Faut-il se préoccuper de la vérité

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Cours 1 Faut-il se préoccuper de la vérité ? —La vérité est à la fois objective (elle est une) et subjective (elle ne se prouve pas seulement mais s’éprouve) — Selon sa définition classique, la vérité est « adéquation de la chose de l’esprit ». elle suppose donc la réalité et un jugement sur cette réalité. —L’or faux n’est faux que parce qu’on attendait de l’or. Le morceau de cuivre est bien réel mais ne correspond pas au jugement que l’on portait sur lui. On peut dire que l’homme se passionne pour la vérité dans la mesure où il peut aller contre ses intérêts pour elle. — D’un autre côté on peut tout aussi bien dire que l’homme passe son temps à fuir la vérité dans l’illusion, les mensonges ou la mauvaise foi. nous faut-il alors apprendre à aimer la vérité ou, tout au contraire apprendre à nous en détacher ? I / Le problème de l’opinion —Au sens courant, l’opinion est connotée tout à fait positivement. On peut même aller jusqu’à dire qu’elle se confond avec l’affirmation de la liberté ( « j’ai le droit de donner mon opinion »). Liberté d’opinion et libertés d’expression sont en effet des droits essentiels. — pourtant, au sens philosophique l’opinion et connotée négativement : L’opinion ou Doxa en grec, est assimilé à savoir non examiné, un préjugé. Texte de Gaston Bachelard dans La Formation de l’esprit scientifique. — « la science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. » — « son besoin d’achèvement » : — « son principe » : Conclusion : « l’opinion à en droit toujours tort » Distinguer : avoir raison en fait et avoir raison en droit. — « l’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissance. » Qu’est-ce qui motive un opinion? / Qu’est-ce qui motive une connaissance scientifique ? « Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. » Y a-t-il des connaissances qui ne sont pas des réponses à des questions ? Peut-on dire que les opinions sont aussi des réponses à des questions ? — « Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. » comment peut-on décrire la vision du monde de la science ? La science est-elle avant tout un ensemble de réponses ?

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Faut-il se préoccuper de la vérité ?

—La vérité est à la fois objective (elle est une) et subjective (elle ne se prouve pas seulement mais s’éprouve)— Selon sa définition classique, la vérité est « adéquation de la chose de l’esprit ». elle suppose donc la réalité et un jugement sur cette réalité.—L’or faux n’est faux que parce qu’on attendait de l’or. Le morceau de cuivre est bien réel mais ne correspond pas au jugement que l’on portait sur lui.— On peut dire que l’homme se passionne pour la vérité dans la mesure où il peut aller contre ses intérêts pour elle.— D’un autre côté on peut tout aussi bien dire que l’homme passe son temps à fuir la vérité dans l’illusion, les mensonges ou la mauvaise foi.— nous faut-il alors apprendre à aimer la vérité ou, tout au contraire apprendre à nous en détacher ?

I / Le problème de l’opinion

—Au sens courant, l’opinion est connotée tout à fait positivement. On peut même aller jusqu’à dire qu’elle se confond avec l’affirmation de la liberté ( « j’ai le droit de donner mon opinion »). Liberté d’opinion et libertés d’expression sont en effet des droits essentiels.— pourtant, au sens philosophique l’opinion et connotée négativement : L’opinion ou Doxa en grec, est assimilé à savoir non examiné, un préjugé.

Texte de Gaston Bachelard dans La Formation de l’esprit scientifique.— « la science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. »

— « son besoin d’achèvement » :

— « son principe » :

Conclusion : « l’opinion à en droit toujours tort »Distinguer : avoir raison en fait et avoir raison en droit.

— « l’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissance. »Qu’est-ce qui motive un opinion? / Qu’est-ce qui motive une connaissance scientifique ?

— « Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. »Y a-t-il des connaissances qui ne sont pas des réponses à des questions ?Peut-on dire que les opinions sont aussi des réponses à des questions ?

— « Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. » comment peut-on décrire la vision du monde de la science ? La science est-elle avant tout un ensemble de réponses ?

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Le problème de l’opinion, c’est qu’elle répond immédiatement et souvent sans réfléchir. Avoir une opinion, c’est avoir une opinion déjà constituée que l’on se contente d’énoncer. Dépasser les opinions, c’est tenté de justifier ce que l’on dit et de l’examiner de manière critique. Le mode de pensée de l’opinion s’accompagne en général monde relativiste (« chacun pense ce qu’il veut, et qu’on me laisse penser ce que je veux») la recherche de la vérité, elle, est à la fois exigeante avec elle-même et avec les autres.

II / L’expérience de la vérité : un chemin difficile

Platon, La République, livre VII : l’allégorie de la caverne

— Socrate demande à Glaucon d’imaginer une scène très étrange : des prisonniers sont enchaînés au fond d’une caverne et ne voient que des ombres projetées sur le fond de celle-ci.— si l’on tentait de délivrer un de ces prisonniers, il faudrait le traîner de force à la sortie de la caverne et le laisser s’accoutumer à la vue du monde réel.— si ce prisonnier revenait dans caverne pour libérer ses anciens camarades, il devrait s’accoutumer cette fois la pénombre et serait ridicule aux yeux des autres. — s’il insistait pour forcer les autres à se libérer ceux-ci pourraient même aller jusqu’à le tuer

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Peter Kunzmann, Franz-Peter Burkard, Franz Wiedmann, Atlas de la philosophie

—Le but de cette allégorie est de montrer que ce que nous prenons pour le monde réel n’est qu’un monde illusoire. La caverne correspond à ce que Platon appelle « le monde sensible » (ce que nous voyons) et le monde réel ou « monde intelligible » (accessible à l’intelligence).—Les objets sensibles ne sont en général pas même perçus immédiatement, mais à travers les images que nous en faisons ou que la société nous propose.— les objets mathématiques nous permettent de nous sensibiliser à l’existence d’une réalité dépassant l’ordre du sensible. Ceux-ci, en effet, sont universellement et éternellement valables, là ou les choses sensibles ne font que passer et sont toutes relatives.— le problème est à prendre en ces termes : nous pouvons vivre au milieu des images, de simples croyances sans même en avoir conscience. Dans cette situation, seul celui qui aura contemplé un autre ordre de choses saura ce que c’est que la vérité.� L’idée de vérité me renvoyant à quelque chose de stable, d’universel et d’éternel, nous pourrions alors considérer que l’exigence d’une vérité authentique nous pousse à la rechercher ailleurs que dans les choses perpétuellement changeantes.� il convient de noter que la physique mathématique contemporaine, en particulier, place l’homme dans les conceptions du monde qui ne ressemblent plus en rien à notre monde sensible.

III / La vérité est-elle un choix vivable ?l’exigence de vérité est-elle surhumaine et pour tout dire invivable ? l’homme n’est-il pas condamné à vivre dans un monde instable ? La vérité n’est-elle qu’un rêve et débouche-t-elle sur un mode de vie impossible ? L’homme n’est-il pas producteur de ses propres

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valeurs ?

— Protagoras (Ve siècle av. J.-C.) : « L’homme la mesure de toute chose » : c’est l’homme qui détermine ce qui est ou qui n’est pas par rapport à ses mœurs et sa culture.— Nietzsche (1844-1900) : l’homme est-il fait pour les sommets froids de la vérité ? L’air y est-il encore respirable ?— Nietzsche défend par ailleurs l’idée selon laquelle il vaut mieux parfois un « mensonge vital » qu’une vérité invivable. L’idée de vérité est arrivée que tardivement chez les hommes et il y semble finalement peu adaptés. — les anciens vivaient dans une culture fondée sur le mythe et vivaient bien ainsi. — plus simplement, il nous semble difficile de ne maintenir toujours dans la vérité : pourrions-nous seulement vivre en bonne relation avec notre prochain si nous ne savions ni mentir ni faire preuve de mauvaise foi ? — controverse entre Emmanuel Kant et Benjamin Constant :— Kant affirme qu’il ne faut purement et simplement jamais mentir.— Benjamin Constant entend démontrer que c’est impossible en prenant l’exemple d’un meurtrier poursuivant un homme et nous demandant de lui indiquer la direction par laquelle il s Ce meurtrier a perdu le droit à la vérité, selon Constant.— Kant maintient sa thèse dans Sur un prétendu droit de mentir par humanité : si je me donne pour règle qu’il est parfois possible de mentir lorsque je suis contraint, j’invalide la possibilité pour l’homme de vivre dans la vérité. � la thèse de Kant peut nous paraître excessive, mais elle pose un problème : si, effectivement, nous considérons qu’il est parfois possible de mentir, nous ouvrons alors la possibilité d’un mensonge dans tel ou tel cas particulier. Cette possibilité n’est-elle pas pour ainsi dire « virale » ? Ne risque-t-elle pas d’affecter, voire d’infecter notre rapport à la parole ? Considérons ce simple constat : il suffit qu’une personne nous ait menti une fois, pour nous perdions toute confiance en elle.

l’homme, en tant qu’il est un être doué de parole engage dans le monde le problème de la vérité. Il faut prendre ici le mot parole dans toute l’étendue de son sens : aussi bien le fait de dire quelque chose que celui de promettre quelque chose. pour qu’un être humain soit considéré comme tel à nos yeux, il faut qu’ils fassent preuve de ce que l’on appelle une intégrité. pourtant, en même temps, nous ne tolérons aurions pas une intégrité excessive : l’honnêteté radicale n’est pas une option supportable pour les hommes. de la même manière, si fréquenter le monde des idées semble améliorer l’homme, Il nous faut pourtant si nous voulons vivre, savoir redescendre dans la caverne, et accoutumer nos yeux à l’obscurité. L'homme semble à la fois supporter difficilement la vérité et ne pouvoir renoncer au désir de vivre dans un monde authentique.