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Extrait du catalogue

Madeleine CHEVAL ARIA

CHINON

Lionel CHOUCHON

LES PETITS ANARS

Boubou HAMA et Andrée CLAIR

L'AVENTURE D'ALBARKA

Georges-Arthur GOLDSCHMIDT

UN CORPS DERISOIRE LE FIDIBUS

Michel MASSIAN

LA DOUZIEME ANNEE

Georges SEDIR

LES DIPLOMATES

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LE PETIT REQUIEM suivi de

POUR DÉROULÈDE

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D U M E M E A U T E U R

A u x é d i t i o n s R e n é J u l l i a r d

LA PAIX DES BRAVES

LE JARDIN ANGLAIS

L'INDO

LA CHASSE EN OCTOBRE ,

C h e z C h r i s t i a n B o u r g o i s é d i t e u r

UN MATIN FROID

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MICHEL DOURY

LE PETIT REQUIEM suivi de

POUR DÉROULÈDE

JULLIARD 8, rue Garancière

PARIS

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La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou par- tielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa premier de l'article 40).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et sui- vants du Code pénal.

ⓒ Julliard, 1972.

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LE PETIT REQUIEM

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Pour Antoine Blondin

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Je nais — septembre — le pavillon de la rue Vercingétorix — Provins — mes oncles.

J'ai toujours eu l'idée que je mourrais jeune. Maintenant, je situe la date vers la quarantaine, mettons. Il ne me reste pas beaucoup de temps.

Contrairement aux autres petits enfants de ma connaissance, le fils du notaire, le fils de Batouflet le marchand de bois et charbons (Batouflet le père devait se pendre, plus tard, quelques années après la guerre), je ne me suis jamais cru immortel. C'était même un soulagement, cette fin relativement proche, quand arrivaient les derniers jours de septembre et que les premiers devoirs de mathématiques allaient suivre.

Septembre, c'est le mois que je préfère. D'abord j'y suis né, un 19 vers midi, je crois. Je ne pense pas que ça ait fait plaisir à personne. C'était encore l'âge du jazz, en 31, la Coupole brillait de tous ses feux, Ettore Bugatti venait de dessiner son type 51,

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2 litres 3, huit cylindres en ligne à double arbre à cames en tête. Un moutard, c'était la tuile. Enfin, je vois les choses ainsi, je me trompe peut-être, je pourrais demander. Il y a des survivants.

Mon premier souvenir, c'est une maison, un pavil- lon rue Vercingétorix, dans le quatorzième, entre un bougnat et un herboriste. Je décris la topographie des lieux dans l'Indo. J'ai un faible pour l'Indo, qui m'a permis de rencontrer Antoine Blondin. J'aime beaucoup Antoine Blondin, et je trouve que MM. de Boisdeffre, Nadeau, etc. ne lui font pas assez de place dans leurs histoires de la littérature. Il ne faut pas traiter les hussards à la légère.

Mon arrière-grand-mère maternelle habitait là. C'était une vieille dame très pieuse, chez qui nous allions déjeuner en grande pompe le premier jan- vier. Mon père mettait son pantalon rayé et son veston noir, il ressemblait alors à un chef de rayon au Bon Marché. Le reste de l'année, il portait des costumes rayés croisés. Sous sa direction, des Maro- cains coulaient du métal en fusion aux usines

Renault, à Billancourt. Il les tutoyait et m'impres- sionnait fort.

Donc, nous habitions Boulogne-Billancourt. C'était assez vilain, mais proche du Bois, où l'on m'emmenait promener et où je pouvais voir des automobiles Packard. Cette passion de l'automo- bile — mais je ne vais guère au-delà de 1939 — sera un trait héréditaire.

Mon ancêtre habitait le premier étage, sa sœur le rez-de-chaussée. Cette dernière était le centre d'un

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invraisemblable capharnaüm de cannes de verre, de volumes des Voyages Extraordinaires et d'automates à musique. Elle avait dans le temps épousé un ar- tiste qui l'avait abandonnée, en lui laissant un maga- sin d'antiquités et une fille qui dansait à Montpar- nasse. Sa sœur, personne respectable, veuve d'un quincaillier mort de la gangrène (apparemment le métier de quincaillier n'était pas sans danger en ces temps très anciens), ne l'appelait que Mme Butte. Elle en parlait en disant, Mme Butte a fait, Mme Butte a dit. C'étaient généralement des choses épou- vantables propres à offusquer une âme prude qui passait son temps entre l'église, où elle faisait ses dévotions, et le cabinet de son notaire, où elle allait toucher ses loyers. C'est ainsi que j'ai appris que l'on pouvait parfaitement détester les membres de sa famille. Ce fut un soulagement pour moi. Je devais avoir quatre ou cinq ans.

Puis, dans mon cinématographe, je passe directe- ment à la tour César, à Provins. Cette tour se dresse en automne parmi les nuages échevelés et les vols de corbeaux. J'y monte seul pour savoir si j'ai le vertige, et si j'aurai peur. Entre-temps, il a dû se passer des événements. Mais je dis les choses dans l'ordre où elles me viennent, c'est là mon objet.

Je passais les vacances d'été dans un village près de cette petite ville, dans la maison de ma grand-mère paternelle. C'était une personne tout à fait charmante, avec des cheveux gris un peu fous, qui la faisaient ressembler à Colette. Elle avait plus de soixante ans quand je suis né, ayant fait ses

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enfants sur le tard. Elle serait centenaire aujour- d'hui. Si elle prenait l'avion, elle aurait sa photogra- phie dans le journal et on en parlerait à la télévi- sion. Mais je ne vois pas du tout ma grand-mère prenant l'avion. Elle aurait sans doute trouvé cela un peu vulgaire.

Par contre, la télévision l'aurait ravie : elle était pleine de curiosité d'esprit, et elle avait vu voler les premiers aéroplanes au-dessus des peupliers qui bor- dent la route de Bray. Dans son monde, on ne pra- tiquait même pas le vélocipède, qui obligeait les dames à se montrer en culotte.

Mon père avait vendu l'Amilcar. Pour venir de Bil- lancourt, on prenait donc le car, dans une remise qui devait se trouver derrière la Bastille, ou la Répu- blique. Il fallait longer un canal. Mon père parlait avec un mécanicien en blouse. Je souffrais beaucoup.

Le village avait un nom charmant, Donnemarie. L'abbatiale était jolie, avec un cloître où avait été enterré un révolutionnaire. Le salpêtre recouvrait les voûtes de l'église, comme celles de Saint-Loup-de- Naud. Saint-Loup-de-Naud, surmontée « à la croisée d'un massif clocher carré à un seul étage, ajouré de quatre ouvertures sur chaque face », et où Marcel Proust enveloppé dans une pelisse était allé en auto- mobile.

Quand nous arrivions, il y avait toujours sur la table une rose dans une flûte en cristal taillé. Après la guerre cette flûte existait toujours. Pourtant les Alle- mands avaient cassé toute la verrerie. Ils l'alignaient sur le piano qu'ils avaient traîné sur la pelouse sous

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les pommiers, et ils s'entraînaient au tir avec des revolvers d'ordonnance. Leurs motocyclistes por- taient de longs cirés gris, avec un collet comme les manteaux de postillon, et je trouvais cela très beau. Mais j'anticipe.

On faisait du feu dans la cheminée et dans des

mirus, qui étaient de petits poêles à bois qui chauf- faient très bien mais se vidaient trop vite. Le matin, il gelait dans la chambre de mes parents où je cou- chais dans un petit lit de fer peint en blanc. J'étais en automne, nous voilà en hiver.

Quand j'eus douze, treize ans, avec l'oncle Claude, nous allions faire de longues promenades dans les bois. Je vais relever les bois de ma mère, disait-il. Du bout de son gros soulier, il dégageait une borne de sa mousse. « Ces Polonais nous ont encore volés. »

Je ne sais pas pourquoi, il en voulait particulière- ment aux Polonais. Il s'était engagé à dix-sept ans pour aller faire la Grande Guerre. Il connaissait tous les chants de soldats, dont certains couplets fai- saient dresser les cheveux sur la tête. Nous nous

arrêtions à Rampillon et nous buvions des panachés, chez une cabaretière qu'il avait connue dans le temps, quand il était conscrit. Mais cela demeurait fort mystérieux.

Les pattes des oiseaux faisaient des dessins dans la neige, le grenier était plein d'une odeur de pommes et du piétinement des mulots sur les poutres. Ma mère affirmait qu'on n'avait pas idée d'habiter un pays pareil.

Son père, dans le temps, avait possédé des vigno-

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bles près de Bordeaux, vers la pointe de Grave, je crois. Elle en tirait une façon de vanité posthume. il avait dépensé tout son argent en courant Paris- Madrid avec les frères Renault en 1903.

L'arrière-grand-mère paternelle, quant à elle, avait dilapidé l'argent de la famille — c'étaient des géo- mètres très à l'aise — en ayant toujours dans sa table de nuit des dragées de Verdun et du saucisson d'Arles. C'est ainsi du moins que je me résumais la chose.

Plus tard, je vins tout seul par le train. Je retrou- vais l'oncle Claude. Nous remettions nos gros sou- liers, nous marchions interminablement dans les bois, parfois on croisait un faisan ou des bûcherons. Nous rentrions crottés, il nous confectionnait des grogs à l'eau-de-vie de pommes qui me faisait battre les tempes.

Il y avait un autre raté dans la famille, l'oncle Léon, le fils du pavillon rue Vercingétorix. C'était le seul que mon père pût supporter dans la famille de sa femme. L'oncle Léon n'avait jamais rien fait. Il jouait aux courses, il avait des maîtresses (d'abord les bonnes de sa mère. puis des demi-mondaines, enfin, quand il fut vieux, des cuisinières en rupture d'hospice), des jumelles et un melon gris perle. Il calculait la cote des chevaux et ses martingales à l'aide de crayons fort durs et qui lui venaient d'un architecte de ses amis. Il n'en était pas peu fier. Il a fini bedeau à Saint-Médard. Mais cela aussi, c'est dans l'Indo.

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Mon père brûle tout — Claude Luter — Sydney Bechet — Nicolas de Staël.

Longtemps, j'ai cru cette famille normale. Plus tard, elle me sembla bourrée d'excentriques. La véri- té doit se trouver à mi-chemin, plutôt plus près du haut pays de Giono que du comté de William Faulk- ner. (En vacances à Seyne-les-Alpes, on me raconte sur Giono des choses épouvantables. Naturellement, je n'en crois rien.)

Il faudrait se faire une opinion, établir une chro- nologie, relire les vieilles lettres et feuilleter des col- lections de cartes postales. Impossible, mon père brûle tout. Et, depuis le temps, tout le monde ou presque est mort. Il reste seul debout, en bronze. Je le rencontre. Tu as remarqué, me dit-il, je suis plus mince que toi.

Je suis comme lui, j'ai horreur des enfants.

Longtemps, nous ne nous sommes pas vus. Ce devait être à l'époque qui a commencé par la ren- contre de Sydney Bechet et de Claude Luter, et qui a fini avec Petite fleur. Petite fleur, je revois la route de Saint-Tropez, une grande maison provençale dans le pinceau des phares (j'ai déjà lu ça quelque part), des cyprès extrêmement distingués, la lumière verte des instruments de bord. Ce devait être une époque très chouette. Sur le moment, je la trouvais plutôt difficile.

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Le musée de l'Annonciade, jamais vu. Cambriolé régulièrement, de toute façon. Au fond, est-ce que j'aime tellement la peinture.

Toutes ces années de brouille, je les ai passées au musée du Louvre, lieu devenu peu fréquentable depuis que, pour y attirer le vulgaire, on y installa une cafeteria. L'odeur. L'idée de se restaurer dans

un musée. Sur les tables, des pots à moutarde se dessèchent. Ensuite on regarde les choses exposées dans un bain de friture. Agréable. Si c'est vraiment l'époque, je vais me faire tartare ou musulman. Mais on montre des « œuvres d'art » aux Halles, non ? Je reviens à Luter.

Luter, on pense au Lorientais. Pour les provin- ciaux qui ne fréquentaient pas le Quartier en ce temps-là, cf. Rendez-vous de juillet (si, si, c'est très bien fait) et aussi le Désordre à vingt ans (à ou a, je ne sais pas, les deux s'expliquent).

Moi, je pense à Antibes, aux remparts en parti- culier. Ou au suicide de Nicolas de Staël. Il me

semble que j'en comprends très bien les raisons, c'est-à-dire que ce suicide me semble parfaitement clair, limpide, inévitable. Pas du tout comme les suicides dans la vie, mais comme ceux des romans, qui ont ce caractère si émouvant d'arriver inévitable- ment.

Rien à voir avec les disparitions de producteurs, à la radio ou au cinématographe. Seuls les petits journaux et les radios périphériques s'en soucient, le lendemain matin. Enterrement de première classe. Pour en revenir à Nicolas de Staël, il avait peint son

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port de Marseille, les Footballeurs, on commençait à lui passer des commandes. J'imagine qu'il n'a pas voulu finir fournisseur, comme Félix Potin.

Je me suis dit que Claude Luter mourrait comme cela, brusquement, avec un enterrement pas triste du tout, un peu comme celui de Bechet, dans les rues d'Antibes Et tous nous le suivrons, comme l'avaient fait les petits enfants de la ville, et les rats.

Vie et mort de Roger Nimier — Plan de la ville de Dakar — L'île de Goré.

Le jour de sa mort, Roger Nimier apparaît à de nombreux amis, voire à de simples relations. Tous sont frappés par le caractère extraordinaire de ces rencontres au demeurant fort banales, sur des boule- vards, dans une boutique où il achète des bretelles, au restaurant, etc. Certains remarquent une cer- taine lumière, un rayon de soleil, qui lui fait comme une auréole. C'est un personnage bien parisien, ils s'attendent donc à le revoir, ils ne devraient rien remarquer de particulier. Or, ils notent tous soigneu- sement les incidents de cette journée. Le soir même, Nimier se tue sur l'autoroute de l'Ouest au volant

de son Aston-Martin. Enquête faite, aucun de ces

1. Je ne sais rien de l'enterrement de Nicolas de Staël. Ce fut certainement beaucoup plus dramatique. Il laissait des toiles, des dessins, une cote à tant le point. Il est vrai que maintenant les musiciens laissent des disques.

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r é c i t s n e c o n c o r d e ; s a u f p e u t - ê t r e p o u r c e r a y o n d e

s o l e i l , i r r é e l , j o y e u x , m a i s d ' u n e j o i e i m p l a c a b l e .

V e n u d ' u n a u t r e m o n d e , s ' i l n e s e m ê l a i t à c e t t e

e x p r e s s i o n q u e l q u e c h o s e d e m a c a b r e , q u e n o u s

d e v o n s s a n s d o u t e a u c h r i s t i a n i s m e , q u i a c c r o c h e

s o n s u p p l i c i é p a r t o u t .

U n e m o r t t r è s o r d i n a i r e . O n y v i t l e d e s t i n à

l ' œ u v r e , c o m m e d a n s l e P o n t d e S a n L u i s R e y , d e

T h o r n t o n W i l d e r ( 1 9 2 7 ) . R o b e r t K a n t e r s f i t u n

p a p i e r s u r c e t t e m o r t . M a r c e l A y m é l e l u i r e p r o c h a ,

s u r t o u t p o u r l ' u s a g e q u ' i l y f a i s a i t d e c e t t e e x p r e s -

s i o n s e t u e r , a m b i g u ë .

M a i s c ' e s t d e l ' h i s t o i r e l i t t é r a i r e . R e s t e l a f a s c i n a -

t i o n q u ' e x e r ç a N i m i e r , e t q u i d u r e e n c o r e .

« T u d é c o n n e s c o m p l è t e m e n t , m e d i t B l o n d i n . Ç a

n e s ' e s t p a s p a s s é d u t o u t c o m m e ç a . » E n f i n d e

c o m p t e i l m e s e m b l e q u ' i l m e r a c o n t e e x a c t e m e n t

l a m ê m e j o u r n é e . I l e n v a a i n s i d e s é v a n g é l i s t e s . J e

p l i e c e t t e h i s t o i r e d a n s m a p a g e , e l l e d é b o r d e , j e n e

p e u x m ' e n d é b a r r a s s e r . E l l e e s t e s s e n t i e l l e , m a i s j e

n e s a i s p a s à q u o i . I l m e f a u d r a y r e v e n i r .

C ' e s t c h e z m o i u n c u r i e u x v i c e , j e n e p e u x r é s i s t e r

a u x h i s t o i r e s d e l a l i t t é r a t u r e . E l l e s m ' i r r i t e n t , j e

l e s t r o u v e i d i o t e s , j e d r e s s e d e s l i s t e s n o i r e s ( à f u s i l -

l e r , D r u o n , K e s s e l , H é r i a t ) , c e l l e d e s o u b l i s , d e s g e n s

à q u i o n n ' a p a s r e n d u j u s t i c e . C ' e s t t r è s a m u s a n t .

L a d e r n i è r e e n d a t e d e c e s c o m p i l a t i o n s m ' a é t é

p r ê t é e p a r m o n a m i V i c t o o r . C e l a le d i s t r a i t d e m e

m e t t r e e n c o l è r e . I l m e d i t , t i e n s , v o u s d e v r i e z , e t c .

C e t t e é n o r m e t a r t i n e c o m m e n c e e n 1945. C ' e s t f a i t

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par de brillants jeunes gens, normaliens et agrégés, nés juste avant la guerre. Peut-être qu'après tout, c'est la belle âge.

Nimier, Roger (1925-1962). Comme le temps passe. Blondin, Antoine. « Son talent de conteur et sa fan- taisie rappellent Marcel Aymé. » Le petit rigolo de service ajoute Nourissier François, « l'agrément de la narration et les grâces de l'analyse » le rendent séduisant.

Je cherche Perret Jacques. Porté disparu, introu- vable dans les huit cent soixante-trois grandes pages. Par contre Teilhard de Chardin a quatre pages, Saint Ex deux (ouf), Saint John Perse douze et douze mentions. Mais ce jeu est idiot, évidemment. Inutile de préciser (il s'agit là d'une figure de style dont présentement le nom m'échappe) que je trouve Jac- que Perret infiniment plus important que Teilhard de Chardin, des Expéditions Citroën. Et puis j'ai hor- reur des curés de choc (autre curé de choc : Oraison) et des ambassadeurs qui ont un joli brin de plume, sauf quand l'ambassadeur s'appelle Paul Morand.

Et le gars à la littérature de conclure vaillam- ment : « La plupart de ces romanciers se sont tus, se sont tués (Roger Nimier) ou ont pris une autre voie. » D'après la jaquette il aurait, ce personnage, honoré de sa présence un certain nombre d'établisse- ments secondaires, des collèges quoi, à Ivry, Fon- tainebleau, Paris et Dakar, et il serait maintenant assistant à la faculté des lettres de Dijon. C'est une ville que je ne traverserai plus sans frémir.

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En somme, il s'agit de longueurs d'ondes et de merveilleux

Voici une devinette : « La narratrice, son père et la maîtresse de ce dernier, Elsa, s'installent pour l'été dans une villa au bord de la Méditerranée. » Il a

retrouvé le ton rasoir des « classiques » (suit un nom d'éditeur connu) à l'aide desquels des gens, devenus inspecteurs généraux, gâchaient notre jeu- nesse dans les années 40. On aura donc gagné la guerre pour rien.

Quels ravages a-t-il bien pu faire à Dakar ? A l'époque dont je parle, il y avait encore devant la

porte du gouverneur des spahis la latte au poing. Nous trouvâmes les femmes indigènes fort belles dans le costume local, avec leurs bijoux d'or. Il y avait des chevaux. Perché là-dessus, je me faisais l'effet d'un paysan calabrais se rendant au marché. On dévalait les flancs d'une presqu'île rocheuse. La mer avait des transparences infinies. On rentrait à bord. Douche, porto, langoustes. Le monde où nous étions était bâti pour mille ans. Nous partions en vedette pour l'île de Goré.

L'ancienne colonie portugaise n'a rien perdu de son charme. La grosse vedette transporte des bou- teilles de Butagaz, de l'épicerie, des cages avec des poulets, les gens du coin et de rares touristes (je parle de cela, c'était il y a longtemps).

1. Blondin me raconte cette journée : c'est la même, sans l'au- réole. Il ne voit plus le merveilleux, puisque le personnage lui est devenu familier. Ainsi, Bernadette trouve la dame de la grotte tout à fait naturelle : elle la voit tous les jours.

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On débarque. Les pêcheurs peignent un œil sur leur bateau, comme le font les Chinois sur les jon- ques. Le village est une succession de cours carrées blanchies à la chaux. Un vieux nègre veut me faire visiter un musée où l'on vous montre les fers des anciens esclaves. Devant sa maison une jolie négresse, les seins nus et les reins ceints d'un char- mant boubou tissé à Rouen ou Manchester, pile le mil. Elle a de petites tresses très serrées et un beau sourire. Le vieux nègre lui crie d'aller se rhabiller. sans doute pour me punir de ne pas lui avoir donné ses cent sous.

Le déjeuner est servi sous une véranda, dans l'hô- tel du lieu, où ils ont toujours des caisses de Carls- berg au frais. Avec, on vous apporte de ces petits coquillages très poivrés et qui ressemblent à des nageoires de tortue.

Un chemin de douaniers fait le tour de l'île. On se

baigne dans une crique. La nuit tombe tout d'un coup, comme cela se pratique sous les tropiques. On voit au loin l'éclatement soudain des lumières, dans les grands buildings de béton, d'acier et de verre.

Roland Garros — Cocteau — Je visite la Grèce.

J'ai eu dans ma jeunesse deux grandes passions, Jean Cocteau et les Bugatti. Elles se trouvent réu- nies, assez curieusement, dans une seule personne, Roland Garros. On sait finalement peu de choses sur lui. Enfin, moi, en tout cas. En septembre 1913,

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il acheta une Bugatti qui existe toujours en Angle- terre, sous le nom de Black Bess, type 16, cinq litres de cylindrée (100 X 160, 5027 cc). Aux dernières nouvelles, elle appartenait à Peter Hampton. On la vit à Indianapolis en 14. La transmission était par chaînes, et les accélérations, formidables.

Blessé, pendant la guerre, Garros en convalescence allait faire de l'acrobatie aérienne à Compiègne, dans le petit matin gris et humide. Quand il est tombé, on a retrouvé la carlingue de son aéroplane tapissée avec les épreuves du Cap de Bonne Espérance.

Accroche-toi bien Garros

accroche-toi bien à mon épaule

Dante et Virgile au bord du gouffre

On devait parler de suicide, enfin que sa mort il l'avait cherchée, comme on dit. C'est décidément une idée fixe chez les gens, pour qui la mort restera toujours une chose trop simple. Elle devait le guet- ter, comme pour nous tous, et quand il la vit venir, il ne jugea pas utile de se sauver à Samarcande.

Roland Garros avait de gros yeux à fleur de tête, une petite moustache noire, l'apparence d'un bon garçon, rien d'un écorché vif comme Guynemer. D'après ce qu'on sait de lui, il devait ruminer en profondeur, comme Nijinsky à qui, un soir à table, on touvait un drôle de port de tête, alors qu'il s'en- traînait au poids des cornes dans le Sacre du Prin- temps.

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Un matin que je me promenais dans le Palais- Royal en rêvant à des choses et en regardant les pigeons, je suis passé sous les arcades de la rue de Montpensier, j'ai vu Jean Cocteau en peignoir éponge blanc à sa fenêtre. Il avait le nez au carreau comme un gamin qui s'ennuie à la maison un jeudi. Dans ce reflet de vitres, on aurait dit l'ange Heurte- bise, sur le fond rouge de cet appartement célèbre. Je me demande si au petit matin, MM. Robbe-Grillet, Roland Barthes ou Claude Simon trouvent des

jeunes gens en duffel-coat assis dans leur escalier. Mais je suis bête, le duffel-coat ne se porte plus.

On me dit que les gens vont en car à Milly-la- Forêt, qu'ils visitent la chapelle, le cimetière, et qu'ils essaient d'escalader les murs. On ne m'éton- nerait pas en disant que des miracles se produisent sur cette tombe. Il est à craindre seulement que, comme à Lourdes ou à Lisieux, on ne se mette à vendre des chapelets et des pommes de terre frites.

Curieusement, Cocteau ne s'intéressait pas du tout aux automobiles. Il en avait eu une dans sa jeunesse, à l'époque où il allait en vacances à Villefranche ou à Toulon. Elle ne lui avait laissé aucun souvenir.

C'était je crois une B 14, que Desbordes conduisait. Un jour, j'ai vu Jean Cocteau boulevard de la Made- leine, en Bentley. Il était assis à côté du chauffeur. Il portait une petite redingote cintrée vert bouteille, il regardait droit devant lui. Comme rue de Mont- pensier, j'ai eu un choc en retour. C'était le soir, la nuit tombait sur un trottoir mouillé. Cette Rolls- Royce qui est dans le film Orphée me revint. J'achetai

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France-Soir, m'attendant à y trouver des oracles. Non, rien, à l'époque on se contentait de changer

de gouvernements. Il y avait aussi la guerre d'Indo- chine. Les officiers de carrière étaient ravis, cela favo- risait le jeu naturel de l'avancement, beaucoup plus que la vie de garnison à Lunéville. Pour plusieurs de mes camarades, le jeu se termina fort mal, et ils devaient mourir lieutenants. Les mères devenaient

folles, doucement. Les jeunes gens qui ne partaient pas pour cette campagne lointaine, généralement parce qu'on n'avait pas pris l'initiative de les foutre à la porte des collèges au niveau de la troisième comme les autres, ces bons élèves avaient un peu le sentiment d'avoir laissé leur sac à terre et raté l'aven-

ture. Je serais maintenant colonel de parachutistes, ou mort. Au lieu de cela, je fis des études de bric et de broc, et qui ne me menèrent à rien. Plus tard, j'ai connu un lieutenant de vaisseau avec qui, sur un croiseur de bataille, je fis des ronds en Méditer- ranée. C'était à l'occasion d'une autre campagne colo- niale, à laquelle nous nous trouvions mêlés. Il était revenu de Saigon sur une jonque. Nous refaisions le monde assis sur un banc de jardin installé sous une tourelle blindée. Le soleil se couchait sur une

mer implacablement bleue, des matelots en chaus- sons se disputaient. L'amiral venait fumer son cigare sur la plage arrière. La conversation avançait à la paresseuse; on pensait naturellement à Pierre Loti, à la Corne d'Or et à Tahiti. Nous voguions alors entre les îles grecques, dont le parfum venait jus- qu'à nous.

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J'ai connu un autre de ces navigateurs excen- triques. C'était un officier de la marine grecque, il avait traversé l'Atlantique sur une péniche de débar- quement, qui devait être aussi marine qu'un fer à repasser. Les dames étaient charmantes. Un ensei- gne se mêla de téléphoner à l'une d'elles sur la ligne privée de l'amiral. Grand scandale.

Le prince héritier était venu goûter les croissants du bord. Il fit l'effet d'un excellent jeune homme, chez qui se voyait bien le sang allemand de sa mère. Plus tard, nous devions apprendre sa chute avec indifférence.

Déjà, à l'époque, on se méfiait. Un dentiste chez qui nous dînions — il avait fait ses études à l'Uni- versité de Montpellier — baissait la voix pour dire du mal des colonels (nous avions aussi les nôtres), et sa femme allait jeter un coup d'œil à la porte.

Avec mon camarade Roy, l'Acropole nous déçut à cause des touristes et des marchands de cartes

postales. Par contre, nous appréciâmes fort le quar- tier des boucheries, à ses pieds. Notre conclusion fut que le pays était plus turc que grec. Enfin, je veux dire, la Grèce de Racine et de Cocteau, Grèce,

Où l'inceste sans cœur, monté sur des patins, Persécutait les rois, les reines de théâtre, Avec ses cris de folle, avec ses yeux de plâtre...

(Opéra).

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« J'ai toujours eu l'idée que je mourrais jeune. Je situe maintenant la date vers la quarantaine, ce qui n'est pas si jeune, somme toute, quand je regarde autour de moi : Roger Nimier, mort à 37 ans, Boris Vian à 39, et quel- ques autres. Par contre M. Henry de Montherlant, né en 1896, a toujours bon pied bon œil.

« Je me faisais ces réflexions devant Jean-Claude Brisville, qui me dit plaisamment : "Vous devriez écrire quelque chose là-dessus." Ce que je fis, après m'être acheté un petit carnet chez Gibert Jeune.

« J'y retrouvais bientôt mes obsessions, l'âge du jazz, les Bugatti, les Voyages extraordinaires, Terry et les pirates, les Hussards de la Mort, les commerces de vins, bois et charbons, et la Tour César à Provins, sans oublier Meis- sonier, Detaille, Mathieu et la peinture de batailles.

« Ainsi vint se greffer au bout un Pour Déroulède, où il est question de Barrès et des croiseurs à cinq che- minées. »

M. D.

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