Extrait du livre Catéchèses Liturgiques de Jean Foundoulis ...
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Extrait du livre Catéchèses Liturgiques,
de Jean Foundoulis
Editions Apostolia, 2019
LA GRANDE SEMAINE – Deuxième partie
Dans le texte précédent, nous avons abordé les thèmes liturgiques du Dimanche des Rameaux et
des trois premiers jours de la Grande Semaine. Nous allons nous occuper aujourd’hui des trois
derniers jours de la Grande Semaine : le Grand Jeudi, le Grand Vendredi et le Grand Samedi. Ce
sont les jours les plus vénérables et sacrés de l’année liturgique de l’Église, qui constituent le noyau
de toute cette période qui précède Pâques.
Les textes de ces jours ont été les premiers à prendre forme à une époque fort ancienne et c’est
autour d’eux, par des accroissements successifs, que les Pères ont construit la période liturgique
précédant et suivant Pâques.
Les offices de ces trois jours sacrés n’ont pas leur pareil. Il ne serait pas humainement possible
de trouver un « vêtement » liturgique plus appropriée aux thèmes fondamentaux que nous
célébrons. L’ordonnance des offices, la beauté étonnante de leur hymnographie, le choix et
l’agencement admirable des lectures scripturaires, les représentations symboliques des souffrances
salvatrices du Christ, donnent à ces célébrations un caractère divin, dépassant le monde d’ici-bas et
l’homme.
Mais suivons de façon plus systématique les thèmes historiques ainsi que le contenu liturgique
des jours cités.
Le Grand Jeudi est le jour vénérable de la Cène mystique, du mystère sacré de la divine
eucharistie. La trahison de Judas a été consommée, mais le Seigneur avance sereinement vers Sa
Passion, comme s’Il ignorait ce qui se machinait contre lui.
« Le soir venu, il était à table avec les douze » pour célébrer le repas pascal. Il se lève et se met,
Lui, le Maître, à accomplir un travail qui revenait à un esclave. Il se ceint d’un linge et commence à
laver les pieds des disciples, donnant ainsi un exemple suprême d’humilité et de service.
Le repas se poursuit, la Pâque de la Loi, mais aussi « la nouvelle Pâque », « le Corps et le Sang
du Maître ». Le Christ offre à Ses disciples et à Son Église le nouveau repas, le repas immortel, le
sacrement qui, selon Son ordre, sera célébré au long des siècles, afin que son peuple participe à sa
nature divine et que se constitue le Corps de Ses disciples christophores et théophores.
Le repas se termine par le discours d’adieux et la célèbre « prière sacerdotale » (Jn 17, 1-26), la
prière du Seigneur pour Ses disciples, pour Son Église. La petite communauté quitte alors la
chambre haute de la sainte Sion, où elle a mangé « la nouvelle Pâque ».
Ces événements sont présentés en relief à l’office du Grand Jeudi. Aux Matines – célébrés,
selon les lieux, ou le soir du Grand Vendredi ou le matin du Grand Jeudi – la lecture de l’Évangile
de Luc, le Canon de Cosmas et les stichères et apostiches de Laudes essayent de couvrir tout ces
thèmes sacrés : la cène mystique, la transmission du sacrement, le lavement des pieds et la trahison
de Judas.
Aux Vêpres, nous rencontrons encore les mêmes thèmes.
Les lectures de l’Ancien Testament viennent nous apporter la voix des prophètes prédisant la
Passion ; l’épître se réfère à l’institution de la divine liturgie, et la longue péricope de l’Évangile de
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Mathieu récapitule les événements qui ont eu lieu, depuis les premiers agissements des Grands
Prêtres et des Scribes contre le Christ, jusqu’à sa condamnation par le Sanhédrin. Restent les deux
événements majeurs – la Cène mystique et le lavement des pieds – qui vont constituer l’objet des
célébrations particulièrement commémoratives de la Divine Liturgie de la Cène mystique et du
lavement des pieds.
Ces deux célébrations, de nos jours, se sont attiédies. Cette Liturgie merveilleuse, qui était
célébrée autrefois le soir, à l’heure du repas du soir, est actuellement célébrée tôt le matin, afin de
faciliter la participation des fidèles au Sacrement ; d’autre part, la cérémonie du lavement des pieds
est limitée à Jérusalem, où elle est née, et à quelques autres endroits. Cette cérémonie était une
véritable mystagogie, une reproduction de cette scène sacrée : l’évêque lavait les pieds de douze
clercs, tandis qu’on lisait, sous forme de dialogue, la péricope respective de l’Évangile selon Saint
Jean. Et la Liturgie de Saint Basile était célébrée à l’heure exacte où l’événement extraordinaire
avait eu lieu. C’était une authentique reproduction de la Cène qui avait été célébrée à la « chambre
haute » à Sion. Le peuple de Dieu jouissait – comme les Apôtres autrefois – « de immortelle et
sainte table que le Maître a préparée » où était offerte « la véritable Sagesse de Dieu ».
Cette liturgie est dominée par l’ancien tropaire :
« À ta cène mystique fais-moi communier aujourd’hui, ô Fils de Dieu, car je ne dirai
pas le secret à tes ennemis, ni ne te donnerai le baiser de Judas. Mais, comme le larron je
te crie : souviens-toi de moi, Seigneur, dans ton Royaume. »
Ce tropaire remplace l’Hymne des Chérubins et le chant de communion de la Divine Liturgie.
« Aujourd’hui » alors qu’on commémore la Cène mystique du Seigneur, Il rend participants à
cette Cène les fidèles imitateurs de Ses fidèles disciples, ceux qui ne trahiront pas la foi comme
Judas, mais qui, comme le larron sur la Croix, confesseront qu’ils sont des indignes citoyens de Son
Royaume.
Le Saint et Grand Vendredi est le jour de la Passion, du martyre. En lui nous célébrons, d’après
le Synaxaire du Triode :
« Les saintes souffrances que notre Seigneur, Dieu et Sauveur Jésus Christ endura pour notre
salut : les crachats, les soufflets, la flagellation, les insultes, les moqueries, le manteau de pourpre,
le roseau, l’éponge, le vinaigre, les clous, la lance et surtout la Croix et la mort, qu’il accepta
librement pour nous sauver ; et nous y ajoutons la mémoire de la confession par laquelle le bon
larron, crucifié avec Lui, trouva le salut sur la croix. »
C’est le jour de l’extrême abaissement et du sacrifice suprême. La Divine Liturgie n’est pas
célébrée. Le mystère pascal cède la place au Sacrifice Suprême qui, une fois pour toutes, a été
offert par le Grand Prêtre, Lui qui était à la fois prêtre et victime.
« Toi qui offres et qui es offert,
qui reçois et qui es distribué»
(Prière de l’hymne des Chérubins)
Aux Matines, les douze péricopes évangéliques nous présentent, dans tous leurs détails, les
souffrances du Christ, d’après les récits de tous les Évangélistes. Ils nous introduisent, tout d’abord,
dans « chambre haute » à Sion pour nous faire entendre le « discours d’adieu » et la prière
sacerdotale, « l’Évangile de l’Alliance » ; nous suivons les pas du Seigneur au Mont des Oliviers et
entendons la prière de l’agonie, au jardin de Gethsémani. Nous assistons à la trahison et à
l’arrestation de Jésus ; à l’interrogatoire et aux outrages devant le Sanhédrin et à Sa condamnation à
mort par les grands prêtres et Pilate ; au reniement de Pierre et à son repentir ; au chemin de croix
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vers le Golgotha, à Sa crucifixion, à Sa mort, au coup de lance, à sa descente de la Croix, à Son
ensevelissement, à l’apposition des scellés sur la pierre du tombeau.
Tous ces événements sont reconstitués avec précision par l’admirable hymnographie et
représentés de manière expressive lors de la procession et l’élévation de la Croix du Seigneur au
milieu de l’église.
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Les offices des Grandes Heures, avec leurs psaumes messianiques propres et les lectures de
l’Ancien et du Nouveau Testament, ainsi que des hymnes appropriés nous transportent du Prétoire
de Pilate au Golgotha, pour assister, avec la Mère de Dieu et le disciple bien aimé, à l’effrayant
martyre de la croix, à la sixième heure, et le « Tout est accompli » (Jn 19,30) de la neuvième heure.
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Aux Vêpres, avec Joseph d’Arimathie et Nicodème, nous assistons, avec un frisson d’émotion, à
la descente de la croix, pour nous lamenter, avec les femmes myrophores aux Matines du Grand
Samedi, comme pour un mort, alors qu’il est vivant, et pour déposer le corps du Seigneur dans un
tombeau neuf.
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Il ne s’agit pas cependant uniquement d’une réminiscence, d’une reproduction, d’une sorte de
théâtre sacré que l’Église a voulu nous offrir avec toutes ces saintes célébrations. Les souffrances
du Seigneur ne sont pas une histoire d’un passé révolu que l’Église veut rendre présente à notre
mémoire sans plus. Ces offices représentent bien plus, car les souffrances du Seigneur sont alors
réellement présentes : il s’agit d’un transfert du passé au présent et, inversement, du présent au
passé. C’est un mystère. Un mystère qui renouvelle ces événements pour chacun de nous, afin que
nous vivions personnellement l’événement suprême de la divine Passion, afin que chacun de nous
puisse devenir participant aux souffrances salvatrices et à la gloire du Christ. Car « aujourd’hui » le
Christ vient de nouveau, « aujourd’hui » il nous livre Son Corps et Son Sang comme nourriture et
boisson, « aujourd’hui » il est cloué à la Croix, « aujourd’hui » il est descendu de la Croix et
enseveli.
Vient ensuite le jour du silence, le jour de la Grande Attente, de l’espérance, du repos. Le
Samedi Saint. Le Christ est au tombeau. Il a prononcé le « C’est achevé ! » (Jean 19,30). Il a
accompli son œuvre comme Créateur et, à présent, il célèbre le sabbat, « le repos ».
Dieu conclut au septième jour l’ouvrage qu’il avait fait et Il se reposa le septième jour de Ses
travaux, de tous de tous les travaux qu’Il avait accomplis. Et Dieu bénit le septième jour et
le sanctifia, parce que ce jour-là Il s’était reposé de tous Ses travaux, des travaux qu’Il avait
entrepris de faire.» (Gn. 2,2-3)
Ce samedi de la création, le samedi de la Loi, préfigurait le « Samedi du Seigneur », Son repos
au tombeau. « La vie dort ». Elle dort comme le lion de la tribu de Juda :
« Il s’est couché comme un lion, comme une lionne ; qui le fera lever ? » (Gn. 49,9)
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Silence donc ; un silence plein de crainte devant le Seigneur endormi.
« Que fasse silence toute chair mortelle,
qu’elle se tienne immobile,
avec crainte et tremblement,
et que rien de terrestre n’occupe sa pensée. »
(Vêpres du Samedi Saint)
Ce silence, cependant, est plainte et lamentation pour la Mort et l’Hadès. Car le mort Vivant
brise les portes de l’Hadès et affranchit ceux que ce dernier tient captifs depuis des siècles. Par Sa
mort, il met à mort la mort.
Les tropaires du Grand Samedi nous transportent dans cette double scène : celle du Seigneur qui
dort dans le tombeau et celle du Seigneur qui, par sa descente en Enfer, anéantit ses liens.
Nous donnerons ci-dessous un choix de ces tropaires : les deux premiers stichères des Laudes et
les deux premiers des Vêpres, ainsi que le doxastikon.
« En ce jour est contenu dans un tombeau
celui qui tient dans sa main la création,
une pierre recouvre Celui qui a couvert les cieux de beauté,
la Vie s’est endormie, l’Enfer tremble ;
Adam est libéré de ses liens.
Gloire à ton œuvre de salut,
par laquelle Tu as accompli l’éternel repos du Sabbat,
pour nous faire le don de Ta sainte Résurrection. »
« Quelle vision s’offre à nos yeux !
Quel est le présent repos ?
le roi des siècles qui a achevé son économie par la passion,
repose sabbatiquement dans le sépulcre,
nous accordant un nouveau sabbat.
Chantons-Lui : "Lève-toi, Seigneur, juge la terre,
car tu règnes dans les siècles,
Toi dont la miséricorde est infinie ».
En ce jour l’Enfer s’écrie en gémissant :
« Il eût mieux valu que je ne reçoive pas Celui qui naquit de Marie,
car en pénétrant chez moi,
Il a détruit mon pouvoir, Il a brisé les portes d’airain
et ces âmes que je tenais captives,
Il les a ressuscitées, car il est Dieu.
Gloire, Seigneur, à Ta Croix et à Ta sainte Résurrection.»
« En ce jour l’enfer s’écrie en gémissant :
« Mon pouvoir est aboli,
j’ai reçu un Mortel
comme l’un des autres défunts,
mais je ne puis Le retenir :
mais avec Lui, je perds tous ceux sur lesquels je règnais ;
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je retenais captifs les morts depuis les siècles,
mais Celui-ci les a tous réveillés ».
Gloire, Seigneur, à Ta Croix et à Ta sainte Résurrection.»
« Le Grand Moïse avait mystiquement préfiguré ce jour, disant :
"Dieu bénit le septième jour".
Celui-ci est le sabbat béni,
C’est le jour du repos,
où le Fils Unique de Dieu se reposa de toutes ses œuvres
par Son économie selon la mort
accomplissant le sabbat de la chair,
et ce qu’Il était, Il le redevint par la Résurrection,
nous accordant la vie éternelle,
car Il est le seul Bon et Ami des hommes.
Le Grand Samedi est le prélude de l’espérance de la résurrection ; le tombeau,
l’antichambre du réveil. Au silence profond s’entremêle la veille de la joie du jour glorieux
et éclatant de la Résurrection. Tels un appel et un réveil adressé au Seigneur endormi, mais
aussi tel un prélude de joie triomphale, retenti dans nos églises la parole prophétique :
« Lève-toi, Seigneur mon Dieu, et juge la terre,
« car Tu auras toutes les nations en héritage. » (Vêpres du Grand Samedi).
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