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Extrait de la 4 ème Partie Principales notions et pratiques LA MÉDITATION – Introduction –

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Extrait de la 4ème Partie Principales notions et pratiques

LA MÉDITATION – Introduction –

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IV. PRINCIPALES NOTIONS ET PRATIQUES Chap. 14 – L’apprentissage – 638

● La méditation (samadhi) Non loin du village où je vis, se trouve un petit monastère

Zen Sôtô aménagé dans une ferme rénovée en lisière de forêt. Chaque été, s’y déroulent des retraites de méditation. Lorsque les portes du dojo sont ouvertes, il arrive que des promeneurs parviennent à distinguer la forme des corps ordonnés à “la présence en posture assise” (zazen). Au début de l’installation des nonnes, une rumeur parcourait le village. On entendait dire sur la place du marché qu’un centre de cure de sommeil s’était ouvert !

Beaucoup d’informations étranges circulent encore sur la pratique de la méditation. Il est bon de répéter qu’il ne s’agit pas d’une sorte d’exercice exotique ou ésotérique dans lequel on se couperait de la réalité pour gagner des états de conscience altérée. L’immobilité physique et le relâchement de l’agitation intérieure ne rendent pas léthargique et ne tarissent pas l’existence. Méditer ne consiste pas à demeurer dans une sorte d’inconscience ou d’état d’auto-hypnose, une expérience d’opacité dépourvue d’intelligence et de lucidité. Enfin, méditer ce n’est pas non plus entrer en guerre contre les pensées en les traitant comme des ennemis qu’il faut s’efforcer coûte que coûte de bloquer.

Nous ne comprenons pas toujours ce qu’implique la détente de l’esprit depuis que l’Occident s’est coupé de l’expérience que saint Bernard de Clairvaux appelle “le transport de la contemplation”, une pratique qui trouve ses racines dans la Bible elle-même. Nous savons que lorsque l’expérience est absente, la signification des mots qui la désignent et la décrivent est déformée ou sombre dans l’oubli. De proche en proche, l’oubli des mots et de leur sens conduit à l’abandon et à la méconnaissance des pratiques qu’ils désignaient jadis. Malgré tout, la tradition hébraïque, en particulier kabbaliste, et celle des

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IV. PRINCIPALES NOTIONS ET PRATIQUES Chap. 14 – L’apprentissage – 639

Pères du Désert ont tenté de maintenir vivant l’art sacré de la méditation et de la prière1.

À ce désintérêt généralisé, il faut ajouter l’héritage vulgarisé de la pensée du XVIIe siècle, l’âge classique de la philosophie. Au pays du Discours de la méthode et des Méditations métaphysiques de Descartes, seul le versant analytique du mot latin meditatio a retenu l’intérêt : le cogito, le sujet pensant. On a oublié qu’au cœur du réseau lexical, on arrive par dérivation à medeor, soigner, et à medico, guérir. Méditer, ce n’est donc pas seulement réfléchir, penser profondément à un sujet, mais se guérir au sens même où l’entend le Bouddha quand il présente les huit pratiques du noble octuple sentier. Sans même parler d’une guérison spirituelle définitive (l’éveil), des études scientifiques récentes ont mis en évidence les bienfaits psychophysiologiques de la pratique méditative. Les travaux du professeur Richard J. Davidson de l’université du Wisconsin, par exemple, ont montré qu’un petit entraînement à la méditation modifiait positivement l’activité cérébrale et avait une influence bénéfique sur le système immunitaire2. On sait également que la méditation améliore la circulation cérébrale en provoquant un afflux de sang vers les couches profondes. L’augmentation du rythme des ondes alpha témoigne aussi d’un apaisement du système nerveux central, ce qui induit une impression de bien-être et de calme vigilant.

1 Paul Evdokimov a beaucoup fait pour aider ses contemporains à retrouver la voie du silence et de la contemplation en éclairant les richesses trop ignorées de la spiritualité des Églises d’Orient (voir Les âges de la vie spirituelle, Desclée de Brouwer, 1964). Plus tard, le prêtre orthodoxe Jean-Yves Leloup et le théologien Raimon Panikkar ont permis de redécouvrir le sens profond de la méditation chrétienne au coeur d’une voie spirituelle authentique qui s’ouvre sur la plénitude de la personne. Voir de Jean-Yves Leloup, Écrits sur l’hésychasme et de Raimon Panikkar, Éloge du simple, deux ouvrages parus chez Albin Michel. 2 La méditation activerait en particulier le côté gauche du cortex préfrontal, une zone qui nous différencie du monde animal. Les travaux de Richard J. Davidson et de son équipe ont été publiés dans la très sérieuse revue Psychosomatic Medicine, January 1, 2004. On trouve aussi une bonne synthèse des effets biologiques et électroencéphalographiques dans l’article de J. P. Schnetzler « Méditation et psychothérapie : modes d’action et rapports », cf. Méditation et psychothérapie, Question de – Albin Michel, n° 121, 2000, p. 43-46.

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Devenir simple

Outil du cheminement spirituel, la pratique de la méditation est l’apprentissage d’une relation juste à toutes nos expériences : pensées, émotions, actions en relation avec notre environnement, notre milieu familial et professionnel. Au niveau fondamental, la méditation consiste à vivre l’expérience de l’état naturel dénué de complication. Méditer, c’est devenir simple, dit Chögyam Trungpa, entrer en contact avec la qualité foncière de l’existence ordinaire, « un acte de liberté constant, au sens où l’on n’a ni attentes, ni objectifs, ni buts, ni intentions1. » En comprenant cela, nous découvrons l’absence de frontière entre méditation assise et méditation en action, entre expérience assise et expérience de la vie habituelle. Nous aspirons à vivre le même délassement, le même état de présence vigilante dans un corps au repos ou en mouvement, dans la solitude d’une retraite ou au cœur d’une cité bruyante.

○ La vigilance dans la plénitude de l’instant Le principe de la méditation assise consiste à laisser l’esprit

dans un état de tranquillité où les activités mentales viennent d’elles-mêmes au repos. En laissant l’esprit tel quel, sans saisir ou rejeter quoi que ce soit, nous réalisons à quel point nous vivons dans nos pensées, nos opinions, nos représentations. L’ensemble de cette activité trépidante concourt à l’organisation du monde de l’ego.

S’exercer à la méditation consiste dans un premier temps à développer une attention ouverte et sans saisie, une attention sans tension, semblable à cette disponibilité que nous connaissons lorsque nous écoutons une musique ou un poème que nous aimons. Nous sommes en situation d’accueil, relâchés,

1 Bardo. Au-delà de la folie, p. 60.

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IV. PRINCIPALES NOTIONS ET PRATIQUES Chap. 14 – L’apprentissage – 641

simplement réceptifs à ce qui vient. En cet état d’ouverture, nous réalisons à quel point l’emprise des émotions est proportionnelle à l’importance que nous leur accordons. La vigilance dans la plénitude de l’instant est une attitude transparente de lâcher-prise. Nous ne nourrissons pas les pensées et les émotions qui surgissent. Nous ne tentons pas de les réprimer ou de nier leur existence. Nous ne ressassons pas le passé. Douloureux ou joyeux, il n’existe plus. Nous ne nous projetons pas dans un futur qui n’existe pas encore. En l’absence de fluctuations mentales, nous découvrons l’océan de paix sous-jacent à toutes nos expériences. Les pensées proviennent de cet océan et se propagent telle une houle à sa surface, sans jamais altérer les profondeurs de la tranquillité.

En nous abandonnant ainsi à la paix intérieure, les sens s’épanouissent car la distance que nous mettons habituellement entre nous et les choses s’estompe. Nous avons une perception claire, précise et globale de tout ce qui vit autour de nous. Si nous nous trouvons près d’une rivière, nous entendons l’écoulement des eaux ; si des parfums de fleurs circulent dans l’air, nous les humons. Les parfums, les couleurs et les sons se mêlent en une seule et même expérience. Nous sommes pleinement lucides et disponibles, en état de participation totale à la situation. Si nous percevons un bruit, nous n’écoutons pas avec insistance en nous interrogeant sur sa cause, en développant un discours intérieur. Nous nous arrêtons au niveau premier de l’expérience : « un bruit est entendu. » L’esprit demeure fluide. Ainsi, sur le “plan technique”, il est souvent proposé au débutant d’alterner entre l’attention à l’expiration et à la suspension naturelle du souffle qui s’ensuit. Cette pause est justement un moment de conscience dégagée. Pour éviter de se polariser sur l’expiration, la pratique s’élabore donc en pointillés : un trait de vigilance, un trait de pause…

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Pour voir au-delà du voile des projections mentales, il est donc important que celui-ci s’apaise et pour cela que son activité décroisse. L’expérience montre que des processus en nous font obstacle à la tranquillité. La pratique de la méditation avec ses différentes méthodes nous apprend à travailler avec ces résistances afin que nous puissions les maîtriser et goûter à une paix profonde.

De l’esprit contrôlé, le Bouddha dit qu’« il doit être comme la pierre des quatre orients : bien que cette pierre demeure au milieu de la cour, la pluie tombe dessus mais ne la détruit pas, le soleil la chauffe mais ne la fait pas fondre, le vent souffle et ne peut la soulever. Un esprit contrôlé ressemble à cette pierre1. » Cette comparaison nous rappelle la nécessité de la stabilité dont il a été question en présentant l’attention et la concentration justes, deux des huit pratiques du noble octuple sentier (voir chap. 13). Au lieu de s’éparpiller et de se disperser, l’esprit apprend à se tenir tranquille pour ne pas se laisser gagner par des images et des pensées aléatoires. Il essaie de ne pas entrer dans le jeu de la réaction et de l’attachement. C’est en ce sens qu’il cesse de produire des empreintes karmiques. Nous savons que la réaction de la conscience face aux événements active des attitudes “préprogrammées”. Lorsqu’on dit que le cœur de la pratique méditative consiste à trouver l’ouverture, on entend qu’au lieu de réagir, il est possible d’expérimenter une clarté et une disponibilité libre des trois relations empoisonnées (attraction, répulsion, indifférence). Le seul fait de cultiver cette clarté, couplée à la disponibilité mais également à l’ouverture, stoppe la production de nouvelles empreintes karmiques. De plus, celles que nous portons déjà en nous s’épuisent petit à petit et se dissolvent.

1 Extrait du Sutra sur la pratique des Âgamas dans Paroles du Bouddha tirées de la tradition primitive, p. 245.

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La pierre est aussi la métaphore d’une double attitude caractéristique du lâcher-prise : accueillir et ne rien retenir. Vous vous souvenez peut-être du poème de Huong Hai1 :

Un oiseau argenté vole sur le lac d’automne. Lorsqu’il est passé, la surface du lac n’essaie pas de retenir son image.

○ L’esprit d’enfance Si le progrès spirituel dépend d’une routine, la routine ne

doit pas altérer l’esprit d’enfance, ce regard frais et nu sur les choses, libre de jugement, neuf à chaque instant.

Dans les milieux tibétains, il est une histoire célèbre qui relate le dernier enseignement que Gampopa, l’auteur du Précieux Ornement de la libération, reçut de son maître Milarépa. Après avoir passé des années à recevoir et pratiquer les enseignements, vint le jour où Gampopa dut quitter le grand yogi et poète. Il n’avait pas encore reçu l’ultime transmission. Milarépa la jugeait trop précieuse et le moment inadéquat pour qu’elle fût donnée même à son meilleur disciple. Sur l’insistance répétée de Gampopa, Milarépa finit par acquiescer, releva ses vêtements et lui montra ses fesses. Elles étaient couvertes de callosités qui attestaient des années consacrées à la pratique de la méditation en posture assise.

Les callosités reflètent l’effort enthousiaste qui animait le yogi. Même si l’anecdote reflète une situation pour le moins extrême, on retiendra que sans courage, sans une motivation sincère et sans application, point de transformation profonde.

1 Poète vietnamien. Cf. chap. 13, 5. La voie de la poésie, Florilège de textes et poèmes.

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Rappelons-nous l’adage de Boileau : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. » Ce qui est vrai dans le travail quotidien, dans nos relations amicales ou amoureuses, est vrai dans la pratique de la méditation. La paresse, le manque d’assiduité et la négligence sont des obstacles. Si les fesses de Milarépa sont usées, son esprit est celui d’un débutant motivé par la découverte, mais libre de toute attente. Cette posture intérieure accentue la fraîcheur de l’esprit d’enfance. N’est-ce pas là également l’un des sens profonds de l’apprentissage : ne pas se prendre au sérieux et développer la capacité d’aborder les expériences avec l’émerveillement de la toute première fois ?

○ La continuité de la présence Sur une journée de vingt-quatre heures, il est naturel que

nous consacrions plus de temps à notre vie professionnelle et familiale qu’à la méditation en posture assise, à moins d’effectuer des retraites intensives. Même si l’on est moine ou nonne, la situation reste presque identique. Ceux et celles qui résident dans les centres du Dharma pourraient en témoigner. Ainsi, ayant l’esprit souvent très occupé et le corps en mouvement, nous ne parvenons pas toujours à conserver la saveur de l’expérience que nous avons découverte dans le silence de la posture assise, et cela d’autant plus que nous nous trouvons dans un environnement peu favorable. D’ailleurs, la simplicité de l’état naturel nous semble parfois étrangère à la complexité et aux priorités du monde contemporain. Or, si les enseignements constituent une connaissance vivante, c’est parce qu’ils peuvent nourrir toutes nos activités quotidiennes. Les méthodes qui permettent de maintenir la continuité de l’expérience méditative dans le contexte de la vie habituelle sont donc essentielles et particulièrement bénéfiques.

Généralement, lorsque nous abordons n’importe quel type de situation, nous le faisons sur la base de nos préjugés et de nos

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a priori : depuis les situations conjugales, familiales et professionnelles, jusqu’à celles qui relèvent de la politique ou de l’économie. Obnubilés par nos idées, nous ne percevons pas leur potentiel. Toutefois, par des rappels, nous pouvons laisser s’épancher dans notre quotidien le ressenti que nous avons découvert au cours de la pratique assise. Nous pouvons vivre au cœur de l’action un état de conscience dégagée, un instant de grande transparence et de détente spacieuse. Où que nous soyons, quoi que nous fassions, nous introduisons une pause durant laquelle nous cessons d’être soumis aux tensions issues de notre attachement, de notre aversion ou de notre indifférence à l’égard de ce qui nous entoure. Le rappel crée un entre-deux qui induit une expérience intelligente et non agressive au sein même de la situation que nous sommes en train de vivre. À l’aide d’une simple attention aux mouvements de la respiration, nous pouvons multiplier ces rappels de sorte que notre présence au monde s’intensifie sur un mode continu. La présence ouverte n’est pas un état nébuleux coupé du concret, mais bien l’état où nous sommes pleinement là, parce que plus vigilants et plus disponibles. Chögyam Trungpa donne à ce propos une précision capitale :

Dans la méditation assise, la technique et nous sommes un ; et dans les situations vitales le monde des phénomènes fait également partie de nous. Dès lors, nous n’avons pas à pratiquer la méditation en tant que telle, comme si nous étions distincts de l’acte de méditer et de l’objet de la méditation. Si nous sommes un avec la situation vivante telle qu’elle est, notre méditation se produit automatiquement, simplement1.

1 Le mythe de la liberté et la voie de la méditation, p. 109.

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IV. PRINCIPALES NOTIONS ET PRATIQUES Chap. 14 – L’apprentissage – 646

○ Les méthodes et les conditions favorables En réponse à la diversité des êtres et à la complexité des

émotions perturbatrices, il existe une multiplicité de pratiques libératrices. Dans la troisième section de ce chapitre, figure un aperçu de ces méthodes en fonction des différentes approches de l’apprentissage. La pratique méditative joue un rôle central et constitue un tronc commun. Elle comprend deux aspects principaux : le premier (shamatha) permet d’apaiser les turbulences du mental de sorte que l’esprit reste stable et tranquille ; le second (vipashyana, la vision claire) suscite la compréhension de l’impermanence et du non-soi, et donne accès au nirvana. La pratique de shamatha et de concentration en un seul point, dont il a été question en présentant la concentration juste (voir chap. 13, 3.), sont des méthodes yogiques d’emprunt que le Bouddha a apprises auprès d’Arada Kalama et de Rudraka Ramaputra, deux maîtres de Yoga dont il a suivi les enseignements avant de se lancer dans une ascèse sévère.

Le lieu, l ’alimentation et le sommeil Les textes recommandent de se tenir à l’écart de l’agitation,

dans un lieu naturel qui favorise l’épanouissement de la tranquillité et ne provoque pas de distractions. De nombreuses personnes qui ne disposent pas de telles conditions effectuent de courtes ou longues retraites dans des centres dotés d’un environnement favorable. Cependant, se trouver dans la solitude des forêts, par exemple, ne signifie pas que nous parvenons à demeurer en silence. L’esprit peut-être beaucoup plus agité qu’en plein cœur d’une grande ville. L’état intérieur ne dépend pas nécessairement de conditions plus ou moins hostiles. Si l’on parvient chez soi à trouver un endroit calme et propice à la pratique assise, il est bon de commencer par effectuer de courtes séances de cinq à dix minutes afin de ne pas fatiguer l’esprit.

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Généralement, l’alimentation végétarienne est recommandée parce qu’elle coïncide avec l’élan de compassion pour tous les êtres vivants. En signalant que se nourrir est une pratique (voir chap. 3, 2), j’ai indiqué que les aliments exercent des effets notoires sur les états de conscience et influent sur les trois humeurs principales du corps. Ces humeurs ont elles-mêmes une incidence sur la circulation des souffles subtils qui sont liés à la production des pensées. L’apprenti ne devrait pas manger en grosse quantité, ni consommer des aliments qui alourdissent l’esprit. Enfin, trop de sommeil accentue la torpeur, l’inverse perturbe l’attention et la vigilance.

Apaiser le corps Préserver le calme du corps prédispose à la pratique

méditative. En revanche, s’agiter en tous sens perturbe la circulation des souffles subtils. Cette perturbation a un retentissement direct sur le mouvement des pensées. C’est la raison pour laquelle les méditants qui s’adonnent de façon intensive à la pratique sur plusieurs semaines, plusieurs mois ou années, évitent tant que faire se peut de produire des efforts importants. Les exercices physiques des yantra yogas1, spécifiques au Vajrayana, sont d’un tout autre ordre et généralement transmis dans leur intégralité au cours de retraites de trois ans. Ils préparent le méditant aux pratiques avancées des tantras supérieurs. Ces exercices comprennent des pratiques posturales et des symboles gestuels, la présence à l’espace et au mouvement, des récitations de mantras, des techniques de relaxation et de massages dynamiques, l’attention aux souffles subtils et aux cakras, accompagnée de pratiques respiratoires permettant de transférer les souffles périphériques dans le canal central.

1 Kyabdjé Kalou Rinpotché en a présenté une version “universelle”, accessible à tous, dans Yoga tibétain. Nangpé-yoga ou “Yoga de l’intériorité”.

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La position du corps L’architecture de la posture assise reflète un grand nombre

des remarques théoriques que l’on peut faire sur la méditation. La disposition des membres et la tenue du dos établissent une structure composée d’un triangle formé par les jambes au sol et d’une montagne, le buste. Les jambes repliées et le bassin constituent un socle très solide, symbole de stabilité et de renoncement au mouvement. Cette ligature des membres inférieurs a une incidence sur l’équilibre intérieur. Quant à la droiture du buste, elle favorise la circulation de la colonne du souffle et rend sensible au mont Meru intérieur, le canal central du corps subtil avec son réseau de canaux, de carrefours et de gouttes principielles.

Au Japon, la poupée Daruma1 rend bien cette impression de stabilité, d’harmonie et de persévérance. Chaque fois qu’on renverse ce jouet très populaire, il retrouve automatiquement la position verticale. Vous vous souvenez peut-être que Bodhidharma aurait médité en silence devant un mur pendant neuf ans. Le jouet incarne bien cette force intérieure, cet ancrage dans un équilibre imperturbable. La puissance de l’équilibre dépend essentiellement de la détente naturelle du corps et d’une tonicité musculaire minimale permettant d’assurer le maintien de la posture. Celle-ci comprend sept points :

Traditionnellement, les jambes sont croisées dans la

posture du lotus (pied gauche sur la cuisse droite et pied droit sur la cuisse gauche) ou du demi-lotus (talon gauche logé au niveau du périnée, pied et jambe droite repliés sur le devant). On peut inverser la position des jambes ou utiliser une chaise si la posture est pénible à maintenir. Il importe surtout de se sentir à l’aise. Généralement, la plupart des pratiquants utilisent un

1 Nom japonais du patriarche Bodhidharma.

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coussin appelé zafu qui garantit une meilleure assise. Certains mouvements ou postures issus du hatha-yoga aident à l’étirement des tendons et à l’ouverture du bassin. Ces exercices sont recommandés aux personnes peu souples. Ils accompagnent favorablement la pratique parce qu’ils permettent d’obtenir une position satisfaisante au bout de quelques mois voire quelques semaines.

La colonne vertébrale est bien droite, la partie lombaire légèrement incurvée pour bien dégager l’abdomen et le diaphragme, et favoriser la tenue des épaules.

Les épaules sont bien écartées de manière à dégager le thorax. Elles tombent naturellement.

Le dos de la main droite repose sur la paume de la main gauche, quatre doigts environ au-dessous du nombril. Les pouces se touchent légèrement de sorte à former un replat. En zazen, la position des mains est inversée. Dans d’autres écoles, les paumes de mains peuvent reposer sur les cuisses, non loin des genoux.

La tête est légèrement inclinée de sorte à ramener le menton vers soi et étirer ainsi la nuque.

La bouche, la mâchoire et la langue sont détendues. La partie avant de la langue vient s’adosser au palais, la pointe en contact avec les dents.

Le regard est posé dans le vague vers le bas. Il n’est pas nécessaire de fixer la pointe du nez. Les paupières sont mi-closes. Si les yeux se ferment naturellement, on ne les retient pas.

Ces sept points revêtent une grande importance parce qu’ils

soutiennent le placement adéquat de l’esprit. La posture du corps renseigne le méditant sur les tensions mentales qui retentissent dans la structure corporelle. En même temps, par un effet de

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rétroaction, le corps informe l’esprit sur la justesse de sa propre disposition. Ces étroites connivences font dire à la tradition tibétaine, qu’un déséquilibre minime dans la colonne vertébrale engendre un changement dans l’attitude intérieure. Si l’on penche en avant, la torpeur envahit l’esprit. Si l’on penche vers l’arrière, l’orgueil devient manifeste. Si l’on penche sur la gauche, des désirs apparaissent.

Ces sept points désignent le plan d’un “montage” corporel qui ne doit pas se transformer en un rituel. Prendre la posture doit devenir un processus naturel. Le méditant se sent relié à la terre et ouvert à l’espace. Ainsi, il entre en résonance avec le monde vivant. Ce qui compte, c’est de pouvoir conserver un certain temps le corps immobile afin de mobiliser toutes les ressources de l’esprit.

En appliquant les sept points, le méditant offre à son corps la possibilité de se libérer dans la forme et le souffle. La posture dissipe les empreintes que l’individualité a creusées à la surface de la chair et en ses profondeurs. L’harmonie de l’architecture posturale et l’équilibre des souffles permettent à la structure physique de retrouver sa dimension spirituelle. En réalité, le méditant n’adopte la posture qu’en apparence : il apprend à faire sans faire en laissant s’épanouir la plénitude de l’activité immobile et silencieuse. Dépourvu de volonté propre, il suit le principe chinois du non-agir (wu-wei), de sorte que les propriétés de déconditionnement inhérentes à la posture corporelle œuvrent d’elles-mêmes sans retenue.

Poser l’esprit Une fois le corps placé dans de bonnes conditions, on

adopte une “posture intérieure favorable”. Quel que soit l’environnement où l’on se trouve, on imagine quelques instants que l’on se trouve au sommet d’une montagne, contemplant un paysage immense. Cette vision éveille en nous l’impression de dégagement, d’amplitude et d’espace. Une fois cette sensation

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acquise, on peut se délivrer de toute représentation. Ce ressenti est lié à la détente spacieuse dans laquelle on apprend à placer l’esprit. On reste ensuite dans l’atmosphère de vigilance dont nous avons parlé préalablement, accueillant toute expérience sans rien retenir, ouvert à l’éclat de l’état naturel.

En tenant compte de toutes ces remarques, on peut aborder

la pratique méditative comme un exercice pour apprendre à se placer dans les conditions optimales. Sur cette base, se développent les pratiques telles que shamatha, vipashyana ou zazen. Dès lors, il devient indispensable de recevoir oralement les instructions de méditation d’une personne qualifiée ou d’un maître.