Fatma Nsoumer

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FATMA N’SOUMER ET LA RÉSISTANCE À LA CONQUÊTE

FRANÇAISE DE L’ALGÉRIE

F. M. Seghir

La rareté de la documentation locale et l’inévitable déformation que subissent les récits retransmis par la tradition orale rendent malaisée la connaissance exacte de certains personnages qui ont marqué de leur empreinte l’histoire, relativement récente, de la Grande-Kabylie. Ces remarques s’appliquent notamment à la période qui couvre les dernières années de la présence ottomane en Algérie et les débuts de la conquête française. Mais il existe, par contre, une riche documentation d’origine étrangère sur cette période.

Par sa démarche première fut en direction de Soumeur ; il alla trouver Lalla Fatma pour lui demander aide et conseil car, quoique encore jeune, la maraboute avait déjà acquis une solide réputation de sagesse et de piété. On venait de loin pour la voir et lui demander aide et conseil, et, de l’avis de tous, les visiteurs repartaient toujours contents et réconfortés. Nous savons que Si Mohamed El-Hashemi faisait de fréquents séjours à Soumeur, mais nous ignorons tout de ses concertations avec Lalla Fatma.

Néanmoins, il n’est pas difficile d’imaginer que c’était là que se faisaient les plans et les préparatifs de l’expédition que projetait le shérif contre les tribus ralliées du versant sud du Djurdjura.

Fin septembre 1849 Si Mohammed El-Hashemi était prêt au combat, mais il tomba dans le piège tendu par Beauprêtre et y trouva la mort.

Quant à Si Mohammed Lemdjed Bin’Abdelmalik, le Shérif Bu Baghla (ainsi nommé parce qu’une mule était sa monture préférée), originaire de Ouled Sidi Aïssa, des Adhaouras, il était en Kabylie depuis 1851 et menait un rude combat contre les Français. Le colonel Robin lui consacra un ouvrage et dit de lui "qu’il avait tenu en haleine les troupes françaises pendant plus de quatre ans". De l’histoire mouvementée du Shérif Bû Baghla nous retiendrons surtout sa participation, aux côtés de Lalla Fatma, à la défense des tribus du Djurdjura que menaçait Randon, lors de l’expédition de 1854, qui permit à Lalla Fatma de donner toute la mesure de sa vaillance et de son patriotisme.

L’expédition de 1854

En juin 1854 le général Randon, après avoir obtenu la soumission des Aït Djennad, laissa entendre qu’il allait punir les Aït Idjer. Ce n’était qu’une feinte car Randon avait en fait conçu le projet de porter la guerre au cœur de la Kabylie et de soumettre les tribus guerrières du Djurdjura.

Le 16 juin 1854 le général Randon donna l’ordre de marche sur les Aït Yahia et traversa les villages grâce à la complicité de certains notables corrompus par l’or français. Mais l’alerte fut vite donnée par les villageois et, le soir, les feux s’allumèrent sur toutes les crêtes pour alerter les populations. La grande Djemaâ fut convoquée et proclama le Djihad; l’organisation de la résistance fut confiée à Sidi Tahir et à sa sœur Lalla fatma. Des retranchements en pierres et en

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terre sèche furent édifiés sur une ligne passant par le village de Tazrout, Akenoun B’ourdja et la crête des Itsouragh. Le village de Soumeur derrière cette ligne fortifiée, devint le quartier général de la résistance.

Randon disposait de 13.000 hommes environ. Les forces du général Mac-Mahon furent scindées en deux colonnes; la colonne du général Maissiat mènerait l’attaque de front pendant que celle de Mac-Mahon exécuterait un mouvement tournant. Mais les troupes de Maissiat furent stoppées par un feu nourri; Sidi Tahir avait placé là une partie de ses "Imseblen" (volontaires de la mort) et c’était là également que se trouvait Fatma N’Soumeur que les Français aperçurent pour la première fois : "Lalla Fatma, vêtue d’un haïk rouge, est sur un mamelon, entourée des femmes de la tribu qui excitaient par leurs cris les Kabyles à mourir pour la guerre sainte. Ceux-ci combattirent avec opiniâtreté". Perret écrit également : "On raconte que c’est à la suite d’un combat livré en 1854 contre les troupes du général Maissiat que Bû Baghla et Fatma N’Soumeur conçurent l’un pour l’autre une véritable estime. Lalla Fatma se précipita plusieurs fois vêtue d’un haïk rouge qui la désignait aux coups de feu de nos soldats, au milieu des combattants. Bû Baghla, chacun le sait, était brave. Dans l’affaire dont nous parlons, il fut atteint par une balle partie des rangs du 3e zouave, et passait tout sanglant à côté de Lalla Fatma, quand elle s’écria : Shérif, ta barbe ne deviendra jamais du foin". Les troupes de Mac-Mahon et de Randon n’eurent pas plus de succès et, quelques jours plus tard, l’armée coloniale se retira après avoir saccagé et détruit des villages entiers et dynamité la magnifique mosquée de Taourit montrant ainsi "aux barbares" comment agissait une "armée civilisée".

L’insurrection de 1856

La France, qui n’avait pu jusque-là s’emparer de la citadelle qu’était la Kabylie, s’employait à guerroyer contre les résistants par tribus soumises interposées. Avec les goums levés par les chefs ralliés, la guerre contre l’étranger devint une guerre fratricide. Si Hadj Ammâr, devant cette triste constatation, souleva toutes les tribus encore indépendantes pour ramener à la raison ceux qui trahissaient. Cette insurrection devait couvrir trois zones dont l’une était le cercle du Djurdjura qui fut confié à Fatma N’Soumeur. Les insurgés obtinrent des succès au début, mais les troupes françaises se réorganisèrent rapidement et reçurent des renforts. Une expédition d’environ 35.000 hommes fut dirigée contre la Kabylie au printemps de 1857.

L’expédition de 1857 contre la Kabylie

C’est au début du mois de mai 1857 que furent réunis à Tizi-Ouzou les éléments de la formidable armée qui allait submerger la Grande-Kabylie. Le gros de cette armée était composé de trois divisions commandées respectivement par les généraux Mac-Mahon, Yusuf et Renault. Une autre division, venant de Constantine, conduite par le général Maissiat, marchait également sur la Kabylie en l’abordant par le versant sud du Djurdjura. A ces 4 divisions devaient se joindre par la suite des éléments venus de Sour El-Ghozlane, Bouira, Béni Mansûr, etc. L’ensemble de toutes ces forces était d’environ 35.000 hommes. Le Maréchal Randon qui se trouvait sur place tenait à diriger en personne l’expédition.

Comme à son habitude, Randon, malgré les forces considérables dont il disposait, voulait tomber sur les Kabyles par surprise. Sachant que la fête de l’Aïd Seghir tombait cette année-là le 24 mai, il choisit cette date pour lancer ses troupes sur les Aït Irathen en fête. Malgré cette traîtrise, la résistance fut très vive. Néanmoins le plan du maréchal réussit, et, après une journée de durs combats, le marché de l’Arbaa des Irathen fut pris, Si Seddiq Ben Arab, leur chef, ordonna le repli des combattants sur les villages d’Icherridhen et Aguemoun Izem pour y établir une nouvelle ligne de défense. Des renforts venus des Aït Menguellat, des Zouaouas et des Aït Boudrar, sous la conduite de Si El-Djüdi, étaient déjà sur les lieux.

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C’est le 24 juin que le général Mac-Mahon reçut l’ordre d’attaquer les retranchements d’icherridhen. En raison de l’importance de cette opération, le maréchal Randon et tout son état-major tinrent à y assister. De nombreuses pièces d’artillerie furent braquées contre la ligne de défense kabyle pour préparer l’attaque. Lorsque les troupes ennemies furent lancées à l’attaque, aucun coup de feu ne partit du retranchement, ce qui fit croire aux assaillants que le feu de l’artillerie avait balayé le terrain. Mais lorsque les soldats français arrivèrent à portée de fusil, ils furent foudroyés par un formidable feu roulant. En quelque minutes l’ennemi eut plus de 300 hommes hors de combat. La surprise a été totale et, malgré les exhortations des officiers, l’élan fut stoppé net. Revenu de sa stupeur, le commandant envoya d’autres unités pour prendre les défenseurs à revers. La manœuvre finit par réussir et le retranchement d’Icherridhen fut pris. Aguemoun Izem, l’autre village fortifié, résista jusqu’au 30 juin et tomba à son tour.

Après la chute d’Icherridhen et la soumission des Aït Irathen la résistance kabyle sentit qu’elle pourrait tenir devant le rouleau compresseur mis en marche par Randon. Aussi, un vent de découragement souffla sur les tribus du Djurdjura. La lutte était inégale. Pendant que les divisions Yusuf et Renault marchaient sur les Beni-Yenni, ceux-ci, écrasés par le nombre et démoralisés par la déprédation de leurs biens par l’armée coloniale, ne résistèrent que faiblement, puis firent leur soumission. Poursuivant son avance, Yusuf arriva le 1er juillet chez les Aït Boudrar qui se soumirent à leur tour. Leur chef, Si El-Djudi, ainsi que son fils Si Hadj Ahmed furent arrêtés et envoyés sous bonne escorte à Alger. Le 4 juillet, la colonne ennemie atteignit les Aït Menguellat. Après le combat d’Icherridhen, Si Seddiq Ben Arab, chef des Aït Irathen, alla se réfugier chez les Aït Menguellat. Lorsqu’il vit les Français arriver chez ces derniers, il jugea toute résistance inutile et se présenta à Randon, en même temps que les chefs des Menguellat.

Reddition de Si Hadj Ammar

Depuis le déclenchement de l’insurrection, en 1856, Si Hadj Ammar déployait une activité intense. Sa présence était nécessaire partout ; aussi se déplaçait-il sans arrêt d’un bout à l’autre de la Kabylie. Il lui fallait convaincre, encourager, relever le moral des combattants et guider leurs chefs. Mais après la soumission des Aït Irathen et celle de chefs tels Si El-Djudi et Sheikh En Arab, il devenait évident à ses yeux que la partie était perdue. C’est dans ce contexte, qu’en homme responsable et réaliste, Si Hadj Ammar va sonder les intentions de l’ennemi sur les conditions d’une éventuelle reddition. Par le canal des services secrets de l’armée française, il reçut l’assurance qu’il aurait la vie sauve avec l’autorisation d’aller se fixer dans un pays de son choix.

`Le 8 juillet 1856, alors que le général Yusuf s’apprêtait à quitter son campement des Aït Attaf, on vint le prévenir de la visite d’un important personnage. C’était Si Hadj Ammar qui, après avoir reçu les garanties dont nous venons de parler, était venu se rendre au général français.

Prise de Fatma N’Soumeur

Après la reddition de Si Hadj Ammar, les évènements vont se précipiter. L’aire géographique de la résistance s’était considérablement rétrécie. Il ne restait plus que les Itsouragh, les Illilten, les Aït Ziki et les Illoulen Ou Malou. L’armée de Randon tout entière fut concentrée pour donner le coup de grâce à la résistance kabyle.

Les 3 divisions présentes sur le terrain furent déployées de telle sorte qu’elles enfermèrent les résistants dans un véritable cercle de fer, et pour compléter le dispositif, la division Maissiat venant du versant sud du massif, était au col de Chellata, prête à prendre les résistants à revers. C’est le 11 juillet que l’attaque générale dut déclenchée par le commandant en chef de l’armée d’invasion. Tout au long de cette journée les combats feront rage. Le général Deligny y fut grièvement blessé. Comme à l’accoutumée, les troupes coloniales se livraient à la destruction, à

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l’incendie et au pillage. Le général Yusuf dont la colonne ratissait le terrain entre Iferhounen et Tifilkout avait réussi à occuper le pic de Azrou N’Tehour et coupait ainsi toute retraite par le col de Tirourda aux résistants.

Pendant que se déroulaient ces opérations, la situation dans le camp de la résistance devenait tragique. A Soumeur, Lalla Fatma et son frère Sidi Tahir étaient désemparés. Ce dernier, soucieux de la sécurité et de l’honneur des femmes, principalement de sa sœur, décida d’évacuer son monde sur Takhlidjt N’Aït Atsou. Ce hameau, enfoui au fond du ravin de Tirourda, était si camouflé qu’un étranger ne pouvait se douter de son existence. Lalla Fatma et toutes les femmes des Illilen s’y installèrent et les biens, argent, bijoux, objets de valeur y furent entreposés. Malheureusement, un incident allait mettre l’ennemi sur la trace de ce refuge. Quelques femmes retardataires qui voulaient rejoindre Lalla Fatma furent aperçues par deux soldats français qui rôdaient en quête de butin et les suivirent jusqu’à Takhlidjt. Les hommes affectés à la garde du hameau ouvrirent le feu et tuèrent l’un des soldats. Les détonations alertèrent un détachement ennemi qui se trouvait dans les parages et, en quelques instants, le refuge fut investi et enlevé après une vive résistance.

Pendant que la soldatesque se livrait au pillage des biens qui étaient entreposés à Takhlidjt, Lalla Fatma et les quelque 200 personnes qui étaient avec elle, en majorité des femmes et des enfants, furent conduites auprès du général Yusuf. Lorsque ce dernier apprit la qualité de la prisonnière, il la dirigea immédiatement sur Randon, qui campait à Tamezguida. Le maréchal reçut Fatma N’Soumeur sous sa tante et s’entretint un moment avec elle. L’attitude digne de la captive ne manqua pas de frapper le chef de l’expédition qui, après l’entretien, chargea un officier d’installer un camp spécial pour les prisonniers et de veiller à ce qu’ils soient bien traités.

La capture de Fatma N’Soumeur, le 11 juillet 1857, mettait un point final à la résistance et à l’élan insurrectionnel déclenché un an auparavant par Si Hadj Ammar.

Il restait bien encore les Aït Addou, ces durs guerriers, mais ils ne tardèrent pas eux aussi à déposer les armes. Après la défaite, les vaincus allaient subir l’humiliation, le séquestre individuel et collectif et l’exil. Tous les villages furent frappés d’amendes, appelées contributions de guerre et consommèrent leur ruine. Les principaux chefs furent lourdement frappés. Voici les mesures prises à leur encontre, telles qu’elles furent consignées dans les documents officiels du Gouvernement général de l’Algérie: Si Hadj Ammar fut autorisé à vendre ses biens et à aller dans un pays étranger. Il alla se fixer à la Mecque avec sa femme et deux enfants de Shérifs qu’il avait adoptés à la mort de leurs parents, Si El Djudi, dont les biens furent séquestérs, alla se fixer en Syrie avec toute sa famille. Il est mort à Jaffa en 1863, son fils, Si Hadj Ahmed, fut autorisé à rentrer en Algérie en 1866, tandis que son frère Si Ali mourut cette année même à Damas. Quant à Fatma N’Soumeur, elle fut internée à Tablat dans la zaouia de Si Tabir Béni Mohieddine des Béni Sliman, entre ses frères, Sidi Tahir, Si Mohammed, Si Shérif et Si El-Hadi, il avait d’autres membres de sa famille qui partagèrent son sort, soit une centaine de personnes en tout.

En dépit de l’éloignement et de la captivité, l’attachement des montagnards pour Lalla Fatma resta longtemps intacte. Des années durant, les convois de visiteurs ne cessaient de se rendre à Tablat pour témoigner de leur fidélité à la sainte. Sidi Tahir, au nom de la famille, réclama pendant longtemps la restitution des biens qui lui furent volés : argent, bijoux, cheptel et aussi 160 livres en arabe d’une grande valeur. Mais en dépit de la parole donnée, rien ne fut restitué. Après 4 ans de captivité Sidi Tahir rendit l’âme en 1861.

Au fil des jours, Lalla Fatma, dont la santé était avant son internement florissante, commençait à dépérir. L’éloignement, la perte de la liberté déclenchèrent en elle une maladie qui la paralysa. Puis vint la mort de son frère qui l’affecta beaucoup. Elle ne devait plus se relever de sa maladie et s’éteignit un jour de 1863, âgée à peine de 33 ans.

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Telle fut la fin de Fatma N’Soumeur, cette femme admirable qui consacra sa courte existence au service de son peuple.

De nos jours, encore, les femmes de Tablat et des Béni Sliman continuent à visiter et à vénérer celle qu’elles appellent Lalla Ourdja.

L’imagination populaire s’est emparée depuis longtemps de cette noble figure et lui a attribué des prouesses qui relèvent le plus souvent de la légende. Certains n’ont pas hésité à les faire publier.

Soucieux de vérité et de probité intellectuelle, nous avons essayé, à travers ces pages, de présenter Lalla Fatma sous son véritable jour. Ce faisant, nous avons visé le double objectif de la démythifier et de la mettre à sa véritable place, parmi les résistants de la longue lutte qu’à toujours menée le peuple algérien contre les envahisseurs.

© Reproduit par l’Institut Hoggar 2008