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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous les pays

Q Éditions Gallimard, 1978.

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PRÉFACE

Il n'est pas inutile, peut-être, de préciser lesintentions de ce travail, ou plutôt d'en manifesterl'objet théorique qui n'est pas entièrement contenu dansle seul énoncé de son titre. Il ne pouvait s'agir depasser en revue l'ensemble d'un domaine de pensée sanssombrer, en même temps que dans la platitude durésumé, dans l'invraisemblance de l'histoire universelle

ce qui est tout un. Aussi, ce travail n'a pas d'autreambition que de valoir pour ce qu'il est unebibliographie commentée de quelques œuvres touchantla pensée du pouvoir. Il s'agit en somme du repérage etde la classification des concepts, catégories, notions,dans l'ordre génétique de leur apparition, que la penséethéorique produit et met en œuvre quand elle se donnepour objet la politique, c'est-à-dire l'autorité, lasoumission, le pouvoir et la puissance.

Que trois dizaines de siècles, en mémoire d'hommes,attestent de l'existence de cette pensée du pouvoir nechange pas quoi que ce soit au problème qui, aprèscomme avant, demeure intact en quoi le pouvoirpeut-il être un objet de pensée? De l'existence empi-rique d'énoncés, on ne saurait conclure à leur réalité.Il y a un problème politique, on serait bien présomp-tueux de croire que ce qu'en dit la pensée Constitue une

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Préface

solution. Et pour cause, penser la politique c'estjustifier le pouvoir il y aurait lieu d'écrire une« histoire de la pensée politique» dont l'objet il n'yen a pas d'autre qui soit réel serait de manifesterl'implication de la pensée dans le pouvoir. On a raisonde dire que la philosophie ou théorie pose le problèmepolitique. On se tromperait lourdement en croyantqu'elle peut le résoudre. L'Etat n'est pas seulement faitde discours et en dernier lieu c'est la police qui détientla vérité sur lui non la philosophie. Il estremarquable que le traitement théorique de la puis-sance d'Etat ou autorité du Prince ait toujours été unejustification de son pouvoir. C'est sans doute enpolitique que la pensée se manifeste comme justifica-tion.

Partant de là, on se gardera bien pourtant dedéduire les aberrations et les hontes de l'histoire du

discours philosophique. Les tyrannies passées, présenteset futures, ne sauraient être déduites d'un livre dephilosophie, pas plus que la sismologie ne saurait êtretenue responsable des tremblements de terre. C'est làaccorder trop d'honneur à la théorie qui n'a de pouvoirque. théorique. C'est du même coup, par une étrangeironie, faire du tyran un sage. Seule une incroyablebévue, imputable à l'ignorance, peut faire croire queles philosophies de l'Etat parce qu'elles voient en luil'équivalent du bien, et donc le justifient, sontresponsables du mal en politique. Ce coup de force,qui transforme le bien en mal, n'est pas le fait de laphilosophie, qui n'en peut mais, c'est le fait du tyran,de sa police et de ses « bourreaux » pour parler lelangage de la répression inauguré, pour nous, à l'aubede l'ère du Prince, par Luthér.

Il reste vrai que les plus belles notions de la penséespéculative, l'âme, Dieu, la nature ou le genre humain,pour ne citer que les plus « contemplatives~> d'entreelles sont, on le verra ici même, les idées du pouvoir.

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Préface

Il n'est pas un théoricien, sauf peut être La Boétieincompris et méconnu, qui ne tienne en effet pourpossible l'existence du bien en politique. Toute penséerepose sur cette croyance que la politique est le bien,qu'il existe ou plutôt doit exister un Etat aimable.Quels que soient ses apparats rationnels, la penséethéorique baigne dans cette croyance. C'est là sonoptimisme final. Justifier aujourd'hui un arbitrairepour demain, tel est le statut mondain de la raison-nable croyance au pouvoir.

Cela montre, en 1 retour, que la philosophie nesaurait non plus être tenue pour totalement irrespon-sable. Mais sa responsabilité se borne à ceci ce quiest immense elle fonde la légitimité du pouvoir. Parcette raison, précisément, le saut dans l'arbitraire,c'est-à-dire dans l'illégitimité, ne saurait lui êtreimputé. Car les exemples abondent qui attestent que làoù il n'y a pas de philosophie, de pensée, la tyrannieest proche. Ce qui ne veut pas dire, on s'en doute, qu'ilsuffirait de penser pour écarter la tyrannie.

C'est en politique que la pensée se métamorphose endoctrine. On ne trouvera pas ici, donc, un résumé desdoctrines, c'eût été les justifier. De plus, il importaitpeu de répéter ce que le premier venu des dictionnairesbien faits enseigne à son lecteur que Rousseau estpartisan de la démocratie, que Louis XIV est partisande la monarchie qu'il exerce et que Marx fait lathéorie de la révolution prolétarienne. Sur l'exempleprivilégié d'œuvres inégalement inspirées, certes, choi-sies ou bien en raison de leur profondeur théorique oubien de leur signification conjoncturelle, j'ai tenté demontrer cette métamorphose de la pensée en doctrine,autrement dit cette appartenance de la raison à ladomination. Restituer sur des points de doctrine quim'ont semblé pertinents l'économie interne des dis-cours, en manifestant l'amour de l'ordre qui caracté-rise si bien, ici ou là, les déclarations diverses sur le

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Préface

meilleur moyen de gouverner les hommes qu'ont-ilsbesoin de l'être! restituer la fascination du maître

que constituent souvent les discours subtils des doc-teurs, tel a été le premier souci de ce livre.

C'est pourquoi si je ne me suis pas totalement effacéderrière mes « auteurs », comme disait Machiavel, c'estque j'ai suivi, en cela, la recommandation de Spinozadans une lettre à Hugo Boxel sur les apparitions, lesspectres et les esprits « mais laissons les auteurspour considérer le sujet lui-même n.

G. M.

Août 1976.

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Introduction

«DONNER L'ESTRE A L'ESTAT,)»

La politique diffère en ceci de l'art qu'elle neproduit que des œuvres appelées à disparaître.L'histoire en laquelle se meut le prétendu « artpolitique » est en fait l'histoire de la répétition. Lapolitique ne produit rien, elle ne fait que sereproduire elle-même selon des modalités, desformes, des figures que l'existence humaine enre-gistre.

La pensée politique a pour objet, précisément, dedénombrer et d'identifier ces figures et ces formes.Il est remarquable que, dans cette entreprise, elle sesoit préoccupée de montrer aux princes eux-mêmescomment les hommes devaient être gouvernés.Ainsi, la philosophie s'est souvent posée commedonneuse de leçons elle est un élément de la viepolitique. Toutefois, identifiant ces figures, elles'écarte d'elles et même, sachant les reconnaître,elle ne s'y commet point, toujours. La philosophie,ou si l'on veut, la théorie j'écarte ici la « sciencepolitique » qui suppose connu ce qui est -enquestion, à savoir la politique elle-même est leseul chemin où l'on puisse s'engager pour unexamen des œuvres produites en politique. Or, plusde deux millénaires d'histoire semblent attester qu'en

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Introduction

fait d'œuvres, il n'en est qu'une le pouvoir. Ce quiressort de notre histoire, c'est que la vie politique,tout comme sa réflexion dans la pensée, n'a suproduire que du pouvoir mais pas n'importelequel. Derrière ces œuvres, les figures contrastéesde la domination, il y a la perpétuation de lapuissance. Seules les formes en lesquelles la puis-sance s'exerce disparaissent, scandant ainsi au-delàdes discontinuités qu'enregistre l'histoire la parfaitecontinuité de la politique. La philosophie ne s'estpas justifiée autrement qu'en élaborant les formulesrendant caduque un pouvoir pour qu'un autre,appelé à lui succéder, soit possible de sorte que, à lafaveur de cette discontinuité des formes, le principelui-même se maintienne. La philosophie a joué unrôle essentiel dans cette perpétuation.

Cette longue histoire est édifiante, il n'est paspossible cependant de s'y arrêter pour elle-même.En d'autres termes, la philosophie, en ce qu'elle aaffaire au concept ici le concept de la viepolitique ne séjourne pas dans le passé. Elle nesaurait pour autant l'ignorer et, plus même, ellecroirait, en détournant son regard de l'histoire,découvrir dans aujourd'hui quelque signe de nou-veauté, ce qui est juste, sans voir qu'au-delà decette même nouveauté, c'est la répétition de l'an-cien qui, en fait, importe dans les affaires présentes.L'histoire est le lieu de la répétition, elle est ledevenir du même et de l'identique. Ainsi, l'intérêtque l'on peut lui porter n'a pas de sens en lui-même, il peut pour un individu satisfaire sacuriosité ou pour une nation l'aider à s'identifier.Mais la philosophie politique n'y trouve pourtantrien (un événement, une époque, un règne) qui soit,en soi, porteur de signification. Et pour cause elleest immédiatement confrontée au présent, limitée àlui. Elle n'a d'autre objet que de produire quelque

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Introduction

principe nouveau pour l'époque et de faire brèchedans le présent si ses principes sont assurés.

Quel est, dans ces conditions, l'objet de laphilosophie politique aujourd'hui? Ce ne sauraitêtre que la puissance d'Etat. En fait,cet objet n'estpas différent de celui de Hobbes ou de Bodin. Iln'est pas non plus différent de celui de Lénine oude Mao. Or, c'est dans cette identité d'objet qui estle propre de l'époque moderne que la théoriepolitique s'installe aujourd'hui, ou plutôt qu'elledoit s'installer. Le problème politique est, à notreépoque, de tracer les limites, les différences, àl'intérieur du concept de la puissance d'Etat. Lapolitique moderne, celle inaugurée au xvie siècle, estencore la nôtre dans son principe. La penséepolitique s'occupe d'établir un tel principe. Mais laforme de la puissance d'Etat pensée ensemble parMachiavel et Bodin, elle, a changé. Ainsi, la théoriea pour objet d'examiner comment, selon quelprincipe, la politique d'Etat s'est affirmée, et sousquelles formes ce même principe s'est perpétué desa seule force. Cette manière de voir suppose qu'onait isolé par abstraction le concept majeur de lapolitique moderne, à savoir la tourerainetê. Noussommes alors placés devant cette difficile figure quela pensée théorique, aujourd'hui comme hier, doittracer qu'est-ce que la souveraineté, comment elles'acquiert, et comment elle se conserve? Cettequestion machiavélique, posée il y a maintenantcinq siècles, est encore la nôtre, et à ce titre elleabolit la distance qui nous sépare aujourd'hui denotre passé. Mais cette question posée par Machia-vel, ni Hobbes, ni Marx n'y ont répondu. Laréponse n'a pas été donnée dans la théorie, maisprécisément dans l'histoire. C'est Cromwell, c'estLouis XIV, c'est Robespierre, c'est Lénine qui ont,

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sans le savoir, permis d'y répondre. Leur solutionn'a pas été spéculative, mais historique, c'est-à-direrévolutionnaire.

C'est pourquoi nul ne saurait s'étonner que notreépoque n'ait à proposer, en politique, que la gestionde l'héritage que constitue la souveraineté. Si notreépoque n'a pas produit un Rousseau ou un Marx,c'est seulement qu'avec ce dernier, le XXe siècleentrait dans une période, en fait inaugurée parLénine, où la souveraineté trouvait enfin sonachèvement, entendons sa forme la plus achevée.

Depuis le xvip siècle, la pensée politique n'a pasd'autre horizon que celui constitué par la souverai-neté. C'est Jean Bodin qui, plus que Machiavel, sefait le théoricien de la chose. Toute la tradition n'a

fait, depuis lors, que poser ce concept au fondementde l'Etat en en faisant varier la compréhension. Sicela est vrai des plus grands inventeurs de système,comme Hobbes ou Rousseau, c'est encore vrai chezles auteurs qu'on dira secondaires mais qui, commeI.oyseau, en 1666, dans son Traité des seigneuries, nemanquent pas de faire cette déclaration « Lasouveraineté est du tout inséparable de l'Estat [.] elleest la forme qui donne l'estre à l'Estat. » Depuis lexvr" siècle, donc, penser la politique c'est penser lasouveraineté. Pour cette raison c'est aussi penserl'Etat.

Donner l'estre à l'Estat », la formule est exacteet doit être retenue. C'est par elle que l'on doitdésigner l'objet de la philosophie politique « mo-derne » et c'est par elle, aussi, qu'il convient derendre compte de l'histoire. La philosophie, eneffet, s'est efforcée de donner la raison uneraison qu'elle trouvera en fait dans la volonté parlaquelle les hommes instituent l'Etat. Elle a consti-tué un modèle de puissance, entièrement original

le modèle du Prince en définissant la

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politique par la souveraineté. Ce modèle où, commeon le verra, le Prince d'où son nom est à lui-même son propre principe, a fourni le cadrethéorique à l'intérieur duquel l'histoire vécue et leconcept de cette histoire sont intelligibles. Ilapparaît alors qu'il n'est d'histoire que de pouvoir;mais cette proposition n'acquiert de sens que si elleest réfléchie à l'intérieur de la « puissance souve-raine ». C'est seulement, en effet, quand le conceptd'Etat est dégagé de la politique médiévale, quel'histoire comme représentation mentale, commecatégorie de la vie humaine sociale profanel'histoire comme idée fait son apparition'. Ainsi,l'idée d'histoire est consubstantielle à l'idée de

l'Etat; ensemble, histoire et Etat constituent unmodèle de puissance qui s'est perpétué jusqu'ànous. Le XXe siècle en est l'héritier indirect. Ce quidéfinit la souveraineté, c'est en effet la « perpé-tuité »; en souveraineté, dit Bodin, la puissance estperpétuelle, elle se reconduit elle même, se poseelle-même. Rien d'étonnant à ce que, sous uneforme originale, qui est l'œuvre de l'histoire commeidée et comme pratique, le Prince soit encore parminous, autrement plus puissant que ne l'ont pu rêverensemble, quoique en des temps et de façons diffé-rents, Machiavel, Bodin, Hobbes et quelques autres

Le souverain n'est pas celui qui détient lepouvoir suprême, ultime ou dernier. Si ce n'étaitque cela, le souverain des âmes sur le siège de saintPierre, Caligula ou tout autre César, tel petit chefde bande ou tel capitaine en son navire devraient

1. Cette notion de« puissance souveraine est pour la premièrefois définie rigoureusement par Jean Bodin. Cf. chap. XIII. C'estencore lui l'auteur de la première philosophie systématique del'histoire de l'époque moderne• Méthode pour une facile compréhen-sion de l'histoire (1566).

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être dits souverains. La souveraineté instituée dans

le Prince suppose l'éminence elle ne s'y réduit pas.Mais il y a plus le Prince n'est pas une personne,c'est un modèle de domination ou plutôt depuissance auquel les individus donnent corps, quileur préexiste en leur assignant la place qu'ilsoccupent dans le processus du pouvoir d'Etat. LePrince tel que je l'entends ici est le modèleétatique mise en œuvre originale d'un pouvoir, quise définit par la souveraineté. De sorte que leprince en charge de la souveraineté n'en est que ledépositaire et l'exécutant.

Si donc tel ou tel chef, grand ou petit, ne sauraitproprement être nommé prince, c'est que contrai-rement à la tradition politique qui remonte àMachiavel, il n'est pas souverain, il a la souverai-neté. La distinction qu'il convient de faire entre lePrince comme structure de la puissance d'Etat, et leprince ou si l'on veut le chef ou le maître s'imposetout de même que s'impose la distinction entre êtreet avoir.

Qu'est-ce donc alors que la souveraineté?C'est-à-dire qu'est-ce que le Prince dont le princeest un leurre? Deux exemples, l'un antique, l'autremoderne, nous aideront d'abord à voir ce qu'il n'estpas. Suétone raconte comment Claude, successeurde Caligula, réforma l'alphabet « II imagina aussitrois lettres nouvelles et les ajouta aux anciennes,les déclarant très nécessaires; déjà avant son règneil avait publié un volume sur cette question puis,devenu empereur, il obtint sans peine que l'on s'enservît d'une manière assez courante. Ces caractères

se voient dans beaucoup de livres, dans les actesofficiels, et sur les inscriptions des monuments 2.»

2. Suétone Vies des douze Césars, Le Dieu Claude, tradP Grimal.

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Hobbes explique quant à lui comment le plus fortpeut s'il le veut réformer les lois de la géométrie« Mais je ne doute pas, écrit-il, que s'il eût étécontraire au droit de dominer de quelqu'un, ou auxintérêts de ceux qui dominent, que les trois anglesd'un triangle soient égaux à deux angles d'un carré,cette doctrine eût été sinon controversée, du moins

étouffée, par la mise au bûcher de tous les livres degéométrie, pour autant que cela eût dépendu decelui à qui cela importait 3,Ce serait s'imaginertout autre chose que la souveraineté que de croireque celui qui l'exerce peut réformer à son gré ou lalangue ou la géométrie, ou les deux à la fois. Lasouveraineté ne doit pas être confondue avecl'absolutisme ou l'arbitraire même si elle a pu ydonner lieu. Son principe est ailleurs. Il est dansune certaine conception de l'autorité qui associeselon une modalité spécifique, dans une mêmeunité, le principe de la puissance avec la forme deson exercice. La puissance souveraine est unepuissance unifiée et le modèle du Prince, c'est-à-dire la vie politique dans l'Etat, défini une fois pourtoutes comme institution de la souveraineté, estl'avènement tout à fait original du pouvoir de l'Un.

La pensée philosophique avait posé, dès le début,en Grèce, un principe d'unité qui, pour se donnercomme pure spéculation métaphysique devait faireson chemin jusqu'à nous, en traçant le cadreontologique dont la vie politique occidentale, descités antiques à l'Etat moderne, resterait d'unefaçon ou d'une autre tributaire. C'est Héraclite quipose ce principe avec la concision souhaitable « Laloi, dit-il, c'est encore d'obéir au vouloir de l'Un 4. »On ne discutera pas ici de savoir quel sens

3. Hobbes Léviathan, chap. xi, trad. Tricaud.4. Héraclite Fragment 33, trad. A. Jeannière.

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Héraclite donnait à cette proposition. Ce qui nousimporte, par contre, c'est de saisir quel usage lasouveraineté moderne en fait. On peut dire que lemodèle du Prince consiste à donner un corpspolitique à la formule héraclitéenne.

La souveraineté consiste en effet à élaborer une

structure de pouvoir telle que le principe del'autorité soit uni à la forme de son exercice. Soit

l'exemple inverse de la politique médiévale. Potes-tas et auctoritas désignent respectivement la puis-sance quant à son principe et le pouvoir dans sonexercice. Cela est vrai, du moins, pour ce qui nousconcerne ici, dans sa structure générale. Le pro-blème, dès lors, auquel les médiévaux principale-ment à partir du pontificat de Grégoire VII auxie siècle ont affaire, est celui de la prééminence dela potestas prérogative du pape sur l'auctoritasdétenue par l'empereur. Grégoire VII élabore eneffet une théorie théocratique du pouvoir politiquedite de la plenitudo potestatis du pontife romain. Lalégitimité de cette plénitude de puissance, au termede laquelle l'empereur, maître au temporel, dépenddans l'exercice de son pouvoir de la puissancepapale, Grégoire VII la trouve dans la formule dePaul qui fonde et porte en elle toute la politiquechrétienne « II n'est de pouvoir que de Dieu, etceux qui existent sont institués par Dieu ». Ainsi, leprincipe de la vie politique (Dieu) est-il distinct dela forme en laquelle le pouvoir s'exerce. L'originedivine du pouvoir est alors ce qui rend impossiblel'autonomie du politique, qui est constitutive de lasouveraineté. Le pape, dépositaire « légitime » duprincipe, en tant que successeur de Pierre, n'a pasen tant que tel d'autorité politique temporellepuisque c'est là la prérogative de l'empereur. Quantà l'empereur, son pouvoir se limite à ce mêmeexercice temporel de l'autorité car il ne peut

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prétendre avoir en lui-même le principe de sonautorité. Car celui-ci est en Dieu.

Ce que révèle la politique médiévale, c'est quetoute politique suppose l'articulation d'un principe(la puissance) et d'une forme (le pouvoir). Ce serala nouveauté de la politique moderne de réunir cesdeux dimensions. La souveraineté consiste en cette

unité de principe et de forme. Mais la penséemoderne croyait voir dans la personne du princec'est-à-dire le prince comme personne physiquele sujet de la souveraineté. De tout temps, àl'époque moderne, le monarque a figuré commeprince; en lui l'unité de la vie politique se trouvaitpersonnifiée. C'est d'ailleurs là une représentationqui vise à montrer que l'unité (morale) de la sociétécivile ou politique est incarnée dans l'unité(physique) du corpsdu prince. Hobbes illustreexcellemment cette manière de voir quoiqu'iln'en soit pas l'auteur 5. En fait d'incarnation, ils'agit plutôt d'une véritable métonymie sur laquellerepose toute la conception moderne de la puissanced'Etat. Citons Hobbes, pour l'exemple « Unemultitude d'hommes devient une seule personne

quand ces hommes sont représentés par un seulhomme ou une seule personne, de telle sorte quecela se fasse avec le consentement de chaqueindividu singulier de cette multitude. Car c'estl'unité de celui qui représente, non l'unité dureprésenté, qui rend une la personne. Et c'est celuiqui représente qui assume la personnalité, et il n'enassume qu'une seule. On ne saurait concevoirl'unité d'une multitude sous une autre forme 6.»

5. L'analyse de la genèse du concept moderne de l'unité faitapparaître que celle-ci est pensée dans une perspective quidonnera lieu à la souveraineté pour la première fois par Marsilede Padoue. Cf. chap. vu et VIII.

6. Hobbes Léviathan, chap. xvi.

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Faisant du prince en exercice le « souverain », lapensée moderne ne voit pas que le souverain n'estpas le représentant d'une unité représentée. Elle nevoit pas que le sujet de la souveraineté est l'Etatdont le chef n'est que le « dépositaire» ou le« garde ». Voulant penser la souveraineté de l'Etat,les théoriciens l'ont personnifiée dans le monarquequ'ils nomment pour cette raison le prince. Cepoint est conforté par l'imagerie populaireLouis XIV disant « l'Etat c'est moi ». La métony-mie consiste alors à confondre l'Etat avec le prince,dans le langage de Bodin la souveraineté et lemagistrat. Elle consiste à exprimer la souverainetédans le prince, autrement dit à réduire ce qu'elle està celui qui l'a. Elle ne distingue pas le principe desouveraineté de sa forme d'exercice. Certes, à cela ily a une bonne raison après tout, Louis XIVn'était-il pas l'Etat en personne?

Ce thème de l'unité, souvent évoqué par lespenseurs sous le nom d'Un, est donc constitutif dumodèle étatique. Ce qui est remarquable, c'est quela structure de l' Un ne renvoie pas à la personne duchef mais à l'Etat. Résumons donc les caractéris-

tiques de la souveraineté un pouvoir qui se définitpar elle suppose que le principe de la puissance soitimmanent à la forme de son exercice. Cette

immanence s'exprime dans le thème de l'Uncomme structure de l'Etat. La politique d'Etat nepeut être caractérisée que comme « profane »,c'est-à-dire que le fondement de son exercice nedépend plus de quelque principe sacré extérieur àcet exercice (la nature, dans le monde antique) outranscendant (Dieu, dans la politique chrétiennemédiévale). La souveraineté développe un modèlehéraclitéen de pouvoir. La chose est particulière-ment visible si l'on considère la question de la loi.

Puisque ce n'est pas la nature qui est source de la

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