EXPLOSION D'UNE CHAUDIERE

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EXPLOSION D'UNE CHAUDIERE A COMBERIGOL Commune de GRAND-CROIX Loire 6 Septembre 1885 Coupe longitudinale Façade de la batterie des 6 chaudières Vue de la déchirure en dessous Echelle 0.008 Vue de face Echelle 0,02

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E X P L O S I O N D'UNE CHAUDIERE A COMBERIGOL Commune de GRAND-CROIX Loire

6 Septembre 1885

Coupe longitudinale

Façade de l a batterie des 6 chaudières

Vue de la déchirure en dessous

Echelle 0.008

Vue de face

Echelle 0,02

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Risque et sécurité des Christine machines à vapeur au Chapuis. X I X e siècle. Sociologue.

EXPLOSION AU CHAMBON u x Le 20 Aoul 1883

< Extrait d'exposition collective de défauts de tôles — corrosions, incursta-tions. Ass. Française des propriétaires d'appareils à vapeur. Exposition universelle de 1889.

En nous servant de l'exemple des machines à vapeur, nous voudrions présenter quelques éléments sur un aspect trop souvent négligé dans l'histoire des tech­niques : les risques et la sécurité. Ce dossier n'est pas la conclusion d'une étude approfondie et achevée mais plutôt le fruit d'une recherche exploratoire pour identi­fier les questions importantes et préciser quelques sour­ces pour les aborder.

L'histoire des techniques garde souvent un éton­nant silence sur les risques afférents aux processus ou aux objets dont elle décrit le développement comme si les évoquer était une trahison à la cause de ces techni­ques en faisant suspecter leur intérêt social. Pourtant le désir de pallier à certains risques constitue une préoc­cupation importante de nombre de techniciens, et forme l'arrière-plan de beaucoup d'innovations.

L'histoire des machines à vapeur au X I X e siècle en constitue un exemple. L'explosion est alors une éventua­lité redoutée. Entre 1865 et 1885, les statistiques de l'administration des mines dénombrent en moyenne 32 accidents par an, dont 20 avec victimes faisant envi­ron 30 morts (Tableau 1). Ce chiffre doit être rapporté aux 76592 chaudières à vapeur installées en France en 1885, et il apparaît beaucoup moins élevé que celui des accidents dans les mines ou sur les chemins de fer. C'est cependant un type d'accident qui arrive régulière­ment. Une machine à vapeur, cela peut exploser : ouvriers, industriels, constructeurs et administrations le savent et s'en préoccupent.

La sécurité des machines à vapeur fait l'objet tout au long du X I X e siècle de plusieurs débats :

1. Comment doit être gérée la sécurité des machi­nes à vapeur ? Ceci renvoie au débat général sur le rôle que doivent jouer respectivement les industriels et l'ad­ministration en matière de sécurité des installations industrielles.

2. A l'intérieur de l'usine, comment s'articulent les fonctions de chacun, ouvriers et patrons, concernant la machine à vapeur ? En cas d'accident, cette question sur­git immédiatement, notamment pour définir les res­ponsabilités financières.

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3. Quelles mesures techniques recommander ou imposer? Cette discussion qui intéresse constructeurs de machines, industriels et administrations s'inscrit dans des débats scientifiques et techniques sur l'analyse des phénomènes en cause lors du fonctionnement de la machine.

I. LES ROLES RESPECTIFS DE L'ADMI­NISTRATION ET DES INDUSTRIELS DANS LA GESTION DES RISQUES.

Qui doit être responsable des normes de sécurité des machines à vapeur ? Telle est la question sur laquelle débattent tout au long du X I X e siècle administrations et industriels.

L'enjeu est d'importance : on peut penser que c'est à travers le contrôle des machines à vapeur que l'admi­nistration est entrée concrètement dans les établis­sements industriels dans les secteurs les plus divers puisque toutes les industries avaient recours aux machi­nes à vapeur. Jusque-là, elle n'intervenait que dans cer­tains secteurs réputés dangereux (mines).

L'évolution n'est pas linéaire. Dans la première moitié du siècle, on assiste à un développement du contrôle administratif en matière de sécurité, parallèle à la croissance en nombre et en influence de l'administra­tion qui en est chargée : l'Administration des Mines. Dans le dernier quart du X I X e siècle, ce contrôle recule, laissant une place accrue aux industriels qui, par le biais d'associations, se sont donné des moyens techniques nouveaux pour reprendre en charge certains aspects de la sécurité de leurs installations.

1. Le développement de Vaction administrative dans la première moitié du XIXe siècle.

En France, l'administration est intervenue pour réglementer la sécurité de ces installations dès les pre­mières années de la diffusion des machines à vapeur, qui ont suivi la fin de la fermeture des frontières liées aux guerres impériales. Cette mission a été confiée à l'Admi­nistration des Mines, après une certaines rivalité avec l'Administration des Ponts et Chaussées. La première, encore jeune et peu puissante, arguait de l'expérience qu'elle avait acquise ayant eu à connaître des premières machines à vapeur installées dans les mines.

Dès 1823, puis en 1828 ,1829 ,1830 ,1839 , diverses ordonnances déterminent les mesures de sûreté et les contrôles auxquels doit être soumis l'emploi de la vapeur.

L'administration intervient dans trois directions : a. Elle établit des normes que doivent respecter

les locaux (distances à garder entre les lieux d'habita­tion et de travail et l'emplacement des machines) et les machines. Toute une série d'appareils de mesure sont recommandés ou imposés : manomètre, appareil de retenue, niveau d'eau... Elle prévoit des procédures de test ou d'examen des appareils : la plus importante est Y épreuve à laquelle on doit soumettre la machine.

LL'épreuve est, pendant la première moitié du X I X e siècle, considérée comme la mesure la plus impor­tante. Introduite en 1823 pour les machines à haute pression, elle est par la suite étendue aux machines à

basse pression, aux simples chaudières et finalement à tous les accessoires, cylindres et enveloppes. Elle consiste à soumettre la chaudière à une pression hydraulique très supérieure à la pression effective qui ne doit pas être dépassée pendant le service 1. Cette pression maximale est indiquée sur le timbre que lui appose l'ingénieur des mines, lui délivrant ainsi son bon pour le service. On fait alors subir aux chaudières une pression cinq fois plus importantes que la pression maximale de fonctionnement prévue. Prendre une telle marge de sécurité constitue, pense-t-on alors, la meilleure façon de se protéger.

b. L'administration s'assure, au sein même des usines, de l'exécution de ces procédures et de l'applica­tion de la réglementation qu'elle a édictée.

Les machines à vapeur relevant du régime des éta­blissements dangereux et insalubres, l'ingénieur des mines doit procéder à une enquête sur laquelle se base le préfet pour donner son autorisation. Lui, ou le garde-mines qui dépend de son autorité, procède à l'épreuve des machines. Ensuite, selon le décret de 1843, il doit visiter chaque année les installations. Enfin, en cas d'accident, il doit procéder à une enquête et faire un rapport dont les conclusions sont remises à la justice. Il lui sert ainsi d'expert.

c. L'administration forge et gère tout un ensem­ble de statistiques sur le problème. Chaque appareil doit faire l'objet d'une déclaration : l'administration tient un relevé des machines installées. A partir de 1864 parais­sent dans les Annales des Mines les statistiques des acci­dents de machines à vapeur: nombre d'explosions, nombre de victimes et une répartition par type de causes d'accident. Est également publié le résumé sur chaque accident du rapport de l'ingénieur des mines indiquant la nature de l'accident, la nature forme et destination de l'appareil, les circonstances de l'explosion, les suites de l'explosion et les causes présumées de l'explosion. Nous donnons des exemples de ces statistiques dans le tableau 2.

Au total, l'intervention de l'Administration des Mines s'est beaucoup accrue tout au long de la première moitié du X I X e siècle. S'appuyant sur l'idée que la puis­sance publique a pour mission de défendre la sécurité des biens et des personnes, l'administration met en place tout un système pour gérer la sécurité industrielle: normes très précises et très étendues, processus de contrôle, visites de l'administration. La France est ainsi au milieu du X I X e siècle l'exemple type des systèmes à large intervention administrative en matière de sûreté industrielle.

Le système français est à l'opposé de ce qui s'est instauré en Angleterre, le pays où la machine à vapeur s'est répandue le plus tôt et le plus rapidement. Au nom du principe de «l'inviolabilité de la demeure indus­trielle», appliqué strictement, l'administration anglaise n'intervient en rien dans le domaine : non seulement elle n'exerce pas de contrôle à l'intérieur des usines, mais elle n'édicté aucune réglementation sur des normes ou des mesures préventives. Mais parallèlement est affirmé le principe de la responsabilité des industriels avec toutes ses conséquences : 1) il est responsable du bon état de ses chaudières et machines et du choix d'hommes compétents pour les conduire. 2) en cas

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d'explosion, il lui incombe de faire preuve du bon état de ses appareils2.

2. Organisation des industriels et recul de l'inter­vention administrative dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Dans la seconde moitié du X I X e siècle, l'interven­tion administrative va être freinée. Les décrets du 25 janvier 1865 et du 30 avril 1880 introduisent «une réglementation plus libérale ». C'est le désir explicite du ministre de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux Public, Armand Belhic, dans son rapport qui justifie le décret de 1865 3 . La réglementation était devenue trop stricte : étant données les normes de dimensionnement imposées le constructeur «n'a aucune liberté dans le choix des matériaux qu'il emploie, dans l'agencement des pièces...» A quoi bon innover sur la qualité des matériaux par exemple si l'on ne peut diminuer l'épais­seur des tôles... Les dérogations s'étaient multipliées. La législation n'était plus adaptée.

Le décret de 1865 assouplit les contraintes. - L'épreuve est maintenue pour les chaudières,

mais supprimée pour les accessoires. La pression à laquelle elle s'effectue est réduite (au double de la pres­sion maximale de fonctionnement).

- Les machines ne seront plus classées comme éta­blissements dangereux et insalubres. On remplace la procédure compliquée dans ce cas par une simple décla­ration du préfet.

- Les normes de dimensionnement, de nature et d'épaisseur pour les machines sont supprimées : les constructeurs doivent être responsables de leurs choix.

- Les normes de localisation des machines sont assouplies.

- La visite annuelle de l'ingénieur des mines est supprimée.

Le décret de 1880 prévoit que les industriel doivent faire visiter leurs chaudières régulièrement et complè­tement, visite intérieure et extérieure des machines. Mais le décret ne précise pas qui doit faire la visite.

Les avis sont unanimes à l'époque: la première mesure en matière de sécurité, c'est la visite des chau­dières. Elle permet de relever les défauts et les corro­sions... Citons le compte rendu d'un expert écossais qui en parle ainsi :

«Il faut y (à l'épreuve) joindre un examen détaillé de la chaudière même, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, sondant au marteau toutes les feuilles de tôle une à une, ainsi que les armatures intérieures, vérifiant s'il ne s'est pas produit des corrosions en dedans à la hauteur de la ligne d'eau, ou dehors par la fuite de quelques rivets, si des pièces ne sont pas fatiguées par des changements alternatifs de forme dus aux variations de pression et de température4... »

La Commission centrale des machines à vapeur qui constitue le sommet de l'expertise en la matière de l'Administration des Mines et qui conseille le ministre, rend un certain nombre d'avis en ce sens.

La visite extérieure est facile et traditionnelle. La visite intérieure est beaucoup plus nouvelle et contrai­gnante: il faut arrêter la machine, et donc l'usine. De plus, certains agencements de machines la rendent très difficile en exigeant des travaux importants sur la

machine pour ce faire. Qui doit faire la visite ? Le décret précise que ce

doit être quelqu'un de compétent mais il ne désigne per­sonne particulièrement et en décharge en tout cas l'Ad­ministration des Mines. C'est en fait laisser le champ libr aux associations de propriétaires de machines à vapeur qui se développent alors dans le but de faire pro­céder à des inspections périodiques des chaudières de leurs membres par un personnel qualifié.

Ce nouveau dispositif marque une évolution sensi­ble vers le système anglais.

Dans ce pays, pour faire face à leurs responsabilités en matière de sécurité, un certain nombre d'industriels avaient développé des associations, constituant des pôles d'expertise sur lesquels ils peuvent s'appuyer: en 1878, 40 000 chaudières anglaises étaient ainsi sur­veillées 5.

Un certain nombre d'articles paraissent en France à partir de 1860 rendant compte de l'expérience anglaise et encourageant ces associations.

De telles associations se développent en France dans les années 1870. La première est créée en 1867 à Mulhouse, où les industriels se révéleront à l'avant-garde dans plusieurs domaines (il en sera de même en matière d'accidents du travail). D'autres associations se créent, notamment à Paris en 1878. Le rapport fait par M. de Fréminville sur l'organisation et les travaux de l'Association des propriétaires de machines à vapeur à Paris, qui est largement cité dans l'annexe 1, donne un exemple des motivations, des buts et de l'organisation de ces associations.

Ce système paraît alors très intéressant aux indus­triels les plus éclairés. Avec l'Association, ils peuvent s'appuyer sur les services d'un personnel «d'ingénieurs éclairés et de surveillants parfaitement au courant de leur service », en clair, de spécialistes que seules de très grandes entreprises pouvaient avoir à demeure. Jusque-là, les industriels dépendaient entièrement des avis tech­niques de l'administration ou des constructeurs, auxquels ils faisaient naturellement appel quand ils avaient un problème. Mais les constructeurs constituent un milieu assez hétérogène. M. Payen signale l'évolu­tion de la qualification de cette catégorie: «de 1850 à 1900, on peut dire que le constructeur de chaudières cesse d'être un chaudronnier pour devenir un ingénieur-mécanicien 6 ». Il souligne ainsi la technicité croissante de ce métier. Certains avis attirent l'attention sur les défaillances ou le manque de sérieux de constructeurs qui n'ont pas suivi cette évolution, leurs clients en subissant les conséquences. Aussi avec les associa­tions, les industriels se dotent d'un pôle de compétence qui leur est propre. Ils vont l'utiliser dans leurs relations avec les constructeurs de machines : ils s'en servent pour discuter les structures des machines, les devis ou, en cas de problème, la responsabilité éventuelle du construc­teur.

Cependant, les associations sont relativement indépendantes de chaque industriel pris individuel­lement. Ce statut donne une certaine indépendance à l'expert (l'ingénieur de l'association) par rapport à l'in­dustriel qui n'est pas son employeur direct. Cette indé­pendance minimum apparaît vite comme une des garanties efficaces, nécessaires à la légitimité de l'orga-

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nisme chargé de la sécurité. Ce système est encouragé par l'administration. Ainsi, en 1870, la Commission centrale des

machines à vapeur approuve les conclusions d'un rap­port sur les associations volontaires en Angleterre et «émet l'avis que des associations comme celles dont il vient d'être parlé peuvent rendre de très bons services et que leur établissement dans les centres industriels dont l'importance le comporte doit être vu avec faveur et encouragé 7 ».

Lorsqu'il devient de plus en plus évident que, pour la sécurité, il faut encourager la visite intérieure des machines, l'administration préfère encourager les asso­ciations que de prendre en charge elle-même cette nou­velle tâche. C'est le sens du décret de 1880. Elle préfère laisser jouer ces pôles de compétence qui se développent à travers les associations, que de renforcer ses services. Ceux-ci sont d'ailleurs passablement débordés par le développement des épreuves réglementaires, lié au nombre croissant de machines à vapeur en activité (tableau 3).

Les premières associations privées s'étaient déve­loppées au moment où l'administration avait relâché son contrôle, en libéralisant la réglementation en 1865 et en supprimant* la visite annuelle. Après le règlement de 1880 prescrivant une visite intérieure, qui peut même remplacer sous certaines conditions le renouvel­lement d'épreuve, elles connaissent une expansion rapide : on passe de 5 000 chaudières visitées en 1882, à près de 7 0 0 0 en 1885 (tableau 4 ) .

L'Administration en établissant un régime d'auto­risations pour ces associations garde cependant un der­nier contrôle sur cette organisation des industriels.

3. Quelques hypothèses et conclusions. L'étude détaillée des débats ou des réactions (celles

des administrations et des industriels...) qui ont accom­pagné cette évolution des règlements est à faire. Il fau­drait comparer la situation dans ce domaine avec la ges­tion de la sécurité dans d'autres domaines (mines, che­mins de fer ou chimie). Il faudrait voir quelle place tien­nent les questions de sécurité dans l'ensemble des rela­tions entre administrations et industriels au X I X e siè­cle. Il faudrait analyser le lien entre la croissance du pou­voir de l'Administration des Mines et celle du contrôle en matière de sécurité.

Donnons quelques premières conclusions et hypo­thèses :

- L'Administration des Mines va appliquer à cette nouvelle mission, le contrôle des appareils à vapeur, la même organisation qu'elle avait mise au point pour le contrôle de l'industrie minière : déclaration de chaque accident, enquête et rapport de l'ingénieur des mines, établissement de statistiques globales.

- Le plus important est peut-être que non seule­ment elle édicté des normes et des règlements déplus en plus précis, mais qu'elle entre physiquement dans les établissements pour les faire appliquer. Et ce en de mul­tiples occasions : au moment de l'enquête préalable à l'établissement, de l'épreuve, de la visite annuelle ou après un accident. Cette incursion peut concerner n'im­porte quel type d'établissement et non plus seulement certains secteurs particuliers comme les mines. Elle intéresse un nombre croissant d'établissements au fur et

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SUITES EXTRAORDINAIRES DUNE EXPLOSION DE CHAUDIÈRE

Beaucoup de personnes fuient avec le plus grand soin les maisons où sont installées des machines à vapeur: les accidents sont rares il est vrai, mais enfin ils arrivent et en cette vie si fragile on ne saurait trop se garer, pensent-elles, de toutes les chances d'aventures. Mais combien y en a-t-il, même parmi les plus timorées, qui ne soient complètement rassurées quand elles se savent séparées d'un appareil de ce genre, par plusieurs rues, plusieurs pâtés de solides et hautes maisons et par conséquent par un nombre respectable de murs de refend?

Nous serions fâchés de troubler leur quiétude, mais nous ne saurions passer sous silence un accident produit par l'explosion d'une chaudière, arrivé à New York au mois de juillet dernier, et à la suite duquel cette chaudière est allée tomber dans une cour à plus de 140 mètres de son point de départ.

Nous connaissons déjà un accident de même genre qui s'est produit à Orléans au commencement de 1884 ; la chaudière d'une machine de vidange s'arrachant de sa base est allée tomber à 55 mètres de là dans une impasse, heureusement non fréquentée en ce moment, en passant pardessus une maison voisine; mais si curieux que soient les faits qui se sont passés à Orléans, ceux du mois de juillet à New York le sont encore plus et par la manière dont ils se sont accomplis et par leurs proportions ; on fait toujours grand en Amérique.

Une chaudière verticale du poids de 2000 kilogrammes placée dans la cour d'une maison, sous une légère construction couverte en tôle ondulée, a fait explosion le 16 juillet, défonçant le ciel de son foyer et arrachant tous les boulons de sa base; le corps tout entier, s'ouvrant un passage dans la toiture qui la recouvrait, s'est élevé presque perpendiculairement, puis, à 12 mètres environ, rencontrant le mur de la maison, il l'a crevé et rebondissant presque à angle droit sous l'effet de ce choc, il a décrit une trajectoire extrêmement tendue dont le point culmi­nant a atteint environ 60 mètres pour aller retomber dans la cour d'une maison à 140 mètres de là, après avoir franchi deux larges rues et cinq pâtés de hautes maisons.

Pour expliquer cette course extraordinaire, on estime que la vapeur encore contenue dans la chaudière a agi par réaction en s'échappant, transformant ce lourd projectile en une véritable fusée volante; on en verrait la preuve dans le nuage qu'il a laissé comme une traînée derrière lui; cet échappement prolongé est difficile à admettre.

Par une heureuse chance, dont tous les voisins de cette chaudière ont dû remercier la Providence, tout s'est passé sans accident de personnes ni au départ ni à l'arrivée. On frémit en pensant au désastre qui se serait produit si cette masse énorme de 2000 kilogrammes était tombée sur le toit d'une maison habitée. Le départ ne se serait pas fait non plus sans accident si l'atelier dont dépendait l'appareil n'avait pas été abandonné à ce moment. En effet, et ce n'est pas là le moins curieux, on l'avait quitté depuis deux heures après avoir mis bas les feux, la porte du foyer restant ouverte. On suppose qu'une personne distraite aura refermé cette porte, que le feu aura repris, et que la pression montant toujours, l'explosion s'est produite, d'autant plus violente que cette chaudière visitée récemment avait été reconnue en très bon état.

Décidément, l'industrie moderne qui rend si faciles les choses de la vie, nous offre aussi les chances les plus inattendues de la quitter. Elle joint donc à mille autres avantages, celui d'inspirer, par de continuelles aventures de ce genre, les plus salutaires pensées ; c'est un point de vue que nous livrons aux méditations de nos lecteurs.

B. B.

Source: Cosmos, revue des sciences et de leurs applications, 15 octobre 1887.

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Le chemin dans l'espace

Les suites de l'explosion d'une chaudière. Extrait de Cosmos. 15 octobre 1887.

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à mesure de la diffusion rapide de la machine à vapeur. C'est probablement la première fois que l'administra­tion entre ainsi physiquement et de façon régulière dans les établissements industriels.

- On peut faire l'hypothèse que cette mission a constitué un des lieux clés de l'extension du pouvoir de l'Administration des Mines et de l'influence du corps des ingénieurs des mines. Grâce à elle, ils sortent de leur sec­teur particulier, les mines. Ils renforcent leur compé­tence en matière de législation industrielle, de droit du travail et de connaissance des problèmes industriels en général. Cela va les conduire à devenir les principaux conseillers du préfet non seulement dans le domaine de l'hygiène et de la sécurité, mais pour l'ensemble des questions industrielles8.

- C'est aussi à l'occasion des contacts réguliers qu'ils doivent avoir avec les industriels au sujet des machines à vapeur que les ingénieurs des mines ont éta­bli des relations avec les industriels, développant les premières mailles d'un réseau. Celui-ci se solidifiera à la fin du siècle lorsque les ingénieurs des mines rentreront de plus en plus nombreux dans l'industrie, non seule­ment dans les mines mais dans les secteurs les plus divers (sidérurgie...)9.

- C'est surtout dans cette influence croissante auprès des autorités et des industriels qu'il faut voir le développement du pouvoir de l'Administration des Mines, plutôt que dans son importance numérique. Néanmoins le nombre des ingénieurs des mines croît entre 1830 et la fin du siècle, comme augmente celui de leurs subordonnés les gardes-mines (qui deviennent contrôleurs des mines en 1890, puis qui obtiennent le titre d'ingénieurs avec la création des Ingénieurs des Travaux Publics de l'Etat en 1920 1 0 ) .

- L'administration des Mines est très tôt une administration statisticienne: les séries statistiques qu'elle construit et qu'elle publie dans les «Comptes rendus des travaux des ingénieurs des mines» qui deviennent en 1847 les «statistiques de l'industrie minérale», sont tout à fait impressionnantes. Dans tous les domaines relevant de sa compétence, l'Administra­tion des Mines a organisé la collecte systématique des données par les ingénieurs des mines à l'échelon local, puis leur sommation annuelle. C'est ainsi qu'elle forge sur les machines à vapeur, et notamment sur les acci­dents qu'elles occasionnent, des statistiques détaillées.

A travers la construction de séries statistiques sur les accidents de machines à vapeur, elle élabore sa pro­pre représentation, sa propre définition du risque. Le risque n'est plus seulement illustré par des accidents locaux avec tout un ensemble de circonstances locales très diverses qui font apparaître chaque accident comme différent des autres. C'est, par exemple, la mission de la justice que de reconstituer ces circonstances locales dans leur complexité, pour statuer sur les responsabilités. Le travail de l'Administration des Mines va être de passer de cet événement local à des grandeurs nationales après tout un travail de catégorisation, de comptabilisation, et de sommation. Ce risque devient alors un élément que l'on peut mesurer par un agrégat national (le nombre d'explosions, le nombre de victimes), croiser par quel­ques paramètres en nombre limité (le type de la chau­dière et la cause de l'accident...), et sur lequel on tente

d'influer par des réglementations. Ces statistiques lui sont un outil essentiel pour

orienter et légitimer son action. Donnons-en un exem­ple : la « répartition d'après les causes qui ont occasionné les accidents» fait apparaître un plus grand nombre d'accidents dus à des défauts de surveillance et d'entre­tien qu'à des vices de construction. Or, de fait, les régle­mentations de 1868 et de 1880 allégeront les normes sur la construction des machines, mais insisteront sur les procédures de surveillance et d'entretien (introduction de la visite intérieure obligatoire des machines, cf. ci-dessus).

- Le type de procédures de sécurité sur lesquelles on s'appuie évolue beaucoup pendant la période. Alors que dans la première moitié du X I X e siècle, on insiste sur l'épreuve, dans la seconde moitié, on insiste sur la visite intérieure de la machine. Avec l'épreuve, on raisonne en terme de marge de sécurité. Faute de bien maîtriser l'analyse des phénomènes qui peuvent conduire à l'accident et de posséder des indicateurs sur les états dangereux, on fait subir à la machine une expé­rience initiale, l '«épreuve». Si la machine résiste à de telles conditions (une pression cinq fois supérieure à la pression normale) elle peut résister à toutes les situa­tions. Imposer la visite intérieure de la machine exige un niveau de connaissances techniques plus poussé et surtout un corps de spécialistes beaucoup plus important : des personnes qui soient capables d'inter­préter la physionomie intérieure de la machine, de déchiffrer les signes qu'elle présente. Par ailleurs, ce n'est plus une épreuve initiatique unique (ou tout au plus répétée tous les dix ans), mais un contrôle continu (au minimum annuel) de la machine capable de saisir son évolution, son vieillissement... De fait, l'épreuve est une procédure qui correspond plus à la compétence de l'ad­ministration : si les ingénieurs des mines peuvent sui­vre un protocole d'expérience, ils ne sont pas assez spé­cialistes des machines à vapeur pour intervenir lors des la visite.

Le type de mesures de sécurité évolue avec le type de spécialistes que l'on charge du problème ou que l'on développe pour s'en charger.

- On voit se dessiner sur la question des machines à vapeur les deux structures extrêmes qui deviendront classiques dans les débats sur le partage de compétences en matière de sécurité: d'un côté, la responsabilité entière des industriels ; de l'autre, celle de l'administra­tion qui, de par sa mission de Service Public, édicté des normes et les fait respecter.

Le système français qui se constitue pendant la première moitié du X I X e siècle selon le deuxième type, évolue pendant la seconde moitié vers une solution mixte. La stratégie des industriels n'y est pas pour rien. Ils savent alors reprendre l'initiative en édifiant des organisations, par lesquelles ils se dotent d'une compétence technique nouvelle qu'ils vont développer. Par ailleurs, cette évolution va dans le sens du libéralisme économique grandissant du second Empire.

- Le bilan de ces interventions en terme de nombre d'accidents reste à faire. Avant 1864, on ne dis­pose pas de statistiques sur le nombre d'explosions. Les statistiques sur la période 1864-1885 montrent une sta­bilité du taux d'explosion (nombre d'explosions par

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nombre de machines à vapeur). Si le taux est assez varia­ble d une année à l'autre, la moyenne ne varie guère entre le début et la fin de la période, autour de 5,5 explo­sions par an pour 10000 machines (tableau 1). L'ana­lyse serait à poursuivre sur la longue période, notam­ment pour étudier comment la prise en charge à partir de 1880 de la sécurité par les spécialistes des associa­tions s'est traduite au début du X X e siècle au niveau du taux d'accidents.

IL LES CAUSES D'ACCIDENTS : OUVRIERS ET PATRONS FACE AU RISQUE.

Il est intéressant de s'arrêter sur la classification des causes d'accidents que proposent les contemporains (cf. Les statistiques des ingénieurs des mines, ou le manuel de T. Cuvillier). Ils distinguent:

1. Les vices de construction ou d'installation, qui tiennent à la mauvaise qualité des matériaux employés ou à des «dispositions vicieuses». Ce type de causes désigne assez directement les constructeurs de machines.

2. Les défauts d'entretien : «l'usure ou la détério­ration naturelle du métal constituant les parois d'un générateur» doit être repérée par la surveillance des visites. Comme le dit Cuvillier, «les diverses causes de cette usure intéressent particulièrement les chauffeurs et surtout leurs patrons, car elles engagent nettement, en cas d'explosion, leur responsabilité si leur négligence à ce sujet vient à être démontrée 1 1 ».

3. Le mauvais emploi des appareils où les chauf­feurs sont directement mis en cause.

4. Enfin viennent les causes fortuites ou indéter­minées, c'est-à-dire tous les accidents où on n'a pas pu déterminer de cause et de responsabilité.

Le tableau ci-dessous donne la répartition des acci­dents par cause présumée à vingt ans d'intervalle.

En vingt ans, l'administration a beaucoup affiné sa nomenclature des causes.

La façon dont l'ingénieur des mines étiquette les causes d'un accident donné, le faisant entrer dans les nomenclatures, désigne de fait un responsable principal parmi les trois acteurs qui peuvent être mis en cause : ouvriers, patrons et constructeurs. A chaque accident la justice doit désigner ceux qui supportent les charges financières ou plus exactement ce que le patron doit supporter, l'ouvrier étant en général insolvable. Et il faut alors déterminer les fautes commises et notam­ment ce qui relève de l'autorité hiérarchique de l'indus­triel qui a un devoir général d'assurer la sécurité. En cas de faute de l'employé, la justice doit dire dans quelle mesure la responsabilité civile de l'industriel est enga­gée : elle l'est très généralement à l'égard des tiers.

Nous allons examiner deux situations qui parais­sent assez représentatives des accidents de l'époque.

1. L'alimentation en eau de la chaudière : le quo­tidien du chauffeur.

Dans son manuel qui fait autorité, à la fin du X I X e siècle, T. Cuvillier décrit ainsi une situation type

Répartition des accidents d'après les causes présumées

1871

Défaut de surveillance ou négligence des propriétaires et des agents chargés de l'entretien ou de la conduite de l'appareil 7 Vices de construction 3 Circonstances fortuites 2 Cause indéterminée 1

1891

1. Conditions défectueuses d'établissement : - Dispositions vicieuses.

• Couvercles ou fond de récipients trop faibles 3 • Dispositions de chaudières ne permettant pas un nettoyage complet d'où défaut de circulation ou entartre-ment, et surchauffe 2 • Tubes à fumée trop minces .... 1

- Matériaux mauvais ou mal fabriqués.

• Tubes bouilleurs ayant un défaut de soudure .... 1

fissuré de fabrication 1 • Mauvaise qualité des tôles d'un

corps de chaudière 1 Total 9

2 . Conditions défectueuses d'entretien : - Corrosion.

• extérieure ayant amené directe­ment l'accident 5

• extérieures ayant produit une vidange, d'où surchauffe par manque d'eau 1

• intérieures 3 - Surchauffe par l'effet des dépôts 2 - Tamponnage vicieux d'un tube 1 - Défaut d'entretien autres ou non précisés 2

Total 14

3. Mauvais emploi des appareils: - Manque d'eau.

• par défaut d'alimentation 6 • par vidange de la chaudière ... 2 • (par vidange de la chaudière ?) 1

- Excès de pression 5 Total 14

qui peut dégénérer en accident : «Il n'arrive que trop fréquemment que le chauf­

feur ayant laissé s'abaisser le niveau de l'eau dans sa chaudière et prévoyant le résultat de sa négligence, c'est-à-dire un arrêt plus ou moins long dans le fonc­tionnement de l'usine cherche à dissimuler sa faute ou, du moins, à en atténuer les effets. Sans se préoccuper si l'appareil ainsi privé d'eau a rougi en une partie quel­conque de ses parois, il se précipite sur la pompe d'ali­mentation et en ouvre le robinet.

«Si l'eau injectée vient à toucher une paroi portée au rouge, un dégagement énorme de vapeur se produit instantanément et suivant un volume tel que la résis­tance du métal se trouve subitement vaincue, et la chau­dière éclate avec une violence inouïe 1 2 .»

Lorsque le niveau d'eau a beaucoup baissé, le chauffeur se trouve face à un dilemme épineux : soit il réalimente en eau et, s'il a toute chance que la situation se rétablisse sans que l'usine s'arrête, il s'expose au ris­que majeur : l'explosion ; soit il n'alimente plus, mais la baisse ou l'arrêt de l'activité de l'usine le désignera im­médiatement aux questions et souvent aux reproches ou sanctions du patron.

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DOCUMENT 2

RAPPORT FAIT PAR M. DE FRÉMINVILLE, SUR L'ORGANISA­TION ET LES TRAVAUX DE L'ASSOCIATION DES PROPRIÉ­

TAIRES D'APPAREILS A VAPEUR A PARIS

Messieurs, il y a un peu plus de trois ans qu'un groupe d'honorables industriels parisiens a conçu et réalisé la pensée de former une associa­tion de propriétaires d'appareils à vapeur, dans le but d'aviser aux moyens de prévenir, autant que possible, les explosions de machines à vapeur et les funestes accidents qui en sont la conséquence, et aussi de rechercher les procédés propres à réaliser la production économique de la vapeur et son meilleur emploi comme force motrice.

Des associations analogues existent depuis longtemps en Angleterre et, depuis une époque plus récente, sur quelques points de la France; partout les résultats qu'elles ont donnés, au point de vue de l'intérêt général, ont été considérables, et, l'on pouvait s'étonner à bon droit que l'industrie parisienne, qui fait si largement usage des moteurs à vapeur, n'eût pas encore à sa disposition un élément de sécurité et de succès si important et que les autres grands centres manufacturiers sont parvenus à créer depuis longtemps.

L'association parisienne est actuellement constitué; elle possède un personnel d'ingénieurs éclairés et de surveillants parfaitement au courant de leur service, et les industriels qui en font partie ont déjà eu grandement à se louer de leur concours. Elle n'est encore, il est vrai, qu'à son début et l'on ne sera en mesure d'apprécier complètement les résultats qu'elle peut donner qu'après qu'elle aura acquis son dévelop­pement normal et que son champ d'investigations aura reçu l'étendue nécessaire; mais, dès à présent, on peut, sans crainte de mécompte, affirmer que ces résultats seront de la même nature et de la même impor­tance que ceux qui ont été donnés par les associations déjà existantes, et qui ont acquis une notoriété considérable dans le monde industriel. Nous citerons par exemple : en Angleterre : The Manchester steam user asso­ciation, fondée en 1854; Boiler insurance and steam power C°; The National boiler insurance; The Midland boiler inspection and insurance; The Yorkshire boiler and steam user C°, etc., etc.

La faveur dont jouissent ces différentes compagnies sera caracté­risée par ce seul fait que leur surveillance s'exerce sur plus de 40 000 chaudières à vapeur.

En France, la plus ancienne association a été créée à Mulhouse en 1867: elle possède actuellement plus de 1000 chaudières; d'autres ont pris naissance successivement, à Lille, à Rouen, à Amiens, à Paris et à Lyon et sont en voie de rapide développement.

La Belgique, l'Autriche, la Suisse et l'Allemagne comptent égale­ment un grand nombre d'associations, mais toutes de création%

relativement récente. Toutes ces associations ont le même objectif : 1° Prévenir, par des visites périodiques, les accidents et les

explosions de machines à vapeur. 2° Faire réaliser à leur membres des économies dans la production

et l'emploi de la vapeur. Nous donnerons, d'ailleurs, une idée plus exacte du but que se

propose l'Association parisienne et des moyens qu'elle emploie pour y parvenir, en reproduisant ici un extrait de ses statuts, qui nous paraissent conçus dans un excellent esprit :

Art. III. «... L'Association divise les travaux dont elle est appelée à s'occuper

en deux services; le service ordinaire et le service extraordinaire. «1° Le service ordinaire, auquel ont droit sans rétribution spéciale

tous les membres de l'association, comprend les visites des chaudières et du moteur.

« Les visites des chaudières sont au nombre de deux par chaudière et par année.

« L'une est extérieure et consiste dans l'inspection de toutes les par­ties visibles, des appareils de sûreté et d'alimentation, et enfin de la conduite des feux.

«La seconde, dont l'importance est capitale au point de vue de la sécurité, est antérieure et ne peut avoir lieu qu'à l'époque du nettoyage, à la convenance du propriétaire et sur une demande écrite adressée au directeur de l'Association au moins huit jours à l'avance.

«... Cette visite consiste dans une inspection complète des carnaux, de la chaudière et de ses accessoires, permettant de découvrir tous les vices cachés qui, laissés inaperçus, peuvent donner lieu à des accidents graves.

«La visite sommaire des moteurs se fait pendant leur marche, lors de la visite extérieure des chaudières et peut donner lieu à une appréciation générale.

«Le propriétaire, qui a une machine complètement disposée de façon qu'un essai à l'indicateur de Watt puisse être exécuté rapidement,

peut, après la visite extérieure ordinaire des chaudières, demander qu'il soit relevé deux diagrammes, dont la lecture permette de juger le règlement de la machine.

«... A la suite de chaque visite, tant extérieure qu'intérieure, le directeur de l'Association adresse au propriétaire un rapport détaillé sur l'état de la chaudière, et sommaire sur l'état du moteur inspecté.

«2° Le service extraordinaire comprend: « Visites supplémentaires ; «Essai sur le rendement des chaudières ; « Essais à l'indicateur Watt, sur la marche, la puissance et le rende­

ment des moteurs, transmissions et outils ; «Analyses d'eau et de combustibles ; «Leçons de chauffage et conduites de machines ; «Reconnaissance, chez les constructeurs, des tôles des chaudières

commandées ; «Etudes et devis d'installation, dessins de chaudières, etc., etc. « Tous ces travaux pourront être exécutés sur la demande d'un

membre de l'Association et donneront lieu aune rétribution déterminée, d'après un tarif établi par le Conseil d'administration.

Art. V. « Le directeur de l'Association est à la disposition de tous ceux de ces

membres qui auraient besoin de ces conseils soit pour l'établissement d'appareils à vapeur, soit pour leur modification ou leur réparation et, en un mot, pour toutes les questions de sa compétence.

«... L'Association s'efforcera de réunir, pour les mettre à la disposi­tion de ses membres, la plus grande somme possible de renseignements sur les appareils à vapeur.

« En cas d'explosion d'une chaudière appartenant à un membre de l'Association, le propriétaire pourra appeler le directeur qui se mettra gratuitement à sa disposition pour l'assister lors de l'enquête sur les causes du sinistre.

Art. VI. «L'Association cherchera, par ses conseils et sa surveillance, à

améliorer le personnel des chauffeurs. Aussitôt que ses ressources le lui permettront, elle organisera pour eux des concours, à la suite desquels il sera décerné des prix et des diplômes...

Art. VII. «... Toute modification ou réparation importante des appareils à

vapeur sera, dans l'intérêt de l'industriel lui-même, signalée au directeur de l'Association, avant leur mise en marche.

«Lorsque, à la suite d'une visite, il sera jugé nécessaire, dans l'inté­rêt de la sécurité d'appareils existants, soit de les soumettre à un essai à la presse hydraulique, soit de les modifier ou de les réparer, le directeur en avertira, par lettre, le propriétaire de l'appareil. »

Ce résumé des statuts de l'Association montre clairement quel est son but et suffit assurément pour donner la conviction que l'on doit en attendre les meilleurs effets. Mais nous avons, sur ce point, mieux que des conjectures, et nous sommes en droit de baser notre opinion sur les résultats acquis par les Associations anglaises les plus importantes, dont l'organisation a servi de modèle à l'Association parisienne.

D'après un relevé fait sur la statistique officielle par M. Master, ingénieur en chef du Midland steam boiler insurance, les explosions sur­venues en Angleterre, du 30 juin 1866 au 30 juin 1870, et pendant l'exercice 1875-1876peuvent être classées de la manière suivante:

1875-76 1866-67-68-69-70

Nbn Morts Blessés Nbn Morts Blessés

1) Défaut de construction 20 31 25 95 128 167

2) Corrosions extérieures ou intérieures 34 47 111 62 105 185

3) Appareils de sûreté en mauvais état, manque d'eau, excès de pression, incrustations, dépôts .. 50 93 116 54 79 84

4) Causes inconnues 3 3 8 3 14

Aucun des appareils sus-mentionnés n'appartenaient aux Associa­tions. Le nombre total des explosions s'élève à 326, dont 211, soit 64 pour 100, appartiennent aux deux premières classes, et auraient pu être évitées, au moins en partie, par des visites antérieures périodiques, exé­cutées par des agents expérimentés, puisqu'elles proviennent de défauts de construction, ou de corrosions intérieures survenues pendant la marche.

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104, soit 32 pour 100, auraient pu être évitées partiellement, par une surveillance plus active des ouvriers chargés de la conduite des générateurs et, spécialement, par la mise en état des appareils de sûreté.

11 explosions seulement, soit 3,4 pour 100, sont restées sans explication et seraient peut-être survenues, malgré la surveillance la plus complète et la plus éclairée.

En tout cas, il est hors de doute que les explosions des trois premières catégories proviennent, en grande partie, d'une insuffisance dans la surveillance générale des appareils, et il est logique d'en inférer que les explosions seront beaucoup plus rares dans les chaudières appar­tenant aux membres de l'Association, puisque ces dernières seront mieux surveillées et mieux entretenues.

Cette conclusion est, d'ailleurs, justifiée par les faits : En Angleterre, la moyenne des explosions, par an, est de 1 sur

2000 générateurs, en tablant sur la totalité des appareils fonctionnant dans le Royaume-Uni.

Mais, si l'on examine les appareils appartenant aux deux associa­tions les plus anciennes et dont les opérations présentent le plus d'exten­sion, on trouve :

Pour The Manchester steam user (1864), une explosion pour 6500 chaudières.

Pour The Boiler insurance (1859), une explosion pour 6845 chaudières.

Ces chiffres sont assez éloquents par eux-mêmes pour se passer de tout commentaire et démontrent, de la manière la plus évidente, qu'à ne considérer les associations qu'à leur point de vue le plus élevé, à ce que l'on peut appeler le point de vue humanitaire, leur premier résultat est de diminuer, dans une proportion considérable, les explosions et les désastres qui en sont toujours la conséquence.

La statistique française conduit à des conclusions analogues, au moins en ce qui concerne la proportion des explosions qui pourraient être atténuées par une surveillance active et, sans avoir l'ampleur du chiffre de la statistique anglaise, les nôtres n'en ont pas moins, malheu­reusement, leur triste éloquence.

Les explosions survenues de 1868 à 1872, inclusivement, se répar­tissent de la manière suivante :

Nbre Morts Blessés

1) Vices de construction, mauvaises réparations 15 14 25

2) Mauvais état des tôles, corrosions 18 21 15

3) Appareils de sûreté, excès de pression, manque d'eau, négligence des chauffeurs 32 35 44

4) Inexpliquées 10 9 11

75 79 95

Sur 75 explosions, 10 seulement, soit 13,4 pour 100, ne sont attri-buables à aucune cause connue; par conséquent, les 65 autres, soit 86 pour 100, auraient pu être prévenues, dans une large mesure, par une ins­pection rigoureuse, provenant de l'initiative privée.

Il y a lieu d'observer qu'en France, les appareils à vapeur sont déjà soumis, de la part de l'Administration, à une surveillance générale dévolue au corps des ingénieurs des mines; mais, surtout depuis la mise en vigueur du décret de 1865, cette surveillance ne s'exerce que dans une proportion restreinte et ne comprend plus les visites annuelles pres­crites par l'ordonnance de 1843, qui seules pouvaient donner aux indus­triels une sécurité relative, en les dégageant, au moins en partie, de la responsabilité qui leur incombe en cas de sinistre.

La nécessité d'une surveillance active et éclairée des appareils à vapeur est donc surabondamment démontrée; mais, si quelques industriels possèdent, par suite même de la nature de leurs travaux, tous les moyens nécessaires, en personnel et en matériel, pour exercer les visi­tes de leurs générateurs, ils ne représentent qu'une rare exception, et encore même, quand ils se trouvent dans ce cas exceptionnel, les préoc­cupations incessantes d'une grande exploitation leur lais seront-elle s la liberté d'esprit nécessaire pour veiller à la stricte exécution d'ordres de service établis dans un moment de calme relatif, et dont on sera trop disposé à se relâcher dans une période de presse, où toutes les forces vives de l'usine suffiront àpeine à l'accomplissement des commandes ? En tout état de cause, des surveillants indépendants du fonctionnement général de l'établissement seraient des auxiliaires précieux, même pour les ate­liers les plus spéciaux pour la fabrication des appareils à vapeur. C'est d'ailleurs, ce qui commence à être compris, car nous voyons, dans beau­coup d'associations, figurer les noms les plus considérables parmi les constructeurs de machines.

Mais, si l'utilité de l'Association est manifeste, même pour les hommes spéciaux, à plus forte raison l'est-elle pour l'immense majorité des chefs d'établissements qui font usage de force motrice et qui ne possèdent pas dans leur personnel des agents compétents pour recon­naître les défectuosités de leurs générateurs à vapeur, ou pour diriger le fonctionnement économique de la machine. Ces industriels en sont alors réduits aux indications des chauffeurs ou mécaniciens, dont l'insuffisance en pareille matière est malheureusement trop notoire.

Si le fonctionnement régulier de l'Association paraît assurer son but le plus élevé, c'est-à-dire de prévenir les explosions de chaudières et de ménager la vie si précieuse des travailleurs, il atteint aussi, presque accessoirement, et en quelque sorte par la force des choses, un but, qui présente un double intérêt, un intérêt économique pour les membres de l'Association qui font usage des machines, et un intérêt scientifique, dont tout le public industriel ne manquera pas de faire son profit.

En effet, tous les documents rassemblés dans les expériences de toute nature exécutées sur les machines, les générateurs et les combusti­bles les plus variés, centralisés parles soins du directeur de l'Association, constituent des archives inestimables, où les termes de comparaison, convenablement groupés, ne peuvent pas manquer de mettre sur la voie du progrès.

L'Association parisienne a déjà publié trois Bulletins, où figurent les observations les plus intéressantes qu'elle a recueillies pendant les premières années de son existence, et a ainsi donné la mesure de ce que l'on peut en attendre dans un avenir prochain.

En outre, tous les ans, les différentes associations françaises se réu­nissent en un congrès où l'on discute les résultats obtenus, où l'on exa­mine les faits d'expérience les plus intéressants, et enfin où l'on met à l'étude toutes les questions qui intéressent le progrès de la machine à vapeur.

De tels agissements ne peuvent qu'attirer toute la sympathie de la Société d'encouragement, et votre Comité a l'honneur de proposer au Conseil de remercier M. Maurice Jourdain, directeur de l'Association parisienne de propriétaires de machines à vapeur, des communications qu'il a bien voulu faire à la Société et d'insérer le présent rapport au Bulletin.

A. de Fréminville, rapporteur.

Source: Bulletin de la Société d'Encouragement pour l'industrie nationale, septembre 1878.

Pour Cuvillier, ces fautes commises dans la conduite des appareils à vapeur sont «les causes fré­quentes d'explosions 1 3 ». Ce n'est pas ce que relèvent les statistiques par causes de l'Administration des Mines, qui n'attribuent au «mauvais emploi des appareils » que quatorze accidents sur trente-sept en 1891 par exemple (cf. Tableau ci-dessus). Mais cette opinion est révélatrice de tensions. Lorsqu'il y a accident, le premier accusé est souvent l'ouvrier, dont on met en cause la négligence.

Ce type de situation attire l'attention sur la per­sonne du chauffeur. Cuvillier, dans son manuel, recom­mande aux patrons de le payer suffisamment pour qu'il ne soit pas préoccupé de choses extérieures à son travail comme nourrir sa famille, et de ne pas l'envoyer faire les courses pour récupérer le plus possible du maigre salaire alloué.

A écouter ces recommandations, la situation du chauffeur ne paraît pas très reluisante à la fin du X I X e siècle : mal payé et sans qualification, il est celui qu'on emploie à toutes les tâches.

Cuvillier commence ainsi à associer le problème du risque et de la sécurité à celui de la qualification du per­sonnel.

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2. Choix, entretien, cadence des machines : la res­ponsabilité du patron.

Notre deuxième exemple est illustré par le rapport fait à propos de l'explosion d'une chaudière verticale aux forges d'Eurville (Haute-Marne), rapport qui est large­ment reproduit en annexe.

C'est l'histoire d'un accident très grave puisqu'il avait fait une cinquantaine de victimes. Le rapport mettait en cause en premier lieu la mauvaise disposi­tion des appareils : la chaudière était chauffée par les flammes perdues des fours métallurgiques, et les précau­tions recommandées dans ce cas, à la suite d'un certain nombre d'accidents liés à cette configuration, n'avaient pas été prises à Eurville. Le rapport incriminait en second lieu le mauvais emploi de la chaudière qui était conti­nuellement surmenée. Enfin, la direction n'avait guère pris en compte les nombreux incidents et fuites qui avaient précédé l'explosion.

Cet accident pose plusieurs problèmes tradition­nels en matière de sécurité.

a. Le problème de l'étendue de l'intervention administrative en matière de réglementation. En l'oc­currence, la cause première reconnue par le rapport est la non-observation d'un certain nombre de précautions dans une certaine configuration de machines. Or, ce danger était bien connu en raison des accidents déjà sur­venus, et les solutions techniques avaient été explicitées. Le rapport note que l'accident ne pose aucun problème technique nouveau. La cause et les palliatifs sont connus, mais ces derniers n'ont pas été mis en application. D'où la question : devait-on les rendre obligatoires ? Jusque-là, l'administration n'avait fait que des recommanda­tions, soit par le biais de la publication d'avis dans les Annales des Mines soit par le biais d'informations direc­tes auprès des propriétaires de machines dans le même cas. La question est reposée. De tels accidents justifient-ils que l'administration ne se borne pas à des recomman­dations dont l'expérience montre qu'elles ne sont pas toujours suivies, ou doit-elle les rendre obligatoires par la réglementation ? Mais alors, jusqu'où aller dans cette réglementation ?

b. La deuxième question tourne autour des rela­tions entre patrons et ouvriers à propos des questions de risque et de sécurité. Il y a une proximité naturelle de l'ouvrier aux risques : c'est lui qui est le premier exposé. Il en a une certaine représentation et tout un ensemble de savoirs sur les conditions de fonctionnement des machines, sur les signes de dysfonctionnement qui peu­vent alerter sur une situation qui devient dangereuse.

Lorsque le fonctionnement d'une machine à vapeur devient anormal et que l'on pressent le danger, un des points cruciaux est le pouvoir de jeter bas les feux avec comme conséquence le fait de ralentir ou d'arrêter l'activité de l'usine. Ce point revient dans les deux situa­tions types d'accidents évoquées. Dans l'accident d'Eureville, devant la situation qui empire, ni le chauf­feur ni même le contremaître mécanicien n'osent prendre sur eux de jeter bas les feux. Ils appellent un directeur. On est en pleine nuit et la chaudière explose une demi-heure plus tard, avant que ce dernier n'arrive.

On voit sur cet exemple que, même dans une situa­tion qui paraît manifestement dangereuse, ouvriers et

contremaîtres n'osent prendre l'initiative. C'est bien le signe d'une tension fréquente au sein de l'usine où les industriels comme les ouvriers se représentent les ini­tiatives en matière de sécurité comme pouvant aller à l'encontre de la marche de l'usine. Juger du degré de ris­que d'une situation ou de l'opportunité de mesures de sécurité mettent en cause, par excellence, des évalua­tions et des arbitrages : ils sont donc vécus au X I X e siè­cle comme un des lieux importants du pouvoir dans l'entreprise. Ouvriers et patrons le sentent bien. Les procédures qui organisent la sécurité sont alors exclusivement l'affaire des industriels et, dans le cas français, de l'administration. Les ouvriers ne sont pas du tout associés aux procédures prévues par la réglementa­tion : nul Comité d'Hygiène et de Sécurité. Il faudrait étudier la reconnaissance progressive de la légitimité de l'intervention des ouvriers en la matière, et notamment du rôle des syndicats sur cette question.

III. QUELLES MESURES TECHNIQUES ?

Tout au long du X I X e siècle, constructeurs, indus­triels et administrations débattent des mesures techni­ques à prendre pour assurer la sécurité. Une étude importante est à faire sur la façon dont ces débats sur la sécurité se sont concrétisés dans des mesures techniques de sécurité (normes, appareils de mesure) et, de façon plus générale, ont fait évoluer la structure même des appareils à vapeur du X I X e : il faudrait restituer quelles sont les demandes des industriels en la matière, les pro­positions des constructeurs, les exigences réglementai­res de l'administration.

Nous allons illustrer cette voie de recherche par quelques éléments et exemples.

1. Dès 1829, la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale promet deux prix de 12 000 francs sur les thèmes suivants :

«L'un pour celui qui perfectionnera et complétera les moyens de sûreté qui ont été employés ou proposés jusqu'ici contre les explosions de machines à vapeur et des chaudières de vaporisation, ou qui en indiquera de meilleurs.

«L'autre pour celui qui trouvera une forme et une construction de chaudières qui prévienne ou qui annule tout danger d'explosion 1 4.»

Cette société comptait parmi les plus réputées au X I X e . Les thèmes qu'elle met au concours constituent, tout au long du siècle, un bon indicateur des problèmes que les industriels rencontraient dans leur activité, et qu'ils désignaient ainsi à l'attention des innovateurs pour rechercher une solution technique, économique­ment intéressante. On voit donc que, dès 1829, la sécu­rité des machines à vapeur fait partie de leurs préoc­cupations.

2. On trouve dans les journaux de l'époque (Bul­letin de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale, Annales des Mines...) toute une série d'arti­cles mentionnant des dispositifs techniques favorables à la sécurité, ou exposant les mérites «des chaudières inexplosives » (nom souvent donné à un type de chau­dières, dites à tubes d'eau, qui se développe à la fin

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X I X e siècle)... 3. Nous allons donner l'exemple d'un débat qui, à

propos d'un problème très pratique et traditionnel dans l'usage des appareils à vapeur, prend la forme d'une controverse technico-scientifique assez passionnée.

La situation est la suivante : le niveau d'eau a baissé en dessous de la normale, on peut redouter une explo­sion, que faut-il faire? Dans les années 1880-1890, il existe une réponse admise par les experts les plus recon­nus, les plus officiels. C'est celle des ingénieurs des mines que l'on retrouve dans leurs avis publiés dans les Annales des Mines. C'est celle de T. Cuvillier dont le manuel fait autorité sur la question 1 5.

Cette réponse allie des prescriptions formelles sur la conduite à tenir par le chauffeur : si le niveau d'eau a baissé en dessous d'un certain niveau, il faut absolu­ment :

1. que le chauffeur jette bas le feu de la grille dès la première minute,

2. ne pas alimenter en eau sous aucun prétexte, à une représentation théorique de ce qui se passe dans la chaudière : si on alimente, l'eau qui touche une paroi portée au rouge provoque un dégagement énorme de vapeur qui se produit instantanément et suivant un volume tel que la résistance du métal se trouve subite­ment vaincue.

Or ne pas alimenter est contraire à la réaction pre­mière de nombre de chauffeurs, car la chaudière va s'ar­rêter provoquant l'arrêt de l'activité de l'usine, ce qui désigne immédiatement le chauffeur aux reproches et aux questions. En fait, quand l'eau n'est plus apparente dans le niveau d'eau, on ne connaît plus très bien l'état de la chaudière. Dans cette situation d'incertitude, en inter­disant au chauffeur d'alimenter, on lui interdit de jouer sur l'hypothèse optimiste où la chaudière étant peu tou­chée, l'alimentation en eau ramènerait la situation à la normale, sans qu'on (le patron, les personnes en activité dans l'usine) s'aperçoive de l'incident.

Par ailleurs, la prescription de jeter bas le feu expose le chauffeur. En situation critique, elle peut être dangereuse : un certain nombre de chauffeurs ont été tués ou brûlés à ce moment-là. Mais c'est son devoir : ce doit être le moyen d'éviter l'explosion, donc des victimes ou des dégâts plus considérables. Sans compter que, comme nous l'avons vu, beaucoup attribuent à priori ces accidents à la responsabilité du chauffeur et considèrent, implicitement ou explicitement 1 6, que les risques alors encourus sont le résultat et la compensation de sa faute première.

En 1891, un article publié par G.R. du Comité des Arts Economiques de la Société pour l'Encouragement de l'Industrie Nationale (nous n'avons pu identifier de qui il s'agissait) vient s'opposer à cette opinion géné­rale 1 7 . L'article rend compte des expériences et des conclusions de plusieurs experts américains et anglais, et notamment de celle de M. Levington Fletcher.

Celles-ci s'opposent aux précédentes tant sur la représentation du phénomène —l'alimentation sur les tôles rougies ne provoque pas une suppression notable— que sur la conduite à tenir: «M. Fletcher n'hésite pas à se prononcer pour l'alimentation à force qui provoque toujours tout d'abord une chute de pression, et contre la pratique de jeter le feu extrême­

ment dangereux pour le chauffeur obligé de se tenir devant la chaudière pendant l'opération. »

On voit que la querelle technique n'est pas sans enjeux.

A l'autorité de l'opinion commune et des experts qui la défendent, l'auteur oppose celle de M. Fletcher (c'est un ingénieur de l'Association des propriétaires de machines à vapeur de Manchester, la première associa­tion anglaise et une des plus réputées) et, surtout, le poids des expériences qu'il a accomplies.

Levington Fletcher a, en effet, équipé une chaudière pour «élucider expérimentalement la question». Il a monté sur une chaudière disposée de façon habituelle toute une série d'appareils de mesure : niveaux d'eau, manomètre purgeur, soupapes de sûreté, indicateurs ou jauges de déformation... Il a relié ces appareils et les dispositifs de commande à un apprenti soigneusement barricadé à une dizaine de mètres, et il a commencé à expérimenter: observation en marche normale puis en surchauffe. Ses expériences consistent à laisser tomber le niveau d'eau (à certains niveaux, pendant un certain temps...) puis à alimenter à toute force. Sur ces instruments installés, Fletcher observe que : « la pression, loin de monter, baissa aussitôt, sans aucune avarie, aucun signe de fatigue aux foyers », c'est-à-dire le contraire de l'opinion théorique habituelle.

G.R. décrit en détail les expériences de Fletcher. C'est, en effet, son principal atout. Ce savoir et les pres­criptions en la matière reposent jusque-là sur l'expé­rience, et non sur des expériences contrôlées, notam­ment sur les analyses des situations d'accidents que reconstituent les ingénieurs des mines pour leur rapport quand il y a eu accident. Monter des expériences avec des instruments de mesure plus sophistiqués que ceux qui sont sur les machines à vapeur habituelles, contrôler et enregistrer l'évolution de ces paramètres pendant le phénomène de surchauffe constituent une démarche jusque-là peu employée dans le domaine.

C'est cette première expérimentale qui impres­sionne en effet ceux qui rendent compte des travaux de L. Fletcher en France. Personne ne dispose alors de lieu d'expérience analogue. Ainsi, les ingénieurs des mines, quand ils veulent vérifier un phénomène pour leur rap­port, doivent aller utiliser le matériel de la compagnie P.L.M. 1 8 .

Les expériences de L. Fletcher contredisent for­mellement la représentation théorique commune. Quand on alimente en eau la pression ne monte pas mais baisse. A partir de là, L. Fletcher et ses commentateurs français condamnent les prescriptions pratiques qui étaient jusque-là étroitement associées à cette théorie des phénomènes.

Comment sont accueillies ces expériences ? En France, c'est le Bulletin de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale qui consacre tout un article en septembre 1891 à ces expériences qui ont été d'abord publiées dans Engineering en mars 1891. Nous avons vu que cette société est une société éminente, reconnue dans les milieux industriels.

En revanche, les spécialistes que sont les ingé­nieurs des mines gardent d'abord le silence sur ces expé­riences ou sur leur compte rendu dans le Bulletin. Nulle mention n'en est faite, même pour les critiquer, dans les

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DOCUMENT 3 NOTE SUR L'EXPLOSION D'UNE CHAUDIÈRE VERTICALE

AUX FORGES D'EURVILLE (HAUTE-MARNE) Rapport de la Sous-Commission chargée de l'étude de l'explosion

survenue aux forges d'Eurville. La pénible impression causée par la catastrophe de Marnaval,

commune de Saint-Dizier (Haute-Marne), arrivée le 31 mars 1883, n'était pas encore détruite, qu'une catastrophe semblable se produisait, le 10 novembre 1884, dans une usine distante de 11 kilomètres seulement de la première, les forges d'Eurville, situées comme elle au nord du département, sur le chemin de fer de Chaumont à Saint-Dizier et Blesmes.

Ainsi qu'à Mallevai, une chaudière verticale de grandes dimensions, chauffée par les flammes perdues de fours à puddler, éclatait à sa base et faisait 55 victimes, 22 morts et 33 blessés...

1. Description générale et succincte de l'usine. — Les forges d'Eurville se composent d'un groupe d'ateliers, savoir: les hauts fourneaux, le puddlage et la tréfilerie sur la rive droite de la Marne, le finissage sur la rive gauche...

La halle du puddlage comprend 21 fours à puddler numérotés deOà 20 et répartis, 11 à l'ouest et 10 à l'est; les flammes perdues de ces fours chauffent 6 chaudières

... La chaudière qui a fait explosion est la chaudière verticale n° 4 placée à peu près au milieu de la longueur de l'atelier du côté est.

2. Description générale de la chaudière qui a fait explosion et des fours qui la chauffaient. — Cette chaudière n° 4 avait les dimensions suivantes: hauteur 14,60 m, diamètre 1,20 m, épaisseur des tôles variables de 11,5 mm à 13 mm au moment de l'explosion ; elle était composée de 15 viroles dont 12 anciennes, de 2 feuilles de tôle chacune, formant un tronçon de 10,95 m pesant environ 6500 kilogrammes, et 3 nouvelles donnant une longueur utile de 3,65 m.

... Cette chaudière venant du finissage avait été transférée au puddlage en 1867 ; c'est la sœur jumelle de celle qui avait été vendue aux forges de Marnaval et qui a fait explosion le 31 mars 1883.

3. Circonstances diverses de l'explosion. — L'explosion s'est produite au niveau de la deuxième virole... Le corps de la chaudière, composé de 13 viroles sur 15 et pesant environ 6500 kilogrammes, fut lancé à une grande hauteur, passa par-dessus les bâtiments voisins, et vint retomber à 80 mètres au nord-ouest ; il se brisa en partie dans sa chute.

... Au moment de l'explosion, le personnel présent comprenait 73 ouvriers, outre le contremaître mécanicien Vidrine et le contremaître de fabrication Michel; 55 hommes furent tués sur place ou blessés plus ou moins grièvement ; les blessures les plus nombreuses et les plus graves sont les brûlures, principalement celles causées par la vapeur.

De l'enquête à laquelle s'est livré M. l'ingénieur en chef Moissenet, il résulte les faits suivants :

La pression indiquée par le timbre n'a pas été dépassée ; L'alimentation n'a pas fait défaut; Les tôles avaient conservé à peu près leur épaisseur normale; la

chaudière avait été complètement réparée à la fin de 1883 et éprouvée en janvier 1884; elle était soumise à des visites fréquentes; elle avait été nettoyée et visitée huit jours avant l'accident, et cette visite n'avait rien révélé de particulier, si ce n'est un rivet qui fuyait (déposition Sauvageot).

Depuis quelques jours, des suintements se manifestaient dans le voisinage de la chaudière (déposition Vouillarmey). Le dimanche soir 9 novembre, veille de l'accident, à la reprise du travail, ces suintements prirent plus d'importance ; vers 10 heures (déposition Thomassin), l'eau coulait avec assez d'abondance pour qu'il devînt nécessaire de la détour­ner afin qu'elle ne gênât pas le travail des fours ; c'était là, d'ailleurs, d'après les témoignages recueillis, une pratique assez en usage dans l'usine. On dut forcer l'alimentation. On prévint le contremaître mécani­cien Vidrine; celui-ci accourut sans délai, et justement effrayé de ce qu'il voyait, il s'empressa de prévenir le directeur, M. Thomas. Il était alors près de 3 heures. Vidrine revint immédiatement au puddlage; à 3 h 21 mn, l'explosion avait lieu.

Le sauvetage fut rapidement organisé; Vidrine, grièvement blessé, se conduisit avec héroïsme, de l'aveu de tous les témoins : au milieu du désordre et de la confusion, il eut la présence d'esprit dépenser aux chau­dières, qui vomissaient leur vapeur; il ferma lui-même les prises de vapeur des chaudières verticales nos 3 et 5; quelques instants après, il parvenait à faire fermer les prises des autres chaudières.

Il est bon de connaître les antécédents de cette chaudières n° 4 quia éclaté. Cette chaudière avait déjà fonctionné depuis une huitaine d'années au finissage, lorsque, en 1867, elle fut transportée au puddlage, à son emplacement actuel; depuis lors, elle ne cessa de donner lieu à des fuites et à des réparations (déposition Chompret). En juillet 1871, réparations et épreuves ; nouvelles épreuves après réparations en 1873 et 1877 ; en 1878, on dut changer complètement les trois viroles infé

Heures, opération qui fut faite par MM. Hachette et Driout, de Saint-Dizier. A la remise en feu, en mai 1879 (rapport de M. Rigaud), nou­velles fuites à la jonction des deux viroles inférieures ; ces fuites s'accen­tuèrent rapidement, leur débit s'éleva jusqu'à six litres par minute; un trou latéral, établi pour empêcher cette eau de couler dans le four, permit de jauger cette quantité; néanmoins, on continua à marcher jusqu'au 29 juin. De nouvelles réparations, suivies d'épreuves, eurent lieu le 19 juillet, le 24 août et le 8 novembre de la même année 1879. Procès entre le maître de forges et le constructeur ; c'est à propos de ce différend que M. l'ingénieur des mines Rigaud fut désigné comme expert.

On se décide à changer complètement la 2 e virole, celle du coup de feu, laquelle donne lieu à toutes ces avaries ; on compose cette virole de quatre tôle debout, c'est-à-dire cintrées en travers ; le 16 mars 1882, ces quatre tôles sont commandées à l'usine de Frondes et payées 36 francs les 100 kilogrammes, y compris cintrage, chanfreinage et amincissement des pinces ; l'une de ces tôles est remplacée, en décembre 1883, par une feuille commandée à la même usine et payée 55 francs les 100 kilogrammes. A la suite de cette réparation, eut lieu l'épreuve de janvier 1884, qui fut suivie, dix mois après, de l'explosion du 10 novembre.

A ce moment, la chaudière se composait de tôles de trois prove­nances :

12 viroles supérieures et la calotte: tôles anciennes ; 3e virole (à partir du bas) : tôle de Montataire, fournie par Hachette

et Driout. 2 e virole : tôle de Frondes. lre virole : tôle de Montataire. (Hachette et Driout.) Fond de la chaudière : tôle ancienne. 4. Etude des causes de l'explosion et conséquences à en déduire. —

// résulte de l'historique qui précède que, depuis le jour où elle fut ins­tallée au puddlage, la chaudière n° 4 ne cessa de donner lieu à des fuites, à des ruptures locales, à des réparations, souvent fort coûteuses, de présenter ces symptômes qui dénotent un état instable, et sont toujours des présages menaçants.

Tous ces accidents se sont produits dans la même région, c'est-à-dire au coup de feu. La cause primordiale en est manifeste. Les flammes des quatre fours à puddler n° 5 à 8 venaient déboucher sur la virole du coup de feu, laquelle n'était nullement protégée et recevait presque normalement l'attaque des flammes. Les effets destructeurs des flammes perdues des fours métallurgiques sont depuis longtemps connus, et ont été, à plusieurs reprises, signalés par l'Administration.

La direction d'Eurville crut pouvoir s'en garantir en composant la virole du coup de feu au moyen de tôles de grande longueur, dont elle dis­simulait les rivures longitudinales derrière des murettes, et la rivure horizontale inférieure au moyen d'un bourrelet irrégulier en sable et brique. Ces mesures étaient absolument insuffisantes, et les accidents prémonitoires le prouvaient surabondamment.

Les mesures à prendre en pareil cas ont été indiquées tout au long par la Commission centrale dans sa séance du 25 mai 1878, à la suite du rapport présenté par M. l'ingénieur en chef H. Cléry, au nom d'une sous-commission désignée spécialement pour étudier les chaudières verti­cales chauffées par les flammes perdues des fours métallurgiques. Ce rapport a été porté à la connaissance du public par son insertion dans les Annales des mines1, rappelé dans la Note sur l'explosion de Marnaval, publiée dans le même recueil2, rappelé de nouveau par une circulaire ministérielle du 13 février 1884.

Il semble, en voyant le peu de cas que l'on a fait à Eurville de ces recommandations pressantes, qu'elles aient passé, pour ainsi dire, inaperçues.

Cherchons tout d'abord à nous rendre compte des conditions de fonctionnement de la chaudière n° 4.

Dans une chaudière ordinaire en bon état et en marche normale, la température de la tôle, en aucun point de son épaisseur, n'est de beaucoup supérieure à celle de l'eau qui la mouille ; mais cet écart croît en proportion de l'activité de la vaporisation, et dans les chaudières surme­nées, il se produit dans la tôle des surchauffes locales, qui amènent de promptes détériorations. La pratique des associations de propriétaires d'appareils à vapeur les a conduites à fixer une limite de 2,500 kilogram­mes de houille brûlée par heure et par mètre carré du surface de chauffe; au-delà de 3 kilogrammes, on observe que des fissures se produisent entre les rivets. Or le calcul montre qu'à la chaudière n° 4, on atteignait en moyenne plus de 9 kilogrammes, chiffre énorme, même si l'on en défalque les déperditions dues à l'interposition du four entre la chaudière et la grille.

D'autre part, diverses circonstances aggravaient beaucoup cette situation...

Ainsi, la chaudière n° 4 était dans les plus déplorables conditions. Voyons comment on avait paré à ce danger imminent, et comment les précautions recommandées ont été observées :

A. Il n'y avait pas de revêtement rêfractaire;

Page 14: EXPLOSION D'UNE CHAUDIERE

B. Les tôles étaient cintrées en travers; C. Les clouures étaient à simple rangée, et de plus extrêmement

défectueuses... D. L'alimentation était intermittente... E. Enfin, sur les chaudières du puddlage, il n'y avait d'appareils de

retenue automatiques ni sur la conduite d'alimentation, ni sur la conduite de vapeur...

La faute la plus lourde qui ait été commise est évidemment l'omission du revêtement réfractaire (A), qui devait protéger les tôles du coup de feu. Il n'est pas douteux qu'un pareil revêtement, convenable­ment exécuté, combiné avec les visites qui se pratiquaient régulièrement dans l'établissement et avec quelques mesures de prudence vulgaire, eût suffit pour empêcher la catastrophe du 10 novembre.

La direction d'Eurville n'était que trop prévenue des dangers mena­çants que présentait la chaudière n° 4, dans les conditions où elle fonc­tionnait. En dehors des publications rappelées plus haut, elle avait eu sous les yeux la catastrophe de Marnaval, où un accident tout local et de minime importance avait déterminé l'explosion d'un générateur presque identique, à tous les points de vue, à la chaudière n° 4. Elle avait reçu, par l'intermédiaire de M. le préfet de la Haute-Marne, la note relative à l'ex­plosion de Marnaval. Le 20 juin 1884, elle recevait de M. l'ingénieur en chef Moissenet une lettre pressante, qui appelait toute son attention sur le danger de la situation, sur les diverses précautions àprendre, et notam­ment sur la nécessité de protéger la virole du coup de feu par un revête­ment réfractaire. Enfin et surtout elle était avertie de l'imminence du danger par les nombreux incidents auxquels la chaudière n° 4 avait donné lieu, par ces fuites qui ne pouvaient s'étancher, par ces tôles qui se gerçaient, et qu'il fallait incessamment remplacer.

Déjà, en 1879, lorsque la chaudière fut maintenue pendant cinq semaines en feu malgré des fuites énormes, on se demande comment une catastrophe ne s'est pas produite. Dans la nuit du 10 novembre 1884, les ouvriers et contremaîtres, en voyant les fuites atteindre des proportions redoutables et sentant venir le danger, n'osèrent pas prendre sur eux de jeter bas les feux; s'ils eussent été munis d'instructions appropriées, tout porte à croire qu'un immense malheur eût peu être évité.

M. l'ingénieur en chef Moissenet vise, dans son rapport, trois contraventions au règlement de 1880, savoir:

A l'article 7 (absence de manomètre; il n'y avait qu'un seul mano­mètre dans tous le puddlage) ;

A l'article 8 (absence de clapets de retenue); A l'article 11 (un seul indicateur de niveau). Ces contraventions n'ayant joué aucun rôle dans l'accident, et ayant

été déférées à Vautorité judiciaire, il n'y a, de ce chef spécial, aucune autre suite à donner à cette affaire.

Mais en présence des imprudences multipliées qui ont caractérisé le fonctionnement de la chaudière n° 4, imprudences qui ont, en fin de cause, amené la catastrophe du 10 novembre, on ne peut s'empêcher de regretter qu'à la suite de l'accident, ces imprudences n'aient pas été signa­lées à l'autorité judiciaire, et que l'on n'ait pas réclamé l'application des articles 319 et 320 du Code pénal, relatifs aux homicides, blessures et coups involontaires, conformément aux prescriptions contenues dans la circulaire ministérielle du 21 juillet 1880.

La sous-commission a été extrêmement frappée de cette omission; cet exemple et d'autres encore semblent montrer que les ingénieurs chargés de la surveillance des appareils à vapeur sont parfois disposés à mettre en oubli les attributions qui leur sont conférées par les lois et règlements pour la répression des délits. Il convient de leur rappeler que, dans les limites de leurs fonctions, ils ont pour devoir stria d'éclairer et de seconder la répression correctionnelle, qui reste aujourd'hui une des garanties les plus efficaces contre les imprudences qui mettent en danger les vies humaines. Usera utile, notamment, de leur rappeler les termes de la circulaire ministérielle du 21 juillet 1880:

«Les contraventions qui donnent lieu à des accidents de personnes doivent être rigoureusement signalées à l'autorité judiciaire, en réclamant l'application de l'article 20 de la loi du 21 juillet 1856. lien est de même des imprudences ou des négligences, quine constituent pas une contravention au règlement, mais qui, en cas d'accident, tombent sous l'application des articles 319 et 320 du Code pénal.

«Il ne suffit pas aux industriels d'éviter les contraventions, car ils demeurent responsables des accidents que peuvent causer leurs appareils, aussi bien par suite du mauvais état d'entretien et d'un mauvais emploi, que par suite des dispositions vicieuses qu'ils pourraient présenter dans leur établissement, quoique ces dispositions n'aient pas été visées explicitement par le décret. »

La Sous-Commission.

Source: Annales des Mines, 1885, n° 7, 8 e série.

Notes.

1. 1878, 2 e sem., p. 68. 2. 1883, 2 e sem., p. 249. ^ ^ ^ ^

Annales des Mines des années 1891,1892,1893. Ce n est qu'en 1894, trois ans plus tard, que Ed. Sauvage aborde «les belles expériences de M. L. Fletcher 1 9 ». S'il résume les expériences et leurs conclusions sur les variations de pression quand on alimente, il cite largement les prescriptions sur la conduite à tenir que Ed. Fletcher a publiées dans un nouvel article de la revue Enginee­ring en 1894. Or ces conclusions sont beaucoup plus nuancées que celles très nettes (ne pas toucher au foyer et alimenter fortement) que Fletcher déduisait de ses expériences en 1891.

«Les expériences de l'association semblent prou­ver que la meilleure manœuvre consiste à alimenter, surtout quand l'eau pénètre dans une partie de la chau­dière située au-delà de l'autel... Ces expériences ont montré que l'eau froide projetée sur le ciel des foyers portés au rouge ne produisait pas, ainsi qu'on le supposait, une brusque élévation de la pression, que les soupapes ne pouvaient empêcher et que les tôles ne pouvaient supporter ; néanmoins, on peut craindre que pour une tôle très chaude, affaiblie jusqu'au point de céder, la plus légère augmentation de pression ne soit dangereuse. L'alimentation serait tantôt utile, tantôt nuisible, suivant la température des tôles qu'il est difficile de reconnaître... Il faut apprécier dans chaque cas les diverses circonstances. Il est fort délicat de tracer une consigne toujours applicable pour le traitement d'une chaudière qui manque d'eau... »

L. Fletcher ne revient pas sur la représentation théorique, mais il a beaucoup nuancé les prescriptions pratiques. Les Annales des Mines ne commentent donc ces expériences que lorsque L. Fletcher expose lui-même des prescriptions qui ne sont plus en opposition avec celles préconisées par les ingénieurs des Mines. Auparavant, ces spécialistes n'exposent pas publique­ment leurs réactions à des expériences qui les embarrassent, écartelés entre leurs convictions à propos des prescriptions pratiques et l'impossibilité de contre­dire les résultats expérimentaux sur la pression. Fletcher est quelqu'un à priori de sérieux et il a décrit dans le détail des conditions expérimentales qui parais­sent cohérentes. Faute de vouloir investir pour pouvoir refaire ses expériences, on est obligé de le croire sur ses résultats expérimentaux. Mais cela ne suffit pas aux ingénieurs des mines pour abandonner leurs convictions sur les prescriptions pratiques, quitte à se trouver momen tanémen t dépouvues de représenta t ion théorique compatible. Aussi sont-ils soulagés quand Fletcher s'aligne largement sur les leurs en 1894. L'es­sentiel est sauf.

Notes.

1. T. Cuvillier, Législation et contrôle des machines à vapeur, 1897, P. Vicq-Dunod, Bibliothèque des constructeurs de travaux publics.

2. Rapport présenté à la Commission centrale des machines à vapeur par M. Callon (à propos d'un travail de M. Marten sur l'inspection de chau­dières à vapeur), Annales des Mines, 1871, 6 e série, n° 20.

3. A. Behic, Rapport sur les appareils à vapeur, Annales des Mines, 1865, p. 48.

4. Rapport présenté à la C.C.M.V. par M. Callon, op. cit. 5. Rapport fait par M. de Fréminville sur l'organisation et les travaux

des propriétaires d'appareils à vapeur à Paris, Bulletin de la Société d'Encou­ragement pour l'Industrie Nationale, sept. 1878, p. 474.

Page 15: EXPLOSION D'UNE CHAUDIERE

Chaudière horizontale à deux foyers intérieurs : coupe horizontale et verticale d'une tôle de coup de feu de foyer intérieur après un manque d'eau.

6. J. Payen, Machines et turbines à vapeur, Histoire Générale des Tech­niques, Tome IX, p. 115.

7. Rapport présenté à la C.C.M.V., op. cit. 8. A. Thepot, Les ingénieurs du corps des Mines, in «le Patronat de la

seconde industrialisation », cahier du mouvement social n° 4, Editions Ouvrières, 1979.

9. A. Thepot, op. cit. 10. L. Desrousseaux, Evolution historique de l'Administration des

Mines, Annales des Mines, 1953, XII. 11. T. Cuvillier, op. cit.. p. 177. 12. T. Cuvillier, op. cit., p. 180. 13- T. Cuvillier, op. cit., p. 179. 14. Annales des Mines, 1829-15- T. Cuvillier, op. cit. 16. T. Cuvillier, op. cit. 17. Expériences de M. Levington Fletcher sur les explosions de chau­

dières par manque d'eau, Bulletin de la Société pour l'Encouragement de l'In­dustrie Nationale, sept. 1891, p. 515.

18. Note sur l'explosion d'une chaudière verticale aux forges d'Euroville, Annales des Mines, 1885, 8 e série, n° 5, p. 469.

19- Alimentation sur les tôles de chaudières chauffées au rouge, Ed. Sauvage, Annales des Mines, 1834, p. 664.

Rupture de deux étriers de joints non-autoclave s dans une chaudière multitu-bulaire.

TABLEAU 1

Statistiques du nombre d'accidents et de victimes et du nombre de machines à vapeur en 1884-1885

Nombre de victimes

Nombre Tués ou morts Blessé Nombre de Nombre d'ex­total des suites de machines à plosions/

d'explosions leurs blessures vapeur Nombre de machines

(D (D (D (2) (x 10000)

1864 16 40 15 25 027 6,4 1865 13 25 25 26 376 4,9 1866 18 15 22 28 004 6,4 1867 19 27 36 29 517 6,4 1868 24 31 33 31 155 7,7 1869 18 22 20 32 827 5,5 1870 13 10 15 33 761 3,9 1871 22 20 25 32 877 6,7 1872 34 703

6,7

1873 30 37 48 1874 1875 26 26 31 40 052 6,5 1876 35 28 51 42 158 8,3 1877 22 40 32 45 065 4,9 1878 35 37 31 47 343 7,4 1879 35 35 52 49 835 7,0 1880 25 30 30 52 543 4,8 1881 29 15 10 55 581 5,2 1882 37 40 20 58 833 6,3 1883 34 40 62 61 026 5,6 1884 37 46 40 63 138 5,8 1885 25 34 33 66 517 3,7 Moy.

3,7

(1) Source: Annales des Mines.

(2) Source : Statistiques de l'Industrie minérale, Récapitulation des appareils en activité

(établissements industriels, chemins de fer, bateaux).

Page 16: EXPLOSION D'UNE CHAUDIERE

TABLEAU 2

Bulletin des explosions d'appareils à vapeur arrivées pendant l'année 1873

Résumé - Répartition des accidents

Nombre Tués Blessés

Par nature d'établissements.

Usines à fer 3 12 14 Sucre (fabriques de) 4 2 8

2 3 1 Papeteries 3 5 5 Bateaux à vapeur 4 5 3 Teinturerie 1 1 5 Force motrice 1 1 2 Clouterie 1 1 2 Atelier de construction 1 Distilleries 1 1 Imprimerie 1 Chemin de fer 1 5 Battage de grains 1 2 Minoterie 1 1 1 Bougies (fabrique de) 1 1 2 Acide pyrogallique (fabrique d') 1 1 1 Chaussures (fabrique de) 1 1 Tuilerie \

Totaux 30 37 48

2. Par espèce de chaudières - Chaudières sans foyer intérieur. horizontales avec ou sans bouilleurs 10 6 16 Tubulaire 1 3 1 Système Belleville 1 Vertic. chauffée par flammes perdues 1 12 9 Parallélépipède 1 1 1 - Chaudières avec foyer intérieur.

Horizontale 1 De bateaux (horizontales) 4 5 3 De locomotives 1 5 De locomobile (horizontale) 2 3 Verticales 2 1 Récipients 4 6 13

Totaux 30 37 48

3. D'après les causes. Conditions défectueuses de construction : Mauvaises dispositions 2 1 Conditions défectueuses d'entretien : Usure 2 3 1

Corrosion extérieure 4 12 16

Corrosion intérieure 1 5 Mauvais emploi des appareils : Excès de pression 1 1 1 Manque d'eau 9 5 6 Imprudence ou négligence du chauffeur 2 3 Mauvais nettoyage 1 1 1 Causes restées inconnues 4 5 5 Récipients 4 6 13

Totaux 30 37 48

Source: Annales des Mines, 1873.

TABLEAU 3

Nombre d'épreuves effectuées par l'admininistration

ÉPREUVES

Total Chaudières

neuves Chaudières anciennes

Récipients Pièces

1873 1874 1875 1876 1877 1878 1879 1880 1881 1882 1883 1884 1885

8 880 9 123 9 293 9 432 9 338 10 044 11 057 15 484 21 883 20 967 21 235 19 707 18 464

4 024 4 039 4 577 5 061 5 338 6 040 7 001 7 214 5 859 4 838

4 189 4 267 4 507 4 955 7 320 9 959 9 115 9 648 9 690 9 761

1 219 1 032 0 960 1 041

4 373 4 158 3 865

Source: Statistiques de l'industrie minérale.

TABLEAU 4

Associations de propriétaires d'appareils à vapeur

Nombre d'asso­ciations

Nombre total des

établissements associés

Nombre total des

chaudières associées

Nombre de chaudières distinctes visitées

au moins une fois

Nombre d'asso­ciations

Nombre total des

établissements associés

Nombre total des

chaudières associées

à l'inté-Fextérieur

à l'exté-lement

1881 8 4 400 1882 8 1853 5 632 3 200 1 805 5 005 1883 8 2 001 6 129 3 845 1 802 5 647 1884 9 2 225 6 899 4 332 2 119 6 451 1885 10 2 477 7 551 4 355 2 607 6 962

Source: Statistiques de l'industrie minérale.

Documents.

Document 1 : Suites extraordinaires d'une explosion de chaudière, Cosmos, 15 octobre 1887, p. 296.

Document 2 : Rapport fait par M. de Fréminville sur l'organisation et les travaux de l'Association des propriétaires de machines à vapeur à Paris.

Document 3 : Note sur l'explosion d'une chaudière verticale aux forges d'Eurville (Haute-Marne), Annales des Mines, 1885, 8 e série, n° 7, p. 469.