Extrait de la publication · de la Monarchie de Juillet, un journaliste traçait ainsi le ... pas...
Transcript of Extrait de la publication · de la Monarchie de Juillet, un journaliste traçait ainsi le ... pas...
Extrait de la publication
Extrait de la publication
Extrait de la publication
Extrait de la publication
Présentation
En exergue à la biographie d'un haut fonctionnairede la Monarchie de Juillet, un journaliste traçait ainsi le
portrait idéal de Id catégorie
L'esprit administratif, très développé en France, sur-tout depuis l'Empire, exige certaines aptitudes naturellesspéciales, que l'étude et la pratique peuvent rarementremplacer. Celui qui exerce une portion du pouvoirexécutif et veille à la conservation de la fortune publi-que, ne doit pas seulement comprendre les affaires qu'ilest appelé à traiter, il faut d'abord qu'il les aime, qu'ils'y dévoue, qu'il prenne à cœur les intérêts de l'Etat et'ceux des citoyens, comme s'il s'agissait pour lui d'unechose toute personnelle. En s'élevant ainsi à l'intelli-gence des principes et des passions qui dirigent lasociété, il faut que dans l'exécution il ne néglige aucundétail de ce vaste ensemble, afin de prévoir et d'assurertous les besoins. Et ici les bonnes intentions ne suffi-
raient pas toujours, si l'on n'y joignait l'expérience quimarche droit au but dans cette interprétation souventconfuse de la lettre et de l'esprit, des traditions et de
l'imprévu. On voit que l'esprit administratif n'est autrechose que le bon sens appliqué aux affaires publiques;mais un bon sens élevé, guidé par des pensées de justice,de probité et de progrès1.
Programme ambitieux, on le voit. On serait bien en
peine cependant de préciser si les hauts fonctionnaires
de l'époque étaient conformescet « esprit adminis-
tratif ».
En effet les hauts fonctionnaires français du
Présentation
Extrait de la publication
XIX' siècle sont encore mal connus. Dans ce siècle, où
les révolutions politiques, économiques, sociales ou idéo-logiques attirent les projecteurs sur d'autres acteurs(hommes politiques, hommes d'affaires, mouvementspopulaires, intellectuels), l'administrateur, le bureau-crate, celui qui gère, contrôle, exécute, interprète lesdécisions prises par d'autres, reste dans l'ombre. Etpourtant tout le siècle retentit de plaintes contre l'en-vahissement de la bureaucratie, le fonctionnarisme, lepouvoir occulte d'hommes qui ne détiennent leur pou-voir d'aucun mandat et qui, l'instabilité aidant sous laTroisième République, sont les vrais dirigeants d'un paysoù les troubles sociaux et politiques et la timidité de labourgeoisie d'affaires font de l'Etat un gendarme indis-pensable et un entrepreneur omniprésent.
Pourtant, les recherches sur l'administration au
XIX' siècle sont encore timides, comme écrasées entre
les nombreux travaux sur l'Ancien Régime et la littéra-ture débordante sur les technocrates du XX' siècle. C'est
que les hauts fonctionnaires du XIX' siècle sont, saufexception, des personnages discrets. On a vite fait le tourdes mémoires qu'ils nous ont laissés. Hormis les diplo-mates et les préfets, catégories atypiques de ce milieu,pratiquement aucun directeur de ministère, inspecteur
des finances ou conseiller à la Cour des Comptes, bien
peu de conseillers d'Etat, ingénieurs des ponts et chaus-sées ou des mines ont laissé des relations de leurs expé-
riences. Il a fallu attendre 1976 pour qu'un grand
commis de l'Etat affirme (fièrement) Profession fonc-tionnaire 2. Obligation de réserve sans doute, inhérenteà la fonction mais surtout goût du secret (d'Etat), qu'on
retrouve jusque dans les archives où les dossiers sont
souvent plus minces pour les chefs que pour les exécu-tants. Cette rareté relative de la documentation et des
études fait de ce livre une synthèse partielle et provisoire.
En outre cet ouvrage ne sera qu'assez peu chronologiquedans la mesure où le temps administratif n'obéit pas aurythme rapide de l'histoire événementielle mais se rap-
proche plutôt de la longue durée chère à F. Braudel. Il
Extrait de la publication
ne s'agit pas là d'une pétition de principe antihistoriquemais de l'expression de la continuité sociale de la haute
fonction publique, assez peu entamée par les épurationsou les démissions des personnages liés à tel ou tel régime.Cette continuité, dont on trouvera maints exemples, n'estpas synonyme d'immobilisme. A mesure que le rôle de
l'Etat se transforme, le haut fonctionnaire notable et
amateur de la première partie du XIX' siècle est pro-
gressivement remplacé par le haut fonctionnaire spécia-
liste et professionnel de la République opportuniste. Maispour bien comprendre la différence entre avant-hier, hier
et aujourd'hui, il convient de préciser brièvement quel
était l'héritage de l'Ancien Régime.
Une révolution lente
Il est devenu banal, à la suite de Tocqueville, denoter combien sont grands, en dépit de la coupure révo-
lutionnaire, les liens entre l'Ancien Régime administratifet le XIX' siècle. Les hauts fonctionnaires n'échappentpas à cette continuité relative. La principale différenceentre l'avant et l'après 1789 est que ceux que l'on peutappeler les hauts fonctionnaires de l'Ancien Régime ontdes statuts différents selon les f onctions qu'ils rem-plissent.
On peut en effet, à la suite de R. Mousnier 3, distinguertrois types de grands commis. Les officiers, titulaires d'un
office qu'ils ont acheté, aux fonctions essentiellement
judiciaires et qui se succèdent souvent de père en filsmoyennant paiement d'une redevance, la paulette. Les
commissaires auxquels le roi a confié une commission
mais sont révocables ad nutum (à la différence desprécédents) et dont les plus importants sont les inten-dants provinciaux et les conseillers d'Etat. Enfin lescommis ou les fonctionnaires, les plus récemment créés,aux fonctions techniques comme les « ingénieurs duRoy 4 », ou bureaucratiques comme les commis des diffé-rents ministères. Ce sont les véritables ancêtres des fonc-
Présentation
Extrait de la publication
tionnaires par leur stabilité, la hiérarchie qui se crée
entre eux et la carrière lente mais sûre qu'ils accom-plissent.
Le principal changement opéré par le Consulat, aprèsl'expérience malheureuse des fonctionnaires élus sous la
Révolution, est d'uniformiser le statut des fonction-naires. Si tous les Français, en fonction du nouveaudogme de l'égalité, ont droit d'entrer dans les emploiscivils et militaires, ceux-ci doivent être organisés demanière identique pour la magistrature, l'administrationlocale et centrale. Donc plus de vénalité, plus d'hérédité,plus de paiement par les épices ou par prélèvementdirect et un alignement progressif sur le modèle desfonctionnaires techniques. En fait, pour les fonction-naires les plus importants bien des traits hérités de l'An-cien Régime subsistent. D'abord du fait de la continuitésociale entre certaines dynasties de robe et certains hauts
fonctionnaires napoléoniens, ensuite parce que le gou-vernement, à ce niveau de responsabilité, veut se réser-ver le droit de révoquer tel haut dignitaire avec qui ilest en désaccord. Enfin parce que le développement desfonctions techniques et la spécialisation administrativesont lentes. Aussi les procédés de cooptation de l'AncienRégime ou d'avancement (faveur, népotisme) n'entrentpas tout de suite en contradiction avec l'exigence de lacompétence pour les hauts emplois beaucoup plus poli-tiques qu'administratifs (préfets, diplomates, directeurs).
L'alignement de la haute fonction publique sur lemodèle technocratique actuel a donc été le résultat d'unerévolution lente qui prend place tout au long duXIX' siècle et n'a été perçue qu'au milieu du XX" siècle.Nous tâcherons donc d'en tracer les causes et les
composantes au niveau général (chapitres 1 à 3) puis dediscerner les particularités propres à chaque corps (cha-pitres 4 à 7). Enfin l'évolution des modèles de carrière et
du rapport à la politique des hauts fonctionnaires nousmontrera comment ont été perçues ces transformations
qui débouchent sur la revendication d'un pouvoir admi-nistratif.
Extrait de la publication
Eléments
de définition
Qu'est-ce qu'un haut fonctionnaire? Cette question
n'a, en soi, pas grand sens. Bien que l'évaluationchiffrée comme la définition sociale demandent de
grandes précautions préalables et que l'indigence des
sources nous empêche de citer autant de textes d'ar-
chives qu'il serait souhaitable, il convient néanmoinsd'essayer de situer quantitativement et socialement cette
catégorie. On pourra ainsi mesurer l'écart entre la hautefonction publique d'aujourd'hui et celle du XIX' siècle,
bien proche à maints égards de l'Ancien Régijjie, maison verra aussi se dessiner les prémisses de traits actuels.
I
Délimiter, évaluer
Délimiter la notion de « haut fonctionnaireau
XIX' siècle et évaluer quantitativement son importance
numérique sont sans doute les deux problèmes les plusdifficiles à résoudre de notre étude. Deux difficultésintrinsèquement liées sont à la base de l'échec de toutedéfinition a priori. Le vocabulaire tout d'abord est flou.L'expression de haut fonctionnaire n'est pas couranteavant le dernier tiers de la période. Auparavant on
distingue les fonctionnaires, terme qui englobe les fonc-tionnaires les plus élevés et les fonctionnaires moyens, et
les employés les fonctionnaires d'exécution sans respon-sabilité ni autorité propres (commis, expéditionnaires,surnuméraires 1). L'apparition d'une expression qui
1
Eléments de définition
Extrait de la publication
s'applique à une partie seulement des cadres de la fonc-tion publique traduit les transformations morphologiquesde l'administration. La multiplication des grades et desfonctions entraîne un déclin des fonctionnaires situés aumilieu de l'échelle, qui ont de plus en plus de difficultéspour atteindre les échelons les plus élevés, ce qui étaitplus courant quand la pyramide était moins déséqui-librée.
La seconde difficulté tient à l'histoire spécifique del'administration. Il n'y a pas en France « une » admi-nistration mais « des » ministères. Or l'organisation deceux-ci n'a cessé de varier, non seulement d'un régimeà l'autre, mais d'un ministère à l'autre. De plus les
termes qui désignent les cadres des subdivisions ministé-rielles ne cessent de changer à mesure que la divisiondu travail bureaucratique devient plus poussée. Exami-nons par exemple les organigrammes successifs duministère de l'Intérieur.
En 1810, c'est une véritable forêt qui englobe de
multiples domaines. On trouve en effet un secrétariatgénéral chargé de l'expédition, des archives, une direc-tion de la statistique, une direction générale des ponts etchaussées quasiment autonome, et quatre divisions1) administration générale, communale, comptabilité,personnel; 2) agriculture, subsistances, commerce, arts
et manufactures; 3) secours et hôpitaux, bâtimentscivils, prisons, beaux-arts, sciences; 4) fonds et compta-bilité. Il est bien évident qu'un chef de division de ceministère est un « très » haut fonctionnaire; ses attribu-
tions seraient aujourd'hui celles d'un ministre. Ladeuxième division est même l'ancêtre de trois ministères
actuels agriculture, industrie, commerce.Cinquante ans plus tard, en 1860, le paysage a
changé la forêt n'est plus qu'un bosquet. Le ministèrecomprend sept directions (au lieu de six de leur équiva-
lent sous l'oncle de Napoléon III), mais aux attributions
singulièrement diminuées une direction du cabinet, unedirection des lignes télégraphiques, une direction de la
sûreté publique, une direction de l'imprimerie, librairie,
Extrait de la publication
presse et colportage et un secrétariat général divisé entrois directions et une division. En tout 32 bureaux
contre 21 en 1810. Ainsi, en 1810, un chef de bureaudu ministère de l'Intérieur avait non seulement moins
de concurrents pour passer à l'échelon supérieur, maisen outre sa sphère d'action était plus étendue quecinquante ans plus tard. C'est pourquoi sans doute les
« hauts fonctionnaires» ont des titres de plus en pluspompeux à mesure que leurs compétences réelles s'ame-
nuisent. Alors qu'un seul chef de division, en 1810,
s'occupait de l'administration générale, communale, de
la comptabilité et du personnel, il en faut trois, en 1860,
plus un chef de bureau du personnel. En 1901, c'est undirecteur ayant le titre de conseiller d'Etat en service
extraordinaire qui est chargé de la seule administra-tion communale et départementale, le reste des attribu-tions de ses prédécesseurs relevant de plusieurs autresdirections.
Un article d'un journal administratif dénonce cettevalse des étiquettes dès la Monarchie de Juillet
Il s'agissait de poser avec équité et conformément auxdroits acquis, l'état hiérarchique des employés MM. lesdirecteurs d'administrations se sont empressés de sefaire sacrer directeurs généraux; leurs sous-directeurs sesont qualifiés administrateurs; des places purement admi-nistratives sont devenues quasi politiques; une augmen-tation de traitement a ajouté, par l'importance du chiffre,à l'importance de la dignité; au-dessous de ces hautsfonctionnaires, des chefs de bureaux ont été baptiséschefs de sections ni général ni colonel, ni chef de
division, ni chef du bureau, ni chair, ni poisson. entreles deux quelque chose qui procède des deux et dontl'inutilité n'est démentie que par une augmentation dansle traitement 2
Cet article polémique est presque un discours de laméthode pour l'histoire de l'administration. Les titres
y apparaissent en effet comme un enjeu politique et
Eléments de définition
Extrait de la publication
économique pour se prémunir contre les interventions
législatives, mais l'inflation verbale cache mal l'allonge-ment de la hiérarchie.
Nous nous sommes cantonnés jusqu'ici à un exemplepris dans l'administration centrale dont on peut retrou-ver la continuité des structures au prix d'une généalogie.Mais la notion de haut fonctionnaire s'étend encore par
l'apparition de nouveaux corps techniques dont lesgrades supérieurs s'alignent sur les hauts fonctionnairesexistant antérieurement. Formés d'experts sans prestige,ces corps, à l'imitation des grands corps, sont peu àpeu entrés dans la course aux titres et aux pouvoirs, auxprérogatives et aux privilèges qui caractérisent les som-mets de l'Etat. Ainsi, si on ne peut partir d'une définitionnominaliste, on ne peut non plus adopter une définitionsubstantialiste, car les fonctions changent avec la poli-
tique de l'Etat et la concurrence de nouveaux corps.
Prenons l'index de l'Almanach impérial de 1810, leBottin administratif du temps, au terme inspecteurs
généraux des ponts et chaussées, des hôpitaux mili-taires, des forêts, des droits réunis, de la Loterie impé-riale à Paris et dans les départements, des contributions,
de l'Université impériale. En 1860 à inspecteurs agri-culture, aliénés, archives, associations ouvrières, bâti-
ments civils, beaux-arts, bergeries impériales, boissons,chemins de fer, carrières (Seine), contributions directes
et indirectes, domaines, eaux minérales, écoles, enregis-trement, établissements de bienfaisance, établissements
dangereux et insalubres, finances, forêts, fortifications,garantie, halles et marchés, haras, instruction publique,lignes télégraphiques, maisons de force et de correc-tion, mines, monuments historiques, navigation, pesageet mesurage, police générale, ponts et chaussées, ports,postes, poudres et salpêtres, prisons, protestant (culte),sucres, tabacs, travaux des départements, voirie.
Tous ces inspecteurs ne sont pas des hauts fonction-
naires, mais la banalisation du titre facilite la confusion
avec les inspecteurs les plus prestigieux, ceux des ponts
et chaussées et des mines. En 1901, l'inflation est telle
que l'index se contente d'indiquer voyez au mot quiles caractérise!
Deux critères
Pour éviter ces différents écueils nous utiliserons doncdeux critères complémentaires le chiffre de salaire etla permanence relative de la position hiérarchique. En1894 3 000 hauts fonctionnaires environ ont un traite-
ment supérieur à 7 000 F par an, et 1 985 plus de
10 000 F 3. On comptait à la même date 415 000 fonc-
tionnaires. Dans le premier cas les hauts fonctionnaires
représentent donc 0,7 du total et 0,4 dans le
second. Nous ne disposons malheureusement pas desource analogue pour la première moitié du siècle. Onpeut raisonner toutefois par analogie. En supposant, ce
qui est partiellement erroné, une proportion constante dehauts fonctionnaires dans l'ensemble des fonctionnaires,et compte tenu du fait que les traitements moyens et
l'écart hiérarchique a très peu changé (1 300 F en 1846et 1 490 F en 1894), on arrive, en appliquant une règlede trois aux 188 000 fonctionnaires de 1846, à une
estimation de 1 316 hauts fonctionnaires, avec la four-
chette basse, et 752 avec la fourchette haute. On peut
ainsi estimer que le nombre de hauts fonctionnaires atriplé en cinquante ans.
Cette évaluation est toutefois abstraite car à ce
niveau c'est moins le volume d'une catégorie qui fonde
son importance que la position qu'elle occupe dansla hiérarchie administrative. L'évolution des effectifs des
principales catégories de hauts fonctionnaires définies
par leur prestige constant illustre cette affirmation i(voir tableau page suivante).
Nous avons ici le Who's who de la haute fonction
publique, les individus les plus chanceux à l'intérieur de
la nébuleuse statistique évoquée plus haut, ceux aussi sur
lesquels porteront nos analyses. Ce tableau permet
Eléments de définition
"3o§ § 82 3 g «§at-o â (- n oo ~338
"2aX -SC7 SG2 O M fi ^f tJ-«9g
sg-g K R S S S -S -Io-a gs:3 os
s n
« c
|^g2 m « ogSO.1 8 -2£C -a <o 13
ô,™ « osjl jq s s s s $ 3(,)*• N N M V §d<=:
gS0m oo oo o oë(§S-«gf^ M o0 0o -g I=' a::1
:3 1 &
| 2 K Sf; Pi»N\0 h h r- r- N HA x
.S gG m ->t OTf ooSaa3O M M cim * .So, .SCS s
SIri) 2 S voo «gS1"S °° °° --B S
S 3o p
§ .§ 9"
J-s| \0 §uN h II") h II) h S gwu ia
~tMC~~t- N M M 00 V5-SS2 2 S2 2S«8.:5 uoe 8 8 8 8 :3U C'
u., r- o0 o v, Mo\CiJ V r- vo 0\ \0 Ÿu. '0 sos a ca
o -8° -s. 2 2cu22-20 »o S =s S ai
S_ '^r w~ Sri) cg.a
Ÿoo =a po0 o 8 0.9jl I.a, !I i |f|w8 «S 2o~ w0' s5S
d'esquisser une typologie. On remarque d'un côté lescorps dont le volume change peu, essentiellement lesgrands corps (Conseil d'Etat, Cour des Comptes, Cour
de Cassation) et les fonctionnaires politiques,' préfets,diplomates, et de l'autre les corps en expansion, à
caractère plus technique, et dont l'accroissementaccompagne l'extension de l'administration directeurs,
ingénieurs, inspecteurs des finances, hauts fonctionnairesmilitaires. A la différence des premiers où les échelonssont équilibrés, les hauts fonctionnaires techniques sont
les élus de pyramides à base large et à sommet étroit, cequi rend l'avancement plus lent. Tandis que la légitimitédes premiers est directement d'ordre politique, puisqu'ilsont des fonctions de représentation du gouvernementen province ou à l'étranger ou de contrôle de l'admi-nistration, celle des seconds est technique, donc variable
en fonction de l'évolution historique, des impératifs
budgétaires, des groupes de pression. Les hauts fonc-tionnaires du premier type ont donc plutôt des carrièresindividuelles, brillantes mais aléatoires, les seconds uti-lisent le poids de leur nombre, un esprit de corps
développé et une hiérarchie rigoureuse. Ces types ne
sont que des abstractions. Certains grands corps, de par
leur tâche, comprennent des techniciens purs tandis que
ces derniers peuvent abriter la carrière d'hommes aidés
par leurs liens politiques (ainsi certains généraux de« gouvernement »). Cette distinction permet néanmoins
de comprendre l'évolution de la haute fonction publique.
Située hiérarchiquement à la jonction du gouvernement
et des bureaux, chargée de faire passer les impulsions dupays légal au pays réel, elle a une potentialité doublen'être qu'un doublet du gouvernement ou le sommet dela bureaucratie. La proportion entre les deux fonctions
varie évidemment selon les époques et les catégories.Mais l'évolution renforce la technique au détriment du
politique par suite du rôle croissant de l'Etat.La coupure est en outre atténuée par l'existence d'une
troisième catégorie, héritage des « offices » de l'AncienRégime, qui établit un pont entre les deux types précé-
Eléments de définition
dents et qu'on pourrait baptiser les « magistratsendonnant à ce mot un sens plus large qu'à l'ordinaire.Il est des secteurs où la technique seule ne suffit pas etoù la politique pure ne peut trancher, où il faut inter-préter les décisions du législateur pour que le technicienpuisse administrer ou aplanir les difficultés concrètes.Les « magistrats », chargés de l'arbitrage et de la juris-prudence, se trouvent principalement au Conseil d'Etat,à la Cour de Cassation et, pour un domaine restreint,à la Cour des Comptes. Cette répartition des rôles entreles différents types de hauts fonctionnaires ne doit pasêtre conçue comme un miracle d'autorégulation de
l'administration. Les conflits sont résolus par les « magis-trats » au sein d'assemblées et au cours de débats ana-
logues aux discussions parlementaires sanctionnées parun vote. C'est pourquoi la composition et le dosage de
ce type d'assemblées fait l'objet de tous les soins dugouvernement, tout comme, en politique, le systèmeélectoral ou la répartition des pouvoirs. Rassemblantdes techniciens du droit, des hauts fonctionnaires aupassé politique et des praticiens administratifs, ces insti-tutions représentent des lieux de résolution des conflits
qui existent à une plus large échelle entre les adminis-trations, entre elles et les administrés, entre les admi-nistrés et l'Etat. Mais ces distinctions, dont nous mon-
trerons les fondements et les variations historiques dansles chapitres consacrés aux diverses catégories, ne doi-vent pas nous cacher l'unité sociale profonde de l'éliteadministrative.
n
Fortunes
et traitements
Un des moyens les plus commodes pour situer unecatégorie sociale est son niveau moyen de fortune. Ce
Extrait de la publication
critère est évidemment relatif du fait de l'hétérogénéité
déjà notée des hauts fonctionnaires, mais il a le méritede correspondre à une échelle de valeur dominante alors,celle de l'argent
Fortune des hauts f onctionnaires parisiens
d'après les déclarations de successions5
Aux trois dates retenues, plus du tiers et près de la
moitié des hauts fonctionnaires parisiens ont un niveau
de fortune compris entre 100 000 et 500 000 francs. Ce
capital assure pour la limite inf érieure un revenu de
l'ordre de5 000 francs de rentes par an et pour sa
limite supérieure de 25 000 francs. Ces niveaux corres-
pondent à ce qu'on appelle à cette époque « l'aisance»si l'on y ajoute notamment un traitement supérieur à
10 000 francs. La proportion de hauts fonctionnaires
riches est en augmentation régulière, moins qu'il n'yparaît en réalité si l'on tient compte de la dévaluation,
d'un tiers à la moitié, en pouvoir d'achat, du franc
germinal. En revanche la part des hauts fonctionnaires
les moins riches augmente entre le milieu du siècle et
la Belle Epoque, dégradation plus forte en réalité en
monnaie constante. Ainsi l'évolution de la répartition desfortunes traduit une hétérogénéité croissante des hauts
fonctionnaires alors que la moyenne des successions
enregistrait un enrichissement.
Eléments de définition
Extrait de la publication
Cette hétérogénéité de la richesse, que l'évolution dunombre de hauts fonctionnaires pouvait laisser prévoir,
s'accompagne-t-elle d'une modification de leur position
par rapport aux autres groupes sociaux? En fait, de cepoint de vue, c'est la stabilité qui domine. Par la valeurmoyenne de leurs successions les hauts fonctionnaires
sont toujours en deuxième position derrière les « pro-priétaires » sous la Restauration et la Monarchie de
Juillet, après la bourgeoisie d'affaires à la Belle Epoque;et, à toutes les époques, avant les cadres supérieurs etles professions libérales. Si donc, socialement, les hauts
fonctionnaires font partie des privilégiés de la fortuneen général, les successions médiocres dont le nombre
s'élève montrent qu'ils s'ouvrent progressivement à des
individus sans capital pour qui la fonction publique estun tremplin d'ascension sociale plus que d'enrichisse-ment. En outre même les plus riches hauts fonction-
naires ne sont que très rarement parmi les plus richesFrançais qui se consacrent à la gestion et à la fructi-fication de leur patrimoine. La zone de recrutement dela haute fonction publique est donc plutôt, d'après cesdonnées, la bonne bourgeoisie et les catégories supé-rieures des classes moyennes dont les revenus sont
insuffisants pour vivre en rentiers mais qui, ajoutés
à un traitement relativement élevé, permettent de vivre
sur le pied de la grande bourgeoisie.Mais, inversement, sans revenus annexes, le train de
vie est proche de la gêne, aux premiers échelons, tantl'écart des traitements est grand entre début et fin de
carrière comme on le voit dans ces exemples(voirtableau ci-contre).
Cette échelle très étirée (1 à 10 pour les ponts etchaussées sous la Troisième République) rend les pro-blèmes d'avancemenr capitaux, d'autant plus que le
grade d'inspecteur général n'est pas atteint par laplupart des ingénieurs et qu'une minorité de maîtres
des requêtes deviennent conseillers d'Etat, par suite des
nominations au tour extérieur à la discrétion du gou-vernement.
Extrait de la publication
Extrait de la publication
Extrait de la publication