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Document 1 de 1 JurisClasseur Procédure civile Cote : 04,2009 Date de fraîcheur : 30 Mars 2009 Fasc. 1015 : ARBITRAGE . - L'arbitre . - Conditions d'exercice . - Statut Eric Loquin Professeur à l'université de Bourgogne Ancien doyen de la faculté de droit de Dijon Points-clés 1. - Le Code de procédure civile prévoit des conditions minimales pour exercer la fonction d'arbitre, laquelle est ouverte à toute personne physique capable juridiquement (V. n° 1 à 8). Il existe cependant des incompatibilités qui interdisent à des personnes exerçant certaines fonctions d'être désignées comme arbitres (V. n° 9 à 16). 2. - Progressivement, la jurisprudence a fait émerger un statut de l'arbitre fondé sur le caractère hybride de l'arbitrage, qui est justice, mais une justice privée. L'arbitre doit réunir sur sa personne les qualités attendues d'un juge, à savoir l'indépendance et l'impartialité. Mais, l'arbitre, juge privé, est lié par les obligations nées du contrat d'arbitre qu'il conclue avec chacune des parties (V. n° 17 à 38). 3. - Exerçant une fonction juridictionnelle, l'arbitre doit être indépendant à l'égard de chacune des parties, mais aussi à l'égard des autres membres du tribunal arbitral, et cela, pour garder sa liberté de jugement (V. n° 19 à 34). 4. - Tenant compte de la spécificité du juge privé qu'est l'arbitre, la jurisprudence considère que les causes du défaut d'indépendance de l'arbitre ne se limitent pas aux causes de récusation prévues pour les magistrats par l'article 341 du Code de procédure civile, mais résulte de toutes circonstances de nature à affecter le jugement de celui-ci (V. n° 21 à 34). 5. - L'impartialité est un état d'esprit, mais la partialité ne peut être appréciée qu'à la lumière de faits objectifs : le fait d'avoir préjugé et le comportement de l'arbitre pendant l'instance arbitrale. La jurisprudence ne prend pas en considération les faits constituant des "indices sociaux de partialité" (V. n° 35 à 38). 6. - L'arbitre est tenu de révéler tous faits de nature à créer dans l'esprit des parties un doute légitime sur son indépendance ou son impartialité. Le périmètre de cette obligation est plus large que les faits susceptibles de causer la récusation de l'arbitre. Une fois de tels faits révélés, l'arbitre ne peut être désigné qu'avec l'accord des deux parties (V. n° 39 à 43). Le défaut de révélation est sanctionné par la récusation de l'arbitre, si le fait caché est connu lors de l'instance arbitrale (V. n° 44 à 56), par la nullité de la sentence s'il est connu après son prononcé. Encore faut-il qu'il porte atteinte à l'indépendance ou l'impartialité de l'arbitre (V. n° 57 à 59). 7. - En tant que juge, l'arbitre dispose d'une immunité qui le protège de toute responsabilité pour mal jugé. Il n'est pas considéré sur le plan procédural comme un tiers à la procédure (V. n° 60 à 61). 8. - La jurisprudence a reconnu l'existence d'un contrat de prestation de service conclu entre chaque arbitre Page 1

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JurisClasseur Procédure civile

Cote : 04,2009

Date de fraîcheur : 30 Mars 2009

Fasc. 1015 : ARBITRAGE . - L'arbitre . - Conditions d'exercice . - Statut

Eric Loquin

Professeur à l'université de Bourgogne

Ancien doyen de la faculté de droit de Dijon

Points-clés

1. - Le Code de procédure civile prévoit des conditions minimales pour exercer la fonction d'arbitre,laquelle est ouverte à toute personne physique capable juridiquement (V. n° 1 à 8). Il existe cependantdes incompatibilités qui interdisent à des personnes exerçant certaines fonctions d'être désignées commearbitres (V. n° 9 à 16).

2. - Progressivement, la jurisprudence a fait émerger un statut de l'arbitre fondé sur le caractère hybride del'arbitrage, qui est justice, mais une justice privée. L'arbitre doit réunir sur sa personne les qualitésattendues d'un juge, à savoir l'indépendance et l'impartialité. Mais, l'arbitre, juge privé, est lié par lesobligations nées du contrat d'arbitre qu'il conclue avec chacune des parties (V. n° 17 à 38).

3. - Exerçant une fonction juridictionnelle, l'arbitre doit être indépendant à l'égard de chacune des parties,mais aussi à l'égard des autres membres du tribunal arbitral, et cela, pour garder sa liberté de jugement(V. n° 19 à 34).

4. - Tenant compte de la spécificité du juge privé qu'est l'arbitre, la jurisprudence considère que les causes dudéfaut d'indépendance de l'arbitre ne se limitent pas aux causes de récusation prévues pour lesmagistrats par l'article 341 du Code de procédure civile, mais résulte de toutes circonstances de nature àaffecter le jugement de celui-ci (V. n° 21 à 34).

5. - L'impartialité est un état d'esprit, mais la partialité ne peut être appréciée qu'à la lumière de faitsobjectifs : le fait d'avoir préjugé et le comportement de l'arbitre pendant l'instance arbitrale. Lajurisprudence ne prend pas en considération les faits constituant des "indices sociaux de partialité" (V.n° 35 à 38).

6. - L'arbitre est tenu de révéler tous faits de nature à créer dans l'esprit des parties un doute légitimesur son indépendance ou son impartialité. Le périmètre de cette obligation est plus large que les faitssusceptibles de causer la récusation de l'arbitre. Une fois de tels faits révélés, l'arbitre ne peut êtredésigné qu'avec l'accord des deux parties (V. n° 39 à 43). Le défaut de révélation est sanctionné par larécusation de l'arbitre, si le fait caché est connu lors de l'instance arbitrale (V. n° 44 à 56), par la nullitéde la sentence s'il est connu après son prononcé. Encore faut-il qu'il porte atteinte à l'indépendance oul'impartialité de l'arbitre (V. n° 57 à 59).

7. - En tant que juge, l'arbitre dispose d'une immunité qui le protège de toute responsabilité pour mal jugé. Iln'est pas considéré sur le plan procédural comme un tiers à la procédure (V. n° 60 à 61).

8. - La jurisprudence a reconnu l'existence d'un contrat de prestation de service conclu entre chaque arbitre

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et chacune des parties. Celui-ci met à la charge de l'arbitre de posséder les qualités convenues dans lecontrat, de mener l'arbitrage à son terme, ce qui lui interdit de se déporter sans raison légitime, de veillerau non-épuisement du délai d'arbitrage, de respecter la confidentialité de l'arbitrage. L'inexécution parl'arbitre de ses obligations l'expose à la révocation, à la perte de son droit à honoraires et à la mise encause de sa responsabilité civile (V. n° 63 à 82)

9. - Prestataires de service à titre onéreux, l'arbitre a droit à des honoraires que les parties sont tenuessolidairement de payer (V. n° 85 à 93). Le droit de l'arbitrage lui reconnaît un droit à la "dissidence" enl'autorisant à refuser de signer la sentence imposée par la majorité des arbitres, voir en émettant uneopinion dissidente (V. n° 95 à 96).

Sommaire analytique

Introduction

I. - Conditions requises pour être arbitre

A. - L'arbitre doit être une personne physique

B. - Une personne physique ayant la pleine capacité civile

C. - Compatibilité de la mission d'arbitre avec l'exercice de certaines professions ou fonctions

1° Fonctionnaires

2° Élus

3° Juges étatiques

II. - Statut de l'arbitre

A. - Statut de l'arbitre fondé sur sa fonction juridictionnelle

1° Qualités de l'arbitre imposées par la nature juridictionnelle de sa fonction

a) Indépendance de l'arbitre

b) Impartialité de l'arbitre

c) Garanties contre le défaut d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre

2° Garanties de l'arbitre et conséquences résultant de la nature juridictionnelle de sa fonction

a) Immunité de l'arbitre

b) Position procédurale de l'arbitre

B. - Statut de l'arbitre fondé sur sa qualité de prestataire de service

1° Obligations contractuelles de l'arbitre

a) Obligation de répondre aux qualités convenues

b) Obligation de mener l'arbitrage à son terme

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c) Obligation de diligence des arbitres

d) Obligation de confidentialité

2° Sanctions des obligations contractuelles de l'arbitre

a) Révocation

b) Remboursement des provisions d'honoraires

c) Responsabilité de l'arbitre

3° Droits contractuels de l'arbitre

a) Droit à une provision pour frais et honoraires

b) Exception d'inexécution

c) Droit à la dissidence d'opinion

Bibliographie

Introduction

1. - Des conditions pour être arbitre à l'émergence d'un statut d'arbitre - Le droit français de l'arbitrage s'intéressepeu à l'arbitre. Très libéral en la matière, le Code de procédure civile ne pose que des conditions minimales pour accéderà la fonction d'arbitre (I). Cependant progressivement, la jurisprudence, aidée par la doctrine, a fait émerger un statut del'arbitre (II). Ce statut trouve ses fondements dans la nature hybride de l'arbitrage. L'arbitre est un juge, mais un jugeprivé. Juge, il doit réunir les qualités imposées par l'exercice d'une fonction juridictionnelle. Juge privé, il est aussi unprestataire de service qui s'engage avec les parties à l'arbitrage dans un contrat synallagmatique qui crée à son égard desobligations et des droits.

I. - Conditions requises pour être arbitre

2. - Article 1451 du Code de procédure civile et règles spéciales d'incompatibilité - Les conditions requises,exprimés par l'article 1451 du Code de procédure civile sont minimales : être une personne physique et disposer de lacapacité civile. Cependant, la fonction d'arbitre peut être déclaré incompatible par des textes spéciaux avec l'exerciced'autres activités

A. - L'arbitre doit être une personne physique

3. - Interdiction aux personnes morales d'être arbitre - L'article 1451 du Code de procédure civile dispose que lamission d'arbitrage ne peut être confiée qu'à une personne physique. Le texte interdit principalement aux institutionsd'arbitrage de juger elle-même le litige et de rendre en leur nom la sentence. La mission de l'institution d'arbitrage estseulement d'organiser l'arbitrage. Il interdit également qu'une société soit désignée comme arbitre (pour uneapplication : CA Grenoble, 26 avr. 199 : Rev. arb. 1996, p. 452, note Fouchard).

En interdisant la désignation d'une personne morale comme arbitre, le décret de 1980 a rompu avec une traditionsolidement établie, et a entraîné la modification des règlements antérieurs de nombreuses chambres arbitrales (V. JCl.Procédure civile, Fasc. 1002. - Comp. Rubellin-Devichi, L'arbitrage. Nature juridique, LGDJ, n° 207 et note 10,règlements cités). L'interdiction de l'article 1451 du Code de procédure civile a parfois été comprise comme uneméfiance de l'autorité réglementaire à l'égard de l'arbitrage institutionnel (en ce sens, J. Petit, Le règlement de la

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chambre arbitrale de Paris et le décret du 14 mai 1980 relatif à l'arbitrage : Rev. arb. 1981, p. 251. - V. aussi Robert,L'arbitrage, droit interne et international : Dalloz, 6e éd., n° 131. - Comp. Paclot, L'arbitrage institutionnel dans ledécret du 14 mai 1980 relatif à l'arbitrage : Rev. arb. 1980, p. 598). En réalité, il faut simplement voir dans laprohibition la volonté du droit français de l'arbitrage de permettre aux parties de choisir librement les arbitres quijugeront leur litige, et d'éviter que l'institution d'arbitrage ne désigne directement les personnes physiques constituantl'organe de jugement. Pour cette raison, l'article 1451 du Code de procédure civile va prévoir des règles spécifiquesrégissant la constitution du tribunal arbitral organisée sous l'égide de l'institution d'arbitrage, protégeant dans une largemesure le droit pour chaque partie de désigner les arbitres constituant le tribunal arbitral (V. JCl. Procédure civile,Fasc. 1020, n° 55 s.). De plus, la mesure n'a pas une portée pratique considérable, les organismes d'arbitrage n'ayantjamais jugé directement, et se contentant d'organiser l'arbitrage.

4. - Sauvetage de la convention d'arbitrage désignant une personne morale comme arbitre - L'alinéa 2 del'article 1451 du Code de procédure civile dispose expressément que "si la convention désigne une personne morale,celle-ci ne dispose que du pouvoir d'organiser l'arbitrage". Le texte permet de sauver une clause d'arbitrage maladroitequi désignerait comme arbitre une institution d'arbitrage. Il faut comprendre qu'il appartient à celle-ci d'organiserl'arbitrage. Mais aucun argument ne peut être tiré de la maladresse de rédaction pour soutenir la nullité de la conventiond'arbitrage. En revanche, la sentence rendue par une personne morale est nulle.

B. - Une personne physique ayant la pleine capacité civile

5. - Capacité civile - Aux termes de l'article 1451, alinéa 1er, du Code de procédure civile, la personne physique "doitavoir le plein exercice de ses droits civils". En dépit de leurs qualités de juges privés, les arbitres exercent une fonctionjuridictionnelle qui matériellement s'apparente à la fonction publique des juges étatiques : ils doivent, en effet, donnerun minimum de garanties de bonne justice.

6. - Mineur - Les mineurs ne peuvent accéder aux fonctions d'arbitre. J. Robert et M. B. Moreau, prenant acte du faitque le mineur émancipé ne peut être commerçant, considère qu'il ne peut pour cette raison juger comme arbitre (Traité,op. cit., n° 115). Il n'a pourtant jamais été soutenu que l'exercice du commerce devait être rangé parmi les droits civils.L'article 413-6, alinéa 1er, du Code civil énonce que "le mineur émancipé est capable, comme un majeur, dans tous lesactes de la vie civile". On voit mal alors comment il serait possible de le frapper d'une incapacité sans texte et contre lalettre de l'article 1451 du Code de procédure civile (contra Th. Clay, L'arbitre, Dalloz, 2001, nouvelles collection desthèses, n° 456). De toute façon, la question est de pure école.

7. - Incapable majeur - L'article 1451 du Code de procédure civile ferme aussi la fonction d'arbitre au majeur soustutelle ou sous curatelle. Un débat existe s'agissant du majeur sous sauvegarde de justice, qui conserve l'exercice de sesdroits, mais dont la cause d'ouverture de la mesure est l'altération de ses facultés mentales, état, il est vrai, peucompatible avec l'exercice d'une mission juridictionnelle (V. en faveur de la possibilité pour le sauvegardé d'êtredésigné comme arbitre, De Boisseson, Le droit français de l'arbitrage interne et international, Joly, n° 199. - ContraTh. Clay, op. cit., n° 452). Ici encore, il paraît difficile de créer une incapacité sans texte. La question doit être traitéeautrement. Si l'arbitre, au moment de sa désignation ou au cours de l'arbitrage, est privé de raison, il peut être révoquéd'un commun accord par les parties. À défaut, l'une des parties pourrait obtenir du juge d'appui sa révocation.L'empêchement de l'arbitre qui serait une conséquence de son aliénation mentale, est une cause d'extinction de l'instancearbitrale (V. CPC, art. 1464), qui peut être constatée par le juge d'appui.

8. - Privation des droits civils - L'arbitrage est aussi fermé aux personnes pénalement sanctionnées d'une interdictiond'exercice de leurs droits civils.

C. - Compatibilité de la mission d'arbitre avec l'exercice de certaines professions ou fonctions

9. - Effet de l'incompatibilité - L'incompatibilité ne produit pas d'effet sur la validité de la sentence, laquelle produiratous ses effets, même si elle est rendue par un arbitre en situation d'incompatibilité. En revanche, ce dernier s'expose à

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des sanctions disciplinaires.

10. - Absence de conditions tenant à la possession d'un diplôme ou à l'exercice d'une profession - Le droitfrançais n'impose aucune condition nécessaire pour être arbitre tenant à la possession de diplômes ou à l'exercice d'uneprofession déterminée. En particulier, il n'est pas imposé en droit français que l'arbitre soit juriste.

11. - Incompatibilités fonctionnelles - L'exercice de certaines fonctions ou professions peut interdire l'accès à lafonction d'arbitre. La sanction de cette interdiction sera seulement disciplinaire et frappera celui qui a exercé desfonctions d'arbitre interdites par son statut. En aucun cas, l'incompatibilité ne pourra affecter la validité de la sentence.

1° Fonctionnaires

12. - Conditions spécifiques d'exercice de la mission - Les fonctionnaires peuvent être arbitres sous certainesréserves. Le statut des fonctionnaires leur interdit d'exercer "des activités privées lucratives de quelques natures quece soit" (L. n° 83-634, 13 juill. 1983, art. 25). Néanmoins, ils peuvent exercer "des expertises ou des consultationsavec l'autorisation de l'administration dont il dépend" (L. 29 oct. 1936, art. 3, al. 2). Ils peuvent également effectuerdes consultations et des expertises si la demande en est faite par une autorité administrative ou judiciaire. L'activitéd'arbitre, bien que non visée expressément par le texte, peut être intégrée dans le champ d'application du décret (Th.Clay, op. cit., n° 480 et 481). Cependant, la qualité de fonctionnaire d'un arbitre devrait lui interdire d'accepter unemission d'arbitrage ayant pour objet un litige où l'État ou une collectivité publique, ou encore une personne moralede droit public est partie. D'une part, son indépendance à l'égard de cette partie pourrait légitimement être suspectée.D'autre part, il est possible de soutenir que sa qualité lui interdit de condamner l'État ou ses émanations dès lors qu'illui est interdit de consulter ou de plaider contre lui.

13. - Personnel enseignant - De même, l'alinéa 3 du même texte précise que les membres du personnel enseignant,technique ou scientifique des établissements d'enseignement peuvent exercer "des activités libérales qui découlent deleurs fonctions", et cela, sans autorisation préalable. Ainsi, les professeurs de droit peuvent accepter des missionsd'arbitrage, car cette mission relève de la connaissance du droit.

Dans les trois cas, une limite est posée. Il est interdit à tout fonctionnaire de donner des consultations, de procéder àdes expertises et de plaider en justice dans un sens défavorable à l'État. La règle interdit au fonctionnaire d'être dansla situation de devoir condamner l'État et donc d'être désigné comme arbitre pour juger un litige dans lequel l'État estpartie.

2° Élus

14. - Parlementaires - Le Code électoral prévoit que les parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat nepeuvent exercer des fonctions d'avocats dans des affaires pénales de crime ou de délits contre la chose publique, depresse ou d'atteinte au crédit ou à l'épargne, de conseil des sociétés faisant appel à l'épargne publique, d'avocats ou deconseil de parties qui s'opposent à l'État, aux collectivités locales, aux établissements publics et aux sociétésnationales (C. élect., art. LO 146-1 et 149). L'article LO 140 interdit aux parlementaires d'être magistrat.

L'interdiction faite aux parlementaires d'être magistrat ne doit pas être étendue aux fonctions d'arbitre. La règle apour finalité d'interdire l'exercice de deux fonctions publiques et une atteinte au principe de la séparation despouvoirs. Mais, la justice privée ne peut être concernée par cette prohibition. Les parlementaires peuvent égalementaccepter une mission d'arbitrage dès lors que des intérêts publics ne sont pas en cause (sur l'ensemble de la question,Th. Clay, op. cit., n° 490 s.).

15. - Autres élus - Les autres élus, locaux ou européens ne sont assujettis à aucune incompatibilité leur interdisantd'exercer la fonction d'arbitre (Th. Clay. op. cit., n° 492 s.).

3° Juges étatiques

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16. - Interdiction de principe - La question a fait l'objet d'un ample débat (sur l'ensemble de la question,Ph. Fouchard, La compatibilité des fonctions de magistrat et d'arbitre ou la fin d'une mauvaise querelle : Rev. arb.1994, p. 657). Un décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 avait réglé de manière expresse la difficulté en disposant dansson article 37 (modifié, D. n° 94-314, 20 avr. 1994) que "la participation d'un magistrat en activité à un arbitrage estsubordonnée à l'obtention préalable d'une dérogation conformément au deuxième alinéa de l'article 8 del'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée. Une dérogation est nécessaire pour chaque arbitrage". Ainsi, l'exerciced'une fonction d'arbitre par un magistrat en activité était rendu licite, mais à condition qu'elle soit subordonnée à uneautorisation donnée au cas par cas par les chefs de Cours de celui-ci. Cette possibilité donnée aux magistratsd'accomplir des missions d'arbitrage a été approuvée, par la doctrine spécialisée (Ph. Fouchard, La compatibilité desfonctions de magistrat et d'arbitre ou la fin d'une mauvaise querelle : Rev. arb. 1994, p. 653. - Contra cependant, Th.Clay, op. cit., n° 506). Leur formation de magistrat les prédispose à la fonction d'arbitre tout comme leur autoritémorale.

Mais, une campagne de presse hostile à "une confusion des genres" s'est ensuite développée (M. A. Lombard, Quandles magistrats pantouflent à temps partiel : Le Figaro, 18 juill. 2000, p. 7 ; Justice privée cherche haut magistrat àlouer : Libération 21 sept. 1993, p. 27). L'argument le plus sérieux, qui a pu être opposé à cette faculté offerte auxmagistrats est l'embarras créé par la situation du juge d'appui ou du juge de l'annulation, placé dans la situation dedevoir récuser un magistrat qui est à un niveau hiérarchique supérieur ou d'annuler la sentence qu'il a signée (V. Th.Clay, op. cit., n° 506). Toujours est-il que le législateur, par la loi n° 2001-539 du 25 juin 2001, a interdit auxmagistrats de l'ordre judiciaire en exercice de bénéficier de dérogations individuelles pour exercer des activitésd'arbitrage (L. n° 2001-539, 25 juin 2001, art. 14). Le débat reste en revanche ouvert s'agissant des jugesadministratifs.

II. - Statut de l'arbitre

17. - Émergence d'un statut - Le droit français, s'il prévoit des dispositions spécifiques relatives à la personne del'arbitre, n'institue pas, à proprement parlé, un statut de l'arbitre. Celui-ci peut être déduit des solutions dégagées par lajurisprudence. De la convergence de ces sources émerge un "statut" des arbitres. Comme l'écrit Fouchard, "force est deconstater l'émergence de règles homogènes qui s'organisent autour des deux qualités de l'arbitre à la fois juge etprestataire de service" (Fouchard, Le statut des arbitres dans la jurisprudence française : Rev. arb. 1996, p. 325 ;Commission de l'arbitrage international de la CCI. Le statut de l'arbitre : Rev. arb. 1996, p. 559. - T. Clay, L'arbitre,op. cit., p. 231 s.). En effet, le statut de l'arbitre est influencé par la nature hybride de sa fonction, qui est aussi celle del'arbitrage. L'arbitre est un juge et ses droits comme ses devoirs découlent de cette qualité. Mais l'arbitre est égalementun juge privé lié aux parties par un contrat de prestation de service. Il en résulte que le statut de l'arbitre est contractuelet qu'en particulier sa responsabilité doit être placée sur le terrain contractuel, même si le contenu du contrat d'arbitrageest bien souvent imposé par la loi.

A. - Statut de l'arbitre fondé sur sa fonction juridictionnelle

18. - Garanties d'une bonne justice et immunité juridictionnelle - L'arbitrage est une justice. Le droit de l'arbitragedoit offrir au plaideur les garanties d'une bonne justice en assurant que les arbitres sont des juges indépendants etimpartiaux (Eric Loquin, Les garanties de l'arbitrage : LPA 2 oct. 2003, n° 197, L'arbitrage, une question d'actualité,p. 13). Étant un juge, l'arbitre dispose en contrepartie d'une immunité assez semblable à celle qui protège les jugesétatiques.

1° Qualités de l'arbitre imposées par la nature juridictionnelle de sa fonction

19. - Indépendance de l'arbitre - La Cour de cassation rappelle régulièrement en matière d'arbitrage que"l'indépendance d'esprit est indispensable à l'exercice du pouvoir juridictionnel, quelle que soit par ailleurs sasource et est l'une des qualités essentielles des arbitres" (Cass. 1re civ., 13 avr. 1972 : Rev. arb. 1975, p. 235, noteE. Loquin), et la cour d'appel de Paris juge que "l'indépendance d'esprit est de l'essence de la fonction,

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juridictionnelle de l'arbitre en ce sens qu'il accède dès sa désignation au statut de juge, exclusif de tout lien dedépendance, notamment avec les parties" (CA Paris, 23 févr. 1999 : RTD com. 1999, p. 371, obs. E. Loquin).L'effectivité de la qualité d'indépendance requise de l'arbitre soulève des problèmes particuliers. L'arbitre, juge privé,offre a priori moins de garanties d'indépendance que le juge étatique. L'arbitre est souvent un praticien lié au milieudes affaires. S'il est avocat, il peut être suspecté d'avoir été ou d'être le conseil de l'une des parties à l'arbitrage, oupire encore de souhaiter le devenir. L'arbitre négociant n'est-il pas le fournisseur, le client, le créancier ou le débiteurde cette même partie, voire son associé. Plus généralement, l'arbitrage est pour les arbitres de plus en plus un marchéqui nuit à leur indépendance. La préoccupation d'être désigné à nouveau par telle partie ou tel conseil peut porteratteinte à son indépendance d'esprit.

20. - Impartialité de l'arbitre - L'arbitre est aussi un juge impartial. Il est habituel de distinguer la dépendance etl'impartialité. L'indépendance est une situation objective qui résulte de l'absence de lien de dépendance.L'impartialité résulte d'un état d'esprit. Elle est une qualité subjective. Ainsi pourrait être suspecté de partialité leprofesseur de droit qui aurait exprimé publiquement sa position sur la question de droit controversée qui est au coeurdu litige, avant le début de l'arbitrage. N'a-t-il pas préjugé sur la solution du litige ?

a) Indépendance de l'arbitre

1) Méthode d'appréciation

21. - Cas de récusation de l'article 341 du Code de procédure civile - Le Code de procédure civile ne fait pasexpressément de l'indépendance de l'arbitre une condition de validité de sa désignation. Mais cette conditions'inscrit en filigrane dans les textes. L'article 1452 du Code de procédure civile impose dans son second alinéa que"l'arbitre qui suppose en sa personne une cause de récusation doit en informer les parties. En ce cas, il ne peutaccepter sa mission qu'avec l'accord de ces parties". C'est dire que l'existence d'une cause de récusation dans lapersonne de l'arbitre rend a priori irrégulière la constitution du tribunal arbitral, sauf si cette cause a été révéléeaux parties, et si celles-ci ont accepté, nonobstant la cause avouée, de confirmer l'investiture de l'arbitre. Or, l'unedes causes qui justifie la récusation d'un juge est bien son défaut d'indépendance. C'est ainsi que l'article 341 duCode de procédure civile prévoit la récusation du juge "si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à lacontestation, ou si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l'une desparties ou parent ou allié de l'une des parties ou s'il a conseillé l'une des parties ou s'il est chargé d'administrerles biens de l'une des parties ou encore s'il existe un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l'unedes parties". Autant de cas où l'indépendance du juge est suspectée. La Cour de cassation a d'abord jugé que"seules les causes de récusation prévues par l'article 341 du Code de procédure civile pour les juges desjuridictions officielles pouvaient être invoquées pour caractériser l'existence de liens de dépendance détruisantl'indépendance requise de l'arbitre" (Cass. 2e civ., 14 déc. 1990 : Rev. arb. 1991, p. 75, note Jarrosson ; RTDcom. 1992, p. 167, obs. Dubarry et Loquin).

22. - Autonomie de l'appréciation de l'indépendance de l'arbitre. Conception extensive - La jurisprudenceest sortie de ce cadre étroit pour développer un principe général d'indépendance propre à la fonction de l'arbitre.La Cour de cassation a jugé "qu'il appartient au juge de la régularité de la sentence arbitrale d'apprécierl'indépendance et l'impartialité de l'arbitre en relevant toute circonstance de nature à affecter le jugement decelui-ci et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ces qualités qui sont de l'essence de lafonction juridictionnelle" (Cass. 1re civ., 16 mars 1999 : D. 1999, p. 498, note P. Courbe).

Surtout, la Cour de cassation a précisé le 28 avril 1998 (Cass. 1re civ., 28 avr. 1998 : Bull. civ. 1998, I, n° 155 ;RTD com. 1999, p. 371, obs. E. Loquin), que l'article 341 du Code de procédure civile "n'épuise pasnécessairement l'exigence d'impartialité requise de toute juridiction". L'arbitre peut être considéré commedépendant de l'une des parties pour des faits non prévus par ce texte. Cette position de la Cour de cassation n'estpas sans danger. Elle peut mettre en péril la sécurité de l'arbitrage dans un domaine très sensible. L'arbitre, aumoment de sa désignation, puis le juge de la récusation lors de l'instance arbitrale, enfin le juge de l'annulation de

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la sentence peuvent en effet apprécier successivement et subjectivement de manière différente si telle situation estde nature à faire douter de l'indépendance de l'arbitre (on lira pour se convaincre de l'embarras que peut produiredans l'esprit d'un arbitre pressenti l'incertitude créée sur le contenu du terme indépendance la délicieuse nouvellede J.-D. Bredin, La révélation : Mélanges Poudret, Lausanne 1999, p. 349 : "Voici que le président urbain,rentrant chez lui, traînant le pas, se posait cette terrible question : transformé en arbitre, était-il indépendant,impartial ? N'avait-il pas quelque chose de suspect à révéler ?"). De plus, cette incertitude est de nature à ouvrirla porte à une dérive du contentieux de la récusation ou de l'annulation de la sentence.

23. - Conception restrictive - Partant du même principe, mais pour arriver à des conclusions opposées,M. Henry, dans sa thèse intitulée "Le devoir d'indépendance de l'arbitre" (thèse Paris, 1996, en particuliern° 627. - V. également, Henry, Les obligations d'indépendance et d'information de l'arbitre : Rev. arb. 1999,p. 193), soutient qu'il faut tenir compte de la spécificité de l'arbitrage et donner au concept d'indépendance uncontenu compatible avec les contingences du milieu "étroit" de l'arbitrage, qui réunit des arbitres et des avocatsqui se connaissent, des arbitres parfois désignés à titre habituel par l'une ou l'autre des parties ou qui concerne desbranches professionnelles étroites où les mêmes personnes sont tantôt opérateurs du marché et juges desopérations du marché. Bref, l'indépendance doit être compatible avec l'existence de liens entre les arbitres et ceuxqui les nomment.

24. - Position moyenne de la jurisprudence - Les tribunaux qui contrôle l'indépendance de l'arbitre ont adoptéune position moyenne en distinguant habilement les liens de dépendance qui doivent être révélés et qui sontcompris largement, et, ceux, non révélés, qui sont sanctionnés par la récusation de l'arbitre ou à la nullité de lasentence (V. infra n° 40). La jurisprudence combine une approche objective de la notion d'indépendance avec uneapproche subjective. D'une part, celle-ci réaffirme que l'appréciation de l'indépendance de l'arbitre doit "êtrefondée sur des faits objectifs et concrets" (CA Paris, 10 juin 2004 : Rev. arb. 2006, p. 154). Mais d'autre part, cesfaits doivent "être de nature à introduire un doute légitime sur l'indépendance de ce dernier" (CA Paris, 10 juin2004, préc.). La Cour de cassation a jugé que "le juge de l'annulation de la sentence doit apprécierl'indépendance et l'impartialité en relevant toute circonstance de nature à affecter le jugement de celui-ci et àprovoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ces qualités qui sont de l'essence de sa fonctionjuridictionnelle" (Cass. 1re civ., 16 mars 1999 : Rev. arb. 1999, p. 308). C'est donc à l'aune de l'effet qu'il aura surla confiance des parties dans l'indépendance de l'arbitre que sera apprécié le fait objectif révélé par l'arbitre ouconstaté par le juge. Il ne faut cependant pas surestimer l'importance du critère subjectif. Celui-ci permetseulement au juge de refuser de récuser l'arbitre lorsque le lien de dépendance objectif est notoire ou qu'il n'a pasété immédiatement dénoncé par la partie concernée.

2) Cas d'absence d'indépendance de l'arbitre

25. - Évolution - Les hypothèses sont nombreuses. Elles évoluent dans le temps compte tenu des dérivesconstatées de la pratique de l'arbitrage.

26. - Existence d'un lien de subordination entre l'arbitre et l'une des parties - Le premier de ces liens estl'existence d'un contrat de travail conclu entre l'une des parties et l'arbitre. Ce contrat peut exister au moment del'arbitrage ou être concomitant au prononcé de la sentence. Ainsi n'est pas indépendant l'arbitre rémunéré par unepartie en tant que conseil habituel (TGI Paris, ord. réf., 15 janv. 1988 : Rev. arb. 1988, p. 316, note Robert), oupar une société dépendant du groupe auquel appartenait l'une des parties (CA Paris, 9 avr. 1992 : Rev. arb. 1996,p. 483), ou en tant que comptable de l'une des parties (CA Paris, 23 févr. 1999 : RTD com. 1999, p. 371, obs.E. Loquin), ou celui qui est embauché par une partie le lendemain du prononcé de la sentence (CA Paris, 2 juin1992 : Rev. arb. 1996, p. 411).

27. - Existence d'un lien de subordination entre un arbitre et un autre arbitre - La situation est plusoriginale, mais elle est rédhibitoire. L'arbitre placé dans cette position singulière a perdu sa liberté de juger. Dansl'affaire Jean Lyon, l'arbitre du second degré (il s'agissait d'un arbitrage avec faculté d'appel devant un second

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tribunal arbitral), était l'employé de la filiale d'une société contrôlée par le président du tribunal arbitral dupremier degré. La cour d'appel de Rouen juge que "cet état le privait objectivement de son indépendance" (CARouen, 28 oct. 1998 : Rev. arb. 1999, p. 374).

28. - Arbitre conseil, expert ou avocat de l'une des parties - Si ce lien doit toujours être révélé, il n'altère pasnécessairement l'indépendance de l'arbitre et son existence peut rester compatible avec le maintien de celui-ci.Autrement dit, l'existence d'un tel lien n'est pas une cause automatique de récusation. Il convient de démontrer que"la situation est de nature à affecter le jugement de l'arbitre" (CA Paris, 23 mars 1995 : RTD com. 1995, p. 588,obs. E. Loquin).

Tel est toujours le cas lorsque l'arbitre a connu l'affaire soumise à l'arbitrage en tant que conseil de l'une desparties, tel cet avocat désigné comme arbitre et qui rédigeait les mémoires et faisait plaider l'affaire par sacollaboratrice (CA Paris, 20 nov. 1997 : Rev. arb. 1999, p. 319. - V. aussi Cass. 2e civ., 25 mars 1999 : Rev. arb.1999, p. 319. - CA Versailles, 14 nov. 1996 : RTD com. 1997, p. 234, obs. E. Loquin). La solution est directementtirée de l'article 341 du Code de procédure civile qui vise le cas du juge qui a précédemment connu de l'affaire entant que conseil de l'une des parties. Tel sera également le cas lorsque l'arbitre exerce une activité permanente deconsultant de l'une des parties au moment de l'établissement de la convention d'arbitrage.

Si l'arbitre a assisté ou conseillé l'une des parties dans des affaires étrangères au litige, tout dépend de la date decette activité. J. Robert considérait que "seule une appréciation des conditions de l'espèce selon l'étendue etl'époque de la consultation permettront d'apprécier la validité de la désignation de l'arbitre" (note Rev. arb.1988, p. 319, p. 527). En ce sens, mais s'agissant d'un expert, il a été jugé que le seul fait qu'un arbitre ait, avant lanaissance du litige, effectué une expertise comptable pour le compte de l'une des parties, sans lien avec le litige,n'était pas de nature à vicier la constitution du tribunal arbitral (Cass. 2e civ., 19 avr. 1985 : Rev. arb. 1986, p. 57,note Jarrosson. - V. également CA Paris, 19 avr. 1985 : Rev. arb. 1986, p. 57, note Jarrosson). S'agissant d'unavocat, il a été également jugé que le fait que l'un des arbitres ait été le conseil de l'une des parties plus de deuxans après le prononcé de la sentence n'est pas une cause de nullité de la sentence qu'il avait signée (CA Paris,1er déc. 1995 : Rev. arb. 1996, p. 456).

29. - Désignation habituelle d'un arbitre par l'une des parties - La jurisprudence a, sur ce point, évolué. Ellea d'abord jugé que le fait pour un arbitre d'avoir été déjà désigné comme arbitre par l'une des parties ne mettait pasen cause son impartialité dès lors que cet arbitrage ne concernait pas les relations litigieuses des parties. Il est vraique l'arbitre désigné par l'une des parties n'est pas dans une situation de subordination à l'égard de celle-ci et celaen raison même de la nature juridictionnelle de sa fonction (Cass. 1re civ., 16 mars 1999 : D. 1999, p. 497, noteCourbe. - V. également TGI Paris, réf., 22 févr. 1998 : D. 1999, p. 497, note Courbe).

Dans l'affaire Frémarc, la cour d'appel de Paris a écarté ce grief alors que l'arbitre avait été désigné par l'une desparties dans trois arbitrages, dès lors "qu'il n'était pas en situation de monopole, la partie recourant à la mêmeépoque aux services de plusieurs autres arbitres et qu'il ne peut être établi que des accords financiers particuliersdémontraient l'existence d'un lien de dépendance économique entre le demandeur et son arbitre" (CA Paris,28 oct. 1999 : Rev. arb. 2000, p. 299, note Ph. Grandjean ; RTD com. 1999, p. 851, obs. E. Loquin). Puis, lajurisprudence a durci sa position. Il est vrai que les juges ont été souvent confrontés à de très nombreusesdésignations par la même partie du même arbitre, de surcroît dans des affaires souvent similaires. La Cour decassation a cassé dans la même affaire l'arrêt de la cour d'appel de Paris au motif que les juges du fond se sontcontredits en décidant "qu'aussi regrettable qu'ait été le défaut d'information des sociétés de la part de l'arbitre,ce manquement à l'obligation de transparence n'était pas de nature à démontrer son défaut d'indépendance etd'impartialité, ni à justifier l'annulation de la sentence" (Cass. 2e civ., 6 déc. 2001 : Rev. arb. 2003, p. 1231, noteE. Gaillard ; RTD com. 2002, p. 657, obs. E. Loquin). Cette cassation a été le signe d'une plus grande rigueur àl'égard du phénomène "de l'arbitre maison". La cour d'appel de Paris a jugé depuis que :

Le caractère systématique de la désignation d'une personne donnée comme arbitre dans les clauses compromissoires

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conclues par les sociétés d'un même groupe, sa fréquence et sa régularité sur une longue durée, dans des contrats identiques,ont créé les conditions d'un courant d'affaires entre cette personne et la société dudit groupe qui est partie à la procédure.L'arbitre ayant recélé ces liens a empêché l'autre partie d'exercer son droit de récusation, de sorte qu'il convient d'annuler lasentence (CA Paris, 29 janv. 2004 : Rev. arb. 2005, p. 709, note Marc Henry).

Dans deux autres décisions, la même cour d'appel a désigné des experts avec pour mission de déterminer lafréquence de désignation d'un même arbitre respectivement dans des litiges ayant pour objet des contrats desous-traitance et des contrats de franchises (CA Paris, 16 mai 2002 et CA Paris, 2 avr. 2003 : Rev. arb. 2003,p. 1231, note E. Gaillard). Ce n'est pas en soi la pluralité des désignations qui porte atteinte à l'indépendance del'arbitre, mais comme le relève la cour d'appel de Paris, le "courant d'affaires" qu'elle génère. Il appartient alors aujuge d'appui ou au juge de l'annulation de quantifier ce courant d'affaires et de vérifier si son importance est denature à faire douter de l'indépendance de l'arbitre. Cette jurisprudence soulève une autre question non encorejugée. Doit-on faire preuve de la même sévérité à l'égard de l'arbitre habituellement désigné, non pas par la mêmepartie, mais par le même cabinet d'avocats dans des affaires différentes ?

30. - Existence d'intérêts communs entre l'arbitre et l'une des parties - Il s'agit d'un cas classique qui rendsuspecte l'indépendance de l'arbitre lorsque la communauté d'intérêt a pour cause l'affaire litigieuse. Tel est le caslorsque l'arbitre présidait une société qui avait joué un rôle d'intermédiaire dans la vente litigieuse (CA Paris,4 déc. 1979 : Rev. arb. 1981, p. 146, note J. Rubellin-Devichi. - CA Paris, 7 févr. 2008 : Rev. arb. 2008, p. 501,note J.-B. Racine, où l'arbitre était le directeur juridique d'une société appartenant à un groupe dont l'une desparties faisait partie).

Mais, l'indépendance de l'arbitre peut également être contestée quand la communauté d'intérêt est sans rapportavec l'affaire litigieuse. Dans l'affaire Jean Lyon, l'une des parties était débitrice de la société dont l'un des arbitresétait le salarié. La Cour considère que ce fait "était objectivement susceptible de l'inciter à adopter une positionconforme aux intérêts de la filiale qui l'employait" (CA Rouen, 28 oct. 1998 : Rev. arb. 1999, p. 374). De même,la cour d'appel de Paris a annulé une sentence au motif que l'un des arbitres avait omis de révéler qu'il étaitcotitulaire d'un brevet avec l'une des parties et qu'il avait constitué avec cette partie une société civile en vue del'exploiter (CA Paris, 23 mars 1995 : Rev. arb. 1996, p. 446). L'arrêt relève que "ces activités commune, mêmesans lien avec le litige, suscitait un doute raisonnable sur l'indépendance de l'arbitre et justifiait à tout le moinsune demande de récusation".

31. - Arbitrage corporatif - Il est en revanche moins certain que la solution soit identique lorsque l'arbitre etl'une des parties sont en relation habituelle à propos d'affaires différentes de celle qui est jugée par le tribunalarbitral. La question est posée dans les arbitrages corporatifs. Les arbitres sont le plus souvent des courtiers et desnégociants en relations permanentes d'affaires avec les parties. Ils sont de plus inscrits sur des listes ferméesd'arbitres établies par les institutions corporatives d'arbitrage (sur le débat, Th. Clay, op. cit., n° 356 s. - E. Loquin,JCl. Procédure civile, Fasc. 1002, Institutions d'arbitrage, n° 38 s. - M. Henry : Rev. arb. 2005, p. 720). Il estadmis que dans ce type d'arbitrage, "l'on ne saurait exiger pour l'arbitre corporatif un respect strict des règles quigouvernent l'indépendance de l'arbitre en général" (Th. Clay, op. cit., n° 359). La cour d'appel de Rouen a ainsijugé que "s'agissant d'un arbitrage professionnel, les arbitres sont nécessairement en relations d'affaires avec lespersonnes qui exercent leurs activités dans le même secteur économique, mais cette circonstance ne suffit pas àcaractériser un état de dépendance ou une partialité des arbitres" (CA Paris, 28 oct. 1998, préc. - TGI Paris,28 oct. 1988, 14 juin 1989, 29 juin 1989 et 15 juill. 1989 : Rev. arb. 1990, p. 497). La cour d'appel de Paris aégalement jugé que :

Les parties ne pouvaient méconnaître la spécificité de tels arbitrages confiés à des professionnels en tant qu'arbitres,lesquels sont nécessairement en relations d'affaires les uns avec les autres ou les uns contre les autres selon lescirconstances, sans que l'existence de telles relations d'affaires doive par principe, mettre en doute et même en cause leurindépendance et leur impartialité (CA Paris, 27 juin 2002 : Rev. arb. 2003, p. 427, note C. Legros).

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La même juridiction juge que :

Le seul critère de l'appartenance du président du tribunal arbitral au milieu professionnel du commerce qu'effectue la partiebénéficiaire de la sentence ne constitue pas une circonstance objective permettant d'établir en elle-même l'absenced'indépendance, alors que les commerçants de cette branche d'activité sont nécessairement en relations d'affaires commevendeur ou acheteur. Le recourant ne démontre en aucune manière que le président du tribunal arbitral a eu un intérêt à lasolution du litige soumis à l'arbitrage, une telle circonstance, si elle était avérée, étant propre à faire douter del'indépendance de l'arbitre pour juger la cause (CA Paris, 10 juin 2004 : Rev. arb. 2006, p. 154).

Trois enseignements doivent être tirés de cette jurisprudence. D'une part, en acceptant de soumettre leur litige aurèglement d'une institution d'arbitrage corporatiste, les parties acceptent d'être jugées par des arbitres entretenantdes relations d'affaires avec elles ou leurs adversaires, car ce fait est notoire. Dès lors le vice est purgé et ne peutêtre invoqué au cours de l'arbitrage. D'autre part, l'indépendance de l'arbitre ne peut être contestée que si des faitsparticuliers, distincts de la seule existence de relations d'affaires préexistantes, peuvent faire suspecterl'indépendance de l'arbitre. Enfin, il importe peu que l'une des parties n'appartienne pas au même milieuprofessionnel que son adversaire (CA Paris, 10 juin 2004, op. cit.), ce qui est plus discutable.

32. - Existence de communauté d'intérêt entre un arbitre et l'avocat de l'une des parties - La communautéd'intérêt peut être constatée également entre l'arbitre et le conseil de l'une des parties. Tel est le cas de l'arbitreassocié du conseil de l'une des parties (Cass. com., 16 juill. 1964 : Gaz. Pal. 1964, 2, p. 371). À l'inverse, il a étéjugé que la désignation d'un barrister anglais comme arbitre, alors qu'il était membre de la même chambre que leconseil de l'une des parties, ne viciait pas la constitution du tribunal arbitral dès lors que cette appartenance"caractérisée pour l'essentiel par la mise en commun de locaux et de collaborateurs, sans création de liensprofessionnels impliquant, telle, par exemple, l'association du droit français, des intérêts communs ou unequelconque dépendance économique ou intellectuelle" (CA Paris, 28 juin 1991 : Rev. arb. 1992, p. 568, noteBellet). L'arrêt paraît en revanche considérer à juste titre que la désignation d'un arbitre avocat associé du conseilde l'une des parties serait illicite en l'absence d'un consentement éclairé de l'autre partie.

33. - Existence d'une communauté d'intérêt entre plusieurs arbitres - Le problème se pose si plusieursmembres du même tribunal arbitral appartiennent au même cabinet d'avocats ou d'une façon plus lointaine aumême réseau regroupant plusieurs cabinets. On peut craindre alors que l'indépendance des arbitres, encommunauté d'intérêts, ne soit plus garantie. La cour d'appel de Paris a jugé que :

L'appartenance commune de deux arbitres au même réseau d'avocats ne porte pas atteinte à l'indépendance d'esprit desditsarbitres, les statuts du réseau d'avocats limitant l'objet de l'association à l'amélioration des moyens d'échange entre cabinets,à la réflexion sur l'exercice professionnel et à la réduction des coûts des achats de fournitures, matériels et documentations(CA Paris, 28 nov. 2002 : Rev. arb. 2003, p. 445, note Ch. Belloc).

Tout dépend en réalité de l'objet de l'intérêt commun. Dès lors que les cabinets membre du réseau ne sont pasintéressés d'une manière quelconque au résultat de l'arbitrage, l'indépendance d'esprit des arbitres est préservée.Dans le même ordre d'idées, la participation commune d'arbitres d'un même tribunal arbitral à des travauxscientifiques et à des colloques ayant pour objet le droit de l'arbitrage ne permet pas de conclure à un défautd'indépendance d'esprit des membres du tribunal arbitral (Cass. 1re civ., 29 janv. 2002 : Rev. arb. 2002, p. 208).

34. - Existence de liens de parenté entre l'arbitre et l'une des parties ou le conseil de l'une des parties - Lecas de récusation est prévu expressément par l'article 341 du Code de procédure civile. En application de ce texte,comme le juge, l'arbitre ne sera pas indépendant s'il est lui-même parent ou allié de l'une des parties ou de sonconjoint jusqu'au quatrième degré inclusivement, s'il y a eu procès entre lui et son conjoint et l'une des parties ouson conjoint (CA Paris, 8 mai 1970 : Rev. arb. 1970, p. 80. - Cass. 2e civ., 31 mars 1978 : Rev. arb. 1979, p. 457,note Ph. Fouchard). En matière d'arbitrage, le lien de parenté doit être compris extensivement, au-delà des limitesprévues par l'article 341 du Code de procédure civile. Ainsi, la cour d'appel de Paris a jugé que l'absence de

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révélation du mariage de l'arbitre avec la mère du conseil de l'une des parties ne permettait plus à l'autre partied'avoir la certitude de son indépendance et de son impartialité (CA Paris, 12 janv. 1999 : Rev. arb. 1999, p. 380).

b) Impartialité de l'arbitre

35. - Existence de faits objectifs faisant présumer l'impartialité de l'arbitre - La notion est compriserestrictivement. Visant un "état d'esprit", il est vrai qu'elle peut être particulièrement dangereuse pour la sécurité del'arbitrage. Aussi la jurisprudence rejette les griefs fondés sur le seul sentiment subjectif de l'une partie et non surdes faits concrets propres à justifier objectivement la partialité de l'arbitre. Les tribunaux ne retiennent commepreuve de la partialité que des faits objectifs faisant présumer celle-ci. Le cas habituel retenu concerne le risque depréjugé, caractérisé par l'existence, antérieurement à la désignation de l'arbitre, d'une décision de ce dernier portantsur un élément du litige. Ainsi l'arbitre est suspecté de partialité dès lors qu'il a donné un avis dans le cadre d'uneconsultation ayant pour objet le litige (Cass. 2e civ., 13 avr. 1972 : JCP G 1972, II, 17189, note P. Level. - CAVersailles, 14 nov. 1996 : RJDA 1997, n° 144). La participation de l'arbitre à deux arbitrages "parallèles", portantsur un même litige, mais opposant des parties en principe différentes, peut faire présumer le risque de préjugé.Ainsi en est-il de l'arbitre choisi par le maître de l'ouvrage dans le litige principal qui l'oppose à l'entrepreneur et quiest ensuite choisi de nouveau par la même partie dans l'appel en garantie qui l'oppose au sous-traitant (TGI Paris,réf., 13 janv. 1986 : Rev. arb. 1987, p. 63, note Bellet. - Cass. 1re civ., 16 mars 1999 : Rev. arb. 1999, p. 308), oude celui qui juge à la fois du litige opposant le créancier aux débiteurs principaux et celui opposant ces mêmescréanciers aux cautions (CA Paris, 14 oct. 1993 : JDI 1994, p. 446, note Loquin ; Rev. arb. 1994, p. 381, noteBellet).

36. - Préjugé - Les juridictions françaises ont posé des conditions très exigeantes pour que le grief de préjugé etdonc de partialité soit retenu : "Il n'y a ni prévention, ni préjugé lorsque l'arbitre est appelé à se prononcer sur unesituation de fait proche de celle examinée antérieurement, mais entre des parties différentes et encore moinslorsqu'il doit trancher une question de droit sur laquelle il s'est précédemment prononcé" (CA Paris, 14 oct. 1993,op. cit.). Cette affirmation est sans doute imparfaite. Si le complexe de faits et de droit est le même dans les deuxprocédures, le risque de préjugé existe même si les parties sont différentes. En revanche, si le complexe de fait estdifférent, peu importe que la même règle de droit soit applicable. La cour d'appel de Paris, postérieurement, a jugé"qu'il n'y a ni prévention, ni préjugé lorsque l'arbitre est appelé à statuer sur une situation proche de celle qu'il aexaminée dans une instance antérieure, mais entre des parties différentes et moins encore lorsqu'il doit tranchersur une question de droit sur laquelle il s'est déjà prononcé, dès lors qu'il n'est pas lié par ses propres précédents"(CA Paris, 20 oct. 1999 : Rev. arb. 2000, p. 299, note Ph. Grandjean). Il n'y aura pas non plus préjugé lorsquel'arbitre est désigné par la même partie pour juger de l'inexécution de contrats identiques par des parties différentes(TGI Paris, 22 févr. 1998 : RTD com. 1999, p. 851, obs. E. Loquin).

37. - Élimination des indices "sociaux" de partialité - Le droit français de l'arbitrage refuse que l'impartialité oula partialité de l'arbitre soit jaugée à l'aune de critères sociaux. En particulier, l'appartenance confessionnelle, lesopinions politiques, philosophiques et même juridiques de l'arbitre, voir la communauté de culture avec l'une desparties, ne peuvent permettre de mettre en doute son impartialité. Il est parfois soutenu en matière d'arbitrageinternational, lors de procédure de récusation que la partialité de l'arbitre peut être présumée en raison del'appartenance de celui-ci "au même ensemble politique, juridique ou économique" que l'adversaire du demandeur.Ces arguments sont rejetés tant par les juridictions des États que par les organes des institutions d'arbitrage chargésde juger les incidents de récusations (TGI Paris, réf., 22 et 28 juin 1987 : Rev. arb. 1988, p. 657, note Fouchard. -TGI Paris, réf., 18 janv. 1991, cité par Fouchard, Gaillard, Goldman, op. cit., n° 1037). De même, des signessociaux d'appartenance au même milieu professionnel ne peuvent présumer la partialité de l'arbitre. Ainsi, la courd'appel de Paris a jugé que le tutoiement utilisé entre un arbitre et l'une des parties en raison de leur appartenance àla même profession ne suffisait pas à mettre en cause l'impartialité de l'arbitre (CA Paris, 12 nov. 1998 : RTD com.1999, p. 371, note Loquin), de même, la fréquentation par l'arbitre de mêmes réunions scientifiques que l'avocat del'une des parties ou un autre membre du tribunal arbitral (V. supra n° 33).

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38. - Prise en considération du comportement de l'arbitre au cours de l'instance - La partialité de l'arbitrepeut-elle être déduite de son comportement pendant l'instance ? Le problème se pose lorsque l'arbitre, sanscommettre de violation des droits de la défense, manifeste un comportement hostile à l'une des parties. Cecomportement peut-il justifier la récusation de l'arbitre, voir la nullité de la sentence ?

Plus généralement, il existe un lien entre le principe d'égalité des parties et l'impartialité de l'arbitre (V. E. Loquin, Àla recherche du principe d'égalité dans l'arbitrage commercial international : Cah. arbitrage 2008, n° 2, p. 5 à 20).Des violations significatives et répétées du principe d'égalité des parties par le tribunal arbitral peuvent constituerdes faits concrets propres à caractériser la partialité du tribunal arbitral. Ainsi, la vérification du respect du principed'égalité par le tribunal arbitral serait un moyen de contrôler l'impartialité de l'arbitre. Jusqu'à présent, lesjuridictions françaises n'ont jamais expressément utilisé ce critère. On relèvera toutefois l'occasion peut être perduepar l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris, le 29 octobre 1996, quirejette la demande de récusation dirigée contre le président d'un tribunal arbitral bien qu'il avait témoigné une"franche hostilité" à l'égard de l'une des parties, en "écartant autoritairement certaines pièces produites par elle, eninterrompant les plaidoiries du conseil de cette partie, en s'exprimant par des termes inqualifiables sur l'attitude decette partie, en manifestant un parti pris en faveur de l'autre partie, en entretenant des rapports unilatéraux avecles conseils de l'autre partie, en critiquant la compétence et la nationalité de l'arbitre qu'elle avait désigné", etc.Ces faits n'étaient pas contestés devant le juge qui a pourtant estimé "qu'ils n'étaient pas de nature à fairelégitimement douter de l'indépendance de l'arbitre dès lors qu'ils ne révélaient ni une quelconque prévention ouanimosité envers les parties, ni un préjugé défavorable à l'égard de leurs prétentions" et "qu'en l'occurrence ilss'expliquaient par l'attitude dilatoire de la partie plaignante" (CA Paris, 29 oct. 1996, inédit, cité par Th. Clay,L'arbitre, n° 329). À tout le moins, quelles qu'en soient les raisons, ce comportement violait le principe d'égalité etrendait suspecte l'impartialité de l'arbitre. Le lien existant entre le principe d'égalité et l'exigence d'impartialité del'arbitre présente l'intérêt d'utiliser les manquements au principe d'égalité au soutien d'une demande de récusationd'un arbitre. Il permet ainsi d'éviter un recours en annulation dirigé contre la sentence, car l'absence d'utilisation dela voie de la récusation interdira ensuite à la partie inactive de se prévaloir de ce grief pour demander la nullité de lasentence.

La partialité de l'arbitre, conduisant à une rupture du principe d'égalité, est souvent invoquée lorsque l'une desparties se plaint d'avoir bénéficié de moins de temps que l'autre partie pour soutenir son argumentation (V.E. Loquin, Le calendrier de l'arbitrage : RTD com. 2006, p. 305 et De la bonne gestion de l'instance arbitrale parles arbitres : RTD com. 2007, p. 689). Il n'y a pas dans ces hypothèses d'atteinte évidente au principe de lacontradiction, car la recourante a pu présenter et défendre sa cause, mais dans de moins bonnes conditions que sonadversaire.

Dans un arrêt du 22 janvier 2004, la cour d'appel de Paris a jugé

qu'un décalage de sept jours au profit de l'une des parties, dans le calendrier de procédure, ne confère à celle-ci aucunavantage décisif, même si, par la nature des choses, le demandeur dispose de plus de temps que son adversaire pour lapréparation de ses arguments (CA Paris, 22 janv. 2004 : Rev. arb. 2004, p. 647, note E. Loquin).

Dans une autre décision, la cour d'appel de Paris juge que "les différents décomptes par jours proposés de manièregénérale et arbitraire par la recourante ne démontrent pas une inéluctable inégalité de traitement entre les parties,l'égalité procédurale ne supposant d'ailleurs aucun principe d'automaticité" (CA Paris, 15 juin 2006 : Rev. arb.2006, p. 1002, obs. Y. Garaud et Ch. H. de Taffin).

La même affirmation est faite par la cour d'appel de Paris, dans l'arrêt rendu le 23 juin 2005 (Bombardier TransportSwitzerland, inédit) : "l'égalité procédurale entre les parties n'exige en rien d'étendre à l'une la mesure prise àl'égard de l'autre, la preuve d'un déséquilibre de temps en faveur du demandeur créant pour la recourante uneviolation de ses droits procéduraux restant à faire". On aura compris que l'égalité ne se décline pas de manière

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arithmétique et qu'il interdit seulement des ruptures d'égalité "inéluctables" ou "décisives". Sa violation existe,comme l'a aussi jugé la cour d'appel de Paris, "lorsque le tribunal arbitral n'a pas offert à l'une des parties un délailui permettant de présenter sa cause dans des conditions qui ne la place pas dans une situation de net désavantagepar rapport à son adversaire" (CA Paris, 12 juin 2003 : Rev. arb. 2004, p. 894, note D. Bensaube). On aimeraitbien sûr en savoir plus et l'on en vient à douter de la positivité du principe. L'égalité ne serait-elle pas rompueseulement lorsque l'une des parties n'est plus en mesure de se défendre efficacement alors que l'autre partie a gardécette possibilité. Mais n'est-on pas alors sur le terrain du principe du respect du contradictoire et peut-on imaginerune rupture d'égalité qui serait sanctionnée sans violation de ce principe ? Constaté en cours d'instance, le griefpourrait justifier la récusation de ou des arbitres partiaux.

c) Garanties contre le défaut d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre

1) Obligation de révélation

39. - Distinction selon le moment où elles sont invoquées - Les garanties diffèrent selon le moment où lesdéfauts d'indépendance et d'impartialité sont dénoncés. Les garanties peuvent être paralysées dès l'instant qu'ilpeut être établi que les parties ont accepté d'être jugées en connaissance de cause par les arbitres dont la neutralitéest suspectée.

40. - Obligation de transparence de l'arbitre - L'article 1452, alinéa 2, du Code de procédure civile prévoitque "l'arbitre qui suppose en sa personne une cause de récusation doit en informer les parties. En ce cas, il nepeut accepter sa mission qu'avec l'accord des parties". Le texte impose aux arbitres une obligation de sincérité :celui-ci doit révéler aux parties toute cause supposée de récusation.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a jugé que l'obligation de déclaration de ces causes ne pouvait porterque sur des faits prévus par l'article 341 du Code de procédure civile qui énumère les causes de récusation desjuges étatiques (Cass. 2e civ., 14 nov. 1990 : Rev. arb. 1991, p. 75, note Ch. Jarrosson ; RTD com. 1992, p. 167,obs. Dubarry et Loquin. - Cass. com., 29 oct. 1991 : Bull. civ. 1991, IV, n° 313. - V. infra JCl. Procédure civile,Fasc. 1032).

Puis, la jurisprudence a conçu plus largement cette obligation dans la mesure où elle admet que certains faitsdoivent être révélés bien qu'ils ne constituent ni une cause de récusation de l'arbitre, ni un grief susceptible defonder la nullité de la sentence. Ce qui doit être révélé sont "toutes les circonstances de nature à affecter dansl'esprit des parties, l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre et non pas celles qui justifieront la récusation del'arbitre" (CA Paris, 2 juill. 1992 : Rev. arb. 1996, p. 411. - CA Paris, 23 mars 1995 : Rev. arb. 1996, p. 446 et544) ou encore "toutes circonstances de nature à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable surl'indépendance de l'arbitre" (Cass. 1re, 16 mars 1999 : Rev. arb. 1999, p. 308). Ainsi, l'objet de l'informationn'est pas le fait constituant une cause objective de récusation, mais celui qui peut faire douter, dans l'esprit desparties, de l'indépendance de l'arbitre. Le doute élargit le champ de la révélation. Même si celui-ci doit êtreraisonnable, le doute est relatif. Il est apprécié au regard de celui qui l'éprouve, à savoir l'une des parties à lacause. Il ne s'agit pas "d'un doute juridique", mais d'un doute psychologique, propre à la culture, à l'expérience, àla subjectivité de la partie concernée et que l'arbitre doit interpréter. Il en résulte que l'arbitre doit révéler tous lesliens, même non significatifs, qui l'unissent aux parties ou à leurs conseils, voire aux autres arbitres désignés, sansdevoir trier ceux qui constituent une cause de récusation et les autres. Comme l'a jugé très explicitement la courd'appel de Paris,

L'arbitre a l'obligation d'informer les parties de l'existence de liens matériels ou intellectuels constituant un risque certain deprévention à l'égard de l'une des parties à l'arbitrage ; toutefois, un manquement à cette obligation d'information n'entraînepas automatiquement l'annulation de la sentence ; il appartient alors au juge étatique de mesurer les effets de cette réticenceet d'apprécier si, à elle seule, ou rapprochée d'autres éléments de la cause, elle constitue une présomption suffisante dudéfaut d'indépendance alléguée (CA Paris, 12 janv. 1996 : Rev. arb. 1996, p. 428, note Fouchard).

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M. Clay écrit que "l'on ne peut accepter une révélation partielle, qui porterait inévitablement atteinte àl'apparence d'indépendance" (M. Clay, op. cit., n° 326). L'auteur justifie cet étonnant relativisme par l'idéeintéressante que "la révélation a pour objet de sécuriser l'instance arbitrale alors que la récusation a pourfonction de l'anéantir" (M. Clay, op. cit., n° 389). Nous nous demandons cependant avec l'arbitre de la"Révélation" de J.-D. Bredin "ce que peut donc être un risque certain de prévention, distinct par définition de sapossibilité, et même de sa probabilité" (J.-D. Bredin, op. cit., p. 354).

L'étendue de la révélation est cependant limitée par le caractère raisonnable du doute que peut susciter les faits àrévéler. Ainsi l'arbitre n'est pas tenu de révéler des pratiques sociales qui ont pu mettre en rapport celui-ci avecl'une des parties ou son conseil : dîner en ville, participation à des congrès, pratique confessionnelle, etc. La courd'appel de Paris a ainsi jugé

qu'à supposer que l'une des parties n'ait eu connaissance qu'après le prononcé de la sentence de la participation d'un desarbitres et du conseil d'une des parties à un colloque, cet événement témoignerait plutôt de l'excellence du choix duprésident effectué par les coarbitres au regard des questions qu'il devait juger ; le demandeur n'ayant rien à ajouter àl'insignifiance d'un tel fait qu'il a été rechercher au lieu d'exécuter la sentence, notamment pas sur la prévention que celaaurait pu entraîner sur le jugement de l'arbitre aux yeux d'un observateur raisonnable en tout cas, le président du tribunalarbitral n'avait aucune obligation de révéler l'existence d'un fait aussi mineur (CA Paris, 13 mars 2008 : Gaz. Pal. 3 juill.2008, p. 34).

41. - Conséquence de la mise en oeuvre de l'obligation de révélation - La révélation par l'arbitre de faits denature à créer chez l'une des parties un doute sur son indépendance a des effets radicaux en droit français.L'arbitre ne peut plus être désigné unilatéralement par l'une des parties. L'article 1456 du Code de procédure civileprévoit que dans ce cas, "l'arbitre ne peut accepter sa mission qu'avec l'accord des deux parties". C'est dire quechacune des parties peut s'opposer unilatéralement à la désignation de l'arbitre. La question est alors de savoir sice refus peut être contesté par l'autre partie, voir par l'arbitre, au motif que le fait révélé ne constitue pas une causede récusation. L'article 1444 du Code de procédure civile pourrait être le fondement d'un tel recours dès lors quel'on peut soutenir qu'il s'agit alors d'une difficulté affectant la constitution du tribunal arbitral susceptible d'êtreportée devant le juge d'appui compétent. Ce texte est en effet applicable, lorsqu'en l'absence de toute révélation,l'une des parties conteste l'indépendance de l'arbitre désigné par l'une des parties (CA Paris, 1er mars 2007 : Rev.arb. 2007, p. 643, qui juge que "l'opposition manifestée par une partie à la nomination d'un arbitre est bien unedifficulté de constitution du tribunal arbitral").

Mais, il est vrai, à l'opposé, que l'article 1456 du Code de procédure civile ne prévoit pas un tel recours et paraîtdonner à chacune des parties le droit discrétionnaire de s'opposer à la désignation de l'arbitre auteur de larévélation et il est certain que ce droit discrétionnaire existe si l'on admet que, même désigné unilatéralement parl'une des parties, l'arbitre doit être désigné en commun par les deux (V. supra JCl. Procédure civile, Fasc. 1032).Il est possible également d'interpréter l'article 1456 du Code de procédure civile comme imposant a minima quel'arbitre proposé par l'une des parties soit toujours désigné avec l'accord de l'autre s'il fait état d'un fait quelconquede nature à produire un doute sur son impartialité. Mais la solution provoque un malaise dès lors que le même faitnon révélé cette fois ne permettra pas de récuser l'arbitre s'il ne constitue pas une cause de récusation. N'est-ce pasinciter les arbitres à ne pas révéler de tels faits sachant que toute révélation, même de faits non susceptibles defonder une récusation, risque inéluctablement de l'éliminer du tribunal arbitral ? Pour cette seule raison, noussommes favorables à la possibilité d'un recours devant le juge d'appui pour que ce dernier puisse vérifier si le faitrévélé est susceptible de porter atteinte à l'indépendance de l'artbitre.

La solution est différente dans la pratique des institutions d'arbitrage lorsqu'il appartient à l'institution d'arbitragede confirmer la désignation des arbitres faite par les parties. En principe, il est prévu que l'institution d'arbitragedécide de confirmer ou de ne pas confirmer la désignation de l'arbitre une fois connues les révélations faites par cedernier. C'est l'institution d'arbitrage qui doit tirer les conséquences des révélations de l'arbitre. Si l'arbitre est

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cependant confirmé, les règlements prévoient le plus souvent qu'une procédure de récusation peut être engagéedevant l'organe compétent de l'institution d'arbitrage.

42. - Conséquences de l'existence d'un fait notoire non révélé par l'arbitre, rendant suspecte sonindépendance - La connaissance par l'une des parties d'un fait de nature à faire suspecter l'indépendance oul'impartialité de l'arbitre, même non révélé par lui, est de nature à supprimer les garanties prévues par la loi pourprotéger la partie victime de la partialité ou de la dépendance de cet arbitre, si celle-ci ne réagit pasimmédiatement. Si ce fait est connu au moment de la désignation de l'arbitre, cette partie doit le dénoncerimmédiatement et refuser la proposition de désignation. Quant aux modalités d'actions, une première solution estde récuser l'arbitre ainsi désigné. Littéralement, l'article 1463, alinéa 1er, du Code de procédure civile ouvre ledroit à récusation. La cause de la récusation est en effet connue depuis la désignation de l'arbitre, dans le mêmetemps que celle-ci. Une seconde solution serait, par analogie, d'admettre que la désignation de l'arbitre suspectésuppose l'accord des deux parties, comme si l'arbitre avait révélé lui même la cause de suspicion (en ce sens, CAParis, Ord., 27 mars 1983 : Rev. arb. 1983, p. 48, note B. Moreau). Telle est, en effet, la conséquence de larévélation par l'arbitre d'une cause de suspicion, au moment de sa désignation par l'une des parties. Contrairementà l'affirmation de certaines décisions (par ex., CA Paris, 23 mars 1995, préc.), il n'est pas nécessaire de notrepoint de vue d'ouvrir dans ce cas une procédure de récusation. Le simple refus de consentir à la désignation del'arbitre suffit pour la partie intéressée à écarter l'arbitre proposé par son adversaire. L'arbitre est suspecté departialité, et il est nécessaire que ce vice soit couvert par la volonté des deux parties. Reste à savoir si un tel refusest discrétionnaire, ou s'il peut être contrôlé par le président du tribunal sur le fondement de l'article 1444 du Codede procédure civile, à la demande du plaideur qui a proposé l'arbitre. Tel pourrait être le cas si ce dernierconsidère que le fait révélé par l'arbitre ne constitue pas un cas de récusation. Plus que jamais, ici, le recours aujuge d'appui nous paraît devoir être ouvert.

43. - Conséquence de l'absence de transparence de l'arbitre - Le manquement à l'obligation de sincéritéaffectera tantôt la constitution du tribunal arbitral, tantôt la validité de la sentence. Si la cause de récusation nonrévélée est découverte par l'une des parties après la désignation de l'arbitre, et avant que la sentence ne soitrendue, l'arbitre pourra être récusé (V. infra n° 44). Cependant tout manquement à l'obligation de révélation neconduit pas nécessairement à la récusation de l'arbitre qui a celé un fait de nature à faire douter de sonindépendance (CA Paris, 12 janv. 1996 : Rev. arb. 1996, p. 428. - CA Paris, 17 févr. 2005 : Rev. arb. 2005,p. 709. - Cass. 1re civ., 16 mars 1999 : Rev. arb. p. 308 ; RTD com. 1999, p. 850, obs. E. Loquin). La solution estlogique dès lors que le domaine de l'obligation de révélation s'étend au-delà du domaine de la récusation. Le jugede la récusation doit ensuite vérifier "si cette réticence, soit elle seule, soit rapprochée d'autres éléments de lacause, constitue une présomption suffisante, du défaut d'indépendance ou d'impartialité" (CA Paris, 29 janv. 2004et 17 févr. 2005 : Rev. arb. 2005, p. 709).

Si celle-ci n'est connue qu'après le prononcé de la sentence, la sentence pourra être annulée sur le fondement del'article 1484, alinéa 2, du Code de procédure civile, car le tribunal arbitral aura été irrégulièrement composé (V.infra n° 59).

2) Récusation de l'arbitre

44. - Définition - Elle est l'expression par une partie, selon la procédure prévue à cet effet, du refus pour unmotif légitime de voir un juge composer le tribunal appelé à statuer sur une affaire. Pour les instances engagéesdevant le tribunal étatique, le Code de procédure civile en régit la matière aux articles 341 et suivants. Larécusation ne peut être admise que pour les seules causes déterminées par la loi, mais toutes les causes légalessont recevables pourvu qu'elles soient invoquées avant la clôture des débats. La procédure de la récusations'impose également dans l'arbitrage. Comme l'énonce la cour d'appel de Paris (CA Paris, 8 mai 1970 : D. 1970,p. 635, note J. Robert), "les arbitres étant les juges du litige qui leur est déféré, l'indépendance d'espritindispensable à l'exercice d'un pouvoir juridictionnel, quelle qu'en soit la source, est l'une des qualitésessentielles des arbitres, les soumettant aux mêmes causes de récusation que les membres des juridictions

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étatiques". Mais l'origine contractuelle de l'arbitrage impose que les règles de la récusation judiciaire soientsoumises à des adaptations.

45. - Causes de récusation - En matière d'arbitrage, les causes de récusation ne se limitent pas aux causeslégales énoncées par l'article 341 du Code de procédure civile. Il est vrai que la Cour de cassation admet que,même pour les juges, "l'article 341 du Code de procédure civile, qui prévoit limitativement huit cas de récusation,n'épuise pas l'exigence d'impartialité requise de toute juridiction" (Cass. 1re civ., 28 avr. 1998 : JCP G 1999, II,10102, 2e esp., note J. Pralus-Dupuy).

A fortiori, l'élargissement des causes légales vaut pour les arbitres. La Cour de cassation a pourtant d'abord jugéque les causes de récusation des arbitres ne pouvaient être que celles énumérées à l'article 341 du Code deprocédure civile (Cass. 2e civ., 14 nov. 1990 : Rev. arb. 1991, p. 75, note Jarrosson ; RTD com. 1992, p. 167, obs.J.-C. Dubarry et E. Loquin. - Cass. com., 29 oct. 1991 : Rev. arb. 1996, p. 398). Cette jurisprudence n'était passans mérite. Sortir d'une liste de causes légales de récusation, c'est laisser l'arbitre, puis le juge appréciersubjectivement l'existence de celles-ci. C'est donc laisser la place à des différences d'appréciation. Lesconséquences risquent d'être redoutables. Tel arbitre ne croira pas que tel fait peut faire suspecter son impartialitéet ne le déclarera pas aux parties au moment de sa désignation. Une fois l'instance engagée, et ce fait connu, l'undes plaideurs y trouvera un motif de récusation qui pourra prospérer devant le juge, ou attendre le prononcé de lasentence pour en demander la nullité. On comprend alors que l'on puisse vouloir que, pour l'arbitre, comme pourle juge de la récusation et celui du recours en annulation, les motifs susceptibles de faire suspecter l'indépendancede l'arbitre soient les mêmes. Mais, en imposant à l'arbitre de déclarer tout fait, même non prévu par ce texte, s'ilest susceptible de faire douter de son indépendance, la jurisprudence a dû nécessairement admettre que d'autrescauses de récusation que celles prévues à l'article 341 du Code de procédure civile pouvaient justifier la récusationd'un arbitre (en ce sens, Fouchard, Le statut de l'arbitre dans la jurisprudence française : Rev. arb. 1996, p. 355,n° 61. - Th. Clay, op. cit., n° 432 s.).

La Cour de cassation est revenu sur sa jurisprudence antérieure lorsqu'elle a jugé le 28 avril 1998 (Cass. 1re civ.,28 avr. 2008 : Bull. civ. 2008, I, n° 155 ; RTD com. 1999, p. 371, obs. E. Loquin), que l'article 341 du Code deprocédure civile "n'épuise pas nécessairement l'exigence d'impartialité requise de toute juridiction". Depuis, lajurisprudence admet des cas de récusation non prévus par l'article 341 du Code de procédure civile (CA Paris,30 nov. 1999 : Rev. arb. 2000, p. 299. - CA Paris, 29 janv. 2004 : Rev. arb. 2005, p. 709). La cour d'appel deParis, juge "qu'il appartient au juge de fonder sa décision sur l'appréciation de faits objectifs et concrets quiintroduisent un doute légitime sur l'indépendance de ce dernier" (CA Paris, 10 juin 2004 : Rev. arb. 2006,p. 154). Pour cette dernière raison, la demande de récusation ne peut concerner qu'un arbitre ou plusieurs d'entreeux désignés individuellement. C'est ainsi que le président du tribunal ne peut statuer que sur les seuls cas derécusation individuelle et non sur une demande de rejet en bloc de toutes les personnes inscrites sur la liste desarbitres d'une institution d'arbitrage, ou sur une demande de récusation de l'ensemble du tribunal arbitral, fondéesur une critique globale de ses conditions de désignation (TGI Paris, 28 oct. 1988 : Rev. arb. 1990, 1re esp.,p. 497).

46. - Causes de récusation survenue avant la désignation de l'arbitre - Lorsque le juge est imposé auxparties, il est logique que celles-ci puissent le récuser pour toute cause légale, même survenue antérieurement audébut de l'instance. Le particularisme de l'arbitrage impose, au contraire, que la récusation soit écartée dès l'instantque la cause de suspicion est antérieure à la désignation de l'arbitre. Les parties, en acceptant, malgré laconnaissance de cette cause, la personne de l'arbitre, ont renoncé à l'invoquer. Aussi l'article 1463 du Code deprocédure civile dispose-t-il "qu'un arbitre (...) ne peut être récusé que pour une cause de récusation qui (...)serait survenue depuis sa désignation". La règle est confortée par celle posée par l'article 1452, alinéa 2, du Codede procédure civile qui énonce que "l'arbitre qui suppose en sa personne une cause de récusation doit en informerles parties". Il en résulte que les parties ne peuvent opposer le défaut d'indépendance de l'arbitre lorsqu'elles ontaccepté sa nomination en connaissance de cause. L'article 1452 du Code de procédure civile le prévoitexpressément dès lors qu'il dispose que les parties peuvent accepter d'un commun accord la désignation d'un

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arbitre qui les a informées d'une cause de récusation supposée en sa personne (pour une illustration, TGI Paris,ord. réf., 5 juill. 1995 : Rev. arb. 1996, p. 530 : arbitre ayant averti les parties qu'il avait consulté sur le dossier).Mais, plus généralement, les tribunaux ont jugé que le caractère notoire du lien de dépendance obligeait la partieconcernée, même non expressément informée par l'arbitre, à le récuser, faute de quoi, le vice affectant laconstitution du tribunal arbitral ne pourra plus être invoqué au soutien d'un recours dirigé contre la sentence(Cass. 2e civ., 25 mars 1999 : RTD com. 1999, p. 372, obs. E. Loquin. - CA Paris, 12 janv. 1995 : Rev. arb. 1996,p. 72. - Cass. com., 29 mars 1994 : Rev. arb. 1996, p. 527. - CA Paris, 12 déc. 1996 : Rev. arb. 1998, p. 699. - CAParis, 28 nov. 2002 : Rev. arb. 2003, p. 445. - V. aussi L. Cadiet, La renonciation à se prévaloir des irrégularitésde la procédure arbitrale : Rev. arb. 1996, p. 3).

47. - Cause de récusation révélée postérieurement à la désignation de l'arbitre - L'article 1463 du Code deprocédure civile prévoit également que l'arbitre peut être récusé pour une cause de récusation "qui se seraitrévélée depuis sa désignation". Le texte prend en compte deux situations. Dans la première hypothèse, la cause derécusation est née une fois le tribunal arbitral constitué. Dans la seconde, la cause de récusation est antérieure à laconstitution du tribunal arbitral, mais a été connue postérieurement à celle-ci. Tel est le cas lorsque l'arbitre amanqué à son obligation de transparence. Si l'arbitre cèle la cause de suspicion, la récusation sera alors possiblejusqu'à la date du délibéré, dès l'instant, qu'aux termes de l'article 1463 du Code de procédure civile, elle se serarévélée depuis sa désignation.

Mais, la réaction de la partie intéressée devra être immédiate. La jurisprudence a développé le principe selonlequel chaque fois que l'une des parties a connaissance d'une irrégularité, elle doit l'invoquer dans les meilleursdélais durant l'arbitrage à peine d'être privée de la possibilité de s'en prévaloir ultérieurement. Cette règle a étéjustifiée par la Cour de cassation par le principe de l'estoppel connu de la common law, acclimaté dans l'ordrejuridique français même en matière d'arbitrage interne (Cass. 1re civ., 6 juill. 2005 : Rev. arb. 2005, p. 995, notePh. Pinsolle ; D. 2005, p. 3059, note Th. Clay ; RTD com. 2006, p. 309, obs. E. Loquin. - CA Paris, 7 févr. 2008 :Rev. arb. 2008, p. 501, note J.-B. Racine). Appliquée à la question de l'indépendance de l'arbitre, la règle faitobstacle à la recevabilité de l'action en récusation d'une partie, qui "après s'être interrogée sur l'indépendanced'un arbitre dans un courrier adressé aux arbitres, n'a introduit la requête en récusation devant le juge d'appuique plus d'un an après" (CA Paris, 7 févr. 2008, op. cit., - V. également CA Paris, 10 avr. 2008 : Rev. arb. 2008,p. 342). Il s'agit de lutter, comme l'écrit M. J.-B. Racine (note préc.), contre le comportement des parties "qui setiennent en embuscade" et qui s'abstiennent de relever une irrégularité procédurale pour mieux l'invoquer ensuite,en particulier lorsque l'arbitrage tourne mal pour leurs intérêts. En ne contestant pas immédiatementl'indépendance de l'arbitre, la partie a en réalité renoncé à invoquer ce grief par la suite. La conséquence est quel'indépendance de l'arbitre doit être contestée, dès le moment où elle est suspectée, "chaque fois que cela étaitpossible" (CA Paris, 22 févr. 2007 : Rev. arb. 2007, p. 142).

48. - Irrecevabilité de l'action en récusation après la fin de l'instance arbitrale - Agissant comme un filtredestiné à purger le tribunal arbitral d'un vice de constitution, l'action en récusation ne peut être exercée que tantque dure l'instance arbitrale. Après son expiration, elle devient inutile (CA Paris, 27 oct. 2007 : Rev. arb. 2007,p. 348). Une certaine anarchie règne en jurisprudence quand il s'agit de fixer l'ultime moment de l'instance.Certaines décisions retiennent le moment de la clôture des débats (TGI Paris, ord. réf., 27 sept. 1995, inédit, citépar Th. Clay, op. cit., n° 430). Cette solution s'appuie sur l'article 342, alinéa 2, du Code de procédure civile quiénonce que "la demande de récusation ne peut être formée après la clôture des débats". En matière d'arbitrage, laclôture des débats intervient, aux termes de l'article 1468 du Code de procédure civile, à la date, fixée par l'arbitre,à laquelle l'affaire est mise en délibéré. La solution n'est pas heureuse, car elle interdit de purger la procédure d'unvice qui affectera la validité de la sentence à un moment où celle-ci n'est pourtant pas encore rendue. Il est trèspréférable d'empêcher sa reddition et de d'ouvrir l'action en récusation pendant le délibéré arbitral et jusqu'aumoment où la sentence est rendue (en ce sens, implicitement, TGI Paris, ord. réf., 1er avr. 1993 : Rev. arb. 1993,p. 445, note P. Bellet. - CA Paris, 7 févr. 2008 : Rev. arb. 2008, p. 501). La récusation in extremis vaut toujoursmieux que l'annulation de la sentence. Une fois passé cette date, la récusation étant impossible, la cause de

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suspicion pourra affecter la validité de la sentence.

49. - Partie pouvant agir en récusation de l'arbitre - En principe, l'action en récusation est ouverte au bénéficede la partie qui conteste l'indépendance de l'arbitre. La Cour de cassation a cependant admis que la partie, quiavait désigné l'arbitre, pouvait demander au juge d'appui, à titre préventif, de juger que cet arbitre ne pouvait êtrerécusé (Cass. 2e civ., 23 janv. 2007 : Rev. arb. 2007, p. 284, note E. Teynier). Lassé d'être confronté à lacontestation par son adversaire de l'indépendance de l'arbitre qu'il avait désigné et qui justifiait aux yeux de sonadversaire la non-participation de ce dernier aux opérations d'arbitrage, le demandeur avait saisi, à l'invitation duprésident du tribunal arbitral, le juge d'appui afin d'obtenir la confirmation de l'arbitre qu'il avait désigné. Le juged'appui ayant donné droit à cette demande, sa décision avait fait l'objet d'un appel nullité pour excès de pouvoir aumotif qu'il n'existait aucune disposition légale ou conventionnelle conférant au juge le pouvoir de confirmer unarbitre. L'appel ayant été rejeté et ayant fait l'objet d'un pourvoi fondé sur le même motif, celui-ci est à son tourrejeté au motif que le juge d'appui a statué "dans les limites des pouvoirs qu'il tient de la loi et de la conventiondes parties". La solution élargit les pouvoirs du juge d'appui, qui, en l'espèce, n'était pas formellement saisi d'unedifficulté de constitution du tribunal arbitral, car le tribunal arbitral était déjà constitué, ni d'une demande derécusation de l'arbitre, mais de son contraire, la confirmation de sa désignation. La solution doit être approuvéecar elle permet de purger l'instance arbitrale d'un vice latent, agité par l'une des parties, qui contestaitl'indépendance de l'arbitre, tout en n'engageant pas d'action en récusation, se réservant ainsi la possibilité d'ungrief pouvant être invoqué, une fois la sentence rendue, dans le cadre d'un recours en annulation dirigé contre lasentence. Comme le relève Maître Teynier, "la demande de confirmation visait simplement, en raison des doutessubsistant sur les qualités d'indépendance ou d'impartialité de l'arbitre, à instaurer devant le juge d'appui unediscussion sur l'existence d'une éventuelle cause de récusation de celui-ci".

50. - Juge compétent - L'article 1463, alinéa 2, du Code de procédure civile dispose que les difficultés relativesà l'application du droit de récusation sont portées devant le président du tribunal compétent. Il s'agit, soit duprésident du tribunal de grande instance, soit de celui du tribunal de commerce lorsque la convention d'arbitragel'a expressément désigné. Il convient en effet de faire application en la matière de l'article 1444, alinéa 2, qui fixede manière générale la compétence d'attribution du juge appelé à statuer sur les difficultés survenant à l'occasionde la désignation de l'arbitre. La compétence territoriale du juge saisi sera déterminée par les règles del'article 1457 qui renvoie expressément au cas de la récusation de l'article 1463. Le président compétent sera donccelui du tribunal qui a été désigné par la convention d'arbitrage, ou à défaut, celui dans le ressort duquel cetteconvention a situé les opérations d'arbitrage. Dans le silence de la convention, le président compétent sera celui dutribunal du lieu où demeure le ou l'un des défendeurs à l'incident.

51. - Incompétence du juge d'appui en cas d'arbitrage institutionnel - La compétence attribuée à lajuridiction présidentielle soulève une autre question. Interdit-elle à une institution d'arbitrage, ou plusgénéralement à un tiers préconstitué qui peut être une personne physique, de trancher sur le contentieux de larécusation ? Il est fréquent que les règlements de ces institutions prévoient que cette mission puisse leur êtreconfiée par les parties.

La doctrine hésitait quant à la qualification qui pouvait être donnée à l'intervention de l'organe chargé de tranchersur la récusation. Dans une première opinion, on peut considérer que le tiers préconstitué a été désigné en qualitéd'arbitre pour trancher l'éventuel incident sur la composition du tribunal. Dans une seconde opinion, on peutdouter que ce tiers puisse tantôt être désigné comme mandataire commun des parties (pour proroger le délaid'arbitrage par exemple, V. supra n° 81 s.), tantôt comme un arbitre (pour régler l'incident sur la récusation). Cetteréserve n'est pas déterminante, car la nature de la mission du tiers dépend dans chaque cas de la volonté desparties (V. sur cette question, B. Oppetit, Sur le concept d'arbitrage. Le Droit des relations internationales, Litec,1982, n° 229). En la matière, il est certain que le tiers saisi d'une demande de récusation, tranche une contestation,la récusation n'ayant pu s'effectuer à l'amiable. Il appartient au tiers saisi de vérifier le bien-fondé de la prétentionde la partie demanderesse qui invoque un cas de récusation, contesté par l'arbitre qui refuse de se démettre (sur lescritères de l'acte juridictionnel, V. H. Motulsky, Écrits, t. II, p. 6 s.).

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Aussi est-il tentant de soutenir le caractère juridictionnel de la décision de l'institution arbitrale qui tranche sur lademande de récusation. La jurisprudence paraît avoir hésité. Un arrêt de la cour d'appel de Paris (CA Paris,15 mai 1985 : Rev. arb. 1985, p. 141) a ainsi pris soin de vérifier que "la cour d'arbitrage avait exposéminutieusement les manquements retenus à son encontre dans une lettre qu'elle avait adressée à l'arbitre récusé",et qu'il existait donc en l'espèce "des documents servant d'équivalents à la motivation". N'est-ce pas, en imposantla motivation de la décision, reconnaître du même coup son caractère juridictionnel ? Plus explicitement encore, leprésident du tribunal de grande instance de Paris a jugé "qu'en matière de récusation d'un arbitre, la décisionparticipe de la fonction de juger dès lors qu'elle a pour objet de trancher un différend", et "que l'appréciationd'une contestation élevée à l'encontre de la personne de l'arbitre impose comme pour toute décisionjuridictionnelle le respect des principes essentiels de la contradiction et des droits de la défense" (TGI Paris,23 juin 1988 : Rev. arb. 1988, p. 657).

La Cour de cassation a jugé, au contraire, que "la décision portant sur une demande de récusation rendue par lacour d'arbitrage de la chambre de commerce internationale, laquelle avait seulement été chargée d'organiserl'arbitrage et ne remplissait pas de fonction juridictionnelle, ne peut être qualifiée de sentence arbitrale" (Cass.2e civ., 7 oct. 1987 : Rev. arb. 1987, p. 479, note Mezger. - V. aussi CA Paris, 15 janv. 1985 : Rev. arb. 1986,p. 87, note Mezger. - TGI Paris, 28 mars 1984 : Rev. arb. 1985, p. 141. - Cass. 2e civ., 7 oct. 1987 : Rev. arb.1987, p. 479). La solution s'impose dès lors que l'article 1451 du Code de procédure civile n'autorise pas lesparties à confier la mission d'arbitre à des personnes morales. Elle reste à notre avis discutable, eu égard à lastructure de l'acte de récusation, lorsque le tiers préconstitué est une personne physique. Mais l'on comprend quela Cour de cassation n'ait pas voulu étendre à l'infini le contentieux pré-arbitral. Admettre la naturejuridictionnelle de l'intervention du tiers, c'est ouvrir contre sa décision par voie de conséquence les voies derecours dirigées contre les sentences (sur l'ensemble de la discussion, V. Fouchard, Les institutions d'arbitragedevant le juge étatique : Rev. arb. 1987, p. 225).

Force est donc de conclure que le tiers personne physique ou morale institué pour décider de la récusationn'exerce qu'une fonction de nature contractuelle. Il en résulte que l'organe de l'institution n'a pas l'obligation derespecter le principe de la contradiction (CA Paris, 15 janv. 1985 : Rev. arb. 1985, p. 141, note Fouchard), ni dedonner les motifs de la décision (TGI Paris, ord. réf., 28 mars 1984 : Rev. arb. 1985, p. 141, note Fouchard) etsurtout, qu'aucune voie de recours n'est ouverte devant le juge contre la décision de cet organe (CA Paris, 15 janv.1985, préc.).

Cette qualification étant admise, se pose alors le problème de la compatibilité de cette fonction avec celleconcurrente du président du tribunal de grande instance. Les premiers commentateurs du décret du 14 mai 1980hésitèrent à se prononcer sur la validité de cette mission. Seul M. Delvolvé se prononça sans restriction en faveurd'une telle concurrence au motif que "l'article 1463, alinéa 2, n'est pas au nombre des règles édictées qui doiventêtre observées à peine de voir la convention contraire réputée non écrite" (L'intervention du juge dans le décretdu 14 mai 1980 relatif à l'arbitrage : Rev. arb. 1980, p. 619). Les autres auteurs, tout en relevant la pertinence del'argument, estimèrent "que la procédure du droit commun était susceptible de donner aux parties plus degarantie" (J. Robert, op. cit., n° 146), et doutèrent de la validité de la procédure de récusation confiée à un tierspréconstitué. Ils invoquèrent l'article 1459 du Code de procédure civile qui énonce que "toute disposition ouconvention contraire aux règles édictées par le chapitre II est réputée non écrite". Or, dans ce chapitre figurel'article 1457 du Code de procédure civile qui règle les modalités générales de la compétence du président dutribunal de grande instance lorsqu'il intervient comme auxiliaire de la procédure arbitrale. Il est vrai égalementque l'ancien article 83-4° du Code de procédure civile comprenait parmi les causes communicables au ministèrepublic, et comme telles soustraites à l'arbitrage, celles qui concernaient "les règlements de juges, les récusations etrenvois pour parenté et alliance". La doctrine s'interrogeait sur le point de savoir si la récusation des arbitres étaitcommunicable comme celle des juges, et penchait en faveur d'une réponse négative (Garsonnet et Cézar-Bru, op.cit., n° 258, note 6). Cette solution s'impose sous l'empire du Code de procédure civile, l'article 425 énonçant quele ministère public doit avoir communication des affaires dans lesquelles la loi dispose qu'il doit faire connaître

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son avis. Or en l'absence de toute disposition expresse énonçant la compétence exclusive du président du tribunalde grande instance en matière de récusation, rien n'interdit à notre avis aux parties de soustraireconventionnellement la matière litigieuse à la compétence du juge. De plus, la nature différente de la mission dutiers préconstitué et de celle du président du tribunal de grande instance interdit de poser la question en terme deconcurrence de compétence.

Ainsi n'est-il pas surprenant de constater que la jurisprudence s'est prononcée massivement en faveur de lapossibilité pour un tiers préconstitué de récuser un arbitre, si telle est la mission que lui ont confiée les parties(TGI Paris, 28 oct. 1983 : Rev. arb. 1985, p. 151. - TGI Paris, 28 mars 1984 : Rev. arb. 1985, p. 141 ; RTD civ.1984, p. 550, obs. J. Normand. - CA Paris, 15 mai 1985 : Rev. arb. 1985, p. 141. - TGI Paris, 23 juin 1988 : Rev.arb. 1988, p. 657, note Fouchard qui juge "qu'il n'a pas été attribué aux juridictions étatiques une compétenceexclusive et dérogatoire de la volonté des parties pour connaître de toute demande de récusation". - V. aussi TGIParis, 1er avr. 1993 : Rev. arb. 1993, p. 455, note P. Bellet). Il en résulte que le juge étatique doit déclarer sonincompétence pour statuer sur l'incident de récusation et respecter la volonté des parties de confier à l'institutiond'arbitrage la mission de le faire (TGI Paris, ord. réf., 1er avr. 1993 : Rev. arb. 1993, p. 455. - CA Paris, 15 mai1985 : Rev. arb. 1985, p. 141. - CA Paris, 18 nov. 1987 et CA Paris, 4 mai 1988 : Rev. arb. 1988, p. 657).

S'agissant d'une solution contractuelle, le juge étatique ne peut exercer son contrôle sur la décision du tierspréconstitué. Comme l'a jugé la cour d'appel de Paris, le 15 mai 1985 (CA Paris, 15 mai 1985 : Rev. arb. 1985,p. 141), "la demande tendant à l'annulation de la décision de la cour d'arbitrage ne peut être que déclaréeirrecevable sans qu'il y ait lieu de rechercher si une telle décision présente ou non un caractère juridictionnel"(également CA Paris, 15 janv. 1985 : Rev. arb. 1986, p. 97, note Mezger). En revanche, il nous paraît qu'en casd'inaction du tiers préconstitué qui n'exécuterait pas la mission à lui confiée, la compétence du juge étatiquepourrait renaître pour statuer sur l'incident de récusation (en ce sens, implicitement TGI Paris, 28 mars 1984 :Rev. arb. 1985, p. 141. - Contra CA Paris, 15 mai 1985, préc.).

Il est en revanche incontesté qu'un contrôle a posteriori, portant sur la sentence, reste possible (en ce sens, CAParis, 15 mai 1985, préc. qui relève que le plaideur mécontent de la décision de la cour d'arbitrage pourra toujoursexercer contre la sentence arbitrale à venir l'un des recours prévus par les articles 1502 à 1504 du Code deprocédure civile). La sentence pourrait en effet être annulée si le tiers saisi de la récusation a refusé de donnerdroit à la demande de récusation, alors qu'une cause incontestable de récusation existait et qu'elle aliénaitl'indépendance de l'arbitre. La sentence pourra être annulée soit pour violation des droits de la défense, soit pournullité de la convention d'arbitrage en raison d'une erreur sur les qualités substantielles de l'arbitre, soit pourconstitution irrégulière du tribunal arbitral (V. Fouchard, Les institutions permanentes d'arbitrage devant le jugeétatique : Rev. arb. 1987, p. 225).

52. - Saisine du juge de la récusation - L'article 1457 du Code de procédure civile, faisant référence àl'article 1463 du même code, prévoit que le juge peut être saisi par chacune des parties, mais aussi par le tribunalarbitral. En matière de récusation, cette dernière possibilité doit être à notre avis à éviter, car il appartient àchaque partie d'apprécier l'opportunité de demander la récusation de l'arbitre suspecté, dès lors qu'elles peuventrenoncer à exercer leur droit de récusation.

53. - Procédure comme en matière des référés - Devant le juge d'appui, la procédure ne sera pas celle del'article 341 du Code de procédure civile, suivie en matière judiciaire, mais celle de la procédure de référé àlaquelle renvoie l'article 1457, alinéa 1er. Le juge étant saisi "comme en matière de référés", cette formulation nedoit pas tromper. Elle ne signifie pas que la compétence du juge d'appui est subordonnée à une conditiond'urgence ou d'absence de contestation sérieuse. De plus, loin d'être une décision provisoire, la décision duprésident a l'autorité de la chose jugée. C'est dire que la saisine du juge d'appui est faite selon les formes de laprocédure des référés, mais qu'il ne s'agit pas d'une procédure des référés.

Le juge étant saisi comme en matière des référés, la procédure sera contradictoire. Le juge d'appui doit être saisi

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par voie d'assignation. La saisine par voie de requête unilatérale est prohibée et les parties ne peuvent y dérogerpar une clause contraire, clause parfois stipulée dans la convention d'arbitrage (Cass. 2e civ., 19 mai 1999 : Rev.arb. 1999, p. 593, note A. Hory). La sanction normale est l'irrecevabilité de la demande. L'assignation n'est pasdirigée contre l'arbitre dont la récusation est demandée, mais contre l'autre partie à l'arbitrage. Le juge peutdécider d'entendre les arbitres oralement (TGI Paris, ord. réf., 9 mai et TGI Paris, ord. réf., 19 juin 1984 : Rev.arb. 1985, p. 181), ou solliciter des explications écrites (TGI Paris, ord. réf., 3 avr. 1985 : Rev. arb. 1985, p. 170).

La décision de récusation sera rendue à l'issue d'un débat contradictoire. S'agissant d'une procédure contentieuse,la décision devra être motivée.

54. - Voies de recours - L'article 1457, alinéa 1er, du Code de procédure civile énonce que la décision quel'ordonnance du juge d'appui n'est pas susceptible de recours. Mais, la Cour de cassation a autorisé les plaideurs àcontester les ordonnances non susceptibles de recours par la voie de recours prétorienne de l'appel-nullité, encoredénommée de manière plus heureuse recours pour excès de pouvoir (sur cette voie de recours, V. G. Bolard,L'appel-nullité : D. 1988, chron. p. 177. - O. Barret, L'appel-nullité dans le droit commun de la procédure civile :RTD civ. 1990, p. 1999. - Ph. Gerbay, Les effets de l'appel nullité, voie d'annulation : D. 1993, p. 143. - Sur sonouverture dans le droit de l'arbitrage, V. D. Foussard, Le recours pour excès de pouvoir dans le domaine del'arbitrage : Rev. arb. 2002, p. 579 ; Retour sur l'excès de pouvoir en matière d'arbitrage, vers une consolidationdes règles : Rev. arb. 2004, p. 803. - Sur les cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir, V. JCl. Procédurecivile, Fasc. 1022, n° 79). La Cour de cassation a d'abord admis implicitement l'ouverture du recours (Cass.2e civ., 18 déc. 1996 : Rev. arb. 1996, p. 361, note A. Hory). Le principe a été, ensuite, reconnu expressémentdans un arrêt rendu par cette même juridiction en date du 21 janvier 1998 (Cass. 2e civ., 21 janv. 1998 : Rev. arb.1998, p. 113, note A. Hory).

Ce recours doit être exercé dans le délai prévu en matière de contredit, c'est-à-dire dans les quinze jours àcompter du prononcé de l'ordonnance (CPC, art. 82), à la condition que les parties en aient connaissance, à défautau jour où elles en ont eu connaissance (Cass. 2e civ., 21 janv. 1998 : Rev. arb. 1998, p. 113, note A. Hory). Leplus souvent, le point de départ du délai sera le jour de la signification de l'ordonnance par son bénéficiaire à sonadversaire. La signification n'a pas à indiquer les délais et les modalités de l'exercice de la voie de recours, ladécision étant en principe insusceptible de recours (rappr. CA Paris, 25 avr. 1977 : Rev. proc. coll. 1997, p. 404,n° 34, obs. Cadiou).

La forme de l'appel-nullité est celle du contredit dont il emprunte le régime (en ce sens, A. Hory, note préc. -G. Bolard, L'appel-nullité, op. cit., p. 80). Le recours sera reçu, si par exemple, le juge refuse de trancherl'incident de récusation au motif que la clause d'arbitrage est nulle ou inexistante, alors qu'elle ne l'est pasmanifestement, ou, si le juge désigne l'arbitre remplaçant à la place de la partie à qui la clause compromissoiredonne pouvoir de le désigner. Il a été enfin jugé que le recours pour excès de pouvoir était recevable lorsque lejuge d'appui empiétait sur la compétence d'un autre juge étatique par exemple celui désigné par les parties dans laconvention d'arbitrage.

Le pourvoi en cassation est également fermé lorsque la voie de l'appel n'est pas ouverte (Cass. 2e civ,. 7 déc.2000 : Rev. arb. 2002, p. 689). La solution est conforme au droit commun. Une jurisprudence ancienne etconstante de la Cour de cassation énonce que la compétence de la Cour de cassation cesse dans le cas d'uneexception expresse et formelle de la loi (Cass. civ., 12 mai 1812 : Dalloz, jurispr. gén., V° Cassation, n° 94). Laformule "sans recours" ou "non susceptible de recours" a toujours été comprise comme fermant non seulement lesvoies de recours ordinaires, mais aussi les voies de recours extraordinaires (en ce sens, note S. Guinchard : Rev.arb. 1990, p. 142 et les références. - Pour une application en matière de récusation : Cass. 1re civ., 22 nov. 1989 :Rev. arb. 1990, p. 142, note S. Guinchard. - Cass. 2e civ., 7 déc. 2000 : Rev. arb. 2002, p. 689).

55. - Autorité de la chose jugée de la décision du juge de la récusation - La décision du juge de la récusationa l'autorité de la chose jugée. Celle-ci interdit qu'ensuite, si la demande de récusation est rejetée, la sentence soit

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annulée en raison d'une constitution irrégulière du tribunal arbitral fondé sur le constat que l'arbitre n'était pasindépendant ou impartial en raison des mêmes faits. La cour d'appel de Paris a jugé que

La décision du président statuant en vertu des dispositions de l'article 1457 du Code de procédure civile, et décidant que lacomposition du tribunal arbitral est régulière, est insusceptible de recours, et a irrévocablement statué sur l'indépendance del'arbitre, question qui ne peut plus être rejugée par le moyen du recours en annulation, dès lors que l'objet de la contestationest identique quant à l'appréciation des causes de récusation, et que l'intervention du juge étatique dans le processus deconstitution du tribunal arbitral a eu pour effet, en réglant, sans recours possible, les contestations portant sur la qualité desarbitres, d'assurer et de consacrer la régularité de la constitution du tribunal arbitral à cet égard (CA Paris, 4 juin 1992 : Rev.arb. 1993, p. 448. - V. aussi CA Paris, 6 avr. 1990 : Rev. arb. 1990, p. 880, note De Boisseson. - CA Paris, 8 mai 2001 :Rev. arb. 2001, p. 567, note C. Legros. - CA Paris, 6 mars 2005 : Rev. arb. 2006, p. 446, note P. Callé. - CA Paris, 7 févr.2008 : Rev. arb. 2008, p. 501, note J.-B. Racine).

La solution est contestée par certains auteurs, qui considèrent que "l'identité de chose demandée suppose uneidentité parfaite ; or les demandes sont différentes dans les deux instances : une demande d'annulation d'unesentence n'a pas le même objet que la demande en récusation d'un arbitre" (P. Callé, note préc. - De Boisseson,note préc.). Nous approuvons cette jurisprudence, car le complexe de fait et de droit reste le même dans les deuxinstances. La solution a de plus l'immense mérite de sécuriser l'ensemble de la procédure arbitrale.

56. - Effets de la récusation - La récusation a pour premier effet d'écarter l'arbitre reconnu dépendant ou partialdu tribunal arbitral. L'arbitre écarté devra alors être remplacé dans les mêmes conditions que celles prévues pourdésigner l'arbitre récusé, sauf disposition contraire de la convention d'arbitrage. En cas de difficultés, le juged'appui pourra procéder au remplacement de l'arbitre récusé. En particulier, le président du tribunal de grandeinstance de Paris a jugé que

La disposition de l'article 1493, alinéa 2, du Code de procédure civile ne limite pas l'intervention du juge étatique pourl'exercice de sa mission d'assistance technique et de coopération judiciaire à l'arbitrage, aux seules opérations deconstitution du tribunal arbitral ab initio, mais lui donne aussi pouvoir de régler, dans le respect de la volonté commune desparties, une difficulté relative à un événement postérieur affectant la composition du tribunal arbitral ne permettant plus à cedernier de poursuivre l'exercice des prérogatives attachées au pouvoir de juger (TGI Paris, ord. réf., 12 juill. 1989 : Rev.arb. 1990, p. 176, note Fouchard).

Les effets de la récusation sur l'instance arbitrale doivent être précisés. La procédure de récusation n'interdit pas àl'arbitre visé de continuer son office dans l'attente de la décision de l'autorité chargée de juger l'incident.L'instance arbitrale n'est pas suspendue. La cour d'appel de Paris a jugé que le tribunal arbitral pouvait rendre sasentence alors même qu'une procédure de récusation était pendante (CA Paris, 12 nov. 1998 : RTD com. 1999,p. 372, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 1999, p. 374, obs. Jarrosson). La Cour juge que "le tribunal arbitral fonctionnerégulièrement et que les actes accomplis par l'arbitre concerné doivent être tenus pour valables jusqu'à ladécision de récusation qui, seule, met fin à l'instance arbitrale". La solution a le mérite d'éviter qu'une procédurede récusation non fondée ne paralyse l'arbitrage.

Une fois l'arbitre récusé, l'instance arbitrale prend en principe fin. L'article 1464 du Code de procédure civileprévoit cependant que les parties, d'un commun accord, peuvent déroger à cette règle. Le principe de l'extinctionde l'instance trouve son fondement dans l'exigence de collégialité. Il importe que le nouvel arbitre connaisse dulitige de la même manière que les autres membres du tribunal arbitral. La règle s'impose à l'évidence lorsquel'arbitre est unique. Elle a pour fâcheuse conséquence que les actes de procédure déjà réalisés sont privés de touseffets et doivent être réitérés. La convention des parties peut cependant sauver les actes d'instruction réalisés parl'arbitre récusé. En revanche, la récusation de l'arbitre ne remet pas en cause la convention d'arbitrage qui reste enprincipe valable. Les parties devront donc respecter leur engagement dans la convention d'arbitrage, et saufvolonté contraire commune, remplacer l'arbitre récusé en utilisant le même mécanisme de désignation que celuiutilisé pour nommer l'arbitre récusé. La seule exception serait le cas où l'arbitre a été désigné intuitu personnae

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dans la convention d'arbitrage. La récusation de l'arbitre ainsi désigné entraîne la nullité de la conventiond'arbitrage.

La récusation de l'arbitre n'a pas d'effet rétroactif. Elle ne permet pas de conclure pour cette seule raison à lanullité d'une sentence partielle signée par lui antérieurement à sa récusation, sans apporter d'autres éléments àl'appui de la demande (CA Paris, 11 avr. 2002 : Rev. arb. 2003, p. 145, note D. Bensaube). Il appartient enconséquence au demandeur de démontrer que l'arbitre n'était pas indépendant au moment où il a rendu la premièresentence.

3) Annulation ou refus d'exécution de la sentence

57. - Principe - La sentence rendue par un arbitre non indépendant ou partial peut être annulée (par ex., CAParis, 23 févr. 1999 : RTD com. 1999, p. 371, obs. E. Loquin). L'exequatur d'une telle décision peut aussi êtrerefusé dans le cadre d'un appel contre l'ordonnance d'exequatur, en particulier en matière d'arbitrage international(CA Paris, 24 juin 1994. - Cass. 1re civ., 24 mars 1998 : Rev. arb. 1999, p. 255, note Ph. Fouchard : RTD com.1998, p. 837, obs. E. Loquin).

58. - Obstacle à l'action - L'action n'est recevable qu'à la condition que le recourant ait été privé de la possibilitéde récuser l'arbitre concerné. Si le défaut d'indépendance est révélé par l'arbitre au moment de la constitution dutribunal arbitral ou si, non révélé, il est notoire, la comparution sans réserve devant les arbitres en connaissance decause purgerait l'instance arbitrale de tout vice (V. en ce sens, TGI Seine, 14 mars 1963 : Rev. arb. 1963, p. 98. -TGI Paris, 8 juill. 1970 : Rev. arb. 1970, p. 95. - CA Paris, 29 juin 1972 : Rev. arb. 1975, p. 241, note B.M. - CAParis, 19 déc. 1972 : Rev. arb. 1973, p. 173, note Loquin. - CA Paris, 2 juin 1989 : Rev. arb. 1991, p. 87. - CAParis, 28 nov. 2002 : Rev. arb. 2003, p. 445).

De même, une jurisprudence constante juge qu'en "ne soulevant pas, au cours de la procédure arbitrale le moyentiré du défaut d'impartialité de l'arbitre, l'auteur du recours en annulation a implicitement mais nécessairementrenoncé à se prévaloir de ce grief qui ne peut être invoqué pour la première fois devant le juge de l'annulation"(CA Paris, 2 juin 1989 : Rev. arb. 1991, p. 87. - CA Versailles, 14 nov. 1996 et Cass. 2e civ., 18 déc. 1996 : Rev.arb. 1997, p. 361. - CA Paris, 10 mai 1994 : Rev. arb. 1996, p. 66. - CA Paris, 27 sept. 2001 : Rev. arb. 2001,p. 916. - CA Paris, 22 févr. 2007 : Rev. arb. 2007, p. 147. - Sur l'ensemble de la question, L. Cadiet, Larenonciation à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale : Rev. arb. 1996, p. 3). L'estoppel a pris lasuite de la renonciation comme fondement de cette solution (CA Paris, 7 févr. 2008 : Rev. arb. 2008, p. 501, noteJ.-B. Racine). En conséquence, l'exercice du recours en annulation suppose que la cause de suspicion soit ignoréede l'une des parties jusqu'à la mise en délibéré.

Comme il l'a déjà été dit, l'autorité de la chose jugée attachée à la décision du juge de la récusation interdit quel'absence d'indépendance de l'arbitre soit à nouveau invoquée devant le juge de l'annulation ou de l'exécution de lasentence, quand ce juge a rejeté la demande de récusation. La situation est différente lorsque la demande derécusation a été rejetée par l'organe compétent d'une institution d'arbitrage. Cette décision, qui n'est pasjuridictionnelle, n'a pas l'autorité de la chose jugée. Il est en conséquence permis de demander ensuite la nullité dela sentence ou de s'opposer à son exécution au motif qu'elle a été rendue par un arbitre qui n'était pas indépendant(CA Paris, 15 janv. 1985 : Rev. arb. 1986, p. 97, note E. Mezger. - Cass. 2e civ., 20 févr. 2001 : Rev. arb. 2001,p. 511, note Th. Clay. - Ph. Fouchard, Les institutions permanentes d'arbitrage devant le juge étatique : Rev. arb.1987, p. 225).

59. - Moyens d'annulation de la sentence - Force est de constater un grand désordre dans les moyensd'annulation retenus pour sanctionner le défaut d'indépendance de l'arbitre (V. aussi Th. Clay, qui écrit que "legrief de défaut d'indépendance n'a pas de siège juridique et qu'il déambule le long des indices des articles 1484 et1502 du Code de procédure civile au fil des décisions d'annulation", op. cit., n° 444). Il est vrai que la question setrouve à la croisée des chemins.

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La méconnaissance d'une cause de suspicion, au moment de la désignation des arbitres par l'une des parties,pourrait ouvrir le recours en nullité, sur le fondement de l'alinéa 1er de l'article 1484 qui prévoit le cas de l'arbitrestatuant sur convention nulle. L'ignorance du motif de récusation, existant antérieurement à la désignation del'arbitre, et non révélée à la partie, à qui elle fait grief, au moment de cette désignation entacherait celle-ci d'uneerreur déterminante, cause de nullité de la convention d'arbitrage (CA Paris, 9 avr. 1992 : Rev. arb. 1996, p. 481).La solution peut être retenue si l'arbitrage trouve sa source dans un compromis d'arbitrage. Ce compromis a étésouvent conclu en contemplations de la personne des arbitres qu'il désigne. Mais, ce grief ne peut prospérerlorsque l'arbitrage trouve sa source dans une clause compromissoire. Celle-ci est conclue antérieurement à ladésignation des arbitres et ne peut être affectée dans sa validité par cette désignation. De plus, ce fondementdisparaît dès lors que la cause de suspicion survient postérieurement à la désignation des arbitres. L'absenced'indépendance de l'arbitre ne peut plus entraîner la nullité du compromis sur le fondement de l'erreur.

L'article 1452, alinéa 2, imposant à l'arbitre l'obligation d'informer les parties de toute cause de suspicion, il estpermis de considérer, qu'à défaut d'une telle information, le tribunal arbitral "est irrégulièrement composé", ce quioblige alors à agir sur le fondement du dernier alinéa de l'article 1484 du Code de procédure civile qui prévoit lanullité de la sentence dans cette hypothèse (en ce sens, CA Paris, 2 juill. 1992 : Rev. arb. 1996, p. 411. - CAVersailles, 14 nov. 1996 : Rev. arb. 1997, p. 361. - Cass. 2e civ., 19 mai 1999 : Rev. arb. 1999, p. 593, noteA. Hory).

Une autre voie reste aussi ouverte, celle de la violation des droits de la défense. Dans un arrêt du 13 mars 1981(CA Paris, 1re ch. suppl., 13 mars 1981 : Rev. arb. 1983, p. 83, note B. Moreau. - V. également CA Paris, 4 déc.1979 : Rev. arb. 1981, p. 146, note J. Rubellin-Devichi. - CA Paris, 20 oct. 1994 : Rev. arb. 1996, p. 442, noteFouchard), la cour d'appel de Paris a jugé que la réticence de l'arbitre constituait une violation des droits de ladéfense, puisqu'elle n'avait pas permis à la partie défenderesse d'exercer le droit de récusation. Dans une espècedifférente, mais dans le même sens, la cour d'appel de Paris, le 18 décembre 1980, avait jugé qu'une sentencedevait être annulée pour violation des droits de la défense, dès lors qu'au mépris des dispositions du règlementd'une chambre arbitrale, le nom de l'arbitre désigné d'office pour les défendeurs défaillants ne leur avait été notifiéque de nombreux mois après cette désignation, en même temps qu'une sentence préliminaire par laquelle letribunal arbitral s'était déclaré compétent, alors qu'en vertu des dispositions de ce même règlement, lesdéfendeurs, s'ils avaient été normalement avisés, auraient pu choisir un autre arbitre, ou, à tout le moins, récusercelui qui leur avait été imposé (CA Paris, 18 déc. 1980 : Rev. arb. 1983, p. 507, obs. T. Bernard). La violation desdroits de la défense résulte alors non pas de l'atteinte à l'indépendance de l'arbitre résultant de l'existence d'unecause de suspicion, mais de la privation faite à l'une des parties de la faculté d'user de son droit de récusation.Cette fois, c'est l'article 1484, alinéa 4, qui est sollicité pour fonder le recours en annulation, ou alorsl'article 1484, alinéa 6, car il est vrai aussi que l'ordre public est atteint lorsqu'une sentence a été rendue par unarbitre dépendant ou partial (CA Paris, 12 nov. 1998 : RTD com. 1999, p. 371, obs. E. Loquin).

Si tous ces fondements peuvent être admis, il est clair que l'irrégularité de la constitution du tribunal arbitral quien découle nous paraît être le grief qui rend le mieux compte de la situation, tout au moins lorsque l'arbitre a cachéce fait au moment de sa désignation. Si le fait survient une fois constitué le tribunal arbitral, c'est bien en revanched'une privation du droit de récusation dont se plaint l'une des parties.

2° Garanties de l'arbitre et conséquences résultant de la nature juridictionnelle de sa fonction

a) Immunité de l'arbitre

60. - Existence du principe de l'immunité de l'arbitre - Cette immunité est constituée de règles protégeantl'arbitre dans sa fonction de juge contre les actions que les parties voudraient engager contre lui. Son fondementrésulte de la nature juridictionnelle de sa mission. Reconnue au bénéfice des juges de l'État, elle est étendue auxarbitres afin de préserver leur liberté de décision et leur indépendance. Les règles constituant cette immunité sont desource jurisprudentielle. La responsabilité de l'arbitre ne peut être engagée pour mal jugé (TGI Reims, 27 sept.

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1978, inédit, citée par Th. Clay, op. cit., n° 372. - TGI Paris, 13 juin 1990 et CA Paris, 22 mai 1991 : Rev. arb.1996, p. 476). L'arrêt énonce que "la critique faite aux arbitres d'avoir commis une erreur grossière de calcul visele contenu de la sentence et se rattache directement à l'acte juridictionnel" et est couvert par l'immunité. Permettreau juge étatique d'engager la responsabilité de l'arbitre au motif qu'il a mal jugé produirait des effets détestables.D'une part, le juge ne pourrait éviter de réexaminer le fond du litige pour vérifier si l'arbitre l'a bien jugé, ce quicontredit au moins indirectement le principe de non-révision au fond des sentences arbitrales. D'autre part, une telleresponsabilité inhiberait le tribunal arbitral, qui perdrait sa liberté de jugement face à une partie qui menaceraitd'engager la responsabilité de ses membres.

61. - Limite de l'immunité - La jurisprudence réserve des cas où la responsabilité de l'arbitre peut être engagée.La première hypothèse est celle où l'arbitre a manqué à son obligation de sincérité en dissimulant ses liens avecl'une des parties (TGI Paris, 9 déc. 1992 : Rev. arb. 1996, p. 483. - TGI Paris, 12 mai 1993 : Gaz. Pal. 1993, 2,somm. p. 578. - CA Paris, 30 juin 1995 : Rev. arb. 1996, p. 483. - CA Paris, 12 oct. 1995 : Rev. arb. 1999, p. 324).La seconde hypothèse est celle de la faute intentionnelle de l'arbitre. La jurisprudence fait état de la fraude, du dolou de la faute lourde (Cass. 1re civ., 13 oct. 1953 : Bull. civ. 1953, I, n° 224. - Cass. 1re civ., 20 févr. 1996 : JCP G1996, I, 3938, obs. L. Cadiet. - Cass. 1re civ., 17 juill. 1996 : JCP G 1996, IV, 2171). La cour d'appel de Parisréserve "la faute personnelle" (CA Paris, 22 mai 1991, préc., supra n° 60), la Cour de cassation vise "la fautepersonnelle d'une extrême gravité, ou témoignant d'une intention malicieuse" (Cass. 1re civ., 17 juill. 1996, op.cit.). Les formules utilisées restent imprécises. Fouchard considère que les fautes visées résultent du comportementpersonnel de l'arbitre et non de sa décision et manifestent une violation délibérée de ses devoirs de juge (Le statutde l'arbitre, op. cit., spéc. p. 363). On pense tout d'abord à la corruption de l'arbitre ou à sa connivence, mêmedésintéressée avec l'une des parties. Il s'agit de fautes intentionnelles assimilables à la fraude ou au dol, quid'ailleurs justifient à elles seules en plus la nullité de la sentence. Mais faut-il aller plus loin et lever l'immunité encas de faute lourde résultant par exemple d'une méconnaissance flagrante du dossier ? Un tel grief oblige le juge às'interroger sur le bien ou le mal jugé. Dès cet instant, nous pensons que la matière entre dans le domaine del'immunité juridictionnel reconnue à l'arbitre.

b) Position procédurale de l'arbitre

62. - L'arbitre n'est pas un tiers au litige - L'arbitre ne peut être considéré comme un tiers par rapport au litigequ'il juge. Pour cette raison, il ne peut être entendu comme témoin dans l'instance d'appel contre sa sentence (CAParis, 29 mai 1992 : RTD com. 1992, p. 588, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1996, p. 408, obs.Ph. Fouchard). Il ne peut non plus être appelé à l'instance d'appel contre la sentence qu'il a rendue par une partiequi en dénonce les irrégularités (CA Paris, 9 avr. 1992 : Rev. arb. 1996, p. 483, obs. Ph. Fouchard), commed'ailleurs, lui-même ne peut faire tierce opposition à l'arrêt qui annule sa sentence (Cass. 1re civ., 16 déc. 1997 :Rev. arb. 1999, p. 253. - CA Paris, 2 juill. 1992 et CA Paris, 6 déc. 1994 : Rev. arb. 1994, p. 411. - TGI Paris,12 mai 1993 : Rev. arb. 1996, p. 411).

B. - Statut de l'arbitre fondé sur sa qualité de prestataire de service

63. - Existence d'un contrat de prestation de service - Les relations qui se nouent entre les arbitres et les parties sontdes relations contractuelles qui naissent d'un contrat dit de prestation de service, appelé contrat d'arbitre qui impose auxarbitres et aux parties des obligations réciproques (Ditchev, Le contrat d'arbitrage : Rev. arb. 1981, p. 395. -Ph. Fouchard, Le statut de l'arbitre : Rev. arb. 1996, p. 325. - Fouchard, Gaillard, Goldman, op. cit., n° 1101 s. - Th.Clay, op. cit., n° 587 s. - V. la bibliographie en langue étrangère fournie par Th. Clay, op. cit., n° 593). La terminologieutilisée, comme l'écrit le professeur Clay, "met l'accent sur celle des parties qui fournit l'obligation essentielle" (Th.Clay, op. cit., n° 621). Ce contrat doit être soigneusement distingué de la convention d'arbitrage conclue entre les seulesparties et qui a pour objet l'engagement des parties de soumettre leur litige à des arbitres. La jurisprudence a reconnul'existence d'un tel contrat (TGI Paris, 13 juin 1990 et CA Paris, 22 mai 1991 : Rev. arb. 1996, p. 476. - CA Paris, 4 mai1988 : Rev. arb. 1988, p. 657, note Fouchard. - CA Paris, 19 déc. 1996 : Rev. arb. 1998, p. 121, note Jarrosson. - CAParis, 25 nov. 1997 : Rev. arb. 1998, p. 684. - CA Reims, 16 déc. 1999 : Rev. arb. 2000, p. 54. - TGI Sens, 28 avr. 2000

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et CA Paris, 13 déc. 2001 : Rev. arb. 2003, p. 1312).

Ce contrat présente des traits encore discutés. Son objet étant de conférer à un arbitre une mission de justice, il s'agitd'un contrat civil (T. civ. Lille, 20 févr. 1946 : D. 1946, p. 208). Ce contrat lie chacun des arbitres à chacune des parties(V. sur ce point, Th. Clay, op. cit n° 631). La jurisprudence considère en ce sens que les deux litigants désignentensemble chaque arbitre et qu'ils sont conjointement engagés par le contrat d'arbitre, et cela, même si chacune desparties nomme unilatéralement dans un premier temps l'un des arbitres. Dans ce cas, l'arbitre désigné par l'une desparties doit être accepté par l'autre partie (V. JCl. Procédure civile supra : Compromis et clause compromissoire,Fasc. 1020, n° 53). De même, lorsque l'arbitre est désigné par les autres arbitres ou par une institution d'arbitrage ou untiers préconstitué, ceux-ci agissent en tant que mandataires communs des parties. Pour ces raisons, la Cour de cassationa jugé qu'il existait entre l'arbitre et les litigants "un acte unique commun à la volonté des parties" (Cass. 2e civ., 13 avr.1976 : Rev. arb. 1975, p. 235, note E. Loquin).

Ce contrat est le plus souvent formalisé par la signature conjointe par les arbitres et les parties d'un acte de mission. Ilpeut naître, à défaut, de l'acceptation par les arbitres de leur mission et par l'acceptation expresse ou implicite par lesparties de la désignation de chacun des arbitres.

Le contrat liant les arbitres aux parties est très certainement un contrat de prestation de service d'un type original. Il n'aitpas besoin pour cette raison de le qualifier de contrat sui generis, même s'il est vrai que le contrat d'entreprise est bien"la bonne à tout faire" des "contrats spéciaux". MM. Fouchard, Gaillard, Goldman préfèrent ainsi le qualifier en raisonde sa physionomie propre tout en admettant que l'arbitre est bien dans la situation d'un prestataire de service (op. cit.,n° 119 s. - V. également Th. Clay, op. cit., n° 1041 s.). L'arbitre s'engage à réaliser "un ouvrage" d'un type particulier :juger un litige déterminé. Pour réaliser cet "ouvrage", l'arbitre devra se conformer à la volonté des parties quis'exprimera dans le contrat formalisé le plus souvent dans l'acte de mission et prévoyant la durée de l'arbitrage, lesrègles de procédure, les règles de droit applicables au fond du litige. Mais l'arbitre gardera sous ses réserves "ladirection de l'ouvrage", quant à la manière de le réaliser.

Imprégné d'intuitus personnae, le contrat d'arbitre est révocable ad nutum par les parties à l'arbitrage (Th. Clay, op. cit.,n° 893). Rien ne peut les contraindre à rester contractuellement liées avec un juge qui n'a plus leur confiance. Larévocation est aussi souvent la suite logique d'une transaction qui fait disparaître l'objet même de l'arbitrage, ou encorede la renonciation des parties à la compétence arbitrale. Dans ces hypothèses, c'est la disparition de l'objet du contratd'arbitre, qui explique sa caducité. L'article 1462, alinéa 2, du Code de procédure civile dispose que l'arbitre ne peut êtrerévoqué que du consentement unanime des parties. Telle est l'originalité du contrat d'arbitre. Une seule des parties nepeut unilatéralement y mettre fin, même lorsque les conditions de sa résolution sont réunies. Il s'agit d'éviter que l'unedes parties, en révoquant l'arbitre, puisse unilatéralement mettre fin à l'instance arbitrale et se soustraire à l'arbitrage. Larévocation peut s'exercer sur un arbitre mais aussi sur l'ensemble du tribunal arbitral. En revanche, l'arbitre ne peut sansraison légitime se démettre de sa fonction et mettre fin unilatéralement au contrat d'arbitre (V. infra n° 69).

1° Obligations contractuelles de l'arbitre

a) Obligation de répondre aux qualités convenues

64. - Définition de qualités attendues de l'arbitre dans la convention d'arbitrage - Le législateur n'impose pasque l'arbitre réponde à des qualités professionnelles particulières. Mais, il n'est pas rare que les parties, dans laconvention d'arbitrage, précisent les qualités particulières qu'elles attendent des arbitres qui seront désignés :appartenance à une profession (TGI Metz, 5 août 1993 : Rev. arb. 1996, p. 524) ; spécialiste de l'affrètementmaritime (CA Paris, 13 févr. 2003 : Rev. arb. 2003, p. 545), connaissances linguistiques particulières (CA Paris,3 mai 2007 : Rev. arb. 2008, p. 706, note J. Ortscheidt), connaissances d'un droit étranger (TGI Paris, ord. réf., 12et 20 déc. 1991 : Rev. arb. 1996, p. 516, note Fouchard). Il est certain que l'arbitre ne peut s'engager dans le contratd'arbitre que s'il satisfait aux conditions ainsi définies.

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65. - Sanction du défaut de qualité de l'arbitre - La détermination de la sanction du défaut de qualité de l'arbitreest l'une des plus embarrassantes qui soit. En particulier doit-on considérer que le tribunal a été irrégulièrementcomposé ? La jurisprudence admet que la désignation d'un arbitre ne répondant pas aux qualités requises peut êtrecontestée par l'une ou l'autre des parties au moment de sa désignation devant le juge d'appui. La constitution dutribunal arbitral rencontre alors une difficulté qui relève de la compétence de ce juge (TGI Paris, ord. réf., 1er et20 déc. 1991, op. cit., supra n° 64). Une fois le tribunal arbitral constitué, l'arbitre ne répondant pas aux qualitésattendues peut-il être récusé ? Certaines décisions l'ont admis à condition que le défaut de qualité apparaissepostérieurement à sa désignation (TGI Metz, 5 août 1993, op. cit., supra n° 64). La clause compromissoire limitaitle choix des arbitres par les parties à des membres des professions de conseil juridique, d'expert-comptable ou decommissaire aux comptes. Une partie ayant désigné comme arbitre un expert financier agréé par la Cour decassation, le juge admit que cette nomination n'était pas conforme aux dispositions de la clause compromissoire.Mais, il rejeta la demande de récusation au motif que la profession de l'arbitre avait été portée à la connaissance dela partie requérante au moment de sa désignation, laquelle n'avait élevé aucune contestation. De même, la sentencearbitrale pourrait être annulée pour constitution irrégulière du tribunal arbitrale, mais seulement si le défaut dequalité n'est connu qu'une fois la sentence rendue (CA Paris, 13 févr. 2003 : Rev. arb. 2003, p. 544).

66. - Annulation du contrat d'arbitre pour vice du consentement - Le contrat d'arbitre peut-il être annulé pourerreur sur la personne, voire pour dol lorsque l'arbitre a caché aux parties qu'il ne répondait pas à une qualitéspécifiée par les parties dans la convention d'arbitrage ? À tout le moins dans ce cas, il y a erreur sur une qualitéessentielle d'une partie prise en considération par les autres parties pour s'engager dans le contrat. Dès lors l'actionpourrait être ouverte (en ce sens, Th. Clay, op. cit., n° 649 s.). Il est douteux que cette action soit utile. L'action ennullité, si elle est exercée pendant l'instance arbitrale entre en concurrence avec l'action en récusation, plus aisée,plus rapide et moins coûteuse. Une fois la sentence rendue, il est plus utile d'agir directement contre la sentencearbitrale et d'en demander la nullité.

67. - Absence de sanction à défaut de clause spéciale - À défaut de clause spécifiant les qualités attendues del'arbitre, il ne peut être soutenu que des lacunes linguistiques, techniques ou juridiques rendent la constitution dutribunal arbitral irrégulière. Ainsi, alors même que la convention d'arbitrage prévoyait l'application du droitallemand, la déclaration de l'arbitre "qu'il n'avait pas de connaissance précise en droit allemand et qu'il nepratiquait plus l'allemand depuis le lycée" ne constitue pas une cause de récusation (CA Paris, 3 mai 2007 : Rev.arb. 2008, p. 706, note J. Ortscheidt).

b) Obligation de mener l'arbitrage à son terme

68. - Définition - Il s'agit de l'obligation pour l'arbitre d'exécuter l'ouvrage objet du contrat, c'est à dire de juger ledifférend et en principe rendre une sentence. L'article 1462 du Code de procédure civile énonce que "tout arbitredoit poursuivre sa mission jusqu'au terme de celle-ci". Mais, le terme de l'arbitrage n'est pas toujours le prononcéde la sentence. L'obligation de l'arbitre cessera dès l'instant que les parties se sont conciliées et ont transigé ouencore en raison de la survenance d'une cause d'extinction de l'instance arbitrale qui ne résulte pas de la faute del'arbitre. Dans ces hypothèses, non seulement, la responsabilité de l'arbitre ne sera pas engagée, mais celui-ci auradroit à une rémunération. Il a été jugé que "le droit aux honoraires des arbitres trouvant sa source dans le travailde l'arbitre, ils lui sont dus même si une sentence n'a pas été rendue, dès l'instant où le travail de l'arbitre a étécertain et qu'il n'y a point négligence de sa part dans le fait que l'arbitrage n'a pu être terminé par une sentence"(TGI Sens, 28 avr. 2000 : Rev. arb. 2003, p. 1312, note H. Lécuyer).

69. - Déport de l'arbitre - En raison du contrat d'arbitrage, l'arbitre ne peut pas se déporter, c'est-à-dire renoncer àpoursuivre l'arbitrage sans justes motifs. Le déport ne sera justifié que s'il trouve sa cause dans l'état de santé del'arbitre ou dans un conflit d'intérêt entre lui-même et l'une des parties survenu après sa désignation, ou dans ... laturpitude des autres arbitres (CA Paris, 1er juill. 1997 : Rev. arb. 1998, p. 131, note D. Hascher). A fortiori,l'arbitre engagera sa responsabilité si son déport n'a pour seule raison que la volonté de paralyser l'arbitrage(E. Gaillard, Les manoeuvres dilatoires des parties et des arbitres dans l'arbitrage commercial international : Rev.

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arb. 1990, p. 759. - J. Robert, Considérations sur le déport de l'arbitre : Rev. arb. 1967, p. 6). Certaines décisionsengagent la responsabilité de l'arbitre dès l'instant que le déport ne peut être légitimement excusé. Le tribunal degrande instance de Paris a jugé de manière générale que "le renoncement d'un arbitre peut, à défaut de justesmotifs, engager la responsabilité civile du démissionnaire envers les parties auxquelles son abstention a causédommage" (TGI Paris, 15 févr. 1995 : Rev. arb. 1996, p. 503, note Ph. Fouchard). Les auteurs sont moins sévèreset considèrent que l'arbitre ne sera responsable qu'en cas de démission justifiée par des fins dilatoires quidémontrent en fin de compte la duplicité de l'arbitre qui fait cause commune avec l'une des parties (Ph. Fouchard,Le statut de l'arbitre : Rev. arb. 1996, p. 364. - E. Gaillard, op. cit. : Rev. arb. 1990, p. 785). Le juge d'appuirépugne en tout cas à faire défense à l'arbitre de se déporter : "le juge ne saurait, en délivrant une injonction àl'arbitre défaillant, tenter de le contraindre à reprendre et poursuivre l'exercice d'une fonction aussi éminemmentpersonnelle que celle de juger" (TGI Paris, ord. réf., 15 févr. 1985, op. cit.).

70. - Obligation de ne pas laisser s'épuiser le délai d'arbitrage - Dans la convention d'arbitre, l'arbitre s'engage,implicitement, à préserver l'instance arbitrale d'une extinction en raison de l'épuisement du délai d'arbitrage. LaCour de cassation qualifie cette obligation d'obligation de résultat : "en laissant expirer le délai d'arbitrage sansdemander sa prorogation au juge d'appui, à défaut d'accord des parties, ou faute de celles-ci de le solliciter, lesarbitres, tenus à cet égard d'une obligation de résultat, ont commis une faute ayant entraîné l'annulation de lasentence et ont engagé leur responsabilité" (Cass. 1re civ., 6 déc. 2005 : JurisData n° 2005-031141 ; JCP G 2006,1395, note G. Chabot ; D. 2006, p. 274, note P.-Y. Gautier ; RTD civ. 2006, p. 144, obs. P. Théry ; RTD com. 2006,p. 299, obs. E. Loquin). Ainsi, le contrat d'arbitre met à la charge des arbitres une obligation de ne pas laissers'éteindre l'instance arbitrale par épuisement du délai d'arbitrage. Il engagera sa responsabilité s'il laisse ainsi "dépérir" l'arbitrage. L'arbitre n'est pas démuni face à ce risque. Il doit d'abord solliciter les parties pour qu'ellesacceptent d'un commun accord de proroger le délai d'arbitrage. Devant le refus de l'une d'entre elle, il peutdemander à l'autre partie de saisir le juge d'appui afin d'obtenir une prorogation judiciaire du délai d'arbitrage. Àdéfaut, il lui appartient de saisir le même juge à cette fin. L'article 1466, alinéa 2, du Code de procédure civileprévoit que le tribunal arbitral peut saisir le président du tribunal compétent afin de demander la prorogation dudélai. L'arbitre, confronté à la menace de l'épuisement du délai d'arbitrage, quelles qu'en soient les causes, doitdemander au juge compétent une prorogation du délai d'arbitrage. Le tribunal de grande instance de Paris a jugéque chaque arbitre dispose du droit de demander la prorogation du délai d'arbitrage à la juridiction compétente (TGIParis, 29 nov. 1989 : Rev. arb. 1990, p. 325). Il en résulte que chaque arbitre doit veiller à empêcher l'épuisementdu délai, et non pas seulement le président du tribunal arbitral. Chacun des arbitres est en conséquence responsabledu manquement du tribunal arbitral à cette obligation.

L'obligation a été qualifiée de "sévère" par le professeur P.-Y. Gautier. Mais elle n'est pas techniquementsurprenante. L'exécution de l'obligation, qui n'est affectée d'aucun aléa, est nécessairement une obligation derésultat. Mais, il reste vrai que le contexte de l'exécution de l'obligation est souvent difficile. Il est rare que ledépassement du délai soit imputable aux arbitres. Il est le plus souvent le résultat de la stratégie dilatoire dudéfendeur à l'arbitrage. Pour cette raison, la doctrine qualifiait avant l'arrêt du 6 décembre 2005, cette obligationd'obligation de moyen. Ne faudrait-il pas alors réserver la responsabilité de l'arbitre au cas où sa négligence est laseule cause de l'épuisement du délai, en particulier lorsque le délai de l'arbitrage arrive à son terme en raison de lalenteur du délibéré arbitral ? Les arbitres doivent être en tout cas conscients que cette obligation n'est pas anodine.Il s'agit rien de moins que d'assigner les deux parties devant le président du tribunal compétent comme en matièrede référés.

c) Obligation de diligence des arbitres

71. - Nature de l'obligation - Cette obligation ne doit pas être confondue avec la précédente. Si l'arbitre s'engageà ne pas laisser dépérir l'instance arbitrale, il n'est pas tenu d'une obligation de résultat qui l'obligerait à rendre sasentence dans le délai légal de six mois ou dans le délai initialement prévu dans l'acte de mission. Le climat del'arbitrage n'est pas toujours idyllique et il faut souvent au président du tribunal arbitral beaucoup de ténacité, deprudence et de "poigne" pour que la sentence puisse être rendue dans les délais prévus, lorsque l'une des parties

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néglige de déposer ses écritures dans les délais convenus, change plusieurs fois d'avocat au cours de l'instance oumultiplie les incidents de procédure où les demandes de report d'audience. Aussi, l'obligation de diligence del'arbitre est une obligation de moyen et non de résultat. Elle impose à l'arbitre "d'oeuvrer pour que l'instancearbitrale ne se prolonge pas au-delà de délais raisonnables" (Th. Clay, op. cit., n° 795. - En ce sens, TGI Paris,6 juill. 1994 : JCP G 1994, I, 3805, § 2, obs. L. Cadiet. - TGI Paris, 5 nov. 1997 : D. 1999, p. 9, note M. A.Frison-Roche. - CA Paris, 20 janv. 1999 : D. 1999, inf. rap. p. 125).

d) Obligation de confidentialité

72. - Obligation légale au maintien du secret du délibéré - Le contrat de prestation d'arbitrage impose auxarbitres une obligation de confidentialité implicite (E. Loquin, Les obligations de confidentialité dans l'arbitrage :Rev. arb. 2006, p. 323. - E. Gaillard, Le principe de confidentialité dans l'arbitrage international : D. 1997, chron.p. 153). La confidentialité est en effet au coeur de l'institution et est présentée comme l'un de ses atouts. Pourtant, ledroit français de l'arbitrage ne traite de la confidentialité qu'à propos du seul secret du délibéré qui s'impose auxarbitres (CPC, art. 1469). L'obligation de confidentialité, ayant pour objet le délibéré, est fondée sur la naturejuridictionnelle de l'activité de l'arbitre et non sur sa qualité de prestataire de service. Le délibéré, malgré les termesrestrictifs de l'article 1468 du Code de procédure civile, qui énonce que l'arbitre fixe la date à laquelle l'affaire seramise en délibéré, n'est pas un instant déterminé de la procédure. Le délibéré s'étend sur tout le temps de laprocédure. Pendant cette période, le principe du secret du délibéré s'impose aux arbitres afin de respecter l'égalitédes parties et le respect des droits de la défense. Les liens privilégiés, qui peuvent exister entre l'une des parties etl'arbitre qu'elle a désigné, explique la force que le principe doit avoir en matière d'arbitrage. Le délibéré n'est plussecret dès lors que l'un des arbitres manifeste une véritable collusion avec l'une des parties en jouant un rôled'informateur, tenant régulièrement au courant cette dernière de l'évolution de l'opinion de chacun des arbitres surle litige soumis à l'arbitrage. Il est certain qu'une telle attitude rompt l'égalité entre les parties, considérée comme unprincipe général de procédure relevant de l'ordre public procédural (CA Paris, 25 mai 1990 : Rev. arb. 1990, p. 892,note De Boisseson). En effet, informée de l'évolution de la pensée du tribunal arbitral, la partie bénéficiaire de cesinformations pourra adapter sa stratégie procédurale et ses arguments à la situation. Ces manoeuvres pourraientengager la responsabilité civile de leur auteur.

73. - Obligation de confidentialité générée par le contrat d'arbitre - L'obligation plus générale qui oblige lesarbitres à préserver de manière générale la confidentialité de l'arbitrage est générée par le contrat d'arbitre. Lesarbitres sont tenus de respecter la confidentialité de l'arbitrage, dès lors que l'ensemble des éléments de l'arbitrage aété voulu confidentiel par les parties. Le contrat de prestation de service, liant l'arbitre aux parties, intègre à lacharge des arbitres une obligation implicite de confidentialité. L'existence d'une telle obligation répond à la volontélégitime des parties qui attendent des arbitres le respect du caractère confidentiel de la procédure, lequel est l'unedes causes de leur engagement dans la convention d'arbitrage (en ce sens, Th. Clay, L'arbitre, op. cit., n° 777 s.).

Cette obligation, qui est la plus souvent implicite s'impose comme une suite nécessaire de la convention d'arbitre.Qualifiée par un auteur de "présomption de confidentialité" (De Boisseson, Le droit français de l'arbitrage interneet international : Joly, n° 719), cette obligation résulte d'une analyse raisonnée de la volonté des parties àl'arbitrage. S'il est vrai que l'arbitrage présente l'intérêt annoncé d'être une procédure confidentielle, force est alorsde présumer que les parties ont fait de cette confidentialité un élément déterminant de leur engagement dansl'arbitrage et qu'elles se sont engagées mutuellement à la préserver et à la respecter. La convention d'arbitre contientalors nécessairement un engagement de confidentialité implicite des arbitres. En effet, une extraordinaire unanimitéexiste pour reconnaître cet intérêt à la procédure arbitrale. Comme l'a écrit R. David, les parties recherchent dansl'arbitrage une autre justice que celle administrée par les tribunaux étatiques, en particulier l'exclusion de toutepublicité (L'arbitrage dans le commerce international, op. cit., p. 16). Les parties trouvent dans l'arbitrage lagarantie du secret de leurs affaires. La volonté implicite des parties est bien le fondement de l'obligation deconfidentialité imposée aux arbitres par le contrat d'arbitre. Dans l'arrêt Ojjeh (CA Paris, 18 févr. 1986 : D. 1987,p. 339), la cour d'appel de Paris juge que "par nature, la procédure arbitrale assure la meilleure discrétion pour lesrèglements d'ordre privé ainsi que les deux parties en ont convenu".

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74. - Infraction pénale - De plus, en droit français, l'existence d'une infraction sanctionnant pénalement laviolation du secret donne à l'obligation de confidentialité des arbitres une dimension légale et non plus seulementconventionnelle. La convention d'arbitre les rend dépositaires, au sens de l'article 226-13 du Code pénal, des secretsqui leur sont confiés par les parties. Pour cette raison, leur obligation au secret est tout autant le fruit du contratd'arbitre conclu entre les parties et les arbitres, que la conséquence légale du constat que les arbitres sontdépositaires, à travers ce contrat, des secrets que les parties leur ont confiés. Pour cette raison, il existe, à la chargedes arbitres, une obligation légale de confidentialité, sanctionnée pénalement par l'article 226-13 du Code pénal.Autrement dit, la contractualisation du secret par les parties déclenche une obligation légale, à la charge desarbitres, de respecter ce secret dès l'instant qu'il leur est confié. Certes, la seule existence de la volonté de garder lesecret de la procédure arbitrale ne suffit pas à créer les conditions d'existence de cette obligation légale. Encorefaut-il, pour que la violation du secret par son dépositaire soit pénalement punissable, que ce dépositaire l'ait reçu àl'occasion de certaines professions ou missions temporaires (Cass. crim., 19 nov. 1985 : Bull. crim. 1985, n° 364).Mais comme l'a écrit M. Delvolvé, "on fera entrer sans peine dans le champ d'application de l'article 226-13, nonseulement l'avocat des parties dans une affaire d'arbitrage, mais encore l'arbitre lui-même" (J.-L. Delvolvé, Vraieset fausses confidences ou les petits et les grands secrets de l'arbitrage : Rev. arb 1996, p. 378). C'est en effet larelation de confiance créée par la fonction ou l'état du dépositaire du secret avec le déposant qui justifiel'incrimination pénale. Or, la fonction d'arbitre crée une telle relation de confiance. Mais, malgré son caractèrelégal, l'obligation de confidentialité est intégrée dans le contrat d'arbitre et la responsabilité civile de l'arbitre surprisà la violer sera contractuelle.

75. - Étendue de l'obligation de confidentialité - L'étendue de l'obligation de confidentialité porte sur l'ensemblede la procédure arbitrale. Elle concerne d'abord la confidentialité de l'existence de la procédure d'arbitrage (V. T.com. Paris, ord. réf., 22 févr. 1999 : Rev. arb. 2003, p. 189, à propos d'une violation par l'une des parties du secretde l'existence de la procédure arbitrale et du montant de la demande formulée contre le défendeur). Le tribunalarbitral doit également veiller à ce que l'audience arbitrale, réunion privée, ne puisse être ouverte au public. Si l'onpeut rattacher la règle à l'obligation contractuelle de confidentialité, la seule notion de lieu privé, c'est à dire de lieunon ouvert au public, suffirait à la justifier. Comme l'écrit Thomas Clay "l'arbitrage n'est pas seulement une justiceprivé, mais une justice rendue en privé" (L'arbitre, op. cit., n° 771). L'obligation de confidentialité a égalementpour objet les documents produits lors de l'instance arbitrale. Aucun des documents produits par les parties ne peutêtre divulgué par l'arbitre. Il en est de même des comptes rendus ou enregistrements d'audience. Ces documents etles informations qu'elles contiennent sont couverts par l'obligation de confidentialité. Les arbitres ne peuvent lesrendre public sans l'accord de toutes les parties. Enfin, la sentence arbitrale elle-même est protégée par l'obligationde confidentialité. Seules les parties, d'un commun accord, peuvent autoriser la publication de la sentence.

76. - Limites de l'obligation de confidentialité - De nature contractuelle, l'obligation de confidentialité s'effacedevant des principes supérieurs posés par l'ordre public. Elle disparaît dès l'instant que la loi impose aux arbitresdes obligations de révélation. M. B. Fage a montré que le droit financier ou boursier pouvait neutraliser l'obligationde confidentialité convenue par les parties à un arbitrage (B. Fage, La confidentialité de l'arbitrage à l'épreuve dela transparence financière : Rev. arb. 2000, p. 5), lorsque la protection de l'épargne publique l'impose. À ce titredevront être communiquées tout aussi bien des informations portant sur une demande d'arbitrage que sur lacondamnation de la société par un tribunal arbitral, voir sur le succès obtenu par une société dans le cadre d'uneprocédure arbitrale. Si ces obligations d'information s'imposent au premier chef aux parties à l'arbitrage, rienn'interdit de penser qu'elles pourraient être sollicitées par l'Autorité des marchés financiers auprès des arbitres. Lesmêmes solutions s'imposent lorsque des lois fiscales ou pénales imposent des obligations de communication dedocuments ou d'informations. Le secret de l'arbitrage est impuissant à justifier le refus de l'arbitre de produirel'information. On pourrait multiplier les exemples (obligation de communication imposée par les exigences de ladéfense nationale par exemple, ou la lutte contre la corruption ou le blanchiment d'argent).

2° Sanctions des obligations contractuelles de l'arbitre

77. - Sources - Elles relèvent à la fois du droit commun des contrats (responsabilité contractuelle) et du droit de

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l'arbitrage (révocation).

a) Révocation

78. - Auteurs de la révocation - Le droit de l'arbitrage prévoit la révocation de l'arbitre soit par les parties soit parl'institution chargée d'organiser l'arbitrage, soit même par le juge. Lorsqu'elle est le fait des parties, elle devraitsupposer l'accord des deux parties (CPC, art. 1462, al. 2). Mais, lorsqu'elle trouve sa raison dans l'inexécution parl'arbitre des obligations nées du contrat d'arbitre, il faut admettre que l'une des parties puisse demander au juge derévoquer l'arbitre, voire le tribunal arbitral pris dans son ensemble, en particulier lorsque les arbitres manifestentune inaction coupable qui pourrait profiter au défendeur et conduire du côté du demandeur à un déni de justice.L'action est en réalité une action en résiliation pour inexécution du contrat de prestation de service qui lie lesarbitres aux parties. La juridiction compétente devrait a priori être le tribunal de grande instance et non le juged'appui. Il ne s'agit pas en effet de juger une difficulté de mise en oeuvre de la convention d'arbitrage, mais demettre fin au contrat d'arbitre en raison de son inexécution. Cependant, le président du tribunal de grande instancede Paris a élargi sa compétence "à toute difficulté relative à un événement postérieur affectant la constitution dutribunal arbitral ne permettant plus à ce dernier de poursuivre l'exercice des prérogatives attachées au pouvoir dejuger" (TGI Paris, ord. réf., 1er déc. 1990 : Rev. arb. 1990, p. 176, note Ph. Kahn), ce qui paraît bien inclure larévocation judiciaire de l'arbitre (en ce sens, Fouchard, Gaillard, Goldman, Traité de l'arbitrage commercialinternational, Litec, 1996, n° 880).

Les règlements des institutions d'arbitrage donnent en général à l'institution le pouvoir de démettre l'arbitre. Lerèglement de la chambre de commerce internationale énonce "qu'il y a lieu à remplacement de l'arbitre s'il neremplit pas ses fonctions conformément au règlement ou dans les délais impartis" (Règl. CCI, art. 72-2).

79. - Causes de la révocation - Nous savons qu'il est admis que les parties, d'un commun accord, peuventtoujours révoquer l'arbitre. Si l'arbitre révoqué peut se plaindre d'une révocation motivée par des considérationsinexactes et préjudiciables pour lui, la révocation, même non fondée produit toujours ses effets. Elle revêt uncaractère ad nutum. En revanche, lorsqu'elle est décidée par le juge où par l'institution d'arbitrage, elle ne peut êtrelégitime que si l'arbitre a manqué à ses obligations et que ce manquement est suffisamment grave pour fonder larésiliation du contrat d'arbitre. La loi type de la CNUDCI le dit expressément en prévoyant que la révocation est lasanction "de la carence" de l'arbitre (art. 14).

b) Remboursement des provisions d'honoraires

80. - Portée de la restitution - L'inexécution du contrat d'arbitre oblige celui-ci à restituer les provisionsd'honoraires qu'il a déjà reçues des parties. Tel est le cas lorsque la sentence est annulée ou n'est jamais rendue enraison de l'expiration du délai d'arbitrage (Cass. 1re civ., 6 déc. 2005, op. cit., supra n° 70), ou en raison du déportfautif de l'arbitre (CA Paris, 13 déc. 2001 : RTD com. 2002, p. 282 obs. E. Loquin), ou encore lorsque la sentenceest annulée au motif de l'absence d'indépendance de l'un des arbitres. Si un seul arbitre est fautif, cette faute neprive pas les autres membres du tribunal arbitral de leur droit d'être rémunéré. Ainsi, la cour d'appel de Paris areconnu le droit à rémunération de deux arbitres alors même que le troisième avait démissionné de manière fautivependant l'instance arbitrale et que la procédure n'avait pu pour cette raison être terminée par une sentence (CAParis, 13 déc. 2001, op. cit.).

c) Responsabilité de l'arbitre

81. - Responsabilité personnelle - La responsabilité civile de l'arbitre sanctionnera le non-respect par l'arbitre deses obligations contractuelles. L'immunité de l'arbitre ne protège ce dernier que dans l'exercice de sa fonctionjuridictionnelle. Il est parfois délicat de distinguer les domaines respectifs de la responsabilité de l'arbitre et de sonimmunité. Ainsi, si le dépérissement du délai de l'arbitrage est le fait non d'une négligence de l'arbitre, mais d'unemauvaise interprétation de la clause délimitant le délai de l'arbitrage, la méconnaissance par l'arbitre du délai ne

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peut engager sa responsabilité (CA Paris, 6 nov. 2008 : Rev. arb. 2008, p. 848).

Cette responsabilité sera personnellement assumée par l'arbitre, l'État ne répondant pas du mauvais fonctionnementde la justice privée qu'est l'arbitrage. La Cour de cassation a jugé que " les arbitres n'étant investis d'aucunefonction publique et ne pouvant engager la responsabilité de l'État, l'action en dommages et intérêts dirigée contreeux en raison de l'accomplissement de leur mission ne peut l'être que dans les conditions de droit commun" (Cass.2e civ., 29 juin 1960 : D. 1960, p. 262).

L'action devra être dirigée contre chaque arbitre individuellement. Même, si elle est susceptible de viser tous lesarbitres siégeant dans le tribunal arbitral, elle peut n'être engagée que contre l'un d'eux. Tel est le cas lorsqu'il estreproché par exemple à l'un des arbitres de ne pas avoir révélé un fait mettant en doute son indépendance.

82. - Régime de la responsabilité - La cour d'appel de Paris a jugé que "la responsabilité de l'arbitre à l'égarddes parties peut être engagée pour tout manquement à ses obligations" (CA Paris, 12 oct. 1995 : Rev. arb. 1999,p. 324, note Fouchard. - CA Paris, 6 nov. 2006 : Rev. arb. 2008, p. 848. - Cass. 1re civ., 6 déc. 2005 : Rev. arb.2006, p. 126, note Jarrosson). La doctrine considérait qu'une telle affirmation était excessive et que laresponsabilité de l'arbitre suppose la démonstration "d'une faute lourde équipollente au dol" (Fouchard, Le statutde l'arbitre, préc. p. 362. - Th. Clay, op. cit., n° 932. - En ce sens, TGI Paris, 2 oct. 1985 : Rev. arb. 1987, p. 84,obs. B.M. - TGI Paris, 13 juin 1990 : Gaz. Pal. 1990, 2, somm. p. 417). Telle serait la conséquence de la hautespécificité de sa mission. Ces opinions n'ont pas été confirmées par la jurisprudence. Celle-ci soumet laresponsabilité de l'arbitre au droit commun de la responsabilité contractuelle et distingue seulement entre lesobligations de résultat et de moyen (V. pour une critique de l'admission d'obligations de résultat en la matière, Ch.Jarrosson, note Rev. arb. 2006, p. 128). Seront considérées comme des obligations de résultat celles de révélertoute situation de nature à porter atteinte à l'indépendance de l'arbitre, ainsi que l'obligation de ne pas laisser dépérirle délai de l'arbitrage, également celle de poursuivre la mission jusqu'au prononcé de la sentence à défaut d'excuseslégitimes. L'obligation de diligence est au contraire une obligation de moyens comme devrait l'être aussil'obligation de confidentialité.

83. - Préjudice réparable - Le préjudice réparable dépendra des conséquences dommageables de la faute.L'épuisement du délai d'arbitrage produit la fin de l'instance arbitrale et l'obligation de constituer un nouveautribunal arbitral. Elle peut également fonder l'annulation de la sentence arbitrale rendue hors délais. Pourront alorsêtre indemnisés les frais engendrés inutilement par la procédure qui s'est éteinte, en particuliers les frais engagéspar les parties pour défendre leur cause, les honoraires d'avocats au premier chef (par ex., TGI Paris, 12 mai 1993 :Rev. arb. 1996, p. 325, obs. Ph. Fouchard). Nous pensons que les arbitres poursuivis devraient pouvoir opposer audemandeur sa propre négligence, dès lors que ce dernier n'a pas utilisé la faculté que lui offrait le droit de l'arbitraged'obtenir du juge une prorogation de délai. La négligence du demandeur est l'une des causes du dommage, commecelle des arbitres, ce qui pourrait conduire à un partage de responsabilité. Le manquement à l'obligation dediligence qui a conduit par exemple à la révocation du tribunal arbitral produit un préjudice constitué par le retardapporté au jugement du litige. Dès lors, il est possible d'admettre que le demandeur peut demander réparation pourle retard dans la consécration de sa demande. Mais ce préjudice ne peut être considéré qu'en terme de perte dechance, car nul ne sait si le tribunal arbitral révoqué aurait donné satisfaction au demandeur. En revanche lepréjudice trouvant sa cause dans la violation de l'obligation de confidentialité pourra être intégralement indemnisé.

84. - Clause limitative de responsabilité - Les arbitres peuvent-ils limiter ou exclure leur responsabilité par uneclause élusive de responsabilité ? Certaines institutions d'arbitrage prévoient expressément dans leurs règlementsque les arbitres seront irresponsables "pour tout fait, acte ou omission en relation avec l'arbitrage" (Règl. CCI1998, art. 34).

La validité de ces clauses est très discutée. Il est vrai qu'en droit français, si le principe est celui de la validité desclauses élusives de responsabilité, elles sont privées de tout effet en cas de faute dolosive ou lourde ou lorsquel'obligation inexécutée est une obligation essentielle du contrat. Le tribunal de grande instance de Paris a affirmé la

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validité de principe en droit français de la clause élusive de responsabilité contenue dans le règlement d'arbitrage dela chambre de commerce internationale par application de l'article 1150 du Code civil, notamment parce qu'elle estinsérée dans un contrat international, mais dans une espèce où elle était invoquée non pas par des arbitres, mais parl'institution elle-même, pour couvrir sa propre responsabilité et alors que celle-ci n'était pas engagée (TGI Paris,10 nov. 2007 : D. 2007, p. 2916, note Th. Clay).

3° Droits contractuels de l'arbitre

85. - Conjugaison du droit commun et du droit de l'arbitrage - Ici encore, le droit commun des contrats doit êtreconjugué avec le droit de l'arbitrage pour déterminer les droits des arbitres. Conformément au droit des contrats àtitre onéreux, l'arbitre, en tant que prestataire de service, a droit à une rémunération. Il peut aussi invoquer l'exceptionnon adempleti contractus, dans le cas où les parties n'exécuteraient pas elles- même leur obligations. Enfin, le droitde l'arbitrage lui reconnaît "un droit à la dissidence d'opinion" (Th. Clay, op. cit., p. 649).

a) Droit à une provision pour frais et honoraires

86. - Sources - La question est laissée dans l'ombre par le droit de l'arbitrage. Les tribunaux français ontprogressivement dégagé certaines règles.

87. - Mode de fixation et de paiement des honoraires - L'arbitre, en tant que prestataire de service, peut fixerunilatéralement le montant des honoraires qui lui sont dus. Le contrat de prestation de service est valablementformé alors même qu'aucun accord entre les parties n'est survenu sur son prix. Mais, les parties et les arbitrespeuvent aussi convenir d'un prix forfaitaire fixé une fois pour toute au début de l'arbitrage dans la conventiond'arbitre. Les modalités de calcul du montant des honoraires sont libres et sont laissées soit à l'initiative unilatéraledes arbitres, soit à l'accord des parties.

La pratique a recours au système des provisions, lesquelles sont versées par les parties par part égale au début del'arbitrage dans un délai fixé par l'acte de mission. Dans l'arbitrage ad hoc, les honoraires étant le plus souventappréciés compte tenu du temps passé par les arbitres sur le dossier et de la difficulté de l'affaire, il est permis auxarbitres de réclamer en cours d'arbitrage un complément de provision si l'affaire l'impose. Dans l'arbitrageinstitutionnel, le montant des honoraires des arbitres est le plus souvent calculé conformément au barème prévu parl'institution d'arbitrage lequel prend en considération le montant des demandes sous forme d'un pourcentageminimum et maximum, afin de prendre également en considération le temps passé par les arbitres sur le dossier etla difficulté de leur tâche. Les provisions ainsi calculées sont alors versées à l'institution d'arbitrage, qui en devientle dépositaire jusqu'au prononcé de la sentence. Le montant définitif des honoraires dus aux arbitres est alorsdéterminé par l'institution d'arbitrage à l'intérieur de ce minimum et de ce maximum en fonction des critèresretenus. Si au cours de l'instance arbitrale, des demandes nouvelles sont faites, de nouvelles provisions peuvent êtredemandées aux parties.

88. - Déclenchement du droit aux honoraires - Le droit aux honoraires des arbitres n'est pas conditionné par leprononcé de la sentence, mais par le travail accompli par eux. La cour d'appel de Paris a jugé que "le droit auxhonoraires des arbitres, trouvant sa source dans le travail de l'arbitre, ils lui sont dus même sur une sentence quin'a pu être rendue, dès l'instant où le travail de l'arbitre a été certain et qu'il n'y a point de négligence de sa partdans le fait que l'arbitrage n'a pu être terminé par une sentence" (CA Paris, 13 déc. 2001 : RTD com. 2002, p. 282,obs. Loquin). En l'espèce, le tribunal arbitral avait été dissout en raison du déport de l'un des arbitres. La règletrouvera son application dans les cas plus fréquents où, en raison d'une transaction, les parties mettront fin àl'instance arbitrale. Mais, les provisions pourront être réduites "en fonction des diligences accomplies".

89. - Solidarité des parties - L'arbitre impayé dispose d'une action en paiement contre l'une ou l'autre des partiestenues solidairement au paiement des honoraires (CA Paris, 13 déc. 2001 : RTD com. 2002, p. 282, obs. E. Loquin).Il en résulte que les arbitres peuvent demander le paiement à l'une des parties de la totalité des honoraires qui leur

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sont dus. La règle est fondée sur le constat que le travail des arbitres profite à tous ceux pour lequel il est exécuté.La règle est très utile lorsque le défendeur espère bloquer l'action dirigée contre lui en ne s'acquittant pas deshonoraires qui lui sont demandés. Le tribunal arbitral pourra obtenir du demandeur l'avance de l'intégralité desprovisions d'honoraires, quitte, ensuite, à répartir entre les parties la charge définitive de ceux-ci dans la sentence(Cass. 2e civ., 10 oct. 1990 et CA Paris, 23 sept. 1994 : Rev. arb. 1996, p. 393).

90. - Contestation par les parties du montant des honoraires - La contestation n'est possible que lorsque leshonoraires ont été fixés unilatéralement par les arbitres. Les parties ont alors à leur disposition une action enréduction des honoraires excessifs devant le juge de droit commun (CA Colmar, 6 févr. 1957 : JCP G 1957, IV,129). De même, les honoraires de l'arbitre pourront être réduits ou supprimés judiciairement "si sa responsabilitécivile de droit commun est engagée" ou en fonction des diligences accomplis si l'arbitrage n'a pas été mené pourune raison quelconque jusqu'à son terme (CA Paris, 13 déc. 2001 : RTD com. 2002, p. 382, obs. E. Loquin).

Les parties ou l'une d'entre elles ne peuvent contester le montant des honoraires des arbitres dans le cadre durecours en annulation dirigé contre la sentence, celui-ci serait-il fondé sur une faute personnelle de l'arbitre. Ainsi aété rejeté la demande d'un requérant qui reprochait au tribunal arbitral d'avoir fixé ses honoraires dans sa sentencesans tenir compte du barème fixé par l'institution d'arbitrage mentionné pourtant dans la convention d'arbitrage etqui demandait à la fois la nullité de la sentence de ce chef au motif que les arbitres n'avaient pas statuéconformément à leur mission et la restitution des honoraires indûment payés. Les deux demandes sont rejetées parla cour d'appel de Paris, avec l'approbation de la Cour de cassation, au motif que "la fixation du montant deshonoraires des arbitres ne fait pas partie de l'objet du litige et relève du contrat d'arbitrage, différent de celui quilie les parties et qui fixe l'objet du litige et que, dès lors, la fixation du montant des honoraires des arbitres n'a pasde valeur juridictionnelle et ne peut pas faire l'objet d'un recours en annulation" (CA Paris, 19 déc. 1996 : Rev.arb. 1998, p. 121, note Jarrosson ; RTD com. 1998, p. 577, obs. E. Loquin. - CA Paris, 25 déc. 1997 : Rev. arb.1998, p. 684).

91. - Inopposabilité de la condamnation à payer les honoraires dans la sentence - Les arbitres ne peuventdonner à la fixation de leurs honoraires dans la sentence l'autorité de la chose jugée, voire la force exécutoire si lasentence fait l'objet d'une procédure d'exequatur. La question revient régulièrement en jurisprudence. Certainsarbitres impayés de leurs provisions d'honoraires par l'une des parties espèrent ainsi constituer à leur profit un titreexécutoire pour forcer le débiteur à les honorer en le condamnant, dans leur sentence, à les payer. La Cour decassation a jugé que "la fixation des honoraires des arbitres ne fait pas partie de l'objet du litige et relève ducontrat d'arbitrage différent de celui qui lie les parties et qui fixe l'objet du litige" (Cass. 2e civ., 28 oct. 1987 : Rev.arb. 1998, p. 149, note Jarrosson. - CA Paris, 23 sept. 1993 : RTD com. 1995, p. 397, obs. E. Loquin. - CA Paris,17 mars 2005 : Rev. arb. 2005, p. 790).

La fixation des honoraires des arbitres ne fait pas partie de l'objet du litige qui oppose les parties. Elle relève ducontrat de prestation d'arbitrage différent de la clause compromissoire ou du compromis et surtout du contratlitigieux entre les parties qui seul appartient à la compétence de l'arbitre. Il en résulte que la sentence, sur ce pointn'a aucune autorité à l'égard des parties. En particulier, il a été jugé que "viole l'article 1351 du Code civil l'arrêtqui déclare irrecevable l'action en contestation d'honoraires dirigée par l'une des parties au litige contre lesarbitres au motif que la sentence arbitrale, dans laquelle ceux-ci avaient fixé le montant des honoraires, avait étéconfirmée en appel par un arrêt définitif, alors que les arbitres défendeurs à l'action en contestation d'honoraires,n'avaient pas été parties à la procédure" (Cass. 2e civ., 28 oct. 1987 : Rev. arb. 1988, p. 144, note Jarrosson). Demême, la fixation des honoraires dans la sentence ne peut faire l'objet de l'appel ou du recours en annulation dirigécontre la sentence (CA Paris, 23 sept. 1994 : RTD com. 1995, p. 396, obs. E. Loquin). Il en résulte enfin que lesarbitres impayés devront assigner en paiement le plaideur indélicat devant la juridiction de droit commun, le plussouvent le président du tribunal de grande instance saisi en référé provision dès lors que l'obligation n'est passérieusement contestable. En revanche, si la totalité des provisions d'honoraires ont été réglée par l'une des parties,le tribunal arbitral doit, dans la sentence, répartir définitivement la charge du coût de l'arbitrage. Cette questionappartient à l'objet du litige et relève de la compétence juridictionnelle des arbitres.

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92. - Impossibilité de recourir à la taxation - L'arbitre ne peut pas utiliser les articles 719 et suivant du Code deprocédure civile pour obtenir du président du tribunal de grande instance la fixation de ses honoraires par voied'ordonnance (CA Reims, 16 déc. 1999 : RTD com. 2002, p. 42, obs. E. Loquin). L'arbitre n'est pas un auxiliaire dejustice, serait-il désigné par le juge d'appui. Ce dernier ne lui confie aucune mission de nature judiciaire, mais meten oeuvre la convention des parties.

93. - Fiscalité des honoraires des arbitres - Les honoraires des arbitres sont soumis à l'impôt sur le revenu dansla catégorie des bénéfices non commerciaux (G. Blanluet, La fiscalité des rémunérations des arbitres : Rev. arb.2001, p. 345). Les avances sur honoraires sont imposables immédiatement.

Les prestations d'arbitrage sont en principe assujetties à la TVA. Mais, l'arbitre agissant à titre occasionnel s'entrouve dispensé. La matière a fait l'objet d'un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes lorsque ledébiteur des honoraires est établi hors de l'Union européenne, qui a perturbé les règles applicables (CJCE, 16 sept.1997, Von Hoffmann : Rev. arb. 1998, p. 165). En principe, s'agissant de prestations immatérielles, conformément àl'article 259 B du Code général des impôts, si le prestataire de service est français, il applique la TVA aux servicesqu'il rend au bénéficiaire français et au bénéficiaire établi sur le territoire de l'Union européenne. Si le bénéficiaireest établi hors l'Union européenne, les services rendus par un prestataire français ne sont pas assujettis à laTVA. Pourtant, la Cour de justice des Communautés européennes exclue les prestations d'arbitrage du régime desprestations immatérielles et soumet les prestations d'arbitrage au régime général d'imposition à la TVA au lieud'établissement du prestataire. Il en résulte que, si l'arbitre est résident en France, la prestation sera toujours taxablemême si son bénéficiaire n'est pas établi dans l'Union européenne.

94. - Frais - Le remboursement de frais engagés par l'arbitre pour remplir sa mission ne prête pas à discussion.Ces frais sont variés : frais de correspondance, de secrétariat, de déplacement, de traduction, d'interprétariat et delocation de salles d'audience souvent avancés, pour les deux derniers, par le président du tribunal arbitral. Plusexceptionnellement, les arbitres pourront demander le remboursement des frais de procédure qu'ils ont dû engagerdans le cadre de l'arbitrage, par exemple pour obtenir une prorogation judiciaire du délai d'arbitrage. Le tribunalarbitral, dans la sentence, se prononcera sur la répartition définitive entre les parties de la charge de ses frais.

b) Exception d'inexécution

95. - Sentence arbitrale - Étant partie à un contrat synallagmatique, l'arbitre peut se prévaloir de l'exceptio nonadimpleti contractus. En particulier, s'il n'est pas payé de la totalité de ses honoraires, l'arbitre pourra retenir sasentence et, bien qu'elle soit prononcée, ne pas la communiquer aux parties. Cette solution est de très loinpréférable à la suspension de l'exercice de sa mission, qui risque de provoquer l'extinction du délai d'arbitrage. Lasentence étant rendue, et elle l'est dès l'instant qu'elle est signée par ceux qui l'ont rendue, l'arbitre ne peut plus sevoir reprocher d'avoir laissé s'éteindre le délai de l'arbitrage ou d'avoir manqué de diligence. Nous conseillerons auxarbitres placés dans cette situation de confier la sentence à un dépositaire pour bien formaliser l'extinction del'instance arbitrale et la reddition de la sentence. Aucune décision de jurisprudence n'a confirmé l'existence d'un teldroit. Mais, son existence n'est contestée par aucun des auteurs qui se sont penchés sur la question (Th. Clay, op.cit., n° 846 s. - Vizioz : RTD civ. 1938, p. 309). M. Clay soutient même que le droit de rétention peut être étendu surles documents remis par les parties au cours de l'instance et restés en la possession de l'arbitre.

c) Droit à la dissidence d'opinion

96. - Refus de signer la sentence - L'arbitre, siégeant dans un tribunal arbitral collégial peut manifester qu'iln'approuve pas la sentence rendue par la majorité de ses collègues. En droit français, ce droit s'exprime par le refusde signer la sentence, prévu par l'article 1473 du Code de procédure civile.

Ce refus de signer doit être mentionné dans la sentence même à peine de nullité (V. JCl. Procédure civile,Fasc. 1042, Sentence arbitrale, n° 43). Cette faculté qui est offerte à l'arbitre doit être considérée comme un

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véritable droit qui ne peut lui être refusé. Il en va de son intégrité intellectuelle de montrer qu'il se rend à l'opinionde la majorité parce qu'elle est majoritaire, et non parce qu'elle l'a convaincu.

97. - Opinion dissidente - L'arbitre peut-il aller encore plus loin et émettre une opinion dissidente dans laquelle ilexposera les raisons de son désaccord avec l'opinion majoritaire du tribunal arbitral ? La majorité des auteursconsidère que cette pratique est prohibée par l'article 1469 du Code de procédure civile qui précise que le délibérédes arbitres est secret : même si l'auteur de l'avis minoritaire ne dit pas comment s'est déroulé le délibéré, il traduirafatalement, dans son avis, la manière dont les questions de fond ont été abordées, discutées, décidées (DeBoissesson, Le droit français de l'arbitrage interne et international, p. 802. - Également, Ch. Jarrosson, note ss CAParis, 15 oct. 1991 : Rev. arb. 1991, p. 643). La cour d'appel de Paris, dans l'arrêt précité, paraît bien condamnercette pratique : il "ressort clairement de l'article 1473 du Code de procédure civile que seule la mention du refus designature de l'un des arbitres doit être portée sur la sentence sans qu'il y ait lieu d'indiquer les motifs de ce refus".Telle pouvait être également la solution donnée par la cour d'appel de Paris dans un arrêt rendu le 7 juillet 1994 (CAParis, 7 juill. 1994 : Rev. arb. 1995, p. 107, note Jarvin), à propos d'une opinion dissidente communiquée ausoutien d'un recours en annulation dirigée contre la sentence. La cour d'appel rejette l'incident de communication depièces au motif que l'auteur de l'incident n'a aucun intérêt à le faire, dès lors que son adversaire ne tire aucunargument de cette opinion dissidente ainsi communiquée. C'est dire que, dans le cas contraire, l'opinion n'aurait puêtre valablement communiquée au juge de l'annulation de la sentence.

Mais l'existence d'une opinion dissidente n'est pas un cas de nullité de la sentence. Tout au plus pourrait-elleengager la responsabilité de l'arbitre sur le fondement de la violation de son obligation de confidentialité.

Jusqu'à présent, on distinguait sur cette question les solutions propres à l'arbitrage international. La pratique del'opinion dissidente est permise par de nombreux règlements d'institutions d'arbitrage (V. Régl. CCI, art. 25). Elleest courante et même encouragée en common law. Aussi, en matière d'arbitrage international, la publication d'uneopinion dissidente n'est pas de nature à constituer un cas de nullité de la sentence, ni même une faute de natureengager la responsabilité de son auteur (CA Paris, 16 janv. 2003 : Rev. arb. 2004, p. 369, note L. Jaeger).

La cour d'appel de Paris a rendu en 2008 un arrêt qui paraît valider la pratique des opinions dissidentes même dansl'arbitrage interne (CA Paris, 9 oct. 2008 : Rev. arb. 2008, p. 843). La Cour juge que "le secret du délibéré, quin'est pas plus une cause de nullité de la sentence en droit international qu'en droit interne ne fait d'ailleurs pasobstacle à l'expression d'opinions dissidentes ou séparée". La décision lève les réserves tirées du secret du délibéré,qui faisaient obstacles à l'admission des opinions dissidentes en droit interne. Il n'est pas sûr que la solution soitheureuse. La pratique de l'opinion dissidente fait courir un grave danger à l'arbitrage, qui explique la réticence desauteurs à l'admettre dans l'arbitrage interne. Comme l'écrit M. de Boisseson, "elle revient à ouvrir peut-être la voieà une reconnaissance non avouée de l'inféodation de l'arbitre à une partie" (op. cit., p. 802). Et M. Bredin craintalors que "l'arbitre ne rédige son opinion particulière pour plaire à l'État, à l'entreprise qui l'a désigné, pourtâcher d'en garder la confiance" (op. cit., p. 80). L'opinion dissidente met en cause l'indépendance de l'arbitre. Maisn'est-ce pas seulement une pétition de principe ? Comme l'écrit M. Bredin, "l'arbitre qui rend publique une opinionparticulière est-il plus reprochable que celui qui refuse sa signature ?" (op. cit., p. 80).

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