositifs et projets concrets sontainsi mis sur pied pour garantir cettesolidarité, comme les leviers anti-spécu-latifs des “Community Land Trust”7 ou lacréation d’une régie foncière agricole parla jeune asbl Terre-en-vue8.

Comment éviter l’éparpillement ?

Une autre question importante au regarddu foisonnement des chantiers en coursest leur mise en réseau(x). Différentesplates-formes et réseaux existent déjà. Ilne s’agit pas de créer une nouvelle superstructure capable de tout coordonner etqui redeviendrait inévitablement verti-cale, mais l’idée est plutôt de question-ner la façon dont les groupes et collecti-vités qui “inventent” des pratiquesinnovantes, émancipatrices, “font mou-vement” collectivement et nous propo-sent de nouveaux processus à l’œuvre àtravers le monde au niveau local et glo-bal.

Nous devons mutuellement nous com-prendre et comprendre comment ces“nouveaux mondes en chantier” s’entrai-dent, se nourrissent les uns des autres,sont des relais réciproques, créent desréseaux d’appuis. Comprendre et parta-

ger aussi comment ces alternatives pro-posent – peut-être – les ébauches d’unnouveau grand récit, d’un nouvel hori-zon, d’un nouveau “rêve” en ruptureavec l'idéologie du capitalisme néolibé-ral ! “Un monde qui contienne de nom-breux mondes” comme disent les zapa-tistes. Et ainsi favoriser l'émergence d'unpartage de savoirs et savoir-faire, de“techniques” et recettes élaborées9 parles groupes pour penser ensemble, agir,prendre des décisions, s’organiser, semettre en “mouvement”.

Comment garder une ouverture àtous ? Comment favoriser une diver-sité culturelle et sociale dans ces ini-tiatives ? Comment construire “partous et pour tous” des expériences quin’excluent pas certaines catégoriesde personnes ? Comment favoriser laparticipation de publics marginali-sés ?

Cette dernière préoccupation fondamen-tale traverse aujourd’hui de nombreuxcollectifs, organisations et mouvementssociaux qui constatent en partie un man-quement à ce niveau. Car il s'agit biend'un enjeu de société que d'apprendre àco-construire ces nouvelles initiativescitoyennes et alternatives en ne restantpas qu'entre publics “nantis ou convain-cus”.

Quid de l'échange et communicationavec des populations marginalisées ouissues d'autres cultures par exemple ?Par devoir de solidarité et pour plus dejustice sociale et écologique dans nossociétés, il nous faut concevoir cesautres mondes en tenant compte de la

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richesse culturelle et de la mosaïquesociale de nos sociétés contemporaines.Pour que cette diversité ne soit pas per-çue comme un obstacle mais plutôtcomme un levier de rapprochemententre les peuples, et ce pour un meilleurvivre ensemble pour tous et par tous.

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1Le début des Haricots, Habitat groupé et solidaire 123 rueroyale, le collectif Artivist, Placeovelo, l’asbl Worms, lesEtats Généraux de l’Eau à Bruxelles et les Community LandTrust. Retrouvez les traces de cette table-ronde :http://www.festivaldeslibertes.be/2011/fase5.php?event=481#D%C3%A9bats 2 Lire l’article de Pablo Servigne dans Bruxelles LaïqueEchos n°77, 2e trimestre 2012, “Redécouvrir les com-muns”, pp. 15-18. En ligne : www.bxllaique.be

3Ce pouvoir politique, – comme l’a bien analysé l’expé-rience des EGEB (Etats Généraux de l’eau à Bruxelles) surla question de l’eau –, déléguant lui-même à un pouvoiradministratif qui au final déléguera à un pouvoir technique.http://www.egeb-sgwb.be 4Selon la définition du Petit Robert : 1. V. intr. quitter laruche en essaim pour aller s’établir ailleurs / par anal. Se ditd’une collectivité dont se détachent certains éléments pourémigrer et fonder de nouveaux groupes. 5Au sens du terme “Buen Vivir” utilisé notamment enAmérique Latine.6www.gasap.be 7 http://communitylandtrust.wordpress.com/ 8 http://www.terre-en-vue.be/ 9Au sens où Isabelle Stengers et Philippe Pignare utilisentle mot dans leur ouvrage La sorcellerie capitaliste, p 179.“… une culture des recettes … une expérience de milieuqui évite que chaque nouveau groupe ait à “tout réinven-ter”.”1

Le Festival accueillera des repré-sentants des associations le Débutdes Haricots, la Foire aux Savoirs-Faire, le Réseau FinancementAlternatif, le SELouverture, laZinneke Parade, les Equipes popu-laires et la Poissonnerie à l’occasiondu Forum D’autres mondes enchantier 2.0, le dimanche 21 octobreà 15h.

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

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Les initiativesPar Josué DUSOULIER*

*Co-fondateur d'Ath en transition et du réseau Transition Wallonie-Bruxelles, chargé de projet “Initiatives de transition” chez les Amis de la Terre-Belgique

de transitionSaisir l'opportunité de réinventer notre mode de vie

A l'heure où notre civilisation occidentaleest soumise à des défis sans précédents,où de plus en plus de spécialistesconstatent un épuisement accéléré desressources et nous prédisent la fin de la

croissance économique1, les réac-tions des gouvernants et du monde économique dominantfreinent les adaptations néces-saires. Des groupes de citoyen(ne)sne les attendent pas pour commencer àtransformer leur quartier, leur ville et leurmode de vie de façon créative, solidaire et enthou-siasmante... Ce sont les initiatives de transition.

© photo Jérôm

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Les initiatives de transition, cesont des groupes de citoyensqui ont décidé de prendre leschoses en main. Dans un mêmevillage, un même quartier ou une

même ville, ils commencent tout simple-ment à agir pour s'adapter aux change-ments climatiques, à la fin du pétroleabondant et bon marché ainsi qu'à la finde la société basée sur la croissance éco-nomique, qui suivra inévitablement. Carcomme cela a été rappelé lors de la der-nière conférence internationale del'ASPO2 : “Les lois de la physique sontplus fortes que celles de l'économie”. End'autres mots, la croissance économiquen'est pas possible sans énergie abon-dante et bon marché.

Ces collectifs citoyens ont décidé dechoisir au lieu de subir, de construire aulieu de détruire. Ils saisissent l'opportu-nité de réinventer et mettre en place dèsmaintenant un mode de vie moins énergi-vore et plus résilient qui, après unepériode transitoire pas forcément simple,pourrait être beaucoup plus enthousias-mant et vivifiant que l'actuel. Nous yreviendrons plus loin dans cet article.

Ces initiatives ne prétendent pas avoir laseule et unique solution à tous les pro-blèmes. Il s'agit plutôt d'une expérimenta-tion humaine à grande échelle qui testedes solutions adaptées aux contexteslocaux. Ainsi, chaque initiative de transi-tion se base sur quelques principes sim-ples pour construire sa propre vision d'unfutur préférable et commencer à la mettreen œuvre en accordant une grande impor-tance au respect de l'autre, au plaisir defaire, d'apprendre et d'être ensemble.

Résoudre l'ambivalence qui est en nous

Chaque jour, nous sommes soumis à desmessages contradictoires : “il faut diminuerles émissions de CO2” et “consommer pourrelancer la croissance” ou encore “la dimi-nution de la biodiversité est très inquié-tante” et “des milliers de semences natu-relles sont interdites à la vente”. Cettesituation crée une atmosphère de doute etde crainte. Beaucoup de personnes sontconscientes qu'il faut “changer les choses”et “qu'on ne peut pas continuer commeça”, sans savoir ce qu'elles peuvent faire.

Ce que font très bien les initiatives de tran-sition, c'est d'être des lieux de partage deces questionnements et de réduction del'ambivalence et de l'inconfort. On se rendcompte qu'on n'est pas seuls à se poserces questions, et qu'en se mettant ensem-ble, on peut faire « changer les choses ».Ce qui permet de se sentir mieux, plus enharmonie avec soi-même, avec son envi-ronnement et avec ses valeurs.

Les principes des initiatives de transition

Les initiatives de transition se basent surquelques principes3 de bon sens et unesprit positif et vivifiant. Parmi les notions-clés, on trouve la résilience locale, la relo-calisation et le changement culturel.Découvrons de quoi il s'agit...

Actuellement, notre mode de vie occidentalest basé sur les échanges internationaux,les transports de personnes et de mar-chandises, la consommation d'énormé-ment d'énergie et un gaspillage colossal.Or, environ 80 % de l'énergie consomméedans le monde provient de combustibles

fossiles (pétrole, charbon, gaz)4. Non seule-ment ces ressources sont en voie de raré-faction mais leur utilisation est une descauses principales du réchauffement cli-matique. Cela rend notre mode de vieinsoutenable à long terme et notre systèmeéconomique excessivement fragile. Enréponse à cette situation, les initiatives pro-posent de développer une résilience locale,qui est la capacité des territoires à résisteret s'adapter positivement aux chocsmajeurs à venir. Ces derniers seront inévita-bles car causés par les perturbations cli-matiques, la fin de l'ère du pétrole bon mar-ché et du système économique mondialisé.

En pratique, les initiatives de transition vontviser le développement des liens sociaux etde solidarité de quartier. Mais aussi laconstruction d'une économie plus diversi-fiée et plus locale basée sur les circuitscourts et équitables. On programme aussiet surtout la diminution de notre dépen-dance au pétrole. Le résultat attendu est unterritoire avec une économie plus robuste,plus capable de s'adapter de façon soli-daire et créative, et où il fait bon vivre.

Le deuxième principe concerne la relocali-sation de ce qui peut l'être. Car moins depétrole et moins d'énergie signifie destransports de plus en plus chers, et doncmoins de transports. Mais ce qui peutapparaître bon pour le climat pose unsérieux problème au système économiquemondialisé. Une mesure de bon sens estdonc de relocaliser tout ce qui est possible,en commençant par la production alimen-taire, mais aussi l'économie, l'énergie, lestransports, etc. Non pas pour viser l'autar-cie, mais une certaine autonomie : il resteratoujours des échanges à faire, ce n'est pas

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la fin du commerce ! Mais quel est le sensde faire pousser des légumes à des cen-taines ou à des milliers de kilomètres et deles transporter, alors qu'il est possible deles cultiver localement en émettant beau-coup moins de CO2 et en créant de l'emploilocal ? Les initiatives de transition ont ten-dance à viser un rapport 80/20, c'est à direproduire localement au moins 80 % de toutce dont nous avons réellement besoin5. Demême, il ne s'agit pas de reproduire lesfonctionnements économiques actuels àun niveau local, mais de créer une écono-mie vertueuse, plus éthique et solidaire,basée sur les besoins et aspirations de lacollectivité locale, consciente des limitesdes écosystèmes.

Enfin, la transition est aussi et surtout unchangement culturel. Entrer en transitionc'est bien plus que cultiver ses légumes,manger bio ou rouler à vélo. Le change-ment n'est pas uniquement “matériel”.Prenons un exemple : lorsque nous obser-vons une personne qui gagne beaucoupd'argent, qui possède une belle maisondans un beau quartier, une grosse voiture,des appareils électroniques de dernièregénération, qui part en vacances plusieursfois par an, etc., la tendance majoritaire estde prendre cette personne comme unmodèle. On dit qu'il a “réussi sa vie”. Etpourtant, cette façon de vivre n'est passoutenable, émet beaucoup de CO2,épuise les ressources de la planète, estbasée sur des inégalités sociales ici et ail-leurs... Où est la réussite ? Nous avons eubeaucoup de chance de profiter de ce sys-tème pendant quelques années, maisaujourd'hui que nous avons conscience deses effets pervers, il est temps de revenir àun mode de vie plus raisonnable.

C'est donc d'un véritable changement cul-turel dont il s'agit, un changement de notreimage du monde. Un monde où l'on nerêve plus d'avoir beaucoup d'argent et d'al-ler en vacances en avion, mais où l'on rêved'une vie en harmonie avec nous-mêmes,avec nos voisins, avec notre écosystème.Où l'on a le temps de se rencontrer, de voirgrandir les enfants, de se promener, d'ex-primer sa part d'artiste, et où l'on a letemps, tout simplement... Ce changementvient progressivement, au fur et à mesurede la démarche, avec au départ une prisede conscience suivie d'abord de petitsgestes qui deviennent ensuite progressive-ment de plus en plus importants.

Une vision positive et attractive

Depuis les années ‘70 et la publication dufameux rapport du “Club de Rome”6, descitoyens, associations et scientifiques mili-tent pour un changement profond demodèle de société. Pourquoi dès lors lesinitiatives de transition ne connaissent untel engouement que maintenant7 ?

Sans doute que le contexte actuel y estpour quelque chose, mais cela n'expliquepas tout. Il est très probable que leur suc-cès planétaire soit dû à leur approchepositive et contextuelle qui part de laquestion suivante : “Et si notre réponse aupic du pétrole, aux changements clima-tiques et aux crises économiques ressem-blait plus à une fête qu'à une marche deprotestation ?”.

En pratique, plutôt que d'informer à partirde scénarios apocalyptiques et d'attendreque le changement se mette en place parpeur du futur, les initiatives de transition se

basent sur une analyse lucide des défisactuels pour ensuite libérer l'imagination etla créativité afin d'imaginer un futur préféra-ble au présent, au delà de ces crises. Unfutur où nous n'aurons plus besoin descombustibles fossiles, où nous nousserons adaptés aux changements clima-tiques et où l'économie locale sera floris-sante et offrira une place à tout le monde.Cette vision positive du futur est évidem-ment construite collectivement. Elle est tel-lement attractive et inspirante, que peu àpeu, on se sent aspiré vers elle. Elle nousfournit des objectifs positifs à atteindre etagit comme un guide qui nous aide à ima-giner les étapes pour y arriver.

En pratique ?

Même s'il y a des principes de base, il n'ya pas un modèle unique d'initiative detransition. Chaque groupe définit sesobjectifs et choisit ses projets en touteautonomie, en fonction de ses ressourceset de son contexte. Au départ, on voitsouvent apparaître des activités d'infor-mation, des projets citoyens locaux (ex :un potager collectif, le partage de jardins,des démarches de consommation respon-sable, des activités avec les écoles, desateliers de permaculture, des fêtes...) qui,progressivement sont portés par de plusen plus de citoyen(ne)s. Dans les initia-tives plus avancées, notamment enAngleterre, on remarque que ces projetsparticipent grandement à la (re)construc-tion d'une économie locale éthique et soli-daire8. Elles ouvrent des commerces com-munautaires, créent des entrepriseslocales de production d'alimentation ouencore d'énergie renouvelable. En touteindépendance, certaines collaborent déjà

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avec les autorités communales pour don-ner plus d'ampleur à leurs projets.

Les initiatives de transition en Belgiqueet dans le monde

Le réseau mondial des initiatives de transi-tion est impressionnant et dynamique. Ilpermet de s'inspirer mutuellement, de par-tager les réussites et les difficultés, maisaussi d'augmenter notre courage et notredétermination, grâce au sentiment de fairepartie d'un mouvement massif et enthou-siasmant.

La première initiative de transition a débutéen 2006 dans la ville de Totnes en Grande-Bretagne. Un groupe de citoyens avaitdécidé de se lancer dans une expérimenta-tion citoyenne à l'échelle de leur quartier,sans savoir où cette démarche allait lesmener. Le mouvement s'est propagé à tra-vers le monde de façon extraordinaire : duPortugal au Japon et du Canada à l'Afriquedu Sud, en passant par les États-Unis, leBrésil, l'Inde, la Roumanie, l'Allemagne, laBelgique... Ainsi, on compte à la mi-2012,plus de 1000 initiatives dans 34 pays, etautant en lancement...

Les initiatives de transition se développentdepuis 2008 en France, au Québec et enBelgique francophone, notamment sousl'impulsion des Amis de la Terre – Belgiquequi ont fait connaître ce mouvement. Fin2010, la traduction du Manuel de transitionde Rob Hopkins9, ainsi que la parutiondébut 2011 d'un excellent numéro de larevue belge Imagine10 consacré aux initia-tives de transition, ont donné un coup d'ac-célérateur à leur développement cheznous. A la mi-2012, on compte un peu plus

d'une quarantaine d'initiatives en Belgique :de Tervuren à Etalle, en passant parBruxelles, Grez-Doiceau, Ath, Liège, LaLouvière, Namur ou encore Merchtem11... ABruxelles, des groupes de transition sontpar exemple actifs à Ixelles, Schaerbeek etSt-Gilles... et en création à Evere et àAnderlecht.

L'avenir est ouvert

Notre monde est actuellement soumis àdes “crises” multiples. Or, on voit très peude signes de remise en question de notremode de vie de la part des décideurs poli-tiques et économiques. Mais un peu par-tout, des groupes de citoyen(ne)s ontdécidé de ne pas les attendre pour passerà l'action. Ils se réunissent en initiatives detransition et expérimentent une démarchede mise en place d'un futur choisi, positif etpréférable au présent. S'il n'a pas la préten-tion de résoudre tous les problèmes, cemouvement citoyen mondial est enthou-siasmant et redonne de l'espoir en cestemps d'incertitude. Ils saisissent cetteextraordinaire opportunité de fabriquer dumouvement collectif et de réinventer nosmodes de vie avec créativité et imagina-tion !

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Josué Dusoulier participera audébat du Festival consacré à lanécessaire transition de nos socié-tés avec Ezio Gandin et PabloServigne, le lundi 22 octobre à20h15. Le débat sera précédé à 19hdu film Voices of transition.

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

1Richard Heinberg , La fin de la croissance, s'adapter à notrenouvelle réalité économique, Plogastel Saint-Germain Édi-tions Demi-Lune (“Col. Résistances”), 2012.2 voir sur www.aspo2012.at : le site de la Conférenceannuelle 2012 (Vienne, Autriche) de l'ASPO (Associationpour l'étude du pic du pétrole et du gaz).

3 Les principes des initiatives de transition sont explicitésdans les deux ouvrages suivants : Rob Hopkins, Manuel detransition, de la dépendance au pétrole à la résilience locale,Montréal, Editions Ecosociété/Silence (“Col GuidesPratiques”), 2010 ; Rob Hopkins, The Transition Companion,making your community more resilient in uncertain times,Chelsea, Green Books Editions, 2011 4Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Combustible_fossile5 ibid, The Transition Companion, p 59. 6Denis Meadows et al. Les limites à la croissance (dans unmonde fini) Paris, Éditions rue de l'échiquier, 2012. 7Pablo Sevigne, La transition, histoire d'une idée, Liège, asblBarricade, 2011. Disponible sur www.barricade.be 8 ibid. The Transition Companion, www.reconomyproject.org9 ibid. Le manuel de Transition.10 “Voyage au cœur de la Transition” Revue Imagine n°83 -janvier & février 2011.11www.entransition.be : le site du réseau Bruxelles-Wallonie.12www.transitionnetwork.org : le site du réseau internationaldes initiatives de transition.

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Vers un nouvel équilibre Par Daniel CAUCHY*

*membre de Rencontres des continents

alimentaireL’art de se nourrir est déterminé chez nos contemporains principalement par trois

préoccupations. La première semble s’appeler gastronomie, il faut que l’assiette soit

“bonne”, qu’elle ait de la saveur ; mais à y regarder de près cela semble bien plus

complexe dès qu’on se pose la question de savoir qui a dit que ceci était bon et cela

mauvais. Monsieur Tout le Monde dira que c’est son palais ou ses papilles, comme si

celles-ci n’avaient appris les choses et que c’est par “nature” que l’on aime les escar-

gots, la cervelle de singe vivant, les épinards ou la moutarde. La “saveur” ne serait-elle

pas construite et la question “par qui ?” peut être intéressante à élucider.

1

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La deuxième préoccupation estsans conteste appelée diététiqueet porte principalement, vu lenombre d’ouvrages et d’articlesconsacrés à ce sujet, sur le

thème de savoir comment manger pourmaigrir ou en tout cas ne pas grossir. MaisPlus sérieusement, la diététique ne peutêtre restreinte à cela et nous enseigne l’artde bien se nourrir pour être en bonnesanté.

Il faut encore mentionner une troisièmepréoccupation et de grande importance : ilfaut que tout cela (la santé et le goût) soitbon marché. Le budget consacré à lanourriture a très fortement diminué en nosrégions prospères et se situe en 2008 àmoins de 15% du revenu des ménages enmoyenne. Manger serait donc une ques-tion de saveur, de santé et de prix !

Et si nous avions oublié ou perduquelques aspects importants dans cecheminement moderne ? Et s’il y avaitd’autres dimensions à l’acte de se nourrir,occultées par nos sociétés et pourtantvitales ? La publicité nous enseigne quenotre lait est produit par une vache bleuegambadant gaiement dans les Alpes etque le fromage est le fruit du travail artisa-nal d’un brave paysan moustachu. Ellenous montre des petits oiseaux sifflotantgaiement dans de vertes campagnes val-lonnées habitées de gentils agriculteurssouriants, la fourche à l’épaule et sifflotantgaiement, bien sûr.

Notre alimentation est produite par desgens, d’une certaine manière, dans uncertain contexte et le conte de fée véhi-culé par la publicité est scandaleusement

faux2. Pourtant notre santé, la saveur denos aliments et leur prix dépendent decomment ces aliments sont produits etpar qui. L’occultation de ces questions estdangereuse et malsaine ! À quoi serviraitune attention diététique scrupuleuse dustyle “mangez beaucoup de fruits” si cesfruits sont traités 23 fois aux fongicides,insecticides et autres molécules toxiques,s’ils ont douze mille km au compteur, s’ilsne sont pas mûrs mais bien de variété étu-diée pour la résistance aux transports etnon la richesse nutritionnelle ?3.

La façon dont nos aliments sont produits,toute la chaîne agricole – stockages –industrialisation – transports – distributionet l’acte de cuisiner sont à prendre encompte. C’est d’une qualité du systèmedont nous avons besoin, intégrant la qua-lité “analytique”, mais clairement définiecomme une qualité émergente de tout lesystème complexe de production4. On nepeut produire des aliments sains en mal-traitant la terre, l’humus, toute la flore, lafaune et les producteurs. Les méthodesde production sont donc fondamentalesainsi que leurs impacts sur l’environne-ment et les gens.

Plus de 850 millions d’êtres humains sontgravement sous-alimentés, deux milliardssouffrent de carences et donc de malnutri-tion, trois milliards de pauvres se priventplus ou moins de nourriture et sont princi-palement des petits paysans5. Cela étaithabituel, mais depuis peu la situations’aggrave. Vu les modifications clima-tiques, les nécro-carburants, la spécula-tion et le renforcement de la demande despays émergents, le prix des denrées ali-mentaires explose, les stocks mondiaux

sont au plus bas et la crise alimentairesecoue de nombreux pays. Cette fois cesont les habitants des bidonvilles au pou-voir d’achat très limité qui sont atteints. Etpourtant les spécialistes nous disent quela production planétaire est suffisantepour nourrir 10 à 12 milliards d’humains !

Notre assiette belge n’est plus très belge :la grande quantité de viande qui s’y trouve(280 g par jour et par personne) provientd’une bête nourrie au soya brésilien ou aumanioc thaïlandais. Notre courgette vientdu Kenya, notre pomme d’Argentine,notre ananas du Ghana... Le prix interna-tional du blé s’établit suivant le prix derevient des blés canadiens et australiens,produits des agricultures les plus renta-bles du monde. La différence de rentabi-lité par travailleur entre le petit paysan duSud et l’entreprise agricole moderne estactuellement de 1 à 2000 ! Le Sud exportedonc à bas prix les denrées alimentaires,et les petits paysans ne peuvent plus sur-vivre de leur production. Pourtant le Sudcontinue à nous nourrir, Vandana Shivaévalue la superficie des cultures en “cou-lisses” dans le Sud à sept fois la superficieagricole de l’Europe.

Il nous faut du soya, du riz, du café, desbananes, des oranges, du thé... Notreassiette a fait un voyage de 2 500 km enmoyenne ! Les pauvres nourrissent lesriches, les pays exportateurs de denréesalimentaires sont bien souvent incapablesde nourrir leur propre population. Notreassiette – notre consommation – notreconfort, que nous avons appris à considé-rer comme le résultat d’un merveilleuxprogrès est en fait le résultat d’une gigan-tesque spoliation6.

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Ce vaste système, cette organisation dumonde en un grand marché hiérarchisé,répondant aux règles de l’OMC, ressem-ble de plus en plus à un train roulant à 300km à l’heure vers un ravin dont la locomo-tive est à l’arrière et les premiers wagonstombent7... La répartition des richessesdevient de plus en plus inégale et si lenombre de milliardaires augmente, mêmeen Inde et en Chine, l’insécurité et lamisère pour les gens augmentent aussi.Le système fait croire que tout le mondepourra un jour s’enrichir, que des miettesretomberont bien de la table du festin,mais le jeu du libéralisme est un jeu àsomme nulle : ce que certains gagnent,d’autres le perdent.

Et pendant ce temps-là, la destruction del’environnement et l’épuisement des res-sources s’accélèrent : crise de l’eau8, crisede l’humus, disparition des abeilles, défo-restation, perte de biodiversité, fin desréserves d’hydrocarbures. Notre assietteindustrialisée et sa production conduit àl’impasse, tant environnementale quesociale. Impasse environnementale : unecalorie alimentaire nécessite pour sa pro-duction jusqu’à 40 calories fossiles, nousmangeons du mazout, une tonne d’ali-ments entraîne la destruction de 6 à 18tonnes de terre de culture, il faut, suivantles études, de 25 à 10 000 litres d’eau etde 7 à 10 kg de céréales pour produire unkilo de viande de bœuf.

Il semble donc important de changer deregard sur la crise : de “risques dissémi-nés” nous sommes passés au risque “sys-témique”. Continuer à croire que l’impasse soit le résultat de quelques dysfonctionnements, d’accidents de

parcours conjoncturels et que l’une oul’autre nouvelle technique nous sauverarevient à imaginer que l’on sauvera leTitanic en perdition en réparant un robinetqui fuit. Il est indispensable d’articuler lapréoccupation écologique à une analysepolitique radicale des rapports de domina-tion. Notre assiette est l’expression d’unmodèle de société et c’est ce modèle quenous “croyons” universel, définitif et géné-ralisable qui est en crise.

Comprendre notre modèle, notre projet desociété, en distinguer les fonctionne-ments, les règles, l’organisation, com-prendre que les solutions mises en placesont devenues le problème, telle est latâche urgente à accomplir. C’est à unchangement “systémique” que nousavons à œuvrer : non plus faire “toujoursplus de la même chose”, mais commencerà faire “autre chose”. Tout un mouvement,encore éparpillé, multiple et varié dénoncele capitalisme et tâche de construire unecritique radicale du néo-libéralisme et deson discours. Tâche difficile et périlleuse,avec l’effondrement du communisme his-torique, tout se présente comme s’il n’yavait plus d’alternative, et donc plus decritique radicale possible.

A nouveau, l’anecdote alimentaire noussera utile : elle nous permet de poser trèsconcrètement des questions sur les fon-dements mythiques de notre imaginairecontemporain : en quoi un yaourt auxfruits exotiques, avec ses 9000 km, sapanoplie d’agents techniques (colorants,conservateurs, agents de texture, de sapi-dité, d’onctuosité) est-il un “progrès” parrapport au yaourt fermier local ? Si main-tenant il devient de bon ton d’expliciter

que le produit local, fermier, naturel et bio-logique consomme moins d’énergie, estplus savoureux et éthique, détruit moinsl’environnement et ne le pollue pas, laquestion ne serait-elle pas : quel modèlede société suppose un produit local, fer-mier... Que suppose-t-il en termes de relo-calisation de l’économie, de doute parrapport à la technique comme nécessaire-ment “bonne”, de liens avec le producteur,de changement de vision de notre rapportau vivant, de définition de la qualité,d’éducation du goût ?

Sans oublier que ces questions en posentd’autres : c’est quoi le développement, lacroissance, le progrès ? Mais aussi : c’estquoi la souveraineté alimentaire, c’estquoi la production de biens d’usage, c’estquoi un usage, un mésusage ? Plus est-iltoujours mieux ?

L’alimentation nous permet donc de ques-tionner notre quotidien et de proposer unedéconstruction-reconstruction de notreimaginaire9. Mais l’ébranlement du sys-tème économique international paraîtaussi une opportunité majeure pour imagi-ner les transitions et les “lieux d’atterris-sage”. L’effondrement sera rude et lesrisques importants. Toutes nos actions derésistance, de préservation de compé-tence, de création d’îlots d’alternatives, deréenchantement du monde10 seront lesterroirs de renaissance d’un nouvel imagi-naire social. Notre assiette devient alorsun bel exercice de style : commentconstruire une proposition d’alimentationqui respecte notre santé, celle de la pla-nète et de tous ses habitants ? Commentréinventer une assiette sacrée, esthétique,qui nous relie au monde et aux hommes,

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qui soit un poème ? Les éléments deréponse existent : nouveau dialogue avecle vivant (méthodes agro-écologiques),relocalisation (agriculture paysanne, pro-duction de biens d’usage, souverainetéalimentaire), sobriété (usages et mésu-sages, décroissance choisie et simplicité)et bien évidemment un nouvel équilibrealimentaire comme synthèse.

C’est à cette sortie du paradigme écono-miciste et capitaliste que nous invite lemouvement de la “décroissance”. La criseest bien là, des milliards de gens en souf-frent, un grand changement a commencé.Comment nous préparer, non à la subirpassivement, mais à en profiter commed’une opportunité de changement ?

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1Cet article a été publié dans le mensuel d’ITECO, Antipodes n° 182 “Crise alimentaire et alternatives”, septembre 2008.2Pour se faire une idée, voir des documentaires tels que We feed the world ou Notre pain quotidien, mieux que de grands discours ! Et voir le Jeu de la ficelle pour toutes les donnéesconcernant l’assiette.

3Voir les compositions nutritionnelles par exemple dans le catalogue de variétés de Kokopelli.4 J.P. Garrel, “La qualité de l’alimentation : une réalité complexe”, Energie santé n°15.5Marcel Mazoyer, dans Nourrir la planète.6Pour donner un exemple : à l’échelle de la planète, le bétail accapare 60 % de la production de céréales (670 millions de tonnes), 78 % des terres agricoles est destiné à l’alimentation desquelques dizaines de millions de personnes, les plus riches... Voir le Jeu de la ficelle et pour citer un économiste : “L’élite intellectuelle dans les pays développés trouve parfaitement nor-mal de s’inquiéter de la surpopulation dans le monde, mais elle oublie toujours un fait : la vraie surpopulation, c’est celle du bétail” Jeremy Rifkin..

7Métaphore reprise à Mohamed Taleb dans Ecologie, spiritualité : la rencontre.8Plus de la moitié de la population mondiale vit dans des pays où les nappes phréatiques s’assèchent. Voir à ce sujet notamment La planète menacée par la famine ?, Alain Andriaens,Etopia.

9Nous faisons référence à la notion d’ “imaginaire social” proposé par Castoriadis ; ce qui fait tenir une société, ce qui organise ses valeurs, ses représentations, ce qui lui donne ses buts.Pour Castoriadis, l’imaginaire capitaliste est de devenir “maître et possesseur de la nature” y compris de la nature humaine. Voir Une société à la dérive, Seuil.

10La marchandisation du monde suppose son désenchantement : Dame Nature est devenue un ensemble de ressources ; le capitalisme est un système global, ayant un impact sur l’agri-culture, l’architecture, la médecine, l’enseignement, et sur toutes nos conceptions en ces domaines. De nombreux auteurs (Latouche, Bateson, Kaleb) en appellent à un nécessaire “réen-chantement” du monde, à réinstaurer une dimension sacrée dans notre construction du monde.

Les enjeux de l’industrie agro-alimentaire et du soutien à l’agriculture pay-sanne seront discutés au Festival avec des représentants d’associationsmembres du Réseau de Soutien à l’agriculture paysanne (ReSAP) : StéphaneDesgain, Ariane Ghion, Jacques Vellut et Jeanne Verlinden, le 21 octobre à21h00. Le débat sera introduit par le film Bitter Seeds. En partenariat avec leCNCD-11.11.11, Rencontre des continents et le ReSAP

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

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Stop à la spéculation sur les matières premières agricolesPar Virginie PISSOORT*

*responsable de campagne à SOS Faim. www.sosfaim.org

Qui n’a pas entendu ses parents ou rabâché à ses enfants avec cette même rengaine ? Mêmesi les arguments varient : les pauvres qui meurent de faim, la nourriture qui coûte cher, le soucide la bonne éducation ou encore le bon sens, cette sommation “on ne joue pas avec la nour-riture” a traversé les générations et les milieux sociaux. Mais qu’en est-il de ces grandes per-sonnes en costume-cravate qui passent leurs journées à spéculer sur l’évolution du prix desproduits agricoles ? Ils jouent bien plus dangereusement avec la nourriture que les enfants quichipotent dans leur assiette. Qui les arrêtera ? Sous prétexte de quoi ?

SOS FAIM lance une campagne de sensibilisation et de dénonciation contre cette spéculationmassive sur les produits agricoles.

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“On ne joue pas avec la nourriture !”

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L’impunité est acquise aux milieuxfinanciers. Au-delà de la béné-diction que certaines banquesont reçue de leurs gouverne-ments malgré leurs pratiques

douteuses, les milieux financiers, confor-tablement installés dans le crédo du néo-libéralisme, sont parvenus à déconnecterla finance de l’économie. Ils ont supplantéles fondamentaux de l’offre et de lademande, non pas pour servir le secteuréconomique, mais au contraire pour s’enservir.

La spéculation financière : se faire dublé sans jamais toucher un sac de blé

Les marchés agricoles sont par définitionvolatiles1. Compte tenu de ces facteurs,depuis des siècles, des intermédiairessont prêts à garantir un prix pour lesrécoltes à venir tant à l’égard des produc-teurs que des acheteurs et ce, moyennantle paiement d’une commission. On parledans ce cas de “Contrats à terme” ou“Futures” pratiqués par ces opérateurs encouverture “Bona Fide Hedgers”. Lesexperts reconnaissent l’intérêt de cemécanisme car il permet d’apporter desliquidités au marché mais aussi de lisserles prix des marchés agricoles ; même sicela provoque une légère hausse des prixsur les marchés.

Nouveaux investisseurs financiers versusspéculateurs traditionnels.

À la fin du XXe siècle, le panorama semétamorphose. Le marché des contrats àterme autrefois réglementé suite au crashboursier de 1929 est progressivementlibéralisé. Et, dans un contexte de faillite

des marchés d’investissement (chute descours sur les NTIC2, bons d’Etat, immobi-lier), les acteurs de la finance se tournentmassivement vers le marché des Futuresagricoles, appelés Forward quand ils sontnégociés en dehors de la bourse. Cesnouveaux acteurs sont des Hedge funds3,fonds de pension, fonds souverains etmême certaines banques, qui voient dansles Futures ou Forwards dont le sous-jacent est une matière première agricole(blé, sucre, maïs, soya…) des valeursrefuges.

Contrairement aux Bona Fide Hedgers,ces nouveaux acteurs de la finance n’ontaucun intérêt dans le marché physiquedes céréales ; mais ils parient sur l’évolu-tion du prix des produits agricoles, à lahausse ou à la baisse, en achetant ou envendant ces Futures ou Forwards aumoment opportun.

En l’espace de quelques années, ces nou-veaux spéculateurs vont complètementdominer les marchés financiers deLondres ou Chicago4. Suivant l’exemplede la Goldman Sachs, on voit aussi desproduits financiers tels que les fonds indi-ciels sur les matières premières agricolesse multiplier.5 Ceux-ci misent sur la haussedes prix sur le long terme, partant du pos-tulat que le prix des matières agricoles vanécessairement augmenter en raison del’évolution prévisible de la demande. C’estainsi que les citoyens qui souscrivent àdes épargnes-pension ou autres produitsd’épargne se retrouvent, malgré eux ouinconsciemment, à parier sur l’augmenta-tion du prix des matières premières agri-coles…

La bulle spéculative gonfle, gonfle et puiséclate…

La multiplication des Futures et des fondsindiciels génère une demande complète-ment artificielle de matières premièresagricoles. Cet afflux accentue la haussedes prix des matières agricoles sur lesmarchés à terme, mais également sur lesmarchés physiques. Le prix du blé imagi-naire déteint sur le prix du blé dans lessilos. Ceci explique en partie ce qui s’estproduit lors de la flambée des prix de2008. La bulle spéculative créée de toutesparts par les financiers éclate quand cesmêmes financiers commencent à vendremassivement, quelle qu’en soit la rai-son…6

Derrière ce yoyo orchestré par les finan-ciers, des consommateurs et des produc-teurs qu’on manipule.

La mécanique des marchés financiersagricoles ne diffère pas des autres mar-chés financiers. Ce qui distingue les mar-chés agricoles des autres ce sont lesrépercussions. Derrière ces Futures ouForwards agricoles, un milliard de per-sonnes sont trop pauvres pour manger àleur faim. L’équation est vite faite : quandle prix des céréales ou autres matièresagricoles grimpe, se nourrir devient inac-cessible pour les plus pauvres7.Ce qui dis-tingue aussi cette spéculation de cellepratiquée dans les autres secteurs, cesont les conséquences sur les millions deproducteurs agricoles. En effet, la trèslarge majorité des agriculteurs de la pla-nète ne bénéficie pas des hausses desprix des produits agricoles, tout en subis-sant invariablement les baisses. Dans les

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pays industrialisés, le coût des intrantslargement dépendant des matières fos-siles s’inscrit dans la foulée de l’augmen-tation des prix agricoles. Résultat, l’aug-mentation des recettes suite à la haussedes prix agricoles est directement absor-bée par l’augmentation des coûts de pro-duction… En outre, face à cette angoissesur le yoyo des prix, les agriculteurs finis-sent par passer plus de temps à consulterle Matis sur leur ordinateur qu’à travaillerdans leur exploitation.

Dans les pays les plus pauvres, la volatilitéou la tendance à la hausse des prix desproduits agricoles sur les marchés n’a pasde répercussion plus enviable sur les pro-ducteurs8. Souvent incapables de profiterde la hausse des prix en cultivant et envendant davantage quand les prix sonthauts, ils doivent également faire face à lahausse du prix des intrants. Au demeu-rant, souvent trop pauvres pour être auto-suffisants sur le plan alimentaire, ils doi-vent eux-mêmes acheter des produitsagricoles une fois leur stock épuisé…

Pour lutter contre la spéculation il fautagir sur plusieurs fronts

Au niveau des marchés financiers, unerégulation stricte et des mécanismes decontrôle coercitifs effectifs doivent êtremis en place et renforcés, en Belgique, enEurope et au niveau international pour tor-dre le cou aux magnats de la finance(limites de position, exclusion des spécu-lateurs financiers sur les marchés agri-coles…)9.

Mais au-delà des marchés financiers, c’estun nouveau modèle de l’agriculture et de

l’alimentation qui doit être développé. Unmodèle dans lequel l’agriculteur et leconsommateur redeviennent les deuxmaillons les plus importants de la chaineagro-alimentaire, et les intermédiaires desacteurs au service de ces protagonistes.Ce modèle doit garantir un prix juste etrémunérateur au producteur en lui conférantautonomie et une maitrise de son travail etdes prix. Il doit aussi assurer des prix acces-sibles aux consommateurs pour des pro-duits de qualité. Ce modèle doit empreindreles politiques qui, de près ou de loin, tou-chent l’agriculture et l’alimentation.

Dans ce sens, il faut balayer les politiquesagricoles, commerciales, énergétiques oude développement qui n’encouragent pasl’essor de ce modèle, ou pire mettent lesproducteurs agricoles sous le joug desindustriels ou des financiers.

Rejoignez la campagne de SOS FAIM.Signez notre pétition “Stop à la spécu-lation sur les matières premières agri-coles” sur notre site Internet www.sosfaim.org

Trois films à voir au Festival sur lathématique agro-alimentaire : Tastethe waste (dimanche 21 octobre à14h00), Bitter Seeds (dimanche 21octobre à 19h30) et Voices of tran-sition (lundi 22 octobre à 19h). Anoter : Bitter Seeds et Voices oftransition sont également à l’af-fiche du festival de filmsAlimenTerre organisé par SOS Faimdu 11 au 14 octobre au cinémaVendôme.

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

1D’abord parce que l’offre est aléatoire et temporelle (épidé-mies, météo, rendements variables…) mais aussi parce quela demande est relativement inélastique par rapport à l’offre,nonobstant le fait qu’elle est en constante évolution(demande en agrocarburants, augmentation de la consom-mation dans les pays émergents).2Nouvelles technologies de l’Information et de laCommunication.

3Ce sont des fonds d’investissement dont les stratégies nesont soumises à aucune restriction juridique généralementouverts dans des paradis fiscaux et réservés aux plus fortu-nés.4Plus de 600 milliards de dollars ont été investis en produitsfinanciers sur les matières premières.5 Fonds dont le rendement est indexé sur l’évolution du prixdes matières premières.6 Les propos d’Olivier De Schutter, rapporteur spécial desNU pour le droit à l’alimentation, confirment ce constat “Asignificant portion of the increases in price and volatility ofessential food commodities can only be explained by theemergence of a speculative bubble.” O. De Schutter, Briefingnote 2, “Food Commodities speculation and Food PriceCrisis”, September 2010.http://www.srfood.org/images/stories/pdf/otherdocu-ments/20102309_briefing_note_02_en_ok.pdf7En 2008, 100 millions de personnes ont basculé dans lafaim, en 2011, la FAO en a dénombré 40 millions …8Les études démontrent que les prix pratiqués sur les mar-chés locaux sont largement perméables aux prix des mar-chés internationaux, pour des productions identiques ou desubstitution, même si on observe parfois un décalage dansle temps. Voir entre autres Tim Jones, World DevelopmentMovement, “The great hunger lottery. How banking specula-tion causes food crisis”, July 2010.9 Il est surprenant de lire dans un récent communiqué de laBanque mondiale sur la volatilité des prix (30 juillet 2012),que parmi un éventail de mesures et de politiques à mener,on ne retrouve nulle part la spéculation et la nécessité deréguler les marchés financiers.

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Les inégalités sociales Par Michel ROLAND* et Jean-Pierre UNGER**

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de santé en Belgique1

Les inégalités sociales de santé recouvrent lesécarts systématiques qui existent en matière desanté entre les personnes occupant une posi-tion élevée ou basse dans la stratificationsociale. Elles se traduisent par des diffé-rences en matière de mortalité globale, demortalité spécifique et de morbidité, autantdans le domaine somatique que dans ledomaine mental, en faveur des classesélevées. Il ne s’agit pas d’artefactsstatistiques mais d’une réalitéaujourd’hui bien démontréedont les causes sontsociales plutôt que sani-taires, et qui s’expliquepar une série de fac-teurs structurels etculturels. Ces facteurssont importants à identi-fier car ils peuvent être à la base de politiques et deprocédures visant à diminuer ces inégalités.

1 Résumé et rapport intermédiaire d’une recherche sur les inégalités sociales de santé menéepar l’ULB et l’UGent pour la Fondation Roi Baudouin

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La population des pays industriali-sés n’a encore jamais été en aussibon état de santé : les maladiesinfectieuses, qui, depuis des siè-cles, constituaient une des causes

de mortalité majeure (peste et choléra auMoyen-Age, tuberculose et syphilis au XXe

siècle), sont aujourd’hui quasiment souscontrôle. Remplacées par le cancer et lesmaladies cardiovasculaires et dégénéra-tives, elles risquent cependant de réappa-raître sous forme de grandes pandémiesmultirésistantes aux thérapeutiques habi-tuelles, et décimant l’humanité pour autantque les caractéristiques de haute contagio-sité et de haute morbimortalité soient réu-nies, ce qui n’est, heureusement, ni le casdu SIDA, ni du SRAS, ni du chikungunya, nide la grippe aviaire ou porcine. Cette der-nière décennie a également confirmé l’ac-croissement de l’espérance de vie dansquasiment tous les pays : entre 1970 et1998, celle-ci a augmenté en moyenne de6,4 années en Europe et en Belgique.

Il n’en reste pas moins que toutes lesclasses sociales ne bénéficient pas dansune même mesure de ces avancées glo-bales en matière de santé et d’espérancede vie. Dans les classes où l’on possède undiplôme d’études supérieures, où l’ongagne un revenu élevé et où l’on vit dans unquartier prospère, on vit plus longtemps eten meilleure santé que dans les classessocio-économiques basses, dont les gainsde morbimortalité sont nettement moinsimportants. Tout ceci accroît donc les diffé-rences entre les extrêmes, ce qu’exprimentdes expressions comme “inégalités socio-économiques de santé” ou “inégalitéssociales de santé”. Elles se réfèrent auxécarts systématiques qui existent en

matière de santé entre les personnes occu-pant une position élevée ou basse dans lastratification sociale.

Il a été démontré que les inégalités socialesde santé ne se réduisent pas à de simplesdifférences entre la classe la plus haute et laplus basse. L’état de santé se distribueselon un gradient : chaque fois qu’un indi-vidu gravit un échelon social, il réduit sonrisque de maladie et de mort prématurée.Le gradient social implique donc que lesrisques de santé/maladie/mort soient distri-bués de manière continue dans la sociétéet, en fait, à des degrés divers, dans toutesles sociétés. On le mesure par un paramè-tre d’inégalité, l’indice de Gini. L’évolutionde cet indice au cours des dernières décen-nies montre une accentuation continue desinégalités sociales (traduite par une aug-mentation constante de l’indice de Gini), et,dans notre pays en raison du système fis-cal, plus encore après impôt, en dépit de lafinalité redistributive de ce dernier.

Les inégalités sociales de santé enchiffres

a. Comment mesure-t-on les inégalitéssociales de santé ?

Divers indicateurs peuvent être utilisés pourdéfinir la position d’une personne surl’échelle sociale. La plupart des indicateurssont individuels et se réfèrent, par exempleà la profession, au nombre d’annéesd’études, au niveau d’instruction atteint,aux revenus ou aux biens qu’elle possède(entre autre un logement). Le quartier derésidence est lui aussi utilisé de plus en plussouvent pour définir la position socialeparce que les quartiers défavorisés sont

souvent moins sûrs, qu'ils subissent uneplus grande criminalité, qu'ils disposent demoins d’espaces verts, qu'ils offrent moinsd’opportunités de loisirs et moins de possi-bilités de soins de santé. Le fait d’habiter unquartier défavorisé réduit donc les chancesde mener une vie saine et cela indépen-damment des caractéristiques personnellesde l’individu.

b. Inégalités sociales dans la mortalité

La différence de mortalité selon la profes-sion, les revenus ou le niveau d’éducationest un phénomène habituel dans les paysindustrialisés. Quel que soit le pays et lesméthodes de recherche que l'on utilise, ilest prouvé que l'espérance de vie des per-sonnes issues d’une strate sociale défavori-sée est inférieure à celle des personnesappartenant aux strates supérieures.

Une recherche dans la “Base de donnéesnationale de mortalité 1997, 2001, 2004 et2008 (ISP)” montre qu’en Belgique (commeailleurs) les risques de décès des hommeset des femmes dépendent du niveau d’édu-cation, du statut professionnel et de la qua-lité du logement. Ainsi, l’espérance de vied’un homme de 25 ans sans diplôme est de5.5 années inférieure à celle d’un homme dumême âge titulaire d’un diplôme de l’ensei-gnement supérieur de type long. A l’âge de45 ans, la différence entre ces 2 catégoriespasse à 4.4 ans. En ce qui concerne l’espé-rance de vie chez la femme, la différence estde 3.5 ans toujours au désavantage de lafemme de 25 ans sans diplôme. A 45 ans,cette différence est encore de 3.1 ans.

En ce qui concerne le risque de décès, le fossé socioéconomique se réduit

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Enfin, l’util est aussi porte avec L’accès au général et la chirurgi giographie coup plus ayant un que pour c

Lorant et en charge

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progressivement au fil des classes d’âge.En d'autres termes, la différence de risquede décès entre les classes socioécono-miques hautes et basses se réduit au fur età mesure que l’âge des individus augmente,en particulier parce que la mortalité néona-tale est sensible aux facteurs sociaux. Maisla différence subsiste indépendamment dece facteur. Par exemple, les hommes belgesqui, entre 1991 et 1995, louent un logementont un risque de décès plus élevé que leshommes du même âge qui sont proprié-taires du leur.

Les différences de mortalité apparaissentdès la naissance : le risque d’avoir un enfantmort-né est 2.8 fois plus élevé dans lesfamilles sans emploi que dans les famillesavec emploi ; et c’est également le cas de lamortalité infantile précoce (mortalité néona-tale 1.7 fois plus élevée dans les famillessans emploi que dans celles où au moins undes parents travaille). De même, les fem-mes non mariées ont 1.5 fois plus de risquede donner naissance à un enfant mort-néque celles qui sont mariées.

Enfin il faut noter que toutes ces inégalitésdémographiques en matière de mortalitégénérale (par exemple mortalités pré- etpost-natales) liées aux conditions socio-économiques, sont en constante augmen-tation et se traduisent par un écart croissantentre classes extrêmes, et de classe àclasse.

Les inégalités sociales en matière d’espé-rance de vie se retrouvent dans tous lespays d’Europe mais les causes de mortalitéresponsables de ces inégalités ne sont pasles mêmes partout. Ainsi, la mortalité parmaladies ischémiques est fortement asso-

ciée à la profession en Angleterre, enEcosse, en Irlande, au Danemark, enNorvège ainsi qu’en Suède et en Finlandemais beaucoup moins en France ou enSuisse, en Italie, en Espagne ou auPortugal. Dans ces pays du sud del’Europe, la mortalité a surtout pour cause lecancer et les affections du système digestif.

En ce qui concerne la Belgique, les inégali-tés socio-économiques en matière de mor-talité spécifique sont les plus importantespour les maladies très sensibles à la pré-vention, notamment la cirrhose du foie, lecancer de l’intestin, le suicide et les acci-dents.

C’est ainsi que 2.13 fois plus de cirrhosesdu foie sont diagnostiquées dans les quar-tiers défavorisés que dans les quartiers plusaisés. Pour les chutes et les suicides, ceschiffres sont respectivement de 1.66 et1.47. La même tendance s'observe pour lecancer du poumon : les hommes ayant unfaible niveau d’éducation, âgés entre 40 et49 ans, ont 1.97 fois plus de risque de mou-rir de ce cancer que les hommes du mêmeâge mais qui bénéficient d'un plus hautniveau d’éducation. Il en va de même desfemmes de la même catégorie d’âge dont lerisque de mourir du cancer est de 1.31 foisplus élevé quand elles ont un faible niveaud’étude. Cette tendance se vérifie égale-ment pour le risque de décès par méningite.

Les maladies ischémiques, responsablesde 2.7 millions de décès par an dans lespays industrialisés, payent un tribut impor-tant aux inégalités socioéconomiques enmatière d’espérance de vie et de mortalitéen Europe. En Belgique, les hommes et lesfemmes d’âge moyen ayant un faible niveau

d’éducation courent respectivement 1.41 et1.84 plus de risques de mourir de maladieischémique que ceux qui possèdent unniveau d’éducation plus élevé.

Avenando a réalisé une importante étudeinternationale qui visait à comparer la mor-talité par accident vasculaire cérébral entredivers pays d’Europe. Cette étude a mis enévidence de grandes différences dans l’es-pérance de vie liées au risque de décès paraccident vasculaire cérébral selon le niveaud’éducation. Pour l’Europe, la différencemoyenne d’espérance de vie des hommesde 30 ans avec un haut ou un faible niveaud’éducation est de 3.22 années. Pour lesfemmes, la différence est plus petite : 2.18années. Si la différence de mortalité paraccident vasculaire cérébral liée au niveaud’éducation pouvait être éliminée, les diffé-rences d’espérance de vie entre niveauxd’éducation se réduiraient respectivementde 7% (0.24 ans) chez les hommes et de14% (0.31 ans) chez les femmes.

c. Inégalités sociales dans le déroulementdes maladies

Les inégalités sociales de santé se retrou-vent également dans le pronostic de surviede diverses maladies : ainsi, les chances desurvie après un cancer, une maladie car-diaque ou une infection VIH sont plusimportantes pour les personnes qui se trou-vent en haut de l’échelle sociale.

Cette différence s'explique notamment parle fait que les diagnostics sont posés plusprécocement dans la population desclasses socioéconomiques élevées. Uneseconde explication tient à la manière dontla prévention est organisée. Bien que les

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campagnes de prévention soient destinéesà toutes les classes de la population, ellestouchent préférentiellement les classes lesplus élevées : c’est “l’effet Matthieu” ou“inverse care law”. L'effet Matthieu désigne,de manière générale, les mécanismes parlesquels les plus favorisés tendent à accroî-tre leur avantage sur les autres. Cette appel-lation fait référence à une phrase de l'évan-gile selon Saint Matthieu : “Car on donneraà celui qui a, et il sera dans l'abondance,mais à celui qui n'a pas, on ôtera même cequ'il a”. L’inverse care law explicite que l’accessibilité aux soins de santé soit inver-sement proportionnelle aux besoins despopulations desservies. Un exemple éloquent est celui des campagnes dedépistage du cancer du sein : ce sont prin-cipalement les femmes des classes socio-économiques élevées qui réagissent auxlettres d’invitation bien qu'elles soientenvoyées à toutes les femmes de la classed’âge concernée (50-69 ans en Belgique). Al’occasion de cette campagne médiatique,le pourcentage de dépistage a augmentéde 39% chez les femmes ayant un emploicontre seulement 23% chez les femmes auchômage.

Enfin, l’utilisation des soins de santé curatifsest aussi fonction des risques sociaux etporte avec lui son cortège de souffrances.L’accès aux services de soins de santé engénéral et aux services spécialisés commela chirurgie de pontage coronarien et l’an-giographie en particulier comporte beau-coup plus de barrières pour les patientsayant un statut socio-économique faibleque pour ceux dont le statut est élevé.

Lorant et al. ont démontré que tant la priseen charge des maladies psychiatriques que

leurs traitements et leurs résultats, varientbeaucoup selon le statut socio-écono-mique : les patients de faible statut sont prisen charge plus rapidement dans un hôpitalpsychiatrique ou dans le département psy-chiatrique d’un hôpital général, mais bénéfi-cient moins de traitements psychothéra-peutiques et leur évolution est moinsfavorable. En outre, le taux de rechute estplus élevé dans la dernière strate socio-économique (1.35 fois plus de risque derechute qu'au sein de la plus haute stratesocio-économique). La différence entre lesstrates socioéconomiques se manifesteégalement en terme de mortalité : lespatients issus des strates socio-écono-miques les plus faibles ont 1.79 plus derisque de décéder pendant leur traitementpsychiatrique que ceux ayant un statutsocioéconomique élevé.

d. Inégalités sociales dans l’apparition de lamaladie

Bossuyt et al. ont utilisé les recueils de don-nées de l’Enquête nationale de santé de1997 et ceux de la Base de données natio-nale de la mortalité pour calculer l’espé-rance de vie en bonne santé des diversgroupes socio-économiques. Il apparaîtqu’à 25 ans, les hommes ont en moyenneune espérance de vie en bonne santé de37.5 ans. Pour les hommes ayant un niveaud’éducation faible, cette même espéranceest de 28.1 ans tandis que pour ceux pos-sédant un diplôme de l’enseignement supé-rieur de type long, elle est de 45.9 ans, soitune différence de 17.8 années. Chez lesfemmes, la différence est plus grandeencore, soit 24.7 années de différence d’es-pérance de vie en bonne santé à l’âge de 25ans. Ces résultats se retrouvent autant pour

la différence d’espérance de vie en bonnesanté physique que pour l’espérance de vieen bonne santé mentale. Ces chiffres met-tent donc en lumière l'importance des iné-galités sociales de santé non seulement entermes d’années à vivre mais également etplus encore en termes d’années à vivre enbonne santé.

La littérature scientifique internationale rap-porte que la plupart des affections sont plusfréquentes parmi les classes socio-écono-miques faibles : maladies coronariennes,cancers liés au tabagisme, problèmes desanté mentale, diabète de type 1, affectionsdentaires, lombalgies, etc.

En Belgique, l’Enquête de santé constitueune base de données importante pourmesurer l'effet du gradient social sur lesdiverses affections rapportées et sur la per-ception de leur santé par les individus eux-mêmes. Cette enquête révèle que les per-sonnes de faible statut socio-économiquese plaignent davantage de maladies chro-niques, de difficultés liées à un handicap delongue ou courte durée. Elles ont une imagemoins positive de leur état de santé tantphysique que mental, que les personnesd’un statut socioéconomique supérieur.Ainsi, seules 60.2% des personnes issuesdu groupe socioéconomique faible seconsidèrent en bonne ou très bonne santéalors que cette proportion est de 86.5%dans le groupe ayant le niveau d’éducationle plus élevé. De même, les personnes d’unstatut faible rapportent en moyenne 1.71maladies chroniques contre 0.98 pourcelles d’un statut plus élevé. En termes decondition physique, la différence entre lesdeux groupes étudiés est plus nette encore.Sur base d’un score maximum de 100

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évaluant la condition physique, les personnes des classes sociales bassesobtiennent une moyenne de 77.1 comparéeà 94.1 pour celles des classes élevées.

Les différences socioéconomiques entermes de morbidité se manifestent dès leplus jeune âge : les enfants dont les deuxparents sont chômeurs ont un risque 1.58fois supérieur de naître avec un petit poidspar rapport à ceux dont l’un au moins tra-vaille ; cette première catégorie d’enfantscourt également 1.4 fois plus de risque denaissance prématurée, et ces deux risquess’élèvent respectivement à 1.64 et 1.33pour les mères non-mariées par rapport auxmères mariées.

Conclusions

Les nombreux relevés sociodémogra-phiques, études épidémiologiques, recher-ches étiologiques, publications récentes,auxquels se réfère cet article, montrent clai-rement deux faits en lien avec les inégalitéssociales de santé :

D’une part, en tous temps, en tous lieux, cesont toujours les défavorisés socioécono-miques qui vivent moins bien, qui sont leplus souvent, le plus longtemps, et le plusgravement malades et qui meurent le plusvite. Les inégalités face à la santé, à la mala-die et à la mort sont causées directementpar les inégalités sociales, et ne peuventêtre attribuées à quelque problème de santéparticulier qu’il suffirait de combattre pourque les différences de mortalité s’effacent.Au contraire, le statut social influence la vul-nérabilité et la résistance aux problèmes desanté communément rencontrés par diffé-rents mécanismes qui varient selon l’épo-

que et le lieu. Inéluctablement, les inégalitéssociales conduisent à des inégalités face àla maladie et à la mort par les maladies quisont les plus fréquentes dans cette société :chez nous, il s'agit des maladies chroniqueset du cancer. En Afrique, elles se révèlent autravers des maladies infectieuses et de lamalnutrition.

D’autre part, même après ajustement pourles principaux facteurs prédictifs de morbi-mortalité, le statut social reste significa-tivement associé à un plus mauvais pronos-tic. Un rapport parmi d'autres, celui de laFondation des sciences suisses, a relevéque le cancer du sein qui semble constituerune exception en matière d’inégalitéssociales de santé, n’en est en réalité pasune. A Genève par exemple, sa fréquenceest effectivement plus élevée dans lesclasses sociales favorisées. Par contre, samortalité reste plus élevée (2.43 fois) dansles classes sociales défavorisées. Une foiséliminés les éléments qui peuvent expliquercette surmortalité (diagnostic tardif, dépis-tage négligé, différences de traitement,etc.), le risque de décès des femmes de sta-tut socioéconomique défavorisé reste 1,7fois plus élevé, ce qui confirme le fait que lestatut social est en soi un facteur de risqueindépendant de la maladie et de la mort.

Pour conclure, il faut souligner que lesmédecins, les généralistes en particulier, ontun important rôle à jouer dans la prise encharge des problèmes sociaux liés à lamaladie, et cela même si l'impact sanitairede ce type d’interventions n'est pas évident.En réalité, il en va de la qualité des soins,surtout du premier échelon, qui devraientdévelopper une approche globale de typebiopsychosociale. Spontanément, de nom-

breux praticiens belges le font. Il n'en vapas de même dans de nombreux paysmoins avancés où la culture médicale n'in-cite pas les professionnels à se préoccuperd'intégrer leurs services, spécialement ceuxoù la dimension sociale est importante, etoù les politiques et les décideurs tendent àverticaliser la prise en charge des détermi-nants sociaux de la maladie.

Michel Roland sera en discussionavec Monique Debauche et MickyFierens sur la question des enjeuxmultiples des politiques et des pra-tiques de soin, le vendredi 26 octo-bre à 20h30.

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

Références :- Bossuyt N., Gadeyne S., Deboosere P., et al. Socio-economic inequalities in health expectancy in Belgium.Public Health 2004; 118: 3-10.- Bossuyt N., Van Oyen H., Gezondheidsrapport :Socio-economische verschillen in gezondheid, IPH/EPIReports 2001-013, Brussel, Wetenschappelijk Instituutvoor Volksgezondheid, Afdeling Epidemiologie.- Bossuyt N., Van Oyen H., Gezondheidsverwachtingvolgens socio-economische gradiënt in België, IPH/EPIReports 2000-003, Brussel, Wetenschappelijk Instituutvoor Volksgezondheid, Afdeling Epidemiologie.- Gadeyne S., Deboosere P., Statistics Belgium WorkingPaper, 2002 (6), Brussel : VUB, Steunpunt Demografie.- Great Britain Department of Health, Saving lives ourhealthier nation, London, 1999, The Statonary Office.- Isaacs S., Schroeder S., “The Ignored determinant ofthe Nation’s Health”, N Engl J Med 2004; 351(11): 1137-42- Kesteloot C., De Turck A., Vandermotten C., et al.Sociale structuren en buurten in moeilijkheden in deBelgische stadsgewesten. Structures sociales et quar-tiers en difficulté dans les régions urbaines belges.Leuven, 2001, Instituut voor Sociale en EconomischeGeografie Katholieke Universiteit Leuven (KUL) & Institutde Gestion et d'Aménagement du Territoire UniversitéLibre de Bruxelles (ULB) WHO. Health Report 2002 ;http://www.who.int/whr/2002/en/whr2002)

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La médicalisation de l’accouchement :Par Francesca ARENA*

*Historienne à l’unité de recherches TELEMME, Université de Provence

approche historique du genreLorsqu’on fait référence à la médicalisation de l’accouchement, l’on croit souvent qu’elle

commence à une époque assez récente, du fait de dispositifs techniques progressivement

mis en place par la médecine et la

science. Par ailleurs on fait aussi

référence à une époque mythique

où les femmes accouchaient à la

maison respectant rythmes et

besoins naturels. Ou encore, et

bien à l’opposé, il y aurait une

époque où les femmes, gérées

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Or, comme toujours, les chosessont bien plus complexes auregard de l’histoire et dessources que nous avons à dis-position. Par ailleurs ces deux

discours, très tranchés, opposent deuxmodèles de nature antagonistes mais fina-lement analogues. Selon une interprétationpositiviste, la nature représenterait un étatde désordre qu’il faut maîtriser à travers leprogrès scientifique. Pour d’autres, ce seraitun état primitif cosmogonique auquel il fau-drait revenir. Dans tous les cas, on opposela nature à la culture comme si la natureavait des caractéristiques propres perma-nentes, une espèce de jardin d’Eden où ilfaudrait pouvoir retourner ou duquels’émanciper pour toujours.

Il nous faudra alors d’abord dégager la voiede cette fausse opposition, qui a été par ail-leurs construite à un moment donné parune société occidentale, blanche, bour-geoise et patriarcale en quête d’une nou-velle idée de civilisation. Nous allons doncici proposer une brève réflexion autour de lamédicalisation de l’accouchement, pourrelever certaines ambiguïtés du discours etsouligner la complexité de l’histoire. Dansun premier temps, nous allons revenir sur leconcept même de médicalisation de l’ac-couchement ; dans un deuxième temps,nous essayerons de dégager des momentsde cette médicalisation du point de vue dugenre ; dans un troisième temps, nousaborderons la question des résistancesféminines aux modèles dominants.

Médicaliser, soigner, prendre soin

Les expressions “médicalisation de l’accou-chement” et “accouchement naturel” sont

déjà des expressions assez ambivalentes.Que veut dire médicaliser ? Faut-il sous-entendre qu’avant la médicalisation il n’y aavait pas de soins autour de l’accouche-ment ? Aujourd’hui soigner et médicaliserrecouvrent la même signification et coïnci-dent dans les pratiques occidentales, telle-ment que, pour en sortir, il nous faut faireappel à d’étranges expressions telles que“accouchement naturel”. L’autre accouche-ment serait-il alors artificiel ? D’autre part, ilest évident que, si l’on regarde au fil dutemps et de l’espace, chaque société,entendue ici comme communauté, est cen-sée prendre soin de la femme accouchée ;car de cela dépend l’existence même de lasociété en question et la possibilité detransmettre dans le temps sa propre histoire(ou de passer à la génération suivante,selon les points de vue). Cette prise encharge se fait selon les règles culturellespartagées par la même communauté. Etcomme bien souvent dans l’histoire, il y aplusieurs savoirs qui coexistent autour del’accouchement et qui rentrent en conflitdans un jeu de pouvoir et de domination. Cequi change donc dans le temps n’est pas lefait de prendre soin ou de soigner la femmequi accouche mais la hiérarchie des savoirsà l’œuvre. En ce qui concerne l’accouche-ment, ce qui apparaît comme plus impor-tant est, à un moment donné, la profession-nalisation des médecins accoucheurs et lamédicalisation du savoir.

Les étapes de la médicalisation de l’accouchement du point de vue dugenre

Si nous observons l’histoire, nous consta-tons que c’est au cours de la modernité quecette professionnalisation commence. Le

corps de la femme accouchant était perçujusque là comme non intéressant du pointde vue médical notamment pour respecterles règles de la pudeur. Par la suite, il com-mence à être étudié, disséqué, analysé. Ony cherche évidemment à résoudre les mys-tères de l’enfantement à travers d’autrespoints de vue que ceux qui règnent à cemoment-là. Religion et science commen-cent alors un combat sur le corps de lafemme prétendant à la vérité ultime, maisfinalement avec les mêmes préjugés et sté-réotypes : les croyances se superposent etcertaines d’entre elles existent encoreaujourd’hui. Ainsi, par exemple, les 40 joursdu post partum sont simplement l’adapta-tion scientifique de la règle des purgations.

Longtemps, l’on a envisagé ce corps fémi-nin qui accouche comme sale, honteux oumaladif. L’accouchement était considéréjusque là comme le domaine des femmescar pour les hommes il ne produit ni cultureni savoir. Mais l’intérêt progressif de la partdes hommes change la représentation dece corps et de l’accouchement, qui devientpar conséquent un domaine de connais-sance, de science et de savoir : c’est là quese produit le premier conflit entre les diffé-rents points de vue. Nous pouvons alorsidentifier quatre moments dans ce proces-sus de médicalisation, remarquant déjà queles soins autour de l’accouchement exis-taient auparavant, durant, et après ce pro-cessus ; il nous faudrait en effet envisagerplutôt la question comme une nouvelle cul-ture qui s’impose avec des nouvelles tech-niques et un nouveau regard sur le corps dela femme.

Le premier moment est donc la modernité :les hommes commencent à écrire des trai-

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tés spécialisés sur la grossesse, l’accou-chement et l’allaitement basés sur leur (peu)d’observation. Parmi les questions qui seposent, l’une, subjacente, revient tout letemps : les femmes savent-elles accou-cher ? Ou sont-elles maladroites, igno-rantes ? Faut-il les instruire, les former àcela ? Les hommes se divisent sur cettequestion : il y a parmi les médecins pieuxceux qui considèrent encore l’accouche-ment comme un acte sale et honteux, qu’ilfaut cacher aux yeux des hommes et resteune affaire de femmes. D’autres, qui serontconsidérés par la suite comme des progres-sistes car “laïques”, sont portés à croire et àvouloir un accouchement protégé par leshommes : le sexe de la femme n’est passale, mais les femmes sont fort ignorantes,superstitieuses et faibles, par conséquent ilne faut pas les laisser faire. A bien regarder,c’est une querelle entre deux professionsmasculines qui sont, à cette époque, entrain de connaître leur essor : les chirur-giens-accoucheurs et les médecins despremières maternités. On pourrait y voir latoute première ébauche d’une lutte entrel’obstétrique et la gynécologie, mais aussientre la religion et la science, menée sur lecorps des femmes.

La deuxième période de cette médicalisa-tion de l’accouchement est celle qui voitl’inclusion dans la réflexion d’autres savoirsentre les XVIIIe et XIXe siècles. Philosopheset démographes s’introduisent dans la dis-cussion et se rajoutent à la médecine et à lareligion. Les professions médicales se mul-tiplient élargissant la marge de la réflexion :de l’accouchement tout court, on com-mence maintenant à parler de maternité etde devoirs des mères. L’ignorance fémininedevient manque de savoir-faire et, d’une

réflexion sur l’anatomie féminine, on passemaintenant à une discussion des fonctionsféminines. Les bases théoriques de lacontemporanéité occidentale sur le corpsde la femme se posent sous le signe du siè-cle des Lumières : on s’inquiète du bien êtredu futur citoyen ; le corps de la femmedevient un lieu public1. La rhétorique sur l’al-laitement commence à cette époque et tra-verse, par la suite, les siècles à plusieursreprises. Il nous faut souligner que, pourl’instant, ces réflexions demeurent assezspéculatives car elles sont basées sur l’ob-servation de peu de femmes. Si en effet lespremières maternités ont vu le jour, la plu-part des femmes continuent à accoucher àdomicile. Cependant, le recours au médecindevient systématique en cas d’accouche-ment compliqué. Sage-femme et médecinsont alors deux présences hiérarchiséesauprès de la femme qui accouche. Le savoirsur l’accouchement est maintenant dans lesmains des hommes : on prétend formerdans des écoles les sages-femmes auxnouveaux gestes, aux nouvelles tech-niques.

Le troisième moment de cette médicalisa-tion se produit du fait de la hantise de lamortalité en couches et construit dans lessensibilités, – et sur une longue période –,un véritable effroi de l’accouchement. Aucours du XIXe siècle les femmes qui, suite àl’urbanisation, vont accoucher à l’hôpitaldécèdent suite à des épidémies puerpé-rales provoquées, essentiellement, par desattouchements établis sans précautiond’hygiène. Ainsi, en 1856, dans la plusimportante maternité de Paris (Port Royal),31 des 32 femmes qui y accouchent décè-dent2. Alors que certains médecins dénon-cent déjà depuis le XVIIIe siècle les mau-

vaises conditions dans lesquelles on faitaccoucher les femmes à l’hôpital. Maisc’est seulement au cours du XXe siècle ques’imposent dans les pratiques des vérita-bles règles d’hygiène. Par ailleurs c’est seu-lement à ce moment que les femmes com-mencent à se confier en grand nombre auxhôpitaux pour accoucher : on a moins peurd’y mourir.

Le quatrième moment est donc celui quivoit, dans la deuxième partie du XXe siècle,la diffusion massive de la pratique de l’ac-couchement à l’hôpital. Les techniquesautour de l’accouchement se transforment.

C’est enfin seulement dans la plus récentecontemporanéité que les femmes desclasses plus aisées peuvent véritablementchoisir comment accoucher ; la questionn’est pas “naturel” versus “artificiel”, maisde pouvoir choisir selon ses propres désirset sa propre culture d’appartenance.Commence alors un mouvement inversé :alors que jadis les femmes des classes plusaisées revendiquaient de pouvoir accou-cher avec un médecin, aujourd’hui ellesrevendiquent de pouvoir accoucher seules.

Transgressions et résistances féminines

Si maintenant nous regardons l’histoire“côté femmes”, nous pouvons apprécierdes éléments quelque peu différents. Eneffet, depuis l’époque moderne et mêmeavant, des femmes ont produit des savoirssur l’accouchement par écrit. Mais on leurreproche une approche trop pratique de laquestion et on les relègue au rang de prati-ciennes depuis le début de la médicalisa-tion de l’accouchement. Un cas notable estcelui de Louise Bourgeois (1563-1636),

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sage-femme de la reine de France, Marie deMédicis3. Dans ses Observations diversessur la stérilité, perte de fruict, foecondité,accouchements et maladies des femmes etenfants nouveaux naiz, elle fait cependantpreuve des connaissances de l’époque ; età bien lire son texte elle est même à l’avant-garde de ce que l’on pourrait aujourd’huiappeler la capacité d’écoute et d’accueil dela part d’un soignant durant l’accouche-ment. Mais on lui reproche, encoreaujourd’hui, d’avoir des idées reçues surl’accouchement alors que, si l’on observetoute la médecine de cette époque, elle estde partout imprégnée de stéréotypes et decroyances. Finalement, on a la netteimpression qu’on lui reproche d’être unefemme parmi des hommes. D’autres exem-ples existent et l’histoire commence à peineà s’en rendre compte4.

Les femmes, malgré l’énorme pression quipèse sur elles, continuent durant toutel’époque moderne et contemporaine à s’oc-cuper d’accouchement et de reproduction.Accoucheuses et sages-femmes accompa-gnent encore au XXe siècle les rythmes de lavie et elles participent à la construction despratiques et savoirs sur l’accouchement.

Cependant leur rôle est nié, non reconnu, àtel point qu’on trouve principalement leurprésence dans certaines pratiques trans-gressives comme l’avortement ou l’infanti-cide car, là, elles sont criminalisées et doncvisibles. Mais cela nous montre que la pré-sence féminine dans des réseaux non insti-tutionnels de l’accouchement demeure surla longue période assez importante. Autourdu corps de la femme, les femmes résis-tent, parfois même en transgressant lesrègles progressivement imposées.

Finalement, au regard de l’histoire du genre,les questions de la médicalisation de l’ac-couchement et du libre choix d’accouchersont liées aux dynamiques complexes desrègles de la domination. La société patriar-cale a, au cours du temps, bien avant l’in-dustrialisation, essayé de dominer le corpsde la femme, le fait-elle encore dans ce jeud’opposition entre science et nature ? Poursortir de cette impasse, il faut voir les trans-formations sur la longue période et ne pasoublier que les choses sont moins tran-chées que ce que l’on voudrait croire.

Aujourd’hui, il y a des femmes qui se sen-tent plus libres en accouchant à l’hôpital,d’autres qui se sentent plus libres en accou-chant à la maison, il y en a qui préfèrentaccoucher à l’hôpital avec analgésie, etc.Peut-on envisager une société où on laisse-rait enfin les femmes faire leur choix sur leurpropre corps ? Les choix individuels sont detoute manière toujours aux prises avec descontraintes sociales, politiques et écono-miques. Mais la pluralité des expériences etla tolérance envers celles-ci est quelquechose que l’on n’a toujours pas appris àfaire.

Le jeudi 25 octobre à 19h, un débatsera consacré au succès des pra-tiques “naturelles” autour de lamaternité et aux enjeux de ce phé-nomène pour le mouvement fémi-niste. Avec Chris Paulis, FrancescaArena, Claudine Liénard etCatherine Markstein.

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

1Barbara Duden, L'invention du fœtus. Le corps féminin comme lieu public, éd. Descartes et Cie, 1996.2Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, Naître à l'hôpital au XIXe siècle, éd. Belin,1999.3Alison Klairmont-Lingo : “Une femme parmi les obstétriciens du XVIIe siècle : Louise Bourgeois” http://www.societe-histoire-naissance.fr/spip.php?article44Anne Carol, “Sage-femme ou gynécologue ? M.-A. Boivin (1773-1841)”, Clio, 33-2011, Colonisations, pp. 237-260.

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Freedom for Birth, de Toni Harman, vo, st FR.Date et heure : 21 septembre 2012 19h00 – 22h30Lieu : Bruxelles Laïque, 18/20 avenue de Stalingrad – 1000 Bruxelles.Entrée libre – réservation obligatoire : [email protected]

Dans le cadre d’un cycle thématique autour des Droits des Femmes durant l’accouchement 2012-2013 Prochaines projections : Jeudi 21/02/2013 : “Nacer” ; Jeudi 16/05/2013 : “La naissance, une révolution”

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“La liberté d’un pays peut être mesurée à travers la liberté de l’accouchement” Agnes Gereb, Budapest, 2012.

En décembre 2010, suite à une plainte d’une citoyenne hongroise, Ana Ternovszky, un arrêt de La Cour Européennedes Droits de l’Homme s’est prononcé en faveur du “droit relatif à la décision de devenir parent qui inclut le droit dechoisir les circonstances de l’accouchement”, obligeant ainsi les Etats à garantir l’accès à des accouchements extra-hospitaliers et à les décriminaliser. Ce film retrace l’histoire d’une obstétricienne et sage-femme hongroise, AgnesGereb, condamnée par un tribunal à une peine de prison parce qu’elle pratiquait des accouchements à domicile. Onaborde ainsi les pressions exercées sur les sages-femmes et médecins qui accompagnent les femmes dans leur choixd’un accouchement en dehors des hôpitaux, au travers d’interviews à Ágnes Geréb et à d’autres figures embléma-tiques des Droits des Femmes pendant l’accouchement comme Ina May Gaskin et Sheila Kitzinger.

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Le sans-papierPar Cedric TOLLEY*

*Bruxelles Laïque Echos

Pensez-vous vraiment que les sans-papiers ne sont pas les bienvenus dansnos économies occidentales avancées, ici et maintenant ? Oui ? Y avez-vous vraiment regardé de près ? Et d’un peu plus loin ? Pourtant...

Allez, un petit coup d’œil dans le rétro et ensuite on écrase le champignon.

D

limite. Tan once de p corvéable les luttes grande vi forces, si progressiv puis des i a peu, des haute lutt main dura en quelqu ont impos vail, l'inde vail, la lim domadair l’indexati sociale, le ment de l retraite, l' conditions instances tion, la pr bref toute tives de dans le tro

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Evidemme dispositifs de sortir b

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décomplexéSweet dreams are made of this

Who am I to disagree?I travel the world and the seven seasEverybody’s looking for somethingSome of them want to use you

Some of them want to get used by youSome of them want to abuse youSome of them want to be abused

Eurythmics

© photo Jérôm

e Baudet

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Depuis le XIXe siècle, les travail-leurs se battent pour améliorerleurs conditions de vie, poursortir du servage, de l’escla-vage et de l’exploitation sans

limite. Tant qu’ils n’avaient rien et pas uneonce de pouvoir, ils restaient taillables etcorvéables. Mais le mouvement ouvrier,les luttes sociales, parfois d’une trèsgrande violence, ont établi un rapport deforces, si bien que les travailleurs sontprogressivement devenus des acteurs,puis des interlocuteurs et même, jusqu’il ya peu, des “partenaires sociaux”. C’est dehaute lutte et finalement les armes à lamain durant les deux guerres mondiales eten quelques occasions que les travailleursont imposé la naissance du droit du tra-vail, l'indemnisation des accidents du tra-vail, la limitation du nombre d’heures heb-domadaires de travail, les congés payés,l’indexation des salaires, la sécuritésociale, le droit au chômage, l’abaisse-ment de l'âge de la retraite, la pension deretraite, l'édiction de règles en matière deconditions de travail, le droit de grève, lesinstances de concertation et de négocia-tion, la protection contre le licenciement,bref toutes les normes de relations collec-tives de travail que nous connaissionsdans le troisième quart du siècle dernier.

Pas mal, hein ? Sans cela, sans ces luttes,comme le disait le délégué principal desForges de Clabecq durant les dernièresgrandes grèves qui y ont eu lieu, “vosenfants travailleraient encore dans le fondd’une mine”.

Evidemment, toutes ces normes, tous cesdispositifs, qui permettent aux travailleursde sortir bon gré mal gré de l’aliénation au

travail et de leur condition de main d’œu-vre, tout ceci a un prix. Ce prix est notam-ment celui de l’impôt, des cotisationssociales et patronales et des taxes.L’enjeu mécanique pour les organisationspatronales dont le rôle est de protéger l’in-térêt des employeurs et de maximiser lesprofits réalisés par les entreprises aubénéfice de leurs actionnaires est dès lorsde réduire au maximum cette charge qui,elle, bénéficie aux travailleurs. Car, eneffet, dans notre économie capitaliste, letemps c’est de l’argent. Le temps, et toutle reste aussi... Si pour les travailleurs lerevenu du travail est une nécessité pourvivre dignement, pour l’employeur il s’agitd’un coût. D’un coût à compresser. Ainsi,le droit du travail et les normes en matièrede protection sociale des travailleursreprésentent autant d’entraves au profit.Entraves que les organisations éco-nomiques internationales (OMC, FMI,BCE…) et les lobbys d’entreprises, quiéchappent au contrôle démocratique,s’emploieront à défaire sans vergogne. Etque les patrons, conscients ou non de leurcrime, chercheront bien souvent àcontourner par tous les moyens.

Le travailleur modèle qui est le seul à vrai-ment tendre vers cette réduction maxi-male des coûts du travail, c’est le sans-papiers, le travailleur clandestin, le sansdroits. La raison de la clandestinité,lorsqu’on la regarde au plus proche, n’estdonc pas directement le profit (ils pour-raient réaliser plus de profit s’il n’y avait cesatané droit du travail) mais bien lecontournement par le travail clandestindes acquis arrachés par le mouvementouvrier et les luttes sociales. Le but est defaire fi de la loi, parce que la loi n’est

bonne à appliquer que lorsqu’elle rapporteà ceux qui ont effectivement le pouvoir oula faveur du rapport de forces.

Aveuglés par l’idée d’une société harmo-nique et démocratique, nous avons pupenser que cette situation était incohé-rente. En réalité elle n’est ni cohérente niincohérente. Elle est le résultat de rap-ports sociaux, de rapports de forces quiportent en eux-mêmes la contradiction deréalités et d’intérêts qui ne vont pas dansle même sens. Pour les uns, prétendrerefuser le travail clandestin c’est assurersa pérennité afin que le droit du travailn’entrave pas la marche du profit. Pour lesautres, refuser le travail clandestin, c’estimposer que le droit du travail s’applique àtous de la même manière. Et en attendantque cette contradiction se résolve, on nesait ni où ni quand ni comment des milliersde personnes et d’institutions souffrent decette situation.

L’Etat d’abord, qui, comme nous l’avonssouvent évoqué dans Bruxelles LaïqueEchos et au Festival des Libertés, doitcomposer avec les forces en présencedans des rapports qui le structurent.Gardien du droit, il doit empêcher le travailclandestin et, gardien du temple (de lafinance), il doit répondre aux exigencespatronales de dérégulation. Ainsi, plutôtqu’appliquer quelques principes d’équitéet de dignité humaine, il se livre à un drôlede cirque qui consiste à dévoyer le fruit del’impôt pour chasser le sans-papiers, enmême temps qu’il ferme les yeux sur laréalité des conditions d’esclavage aux-quelles sont réduits les travailleurs clan-destins, sans-papiers et sans-droits. Etnous, sans-papiers, militants, citoyens

© photo Jérôm

e Baudet

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les relatio risque-t-o avec des de notre s chose qu castes ? noblesse son fils à fort ? Se sans nou humains s lèges ? Et tairement ces privi demandés sans-pap

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épris de droits de l’Homme, d’égalité et desolidarité, nous y assistons quelque peuimpuissants.

Ensuite les sans-papiers, en plus de subirsans recours cette nouvelle forme d’escla-vage moderne que certains spécialistesappellent la “délocalisation sur place”,vivent dans l’angoisse du lendemain, dansla peur de la police, de la dénonciation, dela rafle, de l’enfermement, de l’expulsion.Ils vivent aussi dans l’attente, dans lapoursuite frénétique, fébrile et souventvaine de leur dossier de régularisation qui,après avoir dormi quelques mois ouquelques années dans un tiroir de l’Officedes étrangers, tandis que le sujet du dos-sier est lui perdu dans les labyrinthesadministratifs, finit par leur revenir estam-pillé d’un “Non”. Toujours à la recherched’un petit boulot pour survivre encorequelques jours, d’un logement, même pré-caire, d’une école qui acceptera l’enfant,d’un dentiste qui arrachera cette dentmalade et tyrannique sans exiger la saintecarte SIS. Toujours à la merci d’un petit oud’un grand patron qui, sur un coup detête, pour une quelconque raison arbitrairepourra le renvoyer à sa misère. Souvent,se heurtant à des regards dont il ne com-prend pas toujours l’expression ou lesyeux baissés, marchant à vive allure entrela Porte de Hal et la Porte de Flandre (pouréviter les contrôles de la STIB), il reste uneproie. Une proie en particulier pour l’agentzélé dont le regard affûté fait bien la diffé-rence entre l’étranger “normal” et celui qui“a quelque chose à se reprocher”.

L’heure est venue d’échapper à ce regard,de le tromper, de cesser de laisser prise àcette culpabilité construite de l’extérieur, à

cette honte injustifiée. L’heure est venuedu sans-papiers décomplexé !

Nous l’avons vu, le sans-papiers est mal-venu surtout parce qu’il faut faire respec-ter le droit du travail au détriment du tra-vailleur et parce que le travail clandestinest plus aisé s’il y a des travailleurs clan-destins. N’y ajoutons pas les quelquesconsidérations médiatiques, électorales etrelatives à cette insaisissable opinionpublique. Mais en réalité, il est l’instru-ment économique par excellence. Le sol-dat d’une super armée de réserve. Il neréclame pas plus d’égard qu’une quel-conque machine, avec ce petit plus qu’ilest en mesure de réaliser des travaux dontla machine est incapable… Imaginons unseul instant que les travailleurs clandes-tins disparaissent du tableau, qu’ils semettent en grève ou décident massive-ment de regagner l’Afrique, les pays del’Est ou l’Amérique latine. Qu’adviendra-t-il des chantiers du bâtiment et des travauxpublics, de la restauration, de l’agriculture,de l’hôtellerie, de la confection, du gar-diennage, du secteur du déménagement ?Probablement un naufrage. En réalité, lestravailleurs sans-papiers sont actuelle-ment devenus indispensables à l’écono-mie de nos villes occidentales et de nosagricultures. Pas d’incohérence manifestedonc, mais une bonne dose d’hypocrisie,certainement.

Nous avons combattu, durant des années,auprès des sans-papiers en lutte. Pourune autre politique d’immigration, pour lerespect de la dignité humaine, contre lesexpulsions, contre les centres fermés,pour la régularisation de tous les sans-papiers, contre les rafles… Sans succès, il

faut l’avouer. Mais il y a une chose quenous n’avons pas encore faite, ou en toutcas, pas massivement. C’est offrir auxsans-papiers d’entrer de plein pied dansnos vies, dans nos réseaux de sociabilité,dans nos environnements directs. Nousnous battons auprès d’eux, mais tandisque la machine administrative à broyer del’humain leur fait injonction de s’intégrer(sans aucun moyen de le faire), nousavons oublié de nous les intégrer. Si bienqu’ils continuent à marcher à vive allure,les yeux baissés, noyés dans une sorte dehonte qu’on ne se représente pas.

Nous avons sans doute cru qu’il suffisaitque l’Etat (c’est qui l’Etat ?) décide dedonner aux clandestins les mêmes droitsqu’à quiconque. Mais c’était oublier quedans une société, la dernière chose quichange, c’est la loi. En réalité, elle changequand plus personne ne la respecte,parce qu’elle n’est plus adéquate enregard de la réalité sociale et des rapportsqui ont cours dans la société. Toute l’his-toire de la lutte pour le droit à l’avortementen témoigne de manière limpide. Pour cequi concerne les sans-papiers, il en irasans doute de même. La société doitchanger avant d’espérer que les normeslégales la suivent. Nos attitudes person-nelles, notre sentiment à l’égard des sans-papiers doit changer avant que la sociétésuive. Et entre les deux, l’attitude dessans-papiers qui survivent ici, luttent ici,travaillent ici, doit, elle aussi, changer, êtredébarrassée de la honte, débarrassée dela peur, débarrassée de l’attente pour faireplace à la vie.

Il est étrange de constater que cetteaffaire de statut puisse à ce point biaiser

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les relations entre des êtres humains. Querisque-t-on à lier des amitiés sincèresavec des sans-papiers ? Qu’ils profitentde notre statut ? N’y a-t-il pas là quelquechose qui ressemble à une structure decastes ? Comme à l’époque de cettenoblesse qui ne vendait les quartiers deson fils à une roturière qu’au prix le plusfort ? Serions-nous devenus des noblessans nous en apercevoir ? Et les droitshumains sont-ils passés au rang de privi-lèges ? Et bien, si c’est le cas, c’est volon-tairement que nous devrons abandonnerces privilèges que nous n’avions pasdemandés. En liant des amitiés avec lessans-papiers, en invitant ceux-ci dans nos

vies (et pas seulement à des réunions, desmanifestations ou des soirées de soutien),en leur montrant ce que nos propres yeuxvoient de notre ville, nous rendrons soncaractère anormal et amoral à l’exclusionqui les cantonnent au statut d’inexistantssociaux. Et nous les inviterons à ne plusavoir l’air d’être des sans-papiers.

Alors peut-être que leur misère, la traquedont ils sont l’objet et l’exploitation dontils sont victimes deviendront anormales etqu’enfin les normes pourront évoluer.

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Le Festival accueillera des sans-papiers bruxellois en lutte et desmilitants pour une autre politiqued’immigration dans le cadre duforum Le sans-papiers décom-plexé, le mardi 23 octobre à 19h30.

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

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La caravaneInterview de Ahmed AHKIM* par Pascale NIZET**

*directeur du Centre de Médiation des Gens du Voyage en Wallonie **travailleuse sociale

Dix année Médiation proche r semble-t-

Je dirais mesure où que les G étaient en plexe, qua tion, avec nelle, éta faire tout férents ac dire introd dans des gées émo terme de matisation sur le plan médiation des autres dialogue.

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qui ne passe pasLa création d’un centre de médiation pour les gens du voyage témoigne du poids des dis-criminations que subissent des populations qui ont optées pour un mode de vie qui diffèredes schémas dominants. Un mode de vie qui ne repose pas non plus sur une identité figéemais sur des réalités sociales, culturelles et économiques multiples. En donnant la parole àAhmed Ahkim, nous tenterons d’explorer les enjeux passés, actuels et à venir ainsi que les cercles vicieux dans lesquels une partie de ces populations sont engluées en lien avec unphénomène de paupérisation.

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Dix années après la création du Centre deMédiation pour les Gens du Voyage, l’ap-proche relationnelle, médiatrice, voussemble-t-elle toujours pertinente ?

Je dirais : plus que jamais ! Dans lamesure où il nous est apparu dès le débutque les Gens du Voyage et les autoritésétaient engagés dans un processus com-plexe, quasi inextricable et que la média-tion, avec cette approche communication-nelle, était absolument nécessaire pourfaire tout d’abord “rendre raison” aux dif-férents acteurs. “Rendre raison” c’est-à-dire introduire de la rationalité, de la raisondans des situations qui étaient très char-gées émotionnellement, très chargées enterme de stéréotypes et en terme de stig-matisation, et enfin très chargées aussisur le plan de la complexité technique. Lamédiation centrée sur la parole des uns etdes autres permettait de créer ce cadre dedialogue.

A titre d’exemple, quand nous avons com-mencé en 2001, la plupart de nos interlo-cuteurs ne comprenaient pas de qui onparlait quand on parlait des Gens duVoyage. Certains nous demandaientmême pourquoi abordait-on cette ques-tion-là avec eux puisque finalement lesGens du Voyage ne sont que des “Gens depassage”, ils peuvent toujours aller voir ail-leurs. Aujourd’hui, beaucoup d’acteurs auniveau des administrations et au niveaudes autorités politiques savent, sont infor-més que les Gens du Voyage sont d’aborddes citoyens belges, des habitants wallonset bruxellois qui ont un mode de vie centrésur l’habitat mobile et qu’il convient degérer ces situations même si elles sont trèsproblématiques dans le cadre actuel.

Donc pour revenir à votre question, effecti-vement, l’approche relationnelle est plusque jamais d’actualité et notamment auniveau de la communication publique, auniveau des médias. Il est très importantpour les Gens du Voyage comme pour lesautorités publiques de disposer un lieu deréférence à consulter lorsqu’il y a des situa-tions sensibles et préoccupantes lesconcernant. La question des Gens duVoyage est tellement sensible qu’il suffitd’un rien pour que des situations ingéra-bles apparaissent.

Dans ce travail que vous menez depuisdix ans où l’investissement personnelet humain est très fort, est-ce qu’il y ades situations qui vous ont personnel-lement particulièrement touché ces 10dernières années ?

Pour commencer, avant de travailler avecles Gens du Voyage et avant de mettre surpied le Centre de Médiation, j’ai beaucouptravaillé à l’intersection de la lutte contre lapauvreté, de l’aide sociale et des questionsliées à l’immigration et au racisme. Ce quim’a le plus frappé, ce qui m’a profondé-ment touché dès le début, c’est que j’ai ren-contré chez les Gens du Voyage les famillesles plus pauvres et dans des situationsd’une misère et d’un drame qu’il est très dif-ficile de décrire. Et des situations de rejet,de racisme, de discrimination comme jen’en n’avais jamais rencontrées auparavantvis-à-vis de personnes immigrées, de per-sonnes différentes au niveau de la couleurde la peau, au niveau de la religion, auniveau de la culture, etc. ces situations dediscrimination telles que je les ai rencon-trées à plusieurs reprises avec les Gens duVoyage dans des lieux très divers.

Voilà sur le plan personnel. Maintenant il ya plusieurs choses, plusieurs momentsque je retiens particulièrement durant sesdix ans. J’en pointerais cinq.

La première c’est cette famille que je suisallé voir dans une commune rurale, cettefamille qui m’a contacté parce qu’elle rece-vait régulièrement des injonctions des ser-vices d’urbanisme pour quitter le terrainqu’ils avaient acheté avec leurs écono-mies. Quand je suis allé voir, j’ai trouvécette famille vivant dans un semi-remorquedepuis 15 ans ! Famille pourtant originairedu village et vivant dans un dénuementtotalement indescriptible. Personne nes’inquiétait de leur sort, par contre de laconformité de leur présence avec lesrèglementations urbanistiques si ! C’estune des situations qui m’a marqué ces dixdernières années.

Une autre situation plus positive, maisaussi lente et plus diffuse. Il s’agit d’unesérie de communes, de villages qui étaientrelativement réticents par rapport auxGens du Voyage et qui, avec le Centre deMédiation et avec des personnes duvoyage telles que Monsieur Charpentier etd’autres, progressivement se sont mis àorganiser régulièrement le séjour des Gensdu Voyage sans que cela ne suscite desremous ou des réticences importantes.

Troisième point que je peux relever durantces dix dernières années c’est la prise deconscience au niveau du Gouvernementwallon en 2007, de la nécessité de mettresur pied un groupe de travail gouverne-mental pour “l’organisation concertée duséjour temporaire des Gens du Voyage” etpour proposer des solutions.

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Quatrième point important, c’est l’émer-gence progressive mais rapide de ce qu’ilconvient d’appeler aujourd’hui la “questionrom”, et ce, depuis les premières famillessans-abris que nous avons accompa-gnées à Bruxelles lors de l’hiver 2008. Lechoc et l’incompréhension étaient tels quenous avons décidé en 2009 d’entamer,avec l’asbl RTA, la première rechercheorganisée en Belgique et qui a réellementdonné la parole à des familles Roms, qui ainstallé un cadre permettant l’écoute réellede ces familles-là pour pouvoir compren-dre leur dynamique. Recherche que nousavons publiée récemment1.

Alors, dernier élément important de ces dixdernières années, encore une fois, lespoints que l’on met en exergue sont tou-jours le résultat d’une évolution, le résultatd’un travail de plusieurs années. S’il étaitprésent dès le début au Centre deMédiation et n’était pas sans effet, ce n’estqu’avec le temps que le travail de lien étroitet d’écoute des différents acteurs a donnéses fruits de manière importante. L’écoutedes Gens du Voyage nous a, notamment,permis, il y a deux ou trois ans, de mettrele doigt sur la question centrale de la cara-vane qui est pour eux un logement et quetoutes les difficultés que nous rencontrons,que les Gens du Voyage rencontrent et queles autorités rencontrent, sont intimementliées à la non-reconnaissance de la cara-vane comme logement.

Voilà, cinq situations, cinq éléments quiont ponctué ses dix dernières années auCentre de Médiation. dix années d’un tra-vail intense. Intense parce que la vie desGens du Voyage et surtout les difficultésqu’ils vivent sont aussi intenses et parfois

dramatiques, même s’il y a, et heureuse-ment, parce que cela nous aide aussi àcontinuer, des évènements heureux. Nousdécouvrons au travers de nos interven-tions, qu’il y a énormément de bonnevolonté tant chez les Gens du Voyage quechez d’autres acteurs tels que les autori-tés, tels que des personnes ou des asso-ciations. Il y a des acteurs qui travaillentbien et qui en veulent et nous sommes làaussi pour les soutenir.

Les politiques européennes et lesenjeux liés à la question de la circu-lation des Roms seront au pro-gramme du Festival à l’occasiond’un débat avec Refika Cazim,Bernard Devos, Caroline Intrand,Tristan Wilbault, Sophie VanBalberghe et Melita H. Šunji, le vendredi 19 octobre à 16h00.

Sur la question Rom, voyez aussi lefilm “A people uncounted”, lemême jour à 19h.

(cf. www.festivaldeslibertes.be)

1 Ahmed Ahkim et Jacqueline Fastrès, Les Roms. Chroniqued'une intégration impensée, Couleurs Livres, Bruxelles 2012.

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Carlo CALDARINIAnne DEGOUISJean-Antoine DE MUYLDERIsabelle EMMERYBernadette FEIJTAriane HASSIDMonique LOUISChristine MIRONCZYKMichel PETTIAUXThierry PLASCHJohannes ROBYNAnne-Françoise TACKCédric VANDERVORSTMyriam VERMEULEN

Fabrice VAN REYMENANT

Juliette BÉGHINMathieu BIETLOTMario FRISOPaola HIDALGOSophie LEONARDAlexis MARTINETAbabacar N’DAWCedric TOLLEYAlice WILLOX

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