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ISSN 1278-5105 Revue répertoriée dans la base PASCAL de l'INIST ÉTUDES DE GÉOGRAPHIE PHYSIQUE N° XXXIX - 2012 UMR 7300 "ESPACE" du CNRS et de l'Université de Nice - Sophia-Antipolis

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ISSN 1278-5105 Revue répertoriée dans la base PASCAL de l'INIST

ÉTUDES

DE

GÉOGRAPHIE PHYSIQUE

N° XXXIX - 2012

UMR 7300 "ESPACE" du CNRS et de l'Université de Nice - Sophia-Antipolis

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UMR 7300 "ESPACE" du CNRS et de l'Université de Nice - Sophia-Antipolis

Études de Géographie Physique

N° XXXIX - 2012

SOMMAIRE

Pages

C. MARTIN - Avant-propos .....................................................................................................

C. MARTIN et J.F. DIDON-LESCOT - Influence d'une coupe forestière et du reboisement sur le fonctionnement hydrologique du bassin versant de la Latte (Mont-Lozère, France) ..............................................................................................................................

J. MAZET et J. NICOD - Les bassins supérieurs du Cauron et du Caramy, au nord-est du massif de la Sainte-Baume (Var, Provence) : des hydrosystèmes karstiques complexes ……………………………………………………………………………….

C. MARTIN - Retour sur l'épisode hydrologique du 15 juin 2010 dans le Var (France) : le cas de la Nartuby ..............................................................................................................

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ÉTUDES

DE

GÉOGRAPHIE PHYSIQUE

N° XXXIX - 2012

Responsable de la publication : Claude MARTIN

UMR 7300 "ESPACE" - Équipe G.V.E. Département de Géographie

98, Boulevard Édouard Herriot B.P. 3209

06204 NICE cedex 03

Tél. : 04 94 47 53 24 Courriel : [email protected]

ISSN 1278-5105 Dépôt égal : 3ème trimestre 2012 l

Revue répertoriée dans la base PASCAL de l'INIST

Reproduction réalisée par l'imprimerie Ollane (Saint-Laurent-du-Var)

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Photo de couverture : Le ruisseau des Cloutasses en crue sur le Mont-Lozère. [Cliché : J.F. DIDON-LESCOT]

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3Études de Géographie Physique, n° XXXIX, 2012

AVANT-PROPOS

Le numéro XXXIX des Études de Géographie Physique marquera la fin définitive de cette revue. Les temps ne sont plus aux publications de laboratoire, qui avaient pourtant l'avantage de donner une grande liberté d'expression aux auteurs. Mais il ne faut pas trop se lamenter : toutes les revues n'impo-sent pas le formatage de la pensée.

Vitrine des recherches, engagées mais pas encore abouties, menées par l'équipe de karstologie d'Aix-en-Provence, la revue, créée en 1971, a porté le nom de Travaux de l'ERA 282, laquelle ERA est ensuite devenue l'UA (puis l'URA) 903. L'intitulé Études de Géographie Physique sera adopté en 1991, à l'occasion du premier numéro dont j'ai assuré la coordination.

Avec la disparition de l'URA 903, les Études de Géographie Physique n'ont pas paru en 2000 et 2001. Muté à Nice, sans soutien financier spécifique de la part de ma nouvelle équipe, pour laquelle la géographie physique, en tant que telle, est un peu marginale au regard des objectifs affichés, j'ai attendu de retrouver de l'argent… et le moral pour en relancer la publication.

N'étant plus la revue d'un laboratoire, mais une revue personnelle, les Études de Géographie Physique ont dès lors fait la part belle à mes propres recherches… dont certaines valaient sans doute mieux qu'une diffusion si peu reconnue. Mais j'ai pu ainsi m'exprimer très librement et surtout disposer d'une devanture bien utile pour faire apprécier les savoir faire de l'antenne cévenole de l'UMR ESPACE auprès des organismes qui nous ont localement soutenus.

Pour ce dernier numéro des Études de Géographie Physique, j'aurais souhaité dresser le bilan des recherches en hydrologie menées depuis 2003 par notre antenne cévenole sur la Vallée Obscure (bassin du Gardon de Saint Jean). Cette synthèse était annoncée dès 2006 dans un numéro spécial de la revue. Mais de nouveaux résultats ne cessant de s'ajouter aux résultats acquis, de nouvelles investigations venant compléter celles déjà lancées et d'autres équipes s'impliquant de plus en plus à nos côtés dans le cadre de l'Observatoire Hydro-météorologique Méditerranéen Cévennes-Vivarais, le moment de la synthèse a été toujours repoussé et n'est certainement pas encore venu. D'autres que moi s'en chargeront ; nul n'est irremplaçable.

Dans les pages suivantes, sont présentées une petite mise au point que je devais au Parc national des Cévennes, sur le rôle hydrologique du couvert végétal, et un complément à mes réflexions sur la crue et les inondations de la Nartuby en réponse à l'épisode pluviométrique du 15 juin 2010 dans la région de Draguignan. Mais le cœur du numéro est constitué par une synthèse sur les bassins supérieurs du Cauron et du Caramy au nord-ouest du massif de la Sainte Baume, réalisée par Jean MAZET, que j'ai pu apprécier lorsqu'il était membre associé de l'URA 903, et Jean NICOD, mon maître, un modèle par sa rigueur scientifique et ses qualités humaines, à qui je ne rendrai jamais suffisamment hommage.

Les Études de Géographie Physique ne disparaissent pas d'une vilaine mort, elles partent simplement à la retraite… mais elles laissent une descendance active, la revue en ligne Physio-Géo Géographie Physique et Environnement, qui m'occupera tant que je me sentirai efficace au service de disciplines qui tiennent une si grande place dans ma vie depuis plus de quarante ans.

Claude MARTIN

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5Études de Géographie Physique, n° XXXIX, 2012

INFLUENCE D'UNE COUPE FORESTIÈRE ET DU REBOISEMENT SUR LE FONCTIONNEMENT

HYDROLOGIQUE DU BASSIN VERSANT DE LA LATTE (MONT-LOZÈRE, FRANCE)

par Claude MARTIN (1) et Jean-François DIDON-LESCOT (1)

(1) : UMR 7300 "ESPACE" du CNRS, Département de Géographie de l'Université de Nice - Sophia-Antipolis, 98 Boulevard Édouard Herriot, BP 3209, 06204 NICE Cedex 3. Courriels : [email protected] ; jean-franç[email protected]

RÉSUMÉ : Une étude précédente (C. MARTIN et al., 2003) avait conclu que la coupe des épicéas réalisée en 1987-89 sur 80 % de la surface du bassin versant de la Latte, avait provoqué un accroissement des écoulements annuels, en lien avec une augmentation des débits de moyennes et basses eaux, tout particulièrement en étiage. Les données acquises à la suite de ce travail ne confirment pas les premiers résultats. En effet les doubles cumuls comparant les écoulements du bassin de la Latte, soit aux précipitations sur le bassin versant, soit aux écoulements d'un bassin versant voisin, celui des Cloutasses, ne mettent pas clairement en évidence l'effet attendu de la revégétalisation et de la reforestation du bassin de la Latte. Ainsi faut-il s'interroger, d'une part, sur la réalité de l'impact de la coupe et, d'autre part, sur la fiabilité de l'approche hydrologique pour aborder la question du rôle de la forêt sur le fonctionnement

ydrique des sols. h

MOTS-CLÉS : coupe forestière, bassin versant, hydrologie, Mont-Lozère.

ABSTRACT : A previous study (C. MARTIN et al., 2003) concluded that the spruce clearfilling realized during the years 1987-1989 in 80 % of the Latte catchment caused an increase of the annual runoff, by increasing of medium and low flows, especially in low water period. The data collected after this study do not confirm the initial results. Indeed, the double mass comparing flows of the Latte catchment to rainfall on this catchment or to runoff on the closely catchment of Cloutasses do not clearly show the expected effect of new vegetation and reforestation of the Latte catchment. So we must ask, first, about the reality of the impact of the felling and, secondly, about the reliability of hydrology for approaching the effect of forest on the hydric behaviour of soils.

KEY-WORDS : clearfelling, catchment, hydrology, Mont-Lozère.

I - INTRODUCTION

En toute logique, la disparition d'un couvert forestier doit se traduire par une augmentation des écoulements annuels, du fait de la réduction de l'interception des eaux de pluie par la canopée et de la diminution de la transpiration des plantes. Mais la modification du fonctionnement hydro-logique se révèle très variable (C. COSANDEY et M. ROBINSON, 2000). En effet, le rôle de la forêt par rapport à un couvert arbustif ou même herbacé dépend de l'épaisseur du sol et des formations superficielles (qui peut limiter la réserve utilisable quel que soit le type de cou-vert), de l'abondance et de la répartition dans l'année des précipitations, des espèces d'arbres et même de leur âge (V. ANDREASSIAN, 2004 ;

J. FIQUEPRON, 2011).

Dans un article précédent (C. MARTINet al., 2003), nous avons déjà abordé la question des effets hydrologiques d'une coupe à blanc d'épicéas réalisée, de 1987 à 1989, sur 80 % du bassin versant de la Latte (Photos 1 à 3). Ces données ont été reprises dans plusieurs autres publications (en particulier : C. COSANDEYet al., 2002 et 2004).

Les données hydrologiques du bassin de la Latte (0,195 km2) ont été comparées aux préci-pitations et aux données hydrologiques de deux autres bassins granitiques : la Sapine (0,54 km2,couvert de hêtres) et les Cloutasses (0,81 km2,couvert d'une pelouse pâturée et d'une lande à genêt subissant des écobuages) (Fig. 1).

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Photo 1 - État de la coupe du bassin de la Latte en juillet 1988. [cliché : C. COSANDEY]

Photo 2 - La coupe du bassin versant de la Latte en octobre 1988, vue de l'aval. La station limnigraphique se trouve à droite du virage décrit par la piste. [cliché : J.F. DIDON-LESCOT]

Photo 3 - Le versant de rive gauche du bassin de la Latte en novembre 1988. [cliché : J.F. DIDON-LESCOT]

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7

N

2 km

Pic Cassini1680 m

Tarn

Alignon

Latte : pessière

Sapine : hêtraie

Cloutasses : pelouse

station climatologique de LaVialasse

pluviographe

limnigraphe

cours d'eau

Mer Méditerranée (80 km)Océan Atlantique (500 km)

Tarn

Cloutasses

Latte

Sapine

*

*

Figure 1 - Le dispositif de mesure en 2000.

La comparaison entre la situation avant la coupe (1981-87) et celle à partir de la coupe (1987-02), fournissait les enseignements sui-

ants : v

1/ La coupe a provoqué un accroissement des écoulements estimé à 4,4 % (comparaison avec les pluies), 5,5 % (comparaison avec les écou-lements du bassin de la Sapine) et 9,8 % (compa-raison avec les écoulements du bassin des Cloutasses). Ce dernier résultat confortait les pre-mières estimations présentées par C. COSANDEY1994).(

2/ Les écoulements de crue n'ont pas subi d'augmentation perceptible. Du fait des grandes vitesses de filtration des sols (D. BOUDJEMLINE,1987 ; C. COSANDEY et al., 1990 ; C. MARTINet al., 2003), le ruissellement superficiel géné-ralisé sur les versants ne peut se déclencher qu'après saturation totale des profils, donc pour des pluies extrêmement abondantes pendant lesquelles l'interception d'eau par le couvert végétal ne peut jouer qu'un rôle tout à fait econdaire.s

3/ Dans le cas des écoulements journaliers moyennement abondants et faibles, la compa-raison avec le bassin des Cloutasses montre une augmentation sensible après la coupe. Mais la comparaison avec le bassin de la Sapine ne fait ressortir aucune modification.

Au delà de ces résultats, quinze ans après la coupe, la persistance d'un impact sur les écoule-ments annuels (pour toutes les comparaisons, la diminution notée en fin de période d'observation pour la comparaison avec les pluies étant attribuée à une augmentation du pouvoir de captation du pluviographe, mieux protégé du vent

du fait de la croissance de la végétation) et sur les faibles écoulements journaliers (pour la compa-raison avec le bassin des Cloutasses) commençait à poser question.

Dans la présente publication, nous prolon-gerons l'analyse en prenant en compte les mesu-res effectuées jusqu'en septembre 2010 sur les bassins de la Latte et des Cloutasses (Photos 4), la station hydrométrique de la Sapine ayant été pour sa part abandonnée. Nous ne reprendrons pas la description du fonctionnement général des bassins versants, mais nous centrerons l'exposé sur l'évolution des écoulements du bassin de la Latte en fonction de l'état du couvert végétal.

II - RAPPEL DES CARACTÈRES PRINCIPAUX DU TERRAIN D'ÉTUDE

À des altitudes comprises entre 1100 et 1500 m, le climat associe des caractères méditer-ranéens et montagnards. Il est marqué par des précipitations annuelles généralement abondan-tes : 1973 mm en moyenne au poste de la Latte (de septembre 1981 à août 2010), mais qui mani-festent des fluctuations interannuelles impor-tantes (Fig. 2). Les précipitations maximales ont été enregistrées en 1995-96 (3432 mm) et les précipitations minimales en 2004-05 (908 mm).

L'irrégularité des précipitations annuelles se traduit évidemment par des variations interan-nuelles très sensibles des lames d'eau écoulées. Sur le bassin de la Latte, les valeurs annuelles sont comprises entre 502 mm (2004-05) et 2725 mm (1995-96).

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A B

Photos 4 - Les stations hydrométriques des bassins de la Latte (A – en crue) et des Cloutasses (B – en basses eaux).

0

500

1000

1500

2000

2500

3000

3500

4000

1981

-82

1983

-84

1985

-86

1987

-88

1989

-90

1991

-92

1993

-94

1995

-96

1997

-98

1999

-00

2001

-02

2003

-04

2005

-06

2007

-08

2009

-10

P (m

m)

P LatteL. Latte

Figure 2 - Valeurs annuelles des précipitations et des lames d'eau écoulées sur le bassin versant de la Latte de septembre 1981 à août 2010.

L'automne est particulièrement arrosé, en particulier lors des épisodes de type "cévenol". Des précipitations supérieures à 300 mm en trois jours se produisent presque chaque année.

Le bassin de la Latte est surtout étendu en rive gauche (Fig. 3). Sur ce versant, au-dessus de la station limnigraphique, un large replat pro-longe vers l'aval la topographie en berceau de la tête du vallon. En arrière de roches peu altérées, les sols restent ici engorgés pendant toute la saison humide. L'écoulement pérenne du ruisseau de la Latte débute un peu en amont du limni-graphe, au niveau d'une zone sourceuse.

Après la coupe, le bassin de la Latte a été reboisé en résineux. La croissance des arbres a

été lente, mais les sols ont été rapidement cou-verts par des espèces ligneuses dominées par le genêt (Photos 5 à 7). Le développement forestier n'est devenu vraiment sensible qu'au début des années 2000 et tout particulièrement à partir de 2003 (Photos 8 à 10).

II - TRAITEMENT DES DONNÉES ANNUELLES PAR DOUBLES CUMULS

1 ) Lames d'eau écoulées et précipitations annuelles sur le bassin de la Latte

La figure 4 met en évidence une augmen-tation des écoulements annuels après la coupe.

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Figure 3 - Le bassin versant de la Latte.

y = 0,6604x - 47,8r2 = 0,999

y = 0,6998x - 440,1r2 = 0,9995

0

5000

10000

15000

20000

25000

30000

35000

40000

0 10000 20000 30000 40000 50000 60000

Pc (mm)

Lc (m

m)

1981-87

1987-10

Linéaire (1981-87)

Linéaire (1987-10)

Figure 4 - Double cumul des précipitations (Pc) et des lames d'eau écoulées (Lc) annuelles sur le bassin versant de la Latte (1981-87 et 1987-10).

On notera cependant que cette augmentation est à peine perceptible au début des années 1990. À l'inverse, l'augmentation se manifeste encore, et même s'accentue, vers la fin de la période d'ob-servation.

Mais la figure 5 donne une autre image. Les

années allant de septembre 1987 à août 2000 se distribuent de façon satisfaisante (r2 = 0,974). À l'exception d'un seul cas (1985-86), les années avant la coupe (1981-87) se trouvent légèrement en dessous de la droite de régression trouvée pour la période 1987-00. Ainsi la coupe aurait certai-nement eu un effet sur les écoulements. Enfin, la

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Photo 5 - Le versant de rive gauche du bassin de la Latte en juin 1992 : les framboisiers couvrent alors 16 % de la superficie totale et les genêts 18 %, loin derrière les graminées

avec 26 % (J.F. DIDON-LESCOT, 1996). [cliché : C. COSANDEY]

Photo 6 - Genêts en fleurs sur le versant de rive gauche du bassin de la Latte au printemps 1995. [cliché : J.F. DIDON-LESCOT]

Photo 7 - Le versant de rive gauche du bassin de la Latte en octobre 2001. [cliché : C. MARTIN]

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Photos 8 - Le versant de rive gauche du bassin de la Latte en septembre 2004. A : vue d'ensemble depuis l'aval. B : site de la station pluviométrique que la croissance des arbres a obligé de déplacer. [clichés : J.F. DIDON-LESCOT]

A

B

Photo 9 - Le versant de rive gauche du bassin de la Latte en mai 2007. [cliché : J.F. DIDON-LESCOT]

période 2000-10 se caractérise surtout par une plus grande dispersion des points, qui se distribuent malgré tout autour de la droite de régression pour la période 1987-00.

En se basant sur la droite de régression

présentée sur la figure 5, les années 1981-87 (lame d'eau écoulée annuelle moyenne de 1242 mm) manifestent un déficit annuel moyen de 57 mm par rapport à la période 1987-00 (99 mm en ne tenant pas compte de 1985-86).

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Photo 10 - Le versant de rive gauche du bassin de la Latte dans l'été 2011. A : vue d'ensemble depuis l'aval. B : vue correspondant à celle de la photo 9. [clichés : J.F. DIDON-LESCOT]

A

B

y = 0,9048x - 405,1r2 = 0,974

0

500

1000

1500

2000

2500

3000

500 1000 1500 2000 2500 3000 3500 4000

P (mm)

L (m

m)

1981-87

1987-00

2000-10

Linéaire (1987-00)

Figure 5 - Relations entre les précipitations annuelles (P) et les lames d'eau écoulées (L) sur le bassin versant de la Latte (1981-87, 1987-00 et 2000-10).

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2 ) Lames d'eau écoulées annuelles des bassins de la Latte et des Cloutasses

Par la méthode des doubles cumuls (Fig. 6), en distinguant la période 1981-87 de la suivante (1987-10), l'augmentation annuelle moyenne des

écoulements après la coupe atteindrait 156 mm (soit 12,5 % de l'écoulement attendu). Mais on est encore une fois surpris que l'effet de la coupe se maintienne jusqu'à la fin de la période d'obser-vation.

y = 0,8545x + 12,9r2 = 0,9998

y = 0,9524x - 854,8r2 = 0,9997

0

5000

10000

15000

20000

25000

30000

35000

40000

45000

0 5000 10000 15000 20000 25000 30000 35000 40000 45000

Lc Cloutasses (mm)

Lc

Lat

te (m

m)

1981-871987-10Linéaire (1981-87)Linéaire (1987-10)

Figure 6 - Double cumul des lames d'eau écoulées (Lc) annuelles des bassins versants de la Latte et des Cloutasses (1981-87 et 1987-10).

Par rapport à la droite de régression entre les écoulements annuels sur la période 1987-10 (Fig. 7), les années 1981-87 accusent un déficit annuel moyen de 150 mm (134 mm en ne tenant pas compte de 2008-09).

3 ) Prise en compte de l'ETP

Les mesures de la température et de la durée d'insolation réalisées à la station de la Vialasse depuis 1985, permettent de calculer l'évapotrans-piration selon la formule de TURC. Cette infor-mation rend possible l'accès à la notion d'écou-lement potentiel (C. MARTIN, 1989).

Au niveau mensuel, les précipitations disponibles pour un "écoulement potentiel" (PEP) sont égales à la différence entre les hauteurs d'eau précipitées et l'ETP. L'écoulement potentiel annuel (EP) correspond à la somme des PEP mensuelles d'une série de mois consécutifs choisie de manière à obtenir la plus forte valeur possible. Du fait de la survenue de quelques

précipitations orageuses très abondantes en août, ce mois a parfois été intégré à l'année hydrolo-gique suivante.

Pour les bassins de la Latte et des Clou-tasses, nous avons considéré l'ETP à la station de la Vialasse, sans tenir compte des différences d'altitude.

Sur la période 1985-10, les régressions entre les écoulements et les EP annuels sont très légèrement meilleures que celles avec les préci-pitations. Le coefficient de détermination pour la période 1985-10 passe de 0,923 à 0,928 dans le cas du bassin de la Latte et de 0,954 à 0,962 dans celui des Cloutasses.

Les doubles cumuls des précipitations et des lames d'eau écoulées laissent entrevoir une diffé-rence entre les bassins de la Latte (Fig. 8) et des Cloutasses (Fig. 9), le premier montrant une légère diminution des écoulements en fin de période d'observation, ce qui ne se retrouve pas

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y = 0,8771x + 123,1r2 = 0,961

0

500

1000

1500

2000

2500

3000

0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500

L Cloutasses (mm)

L L

atte

(mm

)

1981-87

1987-10

Linéaire (1987-10)

2008-09

Figure 7 - Relations entre les lames d'eau écoulées (L) annuelles des bassins versants de la Latte et des Cloutasses (1981-87 et 1987-10).

y = 0,9172x - 252,7r2 = 0,9997

0

5000

10000

15000

20000

25000

30000

35000

40000

0 5000 10000 15000 20000 25000 30000 35000 40000

EPc (mm)

Lc

(mm

)

1985-871987-022002-10Linéaire (1987-02)

Figure 8 - Doubles cumuls des lames d'eau écoulées (Lc) et des écoulements potentiels (EPc) annuels sur le bassin versant de la Latte (1985-87, 1987-02 et 2002-10).

pour les Cloutasses. Par rapport à la période 1987-02, les années 2002-10 montrent une diminution annuelle moyenne des écoulements de 113 mm. Pour les figures 8 et 9 nous avons

adopté une année charnière (2002) différente de celle retenue pour la figure 5 (2000), afin d'écarter deux années difficiles à classer en termes de croissance du couvert forestier.

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15

y = 0,9348x + 24,2r2 = 0,9996

0

5000

10000

15000

20000

25000

30000

35000

40000

45000

0 5000 10000 15000 20000 25000 30000 35000 40000

EPc (mm)

Lc

(mm

)

1985-871987-022002-10Linéaire (1987-02)

Figure 9 - Double cumul des lames d'eau écoulées (Lc) et des écoulements potentiels (EPc) annuels sur le bassin versant des Cloutasses (1985-87, 1987-02 et 2002-10).

En prenant pour base la régression entre les écoulements et les EP annuels (Fig. 10), la diminution annuelle moyenne des lames d'eau

écoulées entre les périodes 1987-02 et 2002-10 est de 105 mm.

y = 0,9282x - 24,7r2 = 0,920

0

500

1000

1500

2000

2500

3000

0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500

EP (mm)

L (m

m)

1985-871987-022002-10Linéaire (1987-02)

Figure 10 - Relations entre les lames d'eau écoulées (L) et les écoulements potentiels (EP) annuels du bassin versant de la Latte (1985-87, 1987-02 et 2002-10).

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III - LES DONNÉES JOURNALIÈRES

Les données journalières ont été traitées par doubles cumuls des lames d'eau écoulées par les bassins versants de la Latte et des Cloutasses. Différentes classes de débits ont été distinguées en reprenant les mêmes valeurs références, choisies de manière arbitraire, que lors de la pré-cédente étude (C. MARTIN et al., 2003).

1 ) Basses eaux et étiages

La lame d'eau écoulée journalière prise comme valeur limite est de 5 mm pour le bassin

des Cloutasses. Les écoulements du bassin de la Latte ainsi pris en compte pour le bassin de la Latte représentent 34,4 % de la lame d'eau écou-lée de septembre 1981 à août 2010.

Selon la figure 11, l'évolution des écoule-ments de basses eaux du bassin de la Latte est d'abord restée faible par rapport à la situation avant la coupe. La courbe se redresse fortement en 1994-1995, mais elle garde une pente plus forte que celle sur la période 1981-87 jusqu'à la fin de la période d'observation. Sur la période 1987-10, les écoulements de basses eaux auraient ainsi été augmentés en moyenne de 12,2 % après la coupe.

y = 0,9711x - 17,5r2 = 0,999

y = 1,0955x - 263,7r2 = 0,9998

0

2000

4000

6000

8000

10000

12000

14000

0 2000 4000 6000 8000 10000 12000 14000

Lc Cloutasses

Lc

Lat

te

1981-871987-10Linéaire (1981-87)Linéaire (1987-10)

Figure 11 - Double cumul des lames d'eau écoulées (Lc) par les bassins versants de la Latte et des Cloutasses les jours où l'écoulement du bassin des Cloutasses a été inférieur à 5 mm.

Les résultats sont identiques en prenant comme valeur limite une lame d'eau écoulée de 2 mm sur le bassin des Cloutasses (Fig. 12). Dans le bassin de la Latte, pour ces écoulements, l'aug-mentation après la coupe serait de 9,3 %.

On notera, en revanche, que les doubles cumuls avec les écoulements de la Sapine n'ont pas mis en évidence d'impact sensible de la coupe sur les écoulements de basses eaux du bassin de la Latte (C. MARTIN et al., 2003).

2 ) Étiages sévères

En considérant les jours où les écoulements du bassin des Cloutasses n'ont pas dépassé 0,3 mm, le double cumul des lames écoulées par ce bassin et celui de la Latte (Fig. 13) montre une très forte augmentation des écoulements d'étiage sévère après la coupe. L'augmentation moyenne atteindrait 61 % sur la période 1987-96, 41 % sur la période 1987-04 et 45 % sur la période 1987-10.

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y = 1,0419x + 9,4r2 = 0,997

y = 1,1265x + 17,0r2 = 0,9996

0

500

1000

1500

2000

2500

3000

3500

4000

4500

5000

0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500 4000 4500

Lc Cloutasses (mm)

Lc

Lat

te (m

m)

1981-871987-10Linéaire (1981-87)Linéaire (1987-10)

Figure 12 - Double cumul des lames d'eau écoulées (Lc) par les bassins versants de la Latte et des Cloutasses les jours où l'écoulement du bassin des Cloutasses a été inférieur à 2 mm.

y = 1,4754x r2 = 0,9991

0

50

100

150

200

250

300

350

400

450

500

0 50 100 150 200 250

Lc Cloutasses (mm)

Lc

Lat

te (m

m)

1981-871987-961996-042004-10Linéaire (1981-87)

Figure 13 - Double cumul des lames d'eau écoulées (Lc) par les bassins versants de la Latte et des Cloutasses les jours où l'écoulement du bassin des Cloutasses a été inférieur à 0,3 mm.

Comme pour l'ensemble des basses eaux, la comparaison avec le bassin de la Sapine n'a pas donné un tel résultat (C. MARTIN et al., 2003). Mais nous avions conclu que la différence prove-nait d'un problème sur la station hydrométrique de la Sapine : "… la crue de novembre 1994, a

obligé à remettre en place l'échelle limnimétrique de la station de la Sapine. Il n'est pas impossible qu'un léger détarage de la station se soit alors produit et qu'il influence sensiblement les don-nées en étiage".

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3 ) Les crues

Pour les très hautes eaux, du fait de la très forte perméabilité des sols, le double cumul des écoulements des bassins de la Latte et des Clou-tasses pour les jours où les lames d'eau écoulées par ce dernier ont été supérieures à 30 mm, ne

met en évidence aucune augmentation sur le bassin de la Latte après la coupe (Fig. 14). Le redressement de la courbe à la fin de la période d'observation ne saurait avoir de signification en rapport avec une modification du fonctionnement hydrologique du bassin versant.

y = 0,6921x + 44,0r2 = 0,990

0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

7000

0 1000 2000 3000 4000 5000 6000 7000 8000 9000 10000

Lc Cloutasses (mm)

Lc

Lat

te (m

m)

1981-871987-042004-10Linéaire (1981-87)

Figure 14 - Double cumul des lames d'eau écoulées (Lc) par les bassins versants de la Latte et des Cloutasses les jours où l'écoulement du bassin des Cloutasses a dépassé 30 mm.

IV - DISCUSSION ET CONCLUSION

Si l'absence d'impact de la coupe sur les débits journaliers en très hautes eaux apparaît certaine, les effets sur les écoulements en basses eaux et en étiage posent problème.

Nous avions précédemment conclu à un effet de la coupe du bassin de la Latte, aussi bien sur les lames d'eau écoulées annuelles que sur les écoulements de basses eaux. Les comparai-sons avec le bassin de la Sapine donnaient des résultats beaucoup moins nets que celles avec le bassin des Cloutasses, en particulier pour les basses eaux. Que les comparaisons avec le bassin des Cloutasses mettent toujours en évidence un impact sensible 15 ans après la coupe nous avait certes alertés, mais nous avions pris en consi-dération, d'une part, la lenteur avec laquelle les résineux plantés après la coupe s'étaient dévelop-pés sur le bassin de la Latte et, d'autre part,

l'extension progressive des landes à genêt et d'une forêt de résineux au détriment de la pelouse sur le bassin des Cloutasses.

Quelques années plus tard, force nous est d'admettre que ces raisons n'étaient pas si bonnes. Le couvert forestier s'est considérablement développé sur le bassin de la Latte après 2002 sans qu'un impact irréfutable de ce dévelop-pement se manifeste sur les écoulements. Ni le double cumul aves les précipitations ni celui avec les écoulements du bassin des Cloutasses ne montrent de diminution à la fin de la période d'observation. Seul le double cumul avec les écoulements potentiels donne un résultat confor-me aux attentes (diminution annuelle moyenne supérieure à 100 mm).

De fait, l'hydrologie n'est certainement pas une science suffisamment exacte pour mettre en évidence avec certitude des modifications de l'ordre de quelques pour cent, surtout sur des

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bassins versants aussi arrosés que ceux du Mont-Lozère. Pour s'en convaincre, il suffit de consi-dérer les déficits d'écoulement annuels. Alors que les valeurs annuelles de l'ETP selon la formule de TURC sont comprises entre 540 et 679 mm à la station de la Vialasse, les déficits d'écoulement vont de 154 à 763 mm sur le bassin des Clou-tasses et de 251 à 931 mm sur celui de la Latte.

Avec une grosse incertitude sur la représen-tativité des pluies mesurées dans un pluviographe par rapport à celles tombées sur un bassin versant, surtout que s'ajoutent les difficultés créées par les précipitations neigeuses, et avec bien des ennuis possibles pour la mesure des débits (embâcles de glace, embâcles de végétaux, problèmes liés à la forme des seuils, incertitudes sur les courbes de tarage…), les données ne sont pas suffisamment fiables pour déceler à coup sûr, sur le Mont-Lozère, un impact inférieur à 150 mm sur les écoulements annuels.

Bien sûr, s'il est possible de considérer de longues séries, les résultats peuvent devenir pertinents. Mais dans le cas de la coupe du bassin de la Latte, la chronique servant de référence avant la coupe est très courte. Elle ne fournit pas une assise suffisamment solide à la réflexion et il n'y a donc pas de certitude sur ce qui s'est passé

immédiatement après la coupe. Mais pour toute la période qui a suivi, jusqu'en 2010, la revégé-talisation et la reforestation ne se traduisent pas de façon plus déterminante à travers les compa-raisons effectuées.

Pour les moyennes et les basses eaux, rien de bien évident ne ressort non plus. Disons qu'il reste un doute, tout autant sur l'impact de la coupe elle-même que sur celui de la reforestation. Mais 23 ans après la coupe, aucune diminution des écoulements ne se manifeste à la suite du développement forestier. Par ailleurs, les mesures des débits d'étiage du ruisseau des Cloutasses sont entachées d'un double problème : d'une part, une prise d'eau en amont de la station hydro-métrique alimente une petite fontaine dans le hameau de la Vialasse et, d'autre part, un écou-lement se produit par une fissure en dessous du seuil de la station, au point que le niveau est tombé en dessous de la pointe du V au cours de l'étiage 2003. Il a été grossièrement tenu compte de ces problèmes (en tout cas, du premier) lors de l'établissement de la courbe de tarage utilisée, mais il semblerait qu'ils avaient été sous-estimés, à moins qu'ils se soient aggravés au cours du temps. Une analyse sans concession des données oblige donc à la plus extrême prudence.

Remerciements : Au moment d'achever ma carrière, et donc d'abandonner la responsabilité de l'antenne cévenole de l'UMR "ESPACE", développée à partir du bassin versant de recherche et expérimental (BVRE) du Mont-Lozère dont la conduite m'incombe depuis 1997, je tiens à exprimer ma reconnaissance envers tous ceux qui ont œuvré au rayonnement du BVRE. François LELONG, qui l'a fondé en 1981, puis le regretté Bernard GUILLET, ont piloté les recherches jusqu'en 1996. Parmi les jeunes chercheurs qui se sont impliqués durant cette période, Christian DUPRAZ et Patrick DURAND,ont participé à l'acquisition d'une partie des données utilisées dans cet article. Mais le BVRE du Mont-Lozère n'aurait sans doute pas prospéré sans le soutien du Parc national des Cévennes. En tout cas, c'est à lui que l'on doit sa survie à la fin des années 1990 et au début des années 2000, quand la direction du CNRS lui mesurait (pour le moins) son soutien. Dans ces circonstances, le Parc national des Cévennes a permis le maintien du dispositif et même favorisé l'extension des observations à d'autres secteurs des Cévennes. Les recherches de l'UMR "ESPACE" en Cévennes lui doivent donc beaucoup, et incidemment celles de bien d'autres équipes, puisque notre site de la Vallée Obscure, près de Saint-Jean-du-Gard, a servi d'appui à l'implantation cévenole de l'Observatoire Hydro-météoro-logique Méditerranéen Cévennes-Vivarais (OHM-CV, ORE CNRS). Au sein de l'UMR "ESPACE", à laquelle j'ai été rattaché en 1999, les activités en Cévennes ont bénéficié de toute la compréhension nécessaire, notamment de la part de Joël CHARRE, Christine VOIRON et Pierre USSELMANN. Sur site, j'ai trouvé en la personne de Jean-François DIDON-LESCOT un collaborateur très motivé et performant, mémoire du BVRE dont il est une pièce essentielle depuis 1982. Au cours des dernières années, se sont joints à lui Dominique RAY (qui m'a précédé à la retraite), Joël JOLIVET et Jean-Marc DOMERGUE, qui ont pris leur part dans le succès actuel de l'antenne cévenole de notre UMR. Pour finir, je dois louer Sandra PÉREZ qui est venue prendre ma place en Cévennes, alors que je me

ésespérais de trouver un successeur. À tous ceux que j'ai cités, et à beaucoup d'autres, je dis merci. d

C. MARTIN Responsable du BVRE du Mont-Lozère et de l'antenne cévenole de l'UMR "ESPACE"

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21Études de Géographie Physique, n° XXXIX, 2012

LES BASSINS SUPÉRIEURS DU CAURON ET DU CARAMY, AU NORD-EST DU MASSIF DE LA SAINTE-BAUME (VAR, PROVENCE) :

DES HYDROSYSTÈMES KARSTIQUES COMPLEXES

Jean MAZET (1) et Jean NICOD (2)

(1) : Jean MAZET – Ancien spéléologue au CAF-Marseille, Docteur de l'Université d'Aix-Marseille II – 4 Place Ledru Rollin, 83640 SAINT-ZACHARIE. Courriel : [email protected]

(2) : Jean NICOD – Professeur honoraire (Institut de Géographie d'Aix-en-Provence) – Florida 1, 35 Avenue du 24 Avril 1915, 13012 MARSEILLE.

RÉSUMÉ : Le Cauron et le Caramy sont les cours d'eau de la partie nord-est du massif karstique de la Sainte-Baume, la plus arrosée. La Grande Foux de Nans-les-Pins est la source principale du Cauron, cours d'eau temporaire en aval. Cette exsurgence épisodique a suscité de nombreuses recherches spéléologiques et techniques dans son réseau noyé, en vue du captage (station de pompage). Elles ont donné des informations sur les variations de niveau de la nappe dans les dolomies karstifiées. Le Caramy, issu à Mazaugues du massif dolomitique de l'Agnis, est réalimenté, particulièrement en été, par la source vauclusienne de la Figuière et les autres exsurgences à l'aval de son canyon. Ce sont des fonctionnements hydrologiques complexes, où interfèrent données naturelles et impacts anthropiques, qui ont posé bien des problèmes pour l'utilisation de leurs eaux. Le massif de la Sainte-Baume joue le rôle d'un réservoir soumis aux conditions climatiques, aux fonctionnements hydrologiques et, de plus en plus, aux modalités d'exploitation, marquées par l'accroissement des prélèvements estivaux, avec le problème des séquences d'années sèches à faible recharge hivernale.

MOTS-CLÉS : aquifères, exsurgences, sources vauclusiennes, hydrologie, hydrochimie, hydrosystème, karst, impacts géotechniques, Caramy, Cauron, Sainte-Baume (nord-est).

ABSTRACT : The upper basins of the Cauron and Caramy rivers, in the north-eastern part of the Sainte-Baume massif (Var Department, Provence Region): a compound karstic hydrosystems. These rivers proceed from the karstic springs, in the mountainous area with the most important precipitations. The "Grande Foux" (Great Fountain) of Nans-les-Pins, is a vauclusian exsurgence and the main spring of the Cauron, a downstream temporary river. This great temporary exsurgence has been investigated, in the partly flooded network, by numerous speleological and geotechnical researches, for equiped its catchment (with pumping station). These researches have given many data up the running of the aquifer in the karstic dolomites. The Caramy's river, issued in Mazaugues from the dolomitic massif of Agnis, is feeded downstream in its canyon, particularly in summer low-water, by the vauclusian Figuière spring and two other exsurgences. These hydrological researches show a complex hydrogeological working in the massif, with many problems for the water use, because the interference of natural data and human impact. Now, the massif play a part of a water-tank, subject to climate, hydrological behaviours and more and more to conditions of water use: particularly the problem of the increase of the summer drawing in a sequence of

ry years with low winter recharge. d

KEY-WORDS : aquifers, exsurgences, vauclusian springs, hydrology, hydrochemistry, hydrosystems, karst, geotechnical impacts, Caramy, Cauron, Sainte-Baume massif (North-East).

I - INTRODUCTION

Le massif de la Sainte-Baume, dans sa partie nord-orientale, la plus arrosée, est à l'origine de deux affluents de l'Argens, le Cauron et le Caramy (Fig. 1). Les émergences karstiques de cette partie nord-est du massif alimentent les cours supérieurs de l'Huveaune, du Cauron et du Caramy. Les sources pérennes assurent – plus ou

moins selon les années – les débits d'étiage des rivières, particulièrement au cours de la période estivale. Lors des épisodes pluvieux, avec les grosses averses d'automne et de printemps, ces cours d'eau deviennent des torrents fougueux. Leurs débits s'enflent brutalement, tant en raison de l'accroissement de celui des sources que des apports du ruissellement sur les pentes et des ruisseaux temporaires. Par cette combinaison d'alimentation, ce sont des hydrosystèmes de type fluvio-karstique.

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Figure 1 - Situation du massif de la Sainte-Baume dans le contexte oro-hydrographique de la Basse-Provence.

1 ) Disparité des deux cours d'eau

Le bassin supérieur du Cauron est limité topographiquement au bassin de Nans-les-Pins et à quelques vallons affluents. Celui du Caramy, largement étendu au pied du massif de l'Agnis, est beaucoup plus complexe (Fig. 2).

a. Le bassin du Cauron

Le Cauron est issu des émergences perma-nentes et temporaires de la Grande Foux, dont le griffon pérenne d'aval, de la source proche de la Lienne (ou des Filles) et des sources du vallon de Lorges. Après un cours temporaire dans le bassin de Nans-les-Pins, il est réalimenté par les sources

sur les accidents tectoniques à la limite du massif, Font-Alaman et source du Moulin de Rougiers. La vallée du Cauron se continue dans le secteur triasique, mais le cours d'eau ne reçoit de l'Aurélien que des affluents temporaires et ne devient définitivement pérenne qu'à partir de la

rosse émergence des Gours Bénits, près de Bras. g

La Grande Foux de Nans-les-Pins est consi-dérée comme la source initiale et principale du Cauron. Parmi les sources du massif de la Sainte-Baume, le "château d'eau de la Basse-Provence", c'est une des plus importantes. Elle jaillit au pied d'un escarpement sur le versant septentrional de la chaîne, en amont du petit bassin de Nans-les-

Figure 2 - Carte hors-texte et sa légende.

Pour les figurés des terrains, le blanc et les couleurs claires correspondent aux calcaires et dolomies, afin de visualiser l'étendue des zones d'infiltration karstique. Les verts figurent les zones alluviales et leurs nappes. La gamme des rouges est utilisée pour les formes karstiques et la discordance de la bauxite (paléokarst médio-crétacé) ; le rose dense pour le Trias évaporitique. On a souligné les anticlinaux de Muschelkalk, pour mettre en évidence les caractères de la structure et du relief de la zone triasique, avec ses vallons sinueux évidés dans le Keuper. Cartes et documents consultés : BRGM, Cartes géologiques au 1/50000 Aix-en-Provence, Aubagne, Brignoles et Cuers ; Carte hydrogéologique du Département du Var (R. COVA et G. DUROZOY, 1983) ; ouvrage de G. ACQUAVIVA et al. (1987 – La Sainte-Baume souterraine, tome II) ; travaux de J. RISER(1967), J. NICOD (1967, 1991), R. MONTEAU et P. COURBON (1983), J. MAZET (1984), C. COULIER1985), P. MARTIN (1991-a), J.J. BLANC (2007), R. DURAND (2007). (

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Pins. Issue de l'aquifère des plateaux calcaires et dolomitiques jurassiques du versant septentrional du massif, alimentée dans ce secteur par les infil-trations au pied de la Haute Chaîne, spécialement dans les mégalapiés (les caïres), c'est une émer-gence épisodique, qui a suscité de nombreuses recherches spéléologiques et techniques dans son réseau noyé, en vue du captage aujourd'hui réalisé.

On notera que les sources du secteur amont du Cauron sont à des altitudes de 386 à 376 m et Font-Alaman à 380 m, alors que les sources prin-cipales de l'Huveaune et du Caramy, dans leurs gorges, sont à 305 m et 292 m. Le bassin supé-rieur du Cauron est donc perché et le cours d'eau localement temporaire, surtout dans le secteur triasique, victime à la fois des particularités de son bassin et de la multiplication des points de prélèvement (Fig. 3, Tab. I).

Figure 3 - Schéma des hydrosystèmes fluvio-karstiques du nord-est du massif de la Sainte-Baume.

Tableau I - Données hydrologiques sur les principales sources de l'est du massif de la Sainte-Baume.

Cours d'eau de l'ouest à l'est

Sources Altitudem

Module Qm l/s

Remarques

Peyruis, affl. Huveaune à St-Zacharie Haute Huveaune -id- près St-Zacharie

à St-Zacharie

Peyruis (amont) Nayes (sup. et inf.) Castelette (ensemble) Lazare (sous N 560) La Foux *La Brise* (270 m) Apports à l'Huveaune

440 275

505/475305 276 270

606490

27/50 *1550

306-329

Infiltrations à l'aval (lit du Peyruis)

Dont Trou des Moulins épisodique Infiltrations vers Lazare ?

Tarissement estival Captée, trop-plein épisodique

Cauron, .v. Argens -id-

Gde Foux de Nans Font-AlamanApports au Cauron

390 380

633295

Griffon pérenne inf. en aval à 386 m

Ht Caramy Mazaugues Caramy dans son canyon à Tourves

S. du Caramy (amont) Figuière Lieutaud + Les Lecques

Apports au Caramy

480/440305/292275/270

78/50 **153

67 ***270-298

Émergence NO du massif de l'Agnis

S. des Lecques, captée Tourves

Les sources captées sont soulignées ; les modules ne tiennent pas compte de ces prélèvements. Les données hydrologiques sont essentiellement tirées de P. MARTIN (1991-b, tableau 1), mais aussi de * J. MAZET(1984, p. 14), ** G. OLIVARI et S. PONS (2007, p. 177) et *** BRGM (1970/78, in J.J. BLANC, 2002).

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b. Le bassin du Caramy

Le Caramy, issu à Mazaugues d'une grosse exsurgence du massif dolomitique de l'Agnis, est une rivière plus importante, grossie de plusieurs affluents dans son bassin supérieur qui comporte, des Glacières de Fontfrège au vallon de l'Her-bette, de nombreux secteurs marneux. Mais son réseau est lui-aussi victime, dans sa traversée de l'unité synclinale de Mazaugues, de soutirages, naturels ou résultant des impacts anthropiques, spécialement des anciennes mines de bauxite. En aval, dans son canyon encaissé dans les plateaux calcaires, le Caramy est réalimenté, spécialement en été, par la grosse source de la Figuière et par deux autres exsurgences, les sources de Lieutaud et des Lèques, mais cette dernière est captée pour Tourves. Comme la Grande Foux de Nans, ce sont des émergences des aquifères de la série car-

onatée jurassique des plateaux septentrionaux. b

2 ) Les bassins dans le cadre géologique du massif

Les bassins apparents et karstiques des trois cours d'eau de la partie nord-orientale du massif de la Sainte-Baume (l'Huveaune supérieure, le Cauron et le Caramy) s'étendent sur trois zones

éologiques et géomorphologiques (Fig. 2) : g- la haute chaîne de calcaire urgonien (1148 m

d'altitude au Signal des Béguines), puis son prolongement complexe vers l'est et le massif dolomitique de l'Agnis, unités chevauchantes vers le nord ;

- la zone synclinale des calcaires et marnes du Crétacé supérieur, du Plan d'Aups à Mazau-gues ;

- l'ensemble des plateaux des calcaires et dolo-mies jurassiques septentrionaux, de l'est de la Lare au plateau de Cassède.

L'alimentation pérenne des cours d'eau est assurée par les émergences karstiques dont les plus importantes, à l'exception de celle du Cara-my à Mazaugues, sont situées en contrebas de ces plateaux du versant nord du massif de la Sainte-Baume. Ceux-ci ont une altitude voisine de 700 m au nord du Plan d'Aups et sur le plateau de Saint-Cassien, mais ils s'abaissent vers le nord-est. Leur front qui atteint 616 m au Piégu, 600 m à Saint-Jean (au-dessus de Rougiers) et à Saint-Probace (au sud de Tourves), tombe à 469 m sur le plateau de Cassède. Les sources sont en rapport avec les aquifères des plateaux, dans les calcaires et les dolomies fracturés et karstifiés

du Jurassique moyen et supérieur (Fig. 2 et Tab. I).

Rappelons que l'Huveaune supérieure a une double origine : une source permanente à 475 m d'altitude et deux exsurgences épisodiques (la grotte et le trou de Moulins) dans la reculée de Castelette. Après les pertes dans son canyon, elle bénéficie d'une réalimentation par la source Lazare, à 305 m d'altitude, dans la gorge de la Sambuc… et par le surplus des sources captées de Saint-Zacharie. De même, le Caramy a une double alimentation, par l'Agnis et par les exsur-gences dans son canyon. En revanche, le haut Cauron n'est alimenté que par les émergences au pied des plateaux calcaires jurassiques, d'où une différence de fonctionnement par rapport aux bassins voisins.

Dans les bassins du Cauron et du Caramy, les fonctionnements hydrologiques sont com-plexes, avec interférence des conditions natu-relles et des impacts anthropiques, ce qui a posé bien des problèmes pour l'utilisation de leurs eaux. Aussi leur étude est intéressante, tant sur le plan de l'alimentation pérenne des cours d'eau que comme exemple de fonctionnement hydrolo-gique des systèmes karstiques. À cet effet, nous présenterons une synthèse sur le système hydro-logique du secteur et sur les problèmes rencon-trés, à partir des travaux de P. MARTIN (1991-a), J.J. BLANC (2002), R. DURAND (2007), de nos propres observations et de diverses informations nouvelles. Étant donné l'importance de la Grande Foux de Nans, tant au point de vue hydrologique que par l'intérêt des explorations spéléologiques et des études hydrogéologiques que son exploi-tation a suscitées, nous commencerons par l'évo-cation de ces recherches, ce qui nous permettra d'étendre notre analyse au problème général du fonctionnement des aquifères dans les deux bassins.

II - LA GRANDE FOUX DE NANS-LES-PINS

1 ) Situation et description

Cette grotte est située à 1,5 km, au sud-est du village de Nans-les-Pins, (X = 880,32 ; Y = 123,53 ; Z = 390 m), au pied du grand versant qui forme le rebord septentrional du plateau de Saint-Cassien, au-dessus du bassin du Cauron. (Photo 1).

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Plateau de Saint-Cassien

Bassin du Cauron Foux de Nans

Photo 1 - Situation de la Grande Foux de Nans-les-Pins, dans le haut bassin du Cauron. [cliché : J. MAZET]

La Foux est en fait une exsurgence tempo-raire de type vauclusien. Largement pénétra- ble par un porche ouvert au-dessus d'un chaos rocheux (Photo 2), son exploration est toutefois limitée par la hauteur de l'eau dans la cavité, qui varie entre la cote -12 m en période hivernale et la cote -35 m en période d'étiage (septembre-octobre). On peut alors observer une profusion de magnifiques formes d'érosion : marmites, lames, coups de gouge, plancher martelé… (Photos 3, 4, 5, 6) dans un réseau labyrinthique de puits et galeries étagées.

2 ) Fonctionnement

L'exsurgence ne fonctionne que lors des grands épisodes pluvieux sur le massif de la Sainte-Baume, avec un décalage de quelques dizaines d'heures sur le début des précipitations, et son activité cesse rapidement dès l'arrêt des pluies. Si des explorateurs ont signalé une montée très rapide de l'eau dans la cavité, les mises en charge sont généralement beaucoup plus lentes, en étroite dépendance avec l'ennoyage initial de la grotte et l'intensité des précipitations (Fig. 4). Au bout de quelques heures, le débit peut devenir impressionnant et atteindre des va-leurs, estimées, de 8 à 10 m3/s (P. GALLOCHER,1952 ; J. MAZET; 1988,1989) (Photos 6, 7, 8).

Figure 4 - Les sorties d'eau à la Foux (d'après P. GALLOCHER, 1957).

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Photo 2 - La Foux : entrée principale de la grotte, orifice nord-est. [cliché : J. MAZET]

Photo 3 - La Foux : galerie horizontale tubulaire reliant deux puits. [cliché : J. MAZET]

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Photo 4 - La Foux : base du grand puits(-35 m). [cliché : J. MAZET]

Photo 5 - La Foux : la galerie terminale à l'étiage. [cliché : J. MAZET]

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Photo 6 - Fonctionnement de la Foux en hautes eaux : orifices nord-est et sud-ouest. [cliché : J.MAZET, décembre 1958]

Photo 7 - La Foux en hautes eaux : l'eau sort de l'orifice nord-est, avec un sourd grondement. [cliché : J. MAZET, décembre 1958]

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Photo 8 - En hautes eaux, l'eau de la Foux envahit le lit du Cauron, habituellement à sec. [cliché : J. MAZET, décembre 1958]

L'eau légèrement trouble jaillit alors dans un sourd grondement perceptible à plusieurs cen-taines de mètres. La fraction sableuse récupérée dans le courant montre surtout des quartz accom-pagnés d'éléments divers (fragments de fossiles sénoniens, concrétions, esquilles calcaires…) qui témoignent de l'intense érosion des conduits dans la traversée du massif, comme le montrent d'ail-leurs les formes observées dans la grotte.

À partir de diverses mesures et observations réalisées dans les années 1960-1965, on constate (Figure 5) que par rapport à la cote d'étiage, les

pluies intenses provoquent une élévation plus ou moins rapide de l'eau, suivie d'un lent retrait. L'amplitude du retrait diminue d'un épisode à l'autre, en raison du stockage dans l'encaissant, ce qui témoigne de la constitution d'une réserve importante.

C'est à partir de cette constatation et pour satisfaire une demande, que le Spéléo Club de Marseille, procéda en 1967 à un pompage d'essai, avec le concours du BRGM, pour tenter de déterminer le volume de cette réserve et envi-sager son exploitation éventuelle

Figure 5 - Représentation synthétique des variations du niveau de l'eau dans la grotte de la Foux (J. MAZET, 1989).

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a. Exploitation de la Foux

Le résultat du pompage d'essai dépassa tou-tes les espérances, puisque l'exhaure de 23000 m3

en 23 jours, avec un prélèvement à 80 m3/h, n'a pas eu d'effet mesurable sur la hauteur de l'eau

(Photos 9 et 10). Cet essai a montré que la zone noyée du karst de la Foux se comportait comme un aquifère à porosité de pores, homogène et isotrope (G. DUROZOY et P. JONQUET, 1968).

Photo 9 - La Foux : mesure des rabattements de la nappe en 1967. [cliché : J. MAZET, août-septembre]

Photo 10 - Installation des pompes immergées en 1967. [cliché : J. MAZET, août-septembre]

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Depuis, l'eau de la Foux est prélevée à partir de deux forages réalisés au droit de la galerie noyée et participe à l'alimentation des communes de Nans-Les-Pins et du Plan-d'Aups-Sainte-Baume. Deux pompes de 75 m3/h ont été ins-tallées dans le conduit, en deçà de la cote -35. Le déficit pluviométrique des années 1980, nécessita le raccordement d'une troisième pompe de type Flygt, 15 m plus bas.

b. Les plongées profondes

En complément de ces travaux, des plon-gées de reconnaissance (HYDROKARST, 1981 ;

C. ROUSSET, en 1981 ; C. TOULOUMDJIAN, en 1983) sont venues compléter les premières explo-rations entreprises en 1962. Elles ont apporté de précieuses informations sur le réseau noyé. La cavité se prolonge par une galerie unique de grande section au départ (environ 15 m2), longue de 253 m, jusqu'à la cote -114 qui correspond au point le plus bas (286 m NGF) (Fig. 6). À ce niveau, le plancher est recouvert d'un lit d'argile. À partir de là, le réseau remonte en exploitant le maillage des diaclases par des conduits plus modestes. Il a pu être exploré jusqu'à la cote -49 m (M. DOUCHET, 2001).

Niveau de l'eau

11-12-83

Figure 6 - Coupe schématique du réseau de la Foux (d'après les documents fournis par VAG Syndicat de la Sainte-Baume et l'article de M. DOUCHET, 2001).

Par rapport à l'entrée, la cote -114 m a été atteinte par P. ROUSSET DE PINA, en 1981, par C. TOULOUMDJIAN, en 1981 et 1983, et par M. DOUCHET, en 2000. Au delà de ce point bas, les

explorations sont remontées jusqu'à -55 m en 1983 et -49 m en 2000.

c. Les sources associées

À l'aval de la Foux, sur la rive droite du Cauron, on dénombre plusieurs petites émer-gences. Il y a d'abord à 100 m de la grotte, presque dans le lit de la rivière, une venue d'eau temporaire, qui est en fait un sous-écoulement de la grotte, limitant en période de hautes eaux le

iveau de celle-ci à la cote -12. n

Plus loin, au quartier de la Liene, apparais-sent "les Filles", toujours en bordure de la rivière. Cette source, répartie en plusieurs griffons, alimente pendant plusieurs mois le Cauron. Son appartenance au système de la Foux est fondée sur son bilan hydrochimique (P. MARTIN,

1991-a, 1991-b) et sur la similitude de sa réponse ux précipitations.a

Il existe enfin une troisième émergence, la source de la Blanche, située à 500 m au sud du Cauron, au pied du versant. Cette source pérenne a un fonctionnement qui ne permet pas de la rattacher directement à la Foux, mais ses carac-tères physico-chimiques sont comparables.

3 ) Le contexte géologique

a. Le plateau de Saint-Cassien

La grotte de la Foux est calée sur une faille importante, qui met en contact l'ensemble

10-11-00

-55 m (1983) -49 m (2000)

-114 m

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calcaréo-dolomitique du plateau de Saint-Cassien, incliné de 15° vers le sud, avec le synclinal crétacé du Cauron (Fig. 7). Le grand

versant au pied duquel se trouve la Foux, cor-respond au compartiment soulevé de cette faille.

NO

Figure 7 - Coupe du Baou des Glacières à la Grande Foux de Nans, montrant la position et le fonctionnement de son aquifère (M. JULIAN et J. NICOD, 1989, modifiée).

J1-2 à J9 : série jurassiqque carbonatée. n2 à C7 : série crétacée du synclinal du Plan d'Aups. n4U : calcaire urgonien de la haute-chaîne. ZN : zone noyée. Bien que n'étant pas sur le tracé de la ligne de coupe, la

position de l'aven du Petit Saint-Cassien a été indiquée d'une manière schématique.

Sur tout le plateau de Saint-Cassien, les phénomènes karstiques abondent. La surface est striée longitudinalement par des champs de crypto-lapiés exhumés (Photo 11). De multiples petits effondrements témoignent d'un soutirage important, signe du fonctionnement actuel du karst sous jacent (cf. infra, § IV-2-a et Fig. 14). Des mesures de dissolution faites dans la Foux (J. MAZET, 1986), sur des échantillons calcaires identiques à l'encaissant, ont montré sur un cycle

hydrologique d'un an, une perte de matière faible mais significative, dans une eau nettement sous-saturée, donc agressive. De nombreux gouffres s'ouvrent à la surface du plateau. On peut citer, entre autres, le Grand Clapier (51 m), la Mefiue (74 m), l'Écureuil (126 m). Le plus important reste cependant le gouffre du Petit Saint-Cassien (Photo 12). Il atteint la profondeur de 310 m, par une succession de puits et de méandres (Fig. 8).

Figure 8 - Coupe géologique du gouffre du Petit Saint-Cassien (J.J. BLANC et R. MONTEAU, 1997).

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Photo 11 - Plateau de Saint-Cassien : crypto-lapiés exhumés. [cliché J. MAZET]

Photo 12 - Entrée du Petit-Saint-Cassien : premières explorations. [cliché. J. MAZET]

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b. Le gouffre du Petit Saint-Cassien

Ce gouffre connu à l'origine jusqu'à la pro-fondeur de 27 m, fut depuis 1948 l'objet de nom-breux travaux d'élargissement, qui témoignent de

l'obstination bien connue des spéléologues. Le fond du gouffre aboutit sur une galerie dont la partie amont semi-noyée remonte insensiblement, sur plusieurs kilomètres (Fig. 9).

Figure 9 - Plan du gouffre du Petit Saint-Cassien (groupe MJC Aubagne ; plongeurs : M. DOUCHET, V. DOUCHET et J. DULEY, 1981-1983)

Cette galerie semble être le collecteur du karst développé dans ce secteur. Toutefois les difficultés d'accès n'ont pas permis jusqu'à pré-sent une exploration approfondie du réseau, qui paraît beaucoup plus étendu. Quant à la partie aval, totalement noyée, elle plonge vers le sud, dans le sens des couches. On a toujours pensé que la Foux était l'exutoire de ce karst et l'espoir d'établir un jour la jonction avec le gouffre du Petit Saint-Cassien a motivé bien des spéléo-logues, mais les connaissances actuelles acquises lors des plongées laissent peu de chances d'y parvenir. On a tenté par plusieurs colorations (20 kg de fluorescéine en 1971) de prouver cette communication ; mais faites dans de mauvaises conditions, leurs résultats ne sont pas probants.

4 ) Importance des informations apportées par les recherches à la Foux

a. La nappe karstique de la Foux

Toutes les données recueillies montrent que

la Foux est située dans la zone de battement d'une nappe karstique très importante. Si le forage pétrolier (Nans 1) réalisé sur le plateau de Saint-Cassien, nous donne sa hauteur, environ 300 m, son étendue nous est totalement inconnue. La faille dite "du Plan d'Aups", sur laquelle se trouve la Foux, semble la limiter au nord. Toutefois l'alimentation de sources lointaines n'est pas exclue. En direction du sud, il faut rechercher les éléments structuraux qui pourraient faire obstacle à son extension et qui se trouvent probablement au niveau de la charnière synclinale du plateau, loin sous la haute chaîne, avec le redressement des couches imperméables du Dogger. Mais là aussi, dans ce secteur tectoniquement complexe, les pertes sont inévitables. Vers l'ouest, au delà de la faille décrochante du Colombier, sur laquelle s'est creusé un profond vallon, les mêmes terrains aquifères se prolongent jusqu'au Plan d'Aups ; cette faille peut néanmoins avoir une influence sur le karst de la Foux. Il reste à examiner le prolongement éventuel de la nappe vers l'est. Dans cette direction, la structure quasi-

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monoclinale du plateau de Saint-Cassien est conservée sans discontinuité, jusqu'à Mazaugues. Sous les plateaux karstifiés des caïres, la zone noyée se trouve à la cote 305 NGF, soit sensi-blement au même niveau (30 m plus bas) que celui mesuré dans le forage pétrolier. Cette similitude dans un même contexte géologique conforte l'hypothèse d'une même nappe, dont la source de la Figuière, située dans les gorges du Caramy, pourrait être l'un des exutoires. La colo-ration des pertes du ruisseau du Grand Gaudin, détectée à la Figuière, tendrait à prouver la direc-tion de cet écoulement.

b. Conclusion sur la Foux de Nans

La Grande Foux est la plus importante émergence temporaire du massif de la Sainte-Baume. Exutoire d'un karst très développé dans les calcaires dolomitiques du plateau de Saint-Cassien, elle constitue en même temps un regard sur une nappe d'eau profonde, étendue au moins à l'ensemble du massif. L'étude du fonctionne- ment de la Foux a permis de mettre en évidence l'existence d'une réserve d'eau considérable et exploitable. C'est sur ce constat que les deux communes de Nans-les Pins et du Plan d'Aups décidèrent de prélever dans la Foux leur eau potable. Cette exploitation, qui nécessite un suivi permanent, a le double avantage de contrôler l'état de la réserve en fonction de la pluviosité et des prélèvements, mais aussi de déceler d'éven-tuelles pollutions que pourrait apporter la fré-quentation du massif. Cette vulnérabilité est accrue par l'importance de ce karst, bien connu maintenant des spéléologues et des plongeurs à partir du profond gouffre du Petit Saint-Cassien. Cependant une grande interrogation demeure sur l'étendue de la zone noyée sous le massif de la Sainte-Baume et sur ses prolongements éven-tuels. Les bilans hydrologiques établis entre la tranche d'eau infiltrée et le débit des émergences montrent un déficit d'écoulement qui a été interprété (C. COULIER, 1985 ; C. ROUSSET,1988 ; P. MARTIN, 1991-a ; B. BLAVOUX et al., 2004) par la présence d'une circulation profonde en direction de l'exsurgence sous-marine de Port-Miou, près de Cassis.

III - LE BASSIN COMPLEXE DU HAUT CARAMY : UN HYDROSYSTÈME À DEUX NIVEAUX

Le bassin hydrologique amont est largement étendu à l'est du massif de la Sainte-Baume, la

partie la mieux arrosée de la chaîne. Par ses affluents, le Grand et le Petit Gaudin, il est alimenté par les précipitations sur tout le secteur entre le Baou des Glacières (1051 m) et Mazau-gues. Par sa source principale et le ruisseau du vallon de l'Herbette, il reçoit les eaux de la partie septentrionale du massif dolomitique de l'Agnis (sommet à 905 m d'altitude). Mais le bassin réel est différent du bassin apparent en raison des infiltrations karstiques dans certains secteurs (principalement les pertes du Grand Gaudin) et des apports des sources en fonction de l'étendue et du jeu des aquifères.

1 ) Le cours du haut Caramy

D'orientation sud-nord, le cours d'eau traver-se trois unités géologiques et géomorphologiques uccessives (Fig. 10) : s

- Sa source principale jaillit à 440 m d'altitude en amont de Mazaugues, dans un vallon incisé au pied de l'extrémité nord-est de l'Agnis, l'Ubac de Caucadis (Photo 13). Cette exsurgen-ce est située sur une importante faille transverse NO-SE qui sert de drain. D'autres sources, dans ce secteur tectoniquement complexe du chevau-chement nord de l'Agnis, contribuent à l'ali-mentation du cours d'eau.

- Le Caramy traverse ensuite le synclinal de Mazaugues : en pente faible, il coule dans un secteur de plaines coupées par deux petits crêts de calcaires à rudistes du Santonien. Dans ce secteur, il reçoit successivement l'apport du ruisseau du vallon de l'Herbette puis des deux affluents temporaires, le Petit Gaudin et le Grand Gaudin. Ce dernier, issu des sources du quartier des Glacières (Fontfrège, l'Ombre, Pivaut, etc.), est bien alimenté à l'amont, mais il est absorbé à l'aval au voisinage des mines de bauxite.

- Le canyon, du Saut du Cabri à la source des Lecques, est incisé dans les plateaux constitués par les calcaires et dolomies jurassiques de l'unité septentrionale du massif de la Sainte-Baume. Il débute par une percée à travers le rebord septentrional du synclinal de Mazau-gues. C'est le Saut du Cabri, chute d'une tren-taine de mètres, encombrée de gros blocs, dans une gorge étroite (Photo 14). Cette percée est incisée dans une structure discordante en pendage sud : calcaires à rudistes / bauxite / calcaires en bancs massifs du Portlandien (Fig. 11).

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Figure 10 - Profil en long du Caramy et (en haut) panoramas en rive droite (est) et rive gauche (ouest).

Photo 13 - Le front de l'Agnis et les sources du vallon de l'Herbette : corniches dolomitiques, talus dans les calcaires lités, sources au fond des ravins dans les bois. [cliché : J. NICOD, 1960]

Ce secteur est particulièrement karstifié : mégalapiés (caïres) des calcaires santoniens ; réseau de la Grotte Rouge, côté est ; et, en face, le très important réseau Sabre (cinq étages, dont celui actif de Font Noire, explorés sur près de 5 km –R. MONTEAU, 2010). C'est le secteur clé de l'évolution géomorphologique : l'étagement des réseaux karstiques subhorizontaux marque les phases d'incision du canyon au cours du Quater-

naire. Localement, la topographie de la gorge du Saut du Cabri et la disposition des réseaux adja-cents permettent d'envisager l'hypothèse d'une genèse par effondrement de voûte à partir d'une percée hydrogéologique (J.J. BLANC, 2000).

En aval, le Caramy s'encaisse de plus d'une centaine de mètres dans les calcaires et les dolomies jurassiques. Les plateaux encadrants,

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Photo 14 - L'amont du cayon du Caramy au Saut e Cabri. [cliché : J. MAZET, 1993, p. 36] d

Le barrage a été construit en 1904, pour la produc-tion d'électricité nécessaire au fonctionnement des transporteurs aériens de bauxite. Il est aujourd'hui démantelé.

Figure 11 - Le réseau Sabre dans le site du Saut du Cabri (schéma d'après J.J. BLANC, 2000, figure 8, modifiée).

dérivés d'un aplanissement tertiaire sont marqués par une karstification ancienne attestée par quel-ques dolines au fond garni de terra-rossa, princi-palement le "Claou de la Chevalière" à l'est, sur

le plateau de Cassède. La gorge est rectiligne et large, avec des versants localement à barres rocheuses ou régularisés, dominés par des corni-ches constituées par les bancs des calcaires

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portlandiens. Des grottes y marquent la position d'anciens réseaux tronçonnés. Au fond de la gorge, incisée dans les dolomies, la source vau-clusienne de la Figuière, à deux niveaux, en rive gauche, réalimente le cours d'eau, très affaibli en été.

La dernière section du canyon (à partir de la ferme Rimbert) se présente comme une vallée à méandres encaissés dans les calcaires du Juras-sique moyen. Les formations de pente tapissent le bas des versants, localement aménagés en bancaous complantés d'oliviers. La pente du cours d'eau est plus faible ; le fond de la vallée est large et alluvial ; le lit, parfois tressé, est encadré par une belle ripisylve. Deux exsurgen-ces, Lieutaud et Les Lèques, marquent l'apport hydrologique de l'aquifère karstique du plateau de Cassède.

2 ) Le fonctionnement du système hydrologique du haut Caramy

Le fonctionnement hydrologique est com-plexe du fait des relations, en de multiples points, entre les écoulements superficiels et les aquifères. Il est en rapport avec les trois unités hydro-géologiques de l'est du massif de la Sainte-Baume : aquifère du massif dolomitique de l'Agnis, imperméable relatif du synclinal de Mazaugues, aquifère principal de la série carbo-natée jurassique des plateaux septentrionaux.

a. Importance des écoulements hivernaux sur le haut bassin et tarissement estival

C'est la partie la plus arrosée de la chaîne de la Sainte-Baume, avec des précipitations annuelles voisines de 900 mm (881 mm de moyenne sur la période 1969-1989, P. MARTIN,1991-a, p. 28) Les pluies abondantes de saison froide et parfois la fusion nivale produisent un ruissellement important sur tous les secteurs marneux, des Glacières de Fontfrège au vallon de l'Herbette, et gonflent les torrents. La source principale du Caramy à Mazaugues peut attein-dre, avec un faible temps de réponse aux grosses averses, des débits considérables : 21,2 m3/s le 12 octobre 1972 soit 212 fois son module de 78 l/s ibidem, tableau 39). (

Inversement, lors de la longue période aride estivale, les affluents secondaires tarissent, les filets d'eau issus des sources du secteur des Glacières sont absorbés à l'aval et le débit du Caramy devient bien maigre. La source princi-pale est proche du tarissement total, avec des

débits de 6 à 5 l/s en juillet-août et même seule-ment 1 l/s en fin d'étiage les années sèches. La médiocre régulation de l'exsurgence principale s'explique par sa position élevée par rapport aux sources de l'Issole et du Gapeau, en bordure orientale et méridionale du massif de l'Agnis. Les eaux de l'aquifère des dolomies s'écoulent donc vers ces exsurgences situées à un niveau inférieur de 100 à 140 m. Le fonctionnement hydrologique du haut bassin est alors déconnecté de celui du Caramy à l'aval de son canyon.

b. Réalimentation en aval

La source de la Figuière (Photo 15), en rive gauche, réalimente le Caramy pendant le long étiage estival. Par son module (153 l/s – 134 l/s lors de la période de mesure 1984-1986), c'est l'exutoire le plus important du massif de la Sainte-Baume, pouvant donner en crue plus de 1,3 m3/s (P. MARTIN, 1991-a, tableau 44). L'ex-surgence est située en dessous d'un réseau fossile, dans un secteur fracturé des dolomies jurassiques. Leur aquifère est alimenté conjointement par les infiltrations sur les plateaux à l'ouest du Caramy et par les pertes du Grand Gaudin. Ce qui est le plus important, c'est l'abondance relative du débit d'étiage : moyenne des minima annuels de 53 l/s et extrême de 49 l/s sur la période 1984-1986 (ibidem). La pondération du régime est en rapport avec le caractère capacitif de l'aquifère, avec un volume dynamique de 1,43 millions de m3 ; le fonctionnement est du type Fontestorbes, selon la classification de A. MANGIN (in P. MARTIN,1991-a). Toutefois on doit noter les points suivants : cette nappe étant la même que celle de la Grande Foux de Nans, la limite reste imprécise entre les bassins des deux exsurgences ; les pics de crue sont partiellement dus à l'apport direct des eaux du Grand Gaudin, généralement plus froides ; les débits d'étiage ont été plus faibles (jusqu'à moins de 10 l/s) lors de la récente période de faibles précipitations hiver-nales en Provence (2003-2007 – R. DURAND,2007 ; J. NICOD, 2008).

Les sources Lieutaud et des Lèques sont des émergences de l'aquifère calcaro-dolomitique du plateau de Cassède. La source Lieutaud est située sur une faille dans les calcaires du Séquanien ; celle des Lèques est directement au contact des marnes du Bajo-Bathonien. Cette situation en position de karst barré rend compte de leur caractère pérenne, de leur bonne régulation et des valeurs de leur débit moyen : 49 l/s à Lieutaud, 18 l/s aux Lecques (mesures BRGM 1970-78, inJ.J. BLANC, 2000).

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Photo 15 - La source de la Figuière dans le canyon du Caramy : exutoire pérenne et ancien captage du canal du moulin de Rimbert. [cliché : J. NICOD, 19 avril 2012]

La minéralisation magnésienne élevée de toutes ces sources (voir infra, § IV-2-c) est en rapport avec le cheminement des eaux dans les zones noyées dans les dolomies où le temps de séjour peut être de plusieurs dizaines d'années (cf. les mesures isotopiques présentées par R. DURAND, 2007).

IV - LE FONCTIONNEMENT DES SYSTÈMES HYDROLOGIQUES

La plupart des sources pérennes du massif de la Sainte-Baume sont de type vauclusien et les émergences temporaires sont des sources de trop-plein. Leur alimentation est assurée par le jeu des réservoirs constitués par les aquifère karstiques.

1 ) Les aquifères karstiques : données hydrogéologiques

La disposition des aquifères karstiques a été précisée par de nombreuses études sur la struc-ture et la tectonique du massif (particulièrement G. GUIEU, 1968) et l'agencement des unités et des réseaux karstiques (R. COVA et G. DURO-ZOY 1983 ; R. MONTEAU et P. COURBON,1983 ; R. MONTEAU, 2010). Dans le secteur

étudié, l'aquifère principal est celui des plateaux calcaires du nord-est du massif. Comme le montre la coupe de la figure 12, dans le secteur du haut Cauron et du canyon du Caramy, les eaux peuvent s'infiltrer dans la puissante série quasi monoclinale des calcaires et des dolomies du Jurassique supérieur, très karstifiée. Si les cou-ches marneuses du Bajo-Bathonien constituent localement le niveau inférieur des infiltrations, l'aquiclude majeur n'en est pas moins au contact

u Trias. Les failles ont une triple incidence :d- elles produisent souvent des zones très frac-

turées et même broyées (secteur de la Sambuc) favorables au développement des formes et des circulations karstiques ;

- mettant en contact des couches calcaires ou dolomitiques avec des couches argileuses et marneuses imperméables, elles déterminent des situations de karst barré, donc la possibilité de réservoirs karstiques importants et de sour-ces vauclusiennes comme la Grande Foux de Nans ;

- dans les structures complexes du massif de la Sainte-Baume, elles permettent des échanges et des soutirages entre les unités hydrogéo-logiques. De ce fait, les limites figurées sur les cartes hydrogéologiques ne peuvent être qu'approximatives, car elles sont variables en fonction des conditions hydrologiques.

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NNO

Figure 12 - Coupe géologique du secteur des Glacières au plateau au sud de Rougiers et à la vallée du Cauron près de Puy Runnier (Poulagnier).

De cette complexité structurale, de l'inci-dence des phases tectoniques et de la longue évolution des systèmes karstiques résultent des réseaux auto-organisés en fonction des flux (P. MARTIN, 1991-a, 1997). Ces réseaux, dans leur partie profonde, sont noyés en permanence ou temporairement. Mais le stockage de l'eau s'effectue aussi dans toutes les fissures, dans les zones corrodées des paléokarsts (processus de fantomisation) et dans la masse même des dolo-mies, roches à porosité d'interstices. Ces condi-tions sont favorables à l'existence d'une nappe aquifère, dont le niveau piézométrique est main-tenant contrôlé à la Grande Foux de Nans (cf.supra, Fig. 3 et § II-2-a).

L'infiltration des eaux s'effectue au niveau de l'épikarst par les fissures agrandies par la dissolution (champs de lapiés géants, les caïres), par le fond des dépressions fermées et des vallons secs. De plus, des ruisseaux absorbés par les ponors du poljé du Plan d'Aups alimentent le système hydrologique de Castelette et, par les pertes dans les lits des deux Gaudins, celui de la Figuière. Enfin, le secteur tectoniquement com-plexe des Glacières de Fontfrège alimente des sources locales, autrefois utilisées pour la produc-tion de la glace et dont deux sont maintenant captées pour Rougiers, mais aussi, par l'inter-médiaire des pertes des ruisseaux qui en sont issus, l'aquifère du plateau de Saint-Cassien, donc la Grande Foux et la Figuière.

2 ) Le fonctionnement du système hydrologique

En dehors des périodes de précipitations abondantes, liées à des averses méditerranéennes

parfois intenses (surtout en fin d'été et en début d'automne, de type "cévenol") et aux pluies de saison froide, ou de fonte des neiges en altitude, les cours d'eau ne coulent que grâce aux sources karstiques. Cela pose le problème de l'alimen-tation et du fonctionnement des aquifères, du régime des sources, et de l'impact des prélève-ments sur le système hydrologique.

Malheureusement nos informations sont dis-parates : ainsi, pour la source de la Figuière, on ne dispose que d'une série de mesures hydro-logiques très courte (1984-1986). Des limnigra-phes avaient été installés par le SRAE (Service Régional d'Aménagement des Eaux – devenu la DRÉAL) d'Aix-en-Provence dans le cadre des recherches effectuées pour les thèses de C. COU-LIER (1985) et de P. MARTIN (1991-a). Depuis, sauf pour le haut Caramy, on ne dispose que de mesures épisodiques.

a. Les conditions de recharge des aquifères

La partie orientale du massif de la Sainte-Baume reçoit des précipitations relativement abondantes en comparaison des autres reliefs de Provence. Les valeurs moyennes annuelles sont de l'ordre du mètre aux Béguines et de 900 mm à Mazaugues (881 mm dans la période 1969-1989). Dans les années 1984-86 (de pluviosité médio-cre), l'implantation de nombreux pluviomètres sur le massif avait montré que l'isohyète de 950 mm englobait tous les plateaux du Plan d'Aups à Mazaugues, avec un maximum de 1000 mm aux Glacières (Fig. 13). Au point de vue hydrologique, le secteur des Glacières de Fontfrège, à une altitude de 700-800 m, est favo-risé aussi par sa situation d'ubac et ses hivers rigoureux (enneigement prolongé et températures

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minimales de l'ordre de -12 à -16 °C, favorables à l'artisanat de la glace). Dans l'ensemble, les précipitations décroissent vers l'ouest, avec seule-ment 600 mm sur la bordure occidentale de la chaîne, où le Mistral y accentue la sécheresse. Le régime pluviométrique est de type méditerranéen à deux maxima, d'automne et de printemps, mais avec de fortes irrégularités interannuelles. Il arrive souvent que les pluies ne débutent qu'en décembre après un automne sec, ou restent fai-bles au printemps. Et surtout il y a des séquences d'années humides ou sèches. Parmi ces dernières, celle de 2003-2007 a été particulièrement mar-quée. Par contre, surtout lors des orages de fin

d'été, il peut y avoir des abats d'eau consi-dérables, jusqu'à 200 mm en 24 heures, provo-quant du ruissellement sur les pentes et dans les vallons "secs", la transformation des cours d'eau temporaires en torrents et parfois l'inondation des poljés du Plan d'Aups et d'Agnis. Avec un déphasage de quelques heures à quelques jours, le débit des sources se gonfle et peut atteindre des valeurs élevées : 1,3 m3/s en décembre 1985 à la Figuière, 4 m3/s en août 1986 aux émergences de la Grande Foux et même 15,7 m3/s aux sources du Caramy à Mazaugues après l'orage du 27 août 1977, ces dernières fonctionnant comme exutoire de trop-plein du massif de l'Agnis.

Figure 13 - Carte schématique des précipitations et de l'hydrologie du massif de la Sainte-Baume.

(1) : période sèche 1984-86 (P. MARTIN, 1991-a, figure 6). (2) : isohyètes 800 mm pour la période mai 1983 - avril 1984 (C. COULIER, 1985, figure 15). PA : Plan d'Aups. Bég. : maison forestière ONF des

Béguines. Cast. : source de Castelette.

Dans la recharge des aquifères, la couverture végétale et les sols jouent de multiples manières. Il y a bien sûr des zones d'infiltration directe, restreintes mais privilégiées, les champs de lapiés nus et les couloirs des caïres (Photos 16 et 17). Comme dans les karsts nus, ces mégalapiés accroissent localement le rendement hydrolo-gique (J. NICOD, 1993). Ils contribuent particu-lièrement à l'alimentation de la Grande Foux (cf.§ II-4-a). Mais, dans l'ensemble, les plateaux élevés, comme celui de Saint-Cassien ( 700 m), et les versants en ubac sont largement couverts de bois de chênes pubescents, dont les racines profondes pénètrent dans les poches et fentes

de l'épikarst, bourrées de terra-rossa (issue de formations résiduelles) ou de sols bruns. L'humi-dité de ces sols permet aux chênes de supporter la longue sécheresse estivale (Fig. 14). En prélevant dans cette réserve hydrique, cette forêt soustrait une quantité d'eau importante à l'infiltration. Aussi, au point de vue hydrologique, l'évapo-transpiration dans les espaces forestiers diminue considérablement la quantité d'eau disponible, tant pour le ruissellement que pour l'infiltration karstique, lesquels se produisent surtout en saison froide, dans les mois de précipitations abondantes et d'évapotranspiration faible, comme le montre le diagramme P-ETP aux Béguines (Fig. 15).

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Photo 16- Aspect de caïre semi-nu des calcaires à rudistes du Coniacien dans le site des Béguines. [cliché : J. NICOD, mai 2000]

Les fentes karstiques sont colonisées par quelques chênes-verts et pubescents.

Photo 17 - Caïre disloqué des calcaires à rudistes : site de la cascade du Grand Gaudin, près de la cote IGN 611 (virage de la D 95 près du chemin de Pivaut). [cliché : J. NICOD, mai 2000]

En contrepartie, la couverture forestière entrave le ruissellement et protège les sols de l'érosion. Elle favorise donc la pénétration des eaux en profondeur, par exemple dans les vallons

"secs" hérités des périodes froides du Quater-naire, où il faut de très grosses averses pour que des écoulements se produisent. À cet égard, une comparaison s'impose avec la partie occidentale

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Figure 14 - Conditions d'infiltration des précipitations sur le plateau karstique de Saint-Cassien, d'après les observations de J. MAZET (1984, figure 26) sur le site des Béguines.

Voir aussi, pour les formations végétales de ce secteur, R. MOLINIER (1958), et, pour les sols bruns, G. BONIN et al. (1984).

Figure 15 - Diagramme des précipitations et de l'évapotranspiration potentielle (ETP) sur le site des Béguines (maison forestière de la forêt domaniale de la Sainte-Baume) (J. MAZET, 1984, p. 70, figure 29, modifiée).

Eau disponible : en général pour l'écoulement superficiel, mais ici pour l'infiltration karstique et la recharge de l'aquifère (infiltration efficace en hydrogéologie).

du massif de la Sainte-Baume, plus sèche, sous influence du Mistral, ravagée par des incendies successifs, où les écoulements torrentiels sont fréquents. Aussi, du fait d'une recharge moins bonne, le débit estival de la source de Saint-Pons est-il plus faible (P. MARTIN, 1991 ; J. NICOD,2012). Au total, d'après les bilans hydrologiques, la valeur de l'infiltration efficace dans le massif est de l'ordre de 350 à 400 mm par an. Parailleurs, ces bilans montrent que les aquifères sont en partie soutirés vers la source sous-marine de Port-Miou (C. COULIER, 1985 ; C. ROUSSET,1988 ; P. MARTIN, 1991-a ; B. BLAVOUX et al.,2004).

b. Le régime des sources et le jeu des réservoirs karstiques

Comme le montrent les variations du niveau piézométrique dans la Grande Foux (cf. supra,Fig. 5), le fonctionnement des exsurgences, en pays sous climat méditerranéen, comporte en général deux périodes : l'une de hauts débits et de recharge des aquifères, en saison froide, l'autre de débits en décroissance régulière, au cours de l'été.

Ces considérations générales peuvent être précisées par l'examen des courbes de débits, en rapport avec les épisodes de pluie. Nous dispo-sons du diagramme de la source de la Figuière

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établi par P. MARTIN (1991-a) pour la période de l'automne 1984 au printemps 1986 (Fig. 16). Ce diagramme montre bien les successions de pics de crue déterminé par les précipitations de saison froide avec un certain déphasage, correspondant au début de recharge de l'aquifère. Par contre, les quelques pluies d'été, interceptées par la végé-tation et les sols, sont sans influence. L'année hydrologique 1984-85 est marquée par des préci-

pitations très faibles et la sécheresse persiste ensuite jusqu'en décembre 1985. À partir de juin 1984, le débit décroît régulièrement, mais il est encore de 50 l/s début décembre. Cette courbe des débits en régime non influencé permet de calculer le volume dynamique, autrement dit la part de la réserve qui assure le débit en phase de tarissement. Pour la Figuière, il est de l'ordre de 1,43 million de m3 (moyenne 1984-86, Tab. II).

Figure 16 - Courbe des débits moyens journaliers de la source de la Figuière et précipitations à Mazaugues de l'automne 1984 au printemps 1986 (d’après P. MARTIN, 1991-a,

Livre I, p. 278, extrait de la figure 213).

Tableau II - Données hydrologiques sur le fonctionnement des sources principales du nord-est du assif de la Sainte-Baume. m

Sources (cours d'eau) Qj max. l/s

Qj min. l/s

Qj moy. l/s

Vd=volumedynamique Période de mesure - Référence

Lazare (Huveaune) Grande Foux (Cauron) Font-Alaman (id.) S. du Caramy (Mazaugues)

La Figuière (Caramy) * Lieutaud

>60 4000 180 21200

1305 >303

6 0 (/430 j) 4 1

49 47

27 (50) 63 * 32 78/50 **

153 (49) ¤

0,53 Mm3

???

1,43 Mm3

1970-87 - MARTIN, 1991, tab. 51 1986-89 - id. *y compris les annexes 1986-89 - id. 1967-88 -id., tab. 39-40 ** OLIVARI et PONS, 2007, p. 177 1984-86 - MARTIN, 1991, tab. 51 1985-86 - id. ; ¤ 1970-78 - BRGM

* : Les périodes de mesures étant très différentes, il faut tenir compte que la série 1984-86 pour la source de la Figuière se situe dans des années de pluviosité médiocre. Qj : débit moyen journalier.

Les débits d'étiage des différentes exsur-gences sont en rapport avec les conditions de fonctionnement des aquifères : étendue du bassin hydrogéologique, cours d'eau absorbés, nature de la perméabilité (fissures, réseaux karstiques, porosité d'interstices des dolomies), puissance de la zone noyée et surtout de la tranche "épinoyée" (ou de battement de nappe, cf. supra, § II-4-a), échanges (apports ou pertes) entre aquifères. Dans le secteur oriental du massif de la Sainte-

Baume, ce sont les exsurgences les plus basses, Lazare et surtout la Figuière qui sont favorisées. En fin d'étiage, cette dernière débitait encore

49 l/s dans la période 1984-86, alors que la source du Caramy à Mazaugues coule à peine en fin d'été, et que la Grande Foux connaît de longues périodes de tarissement total (Tab. II). Inversement les débits de crue sont bien plus élevés pour ces exsurgences perchées, qui fonc-tionnent en "trop plein" (Photo 18). Dans le cas

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Photo 18 - Source inférieure du Caramy : ensemble d'exutoires en crue. [cliché J. NICOD, 29 avril 2012]

de la Figuière, la réponse rapide aux précipi-tations s'explique par ses relations avec les pertes du Grand Gaudin.

c. Le témoignage des données physico-chimiques

Elles confortent les indications sur le fonc-ionnement des aquifères. t

D'une manière générale, la température des eaux varie peu, entre 12 et 14°C à la source de la Figuière. Elle s'élève lentement au cours de l'été avec l'apport des eaux stockées en profondeur et elle peut s'abaisser de quelques degrés lors des crues hivernales, ce qui marque en général le transit rapide d'eau plus froide en provenance du Grand Gaudin (P. MARTIN, 1991-a, p. 273). Les eaux ont une minéralisation d'un niveau moyen, qui est stable, et un pH de 7 à 8. Elles sont de type hydrogénocarbonaté calco-magnésien (Fig. 17). D'une manière générale, comme la température, le pH et la minéralisation s'élèvent au cours de l'été. On remarque (Fig. 16, courbe du haut) que la teneur en magnésium est plus élevée lors de la phase de tarissement. Cela provient de la dissolution lente des dolomies dans la zone noyée et traduit l'apport des eaux profondes, stockées au cours du temps (jusqu'à 15 ans et plus, d'après les teneurs en tritium

mesurées à la suite de la catastrophe de Tcher-obyl – R. DURAND, 2007). n

Avec des crues moins fortes que celles de la Figuière, les eaux de la source Lazare présentent une minéralisation plus élevée en moyenne (titre hydrotimétrique, TH = 32,5 contre 29,6). Plus souvent saturées, elles permettent la formation de petits barrages de tuf dans le lit de l'Huveaune en val (J. MAZET, 1988). a

Par ailleurs, la minéralisation des eaux de ces sources comporte une petite part de chlorures provenant des apports atmosphériques et de sulfates, de même origine ou issues d'un contact avec le Trias évaporitique. Mais cette minéra-lisation sulfatée est bien faible par rapport à celle de Font-Alaman (0,80 méq/l de teneur moyenne), émergence proche des accidents à la limite de la zone triasique.

V - UTILISATION DES EAUX ET IMPACTS ANTHROPIQUES SUR L'HYDRO-SYSTÈME

Les hydrosystèmes naturels sont soumis aux impacts anthropiques : modifications de l'utili-sation des sols, captage des sources et forages.

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Figure 17 - Données hydrochimiques moyennes sur les sources du Cauron (A : Grande Foux de Nans et émergence de la Lienne ; B : source de la Figuière).

Les concentrations sont exprimées en méq/l, ce qui permet de mieux comparer les composantes de la minéralisation. 1 méq = masse de l'élément divisé par sa valence (ainsi 1 méq de Ca2+ = 40 mg).

Les besoins se sont en outre accrus au cours du XXème siècle, du fait de la pression démo-graphique. Ainsi les problèmes se révèlent-ils multiples.

1 ) Ancienneté des prélèvements : des conditions plus favorables dans le passé ?

Comme partout en Provence, l'eau des sour-ces locales était très utilisée et divers captages remontent à l'époque médiévale. Plusieurs textes, dont un jugement du 10 avril 1308, concernent le droit d'usage, pour les habitants de Rougiers, de la source de Fontfrège dans le secteur des Gla-cières. Mais il s'agissait d'une utilisation dans le cadre de l'économie pastorale. Ce n'est qu'en 1849 que fut établie une conduite en poterie entre le captage de Fontfrège et le réservoir de la Croix de Saint-Joseph à Rougiers. Avec une longueur de plus de 4 km et une dénivelée de 430 m, en forte pente dans le vallon de la Carraire, entre le Piégu et Saint-Jean, elle représentait un record pour ce type de conduit (voir le tracé Fig. 2 – références in J. MAZET et J. NICOD, 2012).

Aux siècles passés, il est probable que le fonctionnement du bassin hydrologique du Cauron bénéficiait de conditions bioclimatiques plus favorables. Les recherches de J.J. BLANC(1992) sur les lamines des stalagmites dans la grotte du Vieux Mounoï, au sud du massif de la Sainte-Baume montrent un concrétionnement actif lors de la période du "Petit Âge Glaciaire", entre environ 1500 et 1850. À cette époque, la partie élevée du massif connaissait des hivers

froids et longs (favorables à l'artisanat de la glace), un enneigement durable, des étés frais. Des hêtres subsistaient dans les vallons au-dessus de Nans (L. LAURENT, 1929) ; les forêts exploi-tées et pâturées étaient moins sujettes aux incen-dies. Aussi les sources étaient plus abondantes et les pénuries estivales plus courtes. C'était pro-bablement le cas pour la Guillandière, fontaine remarquablement aménagée et maintenant le plus souvent tarie. La désorganisation de l'hydrologie est particulièrement visible dans les secteurs des Glacières et des collines gréseuses au sud de la D 95 vers Mazaugues, où les nombreux ruisseaux fonctionnent encore pendant les périodes de pluie ou de fusion nivale. Par leurs pertes, ils parti-cipent à l'alimentation des réservoirs karstiques.

Dans la commune de Tourves, le Caramy a été utilisé pour l'établissement de moulins et l'irrigation. Une prise à la Figuière alimentait l'ancien canal, maintenant abandonné, du moulin de Rimbert. Créé au milieu du XVIème siècle, à l'aval de la gorge, un barrage en amont du Pont Romain dérive les eaux dans le canal du Moulin du Caramy et assure l'irrigation de la vallée en aval (C. ARNAUD, 2007).

2 ) L'accroissement des prélèvements en fonction de l'urbanisation

Au cours du XXème siècle, avec la réalisation des réseaux de distribution, les captages ont été multipliés : exsurgence inférieure du Caramy à Mazaugues, source des Lecques pour Tourves, source de Lorges à Nans-les-Pins. Une réalisation

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majeure a été l'installation d'une station de pom-page dans la Grande Foux permettant d'alimenter le réseau de ce village et par refoulement celui du Plan-d'Aups. Dans la partie nord de la commune de Nans-les-Pins, avec les progrès de l'urbani-sation diffuse, la création de maisons de santé et d'un golf, les besoins se sont considérablement accrus. Aussi les puits et forages ont été multipliés dans les vallons et les plaines, tandis que le captage de Font-Alaman a été réalisé à la fois pour le golf et le réseau communal. Pour compléter son alimentation, Rougiers a fait pro-céder en 1973 à un double forage à -100 m sous la colline du Dévançon, proche de la faille limite du front septentrional du monoclinal des calcaires et dolomies jurassiques (cf. supra, Fig. 12). Cette multiplication des prélèvements entraîne l'abais-sement des niveaux piézométriques et la prolon-gation des étiages, ce qui accentue la déficience hydrologique du Cauron, dont le bassin, par sa position altimétrique, est le plus vulnérable. C'est également l'intensification des prélèvements qui, à Saint-Pons, expliquerait la réduction des débits dérivés par le canal des Arrosants de Gémenos (J. NICOD, 2012).

3 ) Impacts géotechniques sur le Haut- Caramy

Dans le secteur de Mazaugues, des impacts importants ont été induits par le percement de la galerie du Canal de Provence et par l'exploitation des mines de bauxite. La Galerie du Canal recoupe le réseau Sabre à la cote NGF 318 m. Son tracé est proche des sources du Caramy. Lors de son creusement en 1965-67, elle avait asséché pendant quelques heures le captage de Mazau-gues (R. DURAND, 2007). Les débits journaliers maximaux de la source du Caramy à Mazaugues se sont abaissés de 410 l/s en 1960 à 300 l/s en 1962, 275 l/s en 1966 et 230 l/s en 1969. Cette diminution, comme celle constatée à la source du Gapeau a été imputée au creusement de la galerie du Canal de Provence sous le massif de l'Agnis, puis à des défauts d'étanchéité de cette galerie. Mais elle peut aussi être liée aux conditions cli-matiques de l'époque. La galerie a pu contribuer à une réduction des débits d'étiage des sources du massif de l'Agnis, particulièrement de celle du Caramy, la plus élevée (rapport de R. COVA du 16 juin 1982 et discussion, in J.J. BLANC, 2007).

L'extraction des bauxites a eu des impacts très importants, surtout lors de la période de grande exploitation des années 1960-1970. Les galeries de mines ont progressé en profondeur et

nécessité des exhaures considérables. Ainsi le pompage avait atteint, dans la mine de Mazau-gues aval, une valeur de l'ordre de 1000 m3/h,soit près de 227 l/s, prélevés en profondeur jusqu'à la cote NGF 150 m (R. DURAND, 2007, p. 58). Les désordres étaient alors très impor-tants : déversement des eaux polluées dans le Caramy, assèchement total du Petit Gaudin et de certaines sources ou, au contraire, accroissement temporaire du débit moyen de celle de Lieutaud. Avec la cessation d'activité des exploitations, les mines ont été noyées et la situation hydrologique du secteur de Mazaugues s'est améliorée. Il est toutefois probable que l'effet des foudroyages et des liaisons induites par les puits et les galeries persiste, entraînant une diminution d'étanchéité des couches marneuses du synclinal de Mazaugues. Par ailleurs, depuis 2006, le Conseil Général du Var fait procéder en été, par le puits d'aération de la Mine de Mazaugues aval, à un pompage pouvant atteindre 350 l/s, afin de réalimenter le Caramy et, par lui, le lac réservoir de Carcès.

4 ) Le problème de la conjonction entre sécheresse climatique et accroissement des besoins estivaux

La situation actuelle associe une sollicitation très forte des ressources en eau et des étiages prolongés du Cauron. On est à la limite des possibilités lors des années de sécheresse, comme lors de la période 2003-2007, au cours de laquelle les précipitations ont été faibles, spécialement celles d'hiver, qui profitent le plus à la recharge des nappes. Dans le Var, le déficit hydrologique s'est manifesté notamment par les problèmes de remplissage du lac de Carcès (G. OLIVARI et S. PONS, 2007), les bas niveaux du Grand Laoucien de la Roquebrussanne et la vidange en 2007 du lac karstique de Besse-sur-Issole (J. NICOD, 2008, figure 2). À Nans-les-Pins, on a constaté (Fig. 18) une décroissance des possibi-lités de prélèvement à Font-Alaman en 2006-2007, due à la faible recharge hivernale. Heureu-sement, en 2007, on a pu faire appel davantage à la réserve de la Grande Foux.

5 ) Perspectives

Ainsi le massif de la Sainte-Baume joue de plus en plus comme un réservoir soumis aux paramètres climatiques et hydrologiques et aux conditions d'exploitation, marquées par un accroissement des prélèvements.

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Figure 18 - Volumes annuels prélevés à La Grande Foux et à Font-Alaman de 2005 à 2009 (d'après des données de la Mairie de Nans-les-Pins).

Mais tout n'est pas négatif : la généralisation sur les plateaux des bois de chênes et de pins à la place des anciennes cultures, des bancaousabandonnés et des landes, l'extension de la forêt domaniale de la Sainte-Baume, spécialement sur le plateau de Saint-Cassien, et la meilleure gestion des forêts communales contribuent à préserver les eaux de la pollution. Rappelons qu'il y a un siècle, la principale pollution était d'ori-gine biologique, spécialement due aux fumiers et aux rejets des cadavres dans les avens lors des épizooties, alors que maintenant elle est surtout chimique dans les zones agricoles. Mais ici, sur les plateaux, les espaces agricoles sont réduits et, hormis les alentours du Plan d'Aups et de Mazau-gues, on a moins à redouter les effets pervers de l'extension de la rurbanisation, à la différence de bien des régions du Var. Notons aussi qu'en raison de ses sites préhistoriques et patrimoniaux, dont la Baume Saint-Michel, le canyon du Cara-my jouit maintenant d'une certaine protection.

Du fait du changement climatique, on peut craindre l'aggravation de l'aridité estivale, en rapport avec de longues périodes de sécheresse comme celle des années 2003-2007, et donc la multiplication des incendies de forêts, mais aussi l'accentuation de l'intensité des épisodes de pluies intenses. Ces conditions contribueraient à aug-menter encore la part du ruissellement dans les secteurs de type fluvio-karstiques, entraînant une moins bonne recharge des aquifères et une dimi-nution de la ressource en eau en fin d'été.

VI - CONCLUSION

Les recherches spéléologiques effectuées à la Grande Foux de Nans, dans l'aven du Petit-Saint-Cassien, les grottes de Castelette et le réseau Sabre, ont permis de préciser la structu-ration des réseaux souterrains de la Sainte-Baume. De nombreuses études hydrologiques, dont certaines utilisent la Grande Foux comme piézomètre, montrent l'importance et la diversité de fonctionnement des systèmes karstiques du massif de la Sainte-Baume et leur interdépen-dance. Grâce à ces recherches, des captages dans plusieurs émergences ont pu être réalisés, en particulier celui de la Grande Foux pour l'alimen-tation des réseaux de distribution de Nans-les-Pins et du Plan-d'Aups et celui de Font-Alaman pour Nans-les-Pins et son golf. Les pompages dans une des mines noyées de Mazaugues per-mettent de soutenir l'alimentation du Caramy pendant l'étiage estival. Le massif, à l'origine des cours d'eau, est de plus en plus un réservoir géré à la demande. La multiplicité des prélèvements entraîne l'abaissement des niveaux piézométri-ques, la prolongation des étiages et l'allongement des périodes d'assèchement du Cauron. L'impor-tance du réservoir karstique dans un secteur relativement protégé du massif de la Sainte-Baume permet d'assurer les besoins actuels, mais qu'en sera-t-il si, avec le changement climatique, les longues périodes de sécheresse devaient s'aggraver ?

Remerciements : Nous exprimons toute notre vive gratitude à Jean-Joseph BLANC et à Philippe MARTIN pour les documents qu'ils nous ont autorisés à reproduire ainsi qu'à Claude ARNAUD pour les renseignements sur l'alimentation en eau de Rougiers. Nous remercions également la mairie de Nans-les-Pins pour sa collaboration.

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53Études de Géographie Physique, n° XXXIX, 2012

RETOUR SUR L'ÉPISODE HYDROLOGIQUE DU 15 JUIN 2010 DANS LE VAR (FRANCE) :

LE CAS DE LA NARTUBY

par Claude MARTIN (1)

(1) : UMR 7300 "ESPACE" du CNRS, Département de Géographie de l'Université de Nice - Sophia-Antipolis, 98 Boulevard Édouard Herriot, BP 3209, 06204 NICE Cedex 3. Courriel : [email protected]

RÉSUMÉ : Le 15 juin 2010, suite à des pluies très abondantes dans le secteur de Draguignan, la Nartuby a connu une crue violente qui a causé des inondations catastrophiques. Les précipitations journalières (de 6h00 à 6h00 TU) présentent un caractère exceptionnel (plus de 300 mm dans la partie amont du bassin versant), avec des pluies concentrées en une douzaine d'heures. Toutefois les pluies horaires n'ont pas dépassé 50 mm. À Trans-en-Provence, pour un bassin versant de 195 km2, le débit de pointe de crue a certainement avoisiné 350 m3/s. Pour cette station hydrométrique, une version modifiée de la méthode du Gradex indique une période de retour de 300 à 700 ans pour des débits entre 300 et 350 m3/s. Même si ces résultats sont purement indicatifs, la crue de juin 2010 apparaît rare, voire exceptionnelle. Un débit de 250 m3/s, pour lequel la situation deviendrait déjà très sérieuse, aurait une période de retour de 200 ans. Les trois très grandes inondations recensées depuis le XVIème siècle (1674, 1827 et 2010) s'accordent avec les

onnées hydrologiques. d

MOTS-CLÉS : précipitations, crue, inondation, risque, période de retour, département du Var.

ABSTRACT : June 15, 2010, following heavy rains in the area of Draguignan, a violent flood of the Nartuby river caused catastrophic flooding. The daily precipitation (from 6:00 to 6:00 UT) are exceptional (over 300 mm in the upper watershed), with rainfall concentrated in a dozen hours. However, the hourly rainfall did not exceed 50 mm. In Trans-en-Provence, for a watershed of 195 km2, the peak discharge approached certainly 350 m3.s-1. For this gauging station, a modified version of the Gradex method indicates a return period of 300 to 700 years for discharges between 300 and 350 m3.s-1. Although these results are only indicative, the flood of June 2010 appears rare or exceptional. A discharge of 250 m3.s-1 for which the situation would become already very serious, gives a return period of 200 years. The three very large floods known since the fourteenth century (1674, 1827 and 2010) are consistent with the hydrological data.

KEY-WORDS : rainfall, flood, flooding, risk, return period, department of Var.

I - INTRODUCTION

J'ai déjà consacré deux articles aux crues qui ont frappé de département du Var en juin 2010 (C. MARTIN, 2010, 2012). Je reprendrai et complèterai ici une partie de la publication la plus récente, en focalisant le propos sur l'un des bassins versants les plus touchés, celui de la Nartuby.

Cet épisode hydrologique a également fait l'objet d'investigations détaillées de la part des équipes du Retour d'Expérience (REx Var) com-mandité par le Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (CETE, 2011 ; O. PAY-RASTRE et al., 2012). Laissant à ces équipes le

soin de développer certaines investigations, je me suis contenté d'exploiter les données pluvio-métriques et hydrologiques en libre accès sur internet.

II - LES PRÉCIPITATIONS

Sur ce plan, l'épisode correspond à une situation de type cévenol (G. ARTIGUE et al., 2010), comme il s'en produit fréquemment dans la partie occidentale de la façade méditerra-néenne française, mais bien plus rarement en Provence. De telles situations ont une occurrence essentiellement automnale, les épisodes printa-niers étant beaucoup moins nombreux.

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1 ) Hauteurs de pluie et intensités

En 48 heures, du 14 juin à 8h00 au 16 juin à 8h00, le secteur moyen du bassin de l'Argens a reçu des précipitations supérieures à 200 mm (Fig. 1). Les pluies ont été particulièrement abondantes sur les bassins de la Nartuby, de la

Florièye et du Réal, la valeur maximale atteignant 461 mm à Lorgues (395 mm selon un poste amateur). La durée de l'épisode, liée à la stationnarité des processus à l'origine d'averses successives, explique ces hauteurs de pluie très fortes (A. DOUGUÉDROIT, 2012).

Figure 1 - Localisation du terrain d'étude et précipitations au cours de l'épisode (du 14 juin à 8h00 u 16 juin à 8h00). a

Image satellitaire : GOOGLE Earth. Précipitations : Météo-France, CIRAME, observateurs amateurs.

L'essentiel des précipitations est tombé le 15 juin (397 mm aux Arcs, 270 mm à Draguignan, 304 mm à Canjuers… – mesures du 16 juin à 8h00), avec une forte concentration de 11h00 à 19h00 : 338 mm à Taradeau (contre 384 mm pour l'ensemble de l'épisode).

Le 15 juin 2010, Aux Arcs, les pluies horai-res se sont maintenues entre 20 et 50 mm de midi à 22 heures ; à Lorgues, à la station CIRAME (461 mm sur l'épisode), les valeurs horaires maximales ont été enregistrées de 14 à 16 heures : 69 et 79 mm (source : Météo-France –

ht tp : / / pluiesext remes .meteo.fr /2010-06-15/catastrophe-de-draguignan.html). À Taradeau, l'intensité maximale en 60 minutes (valeur glissante) s'est élevée à 69 mm/h à 14h49 et celle en 120 minutes à 56 mm/h à 15h44 (source : site de la station de Daniel SILORET, malheu-reusement maintenant fermée) (cf. C. MARTIN,2010).

Certes, l'épisode s'est produit à un moment de l'année où l'évapotranspiration est déjà forte, mais les conditions hydriques initiales étaient favorables aux écoulements : année 2008-09 très

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arrosée (1253 mm à Taradeau) et année 2009-10 déjà assez pluvieuse (760 mm depuis le 1er sep-tembre ; 110 mm depuis le 1er mai).

2 ) Le caractère exceptionnel des précipitations

Les précipitations du 15 juin 2010 sont les plus fortes jamais enregistrées dans le secteur. Les précédents records étaient, par exemple, de 144 mm depuis 1946 au Luc (août 1983), de 164 mm depuis 1934 aux Arcs (octobre 1957) et de 185 mm depuis 1939 à Comps (6 km au nord de Canjuers – en 1957).

De 1958 à 2009 (source :Météo-France –http://pluiesextremes.meteo.fr/index.php), le ré-seau pluviométrique du Var n'avait enregistré que huit valeurs journalières supérieures à 200 mm : cinq sur la côte ou à proximité immédiate, deux dans l'ouest varois (maximum de 250 mm en janvier 2006) et une à Callas, au sud de Bargemon (207 mm en décembre 1958). Deux seulement de ces valeurs ont été mesurées le même jour (sur le littoral, en octobre 1973).

Les précipitations maximales en 48 heures sur la période 1958-2009 aux stations du Luc (170 mm) et de Draguignan (167 mm) font encore plus ressortir le caractère exceptionnel des pluies du 15 juin 2010.

En utilisant la méthode SHYREG, P. FOUR-MIGUÉ et al. (2011) trouvent une période de retour de l'ordre de 500 ans pour les pluies les plus fortes enregistrées par radar le 15 juin 2010 (lame d'eau Panthère). De son côté, par la loi GEV, A. MARTIN (2011) attribue une période de retour de l'ordre de 300 ans aux 304 mm mesurés le même jour à Canjuers. Dans un cas comme dans l'autre, les valeurs du 15 juin 2010 ont été intégrées à la chronique traitée. On peut douter que cette façon de procéder soit pertinente.

Par une méthode non précisée, mais en intégrant aux données de base la valeur mesurée le 15 juin 2010, P. FOURMIGUÉ et al. (2011) obtiennent, pour le poste Météo-France 24 (Dra-guignan), une période de retour d'une centaine d'années. La plus forte valeur mesurée de 1958 à 2009, soit 167 mm, aurait une période de retour voisine de 15 ans seulement, ce qui n'est guère crédible. On notera cependant que ce traitement donne des périodes de retour de 500 ans environ pour des pluies journalières de 350 mm et

supérieure à mille ans pour des pluies de 400 mm.

Ayant longtemps collaboré aux recherches menées par le Cemagref (récemment devenu l'Irstea) sur le BVRE (Bassin Versant de Recherche et Expérimental) du Réal Collobrier, dans le massif des Maures, je dispose des données du pluviographe du Rimbaud sur la période allant de septembre 1966 à août 2004. À partir de cette chronique, par la loi de GUMBEL,on obtient des précipitations journalières centen-nales de 204 mm et millénales de 263 mm. Or ce poste peut être considéré comme représentatif à l'échelle régionale (précipitations annuelles moyennes de 1090 mm, supérieures à celles du secteur Le Luc - Draguignan ; Pj maximales : 160 mm, de 0h00 à 0h00 en heures d'hiver).

En définitive, il apparaît que les pluies du 15 juin 2010 dans le secteur Draguignan - Lorgues - Les Arcs sont bien plus que centennales. Leur caractère exceptionnel serait du reste encore plus marqué en considérant une durée plus courte que 24 heures. Ce n'est que pour les pluies horaires que les valeurs sont moins remarquables (sans doute, malgré tout, au moins décennales).

III - LA CRUE DE LA NARTUBY

Les branches supérieures de la Nartuby (Fig. 1) prennent naissance sur les hauts plateaux varois (Plans de Canjuers) constitués de calcaires et de dolomies du Lias et du Jurassique. Le bassin culmine à la Montagne de Barjaude, à 1073 m d'altitude. La rivière descend vers un plateau, à 200-300 m d'altitude, où affleurent des calcaires et dolomies du Trias, avant de rejoindre la dépression permienne circum mauresque où elle se jette dans l'Argens, au Muy.

Dans la partie amont du bassin versant, la Nartuby et son affluent la Nartuby d'Ampus, qui confluent en amont de Rebouillon, ont creusé des gorges encaissées. La forme en entonnoir du bassin versant en amont de Rebouillon favorise la concentration rapide des eaux.

Au niveau de Draguignan, la vallée s'évase et prend la forme d'une cuvette. Elle est ici domi-née en rive gauche par le massif du Malmont (551 m). La ville a été construite sur les pentes basses de ce relief et ne s'est véritablement étendue jusqu'au bord de la rivière que dans la seconde moitié du XXème siècle.

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En aval de Draguignan, la vallée se resserre sensiblement, tandis le profil en long présente deux ruptures de pente, la première à Trans-en-Provence même et la seconde en amont de la Motte.

1 ) Déroulement de la crue

Lors de l'épisode, les stations hydromé-triques gérées par la DREAL sur la Nartuby, à Rebouillon et à Trans, ont été détruites. Le déroulement de la crue n'est donc connu que par ce que des témoins en ont relaté. En l'absence de données limnigraphiques, qui auraient été de toute façon bien difficiles à interpréter, les hauteurs d'eau étant bien supérieures aux plus hauts niveaux jaugés, les débits de pointe ont été estimés selon des approches hydrauliques. À cet égard, notons que nos estimations, pour la Nartuby comme pour d'autres cours d'eau, se placent toujours dans la partie basse des four-chettes fournies par le REx Var (O. PAYRASTREet al., 2012).

Comme la Florièye (Taradeau) et le Réal (Les Arcs), après un début d'épisode hydrolo-gique conforme aux fonctionnements habituels, la Nartuby a connu une montée de crue forte et rapide, qui a demandé une trentaine de minutes. Le karst a d'abord joué son rôle habituel modé-rateur, mais après des précipitations supérieures à 150 mm et la saturation de zones de plus en plus étendues, les réponses aux pluies intenses sont devenues très brutales.

À Rebouillon, c'est vers 16h30 que les écoulements sont devenus de plus en plus violents. La perturbation provoquée par le pont joignant le hameau aux résidences de rive droite a entraîné le dépôt des blocs charriés par la rivière (Photo 1). Le courant s'est déplacé en rive gauche, creusant un nouveau lit. Une maison, malheureusement occupée, a été emportée. Le débit de pointe a sans doute dépassé 300 m3/s(bassin de 149 km2).

Photo 1 - La Nartuby au niveau et en aval du pont de Rebouillon en juillet 2010. [cliché : C. MARTIN]

Dans le secteur de Draguignan, le débor-dement de la Nartuby s'est déclenché vers 17h15. De la sortie des gorges de Châteaudouble jusqu'en aval de Draguignan, l'inondation a été spectaculaire, les hauteurs de débordement dépassant localement 2 m, voire 2,5 m. Elle s'est étendue sur toute la partie basse de Draguignan,

touchant la prison, une clinique, une maison de retraite, la médiathèque, la caserne principale des pompiers, de très nombreuses habitations (Photo 2) et commerces. Le lit majeur de la rivière, encaissé de plusieurs mètres, partout relativement étroit, ne pouvait pas évacuer tout le débit. Les ponts ont en outre joué un rôle négatif

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(C. MARTIN, 2010), soit qu'un pilier et des aménagements obstruent en partie le lit (pont vers Lorgues – qui avait déjà posé problème lors de la crue de 1974 : 124 m3/s à Trans, Banque Hydro : www.hydro.eaufrance.fr), soit qu'un tablier hori-zontal empiète sur le lit majeur. Aux ponts routiers s'ajoutent ceux de deux voies ferrées désaffectées dont les remblais forment obstacle. En amont de Draguignan, l'ancienne voie entre Draguignan et Meyrargues a ainsi accentué le

débordement, mais en rive droite, donc sans effet pour la ville. En aval de Draguignan, les restes de la voie joignant Les Arcs et Draguignan (Photos 3) ont en revanche contribué à l'exten-sion de l'inondation dans la zone d'activité com-merciale. Les eaux s'accumulant en amont du pont ferroviaire, le délestage n'a pu se réaliser que lorsque le niveau a atteint une rue traversant le remblai à 200 m environ du pont.

Rue traversant le remblai

Nartuby

Image Google Earth

Source : Bulletin municipal de Draguignan Cliché : C. MARTIN

Photos 2 - Draguignan : un obstacle en aval de la ZAC, l'ancienne voie ferrée.

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Photo 3 - Draguignan : Le lotissement "Les Florentins", dans la partie sud- ouest de la ville. [cliché : Mairie de Draguignan, Éditionspéciale juillet 2010 – site : www.ville-draguignan.fr, onglet "Publications municipales"]

En amont de Trans (bassin de 195 km2), se trouve une portion de vallée régulièrement inondée lors des fortes crues (débits de pointe supérieurs à 50 m3/s). Une zone commerciale et des habitations y ont cependant été construites. Quelques aménagements font en outre de ce secteur un bassin de rétention potentiel : route surélevée en rive gauche, passage des écoule-ments à l'aval sous un pont dont le remblai d'accès ferme la cuvette, passerelle située immé-diatement en aval et en contrebas du pont. Une partie des eaux ayant débordé en rive gauche ont contourné le centre-ville par les quartiers est (Photo 4-a). Mais le cœur du village, au niveau de la rupture de pente qui assure pourtant un écoulement rapide sous des ponts anciens largement calibrés (Photo 4-b), n'a pas été épargné en rive droite. Le fait qu'une l'arche

latérale du Pont Vieux (XVIIème siècle) soit maintenant en grande partie obstruée par des constructions n'a pas été sans conséquences.

À la Motte, le vieux village est en retrait de la rivière, mais des lotissements ont été bâtis à proximité. L'encaissement de la rivière offre ici une section importante aux écoulements, si bien que le pont de la D254 n'a pas été submergé pour un débit de pointe de 350 m3/s environ. Certaines installations en bord de rivière ont cependant été touchées (déversoir de la station d'épuration, centrale hydroélectrique). Le débordement d'un canal d'arrosage a creusé des ravines entre des maisons. Mais surtout, un sapement de berge en rive convexe à provoqué dans la nuit l'effon-drement total ou partiel de deux maisons et la mise en péril de plusieurs autres (Photos 5).

a b

Photos 4 - Trans - a : Inondation en rive gauche à 20h29. b : La Nartuby sous le pont Bertrand à 19h14. [Clichés : Mairie de Trans, L'Écho de Trans, Spécial inondations]

Enfin, au Muy (bassin de 225 km2), les habitations et les commerces en bord de Nartuby ont été inondés. Le pont de la D7 a constitué un élément d'autant plus aggravant qu'il a été obstrué par un mobile-home, des voitures et divers débris.

Les risques d'inondation étaient en grande partie connus (PPR de Draguignan, 2005 ; PPR de Trans-en-Provence, 2005). Mais ce qui a surpris, c'est la brutalité de la montée de crue vers le milieu de l'épisode, après des précipitations qui avaient saturé en partie le bassin versant.

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Photo 5 - La Motte - Sapement de berge au niveau du lotissement "Les hauts de la Nartuby". [cliché : Les Agités de la Motte –site : http://lesagitesdelamotte.unblog.fr]

2 ) Les débits de pointe

Le maintien de précipitations abondantes et intenses pendant une douzaine d'heures a eu pour conséquence des débits de pointe très élevés. Sur le bassin de la Nartuby, les pluies ont été particu-lièrement fortes dans la partie amont. À la station de Canjuers, la première pluie horaire abondante (21 mm) s'est produite entre 12 et 13 h (le total pluviométrique depuis le début de l'épisode avoisinait alors 33 mm), puis se sont succédées des abats horaires de 47 mm (13-14 h), 36 mm (14-15 h), 31 mm (15-16 h), 44 mm (16-17 h) et 42 mm (17-18 h) (A. DOUGUÉDROIT, 2012). Les précipitations ont ensuite diminué, tout en restant supérieures à 10 mm par heure en moyenne jusqu'à minuit. Ainsi, lorsque s'est pro-duite la montée brusque des eaux à Rebouillon, 170 mm avaient déjà été précipités à Canjuers.

Les équipes du REx Var (O. PAYRASTREet al., 2012) ont estimé les débits de pointe en plusieurs points du cours de la Nartuby. Les fourchettes retenues sont de 300-460 m3/s à Rebouillon (bassin de 149 km2), de 400-500 m3/sà Trans (bassin de 195 km2) et de 300-550 m3/sen amont de La Motte (bassin de 209 km2). Si un débit égal ou légèrement supérieur à 300 m3/s me paraît vraisemblable à Rebouillon, une valeur au-dessus de 400 m3/s à Trans me semble excessive. En effet, le pont de La Motte, qui offre à l'écoulement une section de 80 m2, n'aurait certainement pas laissé passer un tel flot, d'autant plus qu'il se trouve immédiatement en amont d'un coude très marqué et qu'il a été en partie obstrué par un arbre pendant la crue. Je retiens, pour La Motte (bassin de 215 km2), un débit de l'ordre de 350 m3/s. Le débit de pointe a peu augmenté entre Rebouillon et La Motte, du fait de l'expansion de la crue dans les zones inondées.

Les valeurs spécifiques des débits de pointe de crue avoisinent 2 m3/s/km2 à Rebouillon et 1,6 m3/s/km2 à La Motte. L'estimation pour Rebouillon, hameau en amont duquel l'expansion des écoulements a été très limitée, montre que si cette crue a été spectaculaire, le karst n'en a pas moins continué à jouer un rôle tampon efficace au plus fort de l'épisode. Pour s'en convaincre, il suffit de considérer que des précipitations de 30 mm/h tombant en continu sont susceptibles d'assurer un débit de 8 m3/s/km2 après saturation totale du bassin versant.

3 ) La période de retour d'un tel épisode

La détermination de la période de retour d'un débit de pointe de crue exceptionnel, ou même rare, est chose délicate, car de nombreux facteurs interviennent qu'il est difficile de prendre en compte au travers d'une période d'observation de quelques décennies.

Beaucoup de méthodes sont disponibles pour le calcul des périodes de retour (M. LANGet J. LAVABRE, 2007). Elles fournissent des résultats très différents, si bien que leur choix n'est pas toujours innocent. Mais l'exercice exige en outre de disposer de données fiables sur les débits de pointe, aussi bien pour la crue considérée que pour les plus forts épisodes annuels de la période servant de base aux calculs, ce qui est loin d'être assuré. Face à ces difficultés, le REx Var est resté extrêmement réservé, se bornant à avancer, pour le débit de pointe du 15 juin 2010 à Trans, une période de retour supérieure à un siècle (P. FOURMIGUÉ et al., 2011 ; O. PAYRASTRE et al., 2012).

Pour la Nartuby, le PPR de Draguignan (2005) utilise la méthode du Gradex : le débit

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moyen journalier vicennal est déterminé par la loi de GUMBEL ; au delà, on considère que toute nouvelle pluie est écoulée ; les débits de pointe de crue références sont ensuite estimés en multipliant les débits journaliers références par la valeur moyenne des rapports entre les débits de pointe et les débits journaliers trouvés pour les plus grosses crues enregistrées. Cette méthode surestime les périodes de retour des événements exceptionnels.

Repartant des résultats de ce document, j'ai recalé les débits références de sorte que le débit de pointe vicennal corresponde à celui fourni par la loi de GUMBEL appliquée aux débits instan-tanés. Par cette approche, le débit instantané centennal à Trans s'établit à 210 m3/s (contre 245 m3/s par la méthode du Gradex non modi-fiée) et le débit millennal à 380 m3/s. La période de retour du débit de pointe de la Nartuby à Trans le 15 juin 2010 (estimé avec beaucoup de prudence entre 300 et 350 m3/s) serait ainsi comprise entre 300 et 700 ans.

Bien sûr, en ajoutant un événement aussi rare, sinon exceptionnel, que celui de juin 2010 à une chronique courte (depuis 1969 à Trans), les périodes de retour se trouveraient sensiblement réduites. Mais la représentativité des résultats ne serait évidemment pas satisfaisante.

Appliquée à la station de Rebouillon, cette méthode donne une période de retour bien supé-rieure. Mais les données apparaissent ici insuffi-santes. D'une part, cette station n'a été ouverte qu'en 1974 et n'a pas enregistré la crue la plus forte mesurée à Trans avant juin 2010 (débit de pointe de 124 m3/s le 3 février 1974). D'autre part, sur la période commune d'observation, le débit maximal à Rebouillon est de 55 m3/s seule-ment (le 7 janvier 1994), contre 98 m3/s à Trans (le 15 février 1988). Enfin, la relation entre les débits de pointe annuels à Trans et à Rebouillon n'est pas très étroite (coefficient de corrélation linéaire de 0,72), ce qui laisse supposer des problèmes de mesure, sans doute plus fréquents à Rebouillon, où les risques de dépôt et d'affouil-lement sont évidents.

Pour compléter l'analyse, une réflexion s'im-pose : le 15 juin 2010, les débordements sérieux ont débuté bien avant que le débit maximal ait été atteint. Pour un débit de 250 m3/s à Trans, pour lequel la situation à Draguignan et à Trans deviendrait certainement déjà très préoccupante, la période de retour serait de 200 ans.

Si l'on aborde le sujet sous l'angle des préci-pitations, des pluies journalières de 200 mm, nécessaires pour déclencher une montée de crue brutale, ont une période de retour d'une centaine d'années (GUMBEL). Mais pour reproduire les conditions du 15 juin 2010, il faut en outre une forte concentration dans le temps (moins de 12 heures) et des intensités élevées vers la fin de l'épisode, ce qui rapproche du résultat obtenu par les débits.

3 ) Les crues historiques

L'étude des archives a permis de dénombrer plusieurs grosses crues de la Nartuby depuis le XIVème siècle (J. PÉLISSIER, 2011). Toutefois deux seulement peuvent être comparées à celle du 15 juin 2010.

La première s'est produit les 16 et 17 novembre 1674 (livre de raison du consul Pierre LAUGIER, in R. BOYER et al., 2001). Les préci-pitations semblent avoir touché tout le bassin versant. Très violentes, à caractère orageux, elles ont duré près de 22 heures, à partir du 16 vers 8-9 heures. Avec des hauteurs d'eau de 4 à 6 m, la Nartuby sort de son lit en amont et au niveau de Draguignan, la hauteur d'eau dans les zones inondées pouvant atteindre 1,75 m. En amont de Draguignan, elle détruit le pont de la Granégone, change de lit et charrie des arbres déracinés et des blocs parfois énormes ("200 quintaux environ"). Comme en 2010, la crue est renforcée par les eaux abondantes qui dévalent le Malmont (ruisseau de la Riaille). En aval de Draguignan, des oliviers sont arrachés. À Trans, le pont est emporté, tandis que le lit s'approfondit de 10-12 m au niveau d'un pré (érosion régressive dans la partie amont de la rupture de pente ?), ce qui provoque le recul des berges de 12 à 14 m. Partout, comme ce sera aussi le cas en 1827 et en 2010, la Nartuby laisse dans les zones inondées des quantités considérables de sédiments. Bien que la façade d'une maison de Trans se soit effondrée, cette crue ne fait aucune victime, les zones les plus touchées n'étant pas habitées.

La seconde est celle du 6 juillet 1827 (P.J. GAYRARD, 2010), à la suite d'un orage de type convectif localisé sur le haut bassin versant. Selon un témoin anonyme, le pont romain de la Granégone est emporté (y avait-il deux ponts en ce lieu en 1674 ? ou le pont de 1827 est-il le même, après réparation, que celui de 1674 ?). À Trans, le parapet du "Pont Vieux" (construit après 1674) est endommagé et une maison est

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engloutie avec ses occupants. Du fait de la localisation de l'orage très en amont et de la brutalité de la montée de crue suite à des pluies extrêmement violentes, la crue surprend en aval les travailleurs dans les champs. Cet événement est plus court que ceux de 1674 et de 2010 : l'orage se produit vraisemblablement dans l'après-midi et il est noté que les personnes réfugiées dans les arbres peuvent s'échapper à la nuit. Au total, six personnes perdent la vie. Dans des conditions d'occupation du milieu bien différentes, la crue de 2010 sera plus meurtrière : C. MOULIN et al. (2011) font état de 17 victimes dans le bassin de la Nartuby.

Par rapport à 2010, l'occupation du milieu était très différente en 1674 et en 1827. D'une part, la forêt était certainement moins étendue. D'autre part, il n'y avait pas, en bordure de rivière, toutes les constructions qui, en cas d'inondation, limitent aujourd'hui la vitesse des écoulements sur les berges. Ce que l'on sait des hauteurs d'eau ne peut donc pas être facilement interprété. Du même type "cévenol" que l'épisode de 2010, celui de 1674 semble avoir occasionné une montée des eaux légèrement plus faible dans les zones inondées au niveau de Draguignan. Mais il est impossible de se prononcer sur les débits. Quant à la crue de 1827, elle a provoqué, au cœur de Trans, une montée des eaux au moins égale, et vraisemblablement un peu supérieure, à ce qui s'est passé en 2010, alors même que les conditions sont sans doute actuellement moins favorables au passage des écoulements sous le Pont Vieux (l'arche latérale étant maintenant presque totalement obstruée). Toutefois, lors du récent épisode, du fait de différents aména-gements, une partie des écoulements a contourné le centre du village sans emprunter le lit de la rivière.

V - CONCLUSION

Les précipitations du 15 juin à Canjuers et à Draguignan ont été beaucoup moins abondantes qu'à Lorgues, Les Arcs et Taradeau, mais cet épisode n'en présente pas moins sur le bassin de la Nartuby un caractère exceptionnel pour les précipitations journalières (au moins pluri-centennales) et plus encore pour les précipitations en 12 heures, durée pendant laquelle s'est concen-tré l'essentiel de l'épisode. En comparaison, les pluies horaires sont restées relativement modes-tes : jusqu'à 47 mm à Canjuers et 37 mm à Draguignan. Mais les abats horaires à Canjuers ont dépassé 30 mm de 13 heures à 18 heures.

En ce qui concerne les débits de pointe de crue, la période de retour ne peut être estimée que pour la station hydrométrique de Trans. Cette station se trouve à l'aval de zones d'expansion qui ont laminé la crue, mais le maintien de pluies intenses sur une longue période a certainement minimisé cet effet pour la valeur maximale du débit. En utilisant une version modifiée de la méthode du Gradex, la période de retour s'établit entre 300 et 700 ans, pour un débit de 300 à 350 m3/s. Certes, il ne faut pas faire dire à ces résultats plus qu'ils ne peuvent signifier, mais le caractère exceptionnel de l'épisode ne saurait être contesté.

Par cette même méthode du Gradex modi-fiée, un débit à Trans de 250 m3/s, qui provo-querait déjà de sérieuses inondations, aurait une période de retour de 200 ans.

Les études historiques, qui recensent deux autres grosses crues depuis le XIVème siècle (1674 et 1827), n'infirment pas ces résultats.

Remerciements : Je suis reconnaissant à la Mairie de Draguignan, à celle de Trans-en-Provence et à l'association "Les Agités de La Motte" de m'avoir autorisé à puiser dans leur fonds photographique.

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