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1 DOSSIER PEDAGOGIQUE Le Coq combattant ou l!atrabilaire amoureux Jean Anouilh paru sous le titre de L!Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux Distribution Mise en scène et version scénique : Armand Delcampe Avec Armand Delcampe : le Général Myriem Akheddiou : Sophie Marie-Line Lefebvre : Tante Bise Isabelle Roelandt : Aglaé, femme du général Alexandre von Sivers : le docteur Gérard Vivane : le baron Bélazor Robert Guilmard : Lebelluc Jean-Marie Pétiniot : Ledadu Patrick Ridremont : David Edward Mendigalès Olivier Leborgne : le curé Jean-Claude Dubiez : le laitier Géromine Poulain, Fanny Bruyère ou Valentine Jongen : Marie-Christine Grégoire Turine, Maxime Nyamabu ou Thomas Recht : le fils du laitier Sacha Schildermans, Aurélien Comblez ou Philémon Jongen : Toto Scénographie et costumes : Lionel Lesire Lumières : Jacques Magrofuoco Maquillages : Martine Lemaire Gestuelle : Jean-Paul Corti Assistants à la mise en scène : Jean-François Viot et Mélodie Axel Une production de l!Atelier Théâtre Jean Vilar. Dates : du 2 décembre 2008 au 9 janvier 2009 Lieu : Théâtre Jean Vilar Durée du spectacle : +/- 2h30 entracte compris Réservations : 0800/25.325 Contact écoles : Adrienne Gérard - 010/47.07.11 - 0473/936.976 - [email protected]

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DOSSIER PEDAGOGIQUE

Le Coq combattant ou l!atrabilaire amoureux Jean Anouilh

paru sous le titre de L!Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux Distribution Mise en scène et version scénique : Armand Delcampe Avec Armand Delcampe : le Général Myriem Akheddiou : Sophie Marie-Line Lefebvre : Tante Bise Isabelle Roelandt : Aglaé, femme du général Alexandre von Sivers : le docteur Gérard Vivane : le baron Bélazor Robert Guilmard : Lebelluc Jean-Marie Pétiniot : Ledadu Patrick Ridremont : David Edward Mendigalès Olivier Leborgne : le curé Jean-Claude Dubiez : le laitier Géromine Poulain, Fanny Bruyère ou Valentine Jongen : Marie-Christine Grégoire Turine, Maxime Nyamabu ou Thomas Recht : le fils du laitier Sacha Schildermans, Aurélien Comblez ou Philémon Jongen : Toto Scénographie et costumes : Lionel Lesire Lumières : Jacques Magrofuoco Maquillages : Martine Lemaire Gestuelle : Jean-Paul Corti Assistants à la mise en scène : Jean-François Viot et Mélodie Axel

Une production de l!Atelier Théâtre Jean Vilar. Dates : du 2 décembre 2008 au 9 janvier 2009 Lieu : Théâtre Jean Vilar Durée du spectacle : +/- 2h30 entracte compris Réservations : 0800/25.325 Contact écoles : Adrienne Gérard - 010/47.07.11 - 0473/936.976 - [email protected]

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I. L!auteur, Jean Anouilh, bio-bibliographie

Il n!y a que les vaudevilles qui soient tragiques Jean Anouilh

(Bordeaux 1910 – Lausanne 1987). Auteur dramatique français. Il a été pendant une

trentaine d!années l!écrivain le plus représentatif, et le mieux accueilli, d!une classe sociale –

la bourgeoisie d!après-guerre – cultivée et sceptique que pourtant, en anarchiste, il n!a cessé

de fustiger et de poursuivre de ses sarcasmes.

Anouilh fait du théâtre depuis 1932 (l!Hermine) et les quarante pièces qu!il a écrites

ont été classées par lui-même en catégories qui en donnent le ton : noires, baroques,

brillantes, grinçantes, roses, secrètes… Ce classement n!est pas tout à fait artificiel : la

distance est grande, il est vrai, entre le Bal des voleurs (1938), l!Invitation au château (1947,

m. en sc. A. Barsacq) par exemple, et la Sauvage ou Antigone (1944), voire la Valse des toréadors (1952). D!un côté, Anouilh s!amuse avec les situations, les personnages et les

mots et l!on sent chez lui un penchant vers le cirque et le music-hall ; de l!autre, les situations

et les personnages, empruntés aussi bien à la tradition culturelle (Antigone, Médée – pièce

du même nom, 1953, m. en sc. A. Barsacq), historique (Becket – pièce du même nom, 1959,

m. en sc. M. Jamois) qu!au fait divers (l!Hermine), servent de prétexte à délivrer un message

dramatique : l!homme est un loup pour l!homme ; tragique même : l!existence est absurde.

La vie ne peut être vécue au jour le jour qu!en violation des valeurs sans lesquelles

précisément elle n!a pas de sens. C!est d!un existentialisme totalement désespéré : l!action,

chez Anouilh, à la différence du « projet » sartrien, bien loin de fonder un humanisme athée,

ne peut que compromettre et corrompre le pur : être fidèle à soi-même c!est dire non, non et

non, à perte de vie. Telle est la leçon de toutes les jeunes femmes d!Anouilh dont le nom

désigne déjà la qualité singulière : Antigone, la Sauvage, l!Hermine, Lucile (dans la Répétition ou l!Amour puni, 1950, m. en sc. J.-L. Barrault), Colombe (1951).

On pourrait croire Anouilh aigri et rendant la société responsable de l!inaptitude de

ses héros à jouer un jeu social qui n!implique pourtant pas nécessairement la dégradation

morale ; et il y a de cela, sans doute, dans maintes pièces comme Le Rendez-vous de Senlis (1941) ou Le Voyageur sans bagage (mise en scène Georges Pitoëff, 1937). En fait, Anouilh

est plus philosophe que moraliste et il s!affronte à des contradictions existentielles

proprement insolubles : seul l!amour absolu est amour mais l!amour absolu est impossible

(Ardèle ou la Marguerite, 1948) ; on a beau aimer et être aimé et être capable de se

débarrasser de son passé, on ne peut pas faire litière des déterminismes de toute nature qui

réduisent notre liberté à une illusion (La Sauvage). Seule issue : la fuite (Lucile dans La Répétition) ou la mort volontaire (Antigone, ou Jeanne d!Arc dans L!Alouette, 1953).

Dès lors, comme Anouilh ne peut se tenir constamment sur ces hauteurs où l!air est

pur mais raréfié, il redescend dans le monde et place maintes de ses intrigues dans des

milieux bourgeois où les bienséances de surface servent d!écran (et, bien sûr, de révélateur,

car les écrans seront vite crevés par les persiflages d!Anouilh) à toutes les bassesses. C!est

le noir social qui s!étend alors sur des dizaines de pièces, de Pauvre Bitos (1958) à Cher Antoine (1969) et de L!Hurluberlu (1959) à La Grotte (1961) : ratages, petits et gros

mensonges, coups bas en tout genre, revanches prises à la sauvette et sans joie, coups de

canif rageurs dans la respectabilité bourgeoise, tous ces ingrédients sont indispensables à la

fabrication de la cuisine peu ragoûtante, mais toujours relevée, qu!Anouilh, avec une dose de

provocation non exempte de masochisme, offre au public qui lui fournit la matière première

de ses observations.

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Ce qui sauve Anouilh de la monotonie – car il y a quelque chose de mécanique dans

cette obstination à river son œil sur le laid – c!est un ton, grinçant toujours, mélange détonant

de rire et d!amertume, de hargne et de fantaisie. Anouilh – c!est sa politesse à l!égard du public

et sa pudeur à l!égard de la vie – jamais, ou presque, ne pose ni ne plastronne, il est maître

en pirouettes et roi de l!esquive. Il est aussi, en tant qu!écrivain de théâtre, l!inventeur d!un

dialogue rapide, contrasté, taillé dans le marbre d!une prose forte, aux veines colorées et

chatoyantes. En tant que dramaturge, il est, en héritier direct de Pirandello et, lointain, de

Molière et de Shakespeare, capable de bâtir des œuvres à multiples fonds, avec

emboîtements d!une pièce dans l!autre (Marivaux dans La Répétition), surimpression des

temps, des espaces et des langages (L!Alouette), jeu dans le jeu (Le Boulanger, la boulangère et le petit mitron, 1968 ; Ne réveillez pas Madame, 1970), intervention d!un

metteur en scène-acteur qui met la fable en perspective (La Grotte).

Toutes procédures qui, maniées avec la sûreté d!un grand professionnel, ne peuvent

que faire mouche sur un public sensible à toutes les prouesses d!acteur (Flon, Pitoëff, Périer,

Barrault, Blier, Bouquet) qu!une telle écriture appelle.

Michel Corvin

Extrait du Dictionnaire encyclopédique du théâtre,

Bordas, Paris, 1991

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II. La pièce Résumé

Le général trouve que ça ne va pas en France. Il conspire contre le régime ; mais

chez lui ça ne va pas fort non plus.

Avec le docteur, le curé, un propriétaire et un petit hobereau voisins, et le quincaillier

du village, le général va rendre la France propre, grande et rigoureuse. Il va extirper les vers

qui se sont mis dans le fruit. Mais sa plus petite fille court précocement avec le fils du laitier,

la grande fille Sophie qu'il a eue d'un premier mariage s'est entichée d'un jeune fêtard

ridicule et goguenard, fils d'un usinier voisin, sa sœur Tante Bise, vieille jeune fille

laborieusement conservée "à la page", l'entraîne dans des vendettas d'honneur dérisoires

contre des hommes qui lui ont effleuré la taille – et sa femme Aglaé vient lui révéler qu'elle

s'ennuie et qu'elle rêve de quelque chose… Elle ne sait pas encore de quoi.

Avec la France sur le dos, toutes ces histoires de famille et la blessure secrète que lui

a faite l'aveu de sa femme – le général va se lancer comme un Don Quichotte touchant et un

peu comique contre les moulins. Et les moulins l'assommeront.

L!hurluberlu ou le réactionnaire amoureux

Le titre original de la pièce est L'Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux. Lors de la

création du spectacle, le 8 décembre 1959 au Anta Theater de New York, dans une mise en

scène de Peter Brook, la version anglaise du texte, traduite par Lucienne Hill, prenait le titre

de The Fighting Cock. Armand Delcampe a souhaité, pour son adaptation scénique, retenir

ce second titre.

La composition de L!Hurluberlu remonterait à 1956-1957 alors qu!Anouilh sollicitait François Périer pour le rôle ; elle aurait été retravaillée pour en atténuer l!ancrage politique. Le manuscrit n!apporte guère de lumières sur la genèse de la pièce bien qu!on y trouve des liasses concernant différentes versions d!une même scène (numéro de David E. Mendigalès ; scène du complot dans l!acte II). La seule impression qui ressort de l!examen de ce manuscrit est qu!Anouilh, avec une évidente facilité d!écriture, laissait courir sa plume, développant répliques et échanges pour, à une étape ultérieure, choisir et resserrer en puisant dans ce qui constituait une manière de réserve. Si les variantes rédactionnelles sont en grand nombre, on ne constate pas de modification significative du schéma dramatique ; en revanche, les didascalies sont moins nombreuses et souvent moins développées que dans la version publiée ; peut-on en conclure qu!à la relecture, lorsque le texte est globalement mis en place et proche de son état définitif, Anouilh se représente son interprétation et sa mise en scène, insérant alors des notations sur la psychologie, les attitudes, les mouvements des personnages ?

Initialement la pièce s!intitulait La Comédie ; ce qu!éclaire peut-être une note du manuscrit (« jouer la comédie, laisser aller les choses et perdre Aglaé ») ; mais le titre définitif rend explicite la référence au Misanthrope de Molière, pièce un moment sous-titrée « ou l!atrabilaire amoureux ». Peu d!années auparavant, Ornifle réécrivait Dom Juan et Pauvre Bitos pouvait se lire comme une transposition politico-historique de Tartuffe. Plus immédiatement, en cette année 1958, Anouilh travaille aussi à La Petite Molière, variation biographique et sans doute allégoriquement autobiographique, qui lui fournit l!occasion de rajeunir une ancienne familiarité avec l!auteur de L!Ecole des femmes.

Que le général emprunte ou non des traits de caractère d!Anouilh – H. Clurman, après la représentation new-yorkaise de The Fighting Cock, y voit une « apologia pro vita sua » –, il est sûr que la pièce affiche des dettes à l!endroit de Molière : retraitement plutôt

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qu!imitation ou parodie, comme l!avaient fait Eugène Labiche dans Le Misanthrope et l!Auvergnat (1852) et plusieurs autres. N!est-il pas jusqu!à la scène finale entre le général et son fils Toto qui prend l!aspect d!un dénouement de fantaisie, ouverture sur un avenir incertain et purement théâtral, qui propose au conflit de la vie et de la rigueur une solution aussi illusoire que les comédies ballets où Monsieur Jourdain est sacré grand Mamamouchi (Le Bourgeois gentilhomme), où Argan est intronisé dans l!univers de la médecine (Le Malade imaginaire) ? Ainsi se masque en partie le glissement « de la comédie du complot à la tragédie de la solitude » (J. Languet, La Nation française, 11 février 1959).

Au metteur en scène de 1987, Georges Vergez, Anouilh aurait confié que la clé de la pièce se trouvait davantage dans le titre que dans le sous-titre, que « ses personnages sont tous un peu dans les nuages », ce qui aurait suscité l!image du tableau de Magritte dont se sont inspirés les décors. De fait, l!hurluberlu est un « extravagant » - c!est le terme dont Aglaé qualifie son mari - qui erre à l!écart du siècle, sinon à l!écart du monde réel. L!épithète qualifie chez ce nouvel Alceste le côté bourru, bougon, rude parfois dans les propos, bref la « bizarrerie » que Philinte reproche à son ami Alceste, lorsqu!il déplore ses « brusques chagrins » et son « esprit contrariant ». Le jeune mondain mélancolique s!est mué en un général qui s!oppose autant au monde qu!à la mode et à la modernité, ancré dans le passé (« je ne veux pas que rien change, jamais »). C!est donc bien du côté de la tradition classique qu!il faut regarder plus que de l!actualité, à la différence de la pièce précédente, Pauvre Bitos, largement allégorique, où Anouilh réglait son contentieux avec la Libération. Non qu!en soient absentes les allusions politiques ; ce général de brigade qui écrit ses Mémoires, qui s!est laissé un moment séduire par l!Action française de Maurras, qui rêve une France de l!honneur, sans s!identifier au général de Gaulle qui est devenu président de la Vème République, fondée par référendum le 28 septembre 1958, lui emprunte manifestement quelques traits. Le programme de 1987 invite au rapprochement en ajoutant, à la suite de la distribution, cette indication : « L!action se passe à l!aube de la Vème République, aux beaux jours. » Bien sûr, ce ne sont pas là des analogies de hasard, mais il faut les considérer comme d!ironiques renvois à l!actualité plutôt que comme une caricature.

S!il est donc excessif d!affirmer avec Paul Meurisse que « c!est uniquement une comédie de caractère », tant la satire y occupe de place, il reste que ce général semble endosser, à 54 ans, le rôle qui était naguère celui des jeunes : Frantz, Thérèse ou Antigone. Ridicule aux yeux des uns (Guy Leclerc ou Henri Gouhier), il ne l!est jamais pour Gabriel Marcel ; il serait plutôt pathétique et touchant. Et la pièce tient, un peu à la façon du Dom Juan de Molière, de l!investigation psychologique où le choix des personnages et la suite des scènes servent à éclairer la personnalité du protagoniste. Le quincaillier Ledadu – caricature possible du poujadiste de province – et Bélazor, et à moindre titre le docteur, sont des comparses, des esquisses de personnages destinés à nourrir la satire, comme David Edward Mendigalès dans lequel Anouilh a réuni tout ce qu!il déteste : fortune douteuse, arrogance, désinvolture, inculture, etc. Dans cette galerie de personnages, une exception : Aglaé, l!un des plus délicats portraits de femme de ce théâtre, figure idéale qui conjoint la délicatesse, la tendresse et la sincérité et fait contrepoint à celle du général, même si Robert Kemp évoque à son sujet Emma Bovary et Elvire du Lys dans la vallée.

La composition dramatique est fort simple, voire linéaire, entre le pauvre complot politique et l!enquête pour savoir qui a pris la main d!Aglaé un soir : « voulant réformer le monde, [le général] s!aperçoit qu!il ne peut même pas faire régner l!ordre dans sa propre famille », déclare Jean Anouilh dans Les nouvelles littéraires du 5 février 1959. C!est là l!occasion de scènes brillantes dont la critique s!est accordée à souligner la verve et la virtuosité. Les quatre actes s!organisent en deux ensembles : les deux premiers montrent le réactionnaire dans son milieu, scandés de scènes parodiques avec les enfants qui prennent figure d!intermèdes ; les deux derniers oublient la vie pour le théâtre, antithèse aussi du passé et du présent. La pièce, écrit Jacques Noël en 1987, est une sorte de double complot, complot organisé par le général qui se méfie et complot contre le général.

Michel Fresnay, responsable des costumes en 1987, cherchera à traduire cette dualité :

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« D!un côté, il y a les personnages qui font partie de la conspiration et de l!intimité du général […]. Ils sont d!une époque indéfinie, d!une génération d!avant, un peu démodés, ou plutôt, en dehors des modes. Leurs costumes doivent traduire le respect d!une tradition. Le temps a passé, les temps sont changés, mais eux, ils veulent maintenir cette tradition. Le général est encore plus passéiste que les autres. Il fait partie de la maison, comme le mobilier. / À l!opposé, de l!autre côté de l!éventail, il y a le jeune David Edward, qui, lui, représente l!avant-garde puante de snobisme, une véritable gravure de mode insupportable. La jeune Sophie essaye d!être à la mode en jouant plus ou moins les Brigitte Bardot de province en robe corolle et jupon à volants, mais elle n!a rien du snobisme de Mendigalès. / Le docteur serait plutôt du côté du général, mais il essaie de s!en sortir en étant plus élégant, plus à la mode. Aglaé est au centre, l!idéal, la mesure, ni mode, ni passé […]. / Le décor de la seconde partie s!en va complètement vers l!aspect irrationnel et onirique du théâtre […]. Les costumes sont ceux que les personnages imaginent dans leurs rêves : brillants, satinés, idéals. Les plus chatoyants possible pour jouer leur rôle dans une vie imaginaire. Sans aucune logique […]. Jacques Noël a imaginé un fond de miroirs rongés par le temps, des ruines amorcées, des nuages de tulle. »

Extrait de Jean Anouilh, Théâtre T. 2, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2007.

Prolongements….

Les Hurluberlus parallèles

(…) Anouilh est notre Molière. En rapprochant ces deux noms, on comprend bien que

je ne prétends pas mettre deux génies en parallèle : ce sera pour plus tard. Je constate

cependant, chez l!un comme chez l!autre, le même don, cette même maîtrise spécifique,

cette grâce d!état, cette sorte d!infaillibilité qui les rend, l!un comme l!autre, incapables de

« rater » une pièce. (…)

(…) avec L!Hurluberlu (ou le réactionnaire amoureux), nous allons voir que c!est à la

fois le Misanthrope et L!Ecole des femmes (…)

Misanthrope d!abord ! L!Hurluberlu est l!histoire d!un général bien de chez nous, et

bien de ce temps, qui conspire contre la République. Ce qui lui a valu, après quelques mois

de forteresse (sous la Quatrième), d!être mis « en disponibilité » à trente-huit ans : le plus

jeune limogé de France ! Il s!est donc retiré dans sa gentilhommière – un endroit écarté où

d!être homme d!honneur il eut la liberté – et là, pour tuer le temps et soulager sa bile, il

conspire de plus belle. Que vouliez-vous qu!il fit ? Il avait bien pensé à écrire ses Mémoires

comme tous les généraux en retraite, mais justement son tort a été d!y penser un peu avant

de s!y mettre : le temps de s!apercevoir qu!il n!avait, strictement, rien à dire. Plutôt sauver la

France menacée, envahie déjà par la « vermine ». Comment ? En lui rendant « le goût de la

rigueur, de l!austérité et du travail ». Ce n!est pas très original ? Tant mieux. « Le monde

sera sauvé par des imbéciles », proclame-t-il. – « Présent, mon général ! » Il a déjà recruté

trois, quatre conjurés pour la bonne cause ; les masses suivront plus tard ; ce sont toujours

les minorités agissantes qui déclenchent les grands mouvements sauveurs. En attendant,

l!Hurluberlu s!en donne à cœur joie, déclamant à longueur de journée, « crachant le mépris »

partout, furieux en permanence et ravi de l!être – avec une verve, un humour, une chaleur,

une manière de cordialité proprement irrésistibles.

Ce serait une erreur, je crois, de voir dans L!Hurluberlu une pièce politique – à moins

qu!il ne s!agisse, précisément, d!une politique hurluberlue. Certes, il y a des « mots » qui

partent, et qui portent, mais un peu dans toutes les directions, comme des pétards : sur la

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démocratie, la loi du nombre souverain ; sur les faux « résistants » (et même un peu les

vrais), sur le « progressisme » de l!Express ; mais aussi bien sur le « conformisme » du

Figaro, la collaboration dorée des ci-devant constructeurs du mur de l!Atlantique, etc. Feu

d!artifice plutôt que feu de salve. Il y en a de toutes les couleurs, et pour tous les grades.

C!est le jeu de massacre, et pan sur le général ! et pan sur le communiste ! pan sur Monsieur

le curé ! pan sur Beckett et le théâtre d!avant-garde ! et pan sur la littérature de patronage !

Un coup à droite, un coup à gauche ; si les deux camps comptaient les points, je suis sûr

qu!en fin de partie, ils se trouveraient ex aequo. Match nul ! Notons d!ailleurs que la

« conspiration » du général sombre, finalement, dans le ridicule. Tout le monde lâche : l!un

c!est parce qu!il a peur des coups ; l!autre, le baron Belazor, parce qu!il compte sur le

conseiller général du coin pour faire monter l!eau, l!électricité, la force jusqu!à son château ;

le troisième, un médecin, parce qu!il ne veut pas aller « contre le fil de l!histoire ». Il n!y a que

le quincaillier, ancien croix-de-feu et adjudant de réserve, qui restera fidèle à son « chef »

jusqu!au bout, garde à vous : « J!aime la France, mais je suis connard – entre militaires, mon

général. – Repos ! »

Le vrai sujet est ailleurs, comme l!indique le sous-titre. L!Hurluberlu est l!histoire d!un

« réactionnaire », sans doute, mais « amoureux ». Amoureux à cinquante-quatre ans. There is the rub, voilà le hic. La politique, ici, n!est que pour la farce ; le drame est, comme il sied, à

l!intérieur, en plein intime, au plus secret de ce cœur d!hurluberlu gonflé de tendresse – et

surchargé de famille. Il a chez lui, entre autres, une sœur à moitié folle, une Bélise, qui croit

que tout le monde en veut à ses charmes quadragénaires et toujours vierges, deux filles,

d!un premier mariage (malheureux) : l!une, Sophie, qui lui présente tous les trois mois un

nouveau « fiancé » à part entière, en qui elle voit régulièrement « l!homme de sa vie » ; la

seconde, une gamine de quatorze ans qui se fait déjà pincer les fesses par le fils du laitier…

Il a surtout sa femme, Aglaé, qu!il adore, et qui n!a pas trente ans. Quand ils se sont mariés,

elle l!aimait sincèrement, elle l!admirait malgré – ou pour – « ses colères, ses indignations,

son humeur grondeuse ». Imaginons, si vous voulez, Agnès amoureuse d!un Alceste qui

aurait l!âge d!Arnolphe. Mais dix ans sont passés depuis, et il en a toujours vingt-cinq de plus

qu!elle ; mais elle est encore jeune, alors qu!il ne l!est plus. Et elle commence à s!ennuyer

(dès le premier acte). Et, comme elle est la franchise, la sincérité mêmes – un vrai « petit

cristal » – elle le lui dit, tout tranquillement, en arrangeant des fleurs dans un vase.

Comment notre général ne serait-il pas « réactionnaire » ? Il l!est deux fois pour une.

Comme Alceste, d!abord, et par tempérament : il est réactionnaire parce qu!il aime réagir

(« Et ne faut-il pas bien que Monsieur contredise ? »). Mais il l!est également comme

Arnolphe. Quand il dit : « Je n!aime pas le neuf », je pense au cri du Don Juan de

Montherlant : « Mort aux jeunes ! » L!Hurluberlu croit peut-être exprimer une « idée »

politique ; ce n!est, en réalité, qu!un soupir amoureux qu!il exhale. « Je ne veux pas que rien

change, jamais ». Mais tout change, toujours. O temps, suspends ton vol ! ou, mieux, fais

marche arrière, recule, rétrograde ! Backwards ! Zurück ! C!est vers le paradis perdu de sa

jeunesse qu!il voudrait remonter avec son cher amour. Mais on ne remonte pas le temps. Il

n!y a rien à faire ; tout se défait, au contraire. La révolte, sur ce plan aussi, est inutile. Ce

n!est pas la France, c!est Aglaé qui s!ennuie – qui s!ennuie avec lui. En vain, il essaiera de

distraire la jeune femme, en faisant jouer à ses hôtes et en jouant avec elle Les Amours de dona Ardèle et de Rosario dans leur jardin : ce n!est pas lui qui tiendra le rôle de l!amoureux.

En vain, il réclamera une « explication », tour à tour tempêtant, déchaîné, menaçant, puis

effondré, suppliant, s!humiliant, se roulant à ses pieds. Elle le regarde froidement : « Je ne

vous tromperai pas, lui dit-elle, parce que je l!ai juré. Mais si j!aime un autre homme (on sent

que c!est imminent), je vous le dirai avant qu!il ne me touche. Et je partirai le lendemain ». Le

cristal coupe… (…)

Extrait de Claude Jamet Les hurluberlus parallèles. L!Ecole des femmes de Molière. L!Hurlubertlu de Jean Anouilh. Ecrits de Paris, mars 1959.

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Un général dont on se moque ? Rapprochement avec Don Quichotte

Chose terrible que la moquerie! On dit que par moquerie, mon Don Quichotte, fut

écrite ton histoire, pour nous guérir de la folie de l!héroïsme; et on ajoute que la raillerie

atteignit son but. Ton nom est devenu pour beaucoup le résumé de toutes les moqueries et

sert à exorciser les héroïsmes et à rabaisser les grandeurs. Et nous ne retrouverons plus

notre valeur d!autrefois tant que nous ne changerons pas en réalité la moquerie et ne ferons

pas les Quichottes très sérieux…

La plupart de ceux qui lisent ton histoire, fou sublime, n!y trouvent qu!à rire; ils ne

pourront profiter de sa moelle spirituelle tant qu!ils ne la pleureront pas. Malheureux celui à

qui ton histoire, ingénieux hidalgo, n!arrache pas des larmes, des larmes du cœur, non

seulement des yeux!

En une œuvre de moquerie se condensa le fruit de notre héroïsme; en une œuvre de

moquerie s!éternisa la passagère grandeur de notre Espagne; en une œuvre de moquerie se

résume notre philosophie espagnole, la seule vraie et profondément telle; avec une œuvre

de moquerie arriva l!âme de notre peuple, incarnée en un homme, aux abîmes du mystère

de la vie. Et cette œuvre de moquerie est la plus triste histoire qui ait été écrite jamais; la

plus triste, oui, mais la plus consolante aussi pour tous ceux qui savent goûter dans les

larmes du rire la rédemption de la misérable sagesse à laquelle nous condamne l!esclavage

de la vie présente.

Miguel de Unamuno in La Renaissance latine, année 4, tome 2, no 5, 15 mai 1905, p. 177-199

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III. La création et l!accueil de la critique en 1959

Le texte a été monté pour la première fois le 5 février 1959 à la Comédie des Champs-Elysées, dans une mise en scène de Roland Piétri. Les décors et les costumes étaient signés de Jean-Denis Malclès.

Anouilh appréciait particulièrement les décors de la création : « Je veux vous dire que la maquette du théâtre de Verdure est admirable. C!est le plus beau décor que j!aurais jamais eu : la femme dansant et le théâtre à travers lequel on voit les arbres de la vie, c!est le symbole même de la pièce, le symbole de tout mon théâtre et de la Vie. Merci. »

In Jean-Denis Malclès, Théâtres, 1989, p. 60.

Un rare plaisir - Jean-Jacques Gautier du Figaro

L!impression d!ensemble demeure extrêmement satisfaisante et l!on passe à la Comédie des Champs-Elysées une soirée qui procure un rare plaisir.

D!abord l!homme qui a écrit L!Hurluberlu révèle à cent reprises cette habileté confondante qu!Anouilh étale dans ses meilleurs ouvrages.

Toute la comédie est troussée par un virtuose. Elle est d!une richesse et d!une variété de ton qui vous enchanteront. Les traits les plus ordinaires sont enchâssés dans une monture qui ferait l!admiration de l!orfèvre le plus difficile en matière de joaillerie. (Et cette étourdissante façon d!utiliser tout Molière tout au long de la pièce!) Les passages mordants succèdent aux morceaux de confiance. Bien des vérités nous soulagent. Et la santé comique fait avaler quelques petites purgations assez bien administrées.

Alceste et Don Quichotte - André Alter de Témoignage Chrétien

Alceste et Don Quichotte se reconnaîtraient dans ce portrait où, tout en soulignant les ridicules de son héros, plus que Molière ou Cervantès, Jean Anouilh a accumulé les traits plaisants qui éveillent la sympathie.

C!est le portrait d!un homme qui attire sur lui toutes les catastrophes. Catastrophes domestiques, mais qui n!en sont que plus cruelles. Plus riches d!enseignements aussi, peut-être. Du moins pour notre homme étoilé qui reçoit des leçons au moment où il croyait en donner. Et de la part des gens que rien n!avait préparés à ce genre d!exercice, le Curé excepté, dont les petits travers n!estompent ni la bonté ni la vraie connaissance du cœur humain. Anouilh a tracé les silhouettes de tous ces gens avec verve et couleur. Avec tendresse aussi ; ce qui est moins nouveau qu!on peut le croire ou qu!on veut l!affirmer. La nouveauté, c!est que le trait le plus cruel n!est jamais méchant et qu!il ne porte pas contre ce qu!il peut y avoir de bon dans l!être le plus médiocre et même le plus taré.

Courez vite le voir - Paul Morelle de Libération

Ce thème de l!amour impossible, parce que trop pur, vulnérable parce que trop fort, c!est ce qui assure le lien, la continuité entre l!Anouilh intemporel d!il y a vingt ans et l!Anouilh séculier d!aujourd!hui.

Un mot maintenant – mais il m!en faudrait cent, il m!en faudrait mille – pour dire combien Paul Meurisse colle au personnage du général, lui imprime sa marque. On se demande ce que serait le rôle, sans lui. Il est, en tous point, remarquable.

Ah! Courez vite le voir avant que Paris ne s!y précipite. A ses côtés, Marcel Pérès, Jean Claudio, Camille Guérini, Roland Pietri (qui a assuré la mise en scène), Edith Scob et Marie Leduc font feu de tout leur esprit de drôlerie. Et Marie-José Martel, une découverte que nous avions remarquée dans Mantilles et Mystère, brille de tout l!éclat doux d!un diamant noir.

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IV. Une œuvre tendre, généreuse et humaine

En 1959, Roland Laudenbach présente la pièce aux lecteurs de l!hebdomadaire Arts, à la veille de la Générale.

Le 5 février, le rideau se lèvera à la Comédie des Champs-Elysées sur la pièce qui apparaîtra peut-être comme la plus scandaleuse de la saison.

Jean Anouilh qui, avec Pauvre Bitos, avait déjà provoqué une véritable polémique, suscitera sans aucun doute avec L!Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux une émotion, qui ne sera pas purement théâtrale. Sa nouvelle comédie en trois actes et douze personnages apparaîtra en effet comme une satire aiguë et certains ne pourront s!empêcher de mettre des noms d!actualité sur les héros de cette pièce. On se souvient d!ailleurs que L!Hurluberlu devait être présenté au public en mai dernier mais que la date de la générale avait été reportée pour des raisons d!opportunité.

Les trois actes se déroulent dans la propriété privée d!un général mis prématurément à la retraite. L!ancien héros de la Résistance vit dans un petit village de France avec sa famille composée de sa seconde femme, Aglaé, de sa sœur, de ses filles, Sophie, dix-huit ans, Marie-Christine, huit ans et de son fils Toto.

Au cours de la première scène, le général, qui se fait ausculter par le docteur du village, raconte en monologuant sa carrière brisée et révèle ses ambitions politiques. Il veut sauver la France.

Son mot d!ordre : « Luttons contre le ver », résume son programme contre la corruption. Il tente de gagner le docteur à sa cause pour rétablir la France éternelle dans sa grandeur.

Entre le curé, qui vient donner au général sa leçon de latin, car l!ancien homme de guerre veut être capable d!enseigner les déclinaisons à son fils. Mais leur conversation s!achève en discours électoral. Nous apprenons également qu!en premières noces, le général avait épousé une comédienne de mœurs légères qui l!avait vite trompé avec un garçon d!ascenseur à figure d!ange, pour s!enfuir finalement avec le premier rôle de la troupe. Le général en a conservé une grande amertume de cette aventure et une grande méfiance à l!égard de Sophie née de ce premier mariage. Justement sa fille lui annonce l!arrivée de son fiancé, David-Edouard Mendigalès, qu!elle veut présenter à son père.

Nous faisons ensuite connaissance avec la douce et secrète Aglaé qui vient avouer au général qu!elle s!ennuie de vivre à ses côtés en l!écoutant raconter les hauts faits de campagne de 1940. Elle lui révèle qu!au cours d!une réception, alors que le général évoquait une fois de plus ses exploits et qu!elle était rêveuse et lointaine, un homme sensible et fin lui a tendrement caressé la main en signe de compréhension. Le général ne semble pas comprendre qu!Aglaé lui confie ainsi ses scrupules et ses inquiétudes, mais il veut connaître le nom de l!audacieux qui a osé témoigner une telle sympathie à sa femme. Aglaé n!avoue rien et quitte la pièce.

Cependant David-Edouard Mendigalès introduit dans la maison du général un rythme inhabituel; son charme conquiert toute la famille et il décide de monter une pièce dans le théâtre de verdure du parc.

Au deuxième acte, dans le plus grand secret, le général met au point un programme politique entouré de quelques fidèles – le quincaillier, le curé, deux voisins – cependant que commencent les répétitions de la nouvelle pièce que veut monter Mendigalès. Dans cette ambiance un peu comique se déroule la réunion des conjurés qui permet à Jean Anouilh de développer une satire des opinions politiques réactionnaires et de montrer le ridicule des mots d!ordre et des engagements.

Le général lui-même est écoeuré par la médiocrité de ses militants. D!ailleurs préoccupé par la révélation que lui a faite Aglaé, il confond littéralement « le ver » politique qu!il veut chasser et le doute qui le ronge. Il interroge fébrilement chacun de ses amis pour savoir si l!un d!eux n!a pas témoigné de sa tendresse envers Aglaé. Puis, excédé, il met fin à la réunion.

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Le général a une grande explication avec sa femme. Il veut savoir si elle a été troublée et qui est son séducteur. Elle lui répond que ce minime instant de faiblesse n!a pas eu de suite : « c!est ma seule faille et je m!en repens ». Elle a choisi le général comme mari et ne faillira pas à son serment. Mais le général exige l!amour et non seulement le respect de la parole donnée. C!est trop demander sans doute et Aglaé lui explique qu!elle a changé comme la nature, comme le monde. « Les moulins tournent, la France et moi, nous changeons ». Et on ne peut rien contre cette évolution des choses et des sentiments. Le général est désemparé en constatant que l!idée qu!il avait des sentiments, des êtres, de la grandeur n!est qu!une théorie, un absolu sans réalité profonde.

Sophie entre bouleversée. Elle vient de lire dans Le Figaro l!annonce des fiançailles de David-Edouard Mendigalès avec une autre jeune personne. Elle voudrait trouver un refuge auprès de son père, mais le général reste indifférent à cette nouvelle. Sophie lui reproche alors son égoïsme, son orgueil, sa méconnaissance des êtres; elle l!accuse même de rendre sa belle-mère malheureuse. Sophie lui avoue qu!elle a d!ailleurs cédé à Mendigalès qui justement apparaît côté cour.

Le général veut le provoquer en duel parce qu!il a compromis l!honneur de sa famille. Mais le représentant de la jeune génération ne s!en laisse pas conter.

C!est au troisième acte que l!on apprend que c!est M. le Curé qui, ayant deviné la profonde solitude d!Aglaé, lui a, en signe de sympathie, amicalement pris la main. Les alarmes du général étaient donc sans objet. Mais il est trop tard, le général a découvert « le ver » qui était dans sa vie : Aglaé n!est pas le personnage absolu qu!il avait rêvé; Sophie (qui est partie après la scène violente avec son père rejoindre sa mère) montre la faillite de son exemple. Il lui reste un seul espoir : son fils Toto qui lui ressemble et qu!il va tenter d!élever à son image.

Mais ne va-t-il pas commettre, encore une fois, la plus tragique des erreurs en enseignant des idées de grandeur et d!absolu qui n!ont plus cours? Le rideau tombe sur ce pauvre homme malheureux et isolé dans sa tour d!orgueil.

Jean Anouilh nous montre ici les deux visages pathétiques et dérisoires de la rigueur impuissante opposée à la réalité cynique. L!Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux nous expose comment une trop grande intransigeance corrode les sentiments les plus généreux et transforme en égoïsme les plus nobles ambitions.

On ne peut s!empêcher de penser que la moralité de l!Hurluberlu est : « Restez donc amoraux, vous serez tellement plus aimables et plus aimés, et aussi plus efficaces. »

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V. Note d!intention du spectacle

Dans un monde qui décline à mesure que le progrès des techniques croît

irrésistiblement, Le Coq combattant de Jean Anouilh apparaît comme une œuvre d!une

grande lucidité. Le personnage principal du Général se trouve, en effet, coincé entre un

idéal de pureté dépassé et une volonté de combattre l!esprit de consommation de tout

ordre, rongeant les consciences et prenant le pas sur l!engagement (patriotique ou affectif),

l!honnêteté, la sincérité et l!amour avec un grand A.

Suspendu à ses illusions, ne parvenant pas à maintenir l!harmonie au sein de sa

propre famille, le projet du Général de remettre de l!ordre dans le pays s!avère dès lors

totalement ridicule. Sa chute s!annonce inévitable et très douloureuse.

Au-delà, dans le contexte politique du moment, la pièce résonne avec fracas. Le

grand guignol des « conspirateurs » n!est pas sans faire penser aux querelles internes des

gouvernements et des ministres. Comme dirait le docteur, il semble dérisoire de vouloir

modifier l!état actuel du pays, en « n!étant même pas d!accord sur les moyens d!y porter remède ».

Enfin, quelle occasion de remettre à l!honneur ce fantastique auteur : Jean Anouilh

s!inscrit directement dans la lignée de Molière. A l!instar de ce dernier, il fait preuve d!une

grande connaissance de l!homme, « l!humain parfait »… tout en compassion pour ses

faiblesses. Les attitudes du Général nous font fortement penser à Alceste, « le misanthrope

atrabilaire amoureux », et sa femme, Aglaé, a bien souvent les accents de Célimène.

Nombre de répliques et de situations écrites par Anouilh sont volontairement teintées de

l!humeur et de la bile moliéresques.

C!est donc à la représentation d!une comédie affectueuse, fraternelle et grotesque

que le public est convié avec ce Coq combattant : un moment de franche rigolade mâtiné de

réflexion sérieuse sur l!évolution des mentalités et sur les thèmes éternels de l!amour, de la

famille et de nos relations sociales.

Mélodie Axel

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VI. L!équipe du spectacle

Armand Delcampe, metteur en scène et rôle du général

Né à Anderlues (dans le Hainaut). Docteur en droit. Fondateur du Théâtre Universitaire de Louvain. Directeur-fondateur de l!Atelier théâtral de Louvain-la-Neuve, comédien, metteur en scène, directeur de la revue Cahiers théâtre Louvain.

Armand Delcampe a joué ou mis en scène plus de 100 pièces en 40 ans... Il travaille

comme comédien sous la direction d!artistes qu!il a fait découvrir au public belge, comme

Otomar Krejca, dans Les Trois Sœurs de Tchekhov, ou Ariane Mnouchkine : il joue le père

de Jean-Baptiste Poquelin dans son film Molière. Au théâtre, il interprète des personnages

aussi différents que Thomas Pollock dans L!Echange de Claudel, Figaro dans Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, Argan dans Le Malade imaginaire de Molière ou Isidore Lechat dans Les Affaires sont les affaires d!Octave Mirbeau…

Il a monté les plus grands auteurs du répertoire, de Molière à Goldoni, de Claudel à

Schnitzler, de Pierre Rey à Jean Louvet, de Beckett à Pirandello ; il reçoit d!ailleurs du

« Centro Nazionale Studi Pirandelliani » en Italie, en 1989, le prix « Pirandello » pour sa mise

en scène d!Henri IV. Il a mis en scène de grands acteurs tels Michel Bouquet, Pierre Dux, Laurent Terzieff (en France) ; Giorgio Albertazzi (en Italie).

Homme de théâtre, Armand Delcampe a travaillé huit ans avec Paul Puaux pour le

Festival d!Avignon et a publié chez Gallimard les textes de Jean Vilar. Il a fondé et dirigé

pendant vingt ans les Cahiers théâtre Louvain et a édité Mon Chemin de Théâtre tout en participant à des dizaines d!autres publications.

En 1999, il se voit confier la direction générale du Festival de Théâtre de Spa et en partage actuellement la direction avec Cécile Van Snick.

Officier des Arts et des Lettres de France, il est désigné en 1986 « Personnalité de

l!Année » (en France) pour le Théâtre, au titre international. En 1999, il reçoit le premier Pôle

d!or décerné par la ville d!Ottignies – Louvain-la-Neuve et fait partie des personnalités à qui la Province du Brabant wallon a choisi de rendre hommage.

Dernièrement, vous avez pu le voir dans L!Habilleur de Ronald Harwood qu!il a mis

en scène en 2004 au Théâtre Jean Vilar. Le spectacle a été repris à Louvain-la-Neuve et en

tournée la saison suivante. En 2005-2006, il a mis en scène Demain, c!est le printemps d!Eve Calingaert et Peines d!amour perdues de William Shakespeare. Le spectacle tourne

l!année suivante en Belgique (Spa, Dinant, Arlon, Mons, Huy) et en France (Compiègne, La

Rochelle, Fontainebleau, Maisons-Alfort). En 2006-2007, il met encore en scène

Dramuscules de Thomas Bernhard et en 2007-2008 Honor de Joanna Murray-Smith. Honor sera repris au Théâtre Blocry en février 2009 après Bruxelles (Comédie Claude Volter), Huy,

Waterloo, Ciney, Herve et Bertrix.

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