Face à la difficile transition vers l'économie de marché: le consommateur algérien en otage

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    Face la difficile transition vers l'conomie de march.Le consommateur algrien en otage

    Crise de l'emploi, inflation galopante, pouvoir d'achat qui s'rode d'une manire verti-gineuse1: voici quelques-unes des caractristiques les plus frappantes de l'conomie algrienneen cette anne 1991.

    La politique suivie par l'actuel gouvernement se traduit d'une part par une drive ac-clre du dinar par rapport aux principales devises trangres et de l'autre par la quasi libertlaisse aux oprateurs conomiques de fixer leurs prix de cession. L'objectif avou par les au-torits comptentes est de restreindre les sur liquidits montaires en circulation, 40 50milliards de dinars, d'assainir financirement les entreprises passes l'autonomie et de rendredans un proche avenir le dinar convertible.

    Aprs avoir distribu pendant des annes des salaires qui n'avaient pas leur contrepar-

    tie en cration de richesses -mthode qui favorisait le chmage dguis -le gouvernement ac-tuel entend remettre les pendules l'heure. La planche billets qui a fonctionn allgrementdans les annes 70 et 80, grce la manne ptrolire, a favoris l'mergence d'un pouvoir d'a-chat familial global important. Cette situation a t rendue possible par la trs faible offre delogements -beaucoup moins de 100 000 par an -

    Nonobstant la gne, voire la mal vie, quentrane une sur occupation des appartements,on constate que cette situation tend repousser l'ge du mariage. En consquent, les troublesont leur premier enfant beaucoup plus tard qu' l'indpendance ce qui se traduit par un certaintassement du taux de croissance de la population qui est passe de 3,4 % dans les annes 70 environ 2,7 % aujourd'hui.

    Cependant ce manque de logements a entran un phnomne que les planificateurs

    n'ont pas suffisamment estim : la famille largie (par opposition la famille restreinte)2adispos d'un pouvoir d'achat collectif apprciable -plusieurs salaires (politique du chmagedguis dont on m'a parl plus haut) mis en commun en contribuer alimenter les dpensesalimentaires, les familles dlaissant force des choses l'pargne (peu ou prou de perspectivede logements) ou les dpenses d'quipement ( cause d'une part d'une offre insuffisante en

    produits lectromnagers et de l'autre de l'impossibilit pour chaque cellule familiale de la fa-mille largie d'entreposer sous le toit commun ses propres achats lourds ).

    Ce pouvoir d'achat collectif pousse les prix des produits alimentaires la race : la de-mande devient importante alors que l'offre stagne si elle ne rgresse pas. Ainsi les pommes deterre ont-elles atteint le prix de 25 dinars le 6 aot alors que vaille ses vendus en 1991 prsde 300 dinars le 6 aot un prix qui dfie l'imagination.

    Il est peu probable qu'une famille restreint de puisse parvenir acheter des produits de tels prix alors que plusieurs salaires moyens de 2500 dinars mis en commun rendent lachose ralisable sans qu'il n'y ait de difficult apparente pour ces familles joindre les deux

    bouts. La grve gnrale rcente de protestation contre la vie chre tend prouver le contraire.

    1 Daprs R. HAMMOUCHE in le nouvel hebdo n 30 du 16 au 22.01 1991, l'inflation aurait atteint le seuilde 50 %, le pouvoir d'achat se serait rod de 30 35 % en 1990 alors que les 125 000 emplois perdus cettemme anne tous secteurs confondus ajouts aux 340 000 nouvelles demandes d'emploi porteraient le chiffre to-tal des chmeurs 2 millions2 la famille restreinte sur compose du lait, de la mer et des enfants. Dans la famille largie en retrouve en plus lesascendants, les cours latraux et leur conjoint et descendance. Pour plus de dtails sur reporter M. BOUTEF-NOUCHET la famille algrienne, volution et caractristiques rcentes Ed. SNED, Alger 1982

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    Certes, on peut expliquer par d'autres facteurs cette flambe des prix : la scheressequi a svi durant l'anne 1990, les inputs imports (engrais, semences, pices de rechange) quidu fait de la drive du dinar cte de plus en plus cher3.

    Cependant, mme ce pouvoir d'achat collectif tend s'amenuiser en raison notammentde la faiblesse de l'investissement depuis 1986 et de la perte d'emploi estim en 1989 aprs

    deux 330 000 alors que plus de 300 entreprises surtout locales taient obliges de fermer leursportes.4 il s'ensuit un nombre plus faible donc eu des parfums amis et inversement un plusgrand nombre de personnes charge par salari. La fin de l'anne 90 a t particulirementrude pour le porte-monnaie du consommateur algrien tel point que lENAFLA5 dus pardeux fois se rsoudre lancer des oprations d'urgence d'importation de deux hommes deterre et d'orange marocaine et ce pour peser sur les prix locaux de ses produits alors quelENIAL6 importait des spaghetti italiennes et de l'huile de table.

    Le tableau ci-dessous donne une ide de l'volution des prix de certains produits ali-mentaires7.

    Produits Dc.

    1969

    Dc.

    1980

    Dc.

    1983

    Dc.

    1984

    Janv

    1986

    Dc.

    1990

    Augmentation de

    1990 par rapport 1986 en %

    Sardines 1,65 14,20 14,10 14,60 - 25 -Rougets 8,55 60,60 63,85 65,85 - 140 -Crevettes 5,00 60,00 74,30 72,5 - - -Pommes deterre

    0,60 2,90 3,60 4,05 6 9 50

    Cardes 0,92 3,00 4,40 4,85 5 7 40Choux-fleurs 1,01 6,05 4,70 7,95 3 15 400Oignons secs 0,66 2,85 5,50 3,15 22,0 8,0 -175

    Navets 0,74 3,10 4,35 6,25 5,0 12,0 140

    Carottes 0,79 2,95 4,40 5,25 6,0 12,0 100Laitue 1,41 6,95 10,15 9,75 6,0 16 166,6Tomates 1,37 7,05 9,85 9,05 10,0 24,0 140Citrons 0,87 4,10 5,20 8,85 8,0 16,0 100Clmentines 0,71 2,90 5,0 7,55 6,50 12,0 84,6Oranges(Thomson)

    0,65 2,90 5,80 8,55 8,50 18 176,9

    Gigot 12,0 63,85 64,70 71,20 90,0 150,0 66,6Beefsteaks 11,80 66,45 79,75 79,80 - 180,0 -Poulets nonvids

    7,20 20,15 22,05 21,05 25 60,0 140

    3 En avril 1990, il fallait au taux officiel fournir 1,40 dinar pour obtenir un franc franais. En mars 1991 au mo-ment o il s'tait quelque peu stabilis, un franc franais s'changeait contre 3,40 dinars4 Said Boucheneb, Dinar et partenaires trangers, valeurs incertaines , in le dfi conomique n 4 du 6 mars19915 Entreprise nationale des fruits et lgumes (ex OFLA)6 entreprises nationales de l'ingnierie alimentaire7 Ce tableau a t ralis partir d'informations traites dans le numro 6 de la revue de statistiques algrienneset d'aprs des relevs personnels en 1986 et 1990 au march du 1er mai Alger.

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    Le panier des mnagres cote de plus en plus cher mme si le gouvernement s'est en-gag geler les prix des produits de premire ncessit et de les soutenir grce une taxecompensatoire qui touchera tous les autres produits et qui devrait rapporter les 28 milliards dedinars ncessaires ce soutien.

    Cependant, ce serait faire preuve de beaucoup de navet que le croire que ces hausses

    de prix ne sont dues qu' des facteurs exognes. Le consommateur algrien, tout au moinspour les produits agricoles, est l'otage de toute une faune de spculateurs qui profitent de l'o-pacit des circuits de distribution pour imposer leur dictat.

    La rente spculative

    On a beau jeu de parler d'conomie de march o grce cette fameuse main invisibleles prix s'quilibreraient grce au jeu de l'offre et de la demande si tous les mcanismes de lalibre concurrence ne sont pas mis en place.

    Pourtant l'arrt or conomie nationale tend restaurer terme cette fameuseconcurrence. Ainsi les dsengagements dduit qu'elle ministrielle dans la gestion des entre-

    prises nationales qui passent progressivement l'autonomie et l'installation des concession-naires grossistes8 en est-il l'expression la plus tangible.

    La libration des prix agricoles, il y a quelques annes, aurait d se traduire par un ac-croissement de la production et partant, aprs une premire hausse prvisible des prix laconsommation, par, dfaut d'une baisse sensible, tout au moins une stabilisation et une offrede produits consquents.

    Or force est de constater que la concurrence ne joue. Et que d'un tal l'autre les prixsont identiques et toujours ports la hausse. C'est comme si tout le monde s'alignait sur le

    plus disant. Cette situation n'est imaginable quen situation de nette infriorit de l'offre parrapport la demande. La valse des tiquettes est donc sujette une demande sans cesse crois-

    sante et une offre de produits demeure rigide.Pourquoi cette offre ne suit-elle pas ?Au niveau de l'agriculture, une scheresse persistante ces deux dernires annes pour-

    raient tre en partie la cause d'une certaine stagnation de la production. Mais elle ne peut trele seul facteur explicatif du manque de disponibilit sur les marchs.

    Pour certains produits, les facteurs climatiques n'ont pas une influence notable et ilfaut chercher ailleurs l'explication la rtention de l'offre. L'achat sur pied des productionsagricoles permet une mafia organise de maintenir les prix leur plus haut niveau en nemettant sur les marchs que le strict minimum de produits. Ces mandataires peu scrupuleux

    prfreront ne pas procder la cueillette de certaines parties des cultures pour empchertoute variation des prix la baisse. Organiss de manire verrouiller tous les circuits entre le

    producteur et le consommateur, ces mandataires pompent la plus grosse partie de la rente agri-cole. Une simple comparaison entre les prix offerts au fellah pour sa production et ceux paysau consommateur permet de se faire une ide sur le dictat qu'impose une poigne de gros ma-fioso de la distribution.

    Les marchs islamiques ont durant le mois de ramadhan montr au grand jour grceaux prix trs faibles pratiqus qu'elle pouvait tre l'importance de cette rente.

    8 Concernant les textes rglementaires relatifs l'installation des concessionnaires et grossistes trangers en Al-grie se reporter la circulaire 63 du ministre de l'conomie du 20 aot 1990 ; la loi 90-10 du 14 avril 1990relative la monnaie et au crdit ; aux rglements 90-02 relatif aux conditions d'ouverture et de fonctionnementdes comptes devise des personnes morales , 90-03 relatif aux conditions de transfert de capitaux en Algrie pour

    financer les activits conomiques et de rapatriement de ces capitaux et de leurs revenus, 90-04 portant agr-ments et installation des concessionnaires du 8 septembre 1990 ; au dcret excutif du 5 mars 1991 relatif auxgrossistes et concessionnaires

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    L'Etat en instituant la libert des prix agricoles marquait par l son dsengagement ducontrle des prix qu'il n'a assum que de manire fragmentaire ces dernires annes.

    Quelle politique des prix ?

    Depuis 1962, date de son accession l'indpendance, l'Algrie a men plusieurs poli-tiques des prix qui toutes avaient pour objectifs avous la prservation du pouvoir d'achat ducitoyen. Qu'en est-il en ralit ? Un tour d'horizon s'impose.

    Jusqu'en 1966, c'est la libert des prix qui est de rigueur, rglemente par un texte fran-ais datant des lendemains de la seconde guerre mondiale.9 Trois dcrets10 pris en mai 1966,viennent ensuite ces beaux du ma. Cette premire tentative de rglementation n'aura tquadministrative et aura laiss de larges pans de l'conomie sous le rgime des prix libres.

    Le premier blocage des prix va intervenir deux ans plus tard l'ore du plan triennal etce jusqu'en 1975. Seuls les prix des produits agricoles et de pche feront exception ce blo-cage. Par cette mesure11, les autorits souhaitaient planifier les financements du plan triennal.

    En bloquant les prix des inputs on freinait la tendance la hausse des prix due aux in-vestissements de ce que l'on appelait aussi le pr plan. Les marges des entreprises dtenant unmonopole l'importation vont tre rglementes12en 1974 alors que l'ordonnance13 de 1975va introduire quatre rgimes de prix savoirlesprix fixes (concernent notamment les pro-duits dits de premire ncessit comme la semoule, le pain, l'huile, etc.), lesprix spciaux(dtermins indpendamment du cot de revient des produits pendant une dure dtermine),les prix stabiliss permettant la ralisation des programmes d'investissement (ciment, pro-duits rouges, bois, acier) et les prix contrls qui concernent tous les produits non cits pr-cdemment. Dans ce dernier cas il y a homologation du prix avec fixation ventuelle de lamarge.

    partir de 1983, compte tenu des imperfections constates pour ces quatre rgimes de

    prix, il a t dcid de s'en tenir deux sortes de prix : ceux dit fixes (pour les produits de pre-mire ncessit) et ceux dits surveills.La dernire rforme14 introduite dans le systme des prix date de 1989, on ne retrouve

    des rgimes : les prix rglements et les prix dclars. Les premiers reprennent les prix fixes,spciaux et stabiliss du systme prcdent. L aussi, grce ce rgime des prix rglements,on affirme avoir pour souci de prserver le pouvoir d'achat du citoyen mme si cette loi intro-duit les notions d'offres et de demande, dconomie de march et de comparaison avec les

    prix internationaux.Depuis plus de vingt ans , lAlgrie a connu une situation de rigidit de loffre en biens

    et services qui sest traduite par une pnurie quasi constante. Le blocage des prix et leur fixa-tion par le Centre des niveaux trs bas a contribu augmenter la demande solvable. Dans la

    ralit, la prservation du pouvoir dachat na pu se raliser, loffre demeurant infrieure lademande et la distribution laissant dsirer.Il sen est suivi le dveloppement dun march parallle et la cration dune rente de

    situation due la pnurie. Trs souvent le citoyen na pu avoir accs aux produits vendus auxprix officiels : seuls les serviteurs zls de lEtat, les membres de la nomenklatura, pouvaient

    9 Ordonnance n 45-1483 du 30 juin 1945 portant sur la rglementation des prix.10 Le dcret 66 -112 fixant le prix de vente des produits de fabrication locale ; le dcret 66 -113 fixant les prix desproduits imports et revendus en l'tat ; le dcret 66 -114 dfinissant les conditions des prix la production decertains produits. Tous ces dcrets datent du 12 mai 196611 Cf le dcret et 68-38 du 1er fvrier 196812 Cf le dcret n 74-123 du 20 juin 197413 Cf l'ordonnance 75-37 du 29 juin 197514 loi 89-12 relative au prix du 5 juillet 1989 et le dcret d'application 90-83 du 13 mars 1990 ainsi qu'un arrtdu 20 mars 1990

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    de par leur position en bnficier. Le paradoxe, cest que ce sont ceux qui ont le moins besoinqui profiteront de cette situation alors que le salari moyen doit se rabattre sur le marchnoir . De plus le soutien aux prix des produits de premire ncessit sert tout autant louvrier,

    pre de famille nombreuse que le cadre suprieur clibataire, tout autant le consommateur desucre que le fabricant de limonades15. La justice sociale aurait voulu que les prix ne soient pas

    soutenus et que les plus dmunis soient destinataires des sommes dvolues ce soutien(sousforme dallocation complmentaires du salaire)Dans ce contexte marqu par les pratiques commerciales illgales, un nouveau mode

    de distribution a fait son apparition en Algrie : le trabendo.

    Trabendo tout va

    Contraction du mot contrebande , le trabendo est la forme la plus criarde du marchparallle. Les produits achets l'tranger (vtements, chaussures, petits appareils,) introduitsde manire clandestine en Algrie, quand ce n'est pas avec la complicit de certainsdouaniers) sont revendus soit en magasins (comme Ryad el Feth, le centre commercial chicde la capitale) soir sur le bord des trottoirs dans certaines rues ou marchs bien connus. En g-nral le prix appliqu et dix fois suprieur celui de l'achat du produit en francs franais.

    Ce trabendo a t rendu florissant par plusieurs facteurs :1. la non disponibilit des produits de la surconsommation (surtout dans les domaines de

    l'habillement),2. la mauvaise qualit des produits locaux disponibles,3. la propension la consommation au dtriment de l'pargne (peu de perspectives d'a-

    voir un logement, manque de confiance dans le dinar),4. la recherche de produits made in (en gnral des pays occidentaux) par le gou-

    rou du mimtisme (des images de tlvision des chanes occidentales reues par sa-

    tellite favorisent l'mergence de cette demande),5. le fait que l'allocation touristique qui permettait d'acheter divers articles t supprime(jusqu'en 1986 elle s'levait environ 1500 FF par an et par voyageur) amne lesconsommateurs s'approvisionner sur le march local, en dinars, en produits pr-cdemment achets lors de voyages touristiques.En sus du trabendo dont les prix sont prohibitifs le consommateur est soumis au dictat

    des commerants et subit des pratiques commerciales illgales.

    Les pratiques illicites

    Parmi ces pratiques on citera les ventes concomitantes o la cession d'un produit est

    conditionne par l'achat d'un autre produit moins demand ; l'obligation de rgler ses achatsuniquement en liquide (certaines entreprises exigent un chque certifi) ; le mauvais agragedes produits (le premier choix masque le troisime choix) ; l'absence de prix sur les tals, lerefus de vente etc.

    Le distributeur, et l'picier en particulier, n'est pas lui non plus l'abri de pratiquescondamnables. Ainsi des grossistes refusent souvent de lui dlivrer des factures, ayant eux-mmes achet sans factures. Quand l'une d'elle est dlivre, elle ne porte pas sur le prix relde la transaction mais sur un prix fictif infrieur, ce qui permet de soustraire la diffrence au

    15 Sur les 800 000 tonnes de sucre consommes annuellement 150 000 tonnes vont en direction des bas revenuset

    le reste va vers les industriels de la confiserie et vers les revenus moyens et suprieurs. Sur les trois milliards dedinars de subvention au sucre, seul un milliard va vers les bas revenus selon les dclarations de M. Goumzianedans El-Moudjahid du 15/16 mars 1991.

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    fisc. Dans certains cas, on assiste mme un vritable march de fausses factures agrmen-tes par une corruption peine dguise de certains fonctionnaires.

    Les problmes d'approvisionnement sont quant eux difficilement rsolus. Sachantqu'il n'existe que peu de grossistes en produits alimentaires, un picier, il y a quelques annes,tait oblig, avec ses propres moyens de transport de faire le tour d'une douzaine de socits

    nationales pour s'approvisionner en produits aussi divers que les huiles alimentaires, les ptes,les piles, le th ou les lgumes secs.Depuis leur restructuration ce nombre d'entreprises a augment. Ainsi la seule SOGE-

    DIA a-t-elle donn naissance trois nouvelles entits : lENASucres, lE. N. C. G. (corpsgras) et lENAJUC. L'picier, lui-mme, est victime de la vente par quota, de la vente conco-mitante, du chque en blanc, du mauvais agrage des fruits et lgumes. Il rpercute tout natu-rellement ses difficults d'approvisionnement et ces pratiques frauduleuses sur le consomma-teur qui en bout de chane est le dindon de la farce.

    Le consommateur se doit de ragir

    Le consommateur se trouve donc prit entre le marteau et l'enclume. Face des prix quiflambent il y a le sentiment d'avoir t lch par les pouvoirs publics, soucieux qu'ils sontd'effacer cet hritage de trente annes de gestion administrative comblent dclarer rcemmentle ministre dlgu l'organisation commerciale. Il a d'ailleurs annonc la couleur en souli-gnant que le contrle des prix rapportait moins que la hausse des prix. Lorsque nous arri-vions faire dans les annes prcdentes 30 000 ou 40 000 procs-verbaux, il fallait mobiliserdes ressources humaines trs importantes pour rcuprer une dizaine de milliards de centimes.C'est trs peu comparativement ce que nous avons rcupr en 1990 par le seul systme des

    prix soit 11 milliards de dinars. Le meilleur contrle pour nous consiste appliquer la vritdes prix et non de courir derrire la spculation devait dclarer El Moudjahid M. Goum-

    ziane

    16

    .Cependant en affirmant, comme il le fait pour justifier le relvement du prix du ciment(35 dinars en 1990 et 88 dinar en 1991) que ce sont les riches qui achtent le ciment pourconstruire leur villa, il semble faire fi de deux choses. --

    - les riches ne sont pas les seuls constructeurs : il n'y a jet un coup d'oeil sur les pro-fessions des attributs termes de l'eau btir pour s'en convaincre, --

    - les riches, comme il les appelle, n'ont pas attendu 1991, pour se proccuper deconstruire leurs palaces : ils l'ont fait depuis longtemps en bnficiant des prix de vente et les

    passe-droits que se dlivraient complaisamment les membres de la nomenklatura.Les consommateurs ne sont pas dupes. Une de leurs associations, Intrts et Dfense

    du Consommateur (IDEC) dnonait la poursuite voire l'acclration implacable de l'inflation

    qui se traduit par une hausse insoutenable des prix17

    .L'IDEC avait en 1989 attir l'attention des lus de l'assemble nationale, lors du dbatsur la loi sur les prix, qu'il existait un risque de drapage inflationniste et avait propos qu'onmette en place un dispositif d'encadrement des prix pour les produits de premire ncessit etceux de large tout leur de fait hors on est et consommation. LIDEC na, ce jour, pas trouvd'cho favorable auprs des autorits publiques.

    Mais que peut faire une association qui ne rassemble pas grand monde, dont lesmoyens sont drisoires et qui n'a mme pas accs aux moyens audiovisuels (notamment latlvision) pour duquer et mobiliser les consommateurs ?

    La libert des prix sans concurrence est un leurre. De toutes les faons, un prix estlexpression d'une lutte en vue mene par les offreurs et demandeurs d'un bien ou de services.

    16 El-Moudjahid du 15/16 mars 199117 idem du 19 mars 1991

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    Si les premiers ne rencontrent pas de raction des seconds, ils seront tents de laisser librecours l'envole des prix. Ainsi Air Algrie qui a plus que doubl le prix de son billet vers l-tranger laisse-t-elle entendre qu'elle envisagera trs bientt une nouvelle hausse de 100 %.

    Si on se place du ct de l'entreprise, il est tout fait comprhensible qu'elle pense augmenter ses prix. Un petit exemple servira illustrer cette dmarche des firmes de produc-

    tion. Si au temps T0 l'entreprise X avait emprunt un million de francs pour acheter des qui-pements alors que le franc tait 0,99 dinars, elle inclura lamortissement de ces quipementsdans le prix de vente du produit fini. Si la parit avait d rester inchange elle aurait eu rem-

    bourser au temps Tn (fin de priode) 990 000 dinars plus les intrts. Or si au temps T1 (d-but des remboursements) la parit passe un franc gal 3,42 dinars, l'entreprise aura rem-bourser 3 420 000 dinars plus les intrts.

    Mais que penser d'une entreprise comme DVP qui a augment de prs de 300 % leprix de ses pices dtaches pour voitures ou de lENAPHARM qui manipule les prix des m-dicaments tout simplement en les mettant sur le march sans vignette ? Si le ministre ducommerce s'en indigne nous considrons cela en une manipulation des prix et la justicesur la saisie -les consommateurs, eux, doivent imprativement ragir.

    Une premire raction s'est faite travers la grve gnrale de 48 heures dcrte parlUGTA18 les 12 et 13 mars 1991 pour protester contre la vie chre. Le fait qu'elle ait t mas-sivement suivie augure durale morale des travailleurs qui ne veulent plus tre les dindons dela farce.

    Ce n'est pas en se haussant au niveau des prix pratiqus par le march noir que l'on d-fendra le pouvoir d'achat du citoyen. Les consommateurs doivent savoir que pour les annes90 ils devront sriger en protagonistes ou tout au moins en partenaires crdibles des dif-frents acteurs de la dcision conomique. Pour y parvenir, il faudra qu'ils oublient leur situa-tion prcdente d'assists et qu'ils oeuvrent pour une mobilisation gnrale de tout ceux quecette spirale inflationniste pauprise.

    Cependant la meilleure faon de peser sur les prix est encore, pour les consommateurs,de possder des points de vente tmoin. Les supermarchs de lEDGA (ex SNNGA) et ceuxdes aswaks (ex OFLA) aurait d jouer ce rle. Cependant ils ont montr leur limite19.

    Vers des coopratives de distribution de dtail

    A cause des faibles marges sur certains produits, des difficults dapprovisionnement,des pratiques commerciales illgales et dune fiscalit quils trouvent trop pesante, nombredpiceries se sont reconverties en des ngoces plus rmunrateurs.

    En 1977, le nombre de magasins de dtail alimentaires et de droguerie slevait 70 890. Sept ans plus tard, on nen comptait plus que 30 886 soit une chute de 56%20. Les

    populations des villes neurent dautres alternatives que de se rabattre sur les super marchsdEtat, appels tre des points de vente tmoins.Or en aucun cas ils ne surent remplir convenablement ce. La disponibilit des produits

    y est des plus alatoires. Ces magasins noffrent quune gamme restreinte de produits alorsque leur gestion fait apparatre des dficits importants suite une grande dperdition de marc-handises et une plthore de personnel, sous qualifi entre autres. Quant leur quasi loigne-ment des centres-villes, il ne les rend frquentables que par les dtenteurs de vhicules.

    18 Union gnrale des travailleurs algriens19 Cf Abdennour Nouiri, la planification des supermarchs jusqu'en 1984 et la dtermination de nouveaux typesde magasins de dtail en Algrie, thse de doctorat en conomie, universit de Montpellier 1, 19 juin 198620 Source : Centre National du Registre du Commerce travers des chiffres fournis pour 1977 par une tude delENERIC et pour 1984 par une tude des coopratives italiennes portant toutes deux sur un modle national dedistribution.

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    Pour offrir une plus grande disponibilit de produits , une meilleure proximit et desprix abordables, nous avons suggr dans deux articles21 dopter pour des chanes de su-prettes implanter dans le tissu urbain et partant dans tout lieu de vie dimportance.

    Lapprovisionnement de ces suprettes qui ne concerneraient que la distribution desproduits dalimentation et dentretien se ferait partir dentrepts rgionaux dont le rle serait

    de regrouper les produits locaux ou dimportation, de les conditionner et den assurer le col-portage vers les suprettes suivant un plan de commande transmis au pralable par celles-ci.Nous avions prconis la forme cooprative comme nature juridique de ces magasins et entre-pts.

    Ces coopratives regrouperaient des commerants indpendants alors que le conseildadministration comprendrait entre autres des reprsentants des associations de consomma-teurs. Au moment o lAlgrie essaie de rsoudre le problme de lemploi des jeunes, ces co-opratives auraient donc un double impact : donner un vritable aperu sur les prix et contri-

    buer rsorber le chmage des jeunes.

    21 Voir Algrie Actualit N 1143 du 10 au 16 /9/1987 et N1153 du 19 au 25/11/1987