Extraits de textes traduits et de poèmes créés par les étudiants
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Rencontre exceptionnelle... et catastrophique ! Texte de Jeannine Pick
Il y a quelques dizaines d'années, j'avais été envoyée au Pakistan pour
seconder trois ingénieurs français qui préparaient, depuis plusieurs
mois, un rapport sur "le développement du tourisme" de ce pays. Je devais
superviser la mise en forme du dossier et surtout sa traduction en anglais
par des traducteurs locaux. Je dois préciser, ici, qu'il n'y avait que des
employés masculins. Mon rôle était prévu pour deux ou trois jours
-d'autant plus que j'avais laissé mes enfants à Paris aux bons soins d'une
jeune étudiante au pair.
Je me suis rapidement aperçu que ces ingénieurs, habitués à travailler dans
le cadre d'une entreprise, ne s'étaient pas réparti en détail la table des
matières, de sorte que certains paragraphes avaient été traités
simultanément. Je leur ai demandé de me faire parvenir, chaque jour,
l'original en français et la traduction. Afin de pouvoir "reconnaître" l'auteur
de chacun des chapitres, j'ai eu l'idée d'attribuer à chacun une couleur.
J'ai ainsi fait l'expérience d'une "papeterie locale" où je suis allée acheter
des "chemises" que je leur ai distribuées....... J'ai pris un taxi, car le bruit
courait, à l'époque, que trois hôtesses de l'air avaient été violées et on
m'avait donc vivement déconseillé de sortir seule de l'hôtel de luxe où nous
étions logés et où étaient aussi nos bureaux.
Le client, ministre du tourisme de l'époque, convoquait quotidiennement
les ingénieurs pour discuter de chaque virgule, ce qui les retardait
beaucoup : j'ai donc été chargée aussi de ce contact quotidien, à 10h du
matin dans son bureau où il m'accueillait, au début, de façon très
protocolaire et m'offrait un verre de jus de fruits. Je venais avec mon "bloc
sténo" prête à discuter des problèmes éventuels. Après quelques jours, j'eus
la surprise de voir son fauteuil devant la belle table de travail du ministre et
à côté de ma chaise. Deux verres de jus de tomate et...il s'est précipité sur
moi : j'ai hésité à le bousculer avec le jus rouge et suis arrivée à me sauver :
heureusement, il n'avait pas fermé à clé.
Je suis allée me réfugier dans ma chambre et j'ai poussé le lit contre la
porte... Assez rapidement, j'ai reçu un coup de fil m'ordonnant de
"descendre immédiatement" et, peu après, on a tambouriné violemment.
J'ai prié le standard de bloquer les appels, mais ce ministre avait été,
auparavant, chef de la police et était craint de tous. J'ai prévenu les
ingénieurs que je ne sortais plus sans l'un d'entre eux.
Le scandale du jour ! Il paraît qu'il était prêt à m'épouser et à prendre les
enfants...!
Il n'était même pas "sexy" !! La peur de ma vie !
Le bateau Mouche De Viviane Schul – Déc. 2010
Pendant deux années de suite il avait plu tous les jours sur Tel-Aviv. Le
maire de la ville était enchanté, parce qu´il allait enfin pouvoir réaliser son
rêve. Transformer la ville en une Venise du Nouvel Orient ! Un matin de mai
nous sommes montés, mon père ma sœur et moi, sur un bateau mouche en
partance de la rue Allenby. Comme il faisait frais, j´avais mis une jupe
longue et un gilet. La foule nous saluait aux bords du canal. Ils tenaient des
banderoles, et avaient suspendu aux fenêtres des guirlandes, pendant que
les enfants chahutaient autour des barbes à papa. Des hublots, nous
saluions les gens qui, dressés sur les balcons, agitaient en notre direction
des mouchoirs multicolores. Un photographe de polaroids est monté à
bord, a fait click, et pour 20 lires nous a vendu cette photo ou tous les trois
nous souriions, balancés par le courant. En arrivant au grand canal de Ibn-
Gvirol, les passagers ont commencé à descendre. De nouveaux sont montés.
On abordait maintenant des petits chenaux que je ne connaissais pas. Les
guirlandes et les banderoles avaient disparu. Les nouveaux passagers
étaient tous habillés en noir, chapeau melon, redingote, et barbe. Les
femmes s’étaient toutes assises sur le couloir de droite, et portaient sur la
tête d’étranges fichus. Tout d’un coup un contrôleur arriva. Il se jeta sur
mon père : Monsieur, où êtes vous assis, à gauche, à gauche, avec les autre
messieurs, s’il vous plait. Il se dirigea de suite vers ma sœur : Etes vous
mariée, madame ? Euh, Oui, répondit ma sœur, très étonnée par la question.
Et comment voulez vous qu’on le sache. C’est marqué sur votre front, peut
être ? Amende, amende, 125 lires. Mais, pourquoi ? protesta ma sœur.
Comment pourquoi ? Montrez-moi votre billet : Vous voyez ce qui est
marqué ici? Couverture de tête obligatoire pour femmes mariées à partir du
Grand Canal. 125 livres ! Il se retourna ensuite de mon coté. Il se réjouissait
d’avance. Ah ah !! Il sentait là la belle mangeuse de porc. Ce ne seraient pas
des miettes de sandwich au pastrami fromage sur son tricot, par hasard ? Il
examina et examina avec un regard accusateur, mais ne put rien
récriminer, et encore moins, rien prouver.
Nous descendîmes à un endroit dont j´ai oublié le nom, et prîmes un
autobus pour rentrer à la maison.
Pendant les deux années suivantes il n’est plus tombé une seule goutte sur
Tel-Aviv, à la grande joie du nouveau maire, qui rêvait de Manhattan, et qui
s’est dépêché de couvrir tous les canaux de ciment et de bitume.
Souvenir d’enfance Ecrit par Denise Nates
Ma sœur et moi marchions dans une rue pavée de Casablanca, en direction de
notre demeure. Le soleil éclatant reflétait la blancheur éblouissante des
maisons et mettait en valeur les fleurs multicolores qui décoraient leurs
fenêtres. Deux jeunes filles qui venaient dans notre direction s’arrêtèrent
devant nous.
« Regarde, Saida, comme elles sont mignonnes ! » s’écria l’une d’elles.
Hélène devait avoir sept ans et moi quatre mais les traits physiques de « l’amie
de Saida » demeurent toujours gravés dans ma mémoire. Sa chevelure d’ébène
relevée et ramassée derrière la nuque dans le style des années 60, exposait la
blancheur transparente d’un visage ovale et d’un cou majestueux qu’un collier
de perles blanches entourait. Ses grands yeux étaient noirs et expressifs. Sa robe
blanche sans manches qui s’arrêtait aux genoux, dessinait fidèlement les lignes
de son corps mince et élancé. Elle portait des chaussures fines à talons hauts.
La tète baissée vers nous elle nous souriait en nous tendant une orange.
Ma sœur refusa promptement mais poliment. La jeune fille se tourna alors vers
moi et me tendit le fruit.
Je ressentis aussitôt une douleur aigue. Les ongles de ma sœur s’étaient
enfoncés dans la paume de ma main gauche.
«Non, merci», répondis-je.
Saida qui jusqu’alors était restée silencieuse, s’approcha de son amie et lui
murmura quelque chose à l’oreille. Le regard de cette dernière qui était resté
rivé sur nous et qui avait été alors plein de douceur se métamorphosait peu à
peu. Ensuite ses yeux s’agrandirent et s’éclaircirent comme ceux de quelqu’un
qui venait d’avoir une idée brillante ou qui venait de se lancer un défi.
L’air décidé et tout en continuant à nous barrer la route, elle éplucha l’orange et
la partagea en deux. Elle se baissa, me tendit un morceau qu’elle rapprocha très
près de mon visage et le regard fixe et menaçant, elle ordonna : «Mange ! »
Malgré notre très jeune âge, et malgré le fait que nous n’en parlions jamais,
nous étions conscientes du danger que nous, en tant que juives courrions, si
nous n’obéissions pas aux arabes. Du coin de l’œil gauche, j’aperçus le
frémissement des lèvres de ma sœur et les larmes qui menaçaient de jaillir de
ses yeux. Je sentis une sueur couler le long de mon dos. Mes mains tremblaient,
ma gorge était sèche et mes joues humides. Je levais une main hésitante et
tremblante et pris le fruit que je teins entre le pouce et l’index.
Je demeurai immobile, espérant qu’elle partirait enfin. Mais elle persista dans
son attente afin de me voir l’entamer. Alors, comme quelqu’un que l’on
pousserait à se jeter du haut d’un précipice, j’approchai lentement l’objet
répulsif de mes lèvres j’ouvris a demi ma bouche et mordis dans la chair d’où
jaillit un liquide infect qui, en m’éclaboussant, me brula les joues et le menton et
continua à couler le long de mon cou et sur ma robe pendant que je luttais de
toutes mes forces pour ne pas vomir.
Les yeux de mon bourreau s’étaient élargis au fur et à mesure qu’il m’observait.
Ses sourcils qui se relevaient en accents circonflexes tandis qu’il m’étudiait
tantôt avec ahurissement tantôt avec intérêt, lui donnaient l’air d’un
scientifique face à un objet expérimental qui découvrait les résultats
prodigieux de son expérience.
Puis tout à coup, elle éclata d’un long rire hystérique et, entrainant par le bras
Saida qui était pliée en deux, elle continua son chemin.
L’écho de leurs éclats de rire retentissait encore à nos oreilles tandis que nous
demeurions tremblantes et larmoyantes dans une rue déserte et ensoleillée.
Pourquoi écrire ? Ecrit par Denise Brener
Du plus loin qu’il m’en souvienne, j’ai toujours écrit.
J’aimais déjà beaucoup, petite fille, à l’école, former des signes dans mes
cahiers d’écriture, avec les petits interlignes dans lesquels nous devions
écrire des lettres. Quel plaisir de tenir entre mes doigts mon porte-plume
qui traçait les pleins et les déliés, imprimant ainsi un rythme musical au
graphisme.
C’était la forme mais c’était déjà fascinant.
Puis les premiers mots déchiffrés dans mon livre de poésie tant aimé. Quel
bonheur alors, seulement, de réussir à recopier des pages de ce petit livre
magique.
Je m’essayais aussi à composer de petites poésies.
Ecrire s’est imposé à moi, dès l’adolescence, sous la forme, surtout, de
journal intime.
Confier à mon amie, la belle feuille blanche ou de couleur, choisie avec
amour chez le papetier préféré, mes pensées, mes sentiments, mes
émotions, a représenté une activité importante pendant toute cette période
frémissante.
J’ai toujours beaucoup pratiqué les échanges épistolaires, à la recherche de
la communication vitale.
Et puis ce besoin naturel d’écrire est essentiel pour moi : prendre des
notes, en toutes occasions, et, en particulier,quand la parole véhicule des
messages de vie, est porteuse de sens, suscite des voies de réflexion.
Les nécessités professionnelles, certes, ont exigé de préparer des
programmes et des conférences, avec des thèmes spécifiques, et, malgré
certaines contraintes, j’y ai toujours trouvé beaucoup de contentement et
de satisfaction.
Alors pourquoi écrire ?
Pour le plaisir
Pour clarifier des idées
Pour mieux comprendre
Pour communiquer
Pour la joie de créer
Pour apaiser des contrariétés et retrouver le calme
Pour le côté ludique, parfois
Mais la vraie nécessité, intérieure, d’écrire s’est exprimée dans l’intimité,
dans ma relation personnelle avec mon « journal » où, au fil des ans, j’ai
livré mes sentiments, mes idées, mes émotions, mes réflexions, mes
analyses, mes joies, mes angoisses, mes chagrins, mes espoirs.
Me retirer dans ma chambre, au calme, créer une atmosphère favorable à
l’écriture, puis me laisser aller, le plus librement possible, c’est un privilège
que je m’accorde souvent.
Ecrire a toujours été, pour moi, très libérateur.
Et puis, couler sa pensée dans des mots, chercher les termes les plus
appropriés aux idées que l’on veut exprimer est un réel plaisir.
Outre la recherche du mot juste, donner forme à cette matière, la façonner,
ciseler la phrase, la polir, prendre le temps de l’affiner, insuffler une belle
respiration pour animer le texte.
Trouver les rythmes vibrants, les sonorités intéressantes
Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke
« Il n’est qu’un seul moyen. Cherchez en vous-même. Explorez la raison qui
vous commande d’écrire : examinez si elle plonge ses racines au plus
profond de votre cœur, faîtes-vous cet aveu : devriez-vous mourir s’il vous
était interdit d’écrire. Ceci surtout : demandez-vous à l’heure la plus
silencieuse de votre nuit : me faut-il écrire ? Creusez en vous-même à la
recherche d’une réponse profonde. Et si celle-ci devait être affirmative, s’il
vous est donné d’aller à la rencontre de cette grave question avec un fort et
simple « Je dois », alors bâtissez votre vie selon cette nécessité.
Le trampoline de la joie Ecrit par Nadja / Tel Aviv – Décembre 2010
C’est la photo de sept enfants sautant sur un trampoline. Une joyeuse mêlée
de corps et de cheveux. Elle se souvient de leurs cris, de leurs rires, de leurs
chants. De leurs disputes aussi parfois.
Elle se souvient de ce village où elle a vécu deux ans à son retour de
l’étranger, avant de repartir vers de nouveaux horizons. Deux années
pendant lesquelles, en toute saison, les cousins et cousines ont sauté sur le
trampoline installé dans le jardin, à l’ombre d’un imposant pin, dont les
aiguilles avaient le mauvais goût de tomber dans le jardin du voisin. Celui-ci
avait pris l’arbre en grippe et menaçait d’avoir recours à la justice pour le
faire abattre.
Elle qui aimait se fondre dans l’anonymat de la ville, elle se souvient avoir
eu le sentiment d’étouffer dans ce village. Alors, suivant le vieil adage « pour
vivre heureux, vivons cachés », la vie s’était organisée autour du trampoline
et sa maison était devenue un lieu de passage, une « table d’hôtes » très
fréquentée par la famille et les amis en mal de petits plats et de moments de
partage.
Elle se souvient que pour les goûters du mercredi elle préparait des crêpes
ou un gâteau à la banane : affamés, les enfants dévoraient et repartaient,
infatigables, sauter et sauter. Mais il n’y avait pas que les goûters : il y avait
les apéritifs, les déjeuners, les anniversaires, les dîners, les barbecues, les
cafés, les kermesses, Noël…chaque jour était prétexte à recevoir : des
invités « invités », des invités « surprises », des invités qui passent par
hasard, des invités qui viennent juste « faire un coucou », des invités qui
s’invitent, peu importe, l’invité était roi !
Elle se souvient de la cuisine inondée de lumière ; une pièce ouverte sur la
salle à manger et le salon, sans murs de séparation ; un espace aménagé
avec des placards intégrés et un imposant plot central, sur lequel un cactus
géant planté dans une grande poterie carrée, venait chatouiller le plafond.
Là, disposant de plans de travail spacieux, elle avait préparé des soupes de
légumes pour réchauffer les égarés du soir dans le froid hivernal ; des tians,
des caponatas, des ratatouilles pour accompagner les barbecues estivaux ;
des pissaladières pour les apéritifs, à déguster avec un petit rosé de
Provence ; des salades composés à la hâte pour les petits creux des grands
pressés ; des pâtes bolognaise pour régaler les enfants ; des daubes et des
pots au feu qui mijotent pour les repas de famille ; des roulés au saumon
pour les grands jours ; des gâteaux aux bonbons pour les
anniversaires…Mais peut-être avait-elle besoin de tous les nourrir pour se
remplir avant de repartir ?
Elle se souvient qu’elle était heureuse de quitter la maison et le village pour
retrouver la ville. Boire un picon bière à la terrasse d’un café, aller à
l’université, arpenter les rives de l’Ill à vélo, mener des projets qui
mèneront à des rencontres. Trois années à s’enivrer de ville, trois années
pour oublier le trampoline et la cuisine aux murs saumon dans le village.
Et la voilà assise par terre, à déballer les albums photos pour les ranger
dans sa nouvelle maison. Une photo s’échappe d’un album : celle des sept
enfants sur le trampoline. Soudain le temps se brouille et elle revit avec
intensité ces petits riens de tous les jours, ces petits riens qui ont rythmés
sa vie dans le village pendant deux ans. Elle vient juste de comprendre que
tous ces petits riens, sont ceux qui restent quand il ne reste plus rien.
Elle se souvient du trampoline qui grince dans le jardin. Des odeurs salés et
sucrées dans la cuisine. Des enfants qui sautent, inconscients de la morsure
du temps qui passe. Des années qui s’oublient. Mais elle n’oublie pas.
Cette photo-là Ecrit par Joëlle Bellahsen Déc. 2010
Elle dit quelque chose sur mon réel et en restituant son histoire je déchiffre
un pan entier de ma vie.
Je grandis avec trois frères et fus la seule pendant longtemps à mettre au
monde des enfants, à créer des traces de mon itinéraire.
Je suscitais alors les vivants que sont mes vieux parents et ressuscitais aussi
les morts.
Serge fraye avec Gerda, avec Christine, avec Eva, avec Pierrette, avec
Paulette.
Il ne réussit pas à trouver chaussure à son pied ni marmite à son couvercle,
dixit maman à son grand dam.
Il avance en âge et son désir d’enfant s’étiole en l’absence de l’âme sœur
plutôt fantomatique.
Quand il apprend à regarder celle qui travaille avec lui il voit comme ils se
ressemblent il entend combien elle se trouble, et inspirés, ils osent passer
aux aveux.
Serge a cinquante ans lorsqu’il devient papa et depuis il s’aime et se
rencontre dans une étonnante promenade quotidienne. Nos parents
résistent à l’usure et vibrent d’un regain de vie presque insolent.
Quant à mes enfants ils découvrent sur le tard leurs cousins, petits
balbutiants, réminiscences de leur enfance complexe entre France et Israël.
Mes uniques neveux me confortent, unissent ma dérive à celle de mon
frère ; ils deviennent ces repères dans la chaîne, me font vivre l’instant et
l’enchevêtrement infini..
Aaron a trois ans, Ruben a deux ans. C’est une photo qui me tient à cœur.
Elle relate aussi leur mère qui vient de réussir sa conversion après moult
écueils. Elle le désirait fort comme un abri sur le fil du rasoir, un secret
partagé.
Et on s’aime.
Un lieu cher à mon cœur Ecrit par Viviane Ziter
Senteurs de lavande, de thym, de romarin, allées bordées de platanes, haies
plantées de cyprès, là est ma maison.
Le dimanche, les cloches de la cathédrale retentissent dans le ciel bleu ; les
fidèles se pressent à l’heure de la messe.
Une eau fraîche jaillit de la bouche des anges joufflus de la fontaine.
Le mardi, jour de marché, le village entier s’éveille. Dès le matin, des étals
sont dressés, chargés des produits du terroir ; truffes, olives, miel, fromages,
fruits, légumes. Une foule bigarrée s’empresse, des cabas débordants dans
les mains.
Les gens se rencontrent, se hèlent, s’interpellent. Là se retrouvent les
paysans des villages alentours. On échange des nouvelles, s’embrasse, se
congratule et si on a un peu de temps, on va arroser les retrouvailles au café
du coin ! L’accent du midi chante à l’heure de l’apéritif, quand le pastis frais
coule dans les verres.
Quand la chaleur se fait insupportable, on rentre chez soi, les persiennes se
ferment, le silence règne ; monte le chant des cigales.
En fin d’après-midi, les commères reposées tirent leurs chaises sur la Place
du Marché et assises en cercle, commentent les nouvelles du jour.
C’est l’heure du repas du soir que l’on prendra qui dans sa cour, qui dans
son jardin, un verre de vin à la main.
A la tombée de la nuit, une odeur de terre humide se répand ;
l’air exhale des senteurs de fleurs ; une brise légère se lève qui fera oublier
l’ardente chaleur du jour.
C’est ma Provence, c’est mon berceau, c’est mon enfance.
Annette Ecrit par Gadi Golan
J'ai avec cette petite fille d'alors- elle s'appelait Annette- deux souvenirs
précis. L'un, pénible et pesant qui a perturbé sinon bouleversé mon
enfance; L'autre, innocent, que je vais vous raconter, laissant le premier
pour plus tard ou plus loin.
Nous devions avoir dans les douze ans, Annette plus âgée que moi, à peu
près d'un an. C'est un âge où l'on compte en secondes mais où chaque
seconde compte. Nous habitions côté cour, au quatrième étage d'un
immeuble qui en comptait six. Nous habitions sur le même palier, les portes
se faisaient face. Deux familles juives dont les adultes, ses parents et les
miens, ne se parlaient pas pour des raisons dues à la guerre et au rapport
avec l'occupant, une triste affaire. Nous étions dans les années cinquante, la
guerre ne nous intéressait pas vraiment, pas encore, nous avions notre
propre monde, nos propres problèmes qui, à cet âge, sont de dimension
cosmique.
Nous avions l'habitude, Annette et moi, une fois les devoirs et autres
corvées accomplis, de nous retrouver et de faire les escaliers comme si nous
en étions les propriétaires. Nous avions nos endroits secrets où nous
pouvions jouer tranquillement, moi étant le médecin traitant, Annette,
l'infirmière, souvent malade. Que cela me soit retenu, à part elle, je tenais,
tout particulièrement à soigner les pauvres, les malheureux et les
nécessiteux.
Un après-midi, j'étais chez moi, je m'approchais de la fenêtre, attiré par un
vacarme épouvantable de piaillement de moineaux. Je vis soudain Annette
de sa fenêtre suspendre quelques linges dont un soutien-gorge, son premier
soutien-gorge. Soutien-gorge, c'est peut-être un grand mot pour désigner la
chose, disons plutôt un morceau de tissu formé de deux parties reliées
entre elles, et bien trop grandes pour contenir ces deux rocs émergents.
J'étais fasciné, d'autant plus que ce linge aux couleurs vives, un vrai arc-en-
ciel, se balançait, ballotté par le vent, un cerf-volant qui n'en faisait qu'à sa
tête dans cette cour intérieure, lugubre, hantée de souvenirs que je ne
connaissais pas encore, ou pas tous.
Annette m'aperçut enfin, et, honteuse et confuse, ne m'adressa pas la parole
pendant trois jours, trois longs jours qui n'en finissaient pas de durer à un
âge où l'on compte en secondes et où chaque seconde compte.
Aujourd'hui, presque soixante ans plus tard, je me demande si ce n'est pas
ce cerf-volant arc-en-ciel qui avait attiré et fomenté ce vacarme infernal de
moineaux, d’habitude plus prudents et méfiants, marqués par l'expérience
dans cette cour intérieure.
Un cerf-volant arc-en ciel, un signe de vie dans cette cour intérieure.
Désir naissant Ecrit par Jacques Léger – décembre 2010
Dans un bel après-midi d’été, je me tenais penché sur ma table de travail. Une petite table en chêne, toujours bien cirée. J’aime l’odeur de la cire d’abeilles. Et celle du bois massif. J’aime en caresser les veines, douces et brillantes. Un assortiment de plumes. De l’encre bleue. Doux va et vient de l’air. Chaque souffle me livre l’âcre de l’encre. L’univers replié par trois doigts. La pointe, le trait. Méditation. Un rayon de soleil, tel un pinceau, dessine un grand losange lumineux sur le sombre parquet. Pas qui résonnent, se rapprochent. Chaussures à talons. Frôlements. Une grande robe fleurie. Les jambes fines et vives traversent le losange lumineux. Et la robe, fugitivement éclatante de soleil. Un parfum inconnu tourbillonne en délicates volutes. S’impose. Sur le bois et l’encre. Et l’intime. Un vif mouvement de hanches, presque sec mais tendre. Tout le corps, un mouvement gracieux, juste. Elle se retourne vivement. Je suis saisi. Elle a un beau visage mat, pur et noble. Une généreuse chevelure noire comme le jais flotte sur ses épaules à peine découvertes. Elle me voit l’admirer. Elle reste immobile et me fixe. Très longtemps. Des yeux étincelants de braise. Mon regard ne peut se détacher. Un trouble nouveau et puissant m’envahit. Subitement, la robe et les cheveux vire voltent : « les enfants, c’est l’heure de la récréation ». C’était Cristina Del Monico, la délicieuse maîtresse italienne de mon père.