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LE BEAU HASARD

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BEAU HASARDroman

SERGE DUMARTIN

GALLIMARD

Cinquième édition

LE

nrf

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Il a été tiré de l'édition originale cinquante-huit

exemplaires sur vélin pur fil des PapeteriesLafuma-Navarre, dont cinquante-cinq numéroté»de 1 à 55 et trois, hors commerce, marqués de

A à C.

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous les pays y compris la Russie.

Copyright by Librairie Gallimard, 1951.

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à JEAN ROLLIN

Le beau hasard d'avoir vingt ans à Paris.

JULES ROMAINS

(Eros de Paris)

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CHAPITRE PREMIER

« C'est pas d'jeu », fit Burguat, entre deux oscil-lations de son dos rond.

« Est-ce interdit par le règlement ? »Le souple animal d'acier obéissait à l'étreinte,

mais Jean Denis veillait à ne pas se donner à fond.Il faut toujours se réserver. Il faut toujours seréserver, mâchonnait-il, et il ahannait en danseusesur les pavés de la côte. Il ne sentait pas les pavésavec ses demi-ballons, comme Burguat devait lessentir avec ses petits boyaux de plus, son rivaln'avait pas de garde-boue et le ruisseau lui jetaitau visage et dans le dos des détritus et une bouillienoire.

« Pas correct », lança Burguat.Cependant, il risquait, en parlant trop, d'avaler

de la boue, ou, en fermant la bouche, de s'essouf-fler. Denis supputait tout cela.

« Avant de démarrer, je t'ai bien demandétoutes tes conditions. »

Il parlait posément pour ajouter à la démorali-sation de son camarade. Il ajouta

« Tu n'avais qu'à penser à cela. C'est l'enfancede la tactique. »

La tactique consistait pour Denis à rouler à côtéde Burguat, légèrement en avant, à le serrer dans

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le caniveau, à surveiller qu'il n'essayât point de sedégager, en ralentissant dès que l'autre le tentait,et en le serrant de plus près s'il tentait d'accélérer.

« Vieille vache, souffla l'autre. Mais je t'auraiquand même.

Pourquoi pas ? »Tous deux grimpaient côte à côte le boulevard.

C'était Burguat qui avait relevé le défi. Cette com-pétition était dans l'air depuis fort longtemps.Chaque matin en descendant pour se rendre auLycée, Denis proposait la rencontre pour le soir.Mais Burguat avait toujours quelque empêchementd'ordre microscopique comme en ont les sportifset les jolies femmes un mauvais réglage defreins, un reste de courbatures, ou un simple man-que de forme. Denis souriait intérieurement desménagements que demandait ce grand bonhommeracé.

« Je te laisse toutes tes chances. Quand nousarriverons rue Jean-Jaurès, je te rendrai la liberté.

Oui, quandj'serai complètement déglinguéet dégueulasse »

Des voitures filaient sur le pavé rose. La côten'était pas dure mais longue. Burguat s'essuyait lesyeux et la bouche. Une grande mèche raide faisaitcomme un essuie-glace sur son visage à chacun deses déhanchements.

« Tu m'as eu. Mais je prendrai ma revanche.Qui t'a parlé de revanche ? Nous avons

décidé ensemble qu'il n'y en aurait pas.Oui, mais t'as pas été régulier.J'ai simplement été intelligent, dit Denis.

C'est la victoire de l'intelligence.Victoire, c'est encore à voir. »

Une voiture, elle-même dépassée, s'était rabattuedangereusement sur Denis, qui avait failli à sontour accrocher Burguat.

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« Excuse-moi », dit Denis.Des ruisseaux de sueur noire accentuaient encore

le grand nez de Burguat.« Avec un blair pareil, même pas capable

Tu es prêt pour le sprint ? »Ayant dit, il s'arc-bouta sur ses pédales et s'en-

fuit. Burguat, une fois de plus, était joué la rueJean-Jaurès était encore à cent mètres de là. Fol-

lement, Denis appuyait. Burguat le voyait filer.Il était encoretout tremblant de la tension néces-

sitée par la conduite de son vélo dans le ruisseauinégal, entre le trottoir et Denis. Il avait envie dese moucher. Néanmoins, il appuyait aussi. Sa routeétait enfin libre. Mais le haut de la côte, le but,était à deux cents mètres au plus. Il adopta sonstyle de champion. Il reposait à peine sur sa selleet petit à petit, soufflant bruyamment comme unnageur, il regagnait du terrain. Denis qui se retour-nait de temps à autre, n'y pouvait rien. Là, lemuscle parlait, et la mécanique.

« Ah Ah » criait Denis pour s'encouragerlui-même.

Il entendait dans son dos le souffle régulier etpuissant de son camarade. Il entendait sa sonnettegrelotter à cause des pavés. Il pensait aux fesses deBurguat, si elles avaient été des sonnettes. Il étaitivre déjà de l'effort fourni. Il appuya encore déses-pérément. La roue avant de Burguat était engagéedans sa roue arrière. Il remontait. Mais Denis avait

gagné la course, d'une demi-longueur. Il donna undernier coup de pédale pour se lancer dans la des-cente, tellement vif qu'il la cassa et faillit s'étalersur la route. Son vélo décrivit un dangereux méan-dre. Il se rattrapa. Son cœur battait à rompre. Laselle lui avait donné un mauvais coup entre lesjambes. Il n'eut que la force de freiner et de sauterde sa machine. Burguat l'attendait, goguenard, les

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jambes écartées, les poings sur les hanches, der-rière son vélo calé sur le trottoir.

« Pour faire un tour d'honneur, t'aurais puattendre qu'on t'y invite, dit-il.

J'ai cassé ma pédale, dit Denis. Elle doit êtrepar là-bas. »

Et il désignait un peu en arrière.« Tiens, dit Burguat, la voilà. »Et il ramassa la pédale.« Elle a cassé net, dit Denis. Ce n'est pas toi,

avec tes grandes cuisses, qui en aurais fait autant. »Déjà, ils marchaient côte à côte, tenant leur

vélo à la main.

« Tiens, voilà Suzanne », ajouta-t-il.Rapidement, la fille avait tourné sa grosse tête

de leur côté et s'était enfuie dans une rue adja-cente.

« Elle a le béguin pour toi, dit Burguat, c'est net.Qu'en sais-tu ? Elle nous voit toujours en-

semble.

Mais elle n'a d'yeux que pour toi. »Ils descendaient la rue où avait tourné Suzanne.

C'était sa rue. Elle habitait une des premières mai-sons. Suzanne était sur son seuil, la main sur lapoignée de la porte. Elle attendit de les voirdéboucher, et, s'engouffrant chez elle, claqua laporte avec fracas.

« Elle est trop grosse pour moi, fit Denis.Elle n'est pas encore faite, mais tu verras

dans deux ans. »

Ils arrivaient sous ses fenêtres qui encadraientla plaque commémorant un poète décédé dans lamaison. Les rideaux de l'une d'elles étaient écar-

tés. Mais dès qu'ils levèrent les yeux, ils retom-bèrent.

« Qu'est-ce que tu veux faire avec une fillepareille. Elle a la trouille.

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Elle a surtout une mère, un vrai crampon »,répliqua Burguat.

Ils longeaient le mur du tennis. Denis commen-çait à s'ennuyer. Il avait une dissertation de philoà faire pour demain.

« Salut, je te quitte là. »

Maintenant, il chantait à tue-tête dans la mai-

son vide. Le soleil couchant entrait à flots par lesgrandes baies, dorant les boiseries, et faisantcomme ressortir des odeurs de joie et de liberté.Jean alla dans la salle à manger, arracha un mor-ceau de pain qu'il trempa dans un pot de confi-ture et, mangeant, alla à la radio chercher quel-que chose de bien. Le carillon marquait cinqheures moins le quart. Bientôt jaillit du poste, àtoute force, une mélodie d'après-midi, mi-jazz,mi-musique légère. Il resta, appuyé contre, enrêvassant.

Un papier bien en vue sur la table attira sonregard. Madame Denis y avait crayonné le motif etla durée de son absence.

« Ouais. » Il bondit au jardin, courut jusqu'augarage, tripota la voiture pour obtenir, sans clé, lecontact, la fit sortir dans la rue, referma la grandegrille sans la verrouiller, et rentra téléphoner.

« Allô, Yvonne ? »Il parlait bas, comme craignant d'être entendu.« Je viendrai vous attendre à la sortie, j'ai la

voiture.

Je veux bien, Jean..

Ça vous fait plaisir de me voir avant samedi ?Vous savez bien que oui. »

Ces questions l'embarrassaient toujours. Elle yrépondait d'une voix mourante.

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« A tout de suite. »

Il raccrocha, alla fermer la radio, et sortit. Dansla voiture, il desserra le frein et la laissa descendre,moteur calé, jusqu'en bas, jusqu'au pont.

Elle sortait, touchant ses cheveux une der-nière fois et recroisant son manteau léger. Ellesortait, parmi d'autres plus jolies peut-être, maisil n'y avait qu'elle. Elle se dirigea tout droit versla voiture. Quand elle arriva à sa hauteur, Jeanouvrit de l'intérieur la portière, et elle s'assit lour-dement, comme on fait quand on fait vite.

« Que craignez-vous ?Qu'on me voie.Et après ?Jean. »

Et pour la première fois, elle tourna vers lui sesyeux de biche triste. Il se pencha pour l'embrasser,elle se raidit.

« Pas maintenant, pas ici, partons. »Denis arracha la voiture, tourna dans la pre-

mière rue et ralentit jusqu'à s'arrêter.« Où allons-nous ?

Où vous voulez.

J'en étais sûr. Si je vous demande où allons-nous, c'est pour que vous m'indiquiez votre pré-férence. »

Il avait voulu se radoucir mais n'y parvenaitqu'à peine. Son exaspération coutumière renais-sait avec le premier mot que cette fille prononçait.

« Je ne sais pas moi, comme d'habitude.Au Bois ? »

Elle lui fit un sourire engageant.« Il fait trop frais encore pour votre rhume.

A propos, comment va-t-il ?

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C'est fini, Jean. Merci. Mais où alors ? »Et elle prit un ton lamentable.« J'aime pas les bistrots.

Je n'aime pas les cinémas », dit-il en écho.Il y eut un silence. Jean avait mis la main sur le

genou de la jeune fille. Et elle, protestation ouencouragement, y avait ajouté la sienne.

« Je vais vous faire une surprise », dit-il.Ils se regardaient, les yeux brillants. Elle leva

les sourcils.

« Je vais vous emmener chez moi.

Vous n'y pensez pas », répliqua-t-elle.Et elle rougit.« Si, vous verrez, c'est très joli. C'est plein de

fleurs, et il n'y a personne jusqu'à sept heures. Jevous reconduirai après chez vous. Voulez-vous ?

Oh Jean.

Je suis très heureux de pouvoir le faire, dit-il.A quoi ça ressemble de traîner toujours commedes voleurs ?

Je ne sais pas si je dois.Vous avez peur ? »

Elle composa son visage pour qu'il répondît desoi-même par la négative, sans que sa bouche pûtla trahir.

« Alors, quoi, les convenances ?C'est plutôt ça.N'ayez crainte. »

Et il appuya sur l'accélérateur.Elle prit en silence la main de Jean et la porta

à ses lèvres avec ferveur.

Il était tout à la griserie de conduire la grandevoiture, avec une femme à côté de lui. Il monta à

une allure folle la côte qu'il avait tout à l'heuregrimpée à bicyclette avec Burguat. Il ne lui enparla pas. Il ne dit rien. Elle regardait la route,droit devant elle. Elle était fière aussi. Elle allait

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chez Jean. Elle allait connaître sa maison, sa cham-bre, ses travaux.

La voiture bondit en haut de la côte, redescen-

dit, coupa à gauche dans les arbres et vint flairerdu nez la grande porte. Denis descendit, poussa lagrille sur son rail, revint à la voiture, lui fit mordrele gravier du jardin et coupa l'allumage.

« Vous pouvez descendre », dit-il.Et de son côté, il descendit et alla refermer la

grille.Elle restait là, plantée, détaillant du regard les

plates-bandes bordées de buis, les graviers roses,la pelouse où s'étiolaient des hortensias, la pergolaqui, prolongeant la salle à manger, brandissait desrosiers en cendres d'avoir flambé tout l'été. Il

revint la prendre par la taille.« Ça vous plaît ?

Oh oui »»

Il lui fit faire le tour, et la fit entrer par leperron de la cuisine, pour qu'elle pût admirertout le jardin d'un coup.

« Là-bas, il y a le poulailler. Sans intérêt. »Il la poussait devant lui et elle se laissait pous-

ser. Il sentait ses hanches souples balancer à cha-que pas. Il lui laissa jeter un coup d'œil dans lasalle à manger, dans le salon, puis lui indiqual'escalier.

« Ma chambre est là-haut. »

Au-dessous d'elle, dans l'escalier, il lui prit lesmollets. Elle s'arrêta, saisie.

« Je ne peux pas monter », dit-elle.Elle rougit et parvint à rire. Il rit aussi.Il s'effaça pour la laisser entrer dans sa cham-

bre. La pièce était encore toute claire bien que lesoleil fût couché depuis quelques instants. Ellealla droit à la fenêtre ouverte.

« Oh la jolie vue », dit-elle.

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Les arbres ployaient dans la brise du soir. Leciel était encore éclairé et pendait loin, vers laSeine.

« Voilà l'auto, dit-elle, joyeuse.Eh oui, fit-il du même ton, l'auto »

Son toit s'arrondissait au-dessous, dans l'allée.« Il fait frais maintenant », dit-il.Et il ferma la fenêtre.

« Voilà les livres et mon phono. Vous voulezentendre un disque ?

Oh oui, dit-elle.Oh oui, répéta-t-il.Quel genre ? Classique ? Jazz ?Oh comme vous voulez. »

Elle s'était retournée vers la vitrine de la biblio-

thèque.« Oh qu'est-ce que c'est ?

Un bouddha.

Un bouddha ? »

Il avait mis Shoe Shine Boy sur le phonographe.« On danse ? »

Elle acquiesça.«Mais, enlevez-moi ça. »Il lui ôta son manteau. Elle portait une jupe de

laine grenat, et un corsage de soie blanche. Lenègre commençait à grommeler sa réclame. Il l'en-laça.

« Ce n'est pas pratique avec le tapis, dit-elle.Non, guère. »

Et il l'emmena s'asseoir sur le divan.

Elle demeurait au bord, les coudes sur lesgenoux, semblant prendre un grand intérêt à lamusique. Lui s'était adossé, les mains pendantes.Il regardait le dos rond, les cheveux débouclésqui pendaient sur le corsage, le profil doux. C'étaitle profil qui l'avait séduit et les seins. Il l'at-tira contre lui. Elle se laissa aller sans faire sem-

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blant de résister, mais sans donner à croire qu'elles'y attendait. Il lui prit la tête dans ses mains, latourna, cueillit ses lèvres et les malaxa goulument.

« Je n'ai pas enlevé mon rouge, parvint-elle àarticuler.

Qu'est-ce que ça peut foutre. »Le disque cessait, dans un grand ferraillement

qui déchirait l'ambiance. Les yeux de Jean sem-blèrent lui demander s'il fallait en mettre un

autre. Ceux d'Yvonne convinrent que ce n'étaitpas la peine. Il la coucha sur le divan sous lui,passa un bras sous ses reins et déboutonna le cor-sage.

« Il faut enlever ça, tu le froisserais. »Elle se redressa en silence et l'ôta. Jean alla

le mettre proprement sur le fauteuil. Les épaulesblanches frissonnaient. Il la blottit contre lui et

en profita pour essayer de dégrafer le soutien-gorge.

« Non, oh non, fit-elle, sincèrement révoltée.Pas ça »

Il lui soufflait dans l'oreille des mots d'apaise-ment sans suite. Elle se tordait. Il céda.

« Il faut que je te dise, lui dit-il bientôt d'unair grave. Tu vois ces papiers là-bas sur ma table,c'est un roman que j'écris.

Tu me le donneras à taper ?Oui, bien sûr, quand il sera fini. »

Il caressait l'épaule ronde et les seins par-dessusle soutien-gorge.

« Eh bien dans ce roman, dit-il, il y a unescène que je n'arrive pas à imaginer parce qu'il yest question des seins d'une femme et que je nesais pas ce qu'ils font quand une femme désire.

Et sans la laisser l'interrompre« Tu m'aimes ?

Oh Jean, tu le sais bien. Mais pas ça

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