EXTRATERRITORIALITE DE LA LEGISLATION...

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L’EXTRATERRITORIALITE DE LA LEGISLATION AMERICAINE DU CONTROLE DU COMMERCE DES BIENS SENSIBLES : ENTRE PRETENTION JURIDIQUE, INTERET PUBLIC ET REALITE ECONOMIQUE Analyse des réactions législatives, politiques et industrielles de l’Union euro- péenne, de la France et du Royaume-Uni Quentin GENARD [email protected] Mémoire défendu publiquement le 25 juin 2012 en vue de l’obtention du grade de Master en Science politique, orientation générale, à finalité spécialisée en politiques européennes devant un jury composé de Monsieur le Professeur Quentin MICHEL, Université de Liège, Promoteur Monsieur Filipo SEVINI, Commission européenne, Premier lecteur Mademoiselle Maryna TSUKANOVA, Région Wallonne, Second lecteur Juin 2012 Université de Liège Faculté de Droit et de Science politique Ecole de Criminologie Jean Constant Département de Science politique

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L’EXTRATERRITORIALITE DE LA LEGISLATION AMERICAINE DU CONTROLE DU COMMERCE DES BIENS SENSIBLES : ENTRE

PRETENTION JURIDIQUE, INTERET PUBLIC ET REALITE ECONOMIQUE

Analyse des réactions législatives, politiques et industrielles de l’Union euro-péenne, de la France et du Royaume-Uni

Quentin GENARD [email protected]

Mémoire défendu publiquement le 25 juin 2012 en vue de l’obtention du grade de Master en Science politique, orientation générale, à finalité spécialisée en politiques européennes devant un

jury composé de

Monsieur le Professeur Quentin MICHEL, Université de Liège, Promoteur Monsieur Filipo SEVINI, Commission européenne, Premier lecteur

Mademoiselle Maryna TSUKANOVA, Région Wallonne, Second lecteur

Juin 2012

Université de Liège Faculté de Droit et de Science politique Ecole de Criminologie Jean Constant Département de Science politique

[…] the extraterritoriality problem is worth serious attention, and is most constructively viewed not as a primarily legal but as a primarily political and economic problem, too im-

portant to be left to lawyers. Cité dans Rusen ERGEC, La compétence extraterritoriale à la lumière du contentieux sur le gazoduc Euro-

sibérien, Collection de droit international, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 1984, p. 11.

Je tiens à remercier les personnes qui, de près ou de loin, ont permis l’écriture de ce mémoire.

M. le Professeur Quentin MICHEL, promoteur, pour sa confiance et son intérêt communicatif ainsi que M. Filippo SEVINI et Melle Maryna TSUKANOVA, lecteurs, pour avoir accepté de juger ce mémoire ;

Les personnes interrogées qui ont acceptées de répondre à mes questions sur la position des opérateurs industriels ;

M. Bernard FOURNIER, Melle Marie-Hélène SEELS et Melle Hayat KARIM pour leurs conseils avisés et leur relecture éclairante.

LISTE DES ABREVIATIONS UTILISEES

AIEA Agence internationale de l’énergie atomique

ALENA Accords de libre-échange nord-américains

BIS Bureau of Industry and Security

CCC Commerce Country Chart

CCL Commerce control list

CE Communauté européenne

CIJ Cour Internationale de Justice

CJCE Cour de Justice des Communautés européennes

CJUE Cour de Justice de l’Union européenne

CPJI Cour permanente de justice internationale

DOC Department of Commerce

DOD Department of Defence

DOI Department of the Interior

EAA Export Administration Act

EAR Export Administration Regulations

ECCN Export control classification number

GATT General Agreement on Tariffs and Trade

ITAR International Traffic in Arms Regulations

NSG Nuclear Suppliers Group

OCDE Organisation de développement et de coopération économiques

OEA Organisation des États américains

OMC Organisation mondiale du commerce

OTAN Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

PTIA Protection of Trading Interest Act

TFUE Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne

TNP Traité de non-prolifération des armes nucléaires

TUE Traité sur l’Union européenne

UE Union européenne

TABLE DES MATIERES

Section I – Les dispositions américaines régissant le contrôle du commerce sensible s’appliquant hors du territoire ...................................................................................................... 3

1. Aperçu général du système américain de contrôle du commerce ................................................ 3 A. L’Export Administration Act (EAA) de 1979 ................................................................................. 4 B. Les Export Administration Regulations (EAR) éditées par le Bureau of Industry and Security .... 5 C. La réforme entreprise par le Président Obama ............................................................................... 8

2. Les dispositions extraterritoriales et leur licéité aux yeux du droit international public .......... 8 A. La légalité de l’application extraterritoriale du droit ..................................................................... 8 B. L’effet extraterritorial des dispositions relatives aux biens et technologies ................................ 10 C. L’effet extraterritorial des dispositions relatives aux personnes .................................................. 11

3. Conclusions de la Section I ............................................................................................................ 13 Section II – De l’autre côté de l’Atlantique : Perspective juridique et historique des relations entre l’Union européenne, le Royaume-Uni et la France et les Etats-Unis sur les prétentions extraterritoriales de cette dernière ......................................................................... 14

1. Le socle commun : les régimes internationaux de contrôle du commerce des biens sensibles 14 2. L’Union européenne : entre blocage et indifférence ................................................................... 15

A. Aperçu de la législation communautaire dans le domaine du contrôle des biens à double usage, à la recherche de prétentions extraterritoriales ....................................................................................... 15 B. Tentative de définition d’une position à l’égard des prétentions américaines : regard historique et héritage législatif .............................................................................................................................. 17

3. Le Royaume-Uni : le propagandé complice ................................................................................. 26 A. Aperçu de la législation anglaise dans le domaine du contrôle des biens à double usage, à la recherche de prétentions extraterritoriales ........................................................................................... 26 B. Tentative de définition d’une position à l’égard des prétentions américaines : regard historique et héritage législatif .............................................................................................................................. 30

4. La France : une indifférence mal armée ....................................................................................... 33 A. Aperçu de la législation française dans le domaine du contrôle des biens à double usage, à la recherche de prétentions extraterritoriales ........................................................................................... 33 B. Tentative de définition d’une position à l’égard des prétentions américaines : regard historique et héritage législatif .............................................................................................................................. 34

5. Conclusions de la section II ............................................................................................................ 37 Section III – Du côté des acteurs non-étatiques : rôle sur la scène internationale, attitude face aux prétentions américaines et rôle du droit international privé .................................... 39

1. Généralités ....................................................................................................................................... 39 A. Sur la place des opérateurs industriels dans le système actuel ..................................................... 39 B. Sur la responsabilité des exportateurs .......................................................................................... 40

2. La position des industriels ............................................................................................................. 41 3. Les contrats signés entre les entreprises : entre droit privé et droit public .............................. 43 4. Conclusions de la section III .......................................................................................................... 44

Conclusions générales – Panorama des réactions législatives, politiques et industrielles au sein de l’Union européenne, de la France et du Royaume-Uni ................................................ 45

Bibliographie ................................................................................................................................. 49          

Le contrôle du commerce des biens à double usage ne jouit pas de la plus grande publicité malgré son enjeu sécuritaire majeur. Il faut concéder que la matière se révèle souvent âpre au premier regard mais une fois cette première difficulté dépassée, l’objet prend toute son ampleur. Pourtant, cette discipline est absolument fondamentale tant elle rythme actuellement la scène internationale : lorsque ce n’est pas l’Inde et sa nouvelle proximité avec les Etats-Unis qui fait la une, c’est le programme nucléaire iranien qui soulève des craintes. Elle est également le témoin de faits historiques majeurs : on se rappellera que la toute première utilisation de l’Export Admi-nistration Act américain a fait suite à l’attaque de l’Ambassade américaine en Iran1. Mais la question sécuritaire ne se situe pas que du côté du proliférant : les moyens mis en oeuvre afin d’assurer la sécurité mondiale font également l’objet, de manière plus ou moins régulière, de commentaires ; c’est notamment le cas des prétentions américaines en matière d’extraterritorialité. Les autorités américaines ont en effet adopté une législation de contrôle des mouvements des biens sensibles dont la portée est extraterritoriale. C’est précisément ce sujet qui sera abordé dans ce mémoire. Ce thème semble en effet se prêter particulièrement bien à l’exercice : mêlant l’ensemble des disciplines rencontrées au fil des études à savoir le droit, l’économie, les relations internationales, l’histoire et, surtout, l’études des mécanismes institu-tionnels de l’Union européenne, l’étude de l’extraterritorialité américaine permet de mêler cha-cune de ces disciplines et, ajustées les unes par rapport aux autres, de donner une vue d’ensemble de la réaction européenne. L’objectif étant de décrire la réaction européenne face aux prétentions américaines en matière de régulation du commerce des biens à double usage et, dans la mesure du possible, d’y déceler une série de constances.

Le texte se décomposera en trois temps. Le premier sera celui de l’étude de l’objet même des controverses : l’extraterritorialité américaine. Une brève description du système américain sera effectuée afin de déterminer quels sont les principes qui sous-tendent les prétentions améri-caines. Ces principes seront ensuite analysés au regard du droit international, argument souvent convoqué par l’Union européenne. Dans un deuxième temps, le texte passera de l’autre côté de l’Atlantique afin de déterminer les réactions de trois ordres juridiques : l’Union européenne, le Royaume-Uni et la France. Après un bref passage par les régimes internationaux de contrôle du commerce des biens sensibles, l’analyse cherchera à déterminer si ces ordres juridiques contien-nent des dispositions s’appliquant également hors du territoire ou encore si ceux-ci viennent consacrer la législation américaine. Le regard se fera ensuite plus historique en retraçant les tensions entre les Etats-Unis et l’ordre juridique concerné. Ces tensions ont souvent permis l’adoption de législations de blocage qui seront décrites. Dans un troisième temps, enfin, c’est la position des opérateurs industriels qui sera scrutée au travers de l’analyse de deux entretiens. La question des clauses de soumission sera abordée en dernier lieu, juste avant les conclusions géné-rales qui ouvriront la voie à d’autres pistes de recherche.

                                                                                                               1 L’Export Administration Act représente le document fondateur du système américain de contrôle du commerce

des biens sensibles. Il fera l’objet d’une présentation détaillée dans la section suivante.

   

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SECTION I –

LES DISPOSITIONS AMERICAINES REGISSANT LE CONTROLE DU COMMERCE SENSIBLE

S’APPLIQUANT HORS DU TERRITOIRE

De manière peu originale, cette section s’attache à présenter les dispositions de la législa-tion américaine qui s’appliquent hors du territoire américain dans le domaine du contrôle du commerce sensible. L’exposé sera loin d’être exhaustif car il ne se concentre que sur les Export Administration Regulations, laissant de côté notamment l’International Traffic in Arms Regula-tions, mais il s’agit avant tout de souligner la logique du système dans laquelle ces dispositions s’inscrivent car les principes sous-tendant l’extraterritorialité américaine étant communs aux autres corps du texte, il n’a pas été jugé nécessaire de présenter ces derniers. Dans un second temps, les principes invoqués (inventés ?) par les autorités américaines afin de justifier leur juri-diction seront confrontés au droit international public et aux règles traditionnellement admises sur la scène internationale pour justifier la compétence d’un État.

1. Aperçu général du système américain de contrôle du commerce

Les autorités américaines considèrent le contrôle des flux du commerce comme un élé-ment crucial de leur politique étrangère. En effet, la première limitation des échanges commer-ciaux a eu lieu dans les tout premiers jours de la Révolution américaine lorsque le congrès conti-nental a levé, pour se venger de l’oppressante métropole, une interdiction de toute importation depuis l’Angleterre2. Pourtant, ce n’est qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale que les Etats-Unis ont mis en place un système systématique de contrôle du commerce en temps de paix3. La découverte récente des possibilités offertes par la technologie nucléaire n’étant sans doute pas la raison la moins pertinente. Ce sont des considérations d’ordre sécuritaire qui semblent motiver un tel contrôle aujourd’hui mais ce n’est pas l’unique justification comme nous le verrons. Le système actuel est basé sur l’Export Administration Act (EAA) de 19794, conclu pour une période de temps limitée5. Celui-ci confère au Président américain et à son administration (particulière-ment au Secrétaire responsable du Department of Commerce - DOC) un mandat afin que ceux-ci

                                                                                                               2 Un historique est disponible à l’adresse : http://bxa.ntis.gov/mission.html, consulté le 4 avril 2012. 3 C’est en effet en 1949 (Public law 81-11) que le Congrès américain adopta le premier Export Administration

Act qui posa les bases du contrôle du commerce dans le système américain. Il fut révisé en 1969 (Public Law 91-184).

4 Public Law 96-72, publiée le 29 septembre 1979. 5 La Section 20 du texte prévoit en effet son expiration le 20 août 2001. Toutefois, l’International Emergency

Economic Powers Act (Public Law 95-223) donne la possibilité au Président de déclarer l’état d’urgence et d’ainsi permettre une prorogation temporaire de certains textes. C’est la technique qui est utilisée afin de main-tenir l’EAA en vie : c’est actuellement la notice présidentielle du 12 août 2011 (Federal register vol. 76, n°158) qui prolonge sa validité pour une durée d’un an. L’EAA a été écrit dans le contexte bien particulier de la guerre froide et, d’après les commentateurs, ne semble plus répondre aux besoins des exportateurs (notamment parce que le texte fait allègrement référence à la COCOM qui a cessé toute activité depuis 1994). Toutefois, le Congrès n’est jamais parvenu à un accord afin d’adopter une version plus actuelle du texte (voir Ian F. FERGUSSON et Paul K. KERR, « The U.S. Export control system and the President’s reform initiative », CRS report to congress, 2012, p. 3).

   

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adoptent des Export Administration Regulations (EAR)6. Bien que de très nombreuses disposi-tions régulant les mouvements des biens sensibles puissent être retrouvées dans ceux-ci, il est illusoire de croire qu’il s’agit des seules obligations des exportateurs, citoyens américains et mêmes firmes étrangères. En effet, la législation américaine est loin d’être centralisée car il n’existe pas de droit exclusif dans le chef d’une seule agence : les différents corps gouvernemen-taux disposent chacun du droit d’émettre des restrictions relatives à leur champ d’action.

A. L’Export Administration Act (EAA) de 1979

L’EAA7 est, pour certaines de ses parties, directement applicable et c’est autour de sa structure que se développera tout le système américain. La législation admet en effet trois catégo-ries de motivations pour lesquelles des contrôles peuvent être instauré : la sécurité nationale, la politique étrangère et la crainte d’un poussée inflationniste8.

i. Les contrôles imposés au nom de la sécurité nationale

Afin de réduire l’exportation de biens ou de technologies qui peuvent permettre à des États tiers d’améliorer leur capacité militaire au détriment de la sécurité nationale, le Président a la possibilité d’interdire ou de réduire l’exportation de biens ou de technologies qui sont soumis à la juridiction des Etats-Unis ou qui sont exportés par des personnes se trouvant sous celle-ci9. Il faut toutefois mesurer l’ampleur de ces contrôles : ceux-ci n’ont pas pour volonté d’empêcher un accès total à certaines technologies mais seulement de le retarder10. Le texte prévoit deux excep-tions à la nécessité d’une autorisation préalable lors d’une réexportation d’un bien originaire des Etats-Unis : si l’État destinataire est membre d’un régime international du contrôle du commerce tel que le NSG11 ou si la plus-value américaine est inférieure à 25% du bien réexporté12. Le Se-crétaire au commerce doit également dresser une liste de pays vers lesquels toute exportation doit être interdite et une liste des biens qui sont soumis à autorisation. On se situe dans un système où les États sont classés en fonction de leur respectabilité et où le régime auquel ils sont soumis est déterminé au cas par cas. Une autorisation est également requise si les biens sont contrôlés par un régime international de contrôle et si les autres États ne disposent pas de la même technologie. En effet, et c’est un élément très spécifique au système américain, une autorisation peut ne pas être nécessaire si d’autres États possèdent la même technologie et sont capables de la fournir à l’État demandeur afin de faciliter au maximum le commerce. Le Secrétaire d’État est d’ailleurs invité à

                                                                                                               6 La partie pertinente pour ce texte s’étend du §730 au §774. La législation peut être consultée à l’adresse :

http://ecfr.gpoaccess.gov/, consulté le 15 mars 2012. 7 On notera qu’en plus de l’absence de monopole d’adoption de réglementation dans le chef d’une seule agence,

certains textes plus anciens que l’EAA conservent leur pertinence. On peut notamment citer le Trading with the enemy Act de 1917, le Mutual defence Assistance control Act de 1951 ou le Mutual security Act de 1954.

8 Respectivement les sections 5, 6 et 8 de l’EAA. 9 EAA, section 5, (a), (1). 10 Christopher J. DONOVAN, « The export administration act of 1979: refining United States export control ma-

chinery », Boston College International and Comparative Law Review, vol. 4, n°1, 1981, p. 94. 11 EAA, section 5, (a), (4), (A). 12 On parle alors de règle de minimis.

   

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mener des négociations avec l’État fournisseur potentiel afin que celui-ci retire du commerce les biens incriminés. Il s’agit pour les Etats-Unis d’un moyen de rester concurrentiel tout en promou-vant une harmonisation vers les standards américains.

ii. Les contrôles imposés pour des raisons de politique étrangère

Les Etats-Unis peuvent également contrôler leurs exportations pour des raisons de poli-tique étrangère13, notamment afin de respecter leurs engagements internationaux mais aussi, et sans doute surtout, afin de réduire le risque de participation de certains États à des actions terro-ristes14. Comme le souligne Christopher J. DONOVAN15, cette section fut la plus sollicitée afin d’imposer des contrôles car elle ne nécessite pas de passer devant le Congrès pour sa mise en œuvre. Le Président peut interdire ou limiter l’exportation de biens ou de technologies qui se trouvent sous sa juridiction ou si un bien ou une technologie est exporté(e) par des personnes se trouvant sous sa juridiction. Les limitations prises en vertu de cette section sont temporaires (maximum un an, renouvelable). Afin de pouvoir imposer des contrôles, le Président doit justifier sa mesure en prenant notamment en compte la réaction des États tiers afin de déterminer si ceux-ci ne risquent pas de rendre ces restrictions inefficaces16. Le même principe de foreign availabil-ity, déjà utilisé pour les contrôles à des fins de sécurité nationale, est applicable ici. De plus, toute exportation vers un État suspecté de soutenir le terrorisme (selon une liste dressée par le Depart-ment of State) doit faire l’objet d’une autorisation préalable.

iii. La protection contre une poussée inflationniste

Le gouvernement a également la possibilité d’imposer des restrictions aux exportations de certains produits lorsque celles-ci pourraient provoquer une pénurie induisant une inflation sur le sol américain17.

B. Les Export Administration Regulations (EAR) éditées par le Bureau of Industry and Security

La structure de cette législation est celle d’un manuel à destination de l’entreprise dési-reuse d’exporter18, elle met en œuvre l’EAA examinée ci-avant. Comme nous le verrons plus loin, le législateur américain a prévu un champ d’application bien plus large que les Européens ne l’ont fait pour leur propre législation. En effet, ne serait-ce que la définition même de l’exportation qui est beaucoup plus large19 pour ne prendre que cet exemple.

                                                                                                               13 EAA, section 6. 14 EAA, section 3, §§ (2), (B) ; (7) ; (8) et (13). 15 Christopher J. DONOVAN, op. cit., p. 90. 16 Sont implicitement visées les législations de blocage qui seront examinées infra. 17 Cette section s’écartant de l’objet de cette étude, elle n’est que mentionnée. 18 Elle contient d’ailleurs un schéma récapitulatif de la procédure pour déterminer si une licence est nécessaire le

supplément n°1 du §732 des EAR. 19 La législation américaine définit une exportation comme la délivrance ou la transmission effective d’un bien

sujet aux EAR en-dehors des Etats-Unis ou la délivrance d’une technologie ou d’un programme sujet aux EAR à un citoyen non-Américain sur le territoire des Etats-Unis (EAR §734.3, (b), (1) – notre traduction).

   

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Le premier EAR contient la marche à suivre (Steps for using the EAR (part 732)) afin d’utiliser les autres parties, là où une partie correspond à une étape à franchir pour savoir si une autorisation est nécessaire afin d’exporter ou de réexporter un bien. En effet, la grande originalité du système américain20 réside en sa prétention à réguler la situation de biens se situant hors du territoire américain et n’ayant plus aucun lien avec les Etats-Unis hormis son origine21. Le sys-tème est articulé autour de dix grandes interdictions ou restrictions au commerce22 dont les trois premières s’articulent autour de la détermination d’un Export Control Classification Number – ECCN et d’une autorisation nécessaire en fonction du pays de destination (déterminé dans la Commerce Country Chart – CCC). Afin de savoir si une autorisation est réclamée au nom de l’EAR, il convient de déterminer l’ECCN de chaque produit ou technologie. Ce numéro, unique, indique les raisons de contrôle du bien en question : non-prolifération nucléaire ou convention sur l’interdiction des armes chimiques ou bactériologiques par exemple. Il convient alors de reporter ces raisons de contrôle dans la Commerce Country Chart qui indique s’il est nécessaire, ou non, de demander une licence d’exportation ou de réexportation pour le bien en question. Les licences nécessaires varient en effet selon l’adhésion de l’État à des régimes internationaux de contrôle du commerce tel que le NSG, des organisations internationales telles que l’OTAN ou les relations dernièrement entretenues avec les Etats-Unis. Il reste tout de même un certain nombre de para-mètres à prendre en compte. En effet, les États soumis à un embargo23 ne sont pas répertoriés dans la CCL mais bien dans le § 746 des EAR qui indique le régime qui s’applique à eux. De plus, il faut vérifier si aucune personne n’intervenant dans le processus d’exportation/réexportation n’est une personne qui s’est vue déchue de ses droits d’exportations24. Toutefois, certains biens peuvent être exemptés de la nécessité d’une licence car la législation prévoit des exceptions de licences25.

Les mouvements qui tombent sous juridiction américaine sont donc l’exportation et la ré-exportation des « biens contrôlés » (biens listés dans la Commerce Control List (CCL)26 ou clas-sés comme EAR9927) c’est-à-dire l’exportation ou la réexportation des biens qui se situaient sur le territoire américain au moment de leur exportation initiale ainsi que des biens fabriqués dans un

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       En Europe, le critère de la nationalité n’est pas pris en compte et la définition est plus étroite car elle ne vise que la transmission de logiciels ou de technologies, par voie électronique […] vers une destination à l’extérieur de la Communauté européenne […] (article 2, 2), du règlement 428/2009).

20 Toutefois, d’autres Etats semblent adopter la même attitude mais sans commune ampleur avec la position américaine.

21 On reviendra plus loin sur ce concept de nationalité du bien qui semble plus que contestable au regard du droit international.

22 Voir EAR §736. 23 C’est-à-dire, en avril 2012, Cuba, l’Irak, la Corée du Nord, l’Iran, le Rwanda et la Syrie. 24 L’expression anglaise est la suivante: a person denied export privileges (EAR §732, (g), (1)). 25 EAR §740. 26 La liste complète se trouve dans l’EAR §774. 27 Il s’agit d’un terme générique regroupant des catégories plus larges de biens qui ne sont pas spécifiquement

repris dans la CCL (EAR §732.2, (f), (i)).

   

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État tiers dont le contenu d’origine américaine dépasse le seuil de la règle de minimis28 et enfin l’exportation ou la réexportation depuis un État tiers d’un produit fabriqué dans cet État issu directement de produits ou technologies américains29. De plus, les biens en transit sur le sol américain sont également considérés comme étant soumis à la juridiction des EAR30 ; ainsi que le citoyen américain qui compte participer à la fabrication d’un engin nucléaire explosif sans autori-sation préalable du BIS31.

Le champ d’application est donc potentiellement très large mais trois limitations existent afin de réduire la portée des EAR. C’est ainsi que les biens se trouvant sous la juridiction d’une autre agence fédérale et ceux qui sont dans le domaine public sont soumis à un régime spéci-fique32. De plus, il existe la règle de minimis déjà mentionnée : les biens fabriqués à partir de pièces ou de parties de biens originaires des Etats-Unis ne sont pas soumis à l’autorité des EAR s’ils se situent en-dessous d’un seuil de 25 % de la valeur totale du bien pour les exportations non-suspectes et 10 % pour les exportations vers les pays classés E:1 dans la CCC, c’est-à-dire soumis à embargo33. Enfin, il faut vérifier si le bien est listé dans la CCL et que la CCC indique la nécessité d’une autorisation34. En effet, si les biens ou technologies qui ont aidé à la conception sont répertoriés comme pouvant participer à la conception de produits sujet à interdiction35, que ces biens sont repris dans la CCL et que l’EAR impose une autorisation pour des raisons de sécu-rité nationale36, les EAR trouvent à s’appliquer. Dans l’hypothèse où l’une de ces trois conditions n’est pas remplie, le bien se situe hors du champ d’application. L’EAR prévoit également des dispositions relatives aux citoyens américains lorsqu’ils peuvent être impliqués dans la mise en place d’un embargo réalisé par un État tiers contre des pays amis. Ceux-ci ne doivent participer en aucune manière à la mise en place d’une telle restriction si les Etats-Unis n’ont pas eux-mêmes une politique similaire. En effet, tout citoyen ou entreprise américaine37 doit refuser de se soumettre à une interdiction de commercer38, de fournir des informations personnelles39.

                                                                                                               28 Reexport and export from abroad of foreign-made items incorporating more than a de minimis amount of

controlled US content (EAR §732.1, (d), (ii)). 29 Reexport and export from abroad of the foreign-produced direct product of U.S. technology and software (EAR

§732.1, (d), (iii)). 30 EAR §734.3, (a), (1). 31 EAR §744.6, sous couvert de l’interdiction générale n°7 (§736.2, (7)). 32 EAR §734.7. 33 EAR §734.3, (c). 34 Il conviendra de vérifier si la destination du bien est un État placé sur la liste noire D:1 (pays suspects) or E:1

(pays sous embargos). 35 C’est-à-dire les biens et technologies qui sont repris dans les EAR et qui nécessitent la mise en œuvre de garan-

ties par le destinataire. 36 On notera que la délivrance d’une autorisation d’exportation par un Etat tiers ne dispense pas l’exportateur

d’introduire une demande auprès du BIS pour les biens tombant sous leur juridiction (EAR §734.12). 37 Entendu dans un sens tellement large que n’importe quelle entreprise qui a lien même infime avec le territoire

ou les autorités américaines se trouve assimilée. 38 EAR §760.2 39 L’équivalent européen sera analysé par la suite. On remarquera le caractère systématique présent chez les

Américains alors que de l’autre côté de l’Atlantique, l’application ne se fait qu’au cas par cas.

   

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C. La réforme entreprise par le Président Obama

En 2009, le Président OBAMA a annoncé une réforme assez fondamentale du système de contrôle des exportations. La logique est basique : simplifier pour rendre plus efficace. C’est ainsi que la nouvelle politique doit s’articuler autour de quatre axes : la création d’une agence unique responsable pour l’émission des licences tant pour les exportations de biens à double usage que pour les munitions, l’adoption d’une unique liste de biens à contrôler, la mise sur pied d’une seule agence responsable de la mise en œuvre et des poursuites en cas d’infraction et la création d’une banque de données centralisées reprenant l’ensemble des parties condamnées ou inter-dites40. Cette politique publique étant toujours en cours d’implantation, il est difficile de faire plus de commentaires pour le moment mais il semble que les principes soutenant la portée extra-territoriale ne sont pas visés par les modifications.

2. Les dispositions extraterritoriales et leur licéité aux yeux du droit international pu-blic

Classiquement, la compétence extraterritoriale d’un État est définie comme étant la « [c]ompétence […] qui est exercée à l’égard de personnes ou de choses situées sur le territoire d’un autre État »41. On le comprend rapidement, cette compétence énerve très vite l’approche habituelle du champ d’application de la norme juridique. En effet, cette norme est destinée à régir les comportements d’un groupe déterminé d’individus sur un espace donné et dans une temporali-té précise. Le champ d’application ratione loci peut toutefois être plus petit que le territoire d’un État (par exemple dans le cas d’un arrêté communal) ou plus grand (notamment dans le cas d’un traité bilatéral)42. Toutefois, à la différence du Traité, l’extraterritorialité est la volonté édictée par un État qui va s’imposer sur le territoire d’un autre État sans le consentement de celui-ci.

A. La légalité de l’application extraterritoriale du droit

La jurisprudence internationale, en l’occurrence l’arrêt Lotus de la C.P.J.I.43 nous donne de précieuses indications sur la question. La Cour était amenée à se prononcer sur une question de compétence judiciaire soulevée par les gouvernements des Républiques française et turque suite à la collision de deux navires. La Cour accepta le principe de l’extraterritorialité sur le fond mais le limita ; en effet, la Cour considéra que44 :

Loin de défendre d'une manière générale aux États d'étendre leurs lois et leur juridiction à des per-sonnes, des biens et des actes hors du territoire, il leur laisse, à cet égard, une large liberté, qui n'est li-mitée que dans quelques cas par des règles prohibitives ; pour les autres cas, chaque État reste libre d'adopter les principes qu'il juge les meilleurs et les plus convenables.

                                                                                                               40 Ian F. FERGUSSON et Paul K. KERR, op. cit., p. 20. 41 Association des Universités francophones, Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles,

2001, p. 211. 42 Christian BEHRENDT et Frédéric BOUHON, Introduction à la théorie générale de l’Etat. Manuel, Collection de la

Faculté de droit de l’Université de Liège, 2e édition, Bruxelles, Larcier, 2011, pp. 38-39. 43 C.P.J.I., 7 septembre 1927 (Affaire du « Lotus ») reproduit dans Recueil des Arrêts, Série A, n°10. 44 Ibid., p. 19.

   

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Cette liberté de légiférer n’est dès lors pas sans limite. La doctrine la plus autorisée relè-vera en effet que la condition de légalité de base pour le droit international public tient en « un certain rattachement des faits extraterritoriaux pris en compte ou de la situation extraterritoriale régie avec l’État »45. Il y a donc certaines limites imposées ; mais quelles sont-elles ? Le droit international public considère comme un critère de rattachement reconnu le très classique trip-tyque formé par le territoire, la population et la souveraineté de l’État46. La doctrine résume dès lors les compétences comme étant territoriales, nationales ou de protection47.

Le critère du territoire n’est pas contesté : un État peut légiférer autant qu’il le souhaite sur son propre territoire. Il semble sans aucun doute licite que l’État puisse décider de légiférer sur les biens qu’il importe ou exporte hors de son territoire48. Certains États particulièrement créatifs (les Etats-Unis en premier lieu) adoptent une vision très personnelle du concept afin de le rendre compatible avec leur visée extraterritoriale. Selon la doctrine des effets, un État A est compétent sur les personnes ou entités d’un État B à partir du moment où celles-ci influencent d’une quelconque manière des événements se produisant sur le territoire de l’État A. Cette vision amène un champ de juridiction pratiquement infini et est largement contesté49. A l’inverse, il est incontesté que l’État puisse adopter des normes à l’égard de ses nationaux, peu importe le terri-toire sur lequel ils se trouvent. Il est par exemple légal aux yeux du droit international que le Royaume de Suède interdise à ses citoyens de prendre part à la confection d’armes chimiques sur le sol australien50 car les devoirs imposés aux citoyens sont vus ici comme la contrepartie des droits auxquels les citoyens bénéficient même lorsqu’ils se trouvent sur le territoire d’un État tiers51. Toutefois, ces devoirs ne peuvent être couplés à l’exercice d’une coercition à l’égard du ressortissant national tant que celui-ci se trouve sur le territoire d’un État tiers52. Le dernier cri-tère de rattachement est celui de la souveraineté car il permet à l’État d’agir hors de ses frontières sur base d’un principe de protection. Ce principe intervient lorsque l’on touche aux intérêts es-sentiels de l’État. C’est ainsi que la doctrine semble arrivée à un consensus sur un certain nombre de comportements qui permettent à ce critère d’être invoqué : espionnage, atteinte à la sécurité de l’État, contrefaçon de la monnaie, haute trahison ou assassinat du chef d’Etat53.

                                                                                                               45 Brigitte STERN, « Quelques observations sur les règles internationales relatives à l’application extraterritoriale

du droit », Annuaire français de droit international, vol. 32, 1986, p. 20. 46 Voir Christian BEHRENDT et Frédéric BOUHON, op. cit., p. 76 et s. 47 A.L.C. de MESTRAL et T. GRUCHALLA-WESIERSKI, Extraterritorial application of export control legislation:

Canada and the U.S.A., La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, 1990, p. 18. 48 Sous réserve, évidemment, des engagements internationaux conclus par un État visant à libéraliser les échanges.

Le GATT est ici spécialement visé. 49 A.L.C. de MESTRAL et T. GRUCHALLA-WESIERSKI, op. cit., p. 20. 50 Il s’agit d’un exemple fictif. 51 Sont particulièrement visés les droits politiques. 52 Comme le rapporte le Professeur STERN, l’envoi d’une convocation (subpoena) par lettre recommandée a été

jugée contraire au droit international (Brigitte STERN, « Quelques observations sur les règles internationales re-latives à l’application extraterritoriale du droit », op. cit., p. 15). Ceci est évident sans compter l’aide de l’État de résidence.

53 A.L.C. de MESTRAL et T. GRUCHALLA-WESIERSKI, op. cit., p. 24.

   

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Bien entendu, l’État étant souverain il dispose de la possibilité de conclure un accord avec l’État sur lequel la norme va s’appliquer afin de lever toute question quant à la légalité internatio-nale de ses dispositions. Les conditions de validité de ce Traité sont les conditions de formes habituelles et sa conformité aux normes de ius cogens. Toutefois, dans le cadre du contrôle des exportations, l’adhésion à des principes communs adoptés dans le cadre d’un régime international tel que le NSG semble poser plus de problèmes en raison de la nature de ces régimes54.

Au regard du droit international public, les théories convoquées afin de justifier l’application extraterritoriale d’une norme permettent de vérifier le rattachement, ou non, aux critères admis par la doctrine concernant la compétence normative des États. La législation amé-ricaine semble s’appliquer tantôt aux personnes, tantôt aux biens mais toujours sur base du critère de nationalité. Dans tous les cas, au regard du droit international, c’est la personne/entité qui commet le comportement qui est punissable mais l’élément déclencheur peut différer55. Le ta-bleau suivant met en regard les situations pour lesquelles une autorisation est nécessaire et les justifications apportées par le législateur américain.

Tableau 1 - Mise en regard des éléments déclencheurs et des théories convoquées afin de justifier le contrôle américain

Le point suivant examinera les théories convoquées au regard des critères traditionnelle-ment admis afin de justifier de la légalité de telles dispositions au regard du droit international, et force est de constater que l’articulation de telles théories ne tient pas toujours la comparaison avec le droit international.

B. L’effet extraterritorial des dispositions relatives aux biens et technologies

                                                                                                               54 La situation semble également plus complexe lorsque c’est l’entreprise qui désire se soumettre au droit d’un

Etat tiers (au travers des clauses de soumission). Cette hypothèse sera évoquée infra pour les deux hypothèses. 55 A.L.C. de MESTRAL et T. GRUCHALLA-WESIERSKI, op. cit., p. 28.

Situation qui nécessite une autorisation Théorie convoquée afin de justifier le besoin d’une autorisation

Bie

ns /

Tec

hnol

ogie

s

La réexportation d’un bien d’origine américaine d’un État tiers vers un autre tiers.

Théorie de la nationalité du bien ou de la technologie Le bien ou la technologie reste sous la juridic-tion américaine tout au long de sa vie parce qu’il a été fabriqué sur le territoire américain et possède donc intrinsèquement la nationalité de cet Etat.

L’exportation d’un bien ou d’une technologie dont un pourcentage déterminé de la valeur totale est d’origine américaine ou si le bien/la technologie a été fabriqué à partir de biens/technologies améri-cains.

Théorie de la contamination Tout bien ou technologie qui est fils/fille, d’une manière ou d’une autre, de ses équivalents américains a été contaminé(e) et se retrouve donc sous juridiction américaine.

Indi

vidu

s L’exportation d’un bien ou d’une technologie vers certaines destinations est soumise à autorisation pour tous les citoyens américains.

Théorie de la compétence personnelle Par le fait de posséder la nationalité améri-caine, les autorités de cet État ont la possibilité d’adopter des normes à destination de l’ensemble de ses citoyens dans le monde.

   

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Au croisement des critères de population et de souveraineté se situe le critère de nationali-té du bien qui est utilisé par le législateur américain afin de justifier l’imposition d’une autorisa-tion de réexportation pour un bien qui se situe hors de territoire. C’est par exemple le cas d’une centrifugeuse fabriquée sur le territoire américain et ensuite exportée en bonne et due forme sur le territoire allemand. L’exportateur allemand qui désire exporter le bien hors du territoire allemand va devoir demander une autorisation d’exportation aux autorités allemandes mais le BIS améri-cain va également devoir marquer son consentement préalable. Or, l’idée que les objets ont une nationalité n’est pas si évidente. En effet, d’après Brigitte STERN56 les objets ne possèdent pas de nationalité intrinsèque57. Un tel raisonnement a été confirmé par deux juridictions étrangères (dont le Tribunal de Commerce d’Anvers)58. La doctrine souligne, sous le ton de l’ironie, qu’identifier un « sentiment commun d’appartenance d’intérêts et de sentiments entre les Etats-Unis et un compresseur situé dans un État tiers défie les lois ordinaires de l’analogie »59.

Le législateur américain a également prévu la nécessité d’une autorisation pour le bien/la technologie qui est fabriqué à partir de biens/technologies américaines ou qui en est composé en partie. Découlant directement de la nationalité du bien-mère ou du bien-composant, cette autori-sation semble également soulever des interrogations. En effet, le principe de la nationalité du bien étant contraire au droit international, tous les principes qui se basent dessus ne peuvent être plus légaux, tout comme la conclusion ne peut qu’être fausse lorsque la prémisse est elle-même erro-née dans un syllogisme. Les autorités américaines semblent donc céder à un anthropomor-phisme : elles appliquent le droit des personnes aux biens en considérant que le bien a une natio-nalité et que celle-ci peut se transmettre par filiation. Il s’agit d’une vision plutôt originale qui ne trouve ni d’écho ni d’acceptation au sein de la communauté internationale. La théorie de la con-tamination n’est donc pas consacrée par le droit international public, pas plus que le principe même de la nationalité.

C. L’effet extraterritorial des dispositions relatives aux personnes

La législation américaine s’étend également « à toute personne sujette à la juridiction des Etats-Unis ». Malheureusement, ni les EAR ni l’EAA ne fournissent de définition sur l’étendue de cette juridiction60. Des législations antérieures, à savoir le Trading with the enemy act et                                                                                                                56 Brigitte STERN, « Quelques observations sur les règles internationales relatives à l’application extraterritoriale

du droit », op.cit., p. 36. 57 On notera tout de même quelques exceptions notables tel que l’Etat de pavillon pour les embarcations ou les

avions. Ces objets mobiles sont en effet difficilement rattachables à un territoire, le critère de l’État de pavillon leur est donc préféré. De plus, une exception existe dans une certaine mesure pour les biens culturels.

58 American President Lines Ltd c. China Mutual Trading Co Ltd, Court suprême de Hong Kong (1953) et Moens c. Ahlers et al., Tribunal de Commerce d’Anvers, 1965 cités dans Karl M. MEESSEN (éd.), Extraterritorial ju-risdiction in theory and practice, La Haye, Kluwer Law International, 1996, p. 95.

59 X, « Extraterritorial application of the export administration act of 1979 under international and American law », Michigan law review, vol. 81, n°5, 1983, p. 1325. Notre traduction.

60 Toutefois, les EAR (§744.6) définissent une personne américaine (US person) comme étant any individual who is a citizen of the United States, a permanent resident alien of the United States, or a protected individual as de-fined by 8 U.S.C. 1324b (a) (3); any juridical person organized under the laws of the United States or any ju-risdiction within the United States, including foreign branches; and any person in the United States.

   

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l’amendement sur le contrôle du gaz et du pétrole à destination de l’URSS, sur lequel nous re-viendrons, fournissent une définition identique. Il semble dès lors sensé d’inférer que cette défini-tion s’applique également à l’EAA et aux EAR. Toute personne est sujette à la juridiction améri-caine, quelque soit son endroit de résidence, si c’est un citoyen ou un résident américain ; si la personne se trouve actuellement sur le territoire américain ; si la société est organisée selon les lois américaines ou de quelque État, territoire, possession ou district des Etats-Unis ; et tout partenariat, association, entreprise ou autre organisation, où qu’il soit organisé ou fasse des af-faires s’il est possédé ou contrôlé par des personnes identifiées dans les trois points précédents61. Il faut également noter que la nationalité doit être effective62. La question de l’étendue de la juridiction américaine sur les entreprises établies à l’étranger et constituées sous des lois étran-gères semble soulever des interrogations. En effet, l’arrêt Barcelona-Traction63 de la Cour Inter-nationale de Justice est venu trancher cette matière en affirmant que c’est l’origine des lois sous lesquelles la société s’est constituée et, dans un deuxième temps, le pays d’établissement du siège social de l’entreprise qui permettent de définir la nationalité d’une entreprise et non la nationalité des actionnaires majoritaires. Or, le législateur américain tend à étendre sa juridiction jusqu’aux entreprises constituées dans un État tiers si un citoyen américain est impliqué, d’une manière ou d’une autre, dans la gestion de la société64. Le champ devient quasi infini et, finalement, contraire à la jurisprudence Barcelona Traction.

Toutefois, il est incontesté en droit international que l’État peut régir le comportement de ses nationaux à l’étranger65. Dès lors, si le gouvernement américain exige de ses nationaux qu’ils ne respectent pas un embargo mis en place par un État tiers, c’est son droit le plus strict. Toute-fois, le citoyen américain se trouvera alors en contradiction avec la loi du territoire sur lequel il se trouve et risque dès lors des poursuites. On se situe ici dans un conflit de normes. De plus, il faut également distinguer la compétence d’exécution de la compétence normative. Le cas qui nous intéresse ici est celui de la compétence normative : l’État peut adresser des ordres à ses nationaux en tout légalité mais il lui est formellement interdit de prendre des actes coercitifs à l’encontre de ceux-ci66, comme il a déjà été souligné, qui s’appliqueraient sur le territoire de résidence du

                                                                                                               61 (1) Any person, wheresoever located, who is a citizen or resident of the United States; (2) Any person actually

within the United States; (3) Any corporation organized under the laws of the United States or of any State, ter-ritory, possession or district of the United States; and (4) Any partnership, association, corporation, or other organization, wheresoever organized or doing business, which is owned or controlled by persons specified in paragraphs (a)(1), (2), or (3).

62 Selon la Cour Internationale de Justice, la nationalité se définit comme étant « un lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d’existence, d’intérêts, de sentiments jointe à une réci-procité de droits et de devoirs » (C.I.J., Affaire Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), Rec. 1955, p. 23).

63 C.I.J., Affaire Barcelona traction, light and power company LTD (Belgique c. Espagne), Rec. 1970, p. 3 et s. 64 Sont particulièrement visés ici les actionnaires de nationalité américaine qui, par leur simple participation,

tendraient à faire tomber l’entreprise dans le champ d’application de la loi américaine. 65 Brigitte STERN, « Quelques observations sur les règles internationales relatives à l’application extraterritoriale

du droit », op.cit., p. 33. 66 Ibid., p. 15.

   

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citoyen américain67.

3. Conclusions de la Section I

Cette section avait pour but de présenter le système américain de contrôle du commerce international en insistant sur les dispositions s’appliquant hors du territoire américain et d’examiner leur légalité aux yeux du droit international public. Le système américain, limité pour notre étude aux seuls EAA et EAR, présente un corps de règles qui a pour vocation de se réaliser à l’extérieur du territoire américain. Ces règles sont animées par une série de principes qui té-moigne d’une vision toute américaine du droit international. En effet, les autorités américaines n’hésitent pas à faire appel à des principes juridiques dont ils sont les seuls à en promouvoir l’application et même à en reconnaître la licéité.

Le premier corps de règles tend à se réaliser sur des biens, ou plus exactement tend à sor-tir ses effets sur des personnes en contact avec certains biens. Les exportateurs qui désirent dé-placer un bien hors du territoire sur lequel ils se trouvent, et ce où qu’ils soient sur le globe, se voient dans l’obligation de demander une autorisation aux autorités américaines si le bien est fabriqué à partir d’un bien importé depuis les Etats-Unis, si le bien contient une certaine quantité de biens/technologies d’origine américaine ou si le bien est lui-même directement importé depuis les Etats-Unis. Les principes qui sous-tendent une telle intervention sont dès lors ceux de la na-tionalité du bien ou la technologie ainsi que la théorie de la contamination. Or, le droit interna-tional ne reconnaît une nationalité pour le bien que pour une catégorie spécifique, c’est-à-dire les biens de transports en raison de leur nature-même68 et aucune justification ne peut être donnée à la contamination de la nationalité américaine, d’une part parce que celle-ci n’existe pas légale-ment et d’autre part parce qu’il n’y a pas de transmission par le ius sanguinis comme pour les personnes. Il semble dès lors que nous puissions conclure que les autorités américaines cèdent à l’anthropomorphisme.

Le second corps de règles vise les personnes de nationalité américaine sans considération pour leur localisation géographique. De telles règles sont incontestablement extraterritoriales car c’est le seul principe de la nationalité qui permet de définir la limite ratione personae du champ d’application de la norme juridique69 ; leur légalité n’est pas remise en question à condition que l’État se cantonne à un rôle prescriptif. Dès que celui-ci passe par la mise en œuvre de mesures coercitives (y compris l’envoi d’un simple courrier postal), l’État se voit bloqué par le principe de non-ingérence et se situe à la marge du droit international. Toutefois, le droit international ne jouissant pas d’un Ministère public permanent, de tels principes sont avant tout évoqués lors de contentieux mano a mano entre États et, ceux-ci n’étant guidés que par leur intérêt propre, ils ne soulèvent pas ce point lors de chaque contentieux. Il s’agit d’un argument juridique qui est utilisé à des fins politiques.

                                                                                                               67 Voir C.J.C.E., affaire 52-69 (J.R. Geygi AG c. Commission), Rec. 1972, pp. 790 et s. 68 Pierre-Marie DUPUY, Droit international public - Précis, 9ème édition, Paris, Dalloz, p. 80. 69 Voir Christian BEHRENDT et Frédéric BOUHON, op. cit., p. 38.

   

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SECTION II –

DE L’AUTRE COTE DE L’ATLANTIQUE : PERSPECTIVE JURIDIQUE ET HISTORIQUE DES

RELATIONS ENTRE L’UNION EUROPEENNE, LE ROYAUME-UNI ET LA FRANCE ET LES ETATS-UNIS SUR LES PRETENTIONS EXTRATERRITORIALES DE CETTE DERNIERE

Cette deuxième section a pour objectif de dresser le portait de trois acteurs internationaux: quelle fut la réaction de l’Union européenne, de la France et du Royaume-Uni70 face aux préten-tions américaines ? Après un bref détour par les régimes internationaux de contrôle du commerce, le système de contrôle des exportations existant dans chacun de ces ordres législatifs sera briè-vement décrit afin d’y rechercher des dispositions s’appliquant hors du territoire national. Le cas échéant, une description des Traités liant un de ces ordres juridiques avec les Etats-Unis sera faite. Dans un deuxième temps, le regard se fera plus historique, s’intéressant aux relations entre l’État, ou l’organisation internationale, et les Etats-Unis dans le domaine des prétentions améri-caines car comme le souligne Cédric RYNGAERT, « [t]ous ces embargos secondaires ont été abro-gés, suspendus ou mis à mal »71. Dès lors, si les législations qui ont créé l’émoi dans la commu-nauté internationale ne sont plus présentes ou sont, à tout le moins, diminuées, il n’en reste pas moins que les législations de blocage qui ont pu être adoptées continuent à exister car comme on le trouve sous la plume du Professeur COSNARD72 :

Elles [les lois à portée extraterritoriales] apparaissent comme un des derniers témoignages de l’arrogance des Etats-Unis sur la scène internationale. Les objectifs sous-jacents d’imposer au monde une lex americana, et une politique américaine, font des lois un des nombreux exemples récents de la volonté des Etats-Unis de régenter la société internationale. Force est toutefois, et malheureusement, de constater que ces démonstrations de force économiques sont assez efficaces. Elles ne le sont pas au re-gard des buts ultimes des lois […] [m]ais elles ont eu pour effet de modifier les comportements des États et des opérateurs économiques internationaux.

1. Le socle commun : les régimes internationaux de contrôle du commerce des biens sensibles

Comme les commentateurs le soulignent, les États préfèrent largement les régimes infor-mels aux régimes formels quand il s’agit de limiter le commerce73. Au rang des régimes formels on peut nommer le GATT ou encore le TNP74 qui ont pour vocation de faciliter le commerce

                                                                                                               70 La France et le Royaume-Uni ont été choisis pour leur longue tradition d’exportation de produits sensibles : ces

deux pays sont en tête de l’exportation d’armes et de munitions sur le continent européen (Sylvain PAILE, « From security to competitive security » in Quentin MICHEL (éd.), Sensitive Trade. The perspective of Europe-an States, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2011, p. 62). Ils sont dès lors particulièrement sensibilisés aux restric-tions pesant sur le commerce international.

71 Notre traduction. Cédric RYNGAERT, « Extraterritorial export control (secondary boycott)», Chinese journal of international law, vol. 7, n°3, 2008, p. 626.

72 Michel COSNARD, « Les lois Helms-Burton et D’Amato-Kennedy, interdiction de commercer avec et d’investir dans certains pays, Annuaire français de droit international, 1996, p. 60.

73 Quentin MICHEL, Concilier l’inconciliable. Les régimes internationaux et européens de contrôle du commerce nucléaire, Non-prolifération, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2012, p. 114.

74 Pour une analyse plus approfondie de ceux-ci, voir ibid., pp. 91-114.

   

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interétatique. Parmi les instruments informels, le NSG tient la première place. Tant les Etats-Unis que le France et le Royaume-Uni en sont membres (l’Union européenne disposant du statut d’observateur), ce qui constitue en quelque sorte le socle minimum d’obligations de ces Etats.

Le point 9 des lignes de conduites relatives aux biens nucléaires75 du NSG est particuliè-rement éclairant. Dans un premier temps, celui-ci s’intéresse aux transferts de biens nucléaires et aux produits-fils de tels biens ou technologies en demandant au receveur de n’exporter ces pro-duits que dans les mêmes conditions que celles du premier transfert. L’influence américaine est ici bien marquée avec la filiation de produits mais on reste hors du domaine de l’extraterritorialité car l’État originel n’a pas droit au chapitre. Ce qui n’est pas le cas dans la suite du texte qui pré-voit que le consentement de l’exportateur peut être réclamé dans un certain nombre de cas. On retrouve la même logique dans les lignes de conduites relatives aux biens à double usage76 qui, en leur point 7, prévoit explicitement que le fournisseur doit obtenir l’assurance du receveur que celui-ci demandera son consentement pour tout retransfert du bien.

Toutefois, la question du statut juridique de ces régimes internationaux doit être éclaircie pour déterminer la nature exacte de ces prescriptions. D’aucun pourrait estimer que l’État, en ayant adhéré à ces lignes de conduites, a accepté le principe de prior consent. Si ces instruments sont juridiquement informels, ils sont politiquement formels. En effet, ces engagements jouissent d’une position particulière et assez hypocrite : les textes sont âprement négociés selon les tech-niques des négociations d’un Traité par des personnes habilitées à engager leur État sans pour autant jamais obtenir le statut de Traité, on parlera d’« actes concertés non conventionnels »77. Un état peut dès lors se voir condamné non pas sur le plan juridique mais bien sur le plan politique parce que les régimes internationaux contiennent avant tout des « engagements de comporte-ment »78 sur lesquels les États ont marqué leur accord. Il semble que l’on se situe ici dans une zone d’ombre du droit international ; zone d’ombre qu’un éventuel conflit sur les prétentions américaines en matière d’extraterritorialité viendrait éclaircir mais dans l’attente d’une hypothé-tique solution, il convient de rester prudent.

2. L’Union européenne : entre blocage et indifférence

A. Aperçu de la législation communautaire dans le domaine du contrôle des biens à double usage, à la recherche de prétentions extraterritoriales

C’est en 1994 que l’Union européenne (alors Communauté européenne) a, pour la pre-mière fois, légiféré sur la question de l’exportation des biens à double usage79. Pourtant, l’idée                                                                                                                75 INFCIRC/254/Rev.10/Part 1, disponible à l’adresse : http://www.nuclearsuppliersgroup.org/Leng/02-

guide.htm, consulté le 3 avril 2012. 76 INFCIRC/254/Rev.8/Part 2, disponible à l’adresse : http://www.nuclearsuppliersgroup.org/Leng/02-guide.htm,

consulté le 3 avril 2012. 77 Quentin MICHEL, Concilier l’inconciliable. Les régimes internationaux et européens de contrôle du commerce

nucléaire, op. cit., p. 116. 78 Ibid., p. 115. 79 Via le règlement (CE) n° 3381/94 du Conseil instituant un régime communautaire de contrôle des exportations

de biens à double usage, publié au Journal Officiel (L 367) le 31.12.1994, p. 1 et la Décision du Conseil

   

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même que les institutions européennes puissent se saisir de la question n’est pas évidente. En effet, le contrôle du commerce sensible se situe au croisement du politique et du commerce, ce dernier servant de support à l’action du premier. Or, le système européen a été conçu de telle manière que l’Union européenne ne dispose que des compétences qui lui ont été attribuées for-mellement par les Traités80 et bien qu’elle dispose d’une compétence en matière de politique commerciale commune81, l’Union ne sert que de support à l’action des États-membres dans le domaine de la politique étrangère82. La politique étrangère reste du domaine de l’État ce qui exclut certaines activités du champs de la politique commerciale commune, comme les armes par exemple avec l’exception prévue à l’article 346 TFUE. Mais pourquoi n’en est-il pas de même pour les biens à double usage ?

Dans l’arrêt C-83/94 (dit « arrêt Leifer »)83, la Cour de justice communautaire a été ame-née à se prononcer sur la division des compétences entre le niveau communautaire et le niveau national. Il s’agissait alors de la contestation de la validité de normes nationales adoptées alors que le niveau européen détenait une compétence exclusive dans le domaine de la politique com-merciale commune. La Cour répond sans ambiguïté que la nature de ces produits ne saurait en effet les faire échapper au champ d'application de la politique commerciale commune84. Les autorités nationales ne peuvent dès lors prendre des législations que si elles ont y été habilitées par le règlement, pour des raisons de sécurité publique ou encore pour des raisons semblables à celles énoncées à l’article XX du General Agreement on Tariffs and Trade. Dans un second arrêt rendu le même jour85, la Cour devait se prononcer sur une question préjudicielle soulevée par une Cour nationale relative à la même question de compétence. La Cour, sans faire preuve d’une grande originalité, n’a pas hésité à recopier certains passages du premier arrêt. Elle conclut de la même manière, en ajoutant toutefois que l’utilisation du commerce à des fins de politiques étran-gères n’excluait pas la compétence de l’Union.

A l’heure actuelle, la division des compétences connaît une évolution. Le principe veut que le législateur européen intervienne afin de fixer le cadre minimal, qu’il agisse donc en tant que pouvoir normatif, et que le niveau national délivre les autorisations d’exportations, se can-tonnant donc à un pouvoir administratif. Mais le règlement donne la possibilité aux États-membres d’appliquer un régime plus spécifique sur certains points précis (ce qui est d’ailleurs

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       94/942/PESC relative à l'action commune, concernant le contrôle des exportations de biens à double usage pu-bliée au Journal Officiel le même jour.

80 Article 4 du T.U.E. 81 Article 3, e), du T.U.E. 82 En témoigne l’article 24, 1., §2, du T.U.E. qui stipule que la PESC […] est définie et mise en oeuvre par le

Conseil européen et le Conseil, qui statuent à l'unanimité, sauf dans les cas où les traités en disposent autre-ment. L'adoption d'actes législatifs est exclue.

83 C.J.C.E., 17 octobre 1995 (Poursuites criminelles contre Peter LEIFER, Reinhold Otto KRAUSKOPF et Otto HOLZER), 83/94, Rec. C.J.C.E., p. 3231.

84 Point 11 de l’arrêt. 85 C.J.C.E., 17 octobre 1995 (Fritz Werner Industrie-Ausrüstungen GmbH contre République fédérale

d’Allemagne), 70/94, Rec. C.J.C.E., p. 3189.

   

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assez étonnant pour un règlement). L’État, lorsqu’il intervient dans ce cadre, quitte son rôle administratif pour un rôle législatif. On se retrouve donc potentiellement avec autant de législa-tion qu’il n’y a d’État (sans parler des niveaux subétatiques). Mais la dynamique inverse est également vraie : l’Union européenne, par le biais des autorisations générales communautaires d’exportation, agit également en tant qu’autorité délivrant des autorisations. Il semble donc y avoir une tendance à la convergence des démarcations de compétences entre les États-membres et l’Union et la dernière modification86 du corps du règlement 428/2009 ne semble pas aller dans un sens différent.

C’est actuellement le règlement 428/2009 87 tel qu’amendé par le règlement (UE) 1232/2011 et par le Règlement (UE) 388/2012 qui régit la question. La législation européenne n’institue pas, contrairement à ce que son nom semble indiquer, un régime communautaire unique des exportations et transferts, du courtage et du transit. Il s’agit plutôt d’une « harmonisa-tion des législations nationales »88 : le règlement met en place les procédures minimales aux-quelles les États ne peuvent se soustraire mais, comme tout minima, il instaure également la possibilité d’établir un régime plus restrictif ou de contrôler des biens qui ne le sont pas sur base du règlement. L’objectif de cette session n’étant nullement d’examiner par le détail les disposi-tions contenues dans le règlement et la position commune, il convient seulement de signaler qu’à l’analyse, ni le règlement ni l’action commune ne témoignent d’une volonté de s’appliquer de manière extraterritoriale.

B. Tentative de définition d’une position à l’égard des prétentions américaines : regard historique et héritage législatif

i. Le contentieux international autour du gazoduc euro-sibérien (1981-82)

Dans le contexte agité de la guerre froide, les pressions économiques ont été une arme majeure de la diplomatie américaine ; diplomatie qui trouvait évidemment à s’appliquer dans l’affrontement entre les deux grands blocs. C’est ainsi que lorsque la Pologne, alors membre du bloc d’influence soviétique, déclara l’état d’urgence en décembre 1981 suspendant la plupart des libertés publiques, la nouvelle ne fut pas accueillie avec un grand enthousiasme de l’autre côté de l’Atlantique. Les autorités américaines suspectèrent en effet une machination de l’Union sovié-                                                                                                                86 Règlement (UE) n° 1232/2011 du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) n°

428/2009 du Conseil instituant un régime communautaire de contrôle des exportations, des transferts, du cour-tage et du transit de biens à double usage publié au Journal Officiel (L 326) le 8 décembre 2011, p. 26. On note-ra toutefois qu’une autre modification législative plus récente a eu lieu mais celle-ci était limitée à la révision des biens soumis à autorisation, soit l’annexe I du règlement 428/2009 (voir règlement (UE) n°388/2012 du Parlement Européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) n°428/2009 du Conseil instituant un régime communautaire de contrôle des exportations, des transferts, du courtage et du transit de biens à double usage publié au Journal Officiel (L 129) le 16 mai 2012, p. 12.

87 Règlement (CE) n° 428/2009 du Conseil instituant un régime communautaire de contrôles des exportations, des transferts, du courtage et du transit de biens à double usage, publié au Journal Officiel (L 134) le 29.5.2009, p. 1.

88 L’expression est de Quentin MICHEL in « The European Union Dual-Use Items Control Regime: Comment of the Legislation: article-by-article », révision de Mars 2012, publié et mis à jour régulièrement à l’adresse : http://local.droit.ulg.ac.be/jcms/service/index.php?serv=49&cat=3, consulté le 2 mai 2012.

   

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tique. L’administration REAGAN annonça alors un renforcement des mesures prises à l’encontre de l’URSS quelques mois plus tôt et l’imposition de mesures économiques à l’encontre de la Pologne89. Ce renforcement législatif90 prévoyait d’abord l’imposition du système du prior con-sent pour la réexportation de biens d’origine américaine servant de près ou de loin à l’exploitation des richesses naturelles telle que le gaz ou le pétrole, y compris des données techniques ; ensuite toute personne sujette à la juridiction américaine doit demander l’autorisation aux autorités amé-ricaines afin de pouvoir entrer en contact avec les biens ou données techniques mentionnées ci-avant alors qu’aucun individu, peu importe la juridiction à laquelle il soit soumis, ne peut expor-ter de biens ou de données techniques si ceux-ci sont dérivés de produits ou de savoir faire améri-cain. En cas de violation de ces règles, la sentence était commercialement très préjudiciable : le blocage complet de l’accès aux brevets, technologies ou biens américains91. On retrouve les catégories de contrôle présentées dans la section I, c’est-à-dire les contrôles qui s’appliquent encore à l’heure actuelle.

La portée extraterritoriale d’une telle loi n’est pas à prouver car sur les vingt sociétés qui ont été touchées, treize se trouvaient sur le territoire européen92. La réaction européenne ne s’est pas fait attendre. Il faut dire que les intérêts étaient grands dans ce domaine précis : à ce moment se déroulait la construction du gazoduc reliant la Russie à l’Europe par la Sibérie permettant à l’empire rouge de livrer en gaz naturel le vieux continent. Avec de pareilles mesures, un tel ou-vrage se trouvait largement compromis. Le 22 juin, le Conseil réuni au niveau des Ministres des affaires étrangères, protesta officiellement. Le 11 août, la Commission, en collaboration avec la Présidence danoise du Conseil, envoya une note juridique détaillée aux autorités américaines afin de souligner l’inefficacité et le caractère juridiquement discutable d’une telle mesure.

La note commençait par examiner la légalité de l’amendement au regard du droit interna-tional. Comme il a été écrit précédemment dans ce travail, la Commission souligne que de telles dispositions sont en infraction par rapport aux bases traditionnellement acceptées de rattachement de la compétence étatique. En effet, même pour le critère de la nationalité, l’amendement peut trouver à s’appliquer à des compagnies qui n’ont comme lien avec les Etats-Unis que celui d’être une société fille, parce que leur capital est détenu par des citoyens américains ou encore parce qu’elles bénéficieraient de subsides américains ou encore de technologie provenant d’une société américaine. La note juridique, en rappelant la jurisprudence Barcelona traction déjà mentionnée, condamnait clairement l’attitude américaine. Le second point développé avait trait à la nationalité des biens. La Commission rappela qu’il n’existe aucun principe en droit international accordant

                                                                                                               89 X, « Extraterritorial application of United States law: the case of export controls », University of Pennsylvania

law review, vol. 132, n°2, 1994, p. 364. 90 Export of oil and gas equipment to the Soviet Union reproduit dans International legal materials, 1982, p. 864 et

s. 91 Cédric RYNGAERT, « Extraterritorial export control (secondary boycott) », op. cit., p. 6. 92 Rusen ERGEC, La compétence extraterritoriale à la lumière du contentieux sur le gazoduc Euro-Sibérien, Coll.

de droit international, Centre de droit international de l’Institut de sociologie de l’Université Libre de Bruxelles, Bruxelles, Bruylant, 1984, p. 7.

   

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une telle nationalité. Jurisprudence à l’appui93, la Communauté européenne en déduit donc que les amendements proposés ne peuvent pas être justifiés au regard du critère de la nationalité.

La note juridique s’attarde ensuite sur deux autres bases de juridiction94 qui, bien que par-fois évoquées en droit international, ne font pas l’objet d’un large consensus et ne sont pas, dans le cas d’espèce, directement évoquées. D’une part, le principe de protection qui est déduit du critère admis de la souveraineté : un État est compétent pour régir des comportements qui se situent à l’extérieur de son territoire si ceux-ci menacent directement la sécurité nationale de l’État. D’autre part, la doctrine des effets pourrait également être évoquée. Selon celle-ci, l’État est compétent pour régir des comportements à l’extérieur de son territoire si ceux-ci ont un lien direct, prévisible et substantiel avec le territoire de l’État qui désire étendre sa juridiction. Or, dans le cas présent, on comprend mal comment la construction d’un gazoduc en Sibérie puisse avoir de tels effets sur le territoire américain. Par la suite, ce sont des commentaires quant à l’attitude de l’administration américaine qui sont formulés. En effet, il est argué que si un État tiers avait pris de telles mesures et que celles-ci trouveraient à s’appliquer sur le territoire améri-cain, il ne fait aucun doute que les autorités américaines auraient été plus que virulentes à l’encontre de telles normes95. La position est ainsi très bien résumée par Lord ELLENBOROUGH dans l’Arrêt BUCHANAN contre RYDER96 : Can the island of Tobago pass a law to bind the rights of the whole world? Would the world submit to such an assumed jurisdiction?

C’est finalement devant une Cour hollandaise que l’affaire trouvera son épilogue. Dans l’arrêt SENSOR97, une société de droit français avait commandé à la société de droit néerlandais SENSOR la livraison d’un certain nombre de pièces destinées au gazoduc. Après avoir accepté la commande, la société fit machine arrière suite à l’adoption par le législateur américain de l’amendement précité. La société SENSOR étant la fille d’une société américaine, celle-ci se trou-vait dès lors sous la juridiction américaine. La Cour rejeta l’argument et condamna la société à livrer les pièces à son client français car l’application de l’amendement sur le territoire hollandais aurait constitué une violation du droit international, l’amendement n’étant pas justifié par les critères de rattachement habituellement admis. Les autorités américaines, animées par la peur d’un rejet plus total et plus systématique de l’amendement et cédant ainsi à la pression internatio-nale, revinrent sur leur amendement au mois de novembre 1982 suite à un « accord » intervenu entre les parties98.

                                                                                                               93 Cour Suprême de Hong Kong, American president lines c. China mutual trading Co., 1953 et Moens c. Ahlers

North German Lloyd, Tribunal de Commerce d’Anvers, 1966. 94 Export of oil and gas equipment to the Soviet Union, op. cit., pp. 896-97. 95 A titre d’exemple, on peut citer le cas de l’embargo contre Israël levé par la ligue arabe qui a fait l’objet de

sévères condamnations et d’une interdiction de soumission de la part des autorités américaines. 96 Cité dans Brigitte STERN, « Quelques observations sur les règles internationales relatives à l’application extra-

territoriale du droit », op.cit., p. 19. 97 Tribunal d’arrondissement de La Haye (réf.), 17 septembre 1982 (Compagnie européenne des pétroles S.A. c.

Sensor Nederland B.V.) reproduit dans Revue critique de droit international, 1983, p. 473 et s. 98 Il est par ailleurs probable que l’accord ne soit qu’une façade afin de permettre aux autorités américaines de

garder la face en revenant sur leur législation. Cette thèse est notamment soutenue par Bernard AUDIT, « Extra-

   

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ii. Le rapport de force international suite à l’adoptions des lois Helms-Burton et d’Amato-Kennedy (1996) et l’adoption d’un instrument législatif défensif

Le Cuban liberty and democratic solidarity Act, plus connu sous le nom de loi HELMS-BURTON99 et le Iran and Libya Sanctions Act de 1996100, aussi appelée loi D’AMATO-KENNEDY, sont deux éléments de législation qui ont été adoptés par le Congrès américain au cours de l’année 1996 et dont la légalité internationale a été largement remise en question101. Leur adop-tion a été avant tout motivée par les événements terroristes qui ont alors touché la population américaine. En effet, le Président Bill CLINTON refusa dans un premier temps la signature de la loi HELMS-BURTON mais l’attaque menée contre deux avions américains par l’armée de l’air cubaine le fit changer d’avis102. De plus, il convient de remettre un tel acte dans le contexte de la politique nationale américaine : l’année 1996 était synonyme d’élections présidentielles. Les Républicains ont dès lors poussé pour l’adoption d’une telle loi et les démocrates, Président en tête, se sont bien vu obligés de suivre sous peine de laisser aux Républicains le monopole de l’image de défenseur de la Nation américaine103.

La loi HELMS-BURTON avait pour but avoué la chute du régime mis en place par Fidel CASTRO en isolant l’île. Comme le souligne le Professeur COSNARD, le texte s’articule en deux volets, l’un concernant directement Cuba et l’autre les biens spoliés par le régime castriste. Le premier volet, composé des Titres I et II, comprend une aggravation des mesures déjà existantes vis-à-vis de Cuba et des prescrits quant à l’avenir de Cuba. Le gouvernement américain prévoit en effet la mise en place d’un gouvernement de transition puis celle d’un gouvernement démocra-tiquement élu. La même section comprend des critères d’une rare précision afin de déterminer à quel moment le gouvernement cubain sera devenu démocratique104. Le deuxième volet s’étend sur les indemnisations suite aux nationalisations cubaines qui ont eu lieu depuis 1959 et prévoit la possibilité pour tout citoyen américain (et donc ancien Cubain) de demander au juge de constater le « trafic » (sic) et d’ainsi demander une indemnisation pour le dommage subi. La notion de trafic est d’une rare étendue: n’importe qui, où qu’il soit dans le monde, risque d’être poursuivi afin de se voir réclamer une indemnisation. De plus, l’interdiction d’entrée sur le territoire améri-caine peut être signifiée aux directeurs ou actionnaires de sociétés condamnées, à leurs femmes ou encore à leurs enfants mineurs. Comme le souligne Brigitte STERN105 :

Lorsque l’on sait que pratiquement toutes les entreprises – cubaines, américaines ou autres entreprises

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       territorialité et commerce international. L’affaire du gazoduc sibérien », Revue critique de droit international privé, 1983, p. 400.

99 H. R. 927. 100 H. R. 3107. 101 Voir Brigitte STERN, « Vers la mondialisation juridique ? Les lois HELMS-BURTON et d’AMATO-KENNEDY »,

Revue générale de droit international public, n°4, 1996, pp. 992-1002. 102 Ibid., p. 980. 103 Michel COSNARD, op. cit., pp. 33-34. 104 Ibid., p. 34. 105 Brigitte STERN, « Vers la mondialisation juridique ? Les lois HELMS-BURTON et d’AMATO-KENNEDY », op. cit.,

p. 984.

   

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étrangères –, ont été expropriées après la prise de pouvoir par Fidel Castro, on conçoit l’étendue des compétences que s’arrogent les Etats-Unis : n’importe quelle personne ou société ayant des relations économiques avec Cuba est virtuellement concernée.

La loi D’AMATO-KENNEDY cette fois avait pour objectif de fragiliser l’Iran et la Lybie en s’attaquant à leur richesse propre, c’est-à-dire le pétrole et ainsi « priver les deux États de res-sources financières, pour les empêcher de poursuivre leur politique actuelle »106. Ainsi, toute personne qui investissait plus de 40 millions de dollars107 (de manière cumulée ou en un seul investissement) dans ce champ de l’économie pouvait se voir punie par le Président par deux peines choisies parmi six proposées (allant du refus de toute délivrance ultérieure d’autorisation d’exportation à l’interdiction pour les banques de prêter de l’argent aux organismes concernés108).

Comme le soulignent les commentateurs, l’Union européenne, le Canada et le Mexique furent les trois régions du monde les plus touchées par ces lois109. Il était hors de question pour ces États de se laisser dicter leur politique étrangère par un État tiers ; qui plus est lorsque des milliards de dollars de transactions commerciales sont en danger comme en témoignent les pre-mières procédures lancées par les autorités américaines110. C’est pour cette raison que le Mexique et le Canada ont adopté des législations de blocage111. L’objectif de ces lois est de bloquer l’effet extraterritorial de lois adoptées par des États tiers sur le territoire de l’État concerné. Les lois visées se trouvent dans une annexe qui peut être facilement modifiable. En échange, l’État pré-voit un certain nombre de garanties112 accordées aux entreprises ou aux particuliers qui se situe-raient dans la situation de devoir désobéir à la loi extraterritoriale. La première disposition vient bloquer les effets de la loi adoptée par l’État tiers sur son propre territoire ; dès lors, le texte interdit aux personnes visées de se conformer à cette législation extraterritoriale. Afin d’inciter un tel comportement, le texte prévoit des sanctions financières qui doivent être plus importantes en cas de non-respect de la législation nationale qu’en cas de non-respect de la législation extraterri-toriale. Le dernier aspect est cette fois plus pratique : aucune condamnation ou décision adminis-trative promulguée sur le territoire d’un État tiers et qui viserait à condamner un national pour non-respect d’une législation extraterritoriale visée dans l’annexe ne pourra se voir reconnaître d’effet par l’administration ou par le système judiciaire national. Enfin, en cas de condamnation par l’État tiers, le gouvernement s’arroge le droit d’intenter une action judiciaire contre la per-sonne qui a bénéficié de la condamnation du national afin de le condamner à un montant égal à celui dont a été privé le national. Il s’agit pour lui d’un moyen de recouvrer les indemnités du                                                                                                                106 Brigitte STERN, « Vers la mondialisation juridique ? Les lois HELMS-BURTON et d’AMATO-KENNEDY », op. cit.,

p. 981. 107 Section 2 de l’Iran and Libya Sanctions Act de 1996. 108 Section 5 de l’Iran and Libya Sanctions Act de 1996. 109 Brigitte STERN, « Vers la mondialisation juridique ? Les lois HELMS-BURTON et d’AMATO-KENNEDY », op. cit.,

p. 986. 110 Pour un aperçu de celles-ci, voir Harry L. CLARK, « Dealing with US extraterritorial sanctions and foreign

countermeasures », University of Pennsylvania Journal of International Economic Law, vol. 20, n° 61, 1999, pp. 470-471.

111 Les textes de ces lois sont disponibles dans International legal materials, 1997, pp. 111 et s. et 133 et s. 112 Michel COSNARD, op. cit., p. 47.

   

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dommage. Ce mécanisme est connu sous l’appellation anglaise de claw-back clause.

En plus de ces législations de blocage, un certain nombre d’actions diplomatiques et judi-ciaires ont été enclenchées. Au niveau diplomatique, des discussions sur ce sujet ont eu lieu dans des organes internationaux tels que l’OEA, l’OCDE ou le dialogue transatlantique113. Même l’Assemblée générale des Nations-Unies s’est saisie du problème et condamna ces lois114. De plus, et de manière sans doute plus intéressante, une plainte a été déposée auprès de l’organe de règlement des différents de l’OMC et devant son équivalent de l’ALENA. En effet, le 30 avril 1996 la Commission européenne demanda l’ouverture de consultations avec des représentants américains au sujet de ces lois. Cette consultation constitue la première étape de la procédure devant l’organe de règlement des différends de l’Organisation Mondiale du Commerce115. Il ne restait dès lors plus qu’à convoquer un panel afin de commencer la partie proprement conten-tieuse de l’affaire. Ce fut chose faite le 1er octobre 1996, date à laquelle une plainte fut déposée officiellement116.

Quelques mois, et surtout quelques contacts diplomatiques plus tard, l’Union européenne suspendit sa plainte devant l’ORD. Le 11 avril 1997, les Etats-Unis et l’Union européenne signè-rent un Mémorandum d’accord117. Celui-ci prévoit que les Européens continueront de promou-voir des initiatives afin d’établir la paix sur le territoire cubain (sans pour autant en préciser le contenu) alors les autorités américaines s’engagent à maintenir la suspension de la partie relative à la confiscation des biens des personnes expatriées pour le reste du mandat du Président CLINTON et, en même temps, de chercher une solution avec le Congrès afin de pouvoir adopter un waiver définitif pour les citoyens européens. Concernant la D’AMATO-KENNEDY, les Etats-Unis s’engagèrent à continuer à travailler aux côtés des Européens afin de trouver une solution pour que la législation ne trouve pas à s’appliquer à ceux-ci118. Ce n’est qu’une année plus tard, lors d’un sommet qui réunissait les autorités américaines et européennes à Londres le 18 mai 1998 que les parties ont couché sur le papier le consensus119, formalisant une série de procédure et permettant de trouver une solution durable à leur différend. Cette solution ne s’avère toutefois valable que pour les lois précitées et ne constitue en rien un gage sur l’avenir. De part et d’autre

                                                                                                               113 Alan VAUGHAN LOWE, « US extraterritorial jurisdiction: the Helms-Burton and D’Amato acts », The interna-

tional and comparative law quarterly, vol. 46, n°2, 1997, p. 390. 114 Brigitte STERN, « Vers la mondialisation juridique ? Les lois HELMS-BURTON et d’AMATO-KENNEDY », op. cit.,

p. 991. 115 Philippe VINCENT, Institutions économiques internationales, Droit international, Bruxelles, Larcier, 2009, pp.

52-79. 116 Brigitte STERN, « Vers la mondialisation juridique ? Les lois HELMS-BURTON et d’AMATO-KENNEDY », op. cit.,

p. 990. 117 11 April 1997 Understanding between the European Union and the United States on US extraterritorial legisla-

tion, disponible à l’adresse: http://www.eurunion.org/eu/, consulté le 23 mars 2012. 118 Pour un commentaire, voir Joaquín ROY, « The « Understanding » between the European Union and the United

States over Investments in Cuba », Cuba in transition, n°10, 2000. 119 On relèvera notamment les documents suivants : Understanding with Respect to Disciplines for Strengthening

of Investment Protection, EU/US declaration on common orientation of non-proliferation policy et EU unilat-eral statement, disponible à l’adresse: http://www.eurunion.org/eu/, consulté le 23 mars 2012.

   

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de l’Atlantique, cette affaire a permis de faire prendre conscience de la nécessité de discuter, d’un dialogue entre chaque partie. C’est pour cela qu’il a été décidé d’établir un Partenariat transa-tlantique pour la coopération politique. Dans le même temps, les deux parties se mirent d’accord sur un texte selon lequel les Etats-Unis s’engagent à interdire l’effet de certains actes ou disposi-tions de législations sur les citoyens européens tandis que les Européens retirèrent la plainte qui était toujours pendant devant l’ORD120. La Commission européenne, dans un rapport adopté en 2004 relatif aux barrières à l’accès au marché américain, souligne que le Congrès n’a jamais réussi à trouver un consensus pour adopter un waiver définitif121. Les européens sont toujours protégés sur base d’une exemption semestrielle.

Les autorités européennes ont adopté une législation de blocage. Par le classique diptyque règlement / action commune, l’Union peut se prévaloir à l’encontre des législations issues des États tiers : le règlement 2271/96 et la position commune 96/668/CFSP du 22 novembre 1996122 lui en donnant les moyens. Adopté en 1996 en pleine période de tensions internationales suite aux lois HELMS-BURTON et D’AMATO-KENNEDY, ce « système intégré »123 rejoint parfaitement la description qui en a été donnée ci-avant et répond à la volonté affichée par le Conseil européen lors de sa réunion à Florence des 21 et 22 juin 1996 d’ « affirme[r] son droit et son intention de réagir pour défendre les intérêts de l'Union européenne face à cette législation et toute autre disposition dérivée en matière de boycottage ayant des effets extraterritoriaux »124. Toutefois, il convient de noter que l’idée d’adopter un tel instrument avait déjà fait surface lors d’un conflit antérieur, en 1992125.

Pour rappel, le règlement est adopté sur base de la « méthode communautaire » et s’inscrit dès lors dans les compétences de l’Union européenne tandis que la position commune n’est fina-lement rien d’autre qu’un texte adopté sur base de la méthode ouverte de coordination, ancêtre de la PESC, c’est-à-dire un texte intergouvernemental. C’est pour cette raison que le dispositif de l’Action commune ne contient qu’un seul article de fond qui précise que « Chaque État membre prend les mesures qu'il juge nécessaires pour protéger les intérêts des personnes visées à l'article 11 du règlement (CE) n° 2271/96 […] dans la mesure où ces intérêts ne sont pas protégés en

                                                                                                               120 Stefaan SMIS et Kim VAN DER BORGHT, « The EU-US compromise on the HELMS-BURTON and D’AMATO

acts », The American journal of International law, vol. 93, n° 1, 1999, pp. 230-231. 121 Voir United States: Barriers to Trade and Investment. Report for 2007. Disponible sur :

http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2006/february/tradoc_121929.pdf, consulté le 5 avril 2012. 122 Règlement (CE) n° 2271/96 du Conseil du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l'applica-

tion extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en dé-coulant et Action commune 96/668/PESC du 22 novembre 1996 adoptée par le Conseil sur la base des articles J.3 et K.3 du Traité sur l'Union européenne, relative aux mesures de protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en décou-lant, tous les deux publiés au Journal officiel le 29 novembre 1996, respectivement aux p. 1 et s. et 7 et s.

123 Pour reprendre les termes de l’action commune. Voir le considérant n°8. 124 Conclusions de la Présidence de la réunion du Conseil européen de Florence des 21 et 22 juin 1996, disponible

à l’adresse : http://www.europarl.europa.eu/summits/fir1_fr.htm, consulté le 3 mars 2012. 125 Cédric RYNGAERT, « Extraterritorial Export control (Secondary Boycott), » op. cit., p. 647, note 109.

   

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vertu du même règlement »126. Ce texte est dès lors vu comme un complément à l’action commu-nautaire, laissant le surplus aux États-membres127.

On remarquera que le règlement a été adopté sur base de l’article 235 TCE de l’époque (352 TFUE actuel, modifié). Cet article permet à la Commission de proposer des actions qui ne sont pas prévues expressément dans les Traités mais qui s’avèrent nécessaires afin d’atteindre les objectifs définis par ces mêmes Traités. Le règlement est ici particulier : il règle une question de relation entre deux ou plusieurs ordres juridiques. On se situe donc ici juste à la limite de la com-pétence communautaire, qui ne prévoit que l’adoption de disposition de fond. L’utilisation de la disposition d’exception semble donc ici s’inscrire parfaitement dans la logique du Traité. Le mécanisme prévu dans le règlement est simple : l’effet extraterritorial de toutes les législations qui sont mentionnées dans l’annexe du règlement128 se trouve bloqué pour toute personne qui se situe sur le territoire de l’Union européenne et qui possède la nationalité d’un de ses États membres ainsi que pour toute personne morale qui s’est constituée en société sur ce même terri-toire129 . L’article 4 prévoit la protection judiciaire : aucun jugement ou demande d’une juridic-tion d’un État tiers ne doit trouver d’écho si celles-ci sont basées sur un des textes juridiques listés dans l’annexe du règlement. L’article 5 quant à lui concerne les personnes physiques ou morales citées ci-avant en leur interdisant de se conformer à des demandes judiciaires basées sur un des textes juridiques listés dans l’annexe du règlement. Toutefois, le règlement tempère cette interdiction en permettant aux particuliers ou entreprises de se conformer tout de même à une telle législation si son non-respect menace sérieusement les intérêts de la personne ou ceux de la Communauté, avec l’aval de la Commission qui doit être de toutes façon avertie. L’article 6 vient clôturer le mécanisme en permettant aux personnes qui auraient subi un dommage suite à l’application de ces lois, de demander réparation devant les Tribunaux (claw back clause). Cette réparation pouvant aller jusqu’à la saisie de biens de la personne physique ou morale ou toute autre entité qui a causé le dommage ou toute personne agissant en son nom ou en qualité d'inter-médiaire établi sur le territoire européen. C’est donc un mécanisme très dur qui est ici mis en place. On comprend rapidement que l’intention n’était pas tant de protéger l’économie euro-péenne que d’en faire une position de principes : les articles précités sont en effet obligatoires dans leur contenu ; les contrevenants s’exposant à des pénalités130. Les textes visés sont, sans surprise, les lois HELMS-BURTON et D’AMATO-KENNEDY dans la limite de leurs dispositions s’appliquant hors du territoire. Le Conseil est compétent afin d’ajouter ou supprimer des actes législatifs de l’annexe mais la volonté est ici de conférer à la Commission le soin de modifier

                                                                                                               126 Article 1er de l’Action commune 96/668/PESC. 127 Pour une vue plus détaillée de la division des compétences dans ce cas précis, ainsi qu’une analyse poussée des

motivations juridiques de ces actes, voir Jürgen HUBER, « The Helms-Burton Blocking Statute of the European Union », Fordham International Law Journal, vol. 20, n°3, 1996.

128 Article I du règlement. 129 Les expressions sont ici globalisées. Pour plus de détails, voir l’article 11 du règlement. 130 Voir l’article 9 qui prévoit pour les Etats membres l’obligation d’édicter des sanctions en cas de non-respect.

   

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l’annexe du règlement 2271/96131. Le texte est actuellement en cours de discussion.

iii. L’Iran Non-Proliferation Act de 2000 et l’Iran Sanctions, Accountability, and Di-vestment Act de 2010

Après l’échec de la loi D’AMATO-KENNEDY et la découverte des volontés nucléaires du gouvernement iranien, les autorités américaines ont adopté une nouvelle réglementation qui, cette fois-ci encore, s’applique de manière extraterritoriale. Celle-ci a pour objectif de toucher toutes les personnes qui participent à la fabrication ou à la livraison de matériel pouvant servir à la fabrication d’une arme de destruction massive par l’Iran. En cas de non-respect, la sanction con-siste en une mise sur liste noire par les autorités américaines ; sanction qui se révèle, commercia-lement parlant, souvent mortelle. L’Union européenne s’exprima vigoureusement en amont de l’adoption d’une telle législation car la Commission considérait qu’une telle législation était contraire à l’accord conclu en 1997 entre l’Union européenne et les Etats-Unis132. Les autorités américaines ne répondirent pas et la loi fut tout de même proposée et adoptée. Toutefois, aucune entreprise européenne ne fut menacée sous l’empire de cette loi133. L’Union européenne ne fit aucune autre protestation et n’utilisa pas non plus sa loi de blocage. Il faut dire que le texte con-cernait un sujet sur lequel il y a un consensus international (les armes de destruction massive), ne vise que les opérations directement liées à la prolifération et les sanctions prévues sont internes au système juridique américain.

Plus récemment, en 2010, le Congrès américain a adopté de nouvelles sanctions à l’égard de l’Iran. Connue sous le nom de CISADA134 (pour l’Iran Sanctions, Accountability, and Divest-ment Act), cette législation se montre très dure envers la République islamique en prononçant l’interdiction totale de tout investissement dans l’industrie pétrolière iranienne ainsi qu’un certain nombre de limitations qui visent les institutions bancaires135 et ce, quel que soit le pays d’établissement ou de résidence de la personne concernée, y compris les industries de nationalité étrangère. Comme il est souligné dans la Harvard Law Review136, ces mesures sont « aussi pro-vocantes que la loi HELMS-BURTON » et pourtant l’Union européenne n’a pas réagi. Selon la même revue, l’Union européenne serait devenue plus raisonnable car elle aurait transposé les mesures adoptées par les Américains dans sa propre législation, évitant ainsi toute discussion quant à l’application extraterritoriale des lois américaines. Une des raisons invoquées pour ce changement d’attitude est l’adoption du Traité de Lisbonne qui renforce la coopération politique                                                                                                                131 Proposition de règlement du Parlement Européen et du Conseil modifiant certains règlements relatifs à la

politique commerciale commune en ce qui concerne les procédures d’adoption de certaines mesures (sic), COM(2011) 82 final, 2011/0039 (COD), disponible à l’adresse : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0082:FIN:fr:PDF.

132 Comme nous l’avons souligné, l’accord était alors spécifique aux lois HELMS-BURTON et D’AMATO-KENNEDY. Bien que l’on puisse argué qu’il s’agit d’un précédent, il s’agit plus d’un argument que d’un véritable droit.

133 Cédric RYNGAERT, « Extraterritorial export control (secondary boycott)», op. cit., p. 650. 134 Public law 111-195. 135 Notamment l’interdiction de participer ou de faciliter toute activité visant à l’acquisition d’armes de destruction

massive. 136 X, « Developments in the law – Extraterritoriality », Harvard law review, vol. 124, n°5, 2011, p. 1246.

   

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au niveau des affaires étrangères. Selon la revue, cela permet à l’Union européenne de parler d’une seule voix et d’ainsi, logiquement, se conformer aux exigences américaines137.

De l’autre côté de l’Atlantique, la réponse semble toute différente. En effet, loin de re-mettre en question les avancées dans le domaine de la PESC réalisées par le Traité de Lisbonne, le système est encore trop lacunaire et le Conseil manque encore de compétences afin que l’on puisse parler d’une réelle avancée politique comme semblent le voir les experts américains. Il semble qu’il faille imputer la non-réaction européenne a, d’une part, l’existence d’une résolution des Nations-Unies sur le sujet (résolution qui a inspiré le contenu de la législation américaine et celle adoptée par le Conseil européen) et, d’autre part, à l’existence d’un consensus international pour qualifier l’Iran de pays dangereux en matière de programme nucléaire militaire. En outre, la perspective historique adoptée ci-avant nous apprend que la position adoptée par les Européens s’inscrit dans la ligne politique que l’Union européenne a toujours défendue vis-à-vis de l’Iran étant donné que lors de toutes les protestations européennes, ceux-ci n’avaient pas eux-mêmes d’embargos à l’encontre des pays visés ; contrairement au cas iranien.

iv. A titre d’information : le règlement n° 2238/2003 du Conseil du 15 décembre 2003

Afin d’être exhaustif dans l’approche législation communautaire, on soulignera également un règlement adopté en 2003138. Celui-ci retient la même structure que la législation de blocage adoptée en 2006 mais se cantonne à arrêter les effets extraterritoriaux d’une législation améri-caine de 1916 contenant des dispositions antidumping. Le règlement est symptomatique d’un transfert de compétences qui s’est effectué en 1986 car c’est à présent l’Union européenne qui est compétente afin d’adopter les législations de blocages. Le mécanisme du règlement de 1986 n’a semble-t-il pas été privilégié car il était trop général : le corps du texte s’adapte ici spécifique-ment au règlement américain notamment pour la question des délais.

3. Le Royaume-Uni : le propagandé complice

A. Aperçu de la législation anglaise dans le domaine du contrôle des biens à double usage, à la recherche de prétentions extraterritoriales

La structure de la législation anglaise est assez semblable à la législation américaine. En effet, le Parlement a adopté un acte législatif qui confère un mandat au gouvernement afin que celui-ci puisse intervenir dans le domaine de l’export control. L’export control act de 2002139, tout comme l’EAA américain, définit les limites de la délégation de pouvoir effectuée vers le pouvoir exécutif. Actuellement, le cœur du système législatif anglais du contrôle de commerce se                                                                                                                137 Le ton de l’article est aussi sérieux que cette phrase est écrite ici avec ironie. Voir X, « Developments in the law

– Extraterritoriality », op. cit., pp. 1255-1256. 138 Règlement n° 2238/2003 du conseil du 15 décembre 2003 portant protection contre les effets de l'application de

la loi américaine antidumping de 1916, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant publié au Journal Officiel (L 333) le 20 décembre 2003, p. 1

139 Il est à noter qu’il s’agit du deuxième Export control act adopté par Westminster. Le premier le fut en 1939, à l’aube de la seconde guerre mondiale, mais fut critiqué car le Parlement a décidé de le modifier car il ne présen-tait pas un caractère assez démocratique (Voir Maryna TSUKANOVA, « United Kingdom » in Quentin MICHEL (éd.), Sensitive Trade. The perspective of European States, Bruxelles, Peter Lang, 2011, p. 46).

   

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situe dans l’Export control order 2008. L’autorité responsable pour la mise en œuvre de la légi-slation est l’Export Control Organisation. On peut considérer que quatre facteurs entrent en compte lorsqu’il s’agit de déterminer si une autorisation est nécessaire : la nature du bien qui doit être exporté, sa destination, son utilisation finale et la nature de la transaction commerciale en question.

D’abord, il faut noter que la nature du bien déclenche un contrôle lorsque celui-ci se trouve listé dans les UK Strategic Export Control Lists140. Afin de déterminer si un bien se re-trouve dans une de ces listes, il convient de procéder au marquage (rating) du bien. Ensuite, certains biens sont soumis à un régime plus strict : les biens listés dans l’annexe IV du règlement UE 428/2009 et dans la UK Military List ont besoin d’une licence pour toute sortie du territoire, y compris pour la circulation vers un État membre de l’Union européenne. Pour les autres biens, une demande de licence ne sera nécessaire que si l’exportation se fait vers un autre territoire que celui de l’Union européenne. Il faut également relever que des restrictions supplémentaires peu-vent apparaître pour certaines destinations en raison d’embargo notamment141.

En outre, si le bien ne se trouve pas listé, il se peut que celui-ci soit tout de même soumis à autorisation via le mécanisme des clauses catch all142. Toutefois, le système anglais semble tordre le concept en le précisant : c’est ainsi qu’il convient de faire la différence entre les con-trôles imposés lorsque l’utilisation finale est potentiellement militaire et ceux imposés pour des motifs de non-prolifération. Les contrôlés imposés pour prévenir des fins militaires visent d’une part les biens à double usage qui ont pour objet d’être utilisés avec un équipement militaire dans un pays sous embargo et, d’autre part, les biens qui peuvent servir de composants pour des biens militaires anglais acquis de manière illégale, sans considération cette fois pour le pays de destina-tion. Pour les deux, c’est une catch all de niveau I qui trouve à s’appliquer mais dans le cas des biens militaires anglais acquis de manière illégale, une catch all de niveau II vient compléter le dispositif. De manière plus originale, le système anglais montre une certaine méfiance vis-à-vis des mouvements de ces mêmes biens, même à l’intérieur du territoire douanier de l’Union. En effet, l’opérateur industriel a l’interdiction de procéder au transfert du bien vers une autre compa-gnie qui se trouve à l’intérieur du territoire douanier s’il a connaissance de la destination finale du bien, du fait que celle-ci se trouve à l’extérieur du territoire douanier et qu’il n’y a pas de raisons techniques à faire transiter le bien par une autre entreprise143. Le même système est mis en place                                                                                                                140 Ce document est une compilation de listes140 tantôt européennes (European Union (EU) Human Rights List, EU

Dual-Use List, European Union General Export Authorisations et Annex IV to EU Dual-Use Regulation 428/2009), tantôt anglaises (UK Military List, UK Dual-Use List, UK National Security and Paramilitary List et UK National Radioactive Sources List). Les références exactes sont disponibles à l’adresse : http://www.bis.gov.uk/assets/biscore/eco/docs/control-lists/12-514-uk-strategic-export-control-list-consolidated, consulté le 26 mars 2012.

141 On notera ainsi qu’hormis les embargos sur les armes, l’Inde et le Pakistan font l’objet d’un embargo sur les technologies nucléaires tandis que l’Iran et la Syrie font l’objet d’embargos plus généraux. La liste complète est disponible à l’adresse : http://www.businesslink.gov.uk/static/html/layer-1141.html, consulté le 27 mars 2012.

142 Pour une description du mécanisme, voir Quentin Michel, Concilier l’inconciliable. Les régimes internationaux et européens de contrôle du commerce nucléaire, op. cit., p. 255.

143 Export Control Order 2008, Part 2, 5 et 7.

   

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pour les biens listés dans l’annexe I du règlement, bien que ceux-ci peuvent tout de même être exportés s’ils sont couverts par une autorisation144.

La deuxième motivation pour la mise en place de ces clauses est la volonté de réduire au maximum le risque de prolifération. C’est ici une clause catch all de niveau III qui est instau-rée145. En effet, l’opérateur industriel qui a des motifs de soupçonner que le bien ou la technolo-gie qu’il est sur le point d’exporter est, ou peut être, utilisé en lien avec la fabrication d’armes de destruction massive et que le bien ne se trouve pas listé dans l’annexe 1 du règlement européen, l’opérateur a le devoir de demander une autorisation auprès de ses autorités nationales à moins qu’il ne soit en mesure de prouver qu’il a réalisé « toutes les enquêtes nécessaires afin de s’assurer que le bien en question n’est pas destiné à une utilisation liée à une arme de destruction massive »146.

Enfin, une autorisation peut être réclamée en fonction de la transaction commerciale envi-sagée. C’est ainsi que le courtage147 se trouve contrôlé. Pour les biens de l’annexe I du règlement communautaire, aucun contrôle supplémentaire n’est réclamé. Toutefois, les biens militaires font l’objet d’un contrôle particulier ; celui-ci s’appliquant même hors du territoire anglais. Une per-sonne anglaise (a UK person148), quelle que soit sa localisation géographique, peut voir peser sur elle des obligations en fonction du bien pour lequel elle compte fournir un service de courtage. C’est ainsi que la liste des biens militaires est divisée en trois sous-catégories qui impliquent un niveau de contrôle différent149. Le niveau A comprend les mines à sous-munition ou les équipe-ments de torture. Le commerce de ces biens est à proscrire, le régime est donc le plus strict. De manière un peu grossière, on peut conclure qu’il est nécessaire de demander une autorisation dès que l’on se trouve dans une relation commerciale qui inclut ce genre de produit150. Le niveau B                                                                                                                144 C’est une perspective intéressante qui n’a pas été abordée par la législation européenne mais qui permet de

prendre en compte le transfert du bien à une société factice qui, sur base de la législation européenne, serait res-ponsable. L’idée est d’avoir une vue claire du mouvement du bien à l’intérieur du territoire afin de responsabili-ser l’industriel initial.

145 Export Control Order 2008, Part 2, 6. 146 L’expression anglaise est : […] unless having made all reasonable enquiries […]. 147 L’expression anglaise est : trafficking and brokering. 148 The term 'United Kingdom person' is defined as a United Kingdom national, a Scottish partnership or a body

incorporated under the law of any part of the United Kingdom. A United Kingdom national is an individual who is:

§ a British Citizen, a British overseas territories citizen, a British National (Overseas) or a British Over-seas Citizen

§ a person who under the British Nationality Act 1981 is a British subject § a British protected person within the meaning of that Act .

Le texte est disponible à l’adresse : http://www.businesslink.gov.uk/static/html/detail-9060.html, consulté le 4 avril 2012.

149 Voir Department of Business, Enterprise, & Regulatory reform, Review of Export Control Legislation (2007). Supplementary Guidance. Note on Trade (”Trafficking and Brokering”) in Controlled Goods, disponible à l’adresse: http://www.bis.gov.uk/files/file49827.pdf, consulté le 2 avril 2012.

150 D’après les mots du texte (ibid., p. 5) : Supplying or delivering, agreeing to supply or deliver, or doing any act calculated to promote the supply or delivery of Category A goods where that person knows or has reason to be-lieve that their action or actions will, or may, result in the removal of those goods from one third country to an-

   

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prend en compte les biens dont le commerce est légitime même si celui-ci doit être surveillé étroitement : les armes légères ou de poing et les missiles longue portée entre autre. Le champ des activités nécessitant une autorisation est ici plus restreint : sont exclus les activités d’assurances, de promotion sans rétribution ou encore les services financiers151. Le niveau C est le dernier niveau de contrôle. Il contient tous les biens ne tombant pas dans les catégories A et B ainsi que les armes de défense personnelle (par exemple le gaz lacrymogène). L’effet extraterrito-rial est ici limité car la juridiction anglaise ne trouve à s’appliquer que si une partie de la transac-tion a un lien avec le territoire anglais. Westminster ne semble pas freiner cette poussée extrater-ritoriale ; au contraire, on peut par exemple lire dans un récent rapport152 que :

We conclude that it is disappointing that the Government chose to reject the joint proposal prepared by industry and NGOs on the extension of extraterritorial controls on the trade of strategic exports. […] At the same time we adhere to our previous recommendation that extra-territorial controls should be ex-tended to all items on the Military List. We conclude that we see no justification for allowing a UK per-son to conduct arms exports overseas that would be prohibited if made from the UK.

Certaines licences entrainent également des obligations particulières. C’est ainsi que l’autorisation individuelle demande en plus un certificat d’utilisateur final et que celui-ci con-tienne une déclaration de l’utilisateur final s’engageant à ne pas réexporter le bien vers une desti-nation soumise à un embargo des Nations-Unies, de l’Union européenne ou de l’OCDE153. Toute-fois, la législation anglaise, en plus de posséder certaines prétentions extraterritoriales, vient consacrer de manière textuelle la soumission aux prétentions américaines contenues dans les EAR. C’est ainsi que le Traité entre le gouvernement du Royaume Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord et le gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant la coopération dans le domaine du commerce des articles de défense vient confirmer le mécanisme154. Le Traité prévoit l’exportation vers le territoire anglais de biens repris dans le International Traffic in Arms Regulations depuis le territoire américain sans autorisation préalable155. Le point le plus intéres-sant pour ce texte est soulevé par l’article 9 : l’exportation de biens américains se situant à pré-sent sur le territoire anglais (soit un cas de réexportation ou de retransfert) doit faire l’objet d’une

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       other.

151 Department of Business, Enterprise, & Regulatory reform, Review of Export Control Legislation (2007). Supplementary Guidance. Note on Trade (”Trafficking and Brokering”) in Controlled Goods, op. cit., p. 6.

152 House of Commons, Scrutiny of Arms Export Controls (2010): UK Strategic Export Controls Annual Report 2008, Quarterly Reports for 2009, licensing policy and review of export control legislation, disponible à l’adresse : http://www.publications.parliament.uk/pa/cm200910/cmselect/cmquad/202/202.pdf, consulté le 24 novembre 2011, pp. 15-16.

153 Voir l’Avis aux exportateurs n°2010/14 (Revised requirement and new template for End-User Undertakings for Standard Individual Export Licence Applications), disponible à l’adresse : http://www.bis.gov.uk/assets/biscore/eco/docs/notices-to-exporters/2010/nte201014.doc, consulté le 14 avril 2012.

154 Treaty between the government of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland and the govern-ment of the United States of America concerning defence trade cooperation, signé à Londres et Washington les 21 et 26 juin et entré en vigueur le 13 avril 2012. Le texte du Traité est disponible à l’adresse : http://london.usembassy.gov/odc/index.html, consulté le 25 mai 2012.

155 Toutefois, une série de conditions est à remplir ; voir notamment l’article 3.

   

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demande d’autorisation auprès des autorités anglaises mais celles-ci doivent s’assurer que la documentation accompagnant le bien est complète ; celle-ci devant comprendre notamment l’autorisation américaine pour le retransfert156. Il s’agit d’une consécration de l’extraterritorialité américaine par les textes. Il faut toutefois garder à l’esprit que le mécanisme repris ci-avant est consigné dans un Traité, agréé par les deux parties. On ne peut donc plus dès lors parler d’extraterritorialité, le gouvernement anglais ayant accepté de se soumettre aux prétentions amé-ricaines en ayant donné son aval au Traité. Un dernier élément se révèle particulièrement intéres-sant à analyser. Durant la législature 2010-2011, Westminster était amenée à se pencher sur une loi voulant soumettre les biens exportés hors du Royaume-Uni à une autorisation préalable des autorités anglaises pour toute réexportation157. Cette loi fut pendante au Parlement jusqu’au 27 janvier 2011 où la Chambre des communes fut appelée à se prononcer en première lecture. A la fin de la législature, aucun compromis ne put être trouvé sur le texte et celui-ci fut abandonné.

B. Tentative de définition d’une position à l’égard des prétentions américaines : regard historique et héritage législatif

i. Les conflits liés aux concentrations d’entreprises de pêche et l’adoption du Ship-ping contracts and commercial documents Bill

Les relations diplomatiques anglo-américaines ont été, de longue date, marquées par les prétentions américaines en matière de juridiction158. Il faut dire que les Etats-Unis présentent un profil particulier pour le Royaume-Uni ; ceux-ci étant la première destination pour les exporta-tions anglaises159 et que leurs points de vue peuvent être radicalement opposés. C’est par exemple le cas en matière de règlementation de la pêche : les autorités anglaises considèrent comme légi-time la création de cartel tandis que les autorités américaines, via leurs lois anti-trust, interdisent toute concentration d’entreprises. Les Américains ont fini par attacher des prétentions extraterri-toriales à leur loi, via la doctrine des effets que nous avons déjà examinée. C’est pour cette rai-son, et aussi suite à l’inflation du nombre de procédures introduites à l’encontre de sociétés an-glaises, que le législateur anglais a adopté le Shipping contracts and commercial documents Bill. Comme le soulignent les commentateurs, ce texte poursuit deux objectifs majeurs, l’un juridique et l’autre politique, à savoir accorder une certaine protection à l’encontre des prétentions améri-caines et renforcer la position anglaise lors des négociations avec les autorités américaines160.                                                                                                                156 All Re-transfers or Re-exports of Defence Articles shall require authorization by Her Majesty’s Government. In

reviewing requests for such authorization, Her Majesty’s Government shall […] require supporting documen-tation that includes United States Government approval of the proposed Re-transfer or Re-export. The proce-dures for obtaining United States Government approval and Her Majesty’s Government authorization shall be identified in the Implementing Arrangements (article 9).

157 Proposition de Re-export control bill, disponible à l’adresse : http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201011/cmbills/138/11038.pdf, consulté le 30 avril 2012.

158 Nicholas DAVIDSON, « U.S. secondary sanctions : the UK and EU response », Stetson Law Review, vol. 27, 1998, p. 1425.

159 D’après les chiffres officiels du HM Revenue and Customs, Overseas Trade Statistics, disponibles à l’adresse : https://www.uktradeinfo.com/Statistics/NonEUOverseasTrade/Pages/PrepreparedTableNoEU.aspx, consulté le 3 janvier 2012.

160 Alan VAUGHAN LOWE, « Blocking extraterritorial jurisdiction : the British Protection of Trading Interest Act,

   

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Mais ce texte resta trop limité et les situations de crispations auront encore l’occasion d’être nombreuses.

ii. L’adoption du Protection of Trading Interest Act par Westminster (1980)

La fin des années 1970 est marquée, aux Etats-Unis, par une volonté de refonte du sys-tème de contrôle de la circulation des biens sensibles. En effet, le Congrès américain était alors en plein débat sur ce qui deviendra la base du système que nous connaissons actuellement : l’EAA de 1979. Mais ce n’est pas le seul élément qui a poussé le gouvernement de sa Majesté à agir. Depuis 1964, les plaintes à l’encontre des pêcheurs anglais se sont multipliées, obligeant les officiels anglais à relancer des négociations diplomatiques avec les Américains et poussant même l’O.C.D.E. à créer une commission ad-hoc sur le sujet afin d’aplanir les points de vue161. Enfin, c’est suite aux procès lancés à l’encontre des fournisseurs anglais d’Uranium que la pression s’est faite la plus forte162. C’est dans ce contexte que le Parlement anglais décida d’adopter le Protec-tion of trading Interest Act de 1980163 (PTIA).

La grande particularité de cet instrument législatif est qu’il donne mandat au gouverne-ment afin de décerner des ordres individuels : les entreprises doivent avoir reçu une habilitation expresse du gouvernement pour faire valoir leurs obligations (sic) tandis que les dispositions relatives à la procédure judiciaire sont valables directement. Il y a deux obligations qui pèsent sur les sociétés164 : l’interdiction de se conformer aux lois extraterritoriales émises par un État tiers et l’interdiction de transmettre des documents ou des informations à des tribunaux étrangers si ceux-ci le demandent. Du côté judiciaire cette fois165, les Cours et Tribunaux ont l’interdiction d’ordonner la production des preuves pour une affaire lancée dans un États-tiers sur base de cette loi, l’interdiction de procéder à la mise en œuvre (notamment par des saisies) de décisions prises par un État tiers sur cette même base et enfin la possibilité pour une entreprise de demander à récupérer le préjudice éventuellement subi devant un tribunal étranger sur ces mêmes lois (claw-back clause). On notera également une note diplomatique américaine consacrée à ce sujet qui est riche d’enseignements166.

iii. L’affaire Laker Airways (1981-82) : les balbutiements du PTIA

La première affaire qui a vu l’intervention du Secrétaire d’État est celle de la compagnie

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       1980 », The American Journal of International law, vol. 75, n°2, 1981, p. 260.

161 Ibid., p. 268. 162 Cédric RYNGAERT, Jurisdiction in International law. United States and European Perspectives, Thèse de

doctorat défendue à la Faculté de Droit de la Katholieke Universiteit Leuven le 12 février 2007, disponible à l’adresse: https://lirias.kuleuven.be/bitstream/1979/911/2/doctoraat.pdf, consulté le 14 avril 2012, pp. 505 et s.

163 Reproduit dans International legal materials, 1982, pp. 834 et s. 164 §§ 1 et 2 du Protection of trading Interest Act. 165 §§ 4, 5 et 6 du Protection of trading Interest Act. 166 United States Diplomatic Note concerning the U.K. Protection of Trading Interests Bill, reproduit dans Interna-

tional legal materials, 1982, p. 840. On peut résumer la chose de la façon suivante : les autorités américaines regrettent l’adoption d’un tel texte qui encourage une confrontation plus qu’une vision coopérative des relations économiques.

   

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aérienne Laker Airways167. Celle-ci pratiquait des tarifs beaucoup moins élevés que ses concur-rents car ceux-ci avaient conclu une entente sur les prix. Le succès de Laker Airways fut tel que les autres compagnies furent obligées de revoir à la baisse leur politique tarifaire. Au final, celles-ci réussirent leur coup et Laker Airways se trouva étranglée par la nouvelle concurrence. C’est lors de la procédure de faillite que la compagnie décida d’assigner les autres compagnies pour entente illégale aux yeux du droit américain de la concurrence. Deux compagnies anglaises se trouvaient ainsi visées : la vénérable British Airways et la British Caledonian. Celles-ci se présen-tèrent devant les Tribunaux de sa Majesté afin d’y trouver protection face à l’extraterritorialité de la législation antitrust américaine. La Cour, lorsqu’elle fut amenée à se prononcer sur le caractère définitif de la protection, décida qu’il ne s’agissait pas d’une violation de la souveraineté anglaise et décida dès lors de ne pas prolonger la protection168. Toutefois, celle-ci le fut de manière tempo-raire afin de permettre un appel. Le raisonnement qu’elle tint fut pour le moins surprenant. En effet, après la décision de première instance, le Secrétaire d’État britannique prit un ordre de protection sur base du Protection of Trading Interest Act. Le raisonnement fut le suivant : puisque les compagnies ont l’interdiction de produire des pièces devant le tribunal américain, elles ne pouvaient dès lors pas se défendre. La Cour d’Appel décida donc de reformer l’arrêt rendu en première instance et de rendre la protection permanente. Enfin, la cour suprême anglaise eut le dernier mot et trancha en faveur de Laker Airways: selon elle, la législation américaine en question ne s’appliquait pas de manière extraterritoriale car les deux compagnies volaient égale-ment au-dessus du sol américain. Au final, les rentrées financières tirées de ce procès ne permi-rent pas à Laker Airways de survivre et la société fut déclarée en faillite.

iv. L’affaire du gazoduc euro-sibérien (1981-82) : la première utilisation systéma-tique du PTIA

Le Secrétaire d’État britannique à l’industrie169, Patrick JENKIN, usa de son pouvoir afin de protéger les intérêts des sociétés de Sa majesté impliquées dans la construction du gazoduc. C’est ainsi qu’il enjoignit une série d’entreprises visées par les dispositions américaines à tout de même exécuter leur livraison, sous peine d’amende170. Un tel ordre était basé sur le PTIA. Il faut encore une fois souligner que les ordres étaient donnés intuitu personae: le Secrétaire désignait nommément les entreprises qui devaient ne pas respecter la législation américaine. Heureuses étaient celles-ci mais ce n’était pas le cas de tout le monde : la majorité des entreprises n’était pas protégée171. Une entreprise ne bénéficiant pas de cette protection décida de porter l’affaire devant les tribunaux, estimant qu’elle avait, elle aussi, le droit à la protection étatique172. Bien que la

                                                                                                               167 Cette section est basée sur l’exposé de Trevor C. HARTLEY, International Commercial Litigation. Text, cases

and materials on Private International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, pp. 848-849. 168 Ibid., p. 848. 169 Les faits ont déjà été explicités précédemment. 170 United Kingdom: Statement and order concerning the American export embargo with regard to the soviet gas

pipeline reproduit dans International legal materials, 1982, pp. 834 et s. 171 Nicholas DAVIDSON, op. cit., pp. 234-235. 172 Voir l’affaire Cemi limited (18 février 1988), CO/1542/87.

   

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Cour donna raison au secrétaire d’État, arguant de l’intérêt national, il convient de noter que le gouvernement anglais s’est depuis montré extrêmement parcimonieux lors de l’utilisation de cet outil législatif et ne l’utilisa d’ailleurs plus jusqu’aux embargos cubain, libyen et syrien de 1986173. Au final, les compagnies obligées par le droit anglais de livrer leur marchandise s’exécutèrent ; et il ne semble pas que les Etats-Unis les aient poursuivis pour autant.

v. L’adoption des lois Helms-Burton et d’Amato-Kennedy (1996) et des sanctions face à l’Iran (2000 et 2010) : le temps européen

Quelques jours avant l’adoption des lois HELMS-BURTON et D’AMATO-KENNEDY, le gou-vernement anglais adopta une extension au PTIA, protégeant les entreprises britanniques de toute prétention américaine basée sur ces textes174. Il faut noter que cette fois, la protection était géné-ralisée et concernait l’ensemble des entreprises. Comme le souligne la doctrine, la réponse est tranchée mais la solution n’est pas toujours la plus évidente pour les entreprises175. Ainsi, cer-taines entreprises se sont retrouvées dans une situation délicate à devoir, finalement, choisir entre deux amendes.

C’est également en 1996 qu’un tournant se marque. En effet, l’Union européenne vient d’adopter sa propre législation de blocage. Bien qu’une législation anglaise persiste, les accords à l’amiable trouvés entre les Etats-Unis et l’Union européenne ont permis d’apaiser la situation et, finalement, de rendre cette législation inutile. C’est d’ailleurs confirmé par l’expression utilisée par Ian PEARSON qui, lors d’une question parlementaire, dit, avec un sens inné de la formule, que la législation anglaise « has shifted from a means of enforcement to that of a deterrent »176. De manière plus analytique, on trouvera l’explication dans la réponse à une question parlementaire177 posée par Lord LAIRD :

The European Commission has competence for dealing with extraterritorial measures taken by third countries against EU member states. Council Regulation EC 2271/96 was introduced by the EU in 1996 to offer protection to EU individuals and companies against extraterritorial legislation including the Helms-Burton Act and the Iran/Libya Sanctions Act, both of which are explicitly extraterritorial in con-tent and whose adoption in the US prompted the introduction of the above so-called blocking legisla-tion.

4. La France : une indifférence mal armée

A. Aperçu de la législation française dans le domaine du contrôle des biens à double usage, à la recherche de prétentions extraterritoriales

La législation française se révèle beaucoup moins originale que son homologue anglaise.

                                                                                                               173 Nicholas DAVIDSON, op. cit., p. 235. 174 Kern ALEXANDER, Economic sanctions. Law and public policy, Londres, Palgrave Macmillan, 2009, p. 235. 175 Ibid., p. 236. 176 La formule aurait perdu de sa valeur à la traduction. Voir la question posée le 2 décembre 2005, Column 896W,

disponible à l’adresse : http://www.publications.parliament.uk, consulté le 14 mai 2012. 177 La question a été posée le 25 juillet 2005, Column WA277, disponible à l’adresse :

http://www.publications.parliament.uk, consulté le 14 mai 2012.

   

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S’articulant autour de trois textes principaux en cascade (par délégation de compétence), celle-ci fut mise à jour en 2010 pour s’adapter au nouveau règlement communautaire178. Comme le sou-ligne un commentateur, la principale caractéristique du système français est sa concentration sous une seule appellation (exportation) de l’ensemble des mouvements possibles pour un bien. C’est ainsi qu’il faudra demander une licence d’exportation, que le mouvement du bien soit un transit ou qu’il s’agisse effectivement une exportation179. Seul le transfert intra-européen semble échap-per à cette vision. Le corps de la législation est composé par l’arrêté du 13 décembre 2001, tel que modifié, qui précise les obligations qui reposent sur les épaules des opérateurs industriels selon la licence à laquelle ils veulent prétendre.

La licence individuelle (article 2) doit être demandée pour tout bien listé dans l’annexe I du règlement 428/2009. Le SBDU (service des biens à double usage, chargé de l’émission des autorisations) peut demander des documents supplémentaires de manière arbitraire. C’est ainsi que pour certaines destinations le texte prévoit la possibilité d’exiger une déclaration de non-réexportation de la part de l’utilisateur final180 avec, en sus, une assurance gouvernementale. Ensuite, les licences globales (articles 7 à 11) sont ouvertes aux exportateurs qui exportent régu-lièrement vers les mêmes groupes de destinataire ou États de destination. L’entreprise qui désire bénéficier d’une telle licence doit d’abord montrer « patte blanche » et présenter un document relevant du Internal compliance program, même si celui-ci ne dit pas son nom181. Si le destina-taire du bien en est également l’utilisateur final, c’est la fin des exigences mais si l’exportation se fait vers un distributeur, l’exportateur doit définir des procédures de contrôle afin de savoir quels biens ont été distribués et avec quels utilisateurs finaux. Enfin, les autorisations générales natio-nales (article 12 à 14) permettent l’exportation vers certains États ou certains destinataires par tous les exportateurs français. Il n’y a pas, ici, de spécificité française. La législation prévoit en outre le cas d’un transfert intracommunautaire sans plus de spécificité.

B. Tentative de définition d’une position à l’égard des prétentions américaines : regard historique et héritage législatif

i. Les conflits liés aux concentrations d’entreprises de pêche et l’adoption d’une loi de protection

De l’autre côté de la Manche aussi, les prétentions extraterritoriales du droit américain ont

                                                                                                               178 Loi n°92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la

complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douanes telle que modifiée par la loi telle que modifiée par la loi n°93-1420 du 31 décembre 1993, publiée au Journal Officiel de la République française le 1er janvier 1994 ; Décret n°2001-1192 du 13 décembre 2001 relatif au contrôle à l’exportation, à l’importation et au transfert de biens et technologies à double usage tel que modifié par le décret n°2010-292 du 18 mars 2010 et enfin l’Arrêté du 13 décembre 2001 relatif au contrôle à l’exportation vers les pays tiers et au transfert vers les États membres de la Communauté européenne de biens et technologies à double usage tel que modifié par l’Arrêté du 18 mars 2010.

179 Sylvain PAILE, op. cit., pp. 66-67. 180 Un certificat de non-réexportation, dont il peut être exigé qu’il comporte une déclaration du Gouvernement de

l’utilisateur final, peut être demandé dans certains cas à l’appui de la demande d’autorisation d’exportation. 181 Article 10 de l’arrêté du 13 décembre 2001.

   

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fait grincer des dents, la France étant le deuxième exportateur vers les Etats-Unis en terme de quantité182. L’historique législatif commence en même temps, et pour les mêmes raisons, qu’au Royaume-Uni : les pêcheurs français se trouvaient dans une forme de cartel qui était loin d’être du goût des Américains183. Ceux-ci ont alors entrepris une série de démarches judiciaires à leur encontre, poussant le gouvernement français à adopter le 26 juillet 1968 la loi 68-678184.

Cette loi est assez semblable à sa cousine adoptée outre-Manche et est toute aussi limitée à la transmission de documents185. Elle impose l’interdiction de transmettre tout document, dont une liste est établie par Décret, à des puissances étrangères si celles-ci le demandent dans le domaine du transport maritime. Si des opérateurs économiques se trouvent dans une telle situa-tion, ils doivent en informer le Ministre compétent. En cas de désobéissance, ces opérateurs peuvent se voir contraints de verser une amende allant de 5 000 à 50 000 F et/ou de purger une peine privative de liberté de 2 à 6 mois. La loi fut actualisée en 1980186 et fait apparaître la notion d’engagements internationaux de manière à tempérer le principe absolu, un article 1er bis est inséré afin de prévenir la transmission de documents même en cas de procédure judiciaire lancée dans un État tiers et les peines sont alourdies : 6 mois de privation de liberté et/ou 18 000 euros d’amende. En 2012, l’Assemblée nationale a adopté un texte modifiant radicalement la philoso-phie de la loi : l’amendement insère le texte dans un contexte plus global de lutte contre l’espionnage économique. Il y a donc un glissement de philosophie qui explique également l’utilisation très récente de cette même loi dans un conflit d’ordre purement judiciaire. Dans le cadre d’un litige déclaré dans un État tiers et jugé par celui-ci, la communication de document français est en principe interdite. Toutefois, l’amendement de 1980 permet de respecter les Trai-tés internationaux, à savoir en l’occurrence la Convention de La Haye du 18 mars 1970 qui règle justement la transmission de pièces judiciaires. Dans ce cas, et uniquement dans celui-ci, la transmission de document peut avoir lieu ; c’est pour cette raison qu’un avocat s’est récemment fait condamner par la justice française pour avoir transmis des documents sans attendre le feu vert de ses autorités187.

                                                                                                               182 D’après les chiffres officiels du HM Revenue and Customs, Overseas Trade Statistics, disponibles à l’adresse :

https://www.uktradeinfo.com/Statistics/NonEUOverseasTrade/Pages/PrepreparedTableNoEU.aspx, consulté le 3 janvier 2012.

183 Philippe DIDIER, « Information sur l’entreprise et patriotisme économique » in Georges VIRASSAMY (dir.), Entreprise et patriotisme économique, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 79.

184 Loi n°68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements à des autorités étrangères dans le domaine du commerce maritime, publiée au Journal Officiel de la République française le 27 juillet 1968, p. 7267.

185 On notera que la Belgique adopta une législation semblable par sa loi du 27 mars 1969 relative à la réglementa-tion des transports maritimes, M.B., 17 juin 1969.

186 Loi n°80-538 du 16 juillet 1980 relative à la communication de documents ou renseignements d’ordre écono-mique, commercial ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères publiée au Journal Officiel de la République française le 17 juillet 1980, p. 1799.

187 Cass. crim., 12 déc. 2007, n° 07-83228. Pour un commentaire, voir Olivier PROUST et Cédric BURTON, « Le conflit de droits entre les règles américaines de e-discovery et le droit européen de la protection des données à caractère personnel… entre le marteau et l’enclume », Revue Lamy droit de l’immatériel, n°46, 2009, p. 79 et s.

   

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ii. Le conflit autour du gazoduc euro-sibérien (1980-81) : une question d’inventivité politique

La décision américaine dans l’affaire du gazoduc fut un événement international majeur. Mais la crise fut particulièrement aiguë en France où les contrats atteignaient un montant de 4,5 milliards de francs188. Toutefois, il n’était pas possible d’utiliser la législation adoptée précé-demment étant donné qu’elle ne concernait que la transmission de documents, sans prévoir les autres clauses détaillées ci-avant qui permettent de protéger les industries françaises. Le politique peut parfois se montrer très inventif ; c’est ainsi que le Ministre des relations extérieures répondit à une question parlementaire189 :

Le gouvernement a fait savoir aux entreprises françaises visées par les mesures américaines qu’il enten-dait que les contrats conclus pour la construction du gazoduc d'Ourengoj soient honorés et qu'il se ré-servait la possibilité de prendre toute mesure à cet effet. D'ores et déjà, une mesure de réquisition a été prise le 23 août à l' encontre de la société Dresser France qui en vertu de ce texte est tenue d'assurer la fabrication et la livraison des matériels commandés.

En effet, la Société Dresser-France, qui devait livrer des compresseurs, fut réquisitionnée le 23 août, en application de loi de 1938 sur l’organisation de la nation en temps de guerre par le Ministre de l’Industrie de l’époque à savoir Jean-Pierre CHEVENEMENT190. La réaction ne se fit pas attendre et le gouvernement américain plaça la société sur une liste noire afin de lui interdire l’accès aux licences d’exportation américaines. La société tenta par la suite d’obtenir sa réhabili-tation mais sans succès191. Elle tomba en faillite quelques mois plus tard.

Comme il a été mentionné ci-avant, c’est avec un accord entre l’Union européenne et les Etats-Unis que le conflit s’éteignit. On le voit, la position française n’est pas la plus tranchée. L’absence de mécanisme de protection amenant parfois des situations étranges. Ce fut déjà le cas en 1965 lorsque la Cour d’appel de Paris rendit un arrêt confirmant le jugement de première instance dans une affaire sensiblement similaire à celle qui nous occupe. Le Trading with the enemy act de 1917 prévoyait l’interdiction pour les citoyens américains de commercer avec des États contre lesquels les Etats-Unis se sont déclarés en guerre. Durant la guerre de Corée, les Etats-Unis ont évoqué cet acte juridique à l’encontre de la Chine et de la Corée du Nord. Or, à la sortie de la guerre, l’acte n’a pas été aboli et toute transaction commerciale restait interdite. C’est pour cette raison que la société française FRUEHAUF s’est vue menacer par les autorités améri-caines192. En effet, l’entreprise était contrôlée par des nationaux américains et avait pour objectif d’exporter des biens vers la Chine. Les membres français du conseil d’administration ont dès lors cherché la protection judiciaire française et ont introduit une plainte qui fut considérée par les

                                                                                                               188 Bernard AUDIT, op. cit., p. 404. 189 Questions parlementaires du 26 juillet 1982, n° 17947, publiées dans le Journal officiel de la République

française le 4 octobre 1982. 190 Bernard AUDIT, op. cit., p. 404. 191 Ibid., p. 405. 192 Cédric RYNGAERT, « Extraterritorial export control (secondary boycott)», op. cit., pp. 629-630.

   

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autorités judiciaire comme fondée. La Cour d’appel193 confirma le jugement de première instance en ce qu’il confirma à la société que le contrat devait être honoré, ceci étant dans l’intérêt des salariés français. Toutefois, la Cour ne se prononça pas sur la légalité de la disposition américaine mais se contenta de juger ex æquo et bono qu’il était dans l’intérêt des employés français que le contrat soit honoré.

iii. Les lois HELMS-BURTON et D’AMATO-KENNEDY : la main mise européenne

La prochaine période de tension internationale fut déclenchée par l’adoption en 1996 par le Congrès américain des lois portant sanction à l’encontre de Cuba, de la Lybie et de la Syrie. Comme il a été décrit auparavant, l’Union européenne prit la main. C’est ainsi que le Conseil adopta un règlement et une position commune afin de protéger les entreprises européennes. Le règlement laisse la responsabilité aux États de définir les peines dont ils désirent assortir l’infraction aux dispositions du règlement. Un projet de loi en ce sens fut déposé par le Gouver-nement français mais la dissolution des Chambres ordonnée par le Président CHIRAC rangea le projet directement aux archives194. Il semble qu’aucun autre texte n’ait été adopté sur la théma-tique depuis.

5. Conclusions de la section II

L’objectif de cette section était double : il s’agissait tant de chercher des traces d’extraterritorialité dans la législation de contrôle des mouvements des biens à double usage que d’avoir un regard historique sur les relations entre les Etats-Unis d’une part, l’Union européenne, le Royaume-Uni ou la France d’autre part. Le socle commun fut rapidement examiné. Bien que ces ordres juridiques aient manifestement exprimé leur volonté de se soumettre à des régimes internationaux de contrôle du commerce, l’absence de statut clair pour ces régimes rend tout autre conclusion prématurée. C’est au travers du prisme de quelques grandes tensions internationales suscitées par l’adoption de lois à portée extraterritoriale par le Congrès américain que la situation évolua. C’est ainsi que l’affaire du gazoduc soviétique en 1981-1982, l’adoption des lois HELMS-BURTON et D’AMATO-KENNEDY en 1996 ou les plus récentes sanctions à l’encontre de l’Iran permirent de cristalliser les positions et, le cas échéant, de se définir par rapport aux prétentions américaines.

La législation européenne ne contient pas de disposition tendant à s’appliquer hors de son territoire dans le domaine du contrôle du commerce des biens à double usage. Le cas des opéra-tions de courtage est particulièrement symptomatique car le texte prévoit expressément que le courtier doit se situer à l’intérieur du territoire européen195. A l’inverse, l’historique européo-américain dans le domaine est très riche. C’est pour cette raison que l’Union européenne adopta un règlement et une position commune qui semblent s’être substitués aux législations nationales                                                                                                                193 Société Fruehauf c. Massardy, reproduit dans International legal materials, 1966, p. 476. 194 Rapport d’information n°1386 déposé par la délégation de l’Assemblée nationale sur les relations entre l’Union

européenne et les Etats-Unis le 11 février 1999, disponible à l’adresse : www.assemblee-nationale.fr/europe/rap-info/2fdi1386-1.pdf, consulté le 12 avril 2012, p. 137.

195 Article 2, 6), du règlement 428/2009.

   

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de protection. Toutefois, l’utilisation d’une tel mécanisme n’est pas automatique et dépend essen-tiellement des intérêts européens ou encore de l’objectif visé par la loi : il n’y a pas eu de réaction face à l’extraterritorialité américaine dans le domaine iranien car nous partageons les mêmes buts que les autorités américaines et que nous avons adopté sensiblement les mêmes dispositions dans notre ordre juridique. Il faut également remarquer que le poids de l’Union européenne dans ce domaine semble assez important : lorsque les États ont réagi seuls, les Etats-Unis n’ont pas jugé nécessaire de modifier leur position mais lorsque l’Union européenne s’exprima d’une seule voix, les Etats-Unis firent marche arrière.

Le Royaume-Uni adopte une position beaucoup plus ambiguë. L’analyse de sa législation révèle en effet certaines dispositions à caractère extraterritorial, dans le domaine du courtage, et un projet de loi maintenant rangé aux archives prévoyait même un système de contrôle des réex-portations par autorisation préalable. Il faut également mentionner que le gouvernement anglais prévoit textuellement l’obligation de demander une autorisation de réexportation aux autorités américaines pour avoir l’autorisation d’exportation des autorités anglaises dans un Traité. Dans le même temps, les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni obligèrent celui-ci à adopter une législation de protection. Dans un premier temps limité aux seuls documents du domaine maritime, l’année 1980 sera marquée par l’adoption du Protection of trading interest Act (PTIA) qui offre une protection complète, mais au cas par cas, et qui est une référence dans la matière car sa structure inspira directement le règlement européen. PTIA trouva à s’appliquer rapidement, dès 1981, dans une affaire relative à la compagnie aérienne Laker Airways. L’affaire du gazoduc euro-sibérien fut également l’occasion de mettre en pratique l’acte juridique mais celui-ci ne l’étant que sur une base personnelle, qui est une de ses grandes faiblesses, le poids international ne fut pas le plus grand. Enfin, un tournant fut marqué en 1996 par l’adoption du règlement européen. Il semble en effet ressortir des débats parlementaires que la compétence de protection des industries européennes revienne maintenant à l’Union européenne.

Enfin, le cas français est plus particulier car le système semble moins développé. La légi-slation française semble ne contenir aucune disposition extraterritoriale. Il n’y a pas non plus de trace d’une éventuelle consécration du prior consent américain. L’historique nous apprend que le premier point d’achoppement était les lois anti-trust américaines dans le domaine de la pêche, comme pour les Anglais. Ils adoptèrent donc une législation semblable à la législation anglaise afin de protéger leurs industries maritimes. Mais le développement s’arrêta ici. Aucune disposi-tion de blocage plus large, interdisant par exemple de se conformer à une législation d’un État tiers, n’existe. C’est d’ailleurs pour cela que le Ministre se voit obligé de procéder par réquisition. Le système semble donc ici beaucoup moins développé.

   

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SECTION III –

DU COTE DES ACTEURS NON-ETATIQUES : ROLE SUR LA SCENE INTERNATIONALE, ATTITUDE

FACE AUX PRETENTIONS AMERICAINES ET ROLE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE

1. Généralités

A. Sur la place des opérateurs industriels dans le système actuel

Les opérateurs industriels sont évidemment un acteur central dans la lutte contre la proli-fération des armes nucléaire et pour le contrôle des exportations des biens à double usage et ce, pour une triple raison. D’abord, en tant que producteur: ils ont l’obligation légale de se conformer aux prescris juridiques car ils sont le destinataire final de la norme juridique ; ensuite parce qu’ils détiennent un savoir précieux qui peut s’avérer nécessaire afin de permettre aux Etats de déceler une tentative de prolifération; enfin, et c’est lié au point précédent, parce que la règlementation (en particulier européenne) fait peser sur l’opérateur de plus en plus de charges. On semble assis-ter à un retournement de la responsabilité qui passe de celle de l’Etat à celle de l’opérateur indus-triel qui doit rendre des comptes pour ses exportations. L’autorisation de l’Etat n’est plus un facteur exonératoire de la responsabilité de l’opérateur industriel. En effet, jusqu’à récemment, il était erroné de percevoir la législation sur le contrôle des exportations comme un frein au déve-loppement international du commerce. Comme le souligne Odette JANKOWITSCH-PREVOR, l’objectif d’une telle législation n’était pas de mettre des bâtons dans les roues des exportateurs mais au contraire de faciliter le commerce en faisant peser la responsabilité de la décision sur le pouvoir politique196. On peut difficilement rendre plus facile les flux du commerce qu’en exoné-rant un opérateur de sa responsabilité.

Dès lors, si la tendance qui vient de débuter semble se confirmer, il est normal que les opérateurs économiques soient entendus lorsque les nouvelles règlementations se décident. Mais cela ne semble pas si simple. Comme le souligne toujours Odette JANKOWITSCH-PREVOR, deux obstacles majeurs se dressent alors face aux opérateurs économiques197. Le premier est commun: le Traité de Westphalie, qui régit aujourd’hui l’ensemble des relations internationales, ne connaît que l’État comme interlocuteur198. Il est l’auteur des dispositions et l’unique destinataire. Il est le médian nécessaire. Dès lors, à moins de revoir en profondeur le système, on imagine mal un industriel venir s’asseoir à la table des négociateurs lors de la grande messe du NSG199. L’autre

                                                                                                               196 Odette JANKOWITSCH-PREVOR, « A new role of industrial operators in Trade in an evolving nuclear export

control regime. Beyond legal responsibilities? » in Quentin MICHEL (éd.), Sensitive trade: The perspective of European States, P.I.E. Peter Lang, Bruxelles, 2011, p. 19.

197 Ibid., p. 26. 198 On notera également les difficultés pour une organisation internationale telle que l’Union européenne de

s’imposer comme négociateur à part entière dans certaines assemblées, on pense précisément à l’Assemblée gé-nérale des Nations-Unies où l’Union européenne est considérée comme un acteur non-gouvernemental devant s’asseoir dans la même tribune qu’Amnesty international par exemple.

199 Ceci, sans préjudice de leur éventuelle présence comme observateur aux réunions et des contacts informels qui peuvent se former.

   

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raison est plus spécifique au domaine nucléaire : les États considèrent encore le nucléaire comme un instrument de leur puissance et sont extrêmement jaloux à l’idée de partager la moindre par-celle de compétence sur ce terrain200.

B. Sur la responsabilité des exportateurs

L’opérateur économique agit donc en qualité d’agent central du système. Mais lorsqu’il se trouve en violation des règles relatives à l’exportation, s’agit-il d’une violation volontaire ou d’une omission involontaire ? Comme le souligne Mehdi MEKDOUR, l’analyse des récentes ex-portations illégales révèle que les industries agissent la plupart du temps de manière volontaire201. Deux motivations principales semblent animer l’exportateur prenant un tel risque. La première est bien entendu l’attrait financier : les États désireux de se procurer du matériel d’un tel type sont prêts à payer le prix fort. La deuxième motivation est liée à des considérations politiques : l’État va faire appel à sa diaspora afin de soutenir son programme politique et faciliter l’exportation de tels biens202.

Il convient de changer de spectre : l’acteur qui doit assumer la responsabilité de l’exportation ne doit plus être l’État mais bien l’industriel. Pour ce faire, la législation prévoit deux obligations qui pèsent sur l’industrie. D’une part, les clauses catch-all. On se contentera de rappeler ici que l’industrie doit faire la démarche de demander une autorisation auprès de l’autorité nationale dans certains cas ce qui change radicalement la question de la responsabilité. L’autre aspect qui tend à se développer est la création des programmes internes de conformité (internal compliance programmes). Ces programmes visent à prouver leur bonne foi dans la lutte contre la prolifération en instituant une série de contrôles internes à l’entreprise. Bien entendu, ceci est motivé par la peur économique de se retrouver sur une liste noire et d’ainsi voir toutes ses exportations interdites. Ce programme se décline en deux volets. Le premier contient un engage-ment écrit dans lequel l’entreprise exprime sa volonté de ne pas participer d’une quelconque manière au développement d’une arme de destruction massive. L’autre volet exige la nomination d’un certain nombre de responsables pour la mise en œuvre du programme. Ces personnes seront notamment responsables de l’identification des biens repris dans les listes de contrôle, des biens pouvant être soumis à une clause catch-all et finalement des clients pouvant contribuer à la proli-fération. Comme le souligne des commentateurs, le programme est « gagnant-gagnant » : l’État se conforme plus facilement à ses obligations internationales et « les entreprises sont moins en proie à la suspicion en devenant un partenaire privilégié dans [la] lutte [contre la prolifération des armes de destruction massive]203 ».

                                                                                                               200 Ce point est également développé par Joshua MASTERS, « Nuclear proliferation. The role and regulation of

corporations », Nonproliferation review, vol. 16, n°3, 2009, pp. 349-350. 201 Mehdi MEKDOUR, « Les entreprises : pièces maitresses de la lutte contre le trafic illicite de biens à double

usage », Note d’analyse du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, 2011, p. 4, dispo-nible sur : http://www.grip.org/fr/siteweb/images/NOTES_ANALYSE/2011/NA_2011-08-17_FR_M-MEKDOUR.pdf, consulté le 2 février 2012.

202 Ibid., p. 5. 203 Ibid., p. 7.

   

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Joshua MATTERS évoque lui quelques pistes qui mériteraient d’être envisagées afin de responsabiliser l’acteur principal de la relation envisagée. Selon lui, il y a deux manières d’améliorer la lutte contre la prolifération. La première consiste en un renforcement et un élargis-sement du mandat de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique. Celle-ci aurait alors un pouvoir d’assistance auprès des États qui le désirent (comme c’est le cas actuellement dans le cadre du programme EU-Outreach) mais surtout elle se verrait confiée la responsabilité de venir se greffer sur les autorités nationales de contrôle lorsque celles-ci manqueraient à leurs obliga-tions dans le cadre de la résolution 1540. C’est alors l’AIEA qui sera responsable de l’émission des licences. Le deuxième élément serait un renforcement des amendes pécuniaires imposées en cas de non-respect. En effet, comme le souligne l’auteur, le but même de l’entreprise est de réali-ser un profit. Or, si l’amende à laquelle l’entreprise est condamnée est inférieure au prix payé par l’acheteur, le calcul économique est rapidement fait. Il faut dès lors renforcer les sanctions, tant pécuniaires que pénales, afin de dissuader tout comportement frauduleux204.

2. La position des industriels

Vu le peu d’articles scientifiques relatant le point de vue des industriels, il a semblé né-cessaire d’aller s’entretenir avec deux opérateurs industriels majeurs sur la scène européenne. Ces deux témoignages ne peuvent en aucun cas être généralisé à l’ensemble des opérateurs euro-péens : il ne s’agit que d’un aperçu de la situation spécifique de deux industriels et leur témoi-gnage doit être considéré comme tel. Il semble que quatre grands points de convergences ressor-tent de l’analyse de ces deux entretiens.

Le premier point est relatif au respect par les industriels des obligations imposées par le droit américain. Il est en effet légitime de se demander si les opérateurs industriels se plient aux exigences des autorités américaines, tant celles-ci sont contestables sur le plan international. La réponse fut sans équivoque des deux côtés : les opérateurs industriels se plient aux exigences américaines. La réflexion autour du contrôle des exportations doit avoir lieu dès le début du processus de fourniture et doit prendre en compte les exigences américaines dans le domaine. Mais pourquoi ? Là aussi, la réponse est identique. La situation des deux entreprises est similaire car elles ont toutes les deux une filiale sur le sol américain et, en cas de non respect par une partie du groupe, c’est cette filiale-là qui subira la première les ires du DOI américain. La sanction semble particulièrement dissuasive, car citée dans les deux entretiens. Il faut dire que se retrouver sur liste noire pour les licences d’exportations hors du territoire américain revient, peu ou prou, à signer l’arrêt de mort de l’entreprise. De plus, un deuxième élément à souligner est la force du système américain. En effet, celui-ci dispose des moyens de poursuivre les contrevenants, même à l’étranger en cas de non-respect de leur législation et semblent tout prêt à le faire. Ce qui serait loin d’être le cas actuellement en Europe où la situation est avant tout caractérisée par une grande hétérogénéité dans les moyens mis à disposition dans le domaine du contrôle des mouvements des biens sensibles. La troisième raison tient à l’impossibilité pratique de se passer de matériel américain dans la construction d’un bien. Pour résumer, il semble que le système de poursuite                                                                                                                204 Mehdi MEKDOUR, op. cit., p. 358.

   

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américain soit particulièrement efficace du point de vue de la sensibilisation et l’omniprésence du savoir faire américain dans le domaine rend son obéissance absolument obligatoire.

La deuxième série de convergences concerne les impacts purement industriels des préten-tions américaines. En effet, le contrôle exercé sur les biens américains implique une série de mesures pratique à mettre en place afin de se conformer aux prescrits ; c’est ainsi que dans les deux cas, les chaînes de production impliquant du matériel ou de la technologie américains sont séparées du reste de l’entreprise et leur accès restreint. Toutefois, il convient de souligner que de telles restrictions s’appliquent également au personnel travaillant pour des entreprises sur le continent américain. On ne peut dès lors pas parler de distorsion de concurrence mais cela pousse nécessairement à l’embauche de personnel d’origine américaine, au détriment d’autres nationali-tés car une autorisation des autorités peut être nécessaire afin de donner accès à certaines nationa-lités. De même qu’il vaut mieux réfléchir à deux fois avant d’impliquer un ingénieur américain dans un dossier. Toujours dans le côté pratique, il ressort de l’entretien que la société française a mis en place un système d’étiquetage contenant à la fois la référence au règlement 428/2009 mais aussi l’ECCN américain. Cela rend les procédures très longues car tout document d’ingénierie qui est passé dans les mains de personnel américain doit voir ses futurs lecteurs consignés afin de pouvoir parfaitement tracer le suivi de la technologie. Le dernier point pratique est celui du coût. D’un côté comme de l’autre, on souligne que la législation américaine représente un coût pour l’entreprise. Un coût dans les délais administratifs de traitement qui peuvent mettre un projet en retard en fonction de leur longueur mais aussi un coût en matière de personnel selon le travail qui sera nécessaire afin de réaliser le dossier de licence. En outre, et de manière plus surprenante, le coût de la demande elle-même. Les autorités américaines demandent en effet un enregistrement annuel payant ainsi qu’un certain prix pour chaque demande de licence introduite.

Le troisième domaine dans lequel les deux entreprises se rejoignent est celui de la place de l’entreprise dans le jeu politique. Les deux responsables s’accordent pour dire que l’opérateur industriel est de plus en plus responsable de ses exportations, au détriment du pouvoir politique. Cette nouvelle tendance a d’ailleurs comme effet d’augmenter le nombre de licences demandées au pouvoir politique : si l’opérateur industriel a aujourd’hui plus de marge de manœuvre, celui-ci aura tendance à soumettre plus de demande afin d’assurer sa responsabilité et de la décharger sur l’autorité d’émission de la demande, à savoir l’État. Ce n’est pas à elles d’examiner si les forma-lités de prior consent ont bien été remplies mais bien à l’opérateur économique de le faire, à ses propres risques. En ce qui concerne les législations de blocage, celles-ci font également consen-sus. Il semble que l’entreprise concernée par une législation de blocage se trouve dans une posi-tion difficile : si elle désobéit aux exigences américaines, elle risque de se faire condamner. Au contraire, si elle se conforme aux exigences européennes, c’est dans son propre pays qu’elle risque de se voir condamnée.

Le dernier point a pour objet la communauté dans laquelle ces sociétés évoluent et la dif-fusion d’information à propos du contrôle des exportations. La diffusion d’informations au sein de l’entreprise est quelque chose de très important, mise en place de longue date. L’important,

   

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c’est de savoir qui aller trouver pour aller chercher l’information. L’autre élément important est le rapport au tissu industriel. De grands groupes tels que ceux interrogés ne peuvent subsister sans l’existence d’un réseau de fournisseurs correspondant souvent à des petites et moyennes entre-prises. Lors des deux entretiens, la réponse fut identique : ils sont largement sensibilités à ces enjeux. Une des raisons avancées, c’est leur partenariat privilégié avec ces grands groupes qui exigent d’eux de se conformer mais aussi parce que l’enjeu pour une PME est crucial : en cas de non-respect, l’amende peut être si élevée et la réputation si mauvaise que cela signe souvent la fin de l’entreprise. L’image de l’entreprise semble en effet primordiale. Selon les dires tenus lors de l’entretien, les banques et les investisseurs sont très curieux des réponses données aux exigences extraterritoriales. Il s’agit d’un facteur de risque pris en considération lorsqu’il s’agit de détermi-ner l’image de responsabilité sociale de l’entreprise (corporate social responsibility). Il y a donc un système de pression par les pairs, à défaut du gouvernement.

3. Les contrats signés entre les entreprises : entre droit privé et droit public

Les règles qui ont été décrites jusque maintenant visaient à présenter le cadre général dans lequel les relations entre entreprises s’inscrivaient c’est-à-dire que l’on se situait essentiellement dans le champ du droit public. Mais la réalité de l’entreprise est tout autre. C’est au cœur des contrats conclu entre deux firmes que se noue la véritable relation qui, elle, peut nous apporter un éclairage nouveau. C’est par exemple le cas des clauses de soumission ou encore des obligations de non-réexportation prévues par le contrat. Les clauses de soumission sont prévues par le contrat et imposent aux parties contractantes de se soumettre à la législation d’un des États parties. C’est par exemple le cas d’un contrat entre une société américaine et une société anglaise, la société anglaise acceptant d’être soumise au droit américain et à ses contraintes. Le phénomène prend évidemment toute son ampleur lorsque l’on se trouve dans la situation où un opérateur écono-mique se trouve protégé par une législation de blocage. La légalité de telles clauses est très sou-vent contestée.

Pour Allan V. LOWE205, le problème est avant tout celui du point de vue. En droit interna-tional public, une telle clause est vue comme une limitation de la souveraineté d’un État alors qu’en droit international privé, il s’agit d’une simple clause entre deux entreprises206. Selon l’auteur, étant donné que les dispositions du contrat ont trait à l’ordre public d’un État, car on définit les limites de l’exercice de la puissance de l’État, à savoir la juridiction de celui-ci, on se situe dans le champ du droit international public, champ dans lequel les clauses d’un contrat n’ont pas droit au chapitre. Brigitte STERN va dans le même sens et son jugement est sans appel : « […] de telles clauses semblent absolument contraire au droit international public, en ce qu’elles portent atteinte à une compétence exclusive de l’État, la compétence de poser des règles relatives à l’exportation de biens à partir de son territoire et plus généralement d’organiser son économie                                                                                                                205 Bernard AUDIT (op. cit., p. 433) tient le même raisonnement même si celui-ci distingue le droit applicable au

contrat de l’application des dispositions qui ne relèvent pas du droit privé. 206 Allan V. LOWE, « Public international law and the conflict of law : the European response to the United States

Export Administration Regulations », The international and Comparative Law Quarterly, vol. 33, n°3, 1984, p. 520.

   

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sans interférence »207. C’est d’ailleurs ce qui fut souligné par l’Union européenne, lorsqu’elle adresse une note de commentaires aux autorités américaines concernant l’affaire du gazoduc soviétique208 :

[…] the statutory encouragement of voluntary submission to U.S. public policy in trade matters within the E.C. is strongly condemned by the European Community. Private agreements should not be used in this way as instruments of foreign policy. If a Government in law and in fact systematically encourages the inclusion of such submission clauses in private contracts the freedom of contracts is misused in or-der to circumvent the limits imposed on national jurisdiction by international law.

De plus, le Professeur STERN nuance son propos en précisant que si une clause de soumis-sion est appliquée en vertu d’un Traité conclu entre plusieurs États, l’État ayant accepté la modi-fication de ses compétences, la clause peut lui être opposée.

A l’inverse, pour Cédric RYNGAERT, les clauses de soumission sont valides pour autant que l’État territorial n’a pas adopté de législation de blocage209. L’auteur, répondant directement à LOWE dont la thèse a été décrite ci-avant ne voit pas pourquoi un opérateur industriel ne pour-rait pas avoir des niveaux d’exigences plus élevés. Toujours selon l’auteur, si l’État n’est pas d’accord avec un tel raisonnement, il n’a qu’à adopter une législation de blocage. Dès lors, il semble qu’avec les opérateurs industriels, comme nous l’étions avec les régimes internationaux de contrôle du commerce, nous fassions face à une zone grise du droit international public. Le statut n’est pas encore réglementé et, à moins d’une révolution copernicienne, il est peu probable que la solution définitive n’émerge dans un futur proche. Dans l’intervalle, il convient donc de manier ces clauses avec la plus grande circonspection et la plus grande prudence, l’issue judi-ciaire d’un conflit impliquant celles-ci étant loin d’être certaine.

4. Conclusions de la section III

Les opérateurs économiques n’existent pas aux yeux du système westphalien et bien que des pistes pour son amélioration aient été émises, s’il y a une évolution, celle-ci ne peut se faire que de manière progressive et ne semble pas à l’ordre du jour actuellement. C’est au final assez injuste alors que la tendance générale est à une responsabilisation plus grande des opérateurs économiques. Les deux entretiens réalisés ont permis de faire ressortir quelques points intéres-sants pour l’analyse. C’est ainsi que l’on a découvert que les opérateurs économiques ne prennent aucun risque et se conforment aux exigences américaines car le risque de poursuite est trop grand. Dans le même temps, les grandes entreprises diffusent le message du contrôle des exporta-tions auprès de leurs fournisseurs mais aussi au sein même de l’entreprise. Ce respect représente un coût économique et a des conséquences pratiques assez lourdes. Enfin, les contrats ont égale-ment fait l’objet d’une attention spéciale et il ressort qu’à l’analyse, les clauses de soumission doivent être appliquées avec la plus grande prudence.                                                                                                                207 Brigitte STERN, « Quelques observations sur les règles internationales relatives à l’application extraterritoriale

du droit », op. cit., p. 28. 208 European communities: comments on the US regulation concerning trade with the U.S.S.R., International legal

materials, 1982, p. 896. 209 Cédric RYNGAERT, « Extraterritorial Export Controls (Secondary Boycott) », op. cit., p. 634.

   

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CONCLUSIONS GENERALES –

PANORAMA DES REACTIONS LEGISLATIVES, POLITIQUES ET INDUSTRIELLES AU SEIN DE

L’UNION EUROPEENNE, DE LA FRANCE ET DU ROYAUME-UNI

Le constat tiré de la première section était sans appel : l’analyse de la législation nous a permis de déduire que c’est tantôt la « nationalité » du bien tantôt la nationalité de la personne en contact avec celui-ci qui sert de base afin de rendre la juridiction américaine applicable210. Trois théories ont pu être dégagées afin d’expliquer le raisonnement américain : la nationalité du bien ou la technologie, la théorie de la contamination et la compétence personnelle de l’État. Si cette dernière fait l’objet de moins de critiques (tant qu’elle reste cantonnée à une phase prescriptive), les deux premières, qui portent sur la « nationalité » du bien, ne se rattachent à aucun élément classique justificateur de la compétence de l’État à savoir le territoire, la population ou la souve-raineté. Nous avons dès lors conclu que les autorités adoptent une posture assez curieuse, traitant les biens comme des personnes. C’est une vision originale mais l’anthropomorphisme ne semble pas, à tout le moins pour l’instant, remporter un franc succès et semble totalement contraire au droit international public.

La question légitime qui vient alors à l’esprit est celle de la réaction des autres acteurs du système international face aux prétentions211 américaines. C’est ainsi que, pour la deuxième section, nous avons traversé l’océan Atlantique afin d’analyser les législations communautaire, anglaise et française. L’histoire nous a également été d’un grand secours afin de replonger dans les tensions internationales qui ont éclaté suites aux prétentions américaines en la matière. C’est une histoire riche qui nous a été offerte. C’est ainsi qu’au niveau communautaire, on remarque qu’aucun élément du dispositif législatif relatif au contrôle des biens sensibles ne tend à s’appliquer hors du territoire. Au contraire, un soin particulier semble avoir été apporté afin de circonscrire le champ ratione loci de la législation au strict territoire communautaire212. La pre-mière période de tension se manifeste au début des années 1980 avec l’affaire du gazoduc sovié-tique. Les services juridiques des instances communautaires se sont alors cantonnés à l’envoi de notes contestant la légalité internationale des prétentions américaines. En 1996, l’adoption des lois HELMS-BURTON et D’AMATO-KENNEDY suscita un émoi plus grand et permit de réaliser un grand pas en avant dans la définition d’une position officielle européenne car le Conseil adopta un règlement et une action commune, dite « législation de blocage », qui permettent de bloquer l’effet des prétentions américaines. Toutefois, il ne faut pas croire que cette législation s’applique dans tous les cas : les lois visées sont consignées dans l’annexe du règlement, annexe qui ne contient rien d’autre que les deux lois américaines précitées et qui ne fut jamais modifiée depuis.

                                                                                                               210 Pour plus de détails, voir le Tableau 1. 211 Le mot « prétention », qui apparaît dans ce travail à la suite de la première section, a été choisi avec soin. Il

cherche en effet à montrer que la volonté manifeste d’extraterritorialité de la loi américaine ne vient pas s’imposer de facto dans les autres ordres juridiques : il s’agit d’une prétention, à savoir un droit que l’on reven-dique, mais qui reste contesté.

212 On vise particulièrement ici la définition du courtier du règlement 428/2009.

   

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Plus récemment, c’est l’Iran qui a fait son entrée sur le devant de la scène. Les autorités améri-caines ont adopté une législation avec certaines dispositions extraterritoriales contenant des me-sures à l’encontre de ce pays. L’Union européenne n’émit cette fois aucune remarque puisqu’elle partage la même vision que les Américains et que tant la législation américaine que le règlement européen s’inscrivent dans la lignée d’une Résolution du Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Les objectifs poursuivis étant les mêmes et les intérêts industriels européens n’étant pas directe-ment menacés, l’Union européenne n’avait pas de raison d’agir.

Au niveau des États-Membres cette fois, la position semble plus ambiguë. Particulière-ment du côté anglais. L’analyse de la législation anglaise révèle certaines dispositions à vocation extraterritoriales, l’existence d’un Traité venant avaliser les prétentions américaines et, dans le même temps, l’existence très tôt d’une législation de blocage. C’est en effet au début des années 1960 que le Parlement anglais adopta une telle législation qui, bien que d’abord cantonnée au domaine maritime, fut élargie en 1980 à l’ensemble des relations commerciales. Elle fit figure d’exemple puisque le règlement européen ne manquera pas de s’inspirer. La suite des relations fut alors basée sur ce texte : en 1981 avec l’affaire Laker Airways, puis avec le conflit noué autour du gazoduc euro-sibérien. Enfin, l’année 1996 marqua un tournant avec le transfert de la compétence à l’Union européenne via l’adoption du règlement précité. De l’autre côté de la Manche, la législation française semble quant à elle ne contenir aucune disposition à vocation extraterritoriale, pas plus qu’il n’y a de trace de la mise en place d’une procédure afin d’assurer le respect du prior consent américain. L’historique des relations franco-américaines est finalement fort semblable à celui qui vient d’être fait pour les relations anglo-américaines : les premières tensions se sont faites sentir dans le domaine de la pêche ; domaine pour lequel la France a éga-lement adopté une législation de protection, cantonnée à la délivrance de documents. Plus tard, la législation fut modifiée pour élargir son champ d’action mais tout en restant cantonnée à la seule transmission de documents. Toutefois, le développement s’arrêta ici. Ainsi, aucune disposition semblable au règlement UE ou à la législation anglaise ne semble exister. Lorsque les autorités françaises décident malgré tout d’obliger une entreprise à désobéir aux prétentions américaines, l’État réquisitionne l’entreprise afin d’assurer la livraison. Cela relève toutefois plus de l’action symbolique que de la ligne de conduite officielle.

Enfin, le dernier point de vue abordé était celui de l’opérateur industriel. Celui-ci se trouve dans une position inconfortable : le système westphalien ne lui donne aucun droit et la tendance générale est celle d’un transfert de responsabilités des États vers les opérateurs indus-triels. L’analyse des deux entretiens révèle que les opérateurs industriels respectent à la lettre la volonté américaine, car le risque d’une sanction est trop élevé. C’est pour cette raison que la communauté qui entoure l’entreprise (banques et assurances notamment) veille au respect des normes de contrôle. De plus, il y a un phénomène de sensibilisation qui est perceptible, tant à l’intérieur des entreprises que dans le tissu industriel qui dépend de celles-ci. Les législations de blocage ne sont pas perçues d’un bon œil car elles pénalisent, de toute façon, l’industriel. Afin de respecter la législation, les opérateurs séparent les chaînes de production contenant des produits américains et portent une attention toute particulière à la nationalité des personnes engagées ainsi

   

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qu’à la mise en place d’un processus strict de contrôle des accès aux biens/technologies améri-cains.

De manière très schématique, on peut donc en déduire que les prétentions américaines sont appliquées par les opérateurs économiques sauf lorsque l’État considère opportun, pour des motifs d’intérêt public, de bloquer l’effet de ces prétentions, mettant ainsi les industriels dans une position inconfortable. Le contrôle des exportations est donc avant tout un champ politique avant d’être un champ économique ou juridique. L’État adopte une législation de blocage lorsqu’il est en désaccord avec les buts de la législation extraterritoriale. En effet, lorsqu’il partage la vision du monde de l’État émetteur de la norme, il n’entame pas d’action contre lui.

Il semble donc que deux régimes coexistent. Le premier est un régime spécifique, appli-qué à certains États pour certaines périodes. Celui-ci fait l’objet régulier de contestation de la part des autres États ou organisations internationales dès que l’État a l’impression que son intérêt public est menacé. Tant qu’un consensus international existe sur la dangerosité d’un État et sur les sanctions à prendre à son égard (comme c’est le cas actuellement sur l’Iran), la communauté internationale reste pacifique. La définition d’un ennemi commun permet de resserrer les rangs. Toutefois lorsqu’un désaccord surgit, les États, et l’Union européenne en tête, tentent de faire respecter sa volonté. Car le champ est essentiellement politique : la question n’est pas celle d’un impact sur l’économie, mais sur la définition des rapports diplomatiques entre les États. Se sou-mettre aux prétentions américaines revient à adopter leur vision du monde et ainsi écarter toute vision européenne des relations internationales. A côté de ce régime spécifique, il existe le ré-gime de base composé par l’EAA, les EAR ou encore l’ITAR. Ce régime concerne uniquement les industriels. Ici aussi, l’explication par l’intérêt de l’État est convaincante : il n’y a pas d’intérêt relevant des relations internationales en jeu, les seuls qui en souffrent sont les industriels, qui ne semblent décidément pas entendus.

Le deuxième enseignement est relatif au poids international. Il est intéressant de constater que les autorités américaines acceptèrent de revenir sur leur législation une fois que la compé-tence fut transférée à l’Union européenne. Il semblerait donc que l’Union européenne ait plus de poids face aux Etats-Unis que les États européens individuellement. Le second enseignement concerne l’utilisation de l’article 352 TFUE pour justifier la compétence de l’Union européenne pour l’adoption d’une législation de blocage. Le premier élément qu’il convient de relever est qu’il agit comme une disposition « cliquet ». La réponse parlementaire du Lord britannique citée dans ce travail était sans équivoque : l’adoption par l’Union européenne d’un règlement de blo-cage lui donne la compétence et l’ensemble des responsabilités. Le deuxième élément à noter nous est donné par le paragraphe 4 du même article qui prévoit expressément l’interdiction de l’utilisation de cet article à des fins de politique étrangère. L’article 235 TCE de l’époque ne comprenait pas une telle clause. Le contrôle des marchandises est à l’exacte intersection entre le politique et l’économique, entre la politique étrangère et la concurrence internationale. Adoptée sur base de la Politique commerciale commune, la disposition remplit sans aucun doute ici éga-lement un rôle de politique étrangère et les cas d’utilisation du règlement ne tendent pas à démon-

   

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trer le contraire. A l’heure actuelle, l’adoption d’un tel règlement poserait dès lors plus de diffi-cultés et devrait trouver un autre appui sur base du Traité. A force de vouloir cadenasser, on finit par s’interdire des actions qui, auparavant, étaient possibles.

Le troisième enseignement est relatif à la compétence qui est donc maintenant dans les mains de l’Union européenne. La thématique n’a plus occupé le devant de la scène depuis quelques années mais il ne fait pas de doute qu’un nouvel affrontement européo-américain risque de se produire lorsque la vision de ces deux acteurs divergera sur la dangerosité d’un État, ou sur les mesures à prendre à son encontre. Car l’enjeu ici est bien celui d’une confrontation, d’une vision américaine et d’une vision européenne du monde. En effet, ce travail a tenté de souligner la différence de philosophie entre les doctrines européennes et américaines en matière de contrôle des exportations. Loin d’avoir tenté de définir le contenu de celles-ci, on soulignera simplement l’importance des programmes d’outreach dans ce domaine car l’aide aux États sur base de la résolution 1540 les amènent forcément à se définir par rapport à des standards, que ceux-ci soient européens ou américains. Il semble donc qu’il faille conclure à la coexistence de deux para-digmes doctrinaux en matière de contrôle des exportations. L’issue de cette guerre larvée ne sera pas scellée par un traité, les visions semblent trop antagonistes que pour permettre l’arrivée d’un consensus, mais bien par le triomphe d’une vision du monde sur une autre, en fonction du nombre et de l’importance des États qui adhèrent à l’une ou l’autre doctrine car l’Union euro-péenne a une importante carte à jouer ici en créant des tropismes doctrinaux dans le domaine de l’export control.

Le dernier enseignement est relatif au jeu joué par les industriels. Bien que ceux-ci sem-blent totalement ignorés dans le calcul menant l’Union européenne à agir, il semble qu’ils jouent une place bien plus importante. En effet, certains États ont tendance à imposer à leur industriel la réclamation d’un certificat d’utilisateur final ou la mise en place de clause de soumission. On quitte ici le champ du droit public, ce qui possède l’énorme avantage d’éviter toutes les questions relatives à la légalité des prétentions extraterritoriales, pour entrer dans celui du droit privé. Mal-heureusement, il est extrêmement difficile d’obtenir des informations précises sur le contenu des contrats conclus entre industriels mais il semble raisonnable d’imaginer que certains États impo-sent par le biais du droit privé ce qui paraît contestable aux yeux du droit public. Toutefois, ce champ fait encore l’objet de peu de développement et le secret entourant les industries nationales est encore tenace, ce qui empêche d’avoir une vision claire de ce qui est légal et des pratiques courantes dans l’industrie. C’est un enjeu que les autorités américaines semblent avoir cerné beaucoup plus rapidement que les autorités européennes. Il semble qu’une guerre commerciale sourde soit déclarée mais que l’Union européenne ne s’en soit pas encore rendue compte. Mais là, on se situe déjà hors du champ de ce travail…

   

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                                                                                                               213 Ne sont repris ici que les références principales et spécifiques au domaine : les références plus générales sont

disponibles en notes de bas de page.

   

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