Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la...

22
Extrait de la publication

Transcript of Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la...

Page 1: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

Extrait de la publication

Page 2: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

Extrait de la publication

Page 3: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

Extrait de la publication

Page 4: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles
Page 5: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

LA NEIGE DE GALATA

Page 6: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

DU MÊME AUTEUR

A LA N R. F.

LES NUITS SONT Enceintes.

DARIA OU LA Médée contestée.

BLANC (Prix Théophraste Renaudot 1934.)

SOUS PRESSE

NEUF ET UNE (En collaboration.)

EN PRÉPARATION

LES SOCIALISTES (Roman.)

CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS

UN Précurseur (Nevers.)

NoTE SUR LE BOURGEOIS GENTILHOMME (Delagrave.)

Extrait de la publication

Page 7: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

LOUIS FRANCIS

LA NEIGE

DE GALATAROMAN

{TtffffW^tue édition

GALLIMARD

Paris 43, Rue de Beaune

Extrait de la publication

Page 8: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

L'édition originale de cet ouvrage a été tirée à vingt exem-plaires sur alfa mousse des Papeteries Lafuma-Navarre,dont quinze exemplaires numérotés de ï à XV, et cinq

exemplaires hors commerce numérotés de 16 à 20.

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation

réservés pour tous les pays, y compris la Russie.

Copyright by Librairie Gallimard, 1936.

Extrait de la publication

Page 9: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

Plusieurs fois l'an, les journalistes qui reviennent àParis après un voyage. en Orient nous apportent unedescription de Constantinople. Et il n'y en a pas unqui n'orne ses articles d'une comparaison entre laville telle qu'elle apparaît aujourd'hui et celle que PierreLoti avait rendue aimable au public français. De sorteque chacun sait que l'aspect de Constantinople a pluschangé en dix ans qu'elle ne le fit entre l'avènementdu sultan Mahmud et la fuite de Mehmed Vahideddine.

On a lu que le port du fez ou du kalpack est interdit,que les derviches ont été dispersés, que le turban eststrictement réservé aux imams, et l'évocation du muez-

zin en chapeau melon est devenue un poncif. Il n'y aplus d'écrivains publics à la porte des bâtiments offi-ciels, plus de magiciens dans les rues l'art des calli-graphes s'est perdu avec le changement d'écriture;les enseignes des magasins ne sont plus remarquablesque par les singularités de l'orthographe phonétique.

Alaint auteur a déjà déploré les dégâts que le moder-nisme de la vie turque avait causés au pittoresquetraditionnel de la grande cité de l'Est. On a d'ail-

leurs exagéré sa beauté reste entière, et les aspectsdu progrès matériel ou la teneur des idées prétenduesmodernes, sont loin d'avoir l'uniformité qu'on leurprête. Il y a entre le tramway de Stamboul et celuide Pest (comme entre les élèves-ingénieurs des deuxpays) des différences moins évidentes que celles qui

Page 10: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

LA NEIGE DE GALATA

distinguent une araba d'un lcotchiss mais, quoiqueplus difficiles à discerner, elles existent, et les remarquesqu'elles suggèrent sont peut-être plus riches en valeurhumaine que les descriptions curieuses des passantsd'autrefois.

Cependant, de tous les reporters, nul n'a encore notéla disparition de la place du Taxim. C'est pourtant cetrait qui serait le plus propre à frapper d'étonnementle voyageur revenu à Constantinople après une longueabsence. Sans doute le nom existe-t-il encore pourdésigner le carrefour qui s'élargit à la jonction de larue de Péra, de Sira-Selvi, d'Ayas-Pacha, et de lagrand'rue de Pancaldi mais le mot n'a plus la mêmesignification. Pour les enfants qui grandissent dans lesécoles de la République Turque, la place du Taxim,c'est un rond-point au milieu duquel s'élève un mo-nument commémoratif de la victoire kémaliste. Sousune espèce d'arc de triomphe étroit de couleur rougebrunâtre, un statuaire italien nommé Canonica a re-

présenté, d'un côté Mustafa Kémal partant pourl'offensive d'Afiun Karahissar à la tête de ses troupesfigurées par quelques types symboliques, et, de l'autre,le Ghazi, encadré d'Ismet et de Fevzi pachas, tousles trois en redingote, proclamant la République.

Il y a douze ans, le Taxim c'était tout autre chose.Aujourd'hui, en débouchant de la rue de Péra, on

voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles modernes, du modèle de ceux où, dans toutesles capitales du monde, on trouve à se loger pourquinze ou vingt mille f rancs par an, et, si l'on s'avancedans cette direction, on constate que ce groupe deconstructions est rangé le long de rues dessinées selonun plan où règne la symétrie.

C'est précisément cela qu'on ne peut voir sans uneexclamation de surprise. Naguère, à l'emplacement dece quartier, s'étendait un vaste terrain vague que toutle monde appelait Champ-de-Mars. Les Turcs pro-

Extrait de la publication

Page 11: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

LA NEIGE DE GALATA

nonçaient comme nous, et les Grecs disaient Sande-marsse. Lorsque le promeneur, après avoir parcourula rue de Péra, arrivait sur cette esplanade, il décou-vrait un spectacle d'un tout autre caractère que celuiqu'il venait de quitter. D'abord il longeait les mursdu Taxim lui-même. (Un taxim n'est pas une citernecomme on le croit quelquefois. C'est un bâtiment danslequel on trouve une cuve de marbre rectangulairedivisée en compartiments d'où partent les tuyaux pourla distribution de l'eau. Un taxim ne constitue pasune réserve, mais sert uniquement à répartir l'eauentre les différents arrondissements.) De l'autre côtéde la place, en bordure de la rue de Pancaldi, ildécouvrait la grande caserne d'Halil Pacha qui res-semble plus à un palais mauresque qu'à un bâtimentmilitaire. Plus loin, la suite continue des Jardins d'été,

dont la verdure se découpe sur le ciel bleu, sans quederrière elle on devine le vaste ravin qui dévale versle Bosphore. Le Champ-de-Mars se terminait à l'ouestpar un bourrelet de terre dominant la rue Validé-Tchesmé, et, de là, la vue s'enfonçait dans un quartierformé de petites maisons de pierre badigeonnées enocre. De la rue montait un grand bruit fracas descharrettes sur la chaussée dont le pavage est d'uneirrégularité séculaire; grelots des colliers de chevaux,cris des cochers, éclats des disputes. C'est par là queles voituriers avaient leurs écuries, et comme l'usagede conduire à droite de la chaussée n'a été que ré-cemment adopté à Constantinople, chacun avertissait lesautres de ses mouvements appels, reproches, railleriessonnaient gaiement, jusqu'au moment où ces voix seperdaient dans le tohu-bohu catastrophique d'un accro-chage.

Tandis que l'on suivait lentement la levée de terre,en s'éloignant de ce remous de voitures, on était

bien loin d'imaginer le paysage que l'on découvriraitù la pointe supérieure du vaste triangle dessiné par

Extrait de la publication

Page 12: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

LA NEIGE DE GALATA

la place. On s'arrêtait interdit. Un véritable précipicelimite ici la colline de, Péra, comme si, à la suite d'undessein prémédité, le cosmopolitisme de ce quartieravait été séparé par un ravin infranchissable d'une ré-gion où se conservent les formes de vie, les croyances,les superstitions de la Byzance originelle. En face,escaladant l'escarpement, le faubourg grec de Tatavla,petites maisons de bois tout à fait semblables à cellesque l'on construisait au temps des Comnènes et desPaléologues. Deux églises limitent ce quartier chré-tien tapie au fond du ravin, Saint-Constantin, avecses dômes qui sont comme de gros bourgeons serrésles uns contre les autres au sommet de la colline,Saint-Démétrius on n'en voyait que le fronton, angletrès obtus surmonté d'un bref clocher. Ce pignon sedétachant sur le ciel, accompagné d'un haut et netcyprès, formait un « motif » très élégant dans sa sim-plicité, et qui faisait sourire si l'on savait que dansla chambre aux icônes un Saint-Êleuthère très ancien

écoutait la prière inquiète des filles qui trouvaient lemois trop long, et, moyennant quelques cierges, de-mandaient à la Très-Sainte-Vierge, par son intercession,de les tirer d'affaire.

Enfin, au bout de l'éperon où s'accroche Tatavla,on voyait Kassim-Pacha et ses pauvres mosquées, sesmaisons dans le bois desquelles la poussière soulevéede la rue Yéni-Chehir s'incrustait, ses jardinets. De cecôté-là, la vue pouvait atteindre très loin un secondplan où le gris et le rose fondaient en eux toutes lesautres couleurs, présentait l'esquisse de tous les monu-ments qui hérissent Stamboul depuis Sultan Sélimjusqu'à Melek Sultane.

Extrait de la publication

Page 13: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

PREMIÈRE PARTIE

Extrait de la publication

Page 14: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

Extrait de la publication

Page 15: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

Le 10 juillet 1922, jour d'arrivée du paquebotCaramanie, parmi les personnes qui descendaient dutramway Fatih-Harbieh à la station du Taxim, se trou-vait un capitaine du 139 d'infanterie. Ce régiment tientgarnison à Nevers, mais il avait fourni un détache-ment destiné au Corps d'Occupation de Constanti-nople.

L'officier fit quelques pas, puis revint en arrière, etse retourna encore, comme quelqu'un qui ne s'estpas encore orienté. Un cocher l'aperçut, fit aussitôtavancer son phaéton et lui offrit ses services. Le capi-taine l'envoya promener. Il avait vu la caserne HalilPacha, et, traversant la chaussée, il s'y dirigea.

C'était un homme d'environ trente-trois ans, grandet vigoureux. Il représentait assez bien ce type dont,avant la guerre, dans une bourgade du centre de laFrance, on aurait pu dire qu'il « faisait bel homme ».Pourtant, il manquait de tournure. Malgré la poitrinelarge, son ceinturon ne lui dessinait point de taille.Il marchait en roulant les épaules, et ses bras, en sebalançant, ne se détendaient pas complètement sesmains aussi, qui étaient très fortes, restaient à demi

1

Page 16: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

LA NEIGE DE GALATA

fermées, comme chez ceux dont les muscles sont dé-

veloppés par des travaux de peine. Son visage s'ornaitd'une grosse moustache noire. Bien qu'éclairés par desyeux vifs, ses traits manquaient d'expression. On lisaitseulement sur ses lèvres d'homme bien portant qu'ilne devait pas facilement laisser échapper ce par quoila vie pouvait amorcer son avidité.

Il leva les yeux vers la caserne. Il était quatre heuresde l'après-midi. Le soleil éclatant donnait un refletdoré au badigeon ocre des murs, et les pierres blanchesqui soulignaient les angles et les encadrements desfenêtres arquées en tiers-point resplendissaient commedu marbre. Le capitaine fit une moue admirative.

Mon vieux, pensa-t-il, ces gens-là ne se mou-chaient pas du pied. Loger de la troupe dans des bâti-ments pareils.

Il arriva devant la sentinelle qui lui présenta lesarmes. Il lui rendit son salut en la toisant de la tête

aux pieds. Pour l'ceil le moins artiste, il était évidentque la tenue du troupier ne s'accordait pas avec lestyle de la caserne plutôt que du modeste drap bleudu fantassin, l'architecture du lieu se serait accom-

modée de la tunique à fourragère d'or et à reversécarlate des lanciers ottomans. Puis il pénétra sous leporche et demanda au sous-officier du poste s'il pouvaitle faire mener au chef de bataillon commandant le

détachement. Le sergent répondit que cet officier n'étaitpas à son bureau.

C'est bon, dit le capitaine, je reviendrai dansune heure.

Et il sortit.

Naturellement, se dit-il, par cette chaleur, le vieuxdoit roupiller jusqu'à la fraîche.

Devant lui s'étendait l'esplanade. Sans doute, s'ilavait connu la ville, l'heure que l'attente l'obligeait àperdre, il l'eût assurément passée dans le Jardin d'Etédont l'entrée était à quelques pas de lui. Mais il ne

Extrait de la publication

Page 17: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

LA NEIGE DE GALATA

la soupçonnait pas, et, en flânant, il s'avança surle Champ-de-Mars.

Ce terrain avait été naguère une place d'exercicesmilitaires, mais, en 1922, il ne servait plus de champqu'à des ébats très pacifiques. Là des loueurs de che-vaux dont les bêtes avaient des colliers ornés de perlesbleues attendaient les promeneurs qui désiraient serendre aux Eaux-Douces par le chemin de Chichli. Desenfants entouraient les marchands de pois chiches etde pistaches qui acceptaient en paiement des rognuresde plomb. {Il y a quelques années, la police a interditaux « léblébidjis » d'accepter le plomb de leur clientèlepuérile, car les galopins partaient à la conquête destuyaux à gaz avec l'audace et l'opiniâtreté des chercheursd'or). Pour les cavaliers novices, de petits ânes et des

poneys faisaient le tour de la place. Mais la faveur allaitsurtout aux loueurs de bicyclettes. On imagine mal uncycliste dans les rues de Péra, qui sont autant d'escar-pements. Force était aux jeunes gens de restreindreleur parcours à la longueur du Taxim, et, pendant desheures, ils traçaient sur la place des cercles, des huit,des « épingles à cheveux ». Les nickelures étincelaientau soleil, et, pour éviter que leurs zigzags se rencon-trassent, les sportsmen à fez et à chemises multicoloresaccomplissaient des prodiges d'équilibre. Mais les freinsbloqués ou les redressements miraculeux ne conjuraientpas toujours les chocs, et l'on pouvait assister à d'assezcurieux enchevêtrements. Bien plus, un amateur demotocyclette se lançait à toute allure à travers le réseautissé par les vélos et ceux-ci s'écartaient comme deshirondelles au passage d'un milan.

Drôle de vélodrome, murmura le capitaine. Toutde même ces bougres-là sont adroits. Je me disais la

même chose ce matin, avant de débarquer, en voyantdans le port tous ces bateaux autour des navires. Je medemandais comment ils faisaient pour ne pas se rentrerdedans.

Extrait de la publication

Page 18: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

LA NEIGE DE GALATA

Il contourna la place par le nord et parvint aupetit tertre au pied duquel se creuse le ravin de Ta-tavla.

Changement à vueI On me l'avait bien dit; cepays n'est pas banal. Mais par où diable passe-t-onpour arriver de l'autre côté ?7

En bon officier d'infanterie, il eut tôt fait de se résu-

mer la topographie des collines et découvrit la lignedes maisons de la rue Elma-dagh, qui, limitant Altyn-Bakkal, descend de Pancaldi vers Saint-Constantin.

Puis il examina les maisons de Tatavla.

Dommage que je ne voie pas comment traver-ser, car j'aurais bien voulu regarder de près commentc'est construit. Tout en bois. Et les joints ?Je ne voispoint de cheminées. Naturellement. Mais alors, en hiver ?On m'a dit que ça- pinçait par ici. Et si ça se mettaità flamber? Quelles boîtes d'allumettes! Sûrement queles assurances ne marchent pas.

Puis ses regards se tournèrent vers Kassim-Pacha etl'admirable horizon de Stamboul mais ne s'y arrêtèrentpas.

C'est plutôt moche, pensa-t-il. On n'a pas idéede laisser une ville dans un état pareil. Déjà, en mon-tant du port, j'avais remarqué que le pavage étaitignoble.

Mais sa présence avait été remarquée par le patrond'un petit café en plein vent, établi à quelques mètresde là. Les tables en étaient protégées contre le soleilpar quelques poutres recouvertes de feuillages dessé-chés. Le kahvedji s'avança, et, l'appelant pacha, avecdes gestes fort civils, l'invita à s'asseoir.

C'est une idée, répondit le capitaine.A une heure d'affluence, une question de prestige

l'eût peut-être fait hésiter, mais il n'y avait alorsd'autre consommateur qu'un vieillard enturbanné quifumait son narghilé et regarda l'officier avec une par-faite indifférence. Au restaurant, à midi, il avait appris

Extrait de la publication

Page 19: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

LA NEIGE DE GALATA

que limonade se dit gazos. C'était le seul mot turcqu'il connût. Il l'employa.

Déjà un gamin s'était approché, traînant derrièrelui sa boîte de boyadji où des cônes de cuivre étince-lant coiffaient les petits pots de teinture. Levant lesyeux vers le capitaine, du doigt il lui désignait sesbottes, et, sans attendre la réponse, il s'installa surson petit tabouret recouvert d'un minucule morceaude tapis. L'officier eut d'abord envie de le repousser,mais il pensa que cela lui ferait passer le temps, et ilse mit à suivre avec intérêt les procédés du petitcireur.

C'est toute une technique, pensa-t-il, et, sanscontredit, ça m'a l'air mieux que nos cirages.

Le boyadji lava d'abord les bottes avec une épongehumide d'eau savonneuse. Puis il passa un chiffon sec,et, avec ses doigts enduits de parafine, il massa amou-reusement le cuir. Au moyen d'une petite éponge, ilmit la teinture de nouveau avec ses doigts nus ilplaqua de bas en haut une couche de cire. Et, saisis-sant ses deux brosses qu'il frottait alternativement surla chaussure, il se livra à une sorte de danse des

bras, où l'on aurait pu lire l'enthousiasme et la volontéde vaincre. Quand la brosse atteignait le terme de sacourse de retour, il la lâchait pendant un temps infime,puis il l'empoignait aussitôt en faisant claquer sa paumesur le manche de l'ustensile. Et le tourbillon de poilsde porcs montait et descendait le long de la jambede l'officier. Enfin, avec une bande de velours, le bo-yadji acheva son travail par une caresse pleine delenteur et d'emphase. Et il salua.

Bouyouroun pacham.Le capitaine était embarrassé pour demander ce qu'il

devait. Il tira de sa poche une poignée de pièces demonnaie. II ne s'en rappelait guère la valeur respec-tive et hésita un moment en regardant sa main ouverte,

le temps d'ordonner ses souvenirs. Mais le gamin, avec

2

Extrait de la publication

Page 20: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

LA NEIGE DE GALATA

un geste poli et néanmoins plein d'autorité, prit dansle tas ce qui lui convenait et s'éloigna fort dignement,tandis que le kahvedji fermant à demi les yeux ethochant la tête semblait dire à l'étranger « N'ayezcrainte, tout est en règle. »

Page 21: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles
Page 22: Extrait de la publication… · IlAujourd'hui,y a douze ans,en débouchantle Taxim c'étaitde la toutrue autrede Péra,chose.on voit sur la gauche un quartier formé de grands im-meubles

Extrait de la publication