Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai...

34
Extrait de la publication

Transcript of Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai...

Page 1: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

Extrait de la publication

Page 2: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,
Page 3: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

Inconnuà cette adresse

Meta-systems - 21-02-12 11:00:37FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 3 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 4: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

Meta-systems - 21-02-12 11:00:37FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 4 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 5: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

KRESSMANN TAYLOR

Inconnuà cette adresse

Traduction par MICHÈLE LÉVY-BRAM

Présentation, notes et dossierpar FABIEN CLAVEL et CLAIRE JOUBAIRE,

professeurs de lettres

Meta-systems - 21-02-12 11:00:38FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 5 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 6: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

Sur la Shoah et la Seconde Guerre mondiale,dans la même collection

AU NOM DE LA LIBERTÉ, Poèmes de la Résistance (anthologie)Jean-Claude GRUMBERG, L’Atelier

Zone librePAROLES DE LA SHOAH (anthologie)Annie SAUMONT, La guerre est déclarée et autres nouvelles

Titre original : Address Unknown© 1938 by Kressmann Taylor.© 1966 by C. Douglas Taylor.Publié avec l’accord de l’éditeur originel, Simon & Schuster, Inc. Tous droitsréservés.© Éditions Autrement, 1999, pour la traduction.© Éditions Flammarion, 2012, pour l’appareil critique de la présente édition.ISBN : 978-2-0812-7268-2ISSN : 1269-8822

Mise en page : Meta-systemsN° d’édition : L.01EHRN000303.N001Dépôt légal : mars 2012

Meta-systems - 21-02-12 11:00:38FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 6 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 7: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

S O M M A I R E■ Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Une biographie mal connue 9

Un récit historique 13

Une nouvelle épistolaire 21

■ Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

Inconnu à cette adresse

■ Dossier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

Avez-vous bien lu ? 94

Microlectures 95

Une nouvelle historique 99

Dire l’indicible : le nazisme raconté par la littérature 103

Récit épistolaire et affrontement 109

Histoire des arts : les arts sous le nazisme 118

Pour en savoir plus sur l’œuvrede Kressmann Taylor 126

Meta-systems - 21-02-12 11:00:38FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 7 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 8: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

■ Kathrine Kressmann Taylor.

Meta-systems - 21-02-12 11:00:40FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 8 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 9: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

PRÉSENTATIONUne biographie mal connue

Un halo de mystères entoure la vie de l’écrivaine américaine

Kathrine Kressmann Taylor, au sujet de laquelle il est difficile

d’établir une biographie détaillée. Henri Dougier, son premier édi-

teur français, avouait savoir peu de chose sur la romancière1. À la

parution d’« Inconnu à cette adresse » aux États-Unis, en 1939, le

premier mari de Kathrine Kressmann Taylor et son éditeur améri-

cain l’ont présentée comme une femme au foyer – et non comme

la femme de lettres qu’elle était pourtant déjà –, que les atrocités

nazies avaient révoltée au point de l’inciter à écrire une nouvelle.

Cette légende a perduré. Mais la réalité est plus complexe.

Les débuts

Kathrine Kressmann naît dans l’Oregon (État du nord-ouest

des États-Unis), à Portland, en 1903. Sa famille est d’origine alle-

mande. Kathrine fait ses études à l’université d’Oregon dont elle

sort en 1924 avec un diplôme de littérature et de journalisme. Elle

déménage ensuite à San Francisco où elle travaille comme correc-

trice et rédactrice dans la publicité. Ses premières publications

dans des magazines littéraires semblent dater de ces années-là.

1. Voir l’article d’Olivier Le Naire dans L’Express du 10 janvier 2002, « Lemystère Kressmann Taylor ».

Présentation | 9

Meta-systems - 21-02-12 11:00:40FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 9 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 10: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

C’est sans doute dans le cadre de son travail qu’elle rencontreElliott Taylor, propriétaire d’une compagnie publicitaire, qu’elleépouse en 1928. Elle prend alors le nom de Kathrine KressmannTaylor et cesse de travailler. Le couple aura quatre enfants.

Elle continue à écrire et, en 1935, fait notamment paraîtreune nouvelle, intitulée « Take a Carriage, Madam1 », dans lemagazine Controversy sous le pseudonyme de Sarah BricknellKennedy.

Kressmann Taylor : les origines d’une légende

En 1938, la famille déménage à New York. Bouleversée parl’antisémitisme affiché d’amis allemands qui reviennent deBerlin, Kathrine Kressmann Taylor rédige « Inconnu à cetteadresse ». Avec son mari, elle propose le récit à la revue StoryMagazine. À cette époque domine une conception sexiste del’écrit, selon laquelle une femme est moins légitime qu’unhomme pour traiter de sujets graves en littérature. En s’échap-pant des genres littéraires traditionnellement dévolus auxfemmes, Kathrine Kressmann risque de restreindre la portée desa dénonciation. Son éditeur et son mari lui font donc adopterun pseudonyme pouvant laisser croire que l’auteur du texte estun homme : Kressmann Taylor.

La nouvelle rencontre immédiatement un grand succès delibrairie. Elle est reprise rapidement dans un magazine généra-liste très populaire, le Reader’s Digest, qui en propose une ver-sion abrégée, puis reparaît en version intégrale chez l’éditeurSimon and Schuster, en 1939. Il s’en vend cinquante mille exem-plaires. La nouvelle est traduite en hollandais et en allemand.

1. Cette nouvelle a été traduite en français sous le titre « Madame »dans le recueil Ainsi rêvent les hommes, Autrement, 2006 (trad. Lau-rent Bury).

10 | Inconnu à cette adresse

Meta-systems - 21-02-12 11:00:40FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 10 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 11: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

L’histoire est également adaptée au cinéma en 1944 par le réali-sateur William C. Menzies (Kressmann Taylor y est créditée entant que coscénariste).

L’identité de l’auteur finit par être découverte. Son mari pré-sente l’auteur de la nouvelle comme une mère au foyer choquéepar la montée du nazisme. Cette version est celle qui prévautencore lors de la première parution de la nouvelle en France,en 1999.

La carrière d’écrivain

Dans l’intervalle, Kathrine Kressmann Taylor a profité de sonsuccès pour poursuivre une véritable carrière d’écrivain. Le FBI(Bureau fédéral d’investigation, service fédéral de police judi-ciaire et de renseignement intérieur américain) la contacte pourlui faire rencontrer un certain Leopold Bernhard (de son vrainom Karl Hoffmann) dans l’intention de lui faire écrire son his-toire. Cet homme est un pasteur allemand qui a fui les persécu-tions nazies. Par ce moyen, le FBI espère rendre l’opinionaméricaine favorable à une intervention militaire de son paysdans le conflit mondial. De cette initiative naît le roman Joursans retour. Mais, quand il paraît en 1942, le livre passe inaperçu.Le désastre de Pearl Harbor a déjà eu lieu : en décembre 1941,une escadre japonaise a bombardé la flotte américaine station-née à Pearl Harbor, dans l’État de Hawaii, précipitant l’entrée enguerre des États-Unis une semaine plus tard aux côtés des Alliés,contre le Japon, l’Allemagne et l’Italie.

Kathrine Kressmann Taylor ne se consacre pas seulement àl’écriture. Dès 1947, elle enseigne le journalisme, l’« écriturecréative » et la littérature anglaise à l’université de Gettysburgen Pennsylvanie (État du nord-est des États-Unis). Elle y devientla première femme à obtenir le statut de professeur titulaire.

Présentation | 11

Meta-systems - 21-02-12 11:00:40FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 11 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 12: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

Après la mort de son mari en 1953, elle continue de publierdes nouvelles, notamment dans la revue Woman’s Day. Si l’un deses textes est repris dans The Best American Short Stories en19541, aucun ne connaît un succès comparable à celuid’« Inconnu à cette adresse ».

En 1966, Kathrine Kressmann Taylor cesse d’enseigner etpart vivre à Florence, en Italie. Elle y publie Diary of Florence inFlood (« Journal de Florence inondée2 ») en 1967, après avoirassisté aux crues de l’Arno qui ont ravagé la ville. La mêmeannée, elle épouse le sculpteur John Rood, rencontré pendantune croisière vers l’Europe.

Dès lors, le couple partage sa vie entre Val de Pea, un petitvillage proche de Florence, et Minneapolis, grande aggloméra-tion située au nord des États-Unis. Après la mort de son secondmari, en 1974, elle continue de passer chaque année six mois enItalie et six mois aux États-Unis. En 1978, elle écrit Storm on theRock3, roman qui mêle les thèmes qui lui sont chers et desmotifs autobiographiques : le récit revient à la fois sur laSeconde Guerre mondiale (il se déroule après le massacre derésistants), sur l’Italie (l’intrigue se situe dans un village de Tos-cane) et sur son second époux (l’œuvre est dédiée à « J. R. » etl’un des personnages principaux est sculpteur)4.

Un dernier succès

En 1986, Kathrine Kressmann Taylor se fixe définitivementaux États-Unis, où elle entend passer le restant de ses jours. Elle

1. Il s’agit de « The Pale Green Fishes », traduit en français sous le titre« Humiliation » dans le recueil Ainsi mentent les hommes, Autrement,2004 (trad. Laurent Bury).2. Le livre est inédit en français.3. Jours d’orage, Flammarion, 2008 (trad. Samuel Sfez). Ce roman est àce jour inédit en anglais.4. Voir dossier, p. 127.

12 | Inconnu à cette adresse

Meta-systems - 21-02-12 11:00:40FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 12 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 13: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

a plus de quatre-vingt-dix ans lorsque, en 1995, pour commé-morer le cinquantième anniversaire de la libération des campsde concentration, l’éditeur Story Press fait reparaître « Inconnuà cette adresse ». De nouveau, le texte connaît un succès fulgu-rant. Kathrine Kressmann Taylor sort de l’anonymat qui l’avaitenveloppée. Interrogée lors d’une émission de télévision, elleprofite de l’entretien pour revenir sur la légende répandue surson compte par son éditeur et son premier mari, et rétablir lavérité.

Le récit est traduit en une vingtaine de langues, notammenten allemand, en hébreu et en français. En 1999, année où lanouvelle voit le jour en France, plus de six cent mille exemplairessont vendus à travers le pays. Le texte est même adapté authéâtre.

L’auteur, elle, est morte en 1997, au moment où l’on redécou-vrait son œuvre.

Un récit historique

À travers le récit fictif du parcours d’un Allemand qui sembleperdre tout recul critique, et toute compassion devant lesviolences infligées aux juifs, c’est d’abord un événement histo-rique que Kressmann Taylor entreprend de raconter : l’installa-tion du nazisme au pouvoir. Laissés dans l’ombre du récit, lesévénements qui marquèrent l’année 1933 sont bien plus qu’unetoile de fond du texte : ils en expliquent la nécessité. En effet,cinq ans plus tard, au moment de la parution du livre aux États-Unis, le régime nazi commence à se propager en Europe, au-delà

Présentation | 13

Meta-systems - 21-02-12 11:00:40FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 13 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 14: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

des frontières de la seule Allemagne. Et la Seconde Guerre mon-diale apparaît comme un horizon de plus en plus probable.

L’année 1933 et la mise en placedu pouvoir nazi

Les lettres qui constituent « Inconnu à cette adresse » s’éche-lonnent de novembre 1932 à mars 1934. On peut repérer danscette chronologie une construction en deux temps. Les lettres 1à 12, échangées en 1932 et 1933, permettent au lecteur de per-cevoir la métamorphose de Martin qui, progressivement, sehisse au rang de haut dignitaire nazi et, parallèlement, se trans-forme en admirateur sans réserve de Hitler et en antisémiteconvaincu. Lui qui, dans sa lettre du 10 décembre 1932, appelaitMax, son associé juif, « mon cher vieux compagnon », le salueun an plus tard, le 8 décembre 1933, d’un violent « Heil Hitler ! ».Après 1933, la nouvelle prend un nouveau tour : les missives nesont plus l’occasion d’un échange entre les deux hommes sur lasituation politique et sociale de l’Allemagne mais, quasimenttoutes adressées par Max à Martin, sont dédiées à l’exécutionde la vengeance de Max (lettres 13 à 20).

Le choix de cette construction ne doit rien au hasard car1933 est une année clé de l’histoire du pays. Elle voit Hitler arri-ver au pouvoir et les premières mesures du programme nazi semettre en place.

L’arrivée au pouvoir de Hitler( juillet 1932-janvier 1933 : lettres 1 à 3)

À la fin de l’année 1932, comme le note Martin1, l’Allemagneest durement frappée par une crise économique : elle subit de

1. Voir la lettre datée du 10 décembre 1932 : « il est vrai que tu ignoresà quel niveau de misère est réduit mon pauvre pays […] ».

14 | Inconnu à cette adresse

Meta-systems - 21-02-12 11:00:41FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 14 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 15: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

plein fouet les retombées du krach boursier qui a eu lieu auxÉtats-Unis en 1929. La valeur de la monnaie allemande décroîtde jour en jour, entraînant la faillite de nombreuses entrepriseset la misère de toute une partie de la population. Le traité deVersailles (voir infra), qui contraint l’Allemagne à verser de fortessommes aux pays vainqueurs de la Première Guerre mondiale,aggrave la situation.

Dès le début de l’année 1932, l’Allemagne compte plus de sixmillions de chômeurs et huit millions de chômeurs partiels (quine touchent qu’un demi-salaire).

À ce marasme s’ajoute une crise politique que Martinn’évoque pas dans ses lettres. En juillet se sont tenues des élec-tions législatives, dans un climat extrêmement tendu, entretenupar une campagne électorale agressive et les actions violentesdes membres de la SA1. Le parti nazi promet aux électeurs « dutravail et du pain » et présente son chef, Adolf Hitler, comme leseul homme capable de redonner sa puissance à l’Allemagne2.En remportant le plus grand nombre de sièges de députés auReichstag – l’Assemblée nationale allemande –, il devient le pre-mier parti politique en Allemagne. En novembre 1932 – aumoment où, dans la fiction d’« Inconnu à cette adresse », Maxenvoie sa première lettre à Martin –, de nouvelles élections ontlieu : malgré une progression du parti communiste, le parti naziconserve la première place.

De la démocratie à la dictature( janvier-23 mars 1933 : pas de lettres)

Le 30 janvier 1933, le président Hindenburg nomme Hitlerchancelier du Reich, c’est-à-dire chef du gouvernement. Une fois

1. SA (abréviation pour Sturmabteilung, « section d’assaut », en alle-mand) : milice armée des nazis.2. Voir cahier photos, p. 1.

Présentation | 15

Meta-systems - 21-02-12 11:00:41FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 15 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 16: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

arrivé, légalement, à la tête du gouvernement, Hitler s’emploieà accroître son pouvoir. Il obtient la dissolution du Reichstag, caril espère y augmenter encore le nombre de députés nazis ; pourcela, il permet aux membres de la SA d’utiliser tous les moyensd’intimidation possibles pendant la campagne.

En un mois, l’escalade vers la dictature s’accélère : Hitleraccuse les communistes, ses ennemis politiques, d’être les com-manditaires de l’incendie qui ravage le Reichstag dans la nuit du27 au 28 février, et prend prétexte de cet événement pour faireimmédiatement adopter le « décret pour la protection dupeuple ou de l’État ». Ce dernier vise non seulement à punir lessoi-disant auteurs de l’incendie – les députés communistes sontexclus du Reichstag, et leur parti est interdit – mais surtout àsupprimer les droits individuels jusqu’alors garantis par laConstitution. Le pouvoir de la police est renforcé, la presse et laradio sont soumises à une censure stricte, et le secret touchantaux moyens de communication – courrier postal, télégraphe ettéléphone – est aboli. Ces mesures ont pour objectif de repérerplus facilement les opposants politiques au nouveau régime. Larépression de toute forme d’opposition est renforcée par l’appli-cation de la peine de mort pour les individus reconnus cou-pables de haute trahison, de sabotage ou d’atteinte à l’ordrepublic. En mars 1933, les premiers camps de concentration1

sont ouverts.

Le même mois est élue une nouvelle assemblée, qui abolitles principes de la démocratie libérale : le 23 mars, Hitler obtientles pleins pouvoirs pour quatre ans, c’est-à-dire qu’il cumule le

1. Camps de concentration : camps où les détenus sont soumis à du tra-vail forcé. Les conditions de vie y sont très difficiles, car les prisonnierssont affamés et battus. Au début, ces camps sont destinés aux commu-nistes, dont Hitler a supprimé le parti lors de son arrivée au pouvoir.

16 | Inconnu à cette adresse

Meta-systems - 21-02-12 11:00:41FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 16 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 17: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

pouvoir exécutif du chancelier et le pouvoir législatif du Reichs-tag – il est désormais le seul à pouvoir rédiger les lois. Celles-cine sont plus tenues d’obéir aux principes de la Constitution,mais dépendent de la seule volonté du chef du gouvernement.Les fondements d’une dictature personnelle sont posés.

La mise au pas de la société allemande(à partir de mars 1933 : lettres 4 à 12)

Bénéficiant désormais d’un pouvoir personnel très impor-tant, Hitler lance ce qu’il appelle la « mise au pas » (Gleischal-tung, en allemand) de la société allemande en réprimant touteopposition et en propageant le plus largement possible les idéesnazies. Un ministère de la Propagande est créé dès le mois demars, chargé d’assurer la publicité du nouveau gouvernement.Les partis politiques et les syndicats sont interdits, au bénéficedu seul parti nazi et du « Front du travail », une associationcontrôlée par les nazis et chargée d’encadrer les ouvriers et leursemployeurs. Les fonctionnaires sont sévèrement contrôlés, etl’on renvoie ceux qui sont soupçonnés de ne pas être de ferventssoutiens du nouveau régime. Parce qu’ils sont directement aucontact de la jeunesse à qui l’on cherche à inculquer l’idéologienazie, les professeurs sont particulièrement visés par cesmesures. Afin qu’il n’y ait pas de voix discordantes, les artistessont également placés sous le joug de la nouvelle Chambre dela culture du Reich1, créée en septembre 1933, qui dépend duministre de la Propagande, Joseph Goebbels. Les artistes sontobligés d’y adhérer pour avoir le droit d’exercer leur métier.

Le programme du parti nazi est mis à exécution, en premierlieu les mesures qui visent à écarter les juifs de la vie politique

1. Voir dossier, p. 118.

Présentation | 17

Meta-systems - 21-02-12 11:00:41FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 17 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 18: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

Inconnuà cette adresse

Meta-systems - 21-02-12 11:00:43FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 41 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 19: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

Meta-systems - 21-02-12 11:00:43FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 42 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 20: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

[ 1 ]

GALERIE SCHULSE-EISENSTEIN,SAN FRANCISCO, CALIFORNIE, USA

Le 12 novembre 1932Herrn1 Martin SchulseSchloss2 RantzenburgMunich, ALLEMAGNE

Mon cher Martin,

Te voilà de retour en Allemagne. Comme je t’envie… Jen’ai pas revu ce pays depuis mes années d’étudiant, mais lecharme d’Unter den Linden3 agit encore sur moi, tout commela largeur de vues, la liberté intellectuelle, les discussions, la5

musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Etvoilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau, l’arrogance prussienne et le militarisme4. C’est une Alle-magne démocratique que tu retrouves, une terre de culture où

1. Herrn ou Herr : « Monsieur », en allemand ; lorsque c’est Martin quis’adresse à Max, resté aux États-Unis, on trouve l’anglais Mr., masculinde Mrs.2. Schloss : château, en allemand.3. Unter den Linden : « Sous les tilleuls », nom d’une célèbre avenuede Berlin.4. Max fait ici allusion à l’Empire allemand, démantelé à l’issue de laPremière Guerre mondiale. Il évoque le mépris que témoignait alors lanoblesse prussienne à l’égard du peuple (l’« esprit hobereau et l’arro-gance prussienne ») et l’état d’esprit guerrier (le « militarisme ») qui yrégnait.

Inconnu à cette adresse | 43

Meta-systems - 21-02-12 11:00:43FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 43 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 21: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

une magnifique liberté politique est en train de s’instaurer. Il10

y fera bon vivre.

Ta nouvelle adresse a fait grosse impression sur moi, et jeme réjouis que la traversée ait été si agréable pour Elsa etles rejetons1.

Personnellement, je ne suis pas aussi heureux que toi. Le15

dimanche matin, je me sens désormais bien seul – un pauvrecélibataire sans but dans la vie. Mon dimanche américain, c’estmaintenant au-delà des vastes mers que je le passe en pensée.Je revois la grande vieille maison sur la colline, la chaleur deton accueil – une journée que nous ne passons pas ensemble20

est toujours incomplète, m’assurais-tu. Et notre chère Elsa, sigaie, qui accourait vers moi, radieuse, en s’écriant : « Max,Max ! », puis me prenait la main pour m’entraîner à l’intérieuret déboucher une bouteille de mon schnaps2 favori. Et vos mer-veilleux garçons – surtout ton Heinrich, si beau… Quand je le25

reverrai, il sera déjà un homme.Et le dîner… Puis-je espérer manger un jour comme j’ai

mangé là-bas ? Maintenant, je vais au restaurant et, devantmon rosbif solitaire, j’ai des visions de Gebackener Schinken,cet exquis jambon en brioche fumant dans sa sauce au vin de30

Bourgogne ; et de Spätzle, ah ! ces fines pâtes fraîches ; et deSpargeel, ces asperges incomparables. Non, décidément, je neme réconcilierai jamais avec mon régime américain. Et lesvins, si précautionneusement déchargés des bateaux alle-mands, et les toasts que nous avons portés en levant nos35

verres pleins à ras bord pour la quatrième, la cinquième, lasixième fois…

1. Rejetons : enfants.2. Schnaps : alcool fort.

44 | Inconnu à cette adresse

Meta-systems - 21-02-12 11:00:43FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 44 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 22: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

Naturellement, tu as bien fait de partir. Malgré ton succèsici, tu n’es jamais devenu américain ; et maintenant que notreaffaire est si prospère, tu te devais de ramener tes robustes fils40

dans leur patrie pour qu’ils y soient éduqués. Quant à Elsa,sa famille a dû lui manquer toutes ces longues années ; sesproches seront également contents de te voir, j’en suis sûr. Lejeune artiste impécunieux1 de naguère devenu le bienfaiteurde la famille, voilà un petit triomphe que tu savoureras45

modestement, je le sais.Les affaires sont toujours bonnes. Mrs. Levine a acheté le

petit Picasso2 au prix que nous demandions, ce dont je mefélicite ; je laisse lentement venir la vieille Mrs. Fleshman àl’idée d’acquérir la hideuse madone3. Personne ne se soucie50

de lui dire que telle ou telle pièce de sa collection est mauvaiseparce que toutes le sont. Il n’empêche que je n’ai pas ton mer-veilleux savoir-faire pour vendre à des matrones4 juives. Jesuis capable de les persuader de l’excellence d’un investisse-ment mais toi seul avais, concernant une œuvre d’art,55

l’approche spirituelle de nature à les désarmer. De plus, ellesn’ont sans doute pas vraiment confiance en un autre juif.

J’ai reçu hier une charmante lettre de Griselle. Elle me ditqu’il s’en faut de peu pour que je devienne fier de ma petitesœur. Elle a le rôle principal dans une nouvelle pièce qu’on60

joue à Vienne5, et les critiques sont excellentes ; les annéesdécourageantes qu’elle a passées avec de petites compagnies

1. Impécunieux : pauvre.2. Picasso (1881-1973) est un peintre espagnol. Ses œuvres furent clas-sées par les nazis parmi les productions de l’« art dégénéré ». Voir cahierphotos, p. 4-5.3. Une madone est un tableau représentant la Sainte Vierge.4. Matrones : femmes d’un certain âge, mères de famille d’âge mûr.5. Vienne : capitale de l’Autriche, encore indépendante en 1932.

Inconnu à cette adresse | 45

Meta-systems - 21-02-12 11:00:43FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 45 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 23: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

commencent à porter leurs fruits. Pauvre enfant, ça n’a pasété facile pour elle mais elle ne s’est jamais plainte. Elle a ducran, en plus de la beauté et, je l’espère, du talent. Elle me65

demande de tes nouvelles, Martin, avec beaucoup d’amitié.Plus la moindre amertume de ce côté-là – ce sentiment passevite à son âge. Il suffit de quelques petites années pour que lablessure ne soit plus qu’un souvenir ; bien sûr, aucun de vousdeux n’était à blâmer1. Ces choses-là sont comme des tem-70

pêtes : on est d’abord transi, foudroyé, impuissant, puis lesoleil revient ; on n’a pas complètement oublié l’expérience,mais on est remis du choc. Il ne reste à Griselle que le souve-nir de la douceur et non plus du chagrin. Toi ou moi ne nousserions pas comportés autrement. Je n’ai pas écrit à ma petite75

sœur que tu étais rentré en Europe mais je le ferai peut-être situ penses que c’est judicieux ; elle ne se lie pas facilement, etje sais qu’elle serait contente de sentir qu’elle a des amisnon loin.

Quatorze ans déjà que la guerre est finie ! J’espère que tu80

as entouré la date en rouge sur le calendrier. C’est fou lechemin que nous avons parcouru, en tant que peuples, depuisle début de toute cette violence !

Mon cher Martin, laisse-moi de nouveau t’étreindre par lapensée et transmets mes souvenirs les plus affectueux à Elsa85

et aux garçons.

Ton fidèleMax

1. Blâmer : accuser, critiquer.

46 | Inconnu à cette adresse

Meta-systems - 21-02-12 11:00:43FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 46 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 24: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

[ 2 ]

SCHLOSS RANTZENBURG, MUNICH, ALLEMAGNE

Le 10 décembre 1932Mr. Max EisensteinGalerie Schulse-EisensteinSan Francisco,Californie, USA

Max, mon cher vieux compagnon,

Merci de la promptitude1 avec laquelle tu m’as envoyé lescomptes et le chèque. Mais ne te crois pas obligé de me com-menter nos affaires avec un tel luxe de détails. Tu sais que jesuis d’accord avec tes méthodes ; d’autant qu’ici, à Munich,5

je suis débordé par mes nouvelles activités. Nous sommesinstallés, mais quelle agitation ! Comme je te l’ai dit, il y avaitlongtemps que cette maison me trottait dans la tête. Et je l’aieue pour un prix dérisoire. Trente pièces, et un parc de prèsde cinq hectares et demi – tu n’en croirais pas tes yeux. Mais10

il est vrai que tu ignores à quel niveau de misère est réduitmon pauvre pays. Les logements de service2, les écuries et lescommuns3 sont très vastes et, crois-le ou non, pour les dix

1. Promptitude : rapidité.2. Logements de service : logements réservés aux domestiques.3. Communs : bâtiments où travaillent les domestiques, comme les écu-ries et les cuisines.

Inconnu à cette adresse | 47

Meta-systems - 21-02-12 11:00:44FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 47 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 25: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

domestiques que nous avons ici, nous payons le même prixque pour les deux seuls que nous avions à San Francisco.15

Aux tapisseries et autres pièces que nous avions expédiéespar bateau s’ajoutent nombre de beaux meubles que j’ai pume procurer sur place. Le tout est d’un effet somptueux. Noussommes donc très admirés, pour ne pas dire enviés, oupresque. J’ai acheté quatre services de table de la porcelaine20

la plus fine, une profusion de verres en cristal et une argente-rie devant laquelle Elsa est en extase.

À propos d’Elsa… non, c’est trop drôle ! Voici qui va sûre-ment t’amuser… je lui ai offert un lit énorme, gigantesque, unlit comme on n’en avait encore jamais vu, deux fois grand25

comme un lit double, avec des montants de bois sculpté verti-gineux. En l’occurrence, j’ai dû faire fabriquer sur mesure desdraps du plus beau lin. Elsa riait comme une gamine en leracontant à sa grand-mère ; mais celle-ci a secoué la tête etgrommelé : « Nein1, Martin, nein. Vous avez fait ça, mais30

maintenant prenez garde, parce qu’elle va encore grossir pourremplir son lit.

– Ja2, dit Elsa. Encore quatre grossesses et je tiendrai toutjuste dedans. » Tu sais quoi, Max ? Eh bien, c’est vrai.

Pour les enfants, il y a trois poneys (petit Karl et Wolfgang35

ne sont pas en âge de monter) et un précepteur3. Leur alle-mand est exécrable, tristement mâtiné4 d’anglais.

Pour la famille d’Elsa, la vie n’est plus aussi facilequ’avant. Ses frères ont tous une profession libérale5, mais,

1. Nein : « non », en allemand.2. Ja : « oui », en allemand.3. Précepteur : professeur particulier.4. Mâtiné : mélangé.5. Profession libérale : profession exercée de manière indépendante,et non en tant que salarié.

48 | Inconnu à cette adresse

Meta-systems - 21-02-12 11:00:44FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 48 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 26: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

quoique très respectés, ils doivent vivre ensemble, forcés de40

partager une maison. À leurs yeux, nous sommes des million-naires américains. Il s’en faut de beaucoup mais, néanmoins,l’importance de nos revenus transatlantiques nous place dansla catégorie des nantis1. Les comestibles de qualité sont extrê-mement chers, et les troubles politiques sont fréquents, même45

maintenant, sous la présidence de Hindenburg2, un grandlibéral3 que j’admire beaucoup.

D’anciennes relations me pressent déjà de participer à lagestion municipale4. J’y songe. Un statut officiel pourrait êtretout à notre avantage, localement.50

Quant à toi, mon bon Max, ce n’est pas parce que noust’avons abandonné que tu dois devenir un misanthrope5.Trouve-toi immédiatement une gentille petite femme biengironde6 qui sera aux petits soins pour toi et te nourriracomme un roi, le tout dans la bonne humeur. Crois-moi, ma55

prescription7 est bonne, même si elle me fait sourire.Tu me parles de Griselle. Cet amour de fille a bien gagné

son succès. Je m’en réjouis avec toi, encore que, mêmeaujourd’hui, le fait qu’elle, une jeune fille seule, est obligée dese battre pour réussir me révolte. N’importe quel homme60

peut comprendre qu’elle était faite pour le luxe et la dévotion,pour une vie facile et charmante où le bien-être épanouirait sa

1. Nantis : riches.2. Paul von Hindenburg (1847-1934) est un homme politique alle-mand, élu président du Reich en 1925.3. Libéral : partisan des libertés individuelles.4. Participer à la gestion municipale : se présenter aux élections,pour travailler avec le maire de la ville.5. Misanthrope : homme qui vit à l’écart des autres hommes.6. Gironde : belle, bien faite.7. Ma prescription : mon conseil.

Inconnu à cette adresse | 49

Meta-systems - 21-02-12 11:00:44FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 49 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 27: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

sensibilité. Ses yeux noirs reflètent une âme grave, mais aussiquelque chose de dur comme l’acier et de très audacieux.C’est une femme qui ne fait rien, ni ne donne rien à la légère.65

Hélas, cher Max, comme toujours, je me trahis. Tu as gardéle silence durant notre aventure orageuse, mais tu sais com-bien ma décision m’a coûté. Tu ne m’as fait aucun reproche,à moi, ton ami, quand ta petite sœur souffrait, et j’ai toujourssenti que tu savais que je souffrais également, et pas qu’un70

peu. Mais que pouvais-je faire ? Il y avait Elsa, et mes filsencore petits. Toute autre décision eût été inopportune. Pour-tant, je garde pour Griselle une tendresse qui survivra à sonprobable mariage – ou à sa liaison – avec un homme autre-ment plus jeune que moi. Tu sais, mon ami, l’ancienne plaie75

s’est refermée, mais parfois la cicatrice me lancine1 encore.Bien sûr que tu peux lui donner notre adresse. Nous

sommes si près de Vienne qu’elle aura ainsi l’impression den’avoir qu’à tendre la main pour avoir un foyer. Tu te doutesqu’Elsa, qui ignore les sentiments que Griselle et moi avons80

éprouvés l’un pour l’autre, recevrait ta sœur avec la mêmeaffection qu’elle t’a reçu. Oui, il faut que tu lui dises que noussommes ici, et que tu la pousses à prendre contact avec nous.Félicite-la chaleureusement de notre part pour son beausuccès.85

Elsa me demande de te faire ses amitiés et Heinrich brûlede dire Hello à son oncle Max. Nous ne t’oublions pas,petit Max.

De tout cœur à toiMartin

1. Me lancine : ici, me fait un peu mal.

50 | Inconnu à cette adresse

Meta-systems - 21-02-12 11:00:44FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 50 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 28: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

DOSSIER■ Avez-vous bien lu ?

■ Microlectures

■ Une nouvelle historique

■ Dire l’indicible : le nazisme racontépar la littérature

■ Récit épistolaire et affrontement

■ Histoire des arts : les arts sous le nazisme

■ Pour en savoir plus sur l’œuvrede Kressmann Taylor

Meta-systems - 21-02-12 11:00:48FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 93 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 29: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

Avez-vous bien lu ?

Vie et œuvre de Kressmann Taylor

1. Quel est le véritable nom de l’auteur ? Pourquoi a-t-elle étépubliée sous le pseudonyme « Kressmann Taylor » ?2. En quelle année est-elle née ?3. Quelle est l’œuvre qui l’a rendue célèbre ?4. Où a-t-elle enseigné ? Dans quelles matières ?5. Dans quel pays autre que les États-Unis a-t-elle passé lamoitié de son temps après sa retraite ?6. Qu’est-ce qui a motivé sa décision d’écrire « Inconnu à cetteadresse » ? Dans quel contexte cette nouvelle a-t-elle étérédigée ?7. À quelle occasion a-t-on redécouvert son œuvre en 1995 ?8. Combien de fois l’auteur s’est-elle mariée ?9. « Inconnu à cette adresse » est-elle la seule œuvre qu’elleait écrite ?10. En quelle année est-elle morte ?

« Inconnu à cette adresse »

1. Qui est Max Eisenstein ?2. Qui est Martin Schulse ?3. Qui est Elsa ?4. Quel lien Griselle entretient-elle avec Max et Martin ?5. Pour quelle raison Martin refuse-t-il soudain de correspondreavec Max ?6. Pourquoi Griselle est-elle poursuivie par la SA ?7. À qui demande-t-elle de l’aide ? L’obtient-elle ?8. Pourquoi peut-on dire que le câblogramme que Max envoieà Martin est un « télégramme fou » ? Que recherche Max ?

94 | Inconnu à cette adresse

Meta-systems - 21-02-12 11:00:48FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 94 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 30: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

DO

SSIE

R9. Quel « code » les censeurs pensent-ils découvrir dans leslettres que reçoit Martin ?10. Qu’arrive-t-il à la dernière lettre de Max ? Qu’est-ce quecela signifie ?

Microlectures

Microlecture no 1 : lettre du 12 novembre 1932(p. 43-46)

L’incipit

1. Quel est le cadre spatio-temporel de ce début de récit ?2. Quelle est la situation politique en Allemagne à cetteépoque ?3. En quoi peut-on dire que le départ de Martin est l’élémentdéclencheur du récit ? Par conséquent, peut-on parler d’incipit inmedias res ?

La présentation des personnages

1. Qu’apprend-on sur le personnage de Max ? Quelle impres-sion ces informations produisent-elles sur le lecteur ?2. Qu’apprend-on sur le personnage de Martin ? Quelle impres-sion ces informations produisent-elles sur le lecteur ?3. Qu’apprend-on sur le personnage de Griselle ? Quelle impres-sion ces informations produisent-elles sur le lecteur ?

La mise en place des éléments de l’intrigue

1. Pourquoi Max insiste-t-il autant sur les changements qui onteu lieu en Allemagne ? À quels événements fait-il allusion ?

Dossier | 95

Meta-systems - 21-02-12 11:00:48FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 95 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 31: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

1. Comment « Gazaman » se décrit-il ? Répond-il aux attentes dela jeune fille ?

2. Quel est le registre utilisé par « Gazaman » ? Pour quelleraison ?

3. Relevez les mots ou expressions par lesquels « Gazaman »affirme ne pas vouloir communiquer avec la jeune fille. Quelsdétails indiquent qu’il est néanmoins prêt à se lancer dansune correspondance ?

Histoire des arts :les arts sous le nazisme

« Inconnu à cette adresse » met en scène des personnagesamateurs d’art ou artistes eux-mêmes : Max et Martin onttenu une galerie d’art à San Francisco, et Griselle est unejeune comédienne qui entame une tournée en Allemagne. Àtravers eux, c’est une réflexion sur les arts sous le nazismequ’esquisse Kressmann Taylor.

La « mise au pas » de la culture et des arts

Dès leur arrivée au pouvoir, en 1933, les nazis entreprennentde « mettre au pas » la culture, c’est-à-dire qu’ils créent desinstitutions qui leur permettent de contrôler le monde del’art. Leur objectif est d’empêcher toute forme de contesta-tion du régime nazi à travers la création artistique. Dépen-dant du pouvoir, qui le contrôle et l’administre, l’art ne doitservir qu’à exalter les valeurs du national-socialisme.

118 | Inconnu à cette adresse

Meta-systems - 21-02-12 11:00:50FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 118 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication

Page 32: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

DO

SSIE

RDès 1933 est créée une chambre de Culture du Reich, àlaquelle les artistes doivent obligatoirement s’inscrire pourobtenir le droit d’exercer leur activité. Des mesures d’exclu-sion gangrènent peu à peu les diverses branches de laculture : dans les écoles d’art, les musées, les galeries, lesthéâtres, les radios et les studios de cinéma, les juifs et lesopposants au régime n’ont plus le droit d’exercer leur profes-sion et sont remplacés par des notables du régime.Le 11 mars 1933, Hitler nomme Joseph Goebbels à la tête duministère du Reich pour l’« Éducation du peuple et la Propa-gande » dont dépend un réseau de commissions qui contrôlel’ensemble de la production artistique. Le rôle de ces commis-sions est avant tout de censurer les œuvres jugées dange-reuses : ainsi, dès 1934, plus de quatre mille écrits sontinterdits et, comme les librairies, les bibliothèques publiquessont « épurées », c’est-à-dire vidées des livres qui n’ont pasreçu l’aval des commissions de censure. L’année suivante, cesont les musées et les galeries d’art qui sont soumis aumême contrôle. Les théâtres sont également l’objet d’unecensure stricte, tant au niveau du choix des pièces mises enscène que de celui de leurs interprètes. Le ministère encou-rage au contraire les œuvres de propagande, qui honorent lagrandeur de Hitler et de la « race aryenne ». De grandes céré-monies sont organisées pour glorifier le pouvoir nazi, et desœuvres d’art sont commandées par le gouvernement à desartistes favorables au régime, comme Arno Breker (1900-1991) ou Wolf Willrich (1897-1948), afin de décorer les nou-veaux musées et les nouvelles villes de l’Allemagne entréesdans l’ère du Troisième Reich.

Dossier | 119

Meta-systems - 21-02-12 11:00:50FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 119 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 33: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

Arno Breker, Der Wächter (La Garde, 1938),cahier photos, p. 3

IntroductionPrésentez l’œuvre, en indiquant le nom de l’artiste, le titre del’œuvre, sa date de création et son contexte historique.

Description1. Comment le personnage est-il vêtu ?2. Quelles sont les caractéristiques de son corps et de sonvisage ?3. Avec quels accessoires est-il représenté ?

Interprétation1. Quels traits de caractère Arno Breker a-t-il voulu mettre enscène à travers ce personnage ?2. Observez le dessin pour enfants d’Elvira Bauer (image no 2 ducahier photos, p. 2) : de quel personnage pouvez-vous rappro-cher le guerrier d’Arno Breker ?3. De quoi ce personnage est-il alors « le gardien » ?4. Quelle est la fonction des éléments antiques ?

ConclusionPourquoi peut-on parler d’œuvre de propagande ?

« Art allemand » et « art dégénéré »

Les nazis classent les œuvres d’art selon une logique binaire.D’un côté, l’« art allemand » (expurgé des œuvres de tous lespeintres qui, bien que de nationalité allemande, sont jugésindignes de la « race aryenne »). D’après les nazis, les réalisa-tions réunies sous cette appellation sont les seules quiméritent d’être qualifiées d’œuvres d’art. En matière de pein-

120 | Inconnu à cette adresse

Meta-systems - 21-02-12 11:00:50FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 120 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Page 34: Extrait de la publication - storage.googleapis.com...musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobe-reau,

Ainsi mentent les hommeset Ainsi rêvent les femmes

Ainsi mentent les hommes1 est un recueil de quatre nouvellesparu chez Autrement. Trois des textes ont été publiés entre1953 et 1956 dans la revue Woman’s Day. L’éditeur françaisy a ajouté « Mélancolie » (« The Midas Tree »), nouvellejusque-là inédite en anglais.Aucun de ces récits ne fait allusion à la Seconde Guerre mon-diale. On y suit le parcours d’Américains ordinaires : unenfant face à son père autoritaire, un élève confronté à sonprofesseur tyrannique, une jeune femme troublée par unreprésentant, une épouse intriguée par sa vieille femme deménage (dont la délicatesse des gestes, l’élégance de laconversation et la grâce du visage contrastent avec la misèreoù elle se trouve réduite). Dans chacun de ces récits, les per-sonnages vivent une expérience qui les aide à se construireet à mieux comprendre le monde.Ainsi rêvent les femmes2 est composé de cinq nouvellesparues entre 1935 et 1963, puis réunies et traduites par leséditions Autrement. Le recueil dresse le portrait de quatrefemmes et d’un homme tentant de vivre au mieux dansl’Amérique contemporaine. Dans chacun de ces récits, l’ana-lyse psychologique des personnages, finement menée,permet au lecteur de s’identifier à ces derniers et de partagerleurs sentiments et sensations.

1. Ainsi mentent les hommes, trad. Laurent Bury, Autrement, 2004.2. Ainsi rêvent les femmes, trad. Laurent Bury, Autrement, 2006.

Meta-systems - 21-02-12 11:00:51FL1396 U000 - Oasys 19.00x - Page 128 - BAT

Inconnu à cette adresse - Et Classique Collège - Dynamic layout 125x × 178x

Extrait de la publication