Fernanda

19
177 Une nouvelle lecture de Marelle de Cortázar par le concept du pli de Deleuze. Fernanda Salomão Vilar 1 Résumé: Les caractéristiques que l’on trouve dans la structure narrative de Marelle tels que le jeu, le labyrinthe, l'infini, les réalités simultanées, les doubles, le mouvement, le fragmentaire et le pli nous permettent de proposer une nouvelle lecture de cette œuvre de Cortázar. En effet, nous pouvons lire Marelle comme une œuvre baroque par les problèmes qu’elle pose, de ses personnages à sa structure. Les caractéristiques qui nous autorisent cette nouvelle lecture proviennent en réalité de l’histoire des transformations du concept de « baroque » dans l’histoire des arts plastiques. À la suite de Deleuze, nous voudrions étendre cette catégorie au delà de son champ, car elle permet d’ajouter à la lecture de Cortázar le concept du pli. Le pli est un concept actif, une fonction opératoire qui tient davantage d’une sensibilité que d’un moment historique. Il nous permettra de définir l’oeuvre comme un tissu. Les plis que recèle ce « tissu » nous semblent être les caractéristiques baroques présentes dans Marelle. Mots clés : BAROQUE JULIO CORTÁZAR MARELLE DELEUZE - PLI Abstract: Some characteristics of Hopscotch's narratives, such as game, labyrinth, the infinite, silmultaneous realities, doubles, movement, fragment and the pli (fold), allow a new reading of the work of Cortázar. Indeed, we read Hopscotch as baroque by the problems generated by its characters and by its structural plan. The characteristics that allow us this new reading came from the history of changes in the concept of "baroque" in the history of arts. In response to Deleuze, we would like to extend the category beyond its scope because it can add to the reading of Cortázar the concept of the fold, which will operate as the main baroque feature in Hopscotch's work. The fold is an active concept, an operational function which represents a 1 Graduada em Letras pela Unicamp em 2007. Master 1 em Literatura Comparada (2008) e Master 2 em Filosofia da Arte e Literatura (2009) ambos pela École Normale Supérieure de Lyon (ENS-LSH). Doutoranda em Literatura Comparada na Universidade de Paris X Nanterre. Esse artigo é baseado nos estudos feitos com a professora Anne Sauvegnargues durante o Master 2.

description

Pli dans Cortázar

Transcript of Fernanda

177 Une nouvelle lecture de Marelle de Cortzar par le concept du pli de Deleuze. Fernanda Salomo Vilar1 Rsum: Lescaractristiques quelontrouvedanslastructurenarrativedeMarelle tels que le jeu, le labyrinthe, l'infini, les ralits simultanes, les doubles, le mouvement,lefragmentaireetleplinouspermettentdeproposerune nouvellelecturedecetteuvredeCortzar.Eneffet,nouspouvonslire Marelle comme une uvre baroque par les problmes quelle pose, de ses personnagessastructure.Lescaractristiquesquinousautorisentcette nouvelle lecture proviennent en ralit de lhistoire des transformations du conceptde baroque danslhistoiredesartsplastiques.lasuitede Deleuze, nous voudrions tendre cette catgorie au del de son champ, car elle permet dajouter la lecture de Cortzar le concept du pli. Le pli est un concept actif, une fonction opratoirequi tient davantage dune sensibilit quedunmomenthistorique.Il nous permettradedfinir loeuvrecomme untissu.Lesplisquereclece tissu noussemblenttreles caractristiques baroques prsentes dans Marelle. Mots cls : BAROQUE JULIO CORTZAR MARELLE DELEUZE - PLI Abstract: Some characteristics of Hopscotch's narratives, such as game, labyrinth, the infinite,silmultaneousrealities,doubles,movement,fragmentandthe pli (fold),allowanewreadingoftheworkofCortzar.Indeed,weread Hopscotchasbaroquebytheproblemsgeneratedbyitscharactersand by its structural plan. The characteristics that allow us this new reading came fromthehistoryofchangesintheconceptof"baroque"inthehistoryof arts. In response to Deleuze, we would like to extend the category beyond itsscopebecauseitcanaddtothereadingofCortzar theconceptofthe fold, which will operate as the main baroque feature inHopscotch's work. Thefoldisanactiveconcept,anoperationalfunctionwhichrepresentsa 1 Graduada em Letras pela Unicamp em 2007. Master 1 em Literatura Comparada (2008) e Master 2 em FilosofiadaArteeLiteratura(2009)ambospelacoleNormaleSuprieuredeLyon(ENS-LSH). Doutoranda em Literatura Comparada na Universidade de Paris X Nanterre. Esse artigo baseado nos estudos feitos com a professora Anne Sauvegnargues durante o Master 2. 178 sensibility rather than a historic moment. In fact, the fold will enable us to define the romance as a textile. Each fold that this textile is able to do will be equivalent to the characteristics baroques that Hopscotch possess. Keywords:BAROQUEJULIOCORTZARHOPSCOTCH DELEUZE FOLD Introduction El alacrn clavndose el aguijn, harto de ser un alacrnpero necesitando de alacranidadpara acabar con el alacrn. Julio Cortzar, Rayuela, chapitre 28. Marelle, de Julio Cortzar, est un signe manifeste de la conqute de la transgression. De mme que le scorpion a besoin de sa scorpionitpour en finir dtre un scorpion, le romanMarelle a besoin de lui mme pour finir dtreseulement un roman. Cest--direque,Marelle, dans sa stratgie de composition,entremlelesfilsdesadestructioncommeroman.Or,ainsi estfaitlebaroque,artquiutiliselarglepourlacontester.Lebaroque ramasselesfragmentsdudcompospourconstruireautrechose.Cest prcismentdanslatransformationdunmodleclassiquequel espritbaroque se manifeste. Cest le cas galement de Marelle, dont lesprit de luvreestengagdansladestructiondunsenscommun.Elleutilisela perversiondulangagepourbriserlesmodlesquiptrifientlegenredu roman.CequelonveutmontrerestqueMarelleestunetransformation baroque du roman. Nous utiliserons ce concept en sappuyant sur deux aspects :onnediscuteraquebrvementladichotomie classiqueet baroque proposparWlfflin,quiconsidrelebaroquecommeune transformation et un renouveau du classicisme, et nous nous concentrerons sur le concept du pli deulezien. SilonabordeMarelleductwlfien,letextesinscritdansla tradition du roman qui rompt avec les conventions du genre et une certaine utilisation du langage littraire. Cest lacte du baroque contre le classique. Dans ce sursaut lgard de la tradition rvolue (le projet de transformer un canonvieilli)setrouvelunedescaractristiqueslesplusprofondesdu 179 baroque :artduvieillissementduparadigme,artquipasseduschme unitaire du classique lide dune cration du genre. Dans ce cas, Marelle inaugure une autre faon dcrire et de lire le roman. Marelle,oubienRayuela(letitreoriginalenespagnol),futcrit Paris en 1963 lors dun exil volontaire de Cortzar. Selon lauteur, le livre nest pas un antiroman , parce quil ne sagit pasde dtruire le roman, maistoutaucontraire,cestunetentativedechercherdesnouvelles ouverturesetpossibilitsromanesques.Cest,selonlui,unexercicede descriture duroman.Marelleestunlivrequiinstaureunnouveau rapport de contact entre le langage, luvre et le lecteur. Cortzar rclame lapositiondunlecteuractifetcomplice.Cetteparticipationactivese ralisetraverslejeu,thmatiquecourantedanssonuvremaispourla premire fois explore de cette faon. Cest la premire attaque de Cortzar contreleromantraditionel,offertaulecteurcommeunproduitfini, impossiblealtrer,quecelui-ciacceptaitetassimilaitpassivement. Marelleparticipe,decettefaon,lanotiond uvreouverte dUmbertoEco.Leromanvit,etilestconstruitparlelecteurenmme tempsquecelui-cipeutenjouiresthtiquementcestledomainedu lecteur actif et constructeur de signifis. De mme, la lecture active permet lapparition dune autre caractrisque baroque, celle de la dmultiplication de points de vue qui rend possible une variation infinie de luvre. ConjointementauconceptdeWlfflin,onsintresseraaubaroque selonlaperspectiveproposeparDeleuze.Lephilosopheconsidrele passdansuneperspectivehistoriquediscontinue,cequiluipermetde (re)inventerlebaroquedanslactualit.Ilreprendcettetendance esthtiquedansunenouvelleperspective,cequiluipermettraundbat avec lart contemporain. Elle rsidait daprs lui dans le gestedinventer le Baroque, ou plus exactement dinventer un concept opratoire capable dtendrelerayondactionmultidisciplinaireetlechamphistoriquedu baroque,sansperdrelaspcificit 2.PourcelaDeleuzeactualisele concepte leibnizien du pli et lapplique aux oeuvres contemporaines. Lepliexprimelinventiondelarelationentrenous-mmesetle monde.Sitouteslesartsontlepli,cenestquedanslebaroquequilne connat pas de limites. La mission du baroque est celle de continuer le pli, deleporterlinfini.Lepliexprimeautantunterritoiresubjectifquele procddecrationdeceterritoire,cest--dire,quilcomporteensoi lexpression de ce qui est dedans et de ce qui est dehors - il est le trait entre la mmoire (dedans) et le chaos (dehors).Le baroque est lart du pli, par consquent cest le pli qui dfinira le rapport de cet art au monde. Dans le baroque les figures seront distendues parleplilanamorphosequicorromptlecercle.Onnauraplusde 2 CAMPOS, Haroldo. Baroque-ludisme deleuzien dans : Gilles Deleuze, une vie philosophique, Colgio internacional de estudos filosoficos transdisciplinares, sous la dir. d'Eric Allez, 1996, p. 549. 180 formes, mais des dformations causes par le pli. La faon dont la matire se plie va affecter sa texture. Les plis dont elle est capable corresponderont samatiredexpression.partirdecesdonnes,nousdfendonslide queCortzarsefforcedenierlaralitquotidienneetdoffrirdautres ralitspossibles,parlatentativedeplierlaralit.Leromanseraitla matire plier, sa texture serait celle dun tissu les plis dont il est capable constituerait sa matire dexpression les morphologies baroques.NouspartonsdufaitqueCortzarcritleromancommesilntait pas ferme et rigide, mais souple et mallable, comme un tissu. Ce tissu sera form comme un patchwork, puisque luvre est faite de fragments. Forts decettequalitdetissu,lelivreetlhistoirepeuventtreplis,repliset dplis.Laflexibilitdutissuetsacapacitreprsenterlatexturedu matriauquelecompose,permetqueleromansoitconstruitparune narration, comme par une autorflexion de sa propre criture et plus encore, par une tentative de dfaire la reprsentation partir du langage. Ce sont galement les plis et les dplis qui permettront linfinit de luvredanslalecture,incarnecommepliage,puisque,telun rhizome ,Marelleaplusieursentres.Chaquechapitrepourraitentre lepointdedpart.Leromanpeutseliredansnimportequelordre,et fonctionner/signifier chaque lecture quon en fera. Parailleurs,lidederhizomeestenconnexionintimeaveccelledu baroqueetdeluvreenquestion.GuattarietDeleuzedfendentlide quondoitsedemanderavecquoiil[lelivre] fonctionne,enconnexion dequoiilfaitounonpasserdesintensits,dansquellesmultiplicitsil introduitetmtamorphoselasienne(...)3 .Nousdemandonslesmmes choses Marelle pour pouvoir la lire comme une uvre baroque ou bien, unemachinebaroque.Aucoursdenotreanalysenousallonsdcelerses multiplicitspourpouvoirproposerunpanoramadecaractristiques propres au baroque. Marelle nest pas un livre-arbre , puisquil conteste exactement ce genre de livre classique, o les choses sont bien ordonnes et suiventunehirarchie.Marelleimitelemonde,maispaslemonde classique et structur. Marelle imite le monde qui est devenu chaos sans un centre de pouvoir, de culture, de religion, dautres centres qui manquent pour lhomme moderne. Pour cette raison, Marelle est un livre qui cherche enplusieursdirections,unlivredemultiplescheminsenqutedune rponse.Un livre-rhizome .Etquiplusest,unlivrequi faitrhizome avec le monde4 : cest pourquoi il peut tre lu comme une uvre baroque. LastructuredeMarellepermetainsidemettreenscneune confluence de topiques baroques : le jeu, le labyrinthe, l'uvre qui en se pliantsurelle-mmeluiconfreunesensationd'infini,laquestiondes 3 Flix Guattari et Gilles Deleuze, Introduction: Rhizome , dans Mille Plateaux Capitalisme et schizophrnie, Editions de minuit, Paris, 2002, p. 10. 4 Flix Guatari et Gilles Deleuze, op.cit., p.18. 181 ralitssimultanes,ainsiquuneconstantemouvance,quimlangele linaire et le fragmentaire. Il sagit l de plusieurs donnes, cependant nous ne nous appliquerons quau tude du pli dans ce travail. Cest justement la thorie du pli de Deleuze qui nous autorise articuler le champ pictural au champlittraire.Ledfiestdinvestirlepliendehorsdeseslimites historiques. En considrant le pli comme un trait qui dfinit le baroque par sonctfonctioneletopratoirenouspouvonslappliquerauxobjetsqui portent linfinit du pli dans les poques les plus diverses. Un examen du pli deleuzien Toutdabord,nouspensonsquilestimportantdclaireretde discuterleconceptdupli.Ceconceptnouspermetdedvelopperles morphologies baroques qui apparaissent dans luvre. Le pli est galement uneclpourprsenterlideduromancommetissu.Enoutre,nous exposerons lide que le roman est construit comme un patchwork, puisque lon a affaire un livre fragmentaire. EnproposantunenouvelleinterprtationdeLeibniz,Deleuze renouvelle le concept de baroque et en montre lefficacit dans les uvres contemporaines.Sontravaildereconstructionnousdonnedesschmas conceptuels qui jettent un nouveau regard sur le baroque, et nous autorise utiliser cette notion de manire transhistorique (mais avec prcautions). Deleuzeproposeleconceptdebaroqueentantquecatgoriedela forme et non de la substance. Le baroque deleuzien ne renvoie pas une essence, mais plutt une fonction opratoire, un trait. Il ne cesse de faire plis(...)5 .Nousavonsdjexpliqucequestunpli.Cestdoncce conceptquiorganiselarencontreentrelaphilosophiedeLeibnizetla reconstruction du terme par Deleuze. LeplipermetDeleuzededfinirleBaroqueparsonct fonctionneletopratif,consistantdanslacrationdeplisetreplisetpar son prolongementinfini dansleurdiversesvariations matrielleset spirituelles: ilsagittoujoursdeplier,dplier,replier , Letraitdu Baroquecestlepliquivalinfini 6.SelonDeleuze,lebaroqueest lorigine de la cration de luvre infinie, puisque cest justement le pli qui transforme la matire en matire de lexpression et aussi dtermine et faitapparatrelaForme.Ilenfaituneformedexpression,Gestaltung, llmentgntiqueoulaligneinfiniedinflexion,lacourbevariable unique7 . 5 Gilles Deleuze, Le pli Leibniz et le baroque, Les ditions de minuit, Paris, 2007, p.5. 6 Ibid., p.5. 7 Ibid., p.49. 182 LeBaroqueinventeceprocessusdecrationde luvreinfinie justementpourreconstruireunhabitatfracass,otoutnefonctionnepas selonlesanciensmodlesderconfort.Danscemondechaotique,lepli baroque est mis-en-scne pour donner au mme monde un autre dcor. Le but tant de restaurer une gense de principes et de directions. La recherche dOliveiraestmotive,selonCortzar,aveclebutderestaurer,oumme detrouverdautresprincipespourvivre.EtMarelleatcritavecla mme tonalit de contestation dun ordre tabli : LepersonnagedeRayuela,jecroisquetousles lecteurs l'ont senti trs clairement, est un homme qui n'accepte pas le monde de la civilisation auquel il est parvenu,delacivilisationjudo-chrtienne;ilne l'acceptepasenbloc.Ilal'impressionqu'ilya comme une erreur quelque part et qu'il faut, ou bien arriverunesorted'explosiontotalepour,del, commenceremprunterunautrechemin.Disons queceseraitleplanmtaphysiquedupersonnage, maiscequim'aparalllementintresseatde chercheruneespcedecritiquedulangageetde critiqueduromancommevhiculesdecesides, parceque,(),nousnepouvonsriencontestersi nous n'avons pas un langage capable de protester. Si nousutilisonslelangagefaussetvicipardeux milleansdecivilisationoccidentale,comment pourrions-nous lutiliser pour ce que nous voulons si le langage lui-mme nous trahit ?8

Cortzaradoncfaitunromanquiinnovenonseulementdansla langue,maisaussidanssapossibilitdepliage.Lhistoireetleroman, comme nous lavons prsent dans lintroduction, sont trams comme un tissu.Danstoutesasouplesse,cetissupermet,parlebiaisdulangage fluideetdelaconstructionduromanpardiversespartiesindpendantes, unemobilitinfinidepliages.Lelecteurestcapabledefaireuneuvre infinie par la cration et rcration de plusieurs modes de lectures. Luvre 8 Margarita Garca Flores, Siete respuestas de Julio Cortazar, Dana Cortzar, Rayuela, op. BIT., p. 707. Traduction libre de El personaje de Rayuela creo que todos los lectores lo han sentido muy claramente es unhombrequenoaceptaelmundodelacivilizacinalquelhallegado,delacivilizacinjudeo-cristiana; no lo acepta en bloque. l tiene la impresin de que hay una especie de equivocacin en alguna parteyquehabraque,obienllegaraunaespeciedeexplosintotalpara,deall,iniciarseenotro camino. Eso sera el plano digamos metafsico del personaje, pero paralelamenteme interes buscar una especiedecrticadellenguajeydecriticadelanovelacomovehculosdeesasideas,porque,(),no podemos protestar nada si no tenemos un lenguaje capaz de protestar. Si utilizamos el lenguaje falseado y viciado por dos mil aos de civilizacin occidental, como podemos utilizar-lo para lo que queremos si el lenguaje mismo nos est traicionando?. 183 nefonctionneplusdans lancienmodlederconfort ,avecunlecteur passif qui lisait le livre dans lordre du dbut la fin. Il requiert une autre attitude du lecteur, celle de participant la construction de luvre. Pourapprhenderlafaondontleplibaroqueparticipela reconstruction du monde et lhistoire de la culture, Deleuze relit la notion leibniziennedemonade.Ildynamiselallgoriedelamaisonbaroque deuxtages,puisque,dit-il,cestlaseulefaonquinouspermetde comprendrelamonadeleibnizienne etsonsystmelumiremiroir- point de vue dcoration intrieure 9. ltage du haut, nous avons lme quiexprimelemondedunpointdevuesingulier,puisque,suivant larchitecturebaroquedesmaisons,ilnyaquequelquespointsqui reoivent la lumire, et ce sont ces points clairs-l les seules portions du mondequelamonadepeutexprimer.ltagedubas,nousavons lunivers matriel du corps, avec portes et fentres, soumis des forces qui luidonnentsonmouvementcurviligne :ilnecessedecommuniquerdu mouvement.Cequi permetlinsparabilitde cemonde deuxtages, ce quipermetdelesrapporterlunlautre,cestleplidumonde,ilestle vinculum substantiale. Lesmonades,commesubstancessimples,sontchaquefoisplus insparablessilestagessonttoujoursplusdiffrents, cela neles empchepasdavoirdesplissansfin,danslesquelssecachentleurs perceptions10. Les replis de la matireen bas et les plis de lme en haut formentdanschaquetageunlabyrinthe :lecontinudelamatireetses parties, ainsi quun labyrinthe de la libert de lme et ses prdications. Les monades nont pas daction les unes sur les autres, mais elles sont en harmonie, comme dans un orchestre o les musiciens nentendraient pas cequelesautresjouent,maisotoutestdanslaplusparfaiteharmonie, comme lexplique Leibniz dans une lettre Arnauld davril de 1687. Cette communicationentremonadesparticipeduconceptleibniziende lharmonie prtablie. CestungrandmontagebaroquequeLeibnizopre,entreltage denbaspercdefentres,etltagedenhaut,aveugleetclos,maisen revanchersonnant,commeunsalonmusicalquitraduiraitensonsles mouvements visibles den bas 11. La maison deux tages diffrencie lme de la matire par le biais de lacourburedelunivers,notionchreLeibnizetaussiDeleuze.Cette courbureseprolongesuivanttroisautresidesfondamentales :lafluidit de la matire, llasticit des corps et le ressort comme mcanisme12. Il y a toujours un pli dans le pli, comme une caverne dans la caverne 13. Pour 9 Ibid., p.39. 10 Leibniz, La monadologie, ed. PUF Paris, 1986, p.82. 11 Deleuze, op.cit., p. 6. 12 Ibid, p. 7. 13 Ibid, p. 9. 184 cela, explique Deleuze, lunit plus petite de la matire est le pli et non le point,quinestjamaisunepartie,sinonunesimpleextrmitdelaligne. Enconsquence,laphilosophiebaroquedeLeibnizdfendlubiquitdu vivant au lieu de proclamer son universalit. DansMarelle,nousavonsunpassageoOliveirasaperoitque chacundesesamisseportentcommeunemonade.Danslepassage suivant,nousverronscommentOliveiravoitleconflitentrelesujetetla multiplicit dobjets, cest--dire, comment chaque tre humain observe la ralitpartirdesonpointdevue.Aprsavoirramassquelquesfeuilles mortes jelavoiscouvertedunepoussiredorvieux etlesavoirmis danssonabat-jour,Oliveirareoitdeuxvisites,celledOssipetcelle dEtienne : Ossiparrive,reste deux heureset neremarquerien. Etienne vient, lautre jour et, le bret la main : Dis donc, cest patant, a, et il soulve la lampe, tude les feuilles, senthousiasme, Drer, les nervures, etc. Je me prends penser toutes les feuilles que je ne verrai pas, moi, le collectionneur de feuilles mortes, tout ce quil y a dans lair et que ne voient pas ces yeux (...). Partout il y a des feuilles que je ne verrai pas.14 A ce moment l, Oliveira saperoit que ltre humain est limit une petiteportionderalit :celaempcheOssipdecapterau-deldeson champ de vision : il ne voit pas les feuilles couvertes dor quHoracio a vu, etEtiennearrivevoirencoreplusquHoracio.Ensefondantsurce passage, il est pertinent de rflchir au concept de ralits complexes dans le monde. Ce quon voit, avec notre perception simple, nous fait crer une ralitunifie,dontchaque objetestuneface.Cependant,parcepassage, onnepeutplusparlerdelaralit,ounobjetnepossdequuneralit unique,maismaintenant,etaveclavisionbaroque,ondoitcomprendre lobjetcommeunecomplexionderalits,quiconstitueuneforme multifacet.Lebaroquenousprsenteunesituationcomposede diffrentesversions :Ossip,EtienneetHoracio,chacunsubdivise lensemble dobjets de son monde, dsintgre et multipolarise lobjet selon sa vision propre. Cest le dpli de la matire au sein de chaque monade. Ou bien, ce nest plus que la Circ de Rousset, o lobjet nexiste que dans ses mtamorphoses. Lecorrlatdelamonadeleibnizienneestlerapportcomplexeentre lme et le corps baroque. La premire toujours insparable de la seconde, 14 Cortzar, Marelle, Chapitre 84. 185 et trouve en lui une animalit qui ltourdit, qui lemptre dans les replis delamatire,maisaussiunehumanitorganiqueetcrbralequilui permet de slever, et la fera monter sur de tout autres plis 15. LinflexionestuneautrenotionfondamentalechezDeleuze.Entant qulment gntique du pli et de la courbure variable, elle permet au sujet et lobjet de changer de statut. Cest pourquoi la transformation de lobjet renvoie unetransformationcorrlativedusujet.(...)En mmetempsquelobjetdevientobjectile,lesujet devient superjet. Entre la variation et le point de vue il y a un rapport ncessaire (...). Ce nest pas le point devue quivarieaveclesujet, dumoins enpremier lieu ; il est au contraire la condition sous laquelle un ventuelsujetsaisitunevariation(mtamorphose), ou quelque chose = x (anamorphose)16. Cestprcismentlidedelaperspectivebaroque :lavritdela relativitetnonlarelativitdelavrit. Linflexionestuneidalitou virtualitquinexisteactuellementquedanslmequilenveloppe 17, puisquecestlmequiinclutcequellesaisitdesonpointdevue.Par consquent, le monde entier nest quune virtualit existant dans les plis de lme qui lexprime. On va donc du monde au sujet, au prix dune torsion qui fait que le monde nexiste actuellement que dans les sujets, mais que les sujets se rapportent tous ce monde comme la virtualit quils actualisent18. Or, il faut mettre le monde dans le sujet, afin que le sujet soit pour le mondecestcettetorsionquiconstitueleplidumondeetdelme.De linflexion linclusion. En consquence, le pli consiste en un des six traits que Deleuze offre pourdfinirlebaroque.Lepliestunconceptcl,parcequilaune spcificitquipermetdlargirlechamphistoriquedubaroque,devenant pertinentpourlanalyseaussidestendancesartistiquescontemporaines nobaroques.Deleuzenousexpliquequele livretotal taitlervede Mallarm tout comme de Leibniz. Les deux obtiennent ce livre en oprant parfragments.Decettemanire,lelivrepeutsupportertoutedispersion 15 Ibid, p. 17. 16 Ibid, p. 27. 17 Ibid, p. 31. 18 Ibid, p. 36. 186 commeautantdecombinaisons.Cestparcettemmeutilisationdu fragmentquopreMarelle.Celivrepeutgalementsupportertoute dispersioncommeautantdecombinaisons.Cestaussiparleconcept opratoire du pli qui nous montrerons comment Marelle est une uvre que se plie sur elle-mme et permet lclosion de plusieurs signifis.Deleuze fait un schma avec six topiques qui dfinissent le baroque. Le premier topique est celui du pli. Il faut reconnatre que le pli est prsent danstouslestypesdart,ilestuneressourcequiapparatenplusieurs manifestations artistiques. Pourtant il faut remarquer que le pli reste limit dans les autres cas, puisquil connat dans le Baroque un affranchissement sanslimitesdontlesconditionssontdterminables19.Lepliinventedonc luvreouloprationinfinie.Laquestionchreaubaroqueestdesavoir comment continuer un pli et le porter linfini. Cest le pli qui dtermine et fait apparatre la forme il en fait une forme dexpression. Marelle est construite comme un tissu dans sa premire lecture (du chapitre1au56)nousavonsletissutendu.Luvrefonctionneselonle modle classique de lecture, linairement du chapitre 1 au 56. Cependant le modedemploi proposeunelecturedirigedetellefaonquon commencechiffonner,plierlelivre.Lelecteurestobligdouvrir, chercher, lire, re-ouvrir, re-chercher et lire chaque chapitre de la faon dont lordonne lauteur. Cest cette nouvelle proposition de lecture qui permet le pliagedeluvre.SuivantlestermesdeLeibniz,lapremirelectureest visible,courante,tandisquelasecondeestlisible,onmetenscneun thtre de la lecture du pliage. Ce pliage fait par le lecteur permet que le livre soit vraiment plusieurs livres , comme le veut Cortzar. Dautrepart,lesecondpointconsistedanslintrioritet lextriorit,olepliinfinispare,oupasseentrelamatireetlme, lintrieur et lextrieur. Cette ligne dinflexion ne cesse de se diffrencier, cestletraitbaroquedunextrieurtoujoursextrieuretdunintrieur toujoursintrieur.Celaparticipeaujeuderceptivitetdespontanit infinies : avec la faade de rception et les chambres daction, on obtient la conciliation harmonique.Letroisimepointcestlehautetlebas.SelonLeibnizetDeleuze, laccord parfait de la scission se fait par la distribution en deux tages dun seul et mme monde. En haut, les plis de lme et le pliage des formes ; en bas, les plis de la matire ou le matriau. Lequatrimepoint,cestledpli.Ilestlacontinuationou lextensiondelactedupli :lamanifestationdesamutabilit.Sitoute forme doit tre pense en termes de pli, cest parce que ce concept implique une fluidit, un devenir qui sexprime dans le dpli. Marelle fonctionne par 19 Ibid, p. 48. 187 cemmebiais,puisquesisaformeestdpendantedupli,elle implique galement le dpli. Le cinquime point porte sur les textures. La faon dont une matire seplieconstituesatexture.Parrapportauxplisdontelleestcapable,la matiredevientmatiredexpression.Marelle,commeuntissu,seplie danslaformeduroman.Parledpli,elledevientunematirenouvelle dexpression :uncontre-roman,unactededs-criture,unessaisurle roman,lhistoiredOliveira,cest--dire,leplietledplidterminentun modle de construction et, par consquent, dinterprtation du livre. La sixime notion est le paradigme. Les composantes matrielles du pli(latexture)nedoiventpasocculterllmentformeloulaforme dexpression.Laquestionest :commentdgagerllmentformeldupli, cest--dire, le pli comme pli et non comme forme ou accident matriel ?LeBaroqueseraitdonclartdupliilnefaitpasunusagedupli, mais bien plutt le baroque est un art quise dfinit par le pli : le pli est la cl de son rapport au monde. Il constitue la forme vise par lartiste. Il ny aplusdenuagepli,maisunplidecouleurquifaitlenuage,selon Buydens20.Lalecturedelartbaroqueappelleraitdonctroisremarques, selon Buydens : 1)Lebaroquedevientunartnon-reprsentatif :sonambitionnest plus de reprsenter des formes, mais bien de prsenter des plis affectant des textures.Cettedfaitedelareprsentationetdelaformecorrespondla dfaite de lessence21. 2) Le baroque veut prsenter la texture de la matire et les flux qui la traversent. Mouvement vers laformel : le baroque boursoufle, tire, distend sesfiguresparlaprolifrationdesplisquiabsorbentettriturentles contours22. 3)Lebaroquemetenuvrelecouplematriau-forceetla catamorphose desformes.LacaractrisationdeDeleuzedubaroque comme art informel ne vise pas la ngation de la forme, mais remarque que lemouvementdedformationduplienserrelesformesdanslamatire. Cest--dire, les formes plies seront penses comme paysage mental . Le baroque propos par Le pli est un art m par une ambition non-reprsentatif(nonpasreprsenterlesessences,maislesmaniresetles textures),travaillantpardformationetprofondeurmaigre.Danscesens, lesplisdelhistoire,silssontbienmanifestes,natteignentpasllment formel en lui-mme. Cependant le baroque atteint cette forme du pli dans la dmesure, dans linfini, dans le moment o la courbure variable a corrompu lecercle.Cenestpasunhasardsicettemtaphoredudplacementdu 20 Mireille Buydens, Sahara : Lesthtique de Gilles Deleuze, Librairie philosophique Vrin Paris, 2005, p. 139. 21 Ibid, p.140. 22 Ibid, p.141. 188 cerclelellipseestrepriseparSarduypourexpliquerlacosmologie baroque. Deleuze,commeSarduy,proposelidedununiversinfini,sans centreniformedfinie.Lafonctiondubaroqueseraitdoncderedonner lunitcetuniversdcentr(oupluricentr)traversuneprojectionqui manedusommetcommedunpointdevue23.Lallgoriedecetteunit, cestlecne,puisquilfaitcoexisterpourlartlunitintrieurelaplus leveetlunitdextensionlaplusample.Decettefaon,lidede Leibnizpeutconcilierlacontinuitenextension(labaseducne)avec lindividualitlapluscondense(lesommetducnecommepointde vue)24. En consquence, on renouvelle la relation entre lun et le multiple.Le pli baroque, dpli notre poque, remplace le centre de la sphre par le sommet du cne. Cette substitution permet que le sommet concentre toute lextension de la base qui comporte des sries infinies. Finalement, la conceptiondeleuzienneduplinouspermetdedcrirelaconception baroque ainsi que de saisir le caractre polymorphe du moderne. Cest bien cetteidedupliquinousaideraprouverqueMarellesinscritdansune tradition de la pense baroque. Ilyalongtempsquelemondeesttraitcomme thtredebase,songeouillusion(...) ;maisle propredubaroqueestnonpasdesortiroutomber danslillusion,cestderaliserquelquechosedans lillusionmme,oudeluicommuniquerune prsencespirituellequiredonnesespiceset morceaux une unit collective25. DansMarelle,nousvoyonsclairementcethtredelillusion ; HoracioOliveira,enproieltourdissementdepetitesperceptions,ne cessederaliserlaprsencedanslillusion.QuandilsetrouveBuenos Aires, il essaie dimaginer Maga dans tout ce quil voit de positif. Il arrive convertirlillusionenprsencedanslafiguredeTalita. LesBaroques saventbienquecenestpaslhallucinationquifeintlaprsence,cestla prsence qui est hallucinatoire 26. Pourconclure,Deleuzenousdmontrelepouvoirdelallgoriedans le baroque comme puissance dune figuration diffrente, puisquelle permet de combiner lternel et linstant. De cette faon sexpliquent les prsences particularises,lesanecdotespersonnelles,linscriptionetlesemblmes quisontprsentstantchezMarellecommedansplusieursmanifestations 23 Ibid, p.164. 24 Ibid, pp.28 et 29. 25 Ibid, p. 164. 26 Ibid, p. 170. 189 delartcontemporain.OnvoitdoncqueMarellesinscriteffectivement dansleconceptdeplibaroque,puisquelafragmentation,lidoltriedu dtaille et lautorflexion dans le discours ne sont pas autre chose que des plis. Le pli dans Marelle Marelleestuneuvrequiseconstruit partir duprincipedu pli.Ce sera le pli qui va permettre daccomplir la majeure partie des morphologies baroquesdansluvre du plan structurelauplannarratif.Silonrepre toutcequipermetluvredtreconstruitecommeuntissuplus spcifiquementunpatchwork-nousverronscommentlepli,et consquemmentledpli,vontgnrerlebaroquedansluvre.Cesera donccettefonctionopratoire,dfinieparDeleuzecommeletrait fondamentaldubaroque,quivacondenserlestopiquesbaroquesde loeuvre.NousavonsprsentetanalysleconceptdfiniparDeleuze,il nous faut prsent lappliquer lexamen de Marelle. Siloncommencesurunplanstructurel,cequiapparatplus clairementcestunpliagemtatextueldeluvre.Cesontlescritsde Morelliquifonctionnentcommeuncommentairedeluvrequiesten traindesefaireaucoursdenotrelecture.Ildiscutedespossibilitsdun nouveau type de roman en mme temps quon lit le roman dont il parle. On pourrait objecteret direque lide du mtatextuel nest pas quelque chose denovateur.Cependant,ilapparatdansLesfruitsdor(1963)deNatalie Sarraute, roman qui parle de lui-mme. Ou bien on peut prendre lexemple de Cien aos de soledad (1967), de Garca Marques o on a un personnage qui crit en sanscrit une histoire qui est celle raconte par Garca Marques. Cependant,cequelon trouve denouveaudansMarellecest quele texte se plie par la machinerie que lui-mme met en mouvement. Or, luvre se refltesurelle-mmedemanireindirecteparlescommentairesde Morelli.Lepersonnage-crivaindcritetdiscutedescoordonnesdu roman, sans que soit faite une allusion Marelle. Mais cest partir de ses commentaires que lon saperoit que le projet duvre quil est en train de dcrire est justement celle que lon est en train de lire. Lamachinerie dutextese plie :lesrflexionsdeMorelli nesont que commentairessurlastratgieduroman.Cescommentaires,quandilsse plient,donnentvoirlatextureduroman.Ensedpliant,ilsdeviennent partieintgrantedeluvre.Leschapitres79,82,94,95,99,112et145 sont la mise-en-abme de ceque voulait treMarelle. Plus clairement, ces chapitresfontpartiedupatchworkqueconstitueleroman.Quandonles plie, ils donnent voir la texture du roman, cest--dire lenvers du tissu, la faondontilatconstruit :lesfilsetlestrames.Enlesdpliantonles 190 insre dans lensemble que forme luvre et on trouve son signifi. On voit la figure qui se forme dans le tissu. Encore sur un plan structurel, ce sera le pli qui aidera Cortzar violer lordrefermduromanlinaire.partirdumomentoilconstruitle roman par fragments et nous dit que luvre sera construite par la lecture, les fragments fonctionneront comme des bouts de tissus qui seront disposs delafaonquonveut.Cest--direquelonvacouturerlespartiespour arriver un tissu final, qui aura la forme dun patchwork.Notrelecture,quiimpliquelaconstructiondunpatchwork,estune tapedcisivedelarecherchedelunitdanslefragmentaire.Bienque chaquefragmentsembletreunepartieisole,puisquilsontchacunleur particularit (de narration citations et commentaires) ; la fin, quand tout estcousu,nousnousapercevonsquedansleprocsdesauvetageet ramassage apparat une combinaison rvlatrice: le sens total dune figure, limage du monde. Comme dans un patchwork, il ny a pas une structure privilgie, mais bienunepluralitdecombinaisonscapablesdeconteniretdepermettre dautresstructures.Nouspouvonsdoncdveloppericilidedulivre comme un rhizome , concept de Deleuze et Guattari. Ce tissu, form par fragments,estdslorsouvertlaltritparlaquelleluvrepeutdplier sessens.Etleplannarratifseradterminparcettestructuremouvante luvre ouverte dEco. Leplinatdansleplannarratifparlarechercheexistentielle dHoracio. Sa qute rend possible la confrontation de deux espaces, Paris et Buenos Aires. Ces deux espaces, lis par la prsence dHoracio, portent la contradictiondunespace-tempsdouble.Lessimilitudesdefaits, personnages et lieux nous renvoie la figure du labyrinthe. Cest comme si Paris se pliait sur Buenos Aires. Effectivement cest ce que pense Horacio quand il reconnat en Traveler et Talita des personnages doubles. Talita se dplieenMaga,tandisqueTraveleretHoracioseplientpourtrelunla possibilitdelautre.Danscemouvementverslecieldelamarelle, Horaciognrelebaroquedansluvre.Parlesjeuxdemots,ilpliela ralit stable des choses. Son labyrinthe physique cest le pliage de Paris et Buenos Aires, son labyrinthe existentiel ce sont les doubles quil reconnat. Enfin, Horacio est le personnage responsable du pli narratif. Nous sommes responsables du pli narratif et structurel, en tant que constructeurs, partir desfragmentsquiseramasserontdanslebutdeformerlhistoire.Cette histoire est le patchwork, reflet du monde dHoracio et de notre monde, o riennestsparetvcusontour,maissinonunlieuotoutsetrouve entreml. Le pli gnre donc une tension dynamique entre les contraires. Sur le plannarratif,leplisurgitdelarechercheexistentielle,partirdes dialogues du personnage avec le monde qui lentoure. Par le dpli du plan 191 narratif, on a la confrontation de deux espaces, ce qui engendre les doubles textuels.Sur le plan structurel, le pli acommelafonction dunmiroir par lequelleromanseregardeetsautocritique.Parleplietledplides fragmentsdulivre,Cortzararriveviolerlordrefermdutexteet ouvrir un nouvel espace aulecteur. son tour, le lecteur doit se confronter avecuntextemobileettresurtoutactifdanslemouvementdeplieret dplier luvre pour construire des nouveaux signifis, de nouveaux tissus. Ilfautjouerlelivre-jeu,ilfautplierlelivre-tissu,ilfautsoustrairele livre-rhizome . Conclusion sur le baroque dans Marelle La lecture baroque de Marelle nous a permis dorienter le concept vers lacrisisdelareprsentationdunmondebris.Cest--direquela prrogative fragmentaire de Marelle dnonce les faiblesses dun monde en labsenceduncentrefixe,quiengendrelaqutechezlhommedeson centre(soi-mme).LelivredeCortzarillustrececheminprogressif menant vers une explication qui aboutit dans la perte finale. la fin de la lecture,quecesoientnousoulepersonnage,nousnoustrouvonsdans latmosphre labyrinthique dune prgrination inacheve. Tout cela parce que le baroque nous pose la ralit comme une notion problmatique: elle est complexe, incohrente, et prsente plusieurs facettes.Horacio exprime cette ralit comme une exprience subjective elle nest quune interprtation de ce que lon vit comme rel. La relation entre le langage et les concepts illustre le fait que ce qui nous est donn comme rel nest en ralit quune convention. La mission du baroque, tel quon le voitdansluvre,estdemontrerquelessignifisnesontpasfixes,mais quivoques et susceptibles de transformations. Ce qui explique pourquoi le roman nest pas et ne peut tre une illustration de la ralit, mais seulement sa recherche. Par ce biais, le livre illustre lespace du baroque - celui de labondance -etsonaction-cellequiconsistedpenserauhasardtoutcequiest notre disposition. Llment qui est disponible et ouvert pendant tout le livre,cestlelangage.Aulieudunlangageconomique,communicatif, rduitlafonctionnalit,Marelleesttentdereproduireunlangage baroque.Cest--direquilneseraquuninstrumentsupplmentairepour faire le jeu et construire le labyrinthe. Le langage fonctionnera comme une partie de la machine qui rgit le livre, lautre partie tant celle du pli. Cette machine baroque forme par le langage et le pli a pour fonction de dtruire lideduromanetla grandecoutume desrelations,dervlerlect cach du monde et de dmasquer le langage comme mcanisme tromper les hommes.192 Quandcettemachineentreenmouvementparlalecture,lacrisedu personnagesinstaure:Horacioestenquteduncentre.Cetterecherche serafrustre,dsledpart,puisquesonobjetestdslorsincomplet.Pour Horacio,lecentreseratoujourstranger,unevoixlointaine,trangre toutcequilpeutcomprendreetassimiler.Cetterecherchevacrerun dcalage par rapport la ralit et son image idale Horacio aura peur delespacevidelhorrorvacuidubaroque.Ilseratoujoursen mouvement en qute dun centre qui lui permette dassurer sa stabilit. Son mouvementprfigurelelabyrinthedanslequelilvaseperdre.Orla constatation de lchec nimpliquera pas un changement de projet, mais au contraire,larptitiondecequivientdjdesepasser.Horaciova chercher refaire Buenos Aires le parcours de Paris, et va voir en Talita la Maga. Il tentera de (re)construire la relation perdue, car pour lui il sagit du seul moyen datteindre son but.Cetterptitionobsessiveestundesmoteursgnrateursdubaroque dansluvre,puisquHoracio napasdaccslaralitidale.Cestsur cepointquelebaroqueagiraparlejeu,lesdoubles,lemouvement,le fragmentaire, le pli et le labyrinthe. la fin on peut sexclamer Oh ! Mais tanttravail pourrien,toutcemouvementendirectionunbutquine saccomplit pas . Cest la conscience de lhomo faber qui, vou au travail productif , ne peut pas comprendre lexcs, les volutes, la dmesure et le plaisirdeseperdrequicaractrisentlhommebaroque:Horacio,telquil est.Le baroque dans Marelle se manifeste dans le jeu visant la recherche dun centre, jeu dont la finalit se situe en soi. Cest un jeu incomplet tout commelebaroque,puisquilestlesignedununiversmobileetdcentr. Comme le dfend DOrs, le rythme qui prcde ce jeu est celui dun logos quisecaractriseparlinfinit,ou,commelediraDeleuze,parson inpuisable capacit de dpli. Cest justement pour tre un homme baroque dans un univers baroque quHoracio ne rencontre pas le ciel de la marelle. Horacioetsaqutesontlerefletdeladisharmonie,delarupturede lhomogne, du dsquilibre du dsir qui ne peut pas atteindre son objet. Sa ralitconsisteradoncdplierlesparcourspouressayerdetrouverun centre.Danscemouvement,Horacioseraconfrontsonmonde-labyrinthe aux possibilits infinies. LinstrumentquHoraciovautiliserdansceparcoursseralelangage. son tour, tous les personnages du livre seront lis dune faon ou dune autrecetinstrument.Plusclairement,Morelliestaussientrainde chercheruneautreouverturedanslaralit,parlebiaisduromanetdu langage. Avec le langage, Horacio crera des jeux. Ils fonctionnent comme une tentativedetransformationdurel.Lesdiffrentsjeuxdulivrenous montrentdautressignificationsetnousfontpercevoircommentlaralit 193 estindtermineoubiendtermineparununiquepointdevue.Sa fonctionestdedstabiliserlemodlefermdumondeenmmetemps douvrir nos yeux sur une nouvelle possibilit dans le flux du rel. Ces jeux ont une fonction baroque puisquils nous donnent une place nouvelle pour mettreenscnedenouveauxpointsdevue.sontour,Morelli interviendradansleromanparsesnotesquiincitentunmouvementde dscritureduroman.Sesinterventionsfonctionnentcommeunmiroir refltant le processus dcriture du roman et de sa critique. Enoutre,parsonstructuremallable,teluntissu,Marellenous prsenteunterrainpropiceaudveloppementdunhautdegrde consciencedu faire littraire.Lelivreporteenlui-mmeledsir conscientderaliseruneconstructionlittrairequienmmetempsse nourritdesonautodestruction.Ilmetenrsonnancelelibrejeudela fantaisieetdulangageavecunevisionrflexive.Cestunromanqui dnoncelesformuleslittrairesconventionnellesenmmetempsquil critiquelesvaleursdunmondequilveutnier.Or,toutcelaconstitue lespritbaroqueparexcellencesemanifestantdepuislastructurede luvre. LebaroquismedeMarelleestdoncenracindanssonprocessus dcriture. En tissant le texte par des fragments, Cortzar inscrit son uvre dans une double structuration. Le livre va se tendre entre la direction et la perte: cest la manifestation du dsir baroque de vouloir aller au-del de ses limites.PourcelaCortzarachoisideconstruireunlivresurunaxede significations convergentes et non sur le traditionnel axe linaire. Mme si lesfragmentssonttrshtrognes,ilssintgrentaudynamismede Marelle. Tel est le patchwork, dont les bouts de tissus sintgreront dans un dessinfinal:lapparencedunlabyrinthe.Letextefonctionnedoncpar ruptures, et ce seront les fragments qui vont offrir une matire en gestation au lecteur. Ce sera au lecteur de couturer le tissu, de faire lepatchwork et dedonnerlesenslafigureparlepliagequeluvrecomporte.Au-del dudsordredesapparences,affirmaitWlfflin,lebaroquesedonnepour but de rechercher la vrit profonde que constitue lordredu monde. Telle estlasagadHoracioentreParisetBuenosAiresilestentrainde chercher le centre: la vrit profonde. Aprs tout ce que nous avons vu, nous pouvons affirmer que Marelle surpasse le paradoxe baroque annonc par Rousset ou bien se nier comme baroquepoursaccomplirenuneuvre,oubienrsisterluvrepour demeurer fidle lui-mme 27. Marelle est en mme temps un roman et le rcit de son propre processus cratif. Il fonctionne comme un prtexte qui, chaque lecture, se mtamorphosera en un postexte . Et dans cela rside 27 ROUSSET, Jean, La Littrature lge baroque en France, cit par RAYMOND, op. cit., p.39. 194 sonbaroquismeparexcellence:Marelleseralisetraversmmeson processus de cration. Ilsagitbienenquelquesorteduntexteomnivoreet autophagique 28,puisqueMarelleconcrtisedanssaconstructionle mouvement de sa propre recherche etdestruction. Il prend tout ce qui est autour,enchoisitdesmorceaux,etconstruitsonsensparcesfragments tout en oprant sa propre destruction en tant que roman. Il se compose dun rcitquinanidbutnifin,quelquesoitladirectiondelecturechoisie. Noussommesenserrsdfinitivementdansunlivre-pliage,livre-rhizome, livre-labyrinthe. Il faut se battre contre le langage baroque, langage-mineur, langage-contestation.Ilfautjoueraveclinfinitdepossibilitsquise trouve notre disposition. Rfrences Bibliographiques BAZIN, Germain. Baroque et rococo. Paris : Thames & Hudson, 1994, 288 p. _______.Histoiredel'histoiredel'art:deVasarinosjours.Paris:A. Michel, 1986. 652p. _______.Classique, baroque et rococ. Paris : Larousse, 1965. 288p. BUYDENS,Mireille.Sahara :LesthtiquedeGillesDeleuze,Librairie philosophique Vrin Paris, 2005. CALABRESE,Omar.Neo-Baroque- asignoftimes,PrincetonUniversity Press,Princeton, 1992. 227p. CORTZAR,Julio.Rayuela,edicincritica,ORTEGA,Julioy YURKIEVICH, Sal coordinadores. Madrid, Paris, Mxico, Buenos Aires, So Paulo, Rio de Janeiro, Lima, ALLCA XX, 1996. DELEUZE, Gilles. Le pli : Leibniz et le baroque. Paris : Minuit, 1988.189 p. DELEUZE,GillesetGUATTARI,Flix,Mille-Plateaux-Capitalismeet Schizophrnie, Les ditions de minuit, Paris, 2002, 645p. DELEUZE,GillesetGUATTARI,Kafka :pourunelittarturemineure, Les ditions de minuit, Paris, 2005, 160 p. 28 Ide emprunte Davi Arrigucci Jr., A destruio arriscada, in: Rayuela, op. cit., p. 803. 195 DORS,Eugenio.DuBaroque;versionfranaisedeMmeAgatheRouart-Valry ; introd. de Frdric Dassas. [Paris] : Gallimard, 2000. 180p. DUBOIS,Claude-Gibert.Lebaroque:profondeursdel'apparence. Talence : Presses universitaires de Bordeaux, 1993. 237p. ECO,Umberto.Luvreouverte.CollectionPoints,ditionsduSeuil, Paris, 1965. FOUCAULT Michel, Les mots et les choses. Une archologie des sciences humaines,Gallimard,coll. Bibliothquedesscienceshumaines ,Paris, 1966/2008, 405 p. LEIBNIZ,G.W.,DiscoursdemtaphysiquesuivideMonadologieet autres textes, Folio Essais, Gallimard, Paris, 2004, 562 p. LEIBNIZ,G.W.,EssaisdethodicesurlabontdeDieu,lalibertde l'homme et l'origine du mal, Flammarion, Paris, 1996, 502 p. RAYMOND,Marcel,BaroqueetRenaissancepotique,Paris,JosCorti, 1955, 174 p. ROUSSET, Jean. La Littrature l'ge baroque en France, Librairie Jos Corti, Paris, 2002, 316p. SAUVAGNARGUES,Anne.Deleuzeetlart.Pressesuniversitairesde France, Paris, 2006. 275p. WLFFLIN,Heinrich.Renaissanceetbaroque.Paris:GrardMonfort, 1988, 165p. __________. Principes fondamentaux de l'histoire de l'art: le problme de l'volutiondustyledansl'artmoderne;traduitparClaireetMarcel Raymond. Paris : Gallimard, D.L.1966. 279p. ZOURABICHVILI,Franois,SAUVAGNARGUES,AnneetMARRATI, Paola, La philosophie de Deleuze, Paris, PUF, 2004. 340p.