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Olivier Chartier

Les Ombres de Boufarik

récit

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© Flammarion, 2010.ISBN : 978-2-0812-3188-7

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À Gaby Froger, ma grand-mère

À Camille et Constance, mes enfants

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Ils éprouvaient ainsi la souffrance profondede tous les prisonniers et de tous les exilésqui est de vivre avec une mémoire qui nesert à rien.

Albert Camus, La Peste

Et c’est un drôle d’exil d’être exilé de sonenfance.

Antoine de Saint-Exupéry, Carnets

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I

C’était la fin de l’automne 1996. Le ciel était bleu,presque transparent ; une lumière dorée éclairaitParis. Pour la première fois depuis longtemps,j’entrais dans la petite église de la rue de l’Assomp-tion, celle où j’accompagnais ma grand-mère ledimanche. Une foule chuchotante de cousins,d’oncles et de tantes en lunettes noires s’embrassaitsur le parvis.

Devant l’autel, au milieu de la nef, allongée dansson cercueil de bois blond, Mamie attendait sa der-nière messe. Des flots de soleil coulaient des vitraux,révélant d’invisibles poussières en suspension. Je neme souviens pas des mots du curé. Sans doute a-t-ilprêché la résignation, la résurrection et la vie éter-nelle. Par faiblesse autant que par orgueil, moi quin’ai pas la foi, j’avais accepté de lire un texte dePéguy : « Je ne suis pas mort. Je suis là, de l’autrecôté… » Je l’ai lu avec émotion. Pourtant je n’encroyais pas un mot. Mamie était morte. Je ne croispas à la vie éternelle, pas à l’Enfer, pas davantage au

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Paradis. Je crois au souvenir. La vie après la mortn’existe que dans la mémoire de ceux qui vous ontaimé.

La veille, nous nous étions donné rendez-vous, masœur et moi, devant le funérarium. Depuis des moisMamie dépérissait dans un hôpital gériatrique, oùAlzheimer lui grignotait petit à petit mémoire, joiede vivre et appétit. On en venait à souhaiter la finde cette humiliation. C’était un choc pourtant. San-drine s’est approchée du cercueil ouvert. Je l’ai suivie.Mamie portait un gilet de laine bleu marine par-dessus un chemisier blanc. Ses lèvres étaient entrou-vertes en un sourire pincé. Sa peau de cire n’aspiraitplus aux baisers. J’ai effleuré sa main glacée. C’étaitla première fois que je touchais la mort.

Mamie avait été le phare de notre enfance, unamer rassurant autour duquel naviguer. Sa lumièreéteinte me jetait dans le monde adulte. J’avais trenteans.

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II

Je me souviens des teintes presque pures. Blancde zinc et jaune cadmium, ocre jaune et jaune deNaples pour les ombres, bleu saphir pour la mer.Les coups de couteau du peintre avaient levé desvaguelettes de gouache. On devinait sa frénésie, sesmains portées par l’urgence. De plus près, chaquesillon, chaque gouttelette de matière séchée témoi-gnait de la vitalité de la toile. Je la voyais frissonnersous le Sirocco. Un paysage en mouvement s’offraità mes yeux d’enfant.

C’était le port d’Alger. Alger-la-Blanche, disaientles manuels de géographie d’avant 62. En bas, surles quais, des piles de ballots tout juste débarqués,des pyramides de tonneaux à l’embarquement, pleinsde ce vin d’Algérie qui allait donner du coffre auxmeilleurs bordeaux. De hautes arcades reliaient lesbassins aux immeubles immaculés dominant lascène. Tournée vers la métropole, Alger l’Euro-péenne toisait la mer, surveillait son commerce. Moi,j’admirais la ville sans me lasser. Elle était là, plus

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vivante que la rue derrière les rideaux. Ses couleursm’éclairent encore, aveuglantes comme la lumière demidi sur une plage de Méditerranée. J’avais cinq ans,six ans, sept ans, dix ans… Et chaque dimancheaprès le déjeuner familial j’y cherchais la brûlure dusoleil, des éclats de voix, des rires puissants, desparfums d’épices mêlés à l’huile chaude et aumazout. Pendue à un clou, cette fenêtre ouvrait surune enfance qui n’était pas la mienne. Les éclats decouleur m’emmenaient loin des squares et despigeons de Paris, vers un monde insouciant.

Dans mes souvenirs, ce passage secret trônait chezma grand-mère au-dessus d’une commode mar-quetée pansue comme une caravelle. Face à lui, deuxhautes fenêtres voilées filtraient une lumière du nordaffadie encore par la rue étroite. Mamie habitaitParis, au quatrième étage d’un immeuble haussman-nien noirci par la pollution. Quand nous montions,la cabine vitrée en bois verni de l’ascenseur gémissaità chaque étage et j’étais devenu expert pour la blo-quer en ouvrant un battant de la porte à mi-palier.

Dans l’entrée, une fenêtre en vitrail diffusait lalumière sale d’une courette. À gauche, le salon et lachambre de Mamie, avec son étroit lit Empire bourréd’édredons. À droite, un long couloir desservait lacuisine et deux chambres où mes cousins de provincetrouvaient refuge le temps de leurs études. J’y avaisvécu mes premiers mois, alors que mon grand-père,pour l’amour duquel elle avait quitté son Algérienatale, mourait à l’autre bout de l’appartement. Mesrires et mes pleurs avaient aidé Mamie à étouffer sadouleur.

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Depuis la mort de son mari, elle tenait tableouverte tous les dimanches et nous nous retrouvions,cousins cousines oncles et tantes autour du poulet àl’estragon, du gigot ou, les jours de fête, du couscous.On s’asseyait par génération. Mamie présidait, sousle vaisselier, entourée de ses deux fils et de sa fille ;brus, gendres et cousins plus âgés décoraient le centrede la table, dont les enfants occupaient l’extrémité,devant une jardinière de bois sombre qui masquaitla lumière du bow-window. Le peu qui perçait sem-blait comme absorbé par une imposante armoirenormande et une tapisserie aux couleurs fanées, etquelles que soient l’heure et la saison, nous allumionsle lustre de cristal qui tintait doucement sous le pasdes voisins du dessus. Nous étions bien dans cecocon. Les adultes parlaient de vins et de Giscard,du péril mitterrandien et du Petit Rapporteur. Entreles plats, je me glissais sous la table pour attacherentre eux leurs lacets. Mes oncles faisaient semblantde ne s’apercevoir de rien avant de feindre une ter-rifiante colère.

En attendant le dessert, Mamie m’autorisait àquitter la table. J’allais m’inventer des coffres auxtrésors dans le cagibi de la cuisine où l’on reléguaitles balais pelés. J’ouvrais les portes grinçantes desgrandes armoires pour respirer l’odeur d’antimitesmêlée au parfum acide du fixateur des photosanciennes. Juché sur un tabouret, je sortais du hautd’un placard un vieil uniforme kaki que j’essayaisdevant la glace de la salle de bains. À l’heure ducafé, le canard qu’on me consentait laissait dans mabouche le goût d’un sucre amer. Puis, à califourchon

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sur l’accoudoir d’un fauteuil rapporté d’Alger, jeregardais d’un œil L’École des fans, bercé par le brou-haha des adultes. Ces souvenirs sont parmi les pluslumineux de ma jeunesse. Les dimanches rue duRanelagh scandaient le temps infini de l’enfance,marquant la mesure de leur tempo chaleureux.

Mais pour ce qui est du tableau d’Alger dans lesalon, mes souvenirs me trompent : là où je le vois,m’a-t-on assuré, pendait le paysage gris et garanced’une grève normande où de jeunes élégantes àombrelles se protégeaient d’un soleil absent. Montableau était accroché ailleurs. Tant pis. Dans monhistoire, il illuminait le salon, et la vérité de mamémoire vaut bien la réalité des faits.

L’exil avait déposé partout de ces bois flottés polispar le temps. Ici un pot en cuivre étamé, là unelampe ornée d’une calligraphie arabe que personnene savait déchiffrer, la photo en noir et blanc duchien Chocolat dans la cour d’une maison nomméeZémouri, un tapis berbère élimé relégué dans unechambre d’amis, un poignard courbe ouvragé enguise de coupe-papier, un éternel tube de harissaentamé dans le frigidaire et, au-dessus de la che-minée, un bas-relief de bronze sur lequel un Euro-péen assis soignait l’œil d’un homme en gandouraaccroupi. On glissait les factures derrière cet hymneà « l’œuvre civilisatrice de la France », modèle du« monument aux colons » de Boufarik, ce gros bourgagricole qu’on disait « perle de la Mitidja ». Sur lesphotos de famille aux bords crénelés, moustachus encostume sombre, garçonnets en marins et petitesfilles en robes à smocks posaient devant des

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bougainvillées sous un ciel sans nuages zébré depalmiers. Ces vagues africaines avaient poussé leurécume jusqu’au tréfonds des placards de la maisonde Saint-Lunaire, dans cette Bretagne où la famillefuyait les canicules du Maghreb. Deux couscoussiersgéants y espèrent toujours les jours de fête.

Aucune ostentation dans ces souvenirs. Ma grand-mère n’avait pas transformé son appartement pari-sien en musée du pays natal. Ni vitrines, ni reliquessacrées. Elle ne faisait pas de l’Algérie une obsession,un ressassement permanent, une revendication. L’Al-gérie était l’évidence. Bibelots, photos et tableaux secontentaient d’exister, simplement, parmi d’autresempreintes, d’autres souvenirs moins ensoleillésdevant lesquels je n’ai jamais rêvé. Ils étaient la réalitétranquille de sa vie, sa naissance à Alger, son enfancesous le soleil d’Afrique, puis son mariage et sondépart en métropole, dans les années 30.

À la longue Paris avait dissous son accent. Sansdoute s’était-elle évertuée à le gommer : j’imaginequ’il n’était pas de bon ton dans la bourgeoisie fran-çaise de l’entre-deux-guerres d’afficher une naissancetrop exotique. On l’appelait Gabrielle, ou Mamie,mais pour tous les cousins rapatriés en 1962 ellerestait Gaby, le y modulé flottant au vent. Lorsqu’elles’entendait interpeller ainsi, son accent tentait despercées. La petite fille qui, à quatre ans, distinguaitla sirène du Timgad de celle du Charles-Roux à leurentrée en rade d’Alger revivait. Alors, le parler deFrance laissait échapper quelques éclats de sa vraievoix au hasard d’une intonation. Des syllabes tropaccentuées, d’autres un peu traînantes, les « r »

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comme des jotas, les accents toniques baladeurs, sesmains qui volaient, sa voix plus puissante que néces-saire lui redonnaient son identité. La France semoque de cet accent. Oui, mais c’était l’accent desgrandes réunions de famille, celles qui rassemblaientles cousins d’Algérie ; celles où l’on parlait fort, oùl’on se disputait pour le plaisir, où chacun jouait sonpropre rôle dans une pièce sans cesse répétée. Unemanière d’arrondir le discours, d’émousser les mots,un faux nez. L’accent du cocon, du cercle ; l’accentoriginel.

J’écoutais ma grand-mère me raconter son enfanceen caressant ce fanon de peau douce et fraîche quichez les personnes âgées pend sous le bras. Ses récitsfaisaient de l’Algérie un vaste théâtre peuplé decaractères excessifs, animé d’homériques disputes etde franches rigolades. Le canular de mon arrière-grand-père Amédée invitant tout l’orchestre d’Algerà dîner chez son voisin de palier sous prétexte d’unrepas musical ne se conçoit qu’avec l’accent. LaMitidja était devenue mon jardin secret, les Aurèsma forêt de Brocéliande. Je sentais l’odeur desorangers, la chaleur du sable sur la plage de Sidi-Ferruch. Je jouais avec Mamie dans le figuier où elleconstruisait ses cabanes. La rivière aux singes m’étaitaussi familière que le royaume de Babar, et lesaventures du chauffeur d’Amédée, le distrait Zaoui,me faisaient rire aux larmes, comme les facéties dema grand-tante Madeleine, qui posait sa crotte sousla table pour se venger de Dieu sait quelle punitiond’enfant.

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Certaines anecdotes traversent les générations, etmes enfants apprendront à dire « Georges est venu »pour « essuie-toi la bouche », phrase codée que magrand-mère tenait de sa propre grand-mère : celle-ciavait estimé convenable cette information anodine– le passage du jardinier – pour signaler à son marises favoris dégoulinants de potage. Personne n’étaitdupe de ce renseignement ancillaire qui s’est ainsitransmis comme un affectueux pied de nez à l’an-cêtre. Ils apprendront aussi à dire chouchouka pourratatouille ou marga pour bouillon… Mots d’arabeentrés dans la famille par la porte de service, quitémoignent aujourd’hui de son identité. Quant à lapièce de jeu dans la maison familiale bretonne, elleporte toujours le nom de Zémouri que lui avaitdonné Mamie en mémoire de sa propre enfance,même si, trois générations plus tard, les plus jeunesont oublié l’origine de ce mot.

Nous étions pieds-noirs, oui. Même moi, né aprèsl’indépendance de l’Algérie, même si j’ai attendud’être père pour mettre les pieds sur cette terre àlaquelle me rattachent des souvenirs qui ne sont pasles miens. Je suis pied-noir, au nom d’un tableau etde l’enfance de ma grand-mère.

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III

Le bonheur apporté par Mamie à Paris dans sesmalles de jeune mariée est longtemps resté sanstache. Elle vivait l’Algérie par procuration : parents,sœurs, beaux-frères, cousins, la famille restait là-bas.Elle en était un bras tendu par-delà la mer.

Un pas de deux au-dessus de la Méditerranéerythmait les saisons. L’hiver, les Parisiens descen-daient se chauffer au soleil. L’été, les Algérois mon-taient prendre le frais à Saint-Lunaire. Les voyagesétaient une aventure. Vingt heures de traversée nau-séeuse jusqu’à Sète ou Marseille, avant que l’hydra-vion rapproche les rives en quatre heures d’un volagité. La nuit à l’hôtel « Louvre et paix » sur la Cane-bière. Puis il fallait remonter la France en train :Marseille, Paris, Rennes, Dinan, Dinard. Enfin, lecar pour Saint-Lunaire. Trois jours pendant lesquelsmon arrière-grand-mère gardait son chapeau sur latête et sur les genoux son sac avec l’indispensablebougie contre les pannes d’électricité ainsi qu’une

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Noédition : L.01ELJN000284.N001Dépôt légal : février 2010

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