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1 LASDEL Laboratoire d’études et recherches sur les dynamiques sociales et le développement local BP 12901, Niamey, Niger – tél. (227) 20 72 37 80 BP 1383, Parakou, Bénin – tél. (229) 23 10 10 50 Observatoire de la décentralisation au Niger (enquêtes de suivi 2004-2007) La commune d’In Gall (2) Aghali, Abdoulkader Assistant de recherche : Salekh Rhousséïni Etudes et Travaux n° 61 Financement : Coopération suisse Octobre 2007

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LASDEL

Laboratoire d’études et recherches sur les dynamiques

sociales et le développement local

BP 12901, Niamey, Niger – tél. (227) 20 72 37 80

BP 1383, Parakou, Bénin – tél. (229) 23 10 10 50

Observatoire de la décentralisation au Niger (enquêtes de suivi 2004-2007)

La commune d’In Gall (2)

Aghali, Abdoulkader

Assistant de recherche : Salekh Rhousséïni

Etudes et Travaux n° 61

Financement : Coopération suisse

Octobre 2007

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Table des matières

INTRODUCTION ................................................................................................................................ 3

L’ENQUETE ET SES DIFFICULTES ....................................................................................................................... 3

RESUME DES RAPPORTS ANTERIEURS ............................................................................................................... 4

METHODOLOGIE .......................................................................................................................................... 4

APPROCHE CONTEXTUELLE DE LA COMMUNE ........................................................................................... 5

CONTEXTE HISTORIQUE : LE VILLAGE D’IN GALL ................................................................................................ 5

CONTEXTE SOCIAL : LES LIGNAGES ET GROUPES ................................................................................................. 6

CARACTERISTIQUES SOCIO-ECONOMIQUES DE LA COMMUNE ............................................................................. 15

CONTEXTE PHYSIQUE ET ADMINISTRATIF ........................................................................................................ 17

LA CONFIGURATION DE L’ARENE POLITIQUE LOCALE ................................................................................. 21

LES GROUPES STRATEGIQUES ........................................................................................................................ 21

STRATEGIES D’ACTEURS ET CONQUETE DES RESSOURCES LOCALES ....................................................................... 25

‘’CANDIDATS COBAYES’’ .............................................................................................................................. 31

LE CONFLIT AU SEIN DU CONSEIL ................................................................................................................... 32

LES PRINCIPAUX ACTEURS DU CONFLIT ........................................................................................................... 33

PRESUPPOSES HISTORIQUES ......................................................................................................................... 34

PRESUPPOSES POLITIQUES ........................................................................................................................... 35

ENJEUX DU CONFLIT .................................................................................................................................... 37

FACTEURS DECLENCHEURS ........................................................................................................................... 37

LA POSITION DES CONSEILLERS DE L’OPPOSITION.............................................................................................. 41

CLIVAGES SOCIOLOGIQUES NES DU CONFLIT .................................................................................................... 43

FONCTIONNEMENT DE LA COMMUNE ................................................................................................... 47

LES TEXTES PRODUITS ................................................................................................................................. 47

ACTIVITES ET REALISATIONS ......................................................................................................................... 47

CONCLUSION ................................................................................................................................. 50

OUVRAGES CITES........................................................................................................................................ 52

MONOGRAPHIES ET PRESSE ......................................................................................................................... 52

DELIBERATIONS ......................................................................................................................................... 53

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Introduction

La commune d’In Gall (un des sites retenus par le LASDEL pour son Observatoire de la décentralisation) est une arène politique un peu atypique, où l’insuffisance des ressources disponibles rend les pouvoirs locaux plus crispés les uns envers les autres, avec une certaine absence de consensus minimal, même au sein d’une même clique. De fait, l’on observe une confrontation des acteurs politiques locaux, sur fond d’un postulat dichotomique de type brousse versus ville, anciens militants politiques versus nouveaux militants au sein du parti localement majoritaire. Ces acteurs locaux se réfèrent à des légitimités assez complexes, ou même douteuses. C’est le cas du maire qui invoque implicitement l’autochtonie ou les clivages entre anciens et nouveaux militants au sein de son parti pour justifier son combat contre le conseiller-député, alors même que la population ne se reconnaît pas dans ce combat ni dans ses actions.

« Même au niveau d’In Gall, quand tu rencontres ces tribus isawaghan, le plupart te disent qu’eux-mêmes ne savent pas pourquoi ce maire a été élu. Qu’est-ce qu’il a fait pour In Gall ? A plus forte raison pour ceux qui sont à 10, à 35, à 70 km du chef-lieu de la commune d’In Gall. » (M. S. S).

C’est également le cas du conseiller-député, dont la légitimité repose sur l’entretien, par le biais des pratiques clientélistes et corruptives, d’une « clientèle locale » plus ou moins instable.

Il faut dire que le conflit désormais ouvert, par le biais de la crise du conseil municipal, entre le maire et le conseiller-député révèle la difficile articulation entre les pouvoirs locaux et la municipalité, dans un contexte de délitement de l’autorité étatique et d’insuffisance des ressources économiques. D’où le positionnement des ‘’groupes stratégiques’’ autour des stratégies d’accaparement des ressources et de la quête de nouveaux pôles de légitimité.

Après avoir présenté le contexte historique et social, nous examinerons i la configuration des ‘’groupes stratégiques’’,et leurs stratégies de conquête des ressources et de nouvelles légitimités ; puis nous rendrons compte du conflit au sein du conseil municipal, de ses présupposés historiques et politiques, de ses enjeux et des nouveaux clivages sociologiques qu’il fait émerger ; enfin, nous décrirons le fonctionnement de la municipalité tel que nous l’avons observé et tel que le perçoivent nos enquêtés.

L’enquête et ses difficultés

Les enquêtes ont été réalisées par un chercheur du LASDEL et un assistant de recherche de niveau maîtrise pendant un mois dans la commune d’In Gall et à Agadez, où l’enquêteur a séjourné pendant une semaine pour réaliser des entretiens et collecter de la documentation. Des entretiens exploratoires ont été réalisés à Tahoua auprès d’une personne-ressource, très au fait de la complexité du jeu politique à In Gall.

L’enquête n’a malheureusement pas pu s’étendre à Tegidda n tesemt et Azelik en raison du problème d’insécurité qui se pose dans la partie Nord-Ouest de la commune, du fait de la résurgence d’un mouvement armé 1 en conflit ouvert avec l’Etat dans le Nord du Niger. Elle s’est limitée à quelques villages dans la partie Sud-Est de la commune.

1 Mouvement des nigériens pour la justice (MNJ)

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Résumé des rapports antérieurs

Ce rapport s’inscrit dans la continuité du rapport de référence (Bourgeot, 2001) et du rapport complémentaire (Hahonou, 2004). Le rapport de référence, réalisé en amont de l’installation effective des communes, s’est borné à la description de l’arène politique locale telle qu’elle se présentait à la veille de la municipalisation. Dans cette optique, la configuration des groupes stratégiques a été appréhendée et mise en perspective à travers l’examen de leurs stratégies face à la future donne municipale. Il s’est agi de rendre compte du processus complexe du jeu politique local. Mais cette approche est restée limitée puisqu’elle s’est déroulée à In Gall intra muros. Elle n’a pas exploré les arènes villageoises et nomades autour d’In Gall. Ainsi les liens entre le poste administratif et ses administrés, le fonctionnement des projets de développement et les « logiques des acteurs politiques d’In Gall » (Hahonou, 2004) n’apparaissent pas dans le rapport de Bourgeot. C’est sur cet aspect qu’insistera le rapport complémentaire d’Eric Hahonou, qui ilexamine les dynamiques issues des élections avortées de 1999, tant au niveau des formations politiques locales que des projets de développement et des représentations populaires. Il élargit son champ d’investigation au village de Tegidda n tesmet situé au nord-ouest d’In Gall, puis à Agadez.

Mais ces deux rapports se situaient en amont de l’installation effective des communes. Aussi, tout naturellement, les dynamiques et les conflits ultérieurs au sein des conseils municipaux et des groupes des pouvoirs locaux ne pouvaient-ils pas être leurs objets d’étude. Toutefois, leurs analyses et descriptions de l’arène socio-politique d’In Gall, à la veille de la communalisation, nous donnent des éléments pour comprendre le processus en cours aujourd’hui. Aussi, ce rapport leur doit-il beaucoup. Nous privilégierons ici les éléments pas ou peu abordés dans ces deux rapports.

Méthodologie

Le corpus des données comprend d’une part des données documentaires collectées à Tahoua (UEP/Apel-Zp), à In Gall et Agadez, auprès de particuliers et du centre des archives régional d’Agadez. Ce fonds documentaire inclut des archives manuscrites coloniales, des procès verbaux des sessions du conseil municipal, le PDC de la commune d’In Gall et des monographies sur la commune d’In Gall. D’autre part, nous utilisons 33 entretiens semi-directifs (dont 20 enregistrés et traduits) réalisés sur la base d’un guide d’indicateurs qualitatifs, comme le montre le tableau suivant.

Groupes stratégiques Nombre d’entretiens

Pouvoir politique (conseillers, représentants locaux des partis politiques, CPA, etc.) 14

Pouvoir religieux (imam, notables religieux, etc.) 2

Pouvoir administratif (personnel des services techniques, mairie et poste administratif, etc.)

4

Pouvoir économique (commerçants, restauratrices, vendeurs du bétail, etc.) 6

Pouvoir associatif (associations des jeunes, des femmes, ONG, etc.) 3

Pouvoir coutumier (chef de village, représentant chef de groupement Kel Fadey, notables, etc.

2

Pouvoir développementiste (personnel Lucop) 2

TOTAL 33

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Approche contextuelle de la commune

Contexte historique : le village d’In Gall

Il est très difficile de retracer avec exactitude l’histoire du village d’In Gall. Les sources orales et écrites, par ailleurs insuffisantes, ne s’accordent pas sur une origine commune, largement partagée. Ceux qui s’intéressent à la reconstitution de cette histoire, le font généralement (cf. Bourgeot, 2001, Bernus, 1972) en reconstituant l’histoire du groupe ethno-linguistique des Isawaghen, groupe majoritaire se revendiquant comme premier occupant (fondateur). Ces derniers perpétuent cette tradition d’imbrication généalogique en se désignant, eux-mêmes, comme Ingallawa, c’est-à-dire ‘’habitants-propriétaires’’ d’In Gall. André Bourgeot (2001 : 11) avance deux thèses contradictoires sur l’histoire d’In Gall : il inscrit d’une part la création du village d’In Gall dans un vaste projet politique d’extension impérialiste de l’empire songhay, vers le XIIIè siècle, et d’autre part dans un projet purement économique de quatre hommes venus directement de Médine (Mecque) :

« La création d’In Gall participe de l’extension du pouvoir songhay qui se développe du XIè au XIIIè siècle et qui s’exerce, à partir du XIIIè siècle sur certains groupes touaregs du Niger actuel notamment de l’Aïr mais aussi de l’Adrar au Mali. Ce serait vers 1370 que, sous les ordres de Méré Jettah alors roi du Melli (Mali) que les Songhays, s’avançant jusqu’en Aïr, prirent les deux villages complémentaires d’In Gall et de Tegidda n tissemt (les salines). Le village d’In Gall aurait été fondé par deux Isherifen (Chorfa) et deux Isawaghen venus de Médine avec des rejets de palmiers ».

Se fondant sur la tradition orale des Ingallawa, Edmond Bernus (1972 : 45-47) penche, quant à lui, pour cette dernière thèse. Selon lui, la création du village d’In Gall est liée à celle de la palmeraie.

« A In Gall, la fondation de la ville est liée à celle de la palmeraie. Elle est attribuée à des Isheriffen clairs, venus de La Mecque, accompagnés d’hommes noirs au statut social d’affranchis, les Isawaghen (deux Isheriffen et deux Isawaghen, ou quatre Isheriffen et “un certain nombre” d’Isawaghen, selon les informateurs). Ces Isheriffen avaient apporté avec eux de Médine des rejets de dattiers ; ils parcoururent le pays en creusant des trous : si la terre retirée ne comblait pas le trou, ils poursuivaient leur route. Ils allèrent ainsi de trou en trou, jusqu’à l’actuel emplacement d’In Gall, et là, le trou comblé, il leur resta de la terre en excédent. Ils plantèrent donc les rejets de palmiers dans cette terre considérée, par ce test, comme fertile ».

Nous avons, au cours de notre enquête, recueilli deux autres versions de cette histoire

(différentes uniquement sur l’identité des fondateurs et leur nombre) qui combine légende, mysticisme, noblesse de l’origine, islam, autochtonie et palmeraie.

« Le sens d’In Gall, c’étaient des gens qui étaient venus de la Mecque. Ils étaient au nombre de deux personnes : l’un s’appelait cherif Alghalam et l’autre cherif Almazgou. Ils étaient arrivés ici même à In Gall avec quelques pieds de palmier dattiers. Ils étaient passés d’abord par Agadez ; à chaque escale, ils creusèrent un trou et y remirent le sable retiré tantôt, s’il n’y avait pas de reliquat, ils continuèrent leur route jusqu’à ce qu’ils arrivèrent In Gall. A leur arrivée ici, ils creusèrent le même trou qu’auparavant et y remirent le sable comme précédemment. Et, du sable en resta alors que le trou était comblé. Alors ils dirent : « inge, le site, le site, c’est ici même ».2 C’est ce qui était à l’origine d’In Gall ». (Ghousmane Khoumoud, chef de village d’In Gall).

« D’après certains, In Gall a été créé 400 ans après Tegidda n tesemt et 500 ans avant Agadez. D’après les anciens, les fondateurs d’In Gall seraient deux hommes (2 ilwilitan )

2 Le substantif inge, qui signifie « site » dans le dialecte ingallawa, aurait donné son nom au village.

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venus l’un de Bagdad et l’autre de la Mecque. Ils étaient partis de leur pays à pareil moment (soir), et voyagèrent jusqu’à Agadez. De là ils continuèrent leur route ; à chaque étape, ils creusèrent un trou jusqu’à leurs genoux, puis y remirent du sable retiré, comme s’ils faisaient une prospection. Si tout le sable retiré est remis sans que le trou soit rempli, ils continuaient leur route en creusant, à chaque étape, un trou et en répétant les mêmes gestes. Et ils arrivèrent à In Gall, précisément à l’endroit où se trouve actuellement l’ancienne mosquée d’In Gall. Ils campèrent là. Ils creusèrent au bord du kori d’In Gall un trou, comme ils l’avaient fait jusque-là. Ils y remirent le sable retiré, le trou est pour une fois rempli, mais une bonne quantité de sable est restée au bord du trou. Puis, ils répétèrent la même expérience un peu plus loin ; ils observèrent le même phénomène : le trou est comblé, mais le sable reste encore. Ainsi, ils conclurent que c’est ça leur pays, le pays béni (albaraka) ; ils conclurent qu’ils étaient arrivés à bon port. Puis ils repartaient et revenaient. Un jour, après la prière d’al‘Asr, ils regardèrent vers l’est, et l’un dit à l’autre : « voilà la direction de la Ka’aba (de la Mecque) », l’autre lui répondit : « non c’est par là ». Le natif de la Mecque rétorqua : « moi je t’indique la vraie direction de la Mecque, non la direction Est ». C’est ainsi qu’ils fondèrent la mosquée, puis ils retournèrent d’où ils étaient venus prendre leurs familles. Comme c’étaient des saints, ils voyageaient à pied ! Ils s’étaient entendus sur la date de retour à In Gall, et chacun retourna chez lui. Là-bas, ils donnèrent une consigne à leurs familles : « fermez les yeux, dormez, ne réveillez personne », et le lendemain en ouvrant les yeux ils étaient à In Gall, à l’endroit où se trouve l’ancienne mosquée. Ils plantèrent alors leurs rejets de palmiers-dattiers. Les chérifs d’Azelik (ischeriffen) étaient venus s’installer ici. Lorsque les deux ilwilitan étaient venus, il n’y avait ici que la vallée (ou le kori). Ils étaient donc les premiers habitants-fondateurs d’In Gall » (Ibrahim François, In Gall 20/04/2007).

L’examen de cette dernière version fait ressortir les éléments suivants : les fondateurs d’In Gall n’étaient pas des Isheriffen, et encore moins des Isawaghen, mais des Ilwilitan ; les Isheriffen étaient venus d’Azelik peu après l’installation des deux Ilwilitan et leurs familles ; la fondation d’Azelik est antérieure à celle d’In Gall, ce qui suppose que les Issheriffen (dont les Isawaghen se disent proches ou descendants) étaient présents dans la zone d’In Gall longtemps avant l’arrivée des deux aventuriers ilwilitan .

Aujourd’hui, les Ilwilitan3 sont installés plus à l’ouest, dans la région de Tchintabaraden. Ce sont des Touaregs, éleveurs de bétail. Leur village est Eghazer Maqaren, au nord-est de Tchintabaraden.

Les populations de la commune d’In Gall sont issues d’un processus de migrations et de brassages ethnoculturels issus principalement de deux directions : le Nord et l’Ouest.

Contexte social : les lignages et groupes

Nous aborderons ici une question déjà développée dans le rapport de Bourgeot, à savoir l’identification des lignages ou groupes sociaux, qui constituent ce qu’on appelle la composante humaine de la commune. Ce qui nous a conduit à reprendre cette question, c’est le choix d’identifier les dynamiques politiques mises en œuvre par ces différents groupes dans l’arène locale désormais dominée par une nouvelle forme de ‘’gouvernance locale’’, à savoir la communalisation. Nous avons essayé de repérer les points forts et les points faibles de ces lignages à travers une mise en perspective historique. Nous sommes partis, en effet, de l’hypothèse que les stratégies d’appropriation des ressources développées par ces différents acteurs avant et après l’installation de la commune ne sont pas forcement les mêmes. Le contexte de l’étude de Bourgeot étant différent du contexte actuel, cette interrogation nous paraît légitime.

3 Mais il faut dire que tilwiliya n’est pas forcément une marque d’identification ethnique, et peut aussi signifier un état de sainteté, le don d’omniscience accordée par Dieu à une catégorie de saints, abstraction faite de toute référence ethnique.

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Les Isawaghen

Ils s’appellent eux-mêmes Ingallawa (ceux d’In Gall). Ils sont aujourd’hui considérés par beaucoup comme les autochtones d’In Gall où ils contrôlent entièrement les palmeraies. Ils sont fortement liés, par le mariage, avec les habitants de Tegidda n tesemt (Bernus, 1972). Cette alliance stratégique leur aurait ouvert, selon Bernus, la voie à l’appropriation de la terre (qu’ils auraient achetée au sultan d’Agadez), mais surtout leur a permis d’être au cœur des deux importantes activités économiques les plus anciennes de la région d’In Gall, à savoir l’extraction artisanale du sel de Tegidda n tesemt et l’exploitation exclusive des palmeraies d’In Gall. Ces atouts auraient dû leur procurer une légitimité politique et sociale assez forte dans l’arène politique locale, un capital symbolique à monnayer dans le jeu politique local (Bouju, 2000 : 147). L’enquête nous a permis de constater, au contraire, que les Isawaghen (ou Ingallawa) manquent d’emprise véritable sur le jeu politique local,4 et que, même si des individualités isawaghen se sont fait élire ou désigner à la tête des institutions municipales et étatiques (le maire et le CPA sont isawaghen), ils manquent d’ancrage symbolique fort, de force sociale monnayable sur le plan politique local ; surtout, ils n’ont pas localement de chefferie coutumière ; ils dépendent directement du sultan d’Agadez. Les choix ou les désignations de « leurs fils » à des postes de responsabilité relèvent, en général, des stratégies de positionnement ou des arrangements entre leaders locaux appartenant à divers lignages (notamment entre Assayad, Allélé et Anako). Le choix du maire (unique conseiller esawagh) parmi plusieurs conseillers prétendants procède de ces calculs.

« Son élection (maire) aussi a posé quand même pas mal de problème ici. Il y avait Assaïd ; il y avait Allélé ; il y avait tous les autres ; ils l'ont soutenu contre Ahmed Moussa (chargé d'enseignement au collège). Bon, ça c'est des détails, c'est compliqué, ce sont des choix que les gens ont fait comme ça, on ne sait pas sur quelle base » (SG de la mairie).

« Il y avait trois personnalités de la commune qui avaient un peu géré le choix du maire. Maintenant, au niveau du choix du maire, c’étaient les trois personnalités : Allélé Habibou, Mohamed Anako et Assayad Sidi Mohamed. Donc, c’étaient les trois qui se sont entendus pour décider unilatéralement du choix du maire, en menant une influence terrible sur les différents conseillers qui étaient plus ou moins analphabètes et ne voyaient pas les grands enjeux de cette décentralisation.» (Ahmed dit Founou, conseiller)

Un bref examen des monographies coloniales sur les Isawaghen permet de comprendre une des causes de ce relâchement. En effet, dans certains rapports des administrateurs coloniaux, ils étaient plutôt présentés comme des hommes peu recommandables, des fainéants, des voleurs...

« Les villageois d’In Gall ont une réputation solidement établie de paresseux et de voleurs. Les propriétaires des palmiers dattiers négligent effectivement d’exploiter comme ils pourraient et devraient le faire les possibilités que leur ouvrent les palmeraies…Enfin les nombreux logeurs intermédiaires de vente sont pour la plupart et pour ne pas dire tous, compromis dans les affaires de bétail volé et vendu qui sont portées à la justice de paix d’Agadez ». 5

Cette réputation, sûrement partagée par les autres populations d’In Gall, au point d’être rapportée dans les rapports coloniaux, n’a certainement pas permis la production d’un capital symbolique historique au bénéfice des Isawaghen.

4 A l’exception d’Allélé, baron localement inamovible, dont la légitimité s’enracine plutôt à l’extérieur de l’arène politique d’In Gall, dans ses relations privilégiées au niveau de Niamey. 5 Cf. Rapport annuel sur la situation socio-politique du poste administratif d’In Gall, 1956, pp. 14-15

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Les Kel Fadey

Les Kel Fadey appartiennent au groupe sociologique des aristocrates (imajaghen), autrefois guerriers intrépides (Bourgeot, 2001), à l’origine de la célèbre bataille d’Izerwan 6 (Nicolas, 1950) au cours de laquelle les Ihaggaren de Musa Ag Amastan et les Iwillimiden de Mohamed Ag Ilkoumati s’affrontèrent impitoyablement. Le centre de leur pouvoir se trouve aujourd’hui à Tchimomanen (8 km à l’Ouest d’In Gall) où réside le chef de groupement.

Autrefois, ils nomadisaient en bordure du Tadress au sud de la falaise ou dans son prolongement Nord-Ouest. Le groupement Kel Fadey est composé de plusieurs tribus dont les plus importantes sont : igamayen, ifarayen, ikherkheren, ighalgawen (détenteurs de l’ettebel), idarawen, kel agharous, … Les Kel Fadey ont une réputation de piètres musulmans, peu enclins à une vie religieuse sérieuse. Certaines monographies coloniales font état de leur pauvreté matérielle. « Ils ne sont pas riches et vivent assez misérablement dans l’ensemble » (Rapport anonyme, 1956). Cette image négative d’hommes « pauvres » est très vivace chez les Illabakan, par exemple, leurs voisins (et cousins à plaisanterie) plus au Sud, dans la confédération des Iwillimiden de l’Est. Autrefoi, grands pillards, « ils se sont fait une profession dans le vol de bétail et fréquentaient assidûment le marché d’In Gall avant la création du Poste » (rapport cité).

Ce dénuement économique doublé d’un esprit clientéliste, voire prédateur, a fait des Kel Fadey, aujourd’hui, des « autochtones marginalisés » (Fay, 2000 : 133) dans l’arène socio-politique d’In Gall. Leur chef suprême n’a pas d’autorité véritable et apparaît, aux yeux de ses détracteurs, ‘’accroché’’ à Assayad, le « tout puissant » député-conseiller de la région dont nous parlerons longuement dans cette étude.

« Le chef de groupement Kel Fadey est assimilé à Assayad. Il ne joue pas son rôle auprès de ses administrés. Il ne voit pas plus que le bout de son nez. Il est influencé par sa femme. Celle-ci est très favorable à Assayad. Les gens risquent de le quitter. Assayad a un groupe de pression au sein de ce groupement, qui fait pression sur les autres.» (A.M, poste administratif d’In Gall).

En raison de cette inféodation du chef de groupement au député qui, de l’avis de

nombre de gens, entretient le fonctionnement domestique de sa famille par des cadeaux réguliers en nature et en espèces, la chefferie des Kel Fadey manque de centre fort; on pourrait dire qu’elle manque de capital politique ou symbolique mobilisable dans l’arène politique locale ; elle semble incapable de mobiliser ses forces intérieures en vue d’influencer ou contrôler le jeu socio-politique sur la scène locale. Aucun membre de la famille du chef n’est présent, à notre connaissance, dans aucune structure étatique ou politique locale.7 D’ailleurs même dans l’histoire, les Kel Fadey n’ont jamais été un creuset socio-politique de rassemblement ni un espace politique intégrateur des autres communautés, en raison principalement de trois facteurs défavorables : leur dénuement matériel, leur réputation de pillards et leur piètre religiosité. Sur cet aspect, voici ce que dit le rapport colonial anonymeprécédemment cité :

« Les marabouts et cheriff venus des circonscriptions voisines ne se font recenser que très rarement dans leurs tribus qui ne participent à aucune vie religieuse si ce n’est que l’observance des prières rituelles et une ferme croyance dans toutes les superstitions qui encombrent la religion musulmane en pays touareg ».

6 C’est une vallée située entre Tabalak et Tahoua, autrefois ‘’terroir d’attache’’ des Iwillimeden de l’Est. 7 Toutefois, un de ses fils est parmi les percepteurs des taxes au poste frontalier (juteux) d’Assamaka.

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Cette incapacité à occuper la position centrale, dans le jeu politique local, a poussé les jeunes et les cadres originaires et sympathisants de la chefferie à créer une structure associative, dénommée association pour le développement local intégré (ADLI), dans le but de faire du lobbying en faveur de la chefferie, avec pour finalité de « la redynamiser » et de la placer au centre de l’arène politique locale.

« ADLI était, un peu pour l’histoire, à l’initiative, des cadres, étudiants, ressortissants d’ici. Les objectifs recherchés à travers ADLI, initialement, c’étaient de réhabiliter la chefferie, puisque tout le monde était unanime que la représentativité n’était pas bonne et qu’elle avait des insuffisances. Bon, les étudiants et les fonctionnaires se sont dit, il faut aller vers le chef de groupement pour lui dire : « il faut que tu te ressaisisses, tu as une chefferie importante, tu ne dois pas la diriger de cette manière et que tu es censé être un acteur de développement, tu dois pouvoir conquérir et reconquérir les choses pour l’avenir ». (Ahmed Alghous, secrétaire exécutif d’ADLI)

Mais la tentative n’a pas bien fonctionné en raison de l’immixtion du conseiller-député

dans le débat. Le député a manœuvré ses réseaux au sein de la chefferie (notamment les frères, la femme 8 et les fils du chef), pour faire échouer la fête de redynamisation du groupement, autrement dit, la dynamique tant escomptée par ADLI.

« Il y a eu malheureusement une tentative de récupération ; des personnalités influentes sont venues dire au chef de groupement : « ces gens-là, ils sont en train de te mettre sur une mauvaise route, et ils envisagent à terme de te destituer ». Une façon de liquider la démarche quoi… C’est essentiellement Assayad, il ne faut pas cacher les choses, c’est lui. Par rapport à des intérêts qu’il voulait couvrir, il est venu dire au chef de groupement : « il faut se méfier de ces gens-là », il a eu certainement l’appui de certaines personnes, membres de la famille du chef, qui l’ont appuyé, qu’il a utilisé » (A. A).

Un autre facteur d’affaiblissement politique du groupement Kel Fadey est la

transposition du conflit entre les leaders politiques locaux, notamment entre Assayad et Akoli Daouel, dans l’arène chefferiale. Chacun des deux leaders veut avoir une assise solide dans la chefferie. Akoli misait sur l’appartenance de sa tribu (dont il est chef) au groupement. Mais il investissait moins d’argent dans le groupement qu’Assayad, et cela a naturellement un coût ! Bien qu’il ait le frère (prétendant à la chefferie) du chef de groupement de son côté, Akoli Daouel n’a pas eu la caution symbolique et le soutien socio-politique attendus des Kel Fadey, lesquels ont préféré soutenir publiquement Assayad, dont il faut préciser qu’il est plutôt arabe.

Les Igdalen

Les Igdalen sont des maraboutiques très réputés en pratiques magico-religieuses. Ils ont une connaissance profonde du Coran, ce qui leur vaut une admiration doublée de respect par les Touareg, qui ne s’emparaient jamais de leur bien et de leur bétail (Hamani, 1989). Considérés par les historiens comme l’un des premiers groupes touareg qui arriva dans l’Aïr, les Igdalen parlent une langue hybride (tagdalt), mélange de tamacheq et de songhay. Eux-mêmes ne se considèrent pas comme des Touaregs, mais se disent tout simplement Igdalen, avec leur culture, leurs traditions maraboutiques, leur langue spécifique. Le groupement igdalen (7ème) basé sur le territoire de la commune de Tamaya, dans le département d’Abalak, se compose de plusieurs tribus dont les principales sont les Kel Amdit, les Kel Tofeyt et les Ibarogan (de teint noir) qui apparaissent plutôt comme leurs serviteurs. Ils ne se sont jamais

8 La force de cette femme, au sein du groupement, repose sur la noblesse de son origine, sur ses racines chefferiales, sur un « stock symbolique historique » : « c’est aussi une noble. Son père devait être chef de groupement. Malheureusement, il est décédé avant les élections. Donc, la femme aussi a le pouvoir ; en tout cas son pouvoir est fort. Je vois qu’elle décide du chef de groupement, c’est la femme du groupement, parce qu’elle a hérité d’un pouvoir ; elle s’impose. Et tout le monde vient vers elle.» (Maïdagi, SG adjoint, MNSD, In Gall)

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servis de sabre, qu’ils ne savent point manier. Ils ne participaient jamais aux batailles que se livraient les Touaregs entre eux ou qu’ils livraient contre d’autres peuples. Ils mènent une vie fermée aux autres Touaregs, notamment dans le domaine matrimonial, autour des valeurs comme : « les traditions maraboutiques, la vie pastorale, la science religieuse, l’isolement et la discipline de race » (rapport cité).

De nos jours, les Igdalen (notamment la fraction Kel Amdit) sont plus présents, démographiquement, dans la commune de Tamaya où ils dominent largement le conseil municipal et les structures socio-économiques et coutumières. Tamaya apparaît, de fait, comme leur fief incontesté. Les Igdalen de la commune d’In Gall sont « non groupés » (ils ne sont dans aucun groupement coutumier sur le territoire de la commune) ; ils se trouvent à Tiggriwit et à Mazababou (Est de Tamaya) où réside leur unique conseiller membre du conseil municipal d’In Gall.

Cette présence politique remarquée dans les arènes politiques locales d’In Gall et de Tamaya est d’autant plus surprenante qu’ils étaient présentés par les rapports coloniaux comme des gens incapables d’évoluer socialement, en raison de leurs traditions maraboutiques et de leur isolement socioculturel.

« Il est évident que l’Igdalen absorbé par ses études coraniques sera toujours la victime de ses voisins Kel Tamajaq ou Peuls qui jalousent ses troupeaux et ses puits. » (Rapport cité)

Les Igdalen sont connus pour être des gens qui cultivent la différence, et leurs

stratégies d’accaparement des ressources et d’occupation de l’espace politique local sont régies par la confidentialité la plus totale à l’égard des autres groupes. Les Igdalen d’In Gall sont moins actifs politiquement que leurs frères de Tamaya.

Les Ihaggaren

Les Ihaggaren étaient arrivés du Sud algérien (cf. Bourgeot, 2001), où se trouve leur foyer d’expansion vers les parties septentrionales du Niger et du Mali. Ils voyageaient beaucoup ; pendant longtemps ils faisaient le commerce du sel de Tessalit entre Djanet (Algérie) et le Sud, notamment le Niger et le Mali. Gros éleveurs de camelins, ils nomadisaient, autrefois, aux alentours de Tegidda n Adrar, Anou Maqaren et Tegidda n Tageyt, dans la partie Nord-Ouest de la commune. Aujourd’hui, ils sont dans l’Irhazer. Les chefferies ihaggaren étaient, pendant longtemps, « non groupées ». Mais elles viennent d’avoir une chefferie de groupement à la faveur d’un décret présidentiel.

Bien qu’ils aient été pendant longtemps marginalisés dans la répartition des ressources du poste administratif, et s’estiment toujours l’être, les Ihaggaren sont aujourd’hui représentés dans le conseil municipal, et entendent clairement faire prévaloir leur voix au sein de l’arène politique locale. De fait, ils apparaissent comme un groupe de pression. Le conseiller municipal, Mohamed Sidi-Sidi, est le personnage clé de ce groupe. Les Ihaggaren disposent de beaucoup d’atouts qu’ils peuvent utiliser dans leur combat pour la reconnaissance sociale et politique dans les arènes locales et régionales. Ils sont riches en bétail camelin ; certains de leurs « fils » se positionnent à des postes de responsabilité stratégiques au sein des ONG nationales et internationales9; d’autres sont dans des réseaux de trafic commercial entre le Niger et ses deux grands voisins du nord.

9 Comme l’ONG américaine Africare, dirigée à Agadez par un ressortissant du groupe ihaggaren, riche et influent au niveau de l’Aïr. D’après certaines informations, tout le personnel de l’ONG est ihaggaren.

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Il nous semble que les Kel Ahaggar ont mis en place un dispositif stratégique en vue de se positionner dans l’arène socio-politique locale, aux niveaux municipal, chefferial, associatif et politique.

Au niveau municipal

Le conseiller municipal Mohamed Sidi-Sidi mène le combat pour le rayonnement de sa communauté au niveau de la commune. Sa participation à l’élection locale répondait à cette exigence puisqu’il y avait été poussé par les siens, en particulier, par des cadres et ceux qui avaient foi en sa capacité à mener le combat pour la « bonne cause ».

« Ce sont des amis, ce n’est pas un homme, ce sont des amis, ce sont des intellectuels qui ont proposé ma candidature, qui ont pensé que je suis peut- être le seul qui puisse faire quelque chose, qui puisse les représenter au niveau de la commune » (M. Sidi-Sidi).

Sachant qu’il ne peut rien faire tout seul au sein du conseil, sa stratégie consiste à miser sur des hommes de confiance, à créer des liens personnalisés par la constitution d’une ‘’clique’’ au sein de l’arène municipale dans le but de contrôler la mairie ; et quand cela ne marche pas, il s’allie aussitôt avec ceux qui contestent l’autorité du maire, dénonçant, au delà, la « tutelle » d’Allélé et les arrangements entre les leaders locaux qui ont conduit au choix du maire.

« Le jour où l’élection du maire a été faite, je n’étais pas là, j’étais à 32 km d’ici. Ces gens n’ont pas voulu me chercher parce que dès au début j’ai dis qu’il faut qu’on choisisse quelqu’un qui puisse faire quelque chose pour la commune, pour la population. Et ce quelqu’un ça ne peut être que Founou Hamed Ahmed. Donc, les gens se sont retrouvés de gauche à droite, Mohamed Anako a vu Assayad, celui-ci a vu Alllélé. Bon, il faut faire passer Bianou Bicka, au détriment de Founou » (M. S. S)

Au niveau chefferial

Les Ihaggaren ont fait pression au niveau régional et au niveau de Niamey pour avoir une chefferie de groupement rassemblant toutes leurs tribus, naguère « non groupées ». Ça a été un grand succès car la chefferie de groupement offre un espace de légitimation symbolique et sociale pour les acteurs du jeu politique local. La création de ce groupement amène le nombre de groupements qui se trouvent sur le territoire de la commune à trois : Kel Fadey, Bikrawa (Peul) et Ihaggaren. Le personnage le plus actif du côté de la chefferie est Aghali Abada. C’est un chef de tribu, prétendant à la chefferie de groupement. Se positionnant pour l’élection du chef de groupement (qui n’était pas faite au moment de l’enquête), titre qu’il usurpait dans ses conflits avec les autorités locales, notamment le chef de poste, il s’insurgeait contre la non représentation des chefferies ihaggaren dans le comité mis en place par le chef de poste pour réaliser la distribution gratuite des vivres, suite aux inondations.

« Un jour, il m’a trouvé ici, il m’a dit qu’il avait une question à me poser : « pourquoi j’ai mis en place un comité dont il ne fait pas partie, en tant que chef de groupement, en tant que chef de groupement, vous saisissez bien ? En tant que chef de groupement! » (Alhakou Assadek, CPA In Gall)

Selon le chef de poste, cette exigence n’est ni spontanée ni une réaction personnelle et libre de celui qu’il appelait « mon papa», « mon ami », « mon parent », chez qui il allait souvent boire un vert de thé ou du lait de chamelle. Il n’y a aucun doute, Assayad est derrière la réaction inattendue d’Aghali. Pour le chef de poste, Assayad a fait cela pour deux choses : premièrement, le mettre en conflit avec ses administrés, notamment les chefs coutumiers et deuxièmement, créer une tension au sein de la chefferie ihaggaren, avant l’élection du chef de groupement, en soutenant publiquement un candidat, qui n’aurait pas la caution de la majorité des Ihaggaren.

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« Les Ihaggaren ont des problèmes avec Assayad, car celui-ci appuie un candidat à la chefferie de groupement Kel Ahaggar. Ce noyau reproche à la mairie de ne rien faire en direction des Ihaggaren. Il a des problèmes avec les autres groupes ». (A. M)

Au niveau des ONG

Il se raconte un peu partout que l’ONG américaine Africare qui intervient dans la région d’Agadez est la « propriété » des Ihaggaren. Ils en seraient les seuls acteurs, sinon les acteurs majoritaires. En tous les cas, son responsable régional, Akoulou, est un des Ihaggaren les plus en vue à Agadez. Il a amassé une fortune impressionnante en quelques années, ce qui lui a ouvert beaucoup de portes. Il aussi développé de solides réseaux de relations, qui l’auraient protégé quand une mission d’Africare dépêchée de Niamey (ou des USA) est venue enquêter à Agadez sur des soupçons de détournement de vivres qui pesaient sur lui. Son clan ihaggaren et ses réseaux se seraient mobilisés pour faire échec à cette enquête. Il a des liens de parenté solides avec Mohamed Sidi-Sidi. Ils formeraient, selon certains informateurs, un solide tandem pour inscrire les Ihaggaren dans une nouvelle dynamique.

Au niveau politique

Mohamed Anacko jouerait timidement le point focal, à ce niveau. D’abord, il est de notoriété publique, à Agadez, qu’Africare c’est « sa chose » parce qu’il avait (ou a) une relation matrimoniale avec une Américaine qui dirigeait Africare–Niger, il y a quelque temps. Mettant à profit cette relation privilégiée, il aurait permis aux Ihaggaren de travailler massivement à Africare. C’était lui qui aurait ouvert la voie à Akoulou. Il aurait décidé d’exploiter politiquement ses liens de parenté avec les Ihaggaren.

« Mohamed Anako est, quant à lui, proche des Ihaggaren que des autres ; peut-être est-il déçu par ses parents d’In Gall ? Sa mère appartient à la tribu des Ifindilak (imaghad) qui battaient le tambour (ettebel) aux Kel Fadey (sous Ghaliou) ». (M. A)

Mais le poids politique d’Anacko semble plus surestimé que réel. Car il n’a pas de position politique ferme et autonome au niveau de l’arène locale. Il est généralement perçu, localement, comme étant « accroché » à Allélé, tout en jouant à l’équilibrisme diplomatique entre ce dernier et Assayad.

« Mohamed Anako est plus proche d’Allélé. De façon diplomatique, il joue à l’équilibrisme entre Allélé et Assayad ». (M. A)

Les Taïtoqs

Les Taïtoqs se trouvant sur le territoire de la commune d’In Gall peuvent être considérés, selon l’expression de Claude Fay (2000), comme des « lignages accrochés ». Peu nombreux numériquement, ils étaient venus du Hoggar algérien où ils étaient de même souche généalogique que les Ihaggaren (cf. Bourgeot, 2001). Edmond Bernus les appelle les « Kel Ahaggar nigériens » » (Bernus, 1981 : 319) et situe la date de leur arrivée au Niger (suite à des rivalités avec les Kel Ghala) à 1934. Ils ont de tout temps répugné de se rendre au marché d’In Gall. Seule la cure-salée, fête annuelle des éleveurs, les attiraient vers In Gall.

« Les Taïtoqs fréquentent beaucoup plus le marché de Teguidda que celui d’In Gall.» (Rapport cité)

Les aires de nomadisation des Taïtoqs sont Tagaza, Tasadalt, Tegidda n Tageyt,… Ils nomadisent généralement vers la frontière algérienne, notamment vers Inabangharet. Tentées par l’agriculture, certaines familles taïtoqs se sont installées près de Tegidda n Tagaeyt pour faire du jardinage.

En plus de leur ‘’distanciation’’ vis-à-vis du chef-lieu de la commune et de leur faible poids numérique, les populations Taïtoqs sont « non groupées ».

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Au carrefour de ces trois facteurs, nous pouvons dire que les Taïtoqs sont voués, pour quelque temps encore, à une représentation socio-politique médiocre ou nulle dans l’arène politique locale. En effet, nos investigations empiriques et documentaires ne nous ont pas permis de déceler l’existence de réseaux (ils peuvent exister sans que nous le sachions !) ou de pôles de positionnement stratégiques contrôlés par des Taïtoqs au sein des structures de développement et étatiques.

Les Kunta

Sur le plan coutumier, les Kunta d’In Gall sont « non groupés ». Communément appelés isheikhan, les Kunta sont, en général, présentés comme des Arabes, même si le décret de 1956, portant création du Poste Administratif d’In Gall, les classait parmi les Touaregs (E. Hahonou, 2004 : 14). Ils parlent en effet la même langue (arabe) et partagent une culture commune, la différence entre les deux groupes étant que les Isheikhan sont un groupe religieux, une espèce de confrérie religieuse fondée sur le respect scripturaire des dogmes et rites religieux fondateurs de la communauté. Ils se caractérisent par :

« .. une empreinte religieuse plus marquée que dans toute autre tribu des plaines et qui se traduit par une prédominance des marabouts. » (Rapport cité)

Les Kunta du Niger vivent dispersés dans le Tamesna, la partie Nord-Ouest de la commune, à l’Ouest d’Arlit et vers Tegidda n Tagayt. Ils voyageaient beaucoup, et certains individus isheikhan, dotés d’un savoir mystique et magico-religieux à la fois redouté et admiré par les Touaregs, ont séjourné parmi ces derniers pour leur offrir leurs services maraboutiques. Mais en général, leurs campements vivent en voisinage permanent avec les Arabes Attowajitan et Almuchakara qui sont dans la région de Tahoua. Ils se sont faits distinguer, sous l’occupation coloniale française, par le trafic des armes de guerre et des munitions. Profitant de leurs multiples voyages et de leur nomadisation sur les points de passage obligés des caravanes en provenance du nord (Algérie et Libye), ils utilisent :

« … des occasions multiples pour acheter, vendre ou échanger des armes et munitions de guerre. » (Rapport cité)

Les Kunta sont aujourd’hui parmi les plus gros propriétaires de bétail camelin et bovin de l’Azawagh et de l’Aïr. A la fin de la transhumance saisonnière d’hivernage, leur cheptel bovin descend vers l’Azawagh où il passe toute la saison sèche, le cheptel camelin, quant à lui, reste dans les plaines des différentes Tegidda (Tegidda n Tesemt, Tegidda n Tegeyt, Tegidda n Adrar), à l’Ouest d’Arlit et dans l’Irhazer. Quelques individus vivent à In Gall et à Agadez, mais les plus riches familles se trouvent à Arlit. Ils sont dans des réseaux de trafics en tout genre (généralement des hydrocarbures) entre les pays du Nord (Algérie, Libye) et ceux du Sud (Niger, Mali).

Les Kunta semblent se tenir à l’écart de la complexité du jeu politique et des luttes de positionnement à l’œuvre dans l’arène locale d’In Gall. Leur présence s’exerce sur le plan moral et religieux, même si certaines individualités de la communauté émettent des voix discordantes pour faire valoir leurs intérêts propres.

« Il (le groupe) se structure autour du sheikh Ghabidin, qui habite Lazrag (Ouest d’In Gall). Ce noyau n’est pas présent sur la scène locale, mais a quand même son importance dans les affaires de la commune. Pouvoir moral. Mais au sein de ce groupe, il y a un autre sheikh qui ne cherche que son intérêt et qui insulte tout le monde » (A. M)

Les Arabes

Les Arabes ont été, parmi tous les lignages qui se trouvent sur le territoire de la commune, les plus actifs et les plus agressifs politiquement lors des élections municipales et

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générales de 2004. Cette offensive inhabituelle a été payante, et de façon extraordinaire. En effet, malgré leur faible poids démographique dans la commune, ils ont eu deux députés et deux conseillers municipaux, dont le plus puissant, et en même temps le plus bouillant, a réussi la prouesse de cumuler les deux mandats électifs : Assayad Sidi Mohamed, député et conseiller municipal (MNSD-Nassara) ; Chérif Ghabidine, député (PNDS-Tarayya) ; Hamed Lamine Naji, conseiller municipal (PNDS -Tarayya).

Mais ils sont divisés en deux clans qui ne sont pas toujours en parfaite entente, loin de là, puisque lors des élections générales de 2004, ils se sont livrés à un duel très tendu, le jour du scrutin législatif, avec usage d’armes à feu, corruption à visage découvert des délégués des deux bords, menaces de toutes sortes sur les délégués de l’adversaire, ce qui a amené la cour constitutionnelle à annuler tout simplement les résultats de certains bureaux de vote. Leurs rivalités ont particulièrement épousé celles de leurs partis politiques.

Le ‘’clan Chérif et Naji’’ est parti de rien.

« Il est entièrement PNDS–Tarayya. Le centre du noyau se trouve à Agogh, 70 km à l’ouest d’In Gall. Il se structure autour du député Chérif (PNDS). Ce noyau excelle dans le commerce et l’élevage. Agogh a surgi de la terre. En 2001, il n’ y avait qu’une seule maison en banco. » (A. M)

Le camp opposé a son centre de rayonnement à Agadez où réside le conseiller-député Assayad Sidi Mohamed. Ce groupe a un large rayon d’action (nous examinerons cet aspect dans la section sur les groupes stratégiques).

«Assayad est un personnage confus. Il domine le conseil municipal, car il contrôle au moins 7 conseillers (c’est un groupe prêt à tout faire, ce sont des rabatteurs) ; il est à la base des problèmes de la commune et de beaucoup de confusion. Il cultive la tension. Le maire n’est pas avec lui ; il est plutôt avec Allélé. Les Igdalen, les Izilitan, le noyau des anciens de la samaria et les jeunes (pas tous) sont avec Assayad » (A. M)

Il faut cependant dire que les rivalités entre les deux leaders locaux de la communauté arabe ne sont que des conflits superficiels (ou de principe) qui s’effacèrent le jour des élections. « Les divisions internes, pourtant souvent graves, sont alors efficacement gommées dans une perspective très pragmatique » (Fauroux, 1999 : 49). Ces rivalités n’entrent-elles pas plutôt dans un dispositif stratégique mis en place pour limiter les candidats n’appartenant pas à la communauté arabe ? En effet, une campagne menée aussi intensément offre plus de candidats à ceux qui savent la faire qu’à ceux dont la campagne manque de moyens et se déroule mollement. Les Arabes, en général, savent mieux que quiconque faire pression durant une campagne électorale pour avoir plus de chance que les autres.

La communauté arabe d’In Gall est active dans tous les secteurs de la vie socio-économique. Outre le commerce, secteur dans lequel les Arabes sont en général inégalés, ils sont de gros producteurs de bétail (toutes espèces confondues), secteur dans lequel ils investissent d’importants fonds, qui génèrent une plus-value considérable, car ce secteur n’est pas fiscalisé au Niger. Ils sont également impliqués dans tous les trafics (prohibés et légaux) qui traversent le Sahel et le Sahara dans toutes les directions.

Les Arabes compensent leur faiblesse démographique dans les arènes politiques locales par l’entretien de clientèles locales fidélisées à coup de billets de banque. Leurs victoires dans les jeux politiques locaux tiennent à cette logique clientéliste et corruptive. Ils sont dans des réseaux extra-locaux (nationaux et étrangers, notamment arabes) qu’ils font quelques fois intervenir financièrement ou politiquement dans les processus politiques des arènes locales. Ceux qui refusent ces logiques clientélistes et corruptives sont ou bien

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« décrochés » de leur poste et affectés ailleurs 10 s’ils sont fonctionnaires ou bien brimés à force d’isolement sur la scène locale, s’ils sont tout simplement leaders locaux ou simples citoyens.

Les Peuls

Les Peuls d’In Gall, dont les Bikrawa et les Bingawa sont les composantes les plus importantes, étaient arrivés dans la zone depuis la colonisation, venant du Sud où ils avaient maille à partir avec les cultivateurs, et repoussés par une imposition fiscale très sévère à laquelle ils tentaient de se soustraire (cf. Rapport cité). Cette arrivée « envahissante » a été perçue comme insupportable par les Touaregs. En effet, pendant longtemps, l’image de l’éleveur peul « envahissant », « turbulent » et « encombrant » était largement prégnante dans les représentations des éleveurs arabes et touaregs. Et même de nos jours, les choses ne se sont guère améliorées. Les Peuls sont stigmatisés en raison de leurs bagarres fréquentes avec les agriculteurs du Sud, car ils n’hésitaient pas à faire paître leurs animaux dans les champs des paysans.

Cette image négative était partagée par les administrateurs coloniaux pour qui, outre les problèmes créés aux autres éleveurs, les Peuls ne respectaient pas les échéances de l’impôt et ne s’imposaient pas de nécessaires limites dans leur cohabitation avec leurs voisins, éleveurs ou paysans.

« Ils se comportent comme tous les Peuls du Tadress, envahissant les pâturages, encombrant les puits et accaparant d’autorité les fourches pour abreuver leur bétail, enfin retardant jusqu’à l’extrême limite l’échéance de l’impôt » (Rapport cité).

Cette vision négative, aggravée par le refus des Peuls de la scolarisation (ou de la modernité), n’a pas permis leur émergence au plan socio-politique et coutumier. Pendant longtemps tous les Peuls de l’Azawagh se retrouvaient coutumièrement dans une seule chefferie de groupement (9ème). Mais depuis l’avènement du président Tandja (lui-même peul) à la tête de l’Etat (1999), et surtout la nomination d’Albadé Abouba (Peul de Kao) au poste de ministre de l’intérieur, les choses ont changé favorablement pour les Peuls (pour une analyse détaillée et fine de cet aspect cf. Eric Hahonou, 2004 : 21-24).

Nous nous limiterons, ici, à montrer que les Peuls d’In Gall ont désormais des atouts symboliques ou coutumiers, avec la création d’une chefferie de groupement en leur sein (en 2002), pour prétendre à prendre place dans l’espace socio-politique local. Sauront-ils le faire ? A notre avis, ils demeurent encore un « lignage accroché », donc marginalisé politiquement. Ils ne sont pas représentés dans le conseil municipal et manquent de visibilité politique, économique et sociale sur la scène locale. Nous n’avons pas pu identifier des leaders locaux peuls à In Gall. Toutefois, le sous-lignage Bingawa est plus offensif. Il s’est inscrit, sous la houlette de son conseiller à la primature (sous Hama Amadou), dans une dynamique multidirectionnelle d’appropriation de l’espace et du savoir : leurs ressortissants interviennent dans l’artisanat et le tourisme ; ils ont également ouvert une école primaire à Fidik (leur village-centre, situé à 7 km au Sud-Ouest du village de Mararaba).

Caractéristiques socio-économiques de la commune

Les caractéristiques socio-économiques de la commune d’In Gall sont sahélo-sahariennes ; elles reposent principalement sur trois types d’activités : l’élevage, le commerce et le maraîchage. Si l’économie des populations touaregs et peules reste dominée par le pastoralisme, celle des Arabes combine élevage extensif et commerce à grande échelle (cf.

10 Le député serait derrière l’affectation de l’ancien secrétaire du P. A : « Amani a eu un petit problème avec les gens, il a été affecté. Il a refusé l'affectation, il a pris une disponibilité » (SG mairie)

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Grégoire, 1999 ; Hahonou, 2004). Cependant, depuis quelques années, les Peuls et les Touaregs se sont tournés vers l’artisanat et l’économie touristique. Les Isawaghen sont principalement actifs dans le commerce du sel local, artisanalement extrait du sol, des dattes et la fabrication de la célèbre chaussure en cuir d’In Gall, fortement appréciée des Touaregs et des Arabes. Il faut dire que ce type d’économie, chez les Isawaghen, est pratiqué « dans le cadre d’un mode de production familial » (Hertrich et Lesclingand, 2001: 3). L’articulation de ce commerce local avec le marché national demeure encore très timide.

La scolarisation est très faible, même si l’on observe depuis quelque temps un engouement nouveau des Peuls pour l’école. La multiplication d’écoles primaires dans des centres de fixation nouvellement créés pour les Peuls, sous l’aiguillon des autorités administratives locales et nationales et des partenaires au développement, en est la preuve matérielle. La faiblesse de la scolarisation dans la commune d’In Gall découle d’une série de facteurs, qu’on rencontre partout au Niger : « insuffisance des enseignants, ignorance des parents, manque de cantines scolaires, manque de dortoirs, manque d'écoles, classes ne répondant pas aux normes techniques requises » (PCD, 2006 : 15), etc.

Le village d’In Gall a connu ses années de prospérité lorsque la ‘’route de l’uranium’’ passait par-là, à la fin des années soixante-dix (pour une analyse détaillée des présupposés politico-économiques qui ont déterminé la déviation de cette route, voir Hahonou, 2004). En effet, depuis la déviation de cette importante route en 1978 le village végète dans une situation socio-économique atone, caractérisée par une très forte diminution du flux (voire un arrêt net) du commerce saharien, à l’époque dominé par des Algériens dont les camions communément appelés ‘’dirro’’ arrivaient à In Gall chargés de sucre, de thé, d’hydrocarbures, de dattes, de sel, de tissus, etc. La période des « vaches maigres » qui commença alors pour In Gall ne fut jamais dépassée, même avec la création in extremis d’une bretelle de 50 km reliant le village à la ‘’nationale’’. Les seuls moments d’animation pour les populations d’In Gall, dans cette morose histoire ininterrompue, sont la période de transhumance hivernale (elle dure à peine un mois et demi, selon Bernus, 1981) qui voit affluer vers le village et ses environs des milliers d’éleveurs (touaregs, peuls, arabes) venus de tous les coins du Niger, et même de pays limitrophes (Nigeria, Mali, Algérie, Libye) en quête d’herbe fraîche et des salines de Tegidda, Fagochia, Bugnutan, Azélik, dont les vertus nutritives pour le bétail sont connues de tous les pasteurs sahélo-sahariens (cf. Bernus, 1981). Durant cette période, le marché d’In Gall est inondé d’animaux, les éleveurs y arrivent chaque matin pour faire des affaires, les commerces vont bon train, la vie est animée pendant des journées entières. Les commerçants du Sud y amènent leurs céréales, notamment le mil et le sorgho qui sont très prisés des pasteurs peuls et touaregs.

« Le marché de bétail, par exemple, ne reçoit pas moins de 500 chameaux » (A. M).

Et le point d’orgue de cette période est la « cure salée », appelée ‘’fête des éleveurs’’ (cf. Hahonou, 2004), qui dure au maximum une semaine, contrairement à ce qu’écrit Hahonou (2004 : 55) qui semble la confondre avec la transhumance hivernale. L’apport économique de la cure salée à In Gall est diversement apprécié. Selon un de nos enquêtés la cure salée n’apporte rien économiquement au village d’In Gall.

« Ce n’est pas la cure-salée qui fait vivre In Gall. C’est plutôt la transhumance qui le fait fonctionner » (A.M)

L’organisation officielle de la cure-salée n’est pas bien institutionnalisée. Elle repose chaque année sur une structuration aléatoire, dépendant en grande partie, sinon essentiellement, de l’humeur du gouverneur de la région d’Agadez. Toutefois, l’organisation est chaque année à peu près la suivante :

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- le comité national, généralement coiffé par des techniciens des ministères en charge de la cure salée (ministère des ressources animales et ministère de l’intérieur et de la décentralisation)

- le comité régional dirigé par le gouverneur à travers le préfet de Tchirozérine et ses techniciens

- le comité local, dont les tâches essentielles sont la restauration et l’organisation matérielle de la cure-salée.

Ce dernier comité « privilégie les officiels au détriment des éleveurs. Les étrangers sont toujours très mal pris en charge avec des rations sèches. L’année passée, ça s’était bien passée, et ça c’était lié à la personnalité du gouverneur actuel, contrairement à ses prédécesseurs. Toutes les commissions ont eu leurs frais (per diem, honoraires) ; on a fait de la sensibilisation qui n’a jamais été faite auparavant » (A.M).

La cure salée est toujours le moment de passage de la période de faste, marquée par les fêtes et le pic des activités socio-économiques, à la longue période de morosité économique qui dure pratiquement onze mois. Au moment de notre enquête, en avril, la situation du marché à bétail d’In Gall n’était guère reluisante.

« C’est une période très morte. Si vous traversez le marché d’In Gall, le marché à bétail, vous allez voir que c’est vraiment très moche. Si vous divisez les animaux, une partie ce sont des animaux des revendeurs qui les ont achetés avant hier ou deux jours de cela, qui les ramènent au marché. Sur le marché, vous allez trouver à peine 30 ou 25 animaux. Si vous faites la part des choses, vraiment les recettes sont très faibles à cette période » (Zakari Seydou, chef du service d’élevage).

Contexte physique et administratif

Une des communes les plus vastes de la région d’Agadez, la commune rurale d’In Gall couvre une superficie de 50.000 km² et s’étend sur toute la superficie du Poste Administratif (PA) préexistant dont elle a hérité des frontières (cf. monographie de la commune rurale d’In Gall – mars 2006). La configuration physique de la commune épouse fortement la variation écologique du couvert végétal. Quatre zones écologiques se dégagent ainsi nettement, avec leurs caractéristiques physiques et humaines et leurs écosystèmes: Tadress, Azawak, Irhazer, Tamesna.

Le Tadress est une zone de plateau limoneux avec des affleurants rocheux et des micro-dunes supportant une végétation discontinue dominé par Panicum turgidum et Cenchrus biflorus, et quelques arbres (Acacias raddiana, Maerua crassifolia, Acacia Ehrenbergiana), parsemés dans des micro-dépressions. La plaine est drainée par plusieurs vallées avec une forêt galerie composée des acacias (nilotica, ehrenbergiana, raddiana) et des Zizyphus mauritiana. Commiphora africanus (adress), qui donne le nom à cette zone, est en diminution localement. La pluviométrie du type nord sahélien est 300 à 200 mm en moyenne

Sur les sols sablonneux souvent en forme de dunes fixes de l’Azawak au Sud on trouve des pâturages continus dominés par Cenchrus biflorus et Aristida longifera parsemé des dépressions sablo limoneuses dominées par une végétation ligneuse des acacias (nilotica, raddiana) et des Balanites aegyptiaca. La pluviométrie du type nord-sahélien est 300 à 200 mm moyenne

L’Irhazer, zone des grandes plaines argileuses avec sols hydromorphes et salins en

plus des sols bruts peu évolués mais souvent profonds, est traversé par l’ « Irhazer wan Agadez » important Ooued qui traîne les eaux du Sud et Sud-Ouest de l’Aïr et de la plaine depuis les falaises de Tigidit, jusque dans le Nord, à hauteur de Tegguidan Tagueyt et un peu au Nord d’In Gall, soit sur une vaste largeur, pour aller vers l’Ouest en passant par Tegguidan tessoumt, puis continuer vers l’Ouest sous forme de vaste plaine d’inondation diffuse, pour rejoindre un autre bassin descendant au Sud celui-là, la vallée de l’Azawak

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Le Tamesna, c'est l'extrême Nord. Il porte sur un substrat limoneux avec quelques

dunes, une végétation herbacée annuelle et très peu de ligneux et des plantes herbacées vivaces, telles que Shouwia thébaïca. La pluviométrie est du type saharien de moins de 100 mm en moyenne et très erratique sur l’espace et le temps. (cf. Monographie de la mairie)

Ces quatre zones écologiques sont également des zones socio-économiques, avec des types d’élevage et d’habitat spécifiques. Dans l’Azawak (Azawagh) et le Tadress où le climat est moins rude, on trouve toutes les espèces de cheptel ; dans l’Irhazer, on trouve des camelins et un peu de bovins dans sa partie Sud-Ouest ; dans le Tamesna seul l’élevage des camelins est possible, en raison de la rudesse du climat. La tente en velum de peaux des moutons et des chèvres est l’habitat principal de l’Azawak et, dans une moindre mesure, du Tadress, qui combine cette forme d’habitat avec l’habitat en nattes qu’on trouve principalement dans l’Irhazer et le Tamesna.

La commune rurale d’In Gall a été créée par la loi 2002- 014 du 11 juin 2002. Elle a une population variant entre 34.300 habitants et 24.792 habitants, selon les différents recensements (cf. PCD, 2006). Elle compte huit villages administratifs11 et près d’une centaine de tribus dont trois chefferies de groupement. Elle est limitée au Nord par la commune de Dannat (département d'Arlit) et la République d'Algérie; au Sud par les communes de Bermo et de Gadabégi (département de Dakoro) et de Tamaya (département d'Abalak); à l'Est par la commune urbaine de Tchirozérine (département de Tchirozérine) et la commune rurale d'Aderbissanat (département de Tchirozérine); à l'Ouest par la commune urbaine de Tchintabaraden (département de Tchintabaraden) et la commune rurale de Tassara (département de Tchintabaraden); à l'extrême Nord-ouest par le Mali.

La cohabitation entre la collectivité territoriale et la circonscription administrative (ici Poste Administratif) d’encadrement, à statut ambigu12, est diversement vécue et jugée, selon les intérêts immédiats des uns et des autres, aussi bien par les populations locales que par les deux responsables respectifs de ces entités. Le maire fait semblant d’ignorer l’existence du chef de poste administratif, préférant traiter directement avec la préfecture de Tchirozérine. Aussi réduit-il les prérogatives du chef de poste à deux choses : appui-conseil et sécurité. Le chef de poste en fait une frustration polie et se plaint intelligemment d’être ignoré.

« Je ne suis pas obligé de me référer à lui (chef de poste). Mais quand je voulais faire quelque chose, je lui demandais ce qui avait été fait avant moi, comment il l'avait fait ? Et puis, il me cède des personnes-ressources. Vous voyez ! Voilà, comment sont nos rapports. La hiérarchie directe, c'est la préfecture. » (Maire)

«Maintenant je peux vous dire que nous sommes là pour apporter un appui- conseil, quoiqu’on en dise ; même si, au niveau de la mairie, les gens disent qu’eux, ils traitent directement avec la préfecture. Nous avons quand même le devoir d’apporter un appui-conseil à la mairie ; par rapport à telle chose, par exemple, voilà vraiment ce que vous devez faire, voilà ce que disent les textes, etc. » (Chef de poste).

La mairie assure la quasi-totalité des tâches naguère dévolues au poste administratif (PA) : l’état-civil, la gestion du foncier, la collecte de l’impôt et des taxes fiscales, la relation directe avec les partenaires au développement, les investissements sociaux,… Très peu de prérogatives restent, en effet, entre les mains du chef de poste administratif (CPA) : l’appui-conseil à la collectivité, la sécurité (notamment la gestion des forces de défense et de sécurité), les rapports avec les services déconcentrés de l’Etat (ils dépendent administrativement du PA) et la gestion des crises, comme cela a été le cas lors des

11 In Gall, Tegidda n Tesemt, Amataltal, Mararaba, Injighran, Asawas, Agogh, Aghabarghabar. 12 Les P.A ne sont pas prévus par la loi n° 2001-023 du 10 Août 2001 portant création de circonscriptions administratives et de collectivités territoriales.

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inondations dont a été victime le village d’In Gall, le 3 Août 2006, ainsi que le rapporte le chef de poste:

«Le jour où il y a eu des inondations, comme il fallait s’y attendre, naturellement, nous avons mis en place un comité composé de toutes les sensibilités. Parce que, vous savez dans des situations pareilles, si c’est le CPA seulement qui gère tout il y aura des petits problèmes. Bon, je me suis dit qu’il est tout à fait normal de mettre en place un comité. Et ce comité là, comme je le disais tantôt, a regroupé toutes les sensibilités : partis politiques, associations, ONG, conseillers municipaux, chefferie traditionnelle (chef de village d’In Gall, chef de groupement Kel Fadey, chef de groupement peul Bikrawa). Tous ces chefs ont leurs représentants dans le comité. Les forces de défense et de sécurité également en font partie. Tout le monde est impliqué. Et c’est comme ça que nous avons réussi à gérer tout ce que nous avons reçu comme aide. Et la mairie aussi (était impliquée dans le comité), même si les conseillers sont souvent absents. Il y a quand quelques-uns qui venaient, qui travaillaient, un, deux, trois jours avec nous. Après ils s’en vont. Sinon, c’est comme ça qu’on a fait » (CPA).

Théoriquement, le fonctionnement de la mairie est assuré par le maire (ou son adjoint),

le secrétaire général et l’agent municipal. Mais dans la réalité tout se ramène au maire, et à lui seul. Le secrétaire général, censé être la cheville ouvrière du fonctionnement au quotidien de la mairie, est cantonné, malgré lui apparemment, dans le rôle d’agent relais de la coopération décentralisée qui intervient, à travers la coopération avec les Côtes d’Armor, dans le budget d’investissement de la commune.13 L’agent municipal est réduit par la ‘’force des choses’’ au rôle d’‘’enfant de course’’ du maire ou du secrétaire général, préparant du thé par-là ou lavant la voiture de fonction du maire, par-ci.

Le conseil municipal comprend les onze conseillers élus, les deux chefs de groupement et le chef de village d’In Gall. Le MNSD domine largement le conseil municipal comme le montre le tableau suivant, suivi du PNDS et de PUND. Il faut remarquer que la CDS et le RDP ne sont pas représentés dans le conseil. L’autre particularité du conseil est qu’il regroupe surtout des Touaregs (8 conseillers), tous lignages confondus. Auxquels s’ajoutent deux Arabes et un Ingallawa (esawagh). Tableau du conseil municipal

Noms parti fonction dans le conseil

résidence niveau scolaire profession

Bianou Bika

MNSD maire In Gall institutaire enseignant à la retraite

Sidi Imilawat

MNSD vice maire Agadez primaire, ex-combattant artisan

Ahmed Moussa Nounou

MNSD membre Agadez universitaire enseignant/collège

Sidi Mamane

PUND membre Agadez bac agent de voyage

Ahmed Youssouf

MNSD membre Agadez illettré, ex- combattant sans

Hamed Lamine Naji

PNDS membre Agadez illettré opérateur économique

Assaid Sidi Mohamed

MNSD membre Agadez illettré député, opérateur économique

Mahmoud Aboubacar

PNDS membre Aderbissanat bac major CSI

13 Le SG a transformé la salle de réunion du projet LUCOP (avec l’accord de ce dernier) en bureau, ce qui crée quelques désagréments à tout le monde.

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Mohamed Sidi Sidi

MNSD président commission développement rural

Irhazer/brouse primaire laborantin/Arlit à la retraite

Mme Tidikounte Ichila

MNSD membre Mararaba illettrée sans

Hamed Ahmed Moumine

MNSD membre Mazababou (Est Tamaya)

lettré coranique marabout

Presque tous les services techniques ou déconcentrés de l’Etat sont représentés dans la commune d’In Gall : le Service Communal des Ressources Animales (élevage), le Service de l’Aménagement du Territoire et du Développement Communautaire (plan), le Service de l’Environnement (eaux et forêts), le Collège d’Enseignement Général (CEG), le Secteur Pédagogique, le Service de la Poste, le CETV (Faisceau Hertzien), les FNIS (Forces Nationales d’Intervention et de Sécurité), la Gendarmerie Nationale, etc.

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La configuration de l’arène politique locale

Les groupes stratégiques

L’entrée par les groupes stratégiques nous permettra d’identifier les acteurs, les stratégies et les enjeux qui alimentent les interactions dans l’arène politique locale.

L’analyse de la configuration de l’arène locale, et spécifiquement du conflit (nous en parlerons plus loin) au sein du conseil municipal entre le maire et le groupe de sept conseillers (G7) conduit par le conseiller-député, Assayad Sidi Mohamed, nous a permis d’identifier un microcosme politique dans lequel quelques acteurs se dégagent nettement. Ces acteurs, que nous avons identifiés comme des groupes stratégiques, nous sont apparu comme des cliques aléatoires, structurées autour de quelques leaders locaux sur le principe d’intérêts communs permanents ou ponctuels. Nous avons ainsi identifié des groupes dominants et des groupes moins actifs qui sont en vérité des sous-groupes.

Groupes dominants

La faction Assayad 14

Dans l’arène socio-politique d’In Gall aucun superlatif n’est de trop pour désigner Assayad Sidi Mohamed. Pour un haut responsable administratif de la commune, qui nous pria clairement d’arrêter l’enregistreur pour, disait-il, nous dire quelque chose d’important, Assayad est le ‘’T.P’’ (l’homme Tout Puissant). L’ancien secrétaire du PA, que la rumeur désigne comme la victime du pouvoir d’Assayad, lequel aurait exigé son affectation vers le Sud du pays, est encore plus ferme.

« Assayad est ‘’le président de la république d’In Gall’’, il faut l’écrire, c’est comme ça ! S’il arrive à In Gall il y a toute une foule qui vient chez lui.»

A l’heure actuelle, Assayad Sidi Mohamed est doté, à lui tout seul, de quatre légitimités : économique (opérateur économique), parlementaire (député), municipale (conseiller) et politique (vice-président de la section locale du MNSD). Il faut dire que le rayonnement de la personnalité d’Assayad dépasse de loin le cadre exigu, pour lui, de l’arène d’In Gall. Il a, au-delà de la région d’Agadez (son arène politique de prédilection), de solides relations avec les populations pastorales du Nord Tahoua et, même au-delà, dans les pays arabes du nord (Libye, Algérie) et du Golfe. C’est un vrai « big man », un « homme d’importance ».15

Fils d’immigré mauritanien (de lignée chérifienne), son père, le chérif Sidi Mohamed, était arrivé au Niger sous la colonisation française. Très respecté pour son savoir mystico-religieux 16 et ses ‘’qualités morales’’ par les populations touaregs qui l’avaient accueilli, il n’eut aucun problème à s’intégrer et à développer des relations de sociabilité avec son milieu. Puis, il se reconvertit dans le petit commerce ambulant, en vendant essentiellement des

14 Pour une définition rigoureuse de la notion de faction, voir F.G Bailey, 1971 : Les règles du jeu politique (trad. française), éd. PUF, Paris, p. 67. 15 Cf. J-F. Médard (eds.), 1991, Etats d’Afrique Noire. Formations, mécanismes et crise, Karthala, Paris, pp : 336-350. 16 Une légende très tenace dans les milieux touaregs de l’Azawagh rapporte que les Français l’ont un jour arrêté et ligoté. Placé sous un soleil de plomb (c’était en saison sèche) pour le punir, il demanda à ses geôliers de lui donner de l’eau car il avait une telle soif qu’il ne pouvait plus tenir. Ceux-ci, insensibles à cette détresse, refusèrent. C’est alors qu’un nuage, surgi spontanément du ciel immaculé en cette période, vint déverser toute sa charge en eau glaciale intégralement sur son corps ! En quelques minutes, le prisonnier assoiffé était au milieu d’une petite flaque d’eau ! Les Français, et les témoins, étaient éberlués.

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couvertures, très prisées des Touaregs. A sa mort, il laissa plusieurs fils dont les plus en vue sur la scène nationale sont : Hassane (aîné, décédé suite à un accident de voiture), de son vivant considéré comme l’une des plus grosses fortunes du Niger, Assayad, Tourad, Ghalina, Alkhousséini, Moussa, Omar. Toute cette lignée est active dans l’import-export, le transport en commun (la compagnie Aïr Transport appartient à Moussa et Omar), la mécanique auto (la maison MECA Diesel appartient à Tourad), les travaux publics et bâtiments (Sobafor appartient à Alkhouseini) et l’élevage extensif (Assayad, Ghalina et Tourad possèdent d’immenses troupeaux de bétail). Mais il est important de souligner que les activités de cette haute bourgeoisie sont entremêlées et diversifiées. Elles sont loin d’être saisies en une seule spécialité. Ils investissent dans plusieurs domaines ; Moussa, par exemple, est actif au niveau de la Chambre de commerce du Niger où il occupe de hautes fonctions. Ils sont également très présents dans le commerce des camelins et le trafic des cigarettes entre le Niger et la Libye (cf. E. Grégoire, 1999). Ils sont actifs dans une sorte de courtage entre les bailleurs de fonds du Golfe et la oumma (communauté) islamique nigérienne, et singulièrement touareg. A chaque fête de Tabaski, Assayad et Ghalina reçoivent des fonds de la « charité arabe » du Golfe pour l’achat des moutons de Tabaski aux familles pauvres des régions d’Agadez et de Tahoua.

La configuration de cette faction n’est pas stable et définitive. Ses membres composent ou s’opposent à Assayad selon les circonstances, les enjeux et l’arène considérée. Il faut rappeler ici que, contre le maire et sa clique (ou sa tutelle), Assayad a le soutien de six conseillers municipaux (tous touaregs), de certains Isawaghen, dont le chef de village d’In Gall, de certaines tribus touareg, des ex-combattants touaregs, etc. Dans les arènes chefferiales où les enjeux sont d’un autre ordre, certains membres de sa clique deviennent des adversaires déclarés. Le conseiller municipal Mohamed Sidi-Sidi (membre du groupe des sept) est contre lui dès qu’il s’agit des questions concernant la chefferie ihaggaren. De même, certains membres d’ADLI (association des ressortissants de la chefferie Kel Fadey) l’accusent de diviser la chefferie Kel Fadey.

Il importe de souligner que la ‘’clique’’ d’Assayad dans l’arène municipale n’inclut visiblement pas les membres de son groupe ethnique d’origine (les Arabes). Elle est essentiellement composée des Touaregs et de quelques Isawaghen.

Au niveau du pouvoir politique, le MNSD est traversé de tendances qui sont réparties entre la clique Assayad et la clique Allélé. Au niveau du groupe isawaghen, militants du MNSD, un sous-groupe conduit par Nabi Akefil ne jure que par Assayad, tandis qu’un autre sous-groupe mené par Haïdara Agak est, quant à lui, affilié à Allélé. La faction Allélé

Elle se structure autour d’Elhadj Allélé Habibou. Ce haut commis de l’Etat, qui occupa diverses positions élevéesde l’Etat depuis Diori Hamani (ministre, ambassadeur…) est un Esawagh particulièrement chanceux. Vu que sa biographie n’a pas beaucoup évolué depuis le rapport d’André Bourgeot (2001: 33-34), nous renvoyons à celui-ci.

La particularité de cette faction par rapport à la précédente, c’est qu’elle épouse d’abord une configuration lignagère (la majorité des Isawaghen s’y retrouve). Le maire et le chef de poste (neveu d’Allélé) appartiennent à cette clique, bien qu’ils entretiennent une sourde rivalité en son sein.

Une autre particularité de cette faction est qu’elle exerce un pouvoir centripète sur certains leaders locaux (comme Anako et Jules Oguet), qui n’arrivent pas à s’imposer sur la scène locale.

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Ces deux factions entretiennent un rapport d’intérêts mais la méfiance est de mise.

La faction Akoli Daouel

Contrairement aux deux précédentes, la faction d’Akoli Daouel est strictement familiale. Elle recoupe en cela la logique de son parti, le PUND Salama, dont il est le président-fondateur. A In Gall, ce noyau se structure autour du neveu d’Akoli (Sidi Mamane) qui est conseiller municipal de PUND Salama. Ce dernier est très actif dans le domaine associatif. Il est à la fois membre d’une association américaine intervenant dans l’éducation et président du Rotary Club local. Il est natif d’In Gall, mais est d’origine sociale ex-akli (d’origine servile) de Tchintabaraden.

Après une tentative infructueuse pour contrôler l’arène chefferiale Kel Fadey (tentative contrée par Assayad) et un écartement qu’on pourrait qualifier de prématuré de son leader principal17 du premier gouvernement de Tandja Mamadou, cette clique a moins de visibilité socio-politique que les deux précédentes sur la scène locale. Mais Akoli est également défavorisé par l’éparpillement de sa tribu (Kel Tamesna), dont la plus grande partie se trouve à Aman Zagaghnen, dans le département de Dakoro. Le peu qui en reste dans la commune nomadise autour du village de Mararaba, à l’Est d’In Gall. La faction Chérif

C’est une faction apparemment jeune sur la scène locale. André Bourgeot (2001) ne la mentionne nulle part. Il faut attendre le rapport d’Eric Hahonou (2004 : 27) pour voir apparaître le nom d’un de ses leaders (Naji) parmi les clans en lutte pour le contrôle de l’arène d’In Gall. Cette clique repose sur deux leaders locaux, ce qui lui donne une connotation quelque peu bicéphale : le député Chérif Ghabidine et le conseiller Lamine Naji, tous deux PNDS. Mais c’est surtout le nom de Naji qui l’incarne sur la scène locale. Il est très actif dans le courtage entre les pays arabes et son village (Aghogh). Le député, quant à lui, réside à Agadez où il est plus actif dans l’humanitaire en faisant, quelque fois, des distributions gratuites des vivres.

Groupes moins actifs (sous-groupes).

Ces groupes sont en général des ‘’sous-marins’’18 des premiers (groupes dominants). Sans trop grande visibilité locale, ils s’accrochent aux clans les plus forts - localement et à l’extérieur de l’arène locale -, les plus sûrs et les moins crispés ou exigeants sur le rapport au pouvoir. En effet certains, parmi eux, reprochent à Assayad d’avoir en permanence une approche personnalisée du pouvoir, une vision dictatoriale de l’autorité qui laisse très peu de place ou de visibilité à l’expression, ne serait-ce que partielle, de personnalités comme Jules Oguet et Anako. Il ferait délibérément ombrage à ces leaders locaux, dans un esprit de désocialisation et de délégitimation socio-politique de leur personnalité, en voulant

17 En 2001 Akoli Daouel est écarté du premier gouvernement de Tandja. Fait significatif (et déstabilisant politiquement), il a appris son écartement à la radio nationale (comme tout le monde !) alors qu’il participait officiellement à la cure salée, fête des éleveurs au cours de laquelle, les leaders locaux jaugent leur visibilité sociale et politique dans l’arène locale. Durant cette fête, les leaders locaux rencontrent, en effet, les différents pouvoirs locaux, les acteurs actifs ou émergents, et peaufinent les stratégies d’occupation de l’arène socio-politique locale. 18 Le terme ‘’sous-marin’’ est généralement utilisé dans le jargon nigérien pour désigner une personne qui apporte un soutien précieux et discret à une autre qui, quant à elle, est visible dans l’arène où elle sollicite le soutien. En général, le ‘’sous-marin’’ est une personne totalement dévouée à celle qu’elle soutient.

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s’approprier tous les pouvoirs. Le maire d’In Gall n’y va pas par quatre chemins pour mettre ici en exergue la conception patrimoniale 19 du pouvoir par Assayad.

« Le député Assayad, qui est en même temps conseiller, se croit avoir tous les pouvoirs, il dit à qui veut l'entendre que c'est lui qui a élu tous les conseillers sur son propre fond. Et les conseillers sont tombés dans son jeu. Il veut que tout ce qui va se dérouler dans la commune le soit sur sa proposition. Donc, on ne peut marcher dans cet informel. Il veut que je me mette à son service au lieu que ce soit au service de la population. Il veut avoir une influence grandissante sur la personne du maire d'abord et puis sur la commune. ». (Maire)

L’attitude d’Assayad contraste radicalement avec celle, apaisante, d’Allélé, lequel agit discrètement, par personnes ou réseaux interposés, sans trop s’exposer personnellement dans l’arène du pouvoir local.

« Allélé ne s’est jamais inséré dans des problèmes comme ça. C’est un homme politique, c’est quelqu’un de posé, il dirige le parti, il veut toujours avoir cette majorité, il s’est même présenté à Agadez comme candidat, une fois. Il était député au titre d’Agadez, au temps du parti-Etat, il était député à la 2e et à la 3e République. Maintenant, quand il y a eu les élections de la 4e République, il s’est représenté, mais quand il a vu que Dan Kandé (président de la section régionale MNSD d’Agadez jusqu’à une date récente) voulait se présenter, pour éviter le problème du parti, il s’est désisté. Depuis lors, il ne s’est plus donné à une candidature (à un poste électif) au niveau de la région ». (Maïdagi Ouwene).

Sous-groupe Jules Oguet

Ce petit noyau aurait pu s’imposer sur la scène locale, vu les hautes charges occupées par Jules Oguet au sommet de l’Etat. Ami personnel du chef de l’Etat, avant d’être lâché par ce dernier, ce franco-touareg, militant de première heure du MNSD, occupa d’importantes fonctions : sous–préfet, maire, ministre, conseiller spécial du président Tandja sur la problématique du sida, coordonnateur national du programme sida, gouverneur de la communauté urbaine de Niamey et, enfin, directeur général de la société publique SONUCI (spécialisée dans les logements sociaux). Sa disgrâce a été provoquée récemment lorsqu’il fut accusé de détournement des fonds au niveau de la SONUCI, puis arrêté et incarcéré avant d’être libéré.

Son beau-frère, et ancien chef de cabinet (quand Jules était gouverneur de la communauté urbaine de Niamey), le conseiller municipal Ahmed Moussa Nounou dit Founou est le personnage le plus actif dans l’arène politique d’In Gall. Il a manœuvré certains conseillers pour tenter d’être élu maire de la commune d’In Gall. Mais les leaders locaux, notamment Assayad, Allélé et Anako ont imposé Bianou Bika, actuel maire à ce poste. Aujourd’hui il est très actif, aux côtés d’Assayad et des autres conseillers du MNSD, dans la fronde contre le maire.

Ce sous-groupe n’est pas visible dans l’arène politique locale. Il est plus proche du groupe d’Allélé que de celui d’Assayad. Il est pratiquement assimilé à Allélé.

Le sous-groupe ex-combattants

Les ex-combattants qui le composent sont plus proches d’Assayad. Deux conseillers municipaux sur onze appartiennent à ce sous-groupe : Sidi Imilawat (vice maire) et Ahmed Youssouf. L’élection du premier au poste de vice maire apparaît comme la contrepartie accordée à Assayad pour son soutien à l’élection du candidat d’Allélé au poste de maire. Le vice maire serait un inconditionnel d’Assayad. Un des enjeux du conflit qui oppose le maire à

19 Cf. la belle définition que donne Médard (1991 : 325-326) de cette notion : « Le pouvoir patrimonial apparaît lorsque l’autorité politique se différencie de l’autorité domestique en s’exerçant au-delà de la parenté, en s’appuyant non pas seulement sur des parents, mais sur des fidèles, des clients, des serviteurs patrimoniaux qui constituent un véritable état-major administratif ».

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Assayad serait justement (selon le maire) que celui-ci entendrait placer cet ex-combattant à la tête de la mairie.

Stratégies d’acteurs et conquête des ressources locales

Dans un article fort intéressant, Emmanuel Fauroux (1999 : 41-57) décrit la configuration sociale hautement hiérarchisée de la société malgache, et particulièrement de son terrain d’étude (le Menabé). Il y montre que l’institution de l’inégalité des positions sociales, individuelles et statutaires repose sur la tradition. Plusieurs facteurs sous-tendent cette hiérarchisation : le sexe, l’âge, les richesses, les compétences personnelles… Toute prise de parole dans cet espace social est fortement déterminée par ces hiérarchies institutionnelles, par ces normes. Il dégage trois critères typologiques de « classement des individus » : « la richesse en bœufs (les mpagnarivo), l’aptitude à parler en public et à dénouer des problèmes délicats (les mpizaka), le fait d’être possédés par des esprits plus ou moins prestigieux (les tromba) »20. Si on doit faire une extrapolation, on retiendra facilement que sur ces trois critères typologiques, Assayad cumulent au moins deux : il est riche en bœufs et en chameaux, il est charismatique et se plaît à prendre la parole en public. Ces atouts ajoutés à d’autres, que nous développerons dans ce rapport, permettent de saisir pourquoi Assayad a plus de visibilité dans l’arène socio-politique locale que les autres leaders, et pourquoi sa position sur la scène locale est de plus en plus dominante. Son système d’occupation de l’arène socio-politique repose sur un ensemble de facteurs fort classiques.

« Diviser pour régner »

« Voilà, les gens qui veulent mettre leurs intérêts en place parlent des Touaregs, parlent des Issawaghan pour diviser les gens. Et même les Blancs, quand ils ont voulu coloniser le Niger, ils ont fait le système tribal. » (Maïdagi)

Assayad exacerbe les oppositions internes en intervenant dans les affaires des chefferies et les questions foncières. Comme les chefferies traditionnelles sont un lieu d’expression des rivalités ancestrales entre les prétendants - le plus souvent issus des mêmes familles - (cf. Olivier de Sardan, 1999), il a compris que son intérêt réside dans l’appui matériel, financier ou en bétail, à l’une ou l’autre partie au sein d’une même chefferie. Chez les Kel Fadey, il entoure le chef de groupement d’une ‘’assistance-conseil’’ contre ses ennemis déclarés ou potentiels. Au sein de la chefferie de groupement naissante, il appuierait un des candidats.

La stratégie de division ne vise pas seulement à opposer les héritiers d’une chefferie les uns contre les autres, mais aussi à créer des clivages exploitables politiquement et socialement entre les jeunes, cadres et scolarisés syndiqués et actifs politiquement, et leur ‘’nombril chefferial’’, à créer une fracture au sein du parti majoritaire au niveau du conseil municipal et à détourner les populations de l’administration locale, notamment du chef de poste.

« Bon, vous savez tout ça là, c’est qu’il y a eu une campagne d’intoxication. Alors, pour vous expliquer ça clairement : après la première session, il y a un leader d’opinion, un patron donc, qui est venu réunir les conseillers pour leur dire : « bon voilà, nous, au niveau de l’assemblée nationale, nous avons l’intention de faire partir les chefs de postes ; ce qui est sûr c’est que les PA vont disparaître ». Donc il a tenu une réunion, et c’est ce qu’il a inculqué aux conseillers » (CPA)

20 Fauroux, E. 1999 : « Une transition démocratique et libérale difficile dans une région périphérique de l’Ouest malgache » in Afrique : les identités contre la démocratie ? Autrepart, n° 10, IRD, p.46

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Autoritarisme politique

Assayad est un « riche » qui, jusqu’à une date récente, ne s’intéressait guère à la politique, du moins pas ouvertement, préférant plutôt utiliser un système de corruption et de clientélisme bien huilé, en corrompant les agents et les leaders locaux, abstraction faite de leur coloration politique. Puis, avec l’arrivée de Baré Maïnassara au pouvoir, il milita au RDP jusqu’aux élections de 2004. A cette date, il opéra un virage, avec toute sa « clientèle locale » ou ses fidèles, vers le MNSD qui le présenta aux élections législatives. Cette arrivée tardive massive, bien que politiquement utile pour le parti, a suscité des mécontentements et de la jalousie au sein de la ‘’vieille garde’’ locale du parti, qui s’estime du coup submergée. Un parti politique est toujours perçu par les militants comme une manne, une ressource, un pourvoyeur de fonds et de privilèges. Les militants sont habitués à des rapports verticaux 21 et personnalisés avec les principaux leaders du parti (président du parti, leaders locaux, régionaux, nationaux…).

Dans une arène aussi difficile, où les logiques politiques locales recommandent que le militantisme politique s’intègre dans un ordre de prééminence quasi institutionnalisé, les stratégies d’accaparement des ressources politiques, économiques et sociales du conseiller-député nouveau-venusont passées par un autoritarisme audacieux, combinant chantage politique et agressions verbales publiques des autorités locales (administratives et municipales). Ni le maire ni le chef de poste n’échappent à son autoritarisme22 à ce qu’on pourrait ailleurs qualifier ‘’d’abus de pouvoir’’ ou de ‘’trafic d’influence’’. Le chef de poste se souviendra longtemps du jour où Assayad remit en cause publiquement son autorité, en présence du préfet de Tchirozérine, autorité administrative de tutelle du PA, manifestement impuissant (ou acquis au député ?).

« Il a un peu mobilisé les chefs de tribus pour leur dire : « écoutez ça là, comment je me suis débrouillé, j’ai amené ça au nom de toute la population de la commune d’In Gall ». Donc il a mobilisé les gens de la brousse, les chefs traditionnels, pour leur dire : ça là, c’est pour tout le monde. Donc c’est là qu’il y a eu incompréhension entre nous et, je ne vous cache rien, là je ne lui ai pas fait de cadeau. Donc il a un peu saisi les patrons d’Agadez pour leur dire que le travail que nous sommes en train de faire ici est vraiment mauvais, ce n’est pas du bon travail. Alors ils ont dépêché une mission conduite par le préfet, ils nous ont trouvé comme ça à 14 h en train de travailler. D’abord ils ne nous ont pas informés de l’arrivée de la mission, donc, ils nous ont surpris ! Ils nous ont trouvés en salle, en train de travailler. Donc quand le préfet nous a trouvés, je lui ai d’abord présenté les membres du comité. Ensuite, il a apprécié aussi le travail qui a été fait. Et à la fin, il nous a dit que, comme il a appris que le député est là, on va faire un tour pour lui dire bonsoir. Alors il m’a demandé de partir avec lui, et je lui ai répondu non ! Mais comme c’est un député national et que Dieu a fait que tous les membres du comité sont là, il n’ y a pas de problème, on peut partir ensemble nous tous et profiter pour lui faire le compte rendu, en tant que député. Donc dès que nous sommes arrivés, ‘’mon papa’’ s’est fâché et nous a mal reçu, il nous a mal accueilli. Moi, je pense que même si on ne représente pas quelque chose, même si on est des vulgaires individus, même si on est des mendiants, quand même quelqu’un qui vient te trouver chez toi, il te doit au moins un minimum de respect. Mais l’absence de respect, ça se lisait sur son visage ! « Comité mi néné !e (c’est quel comité !), disait-il. « C’est quoi ça ? C’est quelle sorte de comité ? D’où est-ce qu’il est venu ? » Et il disait ça devant le préfet. Vous voyez ? Ça ce n’est pas bon ! Là ça n’a pas été facile, hein ! Voilà.» (CPA)

21 Sur la ‘’dialectique’’ entre relations verticales et relations horizontales, voir Bouju, 2000 : 143-164 et Fauroux : 1999 : 47- 48. 22 Sur l’ancrage culturel de cette conception du pouvoir dans un contexte différent, voir Jacky Bouju (1998 : 80) : « Au Mali, aujourd’hui, la conception populaire du pouvoir reste étayée par une théorie de la « force » fanga qu’on associe au modèle aristocratique vertical. La force se manifeste par la prédation (le droit prédateur du pouvoir de « se servir ») et se légitime par la redistribution (l’obligation « d’offrir ») ».

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Dans le conflit qui l’oppose au maire, Assayad a suggéré, à plusieurs reprises, au parti (au niveau régional et national) de suspendre le maire, alors que ce sont les conseillers qui doivent le faire. En effet, il est plus facile et plus discret de faire partir une autorité locale qu’on ne veut plus voir par la voie des relations privilégiées et personnalisées que de le faire par la voie légale qui est souvent un processus lent et incertain (comme on le verra plus loin).

Le « clientélisme pastoral »

Les connexions d’Assayad avec les pasteurs de la zone d’In Gall sont vieilles de plusieurs décennies. Disposant d’un capital en cheptel immense, il a naturellement tissé un « clientélisme pastoral » pour sécuriser ce bétail et pérenniser sa reproduction. Ce système de clientélisme repose sur des pratiques à la fois traditionnelles et pragmatiques. Dans les terroirs d’attache traditionnels, les bétails sont confiés à la garde de ‘’bergers de maison’’ ou à des familles alliées, de confiance (généralement issues des lignages touaregs qui avaient accueilli le père d’Assayad, et donc qui avaient vu naître ce dernier), avec lesquelles des relations verticales ont été développées. En plus des produits laitiers qu’elles tirent de cette garde, ces familles reçoivent souvent des cadeaux en espèce et en nature (sucre, thé, vêtements, mil) de la part du propriétaire du bétail. D’autres animaux sont donnés en guise de tiut (habanaye chez les Peuls), c’est-à-dire sous forme de prêt portant, en général, sur un animal laitier.

Mais quand les animaux descendent plus au Sud, dans l’Azawagh ou sur d’autres aires étrangères de pâturage, les formes de clientélisme mises en œuvre portent sur l’accès aux ressources disponibles (eau, pâturage). En effet, au ‘’propriétaire’’ de la nouvelle zone d’attache il est souvent demandé de veiller à la sécurité des animaux et de leurs bergers contre les potentiels voleurs et à leur libre accès à l’eau des puits privés et au pâturage relevant du « droit d’usage prioritaire » du propriétaire du puits ou du terroir. Les cadeaux qui circulent dans ce genre de clientélisme peuvent revêtir plusieurs formes : dons en nature et en espèce, création de ‘’banques céréalières’’, lobbying pour l’acquisition des permis de fonçage des puits privés. De fait, le propriétaire du bétail se transforme en courtier entre le ‘’protecteur’’ de ses animaux et le monde extérieur.

Mises au service du jeu politique local, ces relations, à caractère économique, deviennent particulièrement utiles. Elles produisent en effet un réseau de relations, à la fois horizontales et transversales denses, par le biais d’unités familiales ou individuelles qui se structurent indirectement (en se démultipliant) autour du bétail, à l’échelle de la zone de fixation ou de nomadisation du bétail. Il est remarquable, à cet effet, de voir la foule de personnes, anonymes et connues, qui s’agglutinent devant les bureaux et magasins d’Assayad à Agadez ou qui accourent à sa rencontre quand il est de passage dans les campements et les villages des pasteurs touaregs. Certaines viennent pour donner des nouvelles d’un animal égaré et retrouvé, d’autres pour dire qu’elles ont abreuvé fortuitement tel animal et l’ont remis sur le chemin du troupeau, d’autres pour dire la localisation du bon pâturage, d’autres pour le divertir dans l’espoir de lui soutirer quelque chose.

«La famille Assaïd, je ne veux pas mettre des fleurs sur elle. C’est une famille, vraiment soudée et ils (Assayad et ses frères) ont la possibilité d’avoir les communautés d’In Gall parce que ce sont des éleveurs, ils viennent chez les éleveurs, ils ont beaucoup d’animaux qui sont gardés par des éleveurs d’ici. Donc, quelqu’un pour qui tu travailles, quelqu’un pour qui tu élèves ses animaux, tu ne peux pas aller contre lui. Vous voyez ! Donc, ils ont gagné le terrain comme ça. Donc, c’est des gens incontournables » (M.O).

« Assayad, comme je vous ai dit, c’est un homme d’affaires, un commerçant, c’est un transporteur, c’est un éleveur, il a plein des troupeaux de chameaux, de vaches, dans la zone, lui et ses frères. Donc, tous ses frères là, ce sont des grands richards. Ils sont vraiment bien implantés dans la région. Bon, la plupart de ces Touaregs, de ces nomades, sont ses

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éleveurs. Il les aide à droite, à gauche. Ceux qui ont des problèmes un peu, avec l’administration, aussi il intervient pour eux. En tout cas, les gens pensent qu’il les aide » (Founou).

La reproduction d’un tel système de relations repose sur la redistribution. Celle-ci est toujours articulée à la notion de prédation, avec laquelle elle forme un couple inséparable, comme le montre Jacky Bouju (1998), car, pour redistribuer, il faut être riche ou disposer de ressources permanentes, quasi intarissables : il faut être prédateur. La redistribution est également dans un rapport d’articulation avec la notion d’accumulation. Médard (1991) a développé cette articulation en la rattachant à la figure du « big man » qu’il contraste, à la suite de Sahlins, avec celle de « chef ». Nous n’entrerons pas dans la complexité de ces analyses. Nous montrerons seulement qu’il y a une différence entre accumulation et prédation. Cette différence n’est pas seulement d’ordre normatif (moral, immoral), elle est aussi fondée sur la démarche, sur la manière d’acquérir des ressources. Dans le cas d’Assayad, il nous semble que la notion d’accumulation est plus appropriée que celle de prédation, pour la simple raison qu’In Gall n’a jamais été une arène où l’Etat injectait des ressources économiques et financières importantes. En effet, Assayad a accumulé beaucoup de richesses en investissant dans l’élevage intensif et dans le secteur du commercé (aussi bien des marchandises diverses que du bétail avec les pays du nord). Il a également profité de ses relations politiques, à tous les échelons de l’appareil politico-administratif, pour fructifier son capital et le réinvestir à nouveau (Cf. Grégoire, 1999, Médard, 1991 : 342).

« Assayad, qui est un Arabe, est né à In Gall. Il revendique la paternité d’In Gall. Il se dit toujours que ces populations, il les aide, il leur donne de l’argent, il résout leurs problèmes. Donc ces populations le soutiennent. Effectivement, la majorité des gens le soutiennent dans ses actions. Donc il se dit aussi qu’il est leader de cette zone » (Founou).

On pourrait penser que la cure salée est une occasion privilégiée où les acteurs locaux opérent la prédation de fonds destinés à l’organisation de la fête. En faitcesressources n’existent pas. Assayad a été pendant longtemps un des principaux organisateurs de cette fête, mais il est apparu à nombre de gens qu’il y injectait beaucoup plus d’argent sous forme de cadeaux ostentatoires (aux chanteuses touareg,23 aux lauréats de la course des chameaux) qu’il n’en retirait.

Redistribution et courtage sont les piliers de ses stratégies d’occupation de l’arène socio-politique locale.

Courtage

Le courtage d’Assayad comporte deux aspects : un courtage économique et un courtage de service public.

Courtage économique

Assayad adresse des requêtes aux pays arabes du Golfe, ou voisins du Nord, dans lesquelles il sollicitede l’aide en faveur des populations d’In Gall. En général, il reçoit des vivres (ou de l’argent pour acheter des vivres), des habits usagés, et de l’argent pour l’achat et la distribution gratuite des moutons pour la Tabaski. Une des raisons du conflit entre lui d’une part et le maire et le chef de poste d’autre part porte justement sur sa tendance, publiquement

23 A la cure-salée de 2001, il a donné publiquement à une célèbre chanteuse touareg, joueuse du tendé, originaire d’In Gall : une chamelle et son petit, une vache et son petit, une ânesse et son petit, des brebis et des chèvres. La dimension spectaculaire du geste a frappé l’imaginaire collectif des Touareg présents. Il a réagi ainsi au geste d’un arabe de Tassara, qui a donné 500.000 fcfa, également publiquement, à une autre chanteuse touareg célèbre, originaire de Tassara. Il y a ainsi une forme de concurrence entre ‘’richards’’ arabes de la région que les chanteuses du tendé touareg exploitent à l’occasion de chaque cure-salée.

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affichée, à dire que tout ce qui arrive à In Gall, suite aux inondations, est le fruit de ses efforts pour les populations locales. Ainsi le maire lui reproche souvent de se substituer aux vrais courtiers ou aux donateurs de l’aide.

« Par exemple, quand il part, il fait des requêtes au niveau de certains projets, au lieu de mettre ça sciemment à la disposition de ces populations, il va essayer de bloquer comme si c'était lui qui dispose de cette population, de cette requête là. Alors que je connaissais d'où émane la requête et d'où provient l'aide à ces populations. Je ne peux pas concevoir qu'il dise que ce que Africare va faire c'est lui qui l'a fait. Ce n'est pas son pouvoir. Ce qu’une ONG turque va faire, tu vas dire que c’est toi qui l’a fait ou va le faire ? » (Maire).

Le chef de poste, également, met l’accent sur le mensonge et la tendance chez Assayad à vouloir s’attribuer les efforts d’autrui, à usurper le statut de courtier dans l’arène d’In Gall.

« Avec les inondations, il (Assayad) a effectivement dit que c’est lui qui avait saisi les Libyens et avait pris contact avec le consul, avec le sommet là-bas. C’est grâce à lui que la Libye a envoyé tout ce qu’il y a eu comme aide. Puis, à un certain moment, je pense que même le gouverneur a démenti cela sur les ondes de la radio régionale. Et maintenant, il est parti loin, je dis bien qu’il est effectivement parti loin par rapport à cette aide là… » (CPA)

Courtage de service public

Dans cette forme de courtage, Assayad cherche des permis de fonçage de puits pour les éleveurs qui le souhaitent (sa clientèle locale). Il intervient également au niveau des autorités administratives locales pour faire prendre des décisions en faveur de tel ou tel individu ou pour faire annuler une décision. Il sert donc d’interface entre les autorités locales et la population.

« J’avais effectivement beaucoup de respect pour Assayad et, par rapport à ça, de fois il vient me saisir par rapport à un problème : « Untel, pourquoi vous avez fait ceci ? Pourquoi vous avez fait cela ? » Bon je lui dis : « Untel, voilà, voilà, voilà ». Il me demande de lui rendre service. Si c’est possible, je fais, si ce n’est pas possible, je dis non, non, ça là ce n’est pas possible. Donc c’est comme ça que nous avons vécu. » (CPA)

Quant à Allélé, il est certes au cœur du jeu politique local, mais il n’est pas aussi visible (comme nous l’avons indiqué), aussi agressif politiquement qu’Assayad. Allélé est le parrain du maire et du CPA, pour marquer sa présence dans l’arène locale. Il semble bénéficier auprès des villageois d’In Gall (Isawaghen comme Hausa) d’un stock de confiance stable. Il est également présent dans certaines arènes chefferiales par le biais du CPA ou de certains individus membres d’associations de jeunes qui oeuvrent officiellement pour l’épanouissement de ces chefferies.

« Dans ce noyau (Kel Fadey), il y a des personnes écrans qui ne soutiennent que les Isawaghan (noyau dur), lesquels ne défendent que leurs intérêts égoïstes » (A.M).

Allélé épaule le maire, c’est son candidat. Il utilise également Nabi (le président de la sous-section MNSD). Ce dernier ne peut rien faire sans consulter Allélé. En fait, Allélé dirige discrètement le MNSD (et les Issawaghan). Il a la maîtrise sur ces derniers. Tout comme Assayad, Allélé joue sur les divisions internes. Lors de l’élection de Bianou Bika au poste de maire, il a joué aussi sur les divisions des communautés touaregs pour amener ce dernier à la mairie, au lieu que ce soit un Touareg. Aujourd’hui certains conseillers l’accusent de bloquer la procédure destinée à démettre le maire de sa fonction. Ils pensent qu’il est très écouté par les leaders politiques régionaux (gouverneur, préfet), et même au plus haut niveau de l’Etat (ministres) puisque c’est un ami du Président.

Les stratégies de conquête des ressources locales portent sur le placement des hommes de main de chacun dans le dispositif administratif et socio-économique. Chaque leader, particulièrement au sein du MNSD, a un homme de confiance, pour qui il négocie une place

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dans la répartition des postes. Le choix du maire a donné lieu à un véritable marchandage économico-politique entre les leaders locaux. Un des arguments avancés par les trois leaders pour faire entériner leur choix procède de ce que G. Bailey (1971) appelle les « règles normatives ». Il postule que Bianou Bika est le seul conseiller de sa communauté, et sa spécificité pourrait être un gage de probité et d’objectivité. Il pourrait ainsi jouer un rôle de régulateur des tensions entre conseillers, en cultivant la neutralité et l’impartialité.

« Nous, nous sommes huit conseillers d’un même parti (MNSD), d’un même bord politique, et il y a parmi nous un seul avec qui nous n’avons pas, peut-être, le même comportement ou la même chose en commun. Donc nous avons dit de porter notre choix sur lui pour que le travail soit bien fait ». (S. I., vice maire)

Il semble, par ailleurs, que les trois leaders avaient aussi insisté sur le critère

d’ancienneté au sein du parti majoritaire (MNSD), lequel favorise clairement Bianou Bika au détriment du jeune Founou, fraîchement arrivé dans le parti, comme il l’explique ici :

« Depuis la naissance des partis politiques dans les années quatre vingt dix, on a d’abord milité au niveau de l’UDPS-Amana. Après la crise qu’il y a eu dans ce parti et la naissance d’un nouveau parti, le parti de Feu Baré (RDP), on a milité là-dedans. Ensuite, avec sa mort, ça a changé un peu les événements, les déchirements aussi. Finalement, avec les élections locales en perspective, nous avons un peu constaté au niveau de la commune d’In Gall (PA), que déjà il y a un noyau au niveau du village de gens qui faisaient partie du MNSD. Bon, peut-être en adhérant à ce parti, ça nous amènerait à contrôler la commune. C’est ce que nous avons fait. Donc en 1999 nous avons milité au niveau du MNSD » (Founou).

« Bon, Founou, c’est vrai qu’il a postulé pour le poste du maire, c’est le maire qu’il voulait être, ce n’est pas le vice maire. Donc tu sais que dans toute chose où il y a de la politique, il faut nécessairement de la patience, il faut de la patience » (vice maire).

Mais les raisons qui ont conduit à l’élection de Bianou sont plus compliquées que cela. Elles ont fait appel à des « règles pragmatiques » (Bailey, 1971). Dans ce jeu, Allélé semble tirer plus d’avantage que les autres de son expérience du jeu politique et de ses relations solides au sein du sérail du parti MNSD. Lors du choix du maire, il a su bien manœuvrer pour placer son homme, alors même que son groupe (les Isawaghen) n’a qu’un seul conseiller sur onze. Le choix du maire a été négocié entre trois leaders locaux seulement : Allélé, Assayad et Anako. Les conseillers n’ont pas été associés à la démarche, le choix de Bianou parmi deux candidats leur est tombé d’en haut.

« Ce qu’ils ont mis en avant, ce sont des intérêts plus ou moins égoïstes, personnels. Bon, il y a Assayad Sidi Mohamed qui voulait être coûte que coûte député. Donc, il voulait que tout le monde le soutienne au niveau de la commune. Allélé voulait que son poulain, l’actuel maire, passe comme maire, comme maire élu malgré qu’il n’a pas une base solide, puisque c’est le seul conseiller de sa communauté. Alors que les autres conseillers, les 7 autres conseillers, provenaient donc de la brousse d’In Gall, de la majorité. Et Anako, lui, il était ministre dans le gouvernement, il voulait coûte que coûte conserver son poste politique. Donc, voilà, un peu les enjeux qui ont présidé vraiment à l’élection de l’autre, de l’actuel maire ». (Founou, conseiller)

« C’est essentiellement entre Assayad, qui est le pilier de ce côté (des Touaregs), Allélé, et Mohamed Anako. Parce que, pour dire vrai, jusqu’après les élections des conseillers tout le monde était unanime que c’est Ahmed Moussa (Founou, ou encore Nounou) qui allait être le maire. D’abord il est du MNSD, en plus le MNSD a 8 élus sur lesquels 7 sont Touaregs. Il n’y avait pas de raison à ce que ce ne soit pas lui. Mais au dernier moment, au jour où il fallait arriver à l’élection du maire, subitement les choses ont changé. Tout est allé à la faveur de l’autre (Bianou, candidat d’Allélé), ça a fait des histoires ici. Les élections ont pratiquement duré toute une journée. Il a fallu que l’administration et le huissier, qui sont venus pour superviser ça, fassent des pressions pour dire que si ça ne peut plus marcher,

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eux, ils vont foutre le camp, et puis ils vont raconter que ça ne peut pas se dérouler dans les conditions normales. Finalement, il y a eu la pression sur Founou pour qu’il retire sa candidature en faveur de l’autre. Il a refusé, arguant qu’il n’avait pas trouvé des raisons valables pour ça. Et les autres lui ont dit que ce n’est pas la peine, même si tu te présentes, on ne va pas voter pour toi, on va voter pour l’autre. Bon, pour la plupart, ce sont des gens qui n’ont rien ! On leur a fait croire que s’ils votent comme ça (pour Bianou), ils vont avoir des marchés, ils vont avoir des facilités pour accéder à certaines facilités. Ils ont suivi aveuglement, aujourd’hui ils se rendent compte qu’ils ont été trompés et ils l’ont toujours dit. Ils ont interpellé et Assaïd et Mohamed Anako, qui les ont amenés sur cette piste là. Tous les jours, quand il y a des réunions du MNSD ici, ils (Anako et Assayad) sont interpellés, ils ne savent pas où mettre la tête ; on leur dit : « vous êtes responsables, c’est vous qui nous avez dit qu’il fallait agir comme ça et que c’était mieux pour nous. Aujourd’hui, on se rend compte que c’est la plus grave bêtise que vous nous aviez fait commettre. » » (Ahmed Al.)

Si Assayad a avec lui ce qu’on peut appeler la ‘’société civile’’ (notamment les jeunes, les chefs traditionnels, les conseillers) dans l’arène d’In Gall, Allélé s’appuie sur de grandes figures de l’arène locale, notamment le maire, le chef de poste, Anako, Jules Oguet. A travers le maire et le CPA, Allélé a un accès aux ressources de la commune. Nous n’avons pas pu savoir exactement la nature de la relation qui le lie au maire, mais tous nos enquêtés sont unanimes pour dire qu’il est le principal soutien du maire, lequel est accusé par ses conseillers de corruption et de détournement massif des ressources économiques et financières de la commune (nous développerons cet aspect plus loin).

‘’Candidats cobayes’’

« Ce que moi j’avais compris dès le premier jour, c’est qu’il y a des élections, normalement, c’est-à-dire qu’on on a fait campagne ; on a dit que X et Y sont les candidats, c’est sûr… Quand il y a eu campagne, on a donc un peu sillonné toute la commune d’In Gall ; on a tenu des meetings, des réunions au cours desquelles on a dit toujours les candidats ce sont X, Y,… c’est celui-là, celui-là, etc. Donc ce n’est pas bon après les élections que ces mêmes conseillers (candidats) soient remplacés par d’autres. Ça, ce n’est pas du tout responsable, ce n’est pas du tout responsable. Parce ce que si moi j’ai voté c’est à cause de X ou Y, c’est pour eux que j’ai voté (et non ceux à qui on a donné leur place après) » (CPA)

Ce que rapporte le chef de poste administratif est un peu idéal-typique des stratégies électorales municipales mises en œuvre par les partis (et, dans cette région, le MNSD) pour engranger le maximum de voix au scrutin municipal. Les candidatures aux élections municipales, quel que soit le parti politique considéré, se font par zonage de fait (même s’il s’agit d’un scrutin de liste) : à chaque candidat est dévolue une zone d’influence où il a ‘’ses’’ bureaux de vote, qui est sa zone d’origine ou la zone d’attache de sa tribu (ou de ses tribus), et où il fait campagne. A la fin du scrutin, on sait, d’après les résultats enregistrés et le système de zonage, qui et qui ont eu le plus grand nombre de voix, ce qui devrait donc leur permettre d’être les conseillers municipaux retenus dans la liste du parti. Cela ressort avec évidence, car chacun connaît normalement les résultats de ‘’ses’’ bureaux de vote, de ‘’sa’’ zone, de ses parents et alliés traditionnels. Mais une fois les élections achevées, les stratégies mises en pratique par les responsables locaux du MNSD (essentiellement) pour la répartition des places entre les candidats (surtout si les places ne sont pas assez suffisantes - et elles ne peuvent pas l’être !) suivent d’autres logiques non démocratiques. En effet, l’on assiste alors au remplacement des candidats officiels, après qu’ils ont gagné leur scrutin, par d’autres personnes qui sont les vrais choix des leaders locaux. C’est ce qu’on appelle ici les ‘’candidats cobayes’’, faute de mieux. Ou bien on attribue la place du candidat officiel à son suppléant, ou bien on donne les voix d’un candidat, sans épaisseur historique importante dans le parti, à un autre candidat de la liste qui, bien que véritable leader local du parti, n’a pas eu le plein des voix lui permettant d’être élu. Les leaders locaux du parti (généralement, le

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président de la sous-section) procèdent de plusieurs manières : soit ils prennent une décision d’autorité (on rappelle ainsi au candidat qu’on veut léser, par exemple, qu’un de ses parents occupe déjà un poste administratif ou politique), pour substituer la personne de leur choix au candidat logiquement élu, soit ils font une promesse de nomination à celui-ci pour l’amener à renoncer à sa place sans frustration. A In Gall, ces stratégies ont été largement utilisées par les leaders locaux du MNSD. Cela a non seulement créé des frustrations individuelles mais aussi désavantagé certains groupes dans l’attribution des places.

« Quand il y a eu les élections municipales, je me suis présenté. Entretemps, des gens sont venus adhérer au parti (MNSD). Et avec la réconciliation, on nous a dit de laisser des postes à d’autres, car nous, nous avons la possibilité d’être nommés à des postes politiques. A ce jour, ces nominations ne sont pas encore tombées, pourtant j’ai laissé ma place de conseiller. Donc, je ne suis pas membre du conseil municipal à cause de ça. (Maïdagi)

« J’ai dit à une réunion que là où il y a eu erreur, c’est au niveau du partage des conseillers (choix des personnes sur la liste après l’élection municipale pour occuper les postes des conseillers). Qu’est-ce qu’on a dit ? Même si c’est le bureau (qui a décidé), on a dit : « Voilà, c’est la part des gens d’Assayad, ça c’est la part des gens d’Allélé » (Maïdagi).

L’arrivée d’Assayad et sa clientèle politique au MNSD a littéralement changé et la structure locale du parti et ses stratégies d’occupation de l’arène politique locale. Ses adversaires locaux, au niveau du parti, lui reprochent de réduire les stratégies du parti à des clivages, de les voir en terme de partage entre ses gens (nouveaux venus) et les autres, ceux d’Allélé (anciens militants, essentiellement Ingallawa). Toutes ses stratégies sont guidées par cet esprit de partage.

« Avant ce n’était pas comme ça. Mais quand il y avait eu un désistement au niveau du RDP, il y avait Assayad qui était venu avec un grand nombre de personnes. Donc c’était un électorat. Alors qu’avant on raisonnait en terme de parti en disant : « il faut désigner des gens et des personnes à la place qu’il faut », les gens d’Assayad sont venus dire que : « voilà, ça c’est Assayad qui le veut aussi. Il veut sa part, chacun a pris sa part » (Maïdagi).

Ces stratégies, fort politiciennes, marquent une rupture avec l’esprit de la représentativité municipale qui sous-tend la décentralisation. Aussi n’est-il pas étonnant qu’elles déstabilisent l’institution municipale en faisant naître une « logique de l’‘’opposition factionnelle’’» (Fay, 2000 : 138) au sein du groupe majoritaire et « un blocage général » de la commune.

Le conflit au sein du conseil

Déclaration des élus locaux, signataires de la motion de défiance du 20 novembre 2006 à l’encontre du Maire de la Commune Rurale d’In Gall :

« Réunis en marge de la tenue de la 3ème session budgétaire pour l’année 07 à In Gall, le 26/02/07, afin de faire le bilan de la mise en œuvre des points d’accords consensuels obtenus après les initiatives de médiation et de conciliation entreprises par le préfet de Tchiro en présence des personnalités politiques de la commune, les élus signataires de la motion de défiance du 20/11/07 à l’encontre du Maire de la commune rurale d’In Gall, résolument engagés à faire prévaloir les principes de bonne gouvernance locale et à œuvrer pour que les biens de la commune servent les intérêts de la commune et non ceux d’un groupe éperdument insoucieux de l’intérêt général, déclarent ce qui suit :

Considérant la Motion de défiance du 20 Novembre 2006 Considérant les délibérations de la Session du Conseil des 10,11 et 12 Janvier 07 Considérant les conclusions consensuelles des réunions de conciliation présidées

par le Préfet de Tchirozérine, en présence des personnalités politiques dont MM. Allélé Elh. Habibou et Mohamed Anako, tenues à Agadez, les 6 et 15 Février 2007

Considérant les conclusions de la réunion présidée par son Excellence Allélé à In Gall le 17/02/07

Constatant la remise en cause unilatérale de ces accords consensuels par le Maire

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Constatant les tentatives de récupération, de manipulation et d’influence des décisions du conseil qui se fondent sur les principes du respect de la majorité du conseil

Constatant la volonté ardemment affichée du Maire et de ses complices politiques dont il fait usage sur la base d’arguments tendancieux et fallacieux

Constatant la volonté du Maire de nuire au bon fonctionnement des services communaux à travers sa décision orale portant suspension du S/G de la Mairie de ses fonctions ne respectant aucune procédure légale en la matière et par conséquent abusive

Constatant les interminables réunions orchestrées et manipulées sous le couvert d’une certaine soi-disant ‘’Section MNSD’’ pour jeter le discrédit sur les élus de la majorité pour simplement s’être insurgés contre les pratiques de gestion relevant d’une époque à jamais révolue

Constatant enfin et avec regret la dégradation du climat social local entretenu par des personnes à la solde du Maire

fustigent toute tentative de récupération du conseil par une élite politique fustigent le non respect des accords consensuels intervenus lors des rencontres des

6, 15 et 17/02/07 Saluent la disponibilité du Préfet de Tchiro pour trouver une solution consensuelle

aux difficultés de fonctionnement du Conseil municipal Dénoncent toute tentative d’influence et de récupération des prérogatives du

Conseil Exigent immédiatement la réponse à la motion de défiance Exigent la prise en compte de toutes les décisions prises par la majorité du Conseil

à sa réunion des 10,11 et 12/01/08 Exigent de la Tutelle de s’assumer conformément à la loi. La non satisfaction de ces exigences entraînera notre non participation aux travaux

de la session en cours et les décisions qui en seront issues ne nous engageraient pas. Fait à In Gall, le 26/02/07 Ont signé : Sidi Imilawat Mohamed Sidi Sidi Ahmed Issouf Hamed Ahmed Moumine Assayad Sidi Mohamed Hamed Moussa Nounou Mme Toudoukount Ichilane ».

L’analyse de cette déclaration fait ressortir les éléments suivants : deux factions en

lutte ouverte au sein du conseil municipal, l’une conduite par le maire et l’autre par le député-conseiller, le dépôt d’une motion de défiance contre le maire, l’implication de certains barons politiques locaux dans le conflit, le caractère atypique du conflit, lequel oppose entre eux les conseillers de la même majorité (MNSD)…

Avant d’analyser ces éléments en profondeur, nous voudrons identifier ici, brièvement, les principaux acteurs du conflit et rappeler quelques présupposés qui nous paraissent importants dans la structuration du conflit.

Les principaux acteurs du conflit

Le Maire

Bianou Bika a, derrière lui, une longue carrière d’enseignant (30 ans de service), ce qu’il appelle « un cursus terrible », qui l’a conduit de l’enseignement dans le primaire à l’enseignement dans le collège, avant de prendre sa retraite dans les fonctions du directeur de CEG. Militant du MNSD « de toute son [mon] existence », il passe aux yeux de ses détracteurs pour un ‘’dur à cuir’’, un prédateur inégalé des ressources financières communales. D’ailleurs au début de notre entretien, il commit un lapsus qui en dit long sur sa conception du projet municipal et sa vision de sa responsabilité à la tête de la mairie. En effet, il conçoit la mairie comme une « manne impérieuse » :

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« C’est après ma retraite que cette manne impérieuse était tombée, c’est-à-dire le

projet de communalisation-là. Comme je suis natif d’ici, j’ai formulé dûment mon dossier pour me présenter au conseil de la Commune d’In Gall.» (Maire)

Esawagh (ingallawa) tout comme Allélé, son parrain, il n’en réfère qu’à ce dernier. Il

ne rendrait compte à personne d’autre au sein de la commune, même pas au député et à ses conseillers. Le maire a introduit le « factionnalisme » politique, par le biais de ses rapports avec Allélé, dans le fonctionnement de la commune. Il serait la cheville ouvrière d’un système de prédation des finances publiques mis en place dans l’arène locale par les anciens du MNSD.

Les conseillers dissidents (ou le G7)

Le MNSD dispose de huit conseillers sur les onze que compte la commune rurale d’In Gall. C’est une majorité confortable, qui aurait permis une gestion sans histoires de la municipalité. Mais sur les huit conseillers, sept sont en dissidence ouverte contre le maire qui est le huitième conseiller de leur majorité. Les sept conseillers dissidents sont sous la houlette du conseiller-député Assayad, dont nous avons longuement parlé ci-dessus. Les deux conseillers du PNDS et l’unique conseiller du PUND-Salama se tiennent à l’écart du conflit qu’ils considèrent comme un conflit de positionnement et d’accaparement des ressources à l’intérieur du MNSD.

Parmi les sept conseillers dissidents, deux représentent les ex-combattants (Sidi Imilawat, Ahmed Issouf), un représente les Ihaggaren (Mohamed Sidi Sidi), un autre les Kel Fadey (Hamed Moussa Nounou) et un autre les Igdalen (Hamed Ahmed Moumine). A part Hamed Moussa Nounou qui était au départ, au moment de la répartition des places, dans le quota d’Allélé auquel il était lié par l’entremise de son parent Jules Oguet, tous les autres conseillers constituent le quota d’Assayad, sa part dans le partage des places entre lui et Allélé.

Assayad n’aurait pas apprécié que, disposant d’une majorité au sein de la majorité, le maire sur qui il a compté ait préféré travailler étroitement avec Allélé, qui n’est même pas membre du conseil municipal. Rappelant les raisons de son propre échec à l’élection du maire, un des conseillers dissidents met en exergue la frustration d’Assayad comme une des raisons du conflit.

« Assayad, qui est un homme d’affaires de la zone, qui est très connu, qui a les

moyens, qui manipule la majorité de nos parents, il faut le dire, qui a les moyens, pensait qu’avec ce maire là aux commandes, il pouvait le manipuler. Il pensait que moi, il ne pouvait pas m’influencer, il ne pouvait pas me manipuler, c’est pourquoi donc, il n’a pas voulu de mon choix. Malheureusement, il s’est avéré que l’actuel maire, une fois aux commandes, écoutait plus Allélé, qui était de son bord politique d’antan, qu’Assayad qui est aussi de son bord politique mais qui est nouvellement venu au MNSD. Donc l’actuel maire a écouté plus Allélé qu’Assayad. C’est pourquoi il y a eu vite cette crise. Car Assayad pensait que c’est lui qui a mis ce maire sur place parce qu’il avait la majorité. » (Nounou).

Présupposés historiques

En remontant dans l’histoire récente de l’arène socio-politique d’In Gall, il est aisé de comprendre que celle-ci a toujours eu une configuration aléatoire, caractérisée par l’absence d’un pouvoir local centripète. Les Kel Fadey, groupe touareg dominant jusqu’à la ‘’pacification’’ française, étaient plus une force guerrière qu’une force politique. Les Ingallawa constituent de tout temps un ‘’groupe faible’’ en raison de leur vulnérabilité

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économique et politique. Simples producteurs des dattes et de sel artisanal, ils n’ont jamais été aussi puissants pour repousser une domination quelconque (Bernus, 1981).

Cette absence d’un pouvoir localement fort a permis l’émergence des leaders locaux, à géométrie variable, dont les logiques de pouvoir ne se réfèrent à aucun « stock symbolique » ni à aucune position sociale historiquement établie. Le clientélisme a plutôt prévalu fortement, expliquant du coup l’émergence d’acteurs nouveaux dont l’autorité est fondée sur des relations transactionnelles. Les groupes arabes s’insèrent ainsi facilement, leur argent leur ouvrant les voies de la reconnaissance sociale indispensable politiquement, dans une arène où les luttes factionnelles se déroulent sur le terrain du clientélisme et de la corruption.

« Le problème entre Assayad et Akoli est un problème de leadership. Akoli, c’est lui le natif de la commune d’In Gall, c’est lui le vrai représentant des populations d’In Gall. Donc, il ne perçoit pas qu’Assayad, qui est un Arabe, puisse se prévaloir de dire que c’est lui le leader, c’est lui le leader de cette population, alors que lui, Akoli, c’est lui le natif, c’est lui le vrai natif de la zone. Bon, en tout cas, sur le plan démocratique, Assayad a plus de poids, en tout cas les élections l’ont montré à tous les niveaux. Le parti d’Akoli a eu un conseiller. Assayad a milité au niveau du MNSD, celui-ci a eu 8 conseillers sur les 11 de la commune. Donc sur le plan assise politique, il est mieux assis qu’Akoli, même si celui-ci est un natif de la commune » (Ahmed).

Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que les Arabes, bien que minorité démographique, aient eu deux conseillers municipaux et deux députés, tous acteurs principaux de l’arène d’In Gall. Dans cette arène atypique, le « stock symbolique historique » ne sert pas tellement, il n’est pas opératoire sur le plan politique, seul le capital argent, et les relations avec les leaders locaux, comptent.

« La naissance à In Gall n’est pas aussi importante. Ce sont les rapports avec les grands (leaders locaux) qui sont importants » (M.A).

Présupposés politiques

Depuis l’avènement du multipartisme, l’arène politique d’In Gall était dominée par le parti MNSD, lequel était alors essentiellement contrôlé par quelques Isawaghen, avec à leur tête Allélé Habibou. Ce micro pouvoir local fonctionnait normalement, car il n’avait qu’une seule tête. Et l’assise sociale du MNSD se réduisait au village d’In Gall, la brousse étant livrée politiquement aux luttes factionnelles de plusieurs acteurs locaux (rébellion, Assayad, Akoli,…). Depuis Niamey, Allélé avait une mainmise incontestée sur le fonctionnement du parti, et donc de l’arène locale. Il faisait et défaisait le pouvoir politico-administratif. Le parti était régulièrement majoritaire, et les intérêts des Ingallawa étaient assurés. Mais, à la veille des élections municipales de 2004, l’arène politique s’est agrandie avec l’arrivée massive de militants, habituellement localisés dans la brousse, notamment Assayad et sa clientèle, les ex-combattants, les représentants des chefferies de groupement, etc. Du coup, les intérêts des premiers se réduisirent comme une peau de chagrin, car pour faire place aux nouveaux venus, il fallait faire des concessions, qui étaient d’autant plus inévitables que ces derniers étaient plus nombreux que les premiers et contrôlaient plus d’espace.

« Sinon, on vivait très bien auparavant avec lui, mais maintenant avec le problème du conseil municipal, ça a un peu tourné, parce qu’il dit qui ce sont ses conseillers. Voilà des propos qui font mal aux gens. Et de l’autre côté, nous, au niveau du parti, nous ne voulons pas ça, parce que nous avons battu campagne avec lui, nous avons travaillé avec lui, nous avons eu les élections avec lui, quels que soient les résultats, il avait financé la campagne. Mais, on ne peut pas, parce qu’on a financé, dire que les personnes ou le peuple, les huit, les sept mille deux cents personnes qui ont voté le MNSD, que ça appartenait à une personne. Même si on dit ça à quelqu’un, vraiment il vous dira que c’est faux, parce que de

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part et d’autre, il y a des responsables, des leaders d’In Gall qui sont ailleurs, ils sont là dans le parti ».(M. O)

A cela s’ajoute l’immixtion spectaculaire du PNDS, qui induit une reconfiguration de l’arène politique. Pour les Isawaghen, l’émergence du PNDS dans l’arène d’In Gall, bastion traditionnel du MNSD, est une conséquence de l’arrivée massive et incontrôlable au MNSD d’Assayad et ses militants. Ils considèrent que cette arrivée a fait décliner la structure traditionnelle du MNSD, réduisant du coup la marge de manœuvre d’Allélé et le contrôle rigoureux de celui-ci sur les stratégies du parti.

« Il y a le PNDS qui s’ajoute maintenant. Eh, le conflit d’In Gall ce n’est pas petit, c’est grand ! Donc, le PNDS est là, c’est-à-dire l’opposition et la majorité. Ça c’est nouveau ! » (M. O., SG adjoint MNSD)

L’élargissement du MNSD va se traduire par une crispation des rapports de force et un clivage des cercles de pouvoir (nous verrons plus loin ses effets sociologiques) entre les deux camps. D’après ses adversaires locaux, Assayad se laisse dominer par « l’ignorance ». Il pense que s’il est député il peut tout faire, c’est-à-dire que, avec les moyens, on peut tout faire. On peut manipuler tout le monde. Les gens d’Assayad estiment qu’ils ont droit à plus des places et d’avantages qu’ils n’en ont eus, vu le nombre important de militants dont ils disposent (à quoi s’ajoutent un député et 7 conseillers municipaux) ; ceux d’Allélé (ils n’ont qu’un conseiller, le maire, et le chef de poste administratif) s’arc-boutent à la profondeur des rapports historiques qui les lient au MNSD local et cherchent coûte que coûte à préserver les intérêts des Isawaghen, tout en tissant quelques relations horizontales avec certains acteurs extérieurs au noyau isawaghen. Et pour décrédibiliser leurs adversaires, les Isawaghen stigmatisent Assayad en le traitant de néophyte en politique, qui n’a pas la même étoffe politique qu’Allélé.

« Ce que fait Assayad, ce n’est pas la même chose (qu’Allélé), ils ne sont même pas du même niveau quoi ! Même si Allélé fait quelque chose c’est en cachette, mais Assayad, il est ouvert quoi. Il vient directement imposer, dire : « Ah, j’ai donné ça, c’est moi qui dirige les choses, c’est ma population, ma majorité ». Par exemple, il dit qu’il a eu 8 conseillers. Voilà l’erreur ! Ça là, ça ne se dit pas en politique ! » (M. O)

Evidemment cela montre la difficile articulation du pouvoir clientéliste tel qu’Assayad

l’a longtemps expérimenté, avec un pouvoir municipal incarné par un adversaire politique. Assayad entend d’abord influencer le maire, ou agir en dehors du cadre institutionnel légal, comme il le faisait avant son implication effective dans le jeu politique, ou encore faire intervenir ses réseaux de relations politiques au niveau national du parti. Se targuant de sa position politique confortable, il bouscule les habitudes politiques locales, les hiérarchies politiques locales et se pose en interlocuteur légitime et privilégié des instances supérieures du parti.

«Il (Assayad) veut faire délivrer des décisions de fonçage des puits à certains de ses amis chefs, sans passer par la voie normale. Sans m'avertir j'apprends seulement, au-dessus de ma tête, ce qui est en train de se passer dans telle zone, dans telle zone, dans telle zone. Ce n'est pas normal ! » (Maire)

« Il contournait la mairie. S'il travaille avec la chefferie encore ça va. Il contournait la mairie pour imposer ce qu'il veut faire, c'est tout. Alors que c'est un conseiller au même titre que les autres. Il devait passer par la mairie, au moins le maire doit être tenu informé de ce qu'il va entreprendre. Je peux lui consigner certaines choses. Mais, quand on ne passe pas par moi, je refuse, ça je suis dur là-dessus, je refuse de l'accepter, personne ne peut m'obliger à l'accepter.» (Maire)

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Enjeux du conflit

Les enjeux sont de plusieurs sortes : politiques, économiques, symboliques,… Nous examinerons les enjeux économiques un peu plus loin (quand nous parlerons de facteurs déclencheurs). Nous nous limitons ici à montrer que, vu la nouvelle donne créée au sein du MNSD local, il y a désormais des tentatives individuelles d’émergence socio-politiques qui veulent rayonner davantage sur le plan local, qui veulent coûte que coûte maîtriser le cadre politique local en vue de négocier leur visibilité politique à l’échelle nationale. Ceux qui sont derrière Assayad veulent dominer le cadre municipal en vue d’apparaître à la fois comme des interlocuteurs crédibles de leur espace social d’appartenance et des hiérarchies nationales du parti. Le conseiller municipal Founou (membre du G7) est de ceux-là. Issu des deux lignages (ibirgalen et ikherkheren) membres de la chefferie de groupement Kel Fadey, il ne renonça à la candidature pour la députation, au profit d’Assayad, qu’au dernier moment sous la pression de ses camarades du parti et de certains de ses parents, très liés à Assayad. Il veut coûte que coûte opérer une ascension politique dans l’arène d’In Gall. Mais c’est Assayad surtout qui s’inscrit dans cette orientation, puisqu’il ne rate aucune occasion d’attirer l’attention des responsables du parti au plus haut niveau sur ses efforts au niveau local, ce qui irrite bien évidemment ses adversaires du camp d’Allélé, au premier chef desquels ce dernier.

« Assayad va même au niveau national pour dire que c’est lui qui fait tout ici. C’est-à-dire qu’il y a un conflit entre les deux personnes (lui et Allélé) ; il veut dire que c’est lui qui mérite tout, il veut avoir le leadership, quoi. Chacun (lui et Allélé) veut dire que c’est lui qui a le poids » (M. O)

En exigeant la démission du maire, Assayad et son groupe veulent le remplacer à la tête de la mairie par un de leurs qui défendrait désormais leurs intérêts, qui leur permettrait d’avoir la mainmise sur les ressources de la commune, notamment les taxes d’Assamaka qui sont très importantes d’après toutes les estimations, et surtout de se débarrasser de la tutelle quasi institutionnelle d’Allélé. D’après certains de nos enquêtés, le vice maire serait préparé par le groupe d’Assayad pour succéder à Bianou Bika.

« Ce que j'ai appris, c'est certainement mon adjoint qui est préparé (pour remplacer le maire), c'est comme ça.» (Maire)

Facteurs déclencheurs

Le contrôle de l’arène communale et de ses ressources est au centre du conflit. Tout le conflit se structure autour des recettes fiscales du poste frontalier d’Assamaka. Il y a principalement deux problèmes à la base de la crise au sein du conseil : la gestion des recettes, et de la mairie en général, et la non application des décisions du conseil.

La question des recettes fiscales

Pour nombre de nos enquêtés, les activités de la commune ne sont pas bien menées. La commune semble être dans une situation de stagnation. Il n'y a rien qui s’y réalise. La gestion du maire Bianou fait des mécontents au sein même de son camp politique. Les attentes placées en lui par ses amis politiques ont été radicalement déçues. Et ils l’ont interpellé à plusieurs reprises, verbalement, puis dans une motion de défiance à laquelle il n'a pas répondu directement, préférant envoyer sa réponse à la tutelle, c’est-à-dire la préfecture de Tchiro. Celle-ci ne semble pas soucieuse de régler le conflit, puisqu’elle refuse de réagir à chaque fois que le problème est porté à sa connaissance. Cette attitude suspecte de connivence irrite le camp des contestataires. Pour eux, la tutelle prend parti en faveur du maire, puisqu’elle refuse d’appliquer les textes le condamnant. Et ils ont menacé de démissionner.

« La crise qui couvait au sein du conseil municipal a atteint un paroxysme avec la menace de démission des sept conseillers et de leurs suppléants opposés au maire Bianou Bika. […]

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Dans une lettre adressée au préfet de Tchiro le 31 mars 2007, ces élus ont décidé de mettre leur menace à exécution si le maire ne démissionne pas de lui-même ou si le préfet ne le destitue pas. Cette crise du conseil municipal d’In Gall se heurte […] à un problème de politique interne » (Aïr Info, n°58 du 15 au 31 mars 2007, p.5).

Assamaka génère l’essentiel des ressources de la commune. Certains disent qu’en bonne période, et si les mouvements de rotation des percepteurs sont bien organisés, on peut mobiliser, à ce seul poste, de 3 à 5 millions FCFA par mois. Dans le pire des cas, le poste d’Assamaka peut rapporter au minimum 2 millions FCFA par mois. Selon les prévisions, la taxe sur les cigarettes doit rapporter 5 millions FCFA par an. Elle est prévue dans tous les budgets, mais, en recettes, il n’y a rien. Rien que pendant la saison des dattes, il y aurait de 30 à 35 camions en provenance d’Algérie qui passent par le poste d’Assamaka. La tonne de dattes est taxée à 1.000 FCFA, à quoi il faut ajouter 2.000 FCFA de droit d’entrée et de sortie pour chaque camion.

Malheureusement, les recettes générées réellement sont insignifiantes. Par exemple, sur les 3 à 5 millions FCFA qu’on pourrait mobiliser c’est toujours moins d’un million FCFA qui est enregistré dans les caisses de la commune. Cette situation, qui a duré deux ans, étonne naturellement tout le monde. Les conseillers dissidents sont unanimes à dire qu’il y a quelque part une hémorragie financière qui ne s’explique pas. Ils ont ainsi entrepris plusieurs missions de contrôle pour voir ce qu’on peut attendre exactement de ces taxes (leur situation réelle) et ce qui revient de façon effective à la commune. Ils ont tous relevé que les écarts constatés sont énormes : au lieu de 2 à 3 millions FCFA, ils ont trouvé que moins d’un million seulement est enregistré au bureau de la comptabilité.

Bien entendu, face à une telle situation, des accusations de détournement sont portées contre le maire, parfois publiquement, en plein conseil municipal.

« Quand les conseillers posent la question de savoir où est passé l’argent de la commune, le maire répond que les gens ne payent pas leurs impôts. Mais les chefs traditionnels, les chefs de groupements, ils sont membres de droit du conseil. Ils s’opposent carrément, ils disent non, ce n’est pas vrai : on a payé les impôts » (Alghouss).

« Il (maire) a appelé les conseillers à une session, lorsqu’ils sont venus, moi-même j’étais présent, ils ont dit au maire : « Nous, nous voulons savoir l’état des recettes sur l’impôt de capitation, combien on a prélevé ? Si nous savons la somme qui a été mobilisée, nous aimerons aussi savoir comment elle a été dépensée. Après quoi, nous aimerons connaître aussi combien rapporte le poste d’Assamaka ; après quoi nous allons savoir combien on prélève à Amattaltal ; après quoi nous allons savoir combien on prélève à In Gall ». Il a refusé. Par rapport à amana (impôt de capitation), il a dit que la population ne l’a pas payé, alors qu’eux, les conseillers, ils ont les noms des personnes qui ont payé l’impôt, tous, même ceux des Peuls. C’est à ce moment là que les conseillers ont dit que tels Peuls ont payé telle somme, les Arabes d’Agogh, ils ont donné telle chose. Ils ont demandé, aussi combien In Gall a donné en impôt de capitation, je leur ai dit ce qu’il a donné. Pour toutes ces choses là, ils ont fait le contrôle, ils ont fait l’enquête ; l’argent, il n’y en a pas, il n’y a pas d’argent. Il y a un autre conseiller, Assayad, qui a dit que sur les 30 millions FCFA, il ne reste que 400.000 F CFA, ils ne savent pas la voie qu’ils ont empruntée » (Ghousmane Khoumoud, chef du village d’In Gall).

Une solution de sortie de crise a été envisagée par le conseil municipal sur proposition

d’Assayad. Elle consistait à laisser le poste en « gestion libre » (cf. délibération n°004 en annexes), c’est-à-dire à confier la gestion des taxes d’Assamaka à un opérateur privé qui verserait régulièrement, bon an mal an, une somme définie et arrêtée de commun accord entre lui et le conseil municipal. Mais cette solution a été vite évacuée par le maire soutenu par la préfecture et tous les leaders locaux du MNSD. Même le chef de poste, qui ne semble pas être enthousiaste de l’autorité de Bianou, a trouvé l’idée incongrue et insoutenable. Car tous

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craignaient que derrière cette idée se cachait la volonté d’Assayad de s’emparer de ce ‘’filon’’ fiscal.

Puis un modus vivendi a été trouvé. Il consistait à confier directement la gestion d’Assamaka au vice maire, qui n’est rien d’autre que l’homme de main d’Assayad. Cette décision prise en conseil municipal a, également, été suspendue par le maire après quelques mois seulement. Seul désormais maître du jeu, le maire envoie à Assamaka ses hommes de main, les enfants de ses alliés. Par exemple, il a placé le fils du président local du MNSD comme superviseur permanent à la tête du groupe de percepteurs de taxes à Assamaka.

De fait, la mainmise d’un petit noyau composé du maire, d’Allélé, de Nabi (président local du MNSD), etc., autour desquels s’organisent quelques individus satellites, semble s’exercer effectivement sur les ressources fiscales de la commune. Quand bien même cela ne signifie en rien la mainmise du groupe isawaghen sur les ressources fiscales au détriment des autres groupes sociaux, pour nombre de gens leur présence à des postes de responsabilité importants, alors qu’ils ne représentent pas grand-chose sur le plan démographique, est sujet à questionnement.

« Nous sommes dans un système démocratique où c’est le nombre qui prévaut, et si vous prenez les Issawaghan par rapport aux autres communautés, ils représentent à peine 2 % de l’ensemble. Mais quand, malgré cela, vous les trouvez à tous les postes de pouvoir, il y a à se demander qu’est-ce qui se passe exactement ? Est-ce parce que les autres s’en foutent mal de ce qui se passe ? Est-ce que c’est un manque d’intérêt des autres par rapport à la question politique ou à la question de la gestion administrative ? Ça c’est des questions qu’il faut se poser » (A.A).

La non application des décisions du conseil

Face aux exigences de transparence et de ‘’bonne gouvernance’’ des conseillers municipaux, concernant la gestion des recettes fiscales d’Assamaka, le maire affiche une attitude de mépris. Si les rapports de force lui sont défavorables, il accepte les délibérations du conseil municipal et les accords conclus avec les conseillers dissidents, mais dès qu’il s’agit de les mettre en œuvre, il les récuse et applique ses propres décisions. Plusieurs délibérations ont ainsi été prises par le conseil pour surmonter le conflit, mais aucune n’a, semble-t-il, été exécutée comme prévue. Alors que les textes régissant le fonctionnement de la commune stipulent que c’est le conseil municipal qui désigne les percepteurs des taxes au niveau du poste frontalier d’Assamaka, le maire a pu souverainement ignorer ces textes, en envoyant unilatéralement des percepteurs de son choix (ou de celui de ses parrains) sur le terrain pendant plus de deux ans. Dès le tout premier conseil, par exemple, il a été décidé d’envoyer tous les trois mois un groupe unanimement accepté de percepteurs pour renflouer les caisses de la commune et lui permettre d’amorcer un bon démarrage de ses activités, mais le maire en a décidé autrement. Il a géré ces recettes à sa guise, comme il l’entendait.

L’attitude du maire est doublement critiquée : elle est illégale et les percepteurs sont des ignorants. En plus ces derniers détourneraient une partie des recettes fiscales. Parmi eux, beaucoup se sont enrichis, et revenaient de leur séjour avec beaucoup d’objets de valeur. Bien entendu, cela suscite des convoitises aussi bien chez les conseillers et leaders locaux que chez les militants ou simples citoyens. Et dans un contexte de pauvreté généralisée et de rareté des ressources économiques communales, chacun veut y aller ou y faire partir le sien.

« Ce que les gens nous ont dit là-bas, c’est qu’on envoie des gens, souvent des percepteurs illettrés, qui sont arrogants, qui sont indisciplinés, qui, souvent, insultent les transporteurs, et donc qui n’ont aucune notion de leur travail, de leur mission. Ils n’utilisent pas souvent les reçus, ils s’arrangent et ils font de petits arrangements avec les transporteurs pour s’enrichir. On voit vraiment que la situation de ceux qui reviennent d’Assamaka, surtout les superviseurs, a changé, ils amènent des frigos, sur le plan financier la situation a changé. Et maintenant, chacun voulait aller pour vite s’enrichir, pour vite faire fortune. Voilà ce qui est

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dans l’esprit de tous les percepteurs qui partent. Il faut aller vite s’enrichir, il faut aller vite voler pendant les 3 mois parce qu’après les trois mois, on va vous remplacer, donc, voilà ce qui était dans leur esprit » (Nounou)

Paradoxalement, la ‘’bonne gouvernance’’ est mise de côté par ceux-là mêmes qui accusent le maire de la bafouer. En effet, celui-ci est parvenu à imposer son style prédateur des ressources fiscales, jusqu’à en faire un modèle. Les griefs qui lui sont faits portent sur son égoïsme, sur son absence du sens de partage, sur la non redistribution ou répartition des recettes entre tous les citoyens. Certains chefs coutumiers négocient directement avec lui le placement de leurs enfants ou de leurs hommes de main dans le dispositif prébendier de perception des taxes. De fait, le poste frontalier d’Assamaka apparaît pour nombre de gens comme le moyen de résorber le chômage de jeunes.

« Ce que nous dénonçons encore chez le maire…, nous nous avons dit, au début, Assamaka doit profiter à tous les ressortissants de la commune d’In Gall. Tous les trois mois, tous les jeunes gens là qui ne font rien et qui chôment, on doit les y envoyer, ils doivent partir. Qu’il y ait chaque relève tous les trois mois. Malheureusement, on a constaté que ce sont quelques individus, ce sont quelques familles qui s’arrogent donc Assamaka » (Nounou).

Conflit d’autorités

Le point de discorde du point de vue du maire fait naturellement silence sur les recettes fiscales et met en lumière le problème que nous évoquions au début de ce rapport, à savoir la difficile subsomption du pouvoir clientéliste au pouvoir démocratique et municipal. Comment amener le maire à se soumettre à sa tutelle ? Telle pourrait être la préoccupation d’Assayad . Comment amener Assayad à se conformer aux lois municipales et à suivre les décisions du maire ? Tel se formulerait le problème du maire. Dans cette dialectique compliquée par la constitution des factions clivées qui s’affrontent dans l’arène politique et sociale d’In Gall, la prise de décision, qui est l’expression de l’autorité, devient l’enjeu même du conflit entre le maire et le député-conseiller. Le député agit souvent comme s’il incarnait lui-même l’autorité municipale. Par exemple, pour faire obtenir des permis de fonçage des puits à certains éleveurs, sa démarche s’effectue en deux temps : dans un premier temps, il essaie d’imposer une décision au CPA ou au maire, en usant de son influence politique ou de l’argent ; dans un second temps, il contourne l’autorité locale pour faire prendre la décision à l’extérieur de l’arène locale et va directement sur le terrain pour la faire exécuter. De même, quand il s’est agi pour la mairie de négocier avec l’ONG américaine Africare l’identification de 20 villages vulnérables pour y créer des banques céréalières, le député, après identification de 20 villages par le conseil, usant de ses prérogatives de conseiller-député et de son influence sur les responsables d’Africare, rajouta une liste supplémentaire de villages de son choix sans en informer personne au niveau du conseil, même pas le maire. Pour réussir ses coups, Assayad compte ainsi sur l’appui de ses hommes de main qui sont disséminés dans l’appareil politico-administratif au niveau d’Agadez, ou au niveau de Niamey, ou même au niveau des deux.

De fait, Assayad place le maire et son pouvoir dans une logique « d’empilement » des pouvoirs locaux, où chaque pouvoir à défaut de pouvoir subsumer l’autre l’affronte ou l’ignore carrément. Le conflit au sein du conseil apparaît ainsi comme le reflet ou la conséquence de ce difficile « empilement ». Ce problème a été posé déjà en 1998, à propos de l’expérience béninoise de la décentralisation, par Thomas Bierschenk et Jean-Pierre Olivier de Sardan. Leur conclusion laissait alors apparaître un sentiment de pessimisme quant à la capacité de la décentralisation à articuler les pouvoirs locaux antérieurs à l’expérience municipale.

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« Les nouvelles instances politiques que la décentralisation va mettre en place […] pourront-elles imposer leurs modes de régulation et leurs registres de légitimité aux autres acteurs et institutions de la scène locale, et devenir à la longue les foyers démocratiques rêvés par les promoteurs de la décentralisation, ou bien ces nouvelles institutions vont-elles tout simplement s’« empiler » sur l’amas d’institutions déjà existantes et négocier, elles aussi, leur espace limité de manœuvre ? » (Bierschenk & Olivier de Sardan, 1998 : 50)

Le maire rejette naturellement cette remise en cause de son autorité par le député et ce qu’il considère comme une majorité étriquée, qui « est sous le joug d'un seul individu ». Il tente de replacer le conflit dans le contexte de la légalité et de la légitimité municipale, en distinguant la forme d’autorité acceptable et concevable qu’il représente de la forme de pouvoir inacceptable et illégale que symbolise Assayad. Il dépersonnalise le conflit en le plaçant sous le signe d’une opposition entre le pouvoir « au service de la population» et le pouvoir « au service d’un individu ». Malgré cette caractérisation schématique, il n’exclut pas l’idée de négociation avec le pouvoir personnalisé et individuel d’Assayad. Encore faut-il que les conditions d’une telle négociation soient clairement définies, ce qui, d’après le maire, n’est pas le cas.

« Maintenant j'ai des noises parce que je ne peux pas accepter de faire quelque chose qui ressemblerait à une soumission au pouvoir d’un individu. Une fois les élections terminées, moi je ne suis plus à la merci d'un individu, mais au service de la population. Donc je ne peux pas accepter n'importe quelle erreur, ou propositions, si ce n'est pas des propositions qui viennent de la masse. Donc, c'est ça qui fait mon défaut. Eux, ils me reprochent d'être rigide, de ne pas suivre l'avis de la majorité… Or moi, l'avis de la majorité, je ne l'ai jamais fui. Je ne peux pas suivre l'avis d'une majorité qui est sous le joug d’un seul individu. Donc je ne fais pas de différence entre l'opposition et la majorité, nous sommes tous au service de la population. Quiconque vient avec des idées constructives, ça on va les développer. Moi, je ne fais pas de différence, une fois élus, nous sommes tous des conseillers. Mais un individu peut-il venir me dire de faire telle chose pour telle raison ou bien pour tel individu ? Non ! Voilà là où je me suis fait du mauvais sang » (Maire).

La position des conseillers de l’opposition

Les deux conseillers de l’opposition et celui du PUND–Salama (censé être de la majorité), « le pire des alliés du MNSD », ont adopté une attitude de neutralité que certains jugent paradoxale ou politicienne face au conflit au sein du conseil municipal. Privant le groupe des conseillers contestataires de leurs suffrages, ces derniers n’eurent pas la majorité nécessaire pour faire partir le maire. En effet, la loi dit qu'il faut 2/3 des conseillers pour « déposer » un maire, autrement dit 8 conseillers sur 11. Or les contestataires ne sont que 7. Il leur fallait trouver au moins un conseiller parmi ceux du PNDS et du PUND. Mais, contre toute attente, la voix indispensable fut introuvable. Les conseillers du PNDS et celui du PUND ont catégoriquement refusé de voter pour la chute du maire Bianou Bika. Même la promesse de se voir accorder la place de vice maire en contrepartie de leur soutien n’a pas suffi à convaincre les conseillers de l’opposition.

Ce faisant, ces conseillers adoptent ce que Claude Fay (2000 : 131) appelle une « opposition sans participation » ou que Blundo appelle une « opposition factionnelle » (cité par Fay, op.cit). Leurs stratégies participent d’une volonté de maintenir la situation de conflit au sein du groupe MNSD, de le pérenniser « fonctionnellement » jusqu’aux élections prochaines afin d’en tirer le maximum de profit sur le plan politique.

« Ils refusent de les aider parce qu'ils disent : ‘’Bon, c'est une occasion aussi, il faut profiter parce que nous sommes dans une situation politique où il faut faire en sorte que le partenaire soit en faillite. Si ça ne va pas, on va les entendre crier partout ; c'est le parti (MNSD) qui doit en prendre un coup ; nous, nous allons en profiter. Il faut les laisser partir dans leur merde comme ça… Il faut refuser de leur apporter le soutien de 1 conseiller’’ » (Alghouss, SG mairie).

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Mais les enjeux politiques futurs ne sont pas les seuls motifs qui expliquent la

neutralité des conseillers de l’opposition. Il y a également des enjeux économiques immédiats. S’estimant en position de force dans ce bras de fer, ils négocient, selon certains interlocuteurs, leur neutralité avec le maire, lequel accorde à leurs militants certaines facilités. Le maire (avecl’aide de ses parrains) multiplie ainsi les actions, et quelques alliances ponctuelles, pour déjouer la pression de ses camarades dissidents. C’est ainsi qu’une marche (téléguidée par le noyau isawaghen du MNSD) de la population du village a été étouffée in extremis par le CPA. Elle entendait protester contre le blocage de la commune par le groupe de 7, et surtout demander la démission du conseil municipal. Ainsi un front commun, comprenant tous les autres partis, y compris la CDS, serait monté par le maire contre les 7 conseillers contestataires. Les mobiles de tous ces partis recouvrent, bien évidemment, plusieurs registres.

« Peut-être avec lui, ils trouvaient leurs comptes, ils s’entendaient mieux avec lui. Par exemple, au niveau de Tarayya, il parait qu’il y avait un forage, là aussi on nous a caché la réalité, au niveau du village d’Agogh que le Lucop devrait forer aux populations d’Agogh. Il y a eu la signature et les tractations à notre insu, nous les conseillers. Donc ça s’est passé entre le maire et un conseiller très influent de Tarayya, au niveau de la commune d’In Gall. Je crois que ce forage fait partie des transactions ; il y a quelque chose dans l’entente entre le maire et Tarayya. Le conseiller PNDS du village d’Agogh est très influent. Il lutte pour installer des infrastructures socio-économiques au niveau d’Agogh, par exemple, il y a le forage, les classes et la radio communautaire. Donc, à travers le maire, il a plus des facilités à faire signer certains papiers à l’insu même des conseillers du conseil ; donc il lui facilitait la tâche. Aussi, avec les partenaires, il a le marché pour construire le forage, pour construire certaines infrastructures, je pense que c’est là leur entente, c’est au niveau de la facilité, au niveau de la signature des documents» (Nounou).

« Au niveau de PUND - Salama, aussi, son conseiller avait des partenaires avec lesquels il exécutait des petits projets dans la commune au nom des populations. Donc, le maire lui facilitait, en tout cas, l’exécution de ces projets » (Nounou).

L’attribution d’un forage au village d’Agogh est d’autant plus problématique, aux yeux des conseillers dissidents, que le village n’est pas prioritaire en matière de besoins en infrastructures hydrauliques. Selon le Plan Communal de Développement (PCD), en effet, le problème d’eau se pose plutôt au village de Tegida n Tesemt où l’eau de consommation domestique a une forte teneur en sel. Le village d’Agogh se trouve au cœur d’une zone couverte par un maillage de puits pastoraux. Et d’ailleurs, au cours des enquêtes pour l’élaboration du PCD, les populations de Tegida n Tesemt ont exprimé, plus que les autres, des besoins en infrastructures hydrauliques. Au cours d’une de leurs sessions, les conseillers ont essayé de comprendre le pourquoi d’un tel dysfonctionnement dans le respect des priorités contenues dans le PCD…

Au niveau du groupe PNDS, la décision de ne pas participer à un conflit considéré comme une affaire interne au MNSD procède, certes, d’un calcul politique (de bonne guerre) mais surtout de la crainte de substituer un mal pire à un mal moindre. Entre le maire contesté et le maire potentiel, le PNDS local estime que le choix est sans équivoque :

« Nous, nous avons compris que le maire est moins pire que son adjoint. Donc si celui-ci le remplace ça va être une catastrophe ! Ça va être la mort totale de la commune. Parce que lui, il ne fait que ce qu’Assayad lui dit de faire. Même en conseil municipal, il ne prend aucune décision avant d’avoir le point de vue d’Assayad. Il lui téléphonait toujours pour lui dire comment les choses se déroulaient en conseil. Quant au maire, c’est vrai qu’Allélé le soutient, mais Allélé n’est pas comme Assayad, lui il ne cherche que les honneurs, pas l’argent ou le matériel. Ce serait un déshonneur pour lui que l’homme qu’il soutient tombe ! » (François Ibrahim, tâcheron, militant du PNDS).

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Il est clair que c’est la personne d’Assayad lui-même qui fait peur à l’opposition.

L’idée d’une commune dirigée par ‘’son’’ homme, où il aurait tant de privilèges pour faire et défaire les choses, et redéfinir le paysage politique de l’arène d’In Gall, déclenche la vigilance de tous ses adversaires politiques, quelle que soit leur obédience politique. Cette peur alimente la sourde rivalité qui existe entre Assayad et les Arabes du PNDS, dont notamment l’influent conseiller Hamed Lamine Naji. Entre les deux ‘’poids lourds’’ économiques de l’arène locale, le désir de leadership politique entretient la dynamique conflictuelle. Et le conflit, interne au MNSD, entre le maire et le député constitue un rempart certes provisoire, mais essentiel et inespéré pour le camp de l’opposition politique, contre le leadership ombrageux d’Assayad. A terme, les fissurations socio-politiques qui ont émergé dans le sillage du conflit seront certainement exploitées par tous les acteurs politiques locaux pour asseoir leur autorité dans les arènes locales.

Clivages sociologiques nés du conflit

A la suite du conflit au sein du conseil municipal, l’arène socio-politique s’est fissurée. Les acteurs parlent beaucoup des clivages, des stratégies d’appropriation clanique des espaces politiques, de la prééminence des légitimités, de l’ordre de préséance,… Ainsi, l’on assiste à l’émergence dans les propos de clivages comme : brousse versus ville, anciens militants MNDS versus nouveaux militants, Touaregs versus Ingallawa. Evidemment, cette profusion sémantique participe des stratégies pragmatiques qui ont toujours eu cours dans l’arène locale, puisque toutes les négociations entre les leaders locaux pour contrôler les ressources et les rênes du dispositif administratif communal ont été ciselées sur la base de ces clivages (comme nous l’avons expliqué plus haut). Durant longtemps ces clivages ont été plus ou moins flexibles, et même considérés par les acteurs politiques locaux comme allant de soi, voire complémentaires et nécessaires politiquement. Mais avec le conflit actuel, ils ont pris une tonalité « factionnelle » et une tournure radicalement contradictoire, à la limite de la rupture. Ils ont été exacerbés.

Brousse versus ville

Le conflit a-t-il fait l’unité socio-politique des Ingallawa (isawaghen) ? Si l’on observe certains faits, comme la marche avortée des Ingallawa contre le groupe de 7 (accusé de vouloir privatiser la gestion du poste frontalier d’Assamaka), ou si l’on écoute certains propos, comme le jugement prudent du CPA (pourtant frustré par l’attitude méprisante du maire à son encontre) quant à la responsabilité du maire dans le conflit, la réponse est affirmative. Selon certains interlocuteurs, le regroupement de tous les Ingallawa autour du maire entre dans le cadre d’une renaissance socio-politique des villageois face à l’arrivée massive des gens de la brousse vers la politique, et surtout vers le parti majoritaire (le MNSD). Les Ingallawa veulent désormais contrôler totalement l’arène communale. Les élections municipales à venir devraient consacrer leur force et leur présence dans les villages d’In Gall et de Tegida n Tesemt. Le maintien, contre vents et marées, du maire à son poste par ses parrains s’inscrit ainsi dans le projet de rassembler tous les autochtones du village d’In Gall (notamment les Isawaghen), ceux du MNSD, ceux du PNDS, ceux du PUND - Salama, ceux de la CDS et de tous les petits partis qui sont à In Gall. Tous ces Ingallawa vont faire front commun, et même constituer une liste commune pour faire campagne, pour avoir la majorité et gérer la commune d’In Gall. Pour les adversaires de ce projet, l’enjeu des Ingallawa est de maintenir les populations nomades (touaregs, peuls et arabes) dans leur brousse, loin des rouages de la municipalité et du contrôle de ses ressources. Les Touaregs étant majoritaires sur le plan démographique, il faut trouver un moyen de leur refuser l’accès à la mairie et d’occuper le poste suprême de maire. Jouer sur leurs divisions et leurs rivalités

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sociologiques est l’une des stratégies des Ingallawa pour les isoler et les maintenir ainsi politiquement faibles dans l’arène locale. La cooptation de certains leaders locaux iouareg de faible poids par Allélé participe de cette entreprise.

Mais les Touareg sont déjà majoritaires dans le conseil municipal, puisqu’ils totalisent 8 conseillers sur 11. Pour les Ingallawa, cet état de fait est la cause de la crise qui secoue la municipalité. Ce succès massif a été une grande surprise pour les Ingallawa, lesquels ont toujours considéré les gens de la brousse comme des analphabètes, incapables de nourrir des motivations politiques et de s’intéresser aux processus du jeu politique local.

« Pour le maire actuel, au niveau de la commune, il fallait tout faire pour nuire aux intérêts des populations nomades qui sont des populations plus ou moins flottantes, qui ne comprennent rien à la démocratie, aux principes démocratiques, aux élections, à l’intérêt des élections, qui ne comprennent pas encore ce que sont les élections, l’importance des élections ; il faut les isoler, il faut truquer, voire même truquer les élections, il faut manipuler les listes, il ne faut pas les recenser. Il faut tout faire, par contre, pour recenser les gens du village et comme ça, ils vont tout faire, tout faire, ils vont s’entendre pour, en tout cas, manipuler ces élections. Et, toujours se maintenir à la mairie, au pouvoir » (Ahmed Founou).

Les Touaregs n’ont pas attendu cette prise de conscience, qui ressemble fort à une

levée des boucliers, des Isawaghen d’In Gall pour réfléchir aux stratégies qui leur permettront de reconquérir la mairie, de contrecarrer politiquement les villageois, et d’asseoir définitivement leur leadership sur la commune, en particulier, et dans l’arène politique d’In Gall, en général. Certains de leurs leaders locaux, notamment les jeunes comme le conseiller municipal Ahmed Nounou, espèrent tirer avantage du conflit actuel. Ils travailleront certainement à faire taire les divergences et les rivalités internes ; ils espèrent surtout qu’ils parviendront à capitaliser le mécontentement engendré aujourd’hui par la mauvaise gestion de la mairie. A coup sûr, le jeu politique futur promet d’être rude. Et l’équation ‘’gens de brousse contre gens de village’’ entraînera dans le processus politique local des logiques contraires à l’esprit même de la décentralisation. Car les regroupements ethniques mènent à une cristallisation des espaces de pouvoir, en articulant des logiques identitaires et sociologiques dans le jeu politique.

« Ce qui se dessine, apparemment, c’est que nos frères ingallawa, les Isawaghen, ne veulent plus nous sentir en tant que Touaregs, en tant que populations qui ont cohabité avec eux pendant des centaines d’années, ils ne veulent plus nous sentir, ils ne veulent pas partager le pouvoir avec nous, ils veulent eux seuls gérer ce pouvoir. La preuve, c’est qu’au niveau de la commune d’In Gall, il y a le maire qui est ressortissant de ces populations (Isawaghen), il y a le chef de poste aussi, ce qui n’est pas normal car la commune d’In Gall est à majorité touareg. Malheureusement, cette majorité silencieuse est exclue des affaires publiques de la commune d’In Gall, ce qui est révoltant, c’est qui n’est pas normal. Ça pousse à toutes les dérives ; moi, j’ai trouve que les gens sont, même, trop patients, ils sont trop doux jusqu’à ce stade là. Si c’était ailleurs, les gens allaient depuis longtemps se révolter. Vraiment, il faut mettre les choses en règle, il faut mettre les choses comme il se doit.

Déjà nous, nous avons commencé à percevoir leur stratégie. Nous allons mettre aussi en marche, bientôt, notre stratégie pour les contrecarrer, pour contrôler désormais la commune d’In Gall, pour rétablir la vérité, pour que la mairie revienne à ses vrais, aux vrais militants, c’est-à-dire les nomades qui sont majoritaires. On pense qu’avec l’expérience, avec ce que les gens ont vécu, avec le dysfonctionnement de la commune, avec cette mauvaise gestion, les gens ont eu une leçon, une grande leçon. Donc, il y a une prise de conscience au niveau des populations, je pense qu’elles vont désormais faire un bon choix. Assaïd aussi, il a regretté son acte. Et s’il veut composer avec les gens, il va désormais les écouter, il va désormais suivre, lui aussi, s’il veut que ça marche » (A.N.F).

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Il faut dire que la production du discours dichotomique brousse versus village est principalement liée à l’arrivée massive des ‘’gens de la brousse’’ dans le MNSD, autrefois ‘’chasse gardée’’ des Isawaghen (gens du village). Donc ce clivage est essentiellement un problème politique, sans pertinence sur le plan social. C’est une invention des hommes politiques locaux, qui veulent instrumentaliser les différences naturelles (ou sociologiques) à des fins purement politiques et électoralistes. En effet, les rapports sociaux entre ‘’gens de la brousse’’ et ceux de village sont intimement complexes et structurés par des dynamiques et des logiques transversales. Les réseaux de relations entre ces catégories sont intégrés et imbriqués dans une interdépendance économique très forte.

« Quelqu’un qui est dans la brousse, il vit dans les maisons des gens de la ville et ceux de la ville, les moutons même de baptême de leurs enfants viennent de la brousse, ça ce sont des cadeaux. Les gens de la brousse, s’il y a une fête, ils viennent, ils prennent des habits des gens de la ville. Ce sont leurs parents. Vraiment, depuis les arrières parents, tout le monde conseillait que la ville et la brousse n’existaient pas, c’est avec la politique là que les gens veulent créer la ville et la brousse » (M. O).

Anciens militants MNSD versus nouveaux militants

L’introduction dans le débat politique, au sein du MNSD local, de la notion de « partage » est récente. Elle suppose l’existence d’un postulat à caractère transactionnel qui met en jeu des rapports de force entre acteurs, eux-mêmes soumis à des références et à des logiques différentes. Cette notion, à forte connotation politique, est concomitante de l’élargissement du MNSD local à Assayad et « ses gens », c’est-à-dire aux gens de la brousse. Avant, il n’y avait qu’une « part », celle de tous les militants MNSD d’In Gall, sans exceptions. Mais ces militants étaient isawaghen, essentiellement. Et pour un groupe aussi homogène, la notion de « partage » n’impliquait pas la séparation formelle des gens en clans opposés.

« Maintenant tout ce qui se partage ici, on demande la part de la brousse et la part de la ville. Et, c’est une source des conflits » (M.O).

L’arrivée d’autres militants est alors perçue par les premiers comme la cause potentielle de la perte des rapports verticaux personnalisés, et donc comme une menace sérieuse pour les intérêts de la ‘’vieille garde’’.

« Q :… Donc les anciens s’estiment lésés au profit des nouveaux venus?

R : Absolument.

Q : On a fait des places aux nouveaux venus au détriment des ‘’anciens’’ ?

R : Absolument. Moi je pense que (même si nous n’avons pas le droit de parler des partis politiques) si vous prenez par exemple le MNSD (je ne sais pas pour les autres partis politiques), vous n’avez pas, si vous arrivez aujourd’hui, le droit, n’est-ce pas… ?

Q : Le droit de quoi ?

R : De gravir tous les échelons en un temps record. Si vous arrivez aujourd’hui, il y a la phase du comité de base : au moins vous faites trois ans, qu’on s’assure effectivement que vous êtes convaincus, qu’on ait d’abord une certaine garantie que vous êtes arrivés par conviction, que vous n’êtes pas arrivés juste pour… ?

Q : …Pour des postes ?

R : Voilà, c’est des choses comme ça qu’il faut…

Q : Donc l’accession aux échelons du parti est tout un processus ?

R : C’est des choses comme ça qu’il faut respecter. Trois ans dans un comité de base pour être membre d’un comité local ou d’une sous-section, voilà.

Q : Donc il y a forcément des échelons ?

R : Oui, voilà.

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Q : Les gens n’ont pas suivi ça ?

R : Les gens dès qu’ils viennent, bon, c’est fini, c’est la masse. Les gens ont dit que c’est bien qu’il y ait des gens qui viennent pour grossir nos rangs, c’est bien, il faut les accueillir tout de suite, il faut les placer. Bon pour la conséquence, voilà ! » (CPA)

Les militants originels (ou anciens) se cramponnent à leur légitimité historique. Ils

dénient aux nouveaux venus la qualité de militants convaincus, ou le statut de militants engagés. Par exemple, revendiquer en permanence la « part » d’une frange de la population militante (qui est différente de la population militante originelle) ou exiger la démission d’un camarade du même bord politique (maire), quel que soit son tort, c’est, pour les anciens du MNSD, s’inscrire en faux contre les principes mêmes du parti, c’est contrarier sa dynamique. Le noyau des anciens militants, dont sont membres le maire et son parrain, Allélé, estime que les nouveaux militants ont créé plus de torts que de bien au parti : factionnalisme au sein du parti, naguère sans histoires, relâchement dans la dynamique politique du parti, discrédit (par le biais du conflit au sein du conseil),... Les nouveaux militants sont plutôt considérés comme des ‘’mercenaires’’ qui veulent saper le parti.

« Le MNSD a plus de conseillers, mais les conseillers là, je te dis que vraiment il faut laisser les noms des conseillers du MNSD. Le MNSD en tant que tel n’a pas eu d’élections au conseil. Vraiment, c’est des gens qui sont venus, ils sont venus, ils sont MNSD, mais ils ont la robe du MNSD seulement. C’est tout, parce que quelqu’un qui est MNSD, il ne va pas demander la démission du maire, au bout de 5 mois des élections. Il y a une intention quelque part, ce n’est pas bon en politique » (Maïdagi).

Le groupe d’Assayad incarne le changement. Composé essentiellement des jeunes et des ex-combattants, ceux-ci n’aspirent qu’au changement, même dans la gestion locale du parti. Ensuite, ils sont actifs dans toutes les arènes locales pour induire ce changement escompté, au niveau de leur espace social d’appartenance, mais aussi au niveau de la commune. Ils sont d’autant plus actifs qu’ils n’ont pas d’autres perspectives dans l’arène locale, et même au-delà, que d’envisager le contrôle de la commune et de ses ressources, notamment le poste frontalier d’Assamaka qui fait rêver tous les jeunes désoeuvrés d’In Gall. Ces jeunes ont donc, malgré la volonté manifestement conservatrice des anciens militants du parti et de certains leaders locaux, insufflé au parti une dynamique accélérée, correspondant à leur idéal de changement.

Face à ces jeunes, qui tous se réclamant d’Assayad et de la ‘’brousse’’, les militants originels du MNSD (ingallawa) tentent de former une espèce de « mur de Berlin » infranchissable autour du parti, de la mairie, du poste frontalier d’Assamaka …, tout en ayant conscience de leurs limites et du vent de changement apporté par Assayad et ses militants. Ils sont surtout conscients de la capacité de nuisance dont disposent ces jeunes, ces nouveaux militants, puisqu’ils contrôlent les arènes des ‘’pouvoirs coutumiers’’ locaux.

« Ce sont les jeunes là qui veulent un changement brusque. Mais ce sont eux qui se cassent les têtes quoi, ils cognent leurs têtes contre le mur. C’est un « mur de Berlin » qui est là, il ne faut pas tenter de le faire (bouger) avec force, il faut aller doucement. Moi, le conseil que je donne, il faut aller doucement. […] Eux, ils ont les moyens de faire le tour de la commune pour te salir. Et s’ils ne sont pas d’accord avec toi, c’est fini, tu es sali ! » (Maïdagi).

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Fonctionnement de la commune

De façon générale, les communes du Niger ont compétence pour concevoir et piloter leur développement économique et social, ce qui comporte donc deux aspects : l’aspect conception ou planification et l’aspect exécution concrète des activités. Concernant la commune d’In Gall, l’aspect planification des programmes d’activités, c’est-à-dire la production de la littérature de base en matière de planification (ou l’aspect théorique), a été relativement réussi. Par contre, l’exécution des activités planifiées reste fortement médiocre voire nulle, selon les interlocuteurs.

Les textes produits

Avec l’appui de ses partenaires, notamment le LUCOP, la commune a élaboré son Plan de Développement Communal (PDC). Par ailleurs, elle a pu préparer et voter ses budgets pour les différents exercices (2005, 2006, 2007). Et dans divers domaines (élevage, agriculture, chasse) aussi, elle a élaboré des schémas communaux (cf. PDC 2006).

Activités et réalisations

La commune s’appuie sur les délibérations du conseil municipal et les différentes commissions pour mener ses activités. Nous avons vu que l’un des points de discorde entre le maire et ses conseillers est le non respect des décisions du Conseil. Les décisions prises en conseil ne sont, le plus souvent, pas exécutées. Un sort identique est réservé aux différentes commissions. Celles-ci sont au nombre de trois : la commission développement rural, la commission finances et la commission culture, art, jeunesse et sports. Ces trois commissions ne sont pas opérationnelles, elles n’existent que sur le papier. Elles n’ont jamais exécuté quoi que ce soit, aucune activité. Le conseil constata enfin, à sa dernière session, leur échec et changea tout simplement leurs responsables. Malgré ce changement des responsables, elles restaient inactives, lors de notre enquête.

Une des difficultés soulevées pour expliquer l’inactivité des commissions est l’absence chronique (et prolongée) des conseillers dans la commune. En effet, comme l’ont souligné tous nos enquêtés, en dehors du maire tous les autres conseillers résident loin de la commune, le plus souvent à Agadez, et même à Aderbissanat. Cet éloignement expliquerait également le blocage de beaucoup d’opportunités pour la commune. Beaucoup de choses auraient pu être faites, selon le maire, si les conseillers venaient régulièrement ou résidaient à In Gall. Lors de notre enquête, il déplorait être à son « 52ème jour » sans voir un seul conseiller. Mais cela ne signifie sans doute pas que les conseillers ne venaient pas à In Gall. Nous avons longuement expliqué les raisons du « 52ème jour » plus haut.

Cette absence prolongée de la quasi-totalité du conseil municipal, ajoutée à d’autres facteurs relevant principalement de la responsabilité du maire, a induit une situation de vacuité totale au niveau de la mairie, amenant le maire à faire « cavalier seul ». Et, ce faisant, il gère la commune à sa guise.

La commune a bénéficié d’un siège flambant neuf grâce à la coopération allemande, à travers le FICOD. Sa quote-part (intégralement versée par les Côtes d’Armor) à la réalisation de ce bâtiment s’est élevée à seulement 10% du montant total. Bien que le bâtiment soit achevé, et remis officiellement par le partenaire (LUCOP), le maire maintient son bureau dans le bâtiment du service de l’élevage où il cohabite avec d’autres agents. Selon certains de nos enquêtés ce refus d’occuper le bâtiment officiel découlerait de la stratégie de vacuité fonctionnelle voulue par le maire pour gérer dans « l’opacité totale » les affaires de la commune. Car s’installer dans le bâtiment officiel signifierait une petite administration

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fonctionnelle, un semblant de normalité administrative, qui se traduirait par le regroupent des agents dispersés dans les autres services où ils ont élu leurs bureaux (par exemple, cas du SG qui est logé dans le siège de Lucop). Cela se traduirait également par la délivrance quotidienne du service public, puisque les usagers de la mairie viendraient vers une administration désormais visible officiellement, ce à quoi le maire ne serait pas prêt dans le « flou » actuel.

Le maire refuserait-il ce regroupement ? Refuserait-il la visibilité administrative ? En tous les cas, quelle que soit la réponse à ces questions, les jugements de nos interlocuteurs sur la mairie (et le maire) sont sévères, comme le montrent, ici, les propos du chef de village d’In Gall.

« La mairie, notre mairie, depuis sa mise en place, nous n’avons rien vu. Le mensonge est interdit ! Depuis que notre maire a été élu, il n’a fait aucune réalisation ; notre maire et ses conseillers, ils sont sur la même longueur d’onde. Toujours, toujours, il y a un conflit. Qu’est-ce qui a donné lieu à ce conflit ? Personne ne fait son travail, l’argent s’ils le trouvent, en principe, les gens doivent voir ses traces. On ne sait pas quelle voie il emprunte. C’est ce qui a amené notre maire et les conseillers à avoir un problème entre eux. Les recettes sont prélevées, les taxes sont là ainsi que l’impôt de capitation (amana) aussi. Il n’y a pas une seule voie à In Gall ou dans sa brousse, où ils ont investi, il n’y en a pas. Il n’y en a pas, et il (maire) s’en fout de personne. Il fait cavalier seul, l’argent, on ne sait pas quelle voie il emprunte » (chef de village).

Les budgets des différents exercices s’élèvent, en recettes et en dépenses, respectivement comme suit :

- Budget 2005 : 37 millions

- Budget 2006 : 37 millions

- Budget 2007 : 44 millions

Compte tenu du principe de l’unicité de caisse, la gestion de ces budgets se passe pratiquement entre le maire et le comptable de la préfecture. Ceci explique que, en dehors du maire, personne au niveau de la commune ne connaît rien à l’exécution de ces budgets. Même le SG de la mairie a été incapable de nous fournir un seul papier sur ces budgets. Ce sentiment d’‘’ignorance totale’’ est rappelé ici par un de nos interlocuteurs.

« Il y a donc un problème de caisse. Les recettes sont versées à Tchiro. On dit seulement « budget prévu tant », « dépenses tant », on ne sait pas les imputations » (M. A).

Les taux de réalisation de ces budgets sont mitigés. Si l’on s’en tient aux dires du maire, ils sont très faibles : 12% et 14% pour les budgets 2005 et 2006. Le maire lie la relative de ces taux d’exécution à l’incivisme fiscal qui caractériserait la commune d’In Gall. La coopération décentralisée intervient également dans les budgets d’investissement, qui rehausse les taux de réalisations de la commune. Par exemple, la commune d’Aguenon Hyauday, dans le département français des Côtes d’Armor, injecte dans l’économie de la commune une enveloppe de 30 millions FCFA.

Pour nombre de ressortissants de la commune ces taux d’exécution sont largement gonflés par le maire et que les vrais chiffres sont inférieurs à ces taux et se situeraient (en terme de réalisations concrètes) autour de 1%.

Il faut dire que ce 1% ne comprend pas la part des réalisations faites par les partenaires au développement de la commune et l’apport en investissement directs de la coopération

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décentralisée. Le LUCOP, par exemple a fait des réalisations importantes dans le domaine éducatif : près de 180 classes ont ainsi été réalisées. Et la quote-part demandée à la commune par LUCOP ne dépasse jamais 10% (dont 9% sont pris en charge par la coopération décentralisée) pour les infrastructures ; pour les autres activités (les plans de développements communaux, les formations, les sensibilisations sur le VIH-Sida) réalisées par LUCOP en faveur de la commune, la quote-part demandée se situe entre 1% et 2%. En résumé, le 1% de réalisation à l’actif de la mairie ne concerne que les quotes-parts demandées par la coopération allemande pour la réalisation de ses différentes interventions en faveur de la commune.

Ce qui suppose, comme le soutiennent d’ailleurs certains enquêtés, que la mairie n’engage pas de dépenses et de réalisations sur fonds propres, c’est-à-dire sur ses recettes fiscales. Pour certains interlocuteurs, ces taxes seraient parties dans les dépenses personnelles du maire, notamment pour ses déplacements, pour son carburant. Ce qu’il reconnaît d’ailleurs implicitement :

« J'ai un véhicule là, garé dehors, ce n'est pas mon véhicule (c’est un 4x4 offert par un pays arabe du Golfe - les chasseurs d’outardes - à la mairie), c'est un fourre tout. Ça, si vous lui mettez 80 litres pour aller à Agadez, arrivé, il vous faut encore 30 ou 40 litres pour revenir. Donc j'épuise facilement mon budget transport avant 6 mois de l'année. » (Maire)

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Conclusion

Nous avons vu, au cours de cette enquête, que l’ancrage local du processus municipal se heurte à des représentations et à des pratiques de pouvoir qui renvoient à des logiques patrimoniales (Médard, 1991) et clientélistes (Bouju, 2000), totalement en conflit avec l’idée de bonne gouvernance.

Au sein des groupes sociaux qui occupent ce que les acteurs politiques de l’arène locale appellent « la brousse », il n’y a véritablement pas de « stock symbolique historique» (Fay, 2000) autour d’une concentration du pouvoir politique ou de sa consolidation, sur lequel s’appuierait une nouvelle conscience collective d’appropriation de pouvoir politique. Les formes de ‘’gouvernance coutumière’’ de ces arènes chefferiales étaient toujours restées dominées par une « structure aléatoire », fragilisant de fait les mécanismes d’appropriation et de concentration de pouvoir. Aucune chefferie (parmi celles que nous avons étudiées) n’a, historiquement, été une force d’intégration et de conquête de pouvoir, autre que celui de la guerre.24 L’arène ingallawa, désignée « village » à l’opposé de la précédente, largement constituée des Isawaghen, est elle aussi, historiquement, sans ‘’centre fort’’. Elle est sans fonds symbolique fort, sans chefferie coutumière localement forte et susceptible de produire une conscience politique forte.

Toutefois, malgré cette absence, des acteurs locaux s’organisent de part et d’autre, dans ces deux grandes arènes (brousse et village), et élaborent des stratégies d’appropriation des ressources fiscales et de contrôle du pouvoir municipal. Mais comme ces acteurs locaux n’étaient pas investis de consciences locales fortement tendues vers la conquête de pouvoir, leurs stratégies sont paradoxalement transversales et imbriquées, certains acteurs passant en permanence d’un camp à l’autre, au gré des variations de leurs intérêts. Des conseillers qui étaient dans la faction d’Allélé avant l’installation effective du conseil se sont ainsi retrouvés du côté d’Assayad dans le bras de fer qui l’oppose à Allélé, par le biais du maire, pour le contrôle de l’arène municipale. De même certains conseillers, qui ne sont pas d’accord avec Assayad sur ses stratégies de quête de légitimation socio-politique dans leurs arènes chefferiales respectives, sont pourtant avec lui dans le conflit ci-dessus évoqué. Autant dire que c’est la variation des intérêts qui détermine les positions ou les postures politiques des acteurs.

Le paradoxe de cette arène politique est que le conflit qui bloque les activités de la commune et mine le processus municipal se déroule au sein d’une même majorité, au sein d’un même parti, à savoir le MNSD. La majorité qu’il s’est taillée (8 conseillers sur 11) est en crise profonde entre le maire et un groupe de 7 conseillers, qui contestent son pouvoir, parmi lesquels se trouve le conseiller-député Assayad. Mais au fond, le maire et les conseillers ne sont que les acteurs, par procuration, d’un conflit qui les dépassent entre leaders locaux, notamment Assayad et Allélé. A l’arrière-fond de ce conflit se sont constitués, dans le discours politiques des acteurs, des clivages entre anciens du MNSD et nouveaux militants, entre ‘’gens de la brousse’’ et ‘’gens de village’’. Le groupe de l’opposition entend, quant à lui, tirer profit de ce conflit en l’exacerbant par un soutien ferme au maire afin que le conflit dure le plus longtemps possible. En retour, le maire offre plusieurs prestations : signatures, agréments, infrastructures…

Dans cette logique d’affrontement, la prédation des ressources communales et le resserrement du pouvoir aux mains de quelques ‘’villageois’’ sont mis en place, ce qui donne l’impression qu’une conscience de groupe est en formation chez les Isawaghen dans le but de

24 Pillages, razzias, batailles fratricides entre les confédérations touarègues,…

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conserver le pouvoir. Pour maintenir le cap, et ne pas perdre les rênes du pouvoir municipal, le maire semble opter pour la prédation systématique des ressources fiscales, tout en prenant soin d’associer quelques acteurs, les moins hostiles, dans le camp même de ses adversaires. Initiant une forme de gouvernance municipale « acrobatique », selon ses termes, il instrumentalise la mairie et rend les conditions de vie de ses propres agents extrêmement précaires, voire vulnérables. Au moment de l’enquête, il a reconnu n’avoir jamais donné leur salaire, de manière régulière, à ses deux agents : le SG de la mairie et l’agent d’état civil. Concernant ce dernier, le maire dit l’« aider » (et non le payer) par « acrobaties », c’est-à-dire un petit billet de 1.000 FCFA par-ci, un autre de 5.000 FCFA par-là.

« C'est comme s’il n'était pas recruté d'autant plus qu’il n'est pas payé ; il n'est pas payé, il travaille bénévolement. J'ai même demandé des avances pour le payer, car on ne peut pas travailler un an sans être payé ! Il y a des acrobaties qu'on fait, c'est par consentement, pour aider, c'est comme ça ! » (Maire)

Si les « clivages » mis en avant se maintenaient, et si la dynamique de constitution d’une conscience collective politique se mettait véritablement en marche dans les différentes arènes locales, les élections municipales prochaines déboucheraient sur l’élection d’un maire de la « brousse », et donc consacreraient le renversement de la structuration ‘’traditionnelle’’ du MNSD dans l’arène socio-politique d’In Gall.

Les Peuls resteront-ils encore une fois en marge de la dynamique ?

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Ouvrages cités

Bailey, F.G. 1971 : Les règles du jeu politique (trad. française), Paris : PUF. Bernus, E. 1981, Touaregs nigériens, unité culturelle et diversité régionale d’un peuple pasteur, Paris : Orstom. Bernus, E. 1972, « Les palmeraies de l’Aïr », extrait de « Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée », Aix-en-Provence. Bierschenk, T. & Olivier de Sardan, J-P. (ed.), 1998, Les pouvoirs au village. Le Bénin rural entre démocratisation et décentralisation, Paris : Karthala. Bouju, J. 1998, Approche anthropologique des stratégies d’acteurs et des jeux de pouvoirs locaux autour du service de l’eau, Bandiagara, Koro et Mopti, Mali, Marseille : EHESS. Bouju, J. 2000, ‘’Clientélisme, corruption et gouvernance locale à Mopti (Mali)’’ in « Logiques identitaires, logiques territoriales », Autrepart, n° 14, IRD. Bourgeot, A. 2001, « In Gall : Enquête de référence », Niamey : LASDEL. Fauroux, E. 1999 : ‘’Une transition démocratique et libérale difficile dans une région périphérique de l’Ouest malgache’’ in « Afrique : les identités contre la démocratie ? » Autrepart, n° 10, IRD Fay, C. 2000, ‘’La décentralisation dans un Cercle (Tenenkou, Mali)’’ in « Logiques identitaires, logiques territoriales », Autrepart, n° 14, IRD. Grégoire, E. 1999, 1999, Touaregs du Niger, destin d’un mythe, Paris : Karthala Hahonou, E. 2004, « In Gall : Enquête complémentaire », Niamey : LASDEL Hahonou, E. 2006, En attendant la décentralisation au Niger, thèse EHESS, Marseille. Hamani, D. 1989, Au carrefour du Soudan et de la Berberie. Le Sultanat touareg de l’Ayar, IRSH, Etudes nigériennes, n°55, Niamey. Hertrich, V. & Lesclingand, M. 2001, Entrée dans l'âge adulte en milieu rural africain : vers une convergence des trajectoires masculines et féminines ? Le cas des Bwa du Mali, INED, Paris. Médard, J-F. (eds.), 1991, Etats d’Afrique Noire. Formations, mécanismes et crise, Paris : Karthala. Nicolas, F. 1950, Tamesna : les Ioullemeden de l’Est ou Kel Dinnik, Paris : Imprimerie nationale. Olivier de Sardan, J-P. 2003 ‘’Brève synthèse des résultats des enquêtes menées en 2001-2002’’ Niamey : LASDEL Olivier de Sardan, J-P. 1999, ‘’L’espace publique introuvable. Chefs et projets dans les villages africains’’ Revue Tiers Monde, t. XL, n°157.

Monographies et presse

- Monographie de la commune rurale d’In Gall – mars 2006. - Plan Communal de Développement (PCD), 2006. - Rapport annuel (manuscrit), non signé, sur la situation socio-politique du poste administratif d’In Gall,

1956. - Recueil des textes sur la décentralisation, HCRAD, 2003. - Journal Aïr Info, n°58 du 15 au 31 mars 2007.

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Délibérations

1. N° 001-2/07/ CR In Gall des 26, 27, 28 Février 2007 et 1er Mars 2007, portant adoption du bilan d’exécution du budget 2006.

2. N° 003-2/07/ CR In Gall des 26, 27, 28 Février et 1er Mars 2007, portant adoption du budget communal pour l’exercice 2007.

3. N° 004-2/07/ CR IN Gall des 26, 27, 28 Février 2007 et 1er Mars 2007, portant sur la mobilisation des ressources internes.

4. N° 002-2/07/ CR In Gall des 26, 27, 28 Février et 1er Mars 2007, portant adoption du Plan d’Investissement Annuel (PIA) 2007 tiré du PDC 2006-2009.

5. Situation des recettes ‘’gare routière’’ recouvrées durant l’exercice 2005 au poste frontalier d’Assamaka (session budgétaire In Gall, le 07 Février 2006)

6. Etat nominatif pour servir au versement des taxes diverses (session budgétaire In Gall, le 07 Février 2006)