Etude glottochronologiqu de neuf langue Pañs o

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André Marcel D'Ans Etude glottochronologique de neuf langues Paño Remerciements Au cours de ees trois années passées au Pérou, nous-méme et l'intérét que nous portons aux langues et aux populations d'Amazonie n'avons cessé d'étre entourés de symphatie. Au premier rang de ceux qui la manifestérent figurent nos étudiants du Département de Linguistique de l'Universidad Nacional Mayor de San Marcos, dont le désir d'apprendre fut pour nous une incitation constante á mieux leur enseigner. La plus grande partie du matériel utilisé dans cette étude provient d'enquétes sur le terrain réalisées par nous en compagnie des éléves-assistantes Clotilde Chavarria, Nilda Guillén et Els Van den Eynde; ce travail est done aussi en partie le leur, comme de tous ceux qui participérent á notre cours de glottochronologie de ce premier semestre de 1972. Par ailleurs, la bienveillance des autorités a rendu possible, ees derniéres années, l'exécution d'enquétes nombreuses, difficiles et coúteuses. Ce travail est done redevable également au Dr. Teodoro Meneses, chef du Département de Linguistique, toujours disposé á favoriser nos travaux de terrain, á la Dra. Inés Pozzi-Escot, Directrice du Centre de Recherches en Linguistique Appliquée de l'Université San Marcos, et aux autorités de la Dirección General Forestal, de Caza y Tierras du Ministére de l'Agriculture. Ce sont ees deux derniers organismes qui ont financé les voyages de nos étudiants et de nous-méme, notamment dans le cadre d'un contrat entre l'Université et le Ministére de l'Agriculture, en application duquel l'auteur assure la direction du Programme Anthropologique du Pare National du Manu. Enfin, la liste serait illimitée de ceux qui nous ont prété sur le terrain une assistance qui, pour modeste qu'elle püt apparaítre parfois, fut toujours pour nous de la plus grande importance. Nous exprimerons ici une gratitude toute particuliére á nos informateurs de tant de tribus indiennes. Par leur patience, leur dévouement, leur aide inconditionnelle dans une táche qui devait parfois cependant leur paraítre étrange, par leur hospitalité, leur tolérance et l'amitié qu'ils nous témoignérent, ils nous ont beaucoup appris, bien au delá de ce qu'ils ont pu nous enseigner de leurs langues. Presentation du materiel Les neuf langues étudiées ici sont présentées et numérotées selon un ordre établi a priori au début de l'étude et qui répondait á un critére géographique: si l'on peut considérer que ees langues sont disposées en are de cerele, elles seraient énumérées ici en suivant leur séquence, depuis l'ouest jusqu'au sud-est: 1. Cashibo 2. Panavarro 3. Shipibo 4. Capanahua 5. Amahuaca 6. Isconahua 7. Cashinahua 8. Yaminahua

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André Marcel D'Ans

Etude glottochronologique de neuf langues Paño

Remerciements Au cours de ees trois années passées au Pérou, nous-méme et l'intérét que nous portons

aux langues et aux populations d'Amazonie n'avons cessé d'étre entourés de symphatie. Au premier rang de ceux qui la manifestérent figurent nos étudiants du Département de Linguistique de l'Universidad Nacional Mayor de San Marcos, dont le désir d'apprendre fu t pour nous une incitation constante á mieux leur enseigner. La plus grande partie du matériel utilisé dans cette étude provient d'enquétes sur le terrain réalisées par nous en compagnie des éléves-assistantes Clotilde Chavarria, Nilda Guillén et Els Van den Eynde; ce travail est done aussi en partie le leur, comme de tous ceux qui participérent á notre cours de glottochronologie de ce premier semestre de 1972.

Par ailleurs, la bienveillance des autorités a rendu possible, ees derniéres années, l 'exécution d'enquétes nombreuses, difficiles et coúteuses. Ce travail est done redevable également au Dr. Teodoro Meneses, chef du Département de Linguistique, toujours disposé á favoriser nos travaux de terrain, á la Dra. Inés Pozzi-Escot, Directrice du Centre de Recherches en Linguistique Appliquée de l'Université San Marcos, et aux autorités de la Dirección General Forestal, de Caza y Tierras du Ministére de l'Agriculture. Ce sont ees deux derniers organismes qui ont financé les voyages de nos étudiants et de nous-méme, notamment dans le cadre d'un contrat entre l'Université et le Ministére de l'Agriculture, en application duquel l 'auteur assure la direction du Programme Anthropologique du Pare National du Manu.

Enfin, la liste serait illimitée de ceux qui nous ont prété sur le terrain une assistance qui, pour modeste qu'elle püt apparaítre parfois, fut toujours pour nous de la plus grande importance. Nous exprimerons ici une gratitude toute particuliére á nos informateurs de tant de tribus indiennes. Par leur patience, leur dévouement, leur aide inconditionnelle dans une táche qui devait parfois cependant leur paraítre étrange, par leur hospitalité, leur tolérance et l'amitié qu'ils nous témoignérent, ils nous ont beaucoup appris, bien au delá de ce qu'ils ont pu nous enseigner de leurs langues. Presentation du materiel

Les neuf langues étudiées ici sont présentées et numérotées selon un ordre établi a priori au début de l 'étude et qui répondait á un critére géographique: si l 'on peut considérer que ees langues sont disposées en are de cerele, elles seraient énumérées ici en suivant leur séquence, depuis l'ouest jusqu'au sud-est:

1. Cashibo 2. Panavarro 3. Shipibo 4. Capanahua 5. Amahuaca 6. Isconahua 7. Cashinahua 8. Yaminahua

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88 9. Sharanahua Certaines de ees langues ont fait l 'objet d'études approfondies de la part de notre

équipe de recherche: Panavarro, Shipibo, Amahuaca, Yaminahua. Les cinq autres

(Cashibo, Capanahua, Isgonahua, Cashinahua et Sharanahua) n'ont été vues qu'au travers d'une enquéte lexicale relativement breve, juste suffisante pour réunir un vocabulaire comparatif d'environ 600 entrés et définir les grands traits de la phonologie.

Le Cashibo est parlé par quelques communautés établies á l'ouest de Pucallpa sur le Haut-Aguaytia et aux sources d 'affluents occidentaux du Pachitea (S9° W75°30'). Les différents groupes cashibo sont linguistiquement différenciés et semblen! pouvoir étre répartis en trois subdivisions dialectales. L'intercompréhension aisée de dialecte á dialecte ne semble cependant pas compromise. Nos informateurs pour la présente étude provenaient du village de Puerto Azul, sur le Haut-Aguaytia.

Panavarro est un nom nouveau que nous avorts donné á la langue paño, dont un dictionnaire de 3000 termes fut recueilli, á la fin du siécle dernier par le RP Manuel Navarro. Ce dictionnaire, remarquable entre toute la littérature linguistique missionnaire par l 'abondance et la qualité du matériel qu'il présente, fut récemment réédité par nos soins (d'Ans 1970). lili inventant le terine panavarro, nous avons voulu, non seulement rendre un juste hommage á l'auteur de ce dictionnaire, mais aussi éviter les continuelles confusions qui trouvent leur origine dans l'emploi d'un méme terme (ici: paño) pour désigner une famille linguistique et une des langues qui la composent. Dorénavant done, le terme paño ne sera plus utilisé par nous que pour nous référer á la famille. D'autre part, la

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89 langue décrite par le RP Manuel Navarro n'est toujours pas formellement identifiée. Peut-étre s'agit-il d 'une langue morte. Les documents missjonnaires du début du siécle (lzaguirre 1922-9) localisent le panavarro entre l'Ucayali et le Cushiabatay (S7°20' W75 20'), mais leurs cartes mentionnent á cet endroit "Panos ou Setebos", ce qui laisserait penser que la langue panavarro pourrait étre confondue avec le Shetebo. Ceci est cependant démenti par Olive Shell (1965), qui mentionne une langue wariapano dont elle aurait recueilli un lexique et qu'elle identifie avec le paño de Navarro et de Tessmann. Comme la bibliographie moderne tant au sujet du Shetebo que du wariapano est absolument inexistante et que nous n'avons encore pu entrer en contact personnel avec aucun usager de ees deux langues, nous avons opté pour l'utilisation puré et simple du dictionnaire du RP Navarro, d 'autant plus que, á condition de restituer la transcription phonétique (ce qui est relativement aisé), cette source ancienne fournit un matériel certainement aussi sur que la plupart des lexiques modernes recueillis fá et la par des linguistes plus ou moins entrainés.

Le Shipibo est parlé dans une centaine de villages répartis le long de l'Ucayali et des cours inférieurs de ses affluents, depuis l 'embouchure du Pachitea au sud, jusqu'aux environs de Requena au nord. U s'agit d 'une des ethnies amazoniennes les plus n o m b r e u s e s du Pérou. Avec les Conibo (parlant une langue permettant l ' intercommunication avec les Shipibo) qui prolongent au sud l'occupation des rives de l'Ucayali jusqu'aux environs du lOe paralléle, ils doivent former une population d'environ 25.000 ames. Nos informateurs pour le shipibo furent des membres de la communauté de San Francisco, sur les bords de la lagune de Yarinacocha, au nord-ouest de Pucallpa (S8°15' W74°40').

Le Capanahua est la langue que parlent les membres d'une tribu établie sur les fleuves Tapiche et Buncuya (S7° W74°30'); leur nombre n'excéde pas un demi-millier d'individus. Nos informateurs provenaient du village d'Aypena, sur le Buncuya.

L'Amahuaca est la langue d 'une multitude de petits groupes tribaux s'identifiant chacun par des noms terminés en -wo? et en -náwa?. Ces groupes vivaient traditionnellement sur une large zone englobant les hauts cours des affluents de droite du Bas-Urubamba et du Haut-Ucayali. On en trouve trace au Brésil jusqu'au Tarauacá. Nos informateurs provinrent de deux endroits fort distants l'un de l'autre: d 'une part la mission catholique de Sepahua ( S l l ° W73°), d'autre part d 'un village établi sur le Bas-Pariamanu (S12 20' W69 20'). Malgré cette distance et une séparation historique d'au moins deux générations, la langue ne présente pratiquement aucune diversification interne. Remarquons enfin que le terme "amahuaca" est complétement étranger aux usagers de cette langue. U s'agit done d'une dénomination imposée du dehors mais qui, contrairement á ce qui est hélas courant en de tels cas, ne comporte aucune connotation péjorative; il n'est done point d'inconvénient á conserver le terme, en l'occurence.

L'Isconahua est la langue parlée par une vingtaine d'indiens se présentant comme les derniers membres de leur ethnie. Ils vivent actuellement sur le Bas-Callería (S8 W74 20') oü ils ont été replacés par des missionnaires évangélistes, ceux-ci les ayant convaincu de quitter le territoire oü ils se trouvaient, aux sources de l 'Otoquinia, á la frontiére du Pérou et du Brésil (S8° W73°45'). Le petit nombre de locuteurset la proximité d 'un important village shipibo sont deux facteurs qui font que l'isconahua doit étre considéré comme étant en voie de disparition irrémédiable et rapide. Les traditions contées par les anciens de la tribu ne sont qu'une longue complainte relatant l'agonie de celle-ci. Les récits de tueries effectuées "par les Brésiliens" et des guerres désastreuses menées par les Isconahua contre les Cashinahua et Yahuanahua font penser que le point d'origine de la tribu pourrait se trouver beaucoup plus á l'est ou au sud-est, en territoire brésiljen. Les

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90 Isconahua sont parfois considérés comme étant un sous-groupe des "Remos" , mais ce dernier terme est inconnu des Isconahua eux-mémes!

Le Cashinahua est ia langue d'une importante tribu représentée au Pérou sur le Haut-Purús, mais qui occupe aussi un vaste territoire s'étendant á l'intérieur du Brésil sur les hauts cours de l'Embira, du Tarauacá et probablement du Libertade. Nos informateurs provenaient respectivement du Purús péruvien (S10 W 7 1 2 0 ' ) et du Tarauacá brésilien (S9° W71°30'). Ici comme en amahuaca, la langue ne presente aucune variation interne en dépit de la distance séparant les sous-groupes de locuteurs.

Le Yaminahua est parlé actuellement sur le Purús péruvien par quelques dizaines d'individus descendus, il y a une quinzaine d'années, de la région des sources du Purús et de l'Embira. Dans la situation actuelle, les Yaminahua vivent en symbiose avec d'autres ethnies, dont les Sharanahua. Leurs langues, bien que différenciées, sont mutuellement intelligibles, comme elles le sont l'une et l'autre avec le chaninahua, le mastanahua et le marinahua. Sur le Purús péruvien, c'est cetté derniére ethnie qui semble jouir du plus haut prestige. Le dialecte marinahua tend en effet á s'imposer pour l ' intercommunication entre les divers groupes mentionnés ci-dessus. M e t h o d e u t i l i sée

Bien que disposant du matériel nécejsaire pour effectuer l 'étude sur la base de la liste de 200 mots de Swadesh, nous avons préféré utiliser Ta liste "cour te" de 100 mots. La liste "Longue", en effet nous parait présenter une série de termes fort discutables et dont l 'inadéquation par rapport á la réalité écologique et socio-culturelle des peuples de langue paño nous a paru étre de nature á fausser les résultats de la recherche. Comme Índice de rétention de lexémes, nous avons done adopté r = 0.86, c'est-á-dire qu 'on postule que, de cette liste de 100 termes, 86 sont statistiquement conservés aprés un millénaire dans une langue donnée, avec le méme sens, mais évidemment avec des modifications de forme.

Lors de la comparaison des listes, la détermination des cognats a été faite avec la plus grande tolérance. Ceci revient á diré que les totaux de cognats et leurs traductions en pourcentages sont les plus élevés qu 'on puisse obtenir sur la base de nos listes et que done les dates probables de séparation de nos langues doivent étre considérées comme les plus basses.

Cette tolérance dans l'acceptation des cognats s'est manifestée sur deux plans:

1. D'une part, chaqué fois que plus d'un terme apparait dans une liste comme traduction d'un seul item (soit que ees deux termes fussent considérés comme synonimes absolus par nos informateurs, soit que, la liste ayant été recueillie indépendamment de nous (en Panavarro), deux termes ou plus traduisent le méme item), chacun de ees deux termes a été considéré comme réponse unique possible, donnant ainsi lieu á une double détermination de cognats, dans le sens de l'un et l'autre terme. Exemple:

"Té te" en yaminahua se traduit librement par bápó et par wosra. Pour cet ítem, le yaminahua a été compté cognat aussi bien avec le panavarro et le cashinahua (boská, bófka), qu'avec des formes telles que mápo, mapo?, bápo, mbápó, ceux-ci étant évidemments cognats enlre eux, maií non-cognats par rapport á la série wós?a, boská, buska.

2 D'autre part, spécialement dans le vocabulaire des parties du corps et dans les radicaux verbaux, les langues paño montrent clairement les traces d'un état monosyllabique. Ces racines monosyllabiques, dont le sémantisme est presque toujours évident, n 'ont pourtant plus aucune áutonomie dans la synchronie. Néanmoins, il n'était pas concevable de n'en

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91 pas teñir compte dans une étude de type historique. Ont done été déclarés cognats tous les termes présentant en commun une de ees racines monosyllabiques, pour autant que l'on püt déterminer que le sens de cette racine coincide avec celui qui est indiqué á l'item de la liste. Exemple:

"*ra- étant clairement la racine monosyllabique associée au sens "genou", les termes de la série ra-boso, ra-boso, rábofo ont été considérés comme cognats des termes rá-toko, ran-tonkór, ra-toxqo, rá-toko, rá-toro et rá-toko bien que, évidemment, aucune correspondance réguliére ne puisse étre invoquée pour les segments *-boxo et *-toko. Dans le méme ordre d'idées, pour reprendre l'exemple précédent, le cashibo ma-ska

" t é t e" a été considéré cognat non seulement avec les termes de la série *ma-po (sur la base du monosyllabe *ma-), mais aussi avec les termes de la série *bo-xka (sur la base de

xka). Exposé des résultats

Les résultats de notre étude sont exposés en six tableaux. On trouvera d'abord les Tableau 1

Totaux des cognats/nombre de paires testées 1. 2. S. 4. 5. 6. 7. 8. 9.

1. CASHIBO 68/99 66/100 71/100 58/100 59/98 60/100 60/100 59/100 2. PANAVARRO 68/99 79/99 77/99 72/99 66/97 68/99 70/99 69/99 S. SHIPIBO 66/100 79/99 85/100 68/100 71/98 71/100 72/100 73/100 4. CAPANAHUA 71/100 77/99 85/100 70/100 66/98 71/100 73/100 73/100 5. AMAHUACA 58/100 72/99 68/100 70/100 62/98 70/100 71/100 72/100 6. ISCONAHUA 59/98 66/97 71/98 66/98 62/98 63/98 70/98 70/98 7. CASH1NAHUA 60/100 68/99 71/100 71/100 70/100 63/98 73/100 71/100 8. YAMINAHUA 60/100 70/99 72/100 73/100 71/100 70/98 73/100 98/100 9. SHARANAHUA 59/100 69/99 73/100 73/100 72/100 70/98 71/100 98/100

totaux des termes cognats que chaqué langue présente vis-á-vis de chacune des autres (Tableau 1). Comme les listes isconahua (98 items traduits) et panavarro (99 items traduits) sont incomplétes, c e r t a i n s t o t a u x n e correspondent pas á 100 paires testées, mais á 97, 98 ou 99 selon les cas. Ceci nous a obligés á recalculer les pourcentages exaets, qu 'on trouvera au Tableau 2, qui nous donne la valeur exacte de C pour l'application de la formule t = ln C/2 ln r. Le Tableau 3 nous donne les résultats de l'application de cette formule, c'est-á-dire,

Tableau 2 Valeurs de C (1 = 100%de Cognats)

l 2 9 4 5 6 7 8 9 1. CASHIBO 0.686 0.660 0.710 0.580 0.602 0.600 0.600 0.59q, 2. PANAVARRO 0.686 0.798 0.778 0.734 0.680 0 6 8 6 0.707 0.697

S. SHIPIBO 0.660 0.798 0.850 0.680 0.724 0.710 0.720 0.730

4. CAPANAHUA 0.710 0.778 0.850 0.700 0.67S 0.710 0 .730 0.750

i AMAHUACA 0.580 0.7.14 0 680 0.700 0.6S2 0 700 0 710 0 720

A ISCONAHUA 0 602 1) .680 U 724 0 6 / 1 (1 612 0 843 0 714 0 714 7 CASHINAHUA 0.600 0.687 0.710 0.710 0.700 0 643 0 730 0.710 8 YAMINAHUA 0.600 0.707 0.720 0 750 0.710 0.714 0.730 0 980

9. SHARANAHUA 0.590 0.697 0.730 0.730 0.720 0.714 0.710 0.980

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92 calculée en millénaires, la date de séparation la plus probable des langues entre elles.

II n'est pas inutile de rappeler que ees datations ont une valeur purement statistique; elles ne d o i v e n t d o n e pas é t r e

Tableau 3 pr i ses au p ied de la l e t t r e e t il Calcul de t sur la base de C (1 = 1000 ans) c o n v e n a i t de les co r r ige r pa r

le calcul de l'écart probable. Cet écart est calculé á partir de la valeur de C (donnée au tableau 2) par la formule o = V C.( 1 —C)/n (n étant égal au nombre de paires testées), qui nous donne un écart-type á ajouter et á soustraire de la valeur de C, de fa^on á o b t e n i r une " fourche t te" statistique á 70% de degré de

•confiabilité. Le Tableau 4 nous montre les résultats du calcul de cet écart-type et établit

1. CASIIIBO 1,248 1,344 1,132 1.804 1 .<>82 1.685 1,1)85 1.748

:. PANAVARRO 1.248 0,748 0,831 1,023 1,278 1.248 1,146 1.196

i . SH1PIBO 1.344 0,748 0,539 1.278 1,069 1,132 1.089 1.043

4. CAPANAHUA 1,132 0,831 0,539 1,182 I 1,308 1,132 1.043 1.043

5. AMAHUACA 1.804 1,023 1,278 1,182 l ,SIV 1,132 1,089

6. ISCONAHUA 1,682 1,278 1,069 1,308 1,519 1,460 1,152 1.152

7. CASHINAHUA 1,685 1,24) 1,132 1,132 1,182 1,460 1,043 1.132

8. YAMINAHUA 1.685 1,146 1,089 1,043 1,132 1,152 0.066

9. «SHARANAHUA 1,748 1,196 1,043 1.043 1,089 1,152 0,066

Tableau 4 Valeurs de o, et de (C + a ) , (C - o ) . (1 = 1 0 0 ®

I 2 3 4 5 b 7 8 9 1. CASH1BO 0 0 4 7

0 . 7 3 3 - 0 . 6 3 9 0 . 0 4 8

0 . 7 0 8 - 0 . 6 1 2 0 0 4 5

0 755 0 . 6 6 5 0 . 0 4 9

0 . 6 2 9 0 .531 0 . 0 4 9

0 . 6 5 1 - 0 . 5 5 3 0 . 0 4 9

0 . 6 4 9 0 . 5 5 1 0 . 0 4 9

0 . 6 4 9 0 . 5 5 1 0 . 0 4 9

0 . 6 3 9 0 .541

2. P A N A V A R R O 0 . 0 4 7 0 . 7 3 3 0 . 6 3 9

0 . 0 4 0 0 . 8 3 8 - 0 . 7 5 8

0 . 0 4 2 0 8 2 0 - 0 . 7 3 6

0 . 0 4 4 0 . 7 7 8 0 . 6 9 0

0 0 4 8 0 . 7 2 8 - 0 . 6 3 2

0 . 0 4 7 0 . 7 3 3 0 . 6 3 9

0 0 4 6 0 . 7 5 3 - 0 . 6 6 1

0 . 0 4 6 0 . 7 4 3 0 . 6 5 1

3. S I I IPIBO 0 . 0 4 8 0.7 OH 0,61

0 . 0 4 0 0 . 8 1 8 0 . 7 5 8

0 . 0 3 6 O.BNliO.HM

0 . 0 4 7 0 . 7 2 7 O.uH »

0 . 0 4 5 0.7611 0.1.79

0 . 0 4 5 0 . 7 5 5 0 . 6 6 5

0 . 0 4 5 0 . 7 6 5 0 . 6 7 5

0 . 0 4 4 0 774 0.OH6

4. C A P A N A H U A 0 . 0 4 3 0 . 7 5 5 - 0 . 6 6 5

0 . 0 4 2 0 . 8 2 0 0 . 7 3 6

0 . 0 3 6 0 . 8 8 6 - 0 8 1 4

0 . 0 4 6 0 . 7 4 6 0 . 6 5 4

0 . 0 4 7 0 . 7 2 0 - 0 . 6 2 6

0 0 4 5 0 . 7 5 5 0 . 6 6 5

0 . 0 4 4 0 . 7 7 4 0 . 6 8 6

0 . 0 4 4 0 . 7 7 4 - 0 . 6 8 6

5 . A M A H U A C A 0 . 0 4 9 0 . 6 2 9 0 . 5 3 1

0 . 0 4 4 0 , 7 7 8 - 0 . 6 9 0

0 . 0 4 7 0 . 7 2 7 - 0 . 6 3 3

0 . 0 4 6 0 . 7 4 6 - 0 . 6 5 4

0 . 0 4 8 0 . 6 8 0 - 0 . 5 8 4

0 . 0 4 6 0 . 7 4 6 0 . 6 5 4

0 . 0 4 5 0 . 7 5 5 0 . 6 6 5

0 . 0 4 5 0 . 7 6 5 0 . 6 7 5

6 . I S C O N A H U A 0 . 0 4 9 0 .651 0 . 5 5 3

0 . 0 4 7 0 . 7 3 3 - 0 . 6 3 9

0 . 0 4 5 0 . 7 6 9 - 0 . 6 7 9

0 . 0 4 7 0 . 7 2 0 - 0 . 6 2 6

0 . 0 4 8 0 . 6 8 0 0 . 5 8 4

0 0 4 8 0 . 6 9 1 0 5 9 5

0 . 0 4 5 0 . 7 5 9 0 . 6 6 9

0 . 0 4 5 0 . 7 5 9 0 . 6 9 9

7. C A S I I I N A U A 0 . 0 4 9 0 . 6 4 9 0 . 5 5 1

0 . 0 4 6 0 . 7 5 3 0 .661

0 . 0 4 5 0 7 5 6 - 0 . 6 6 5

0 . 0 4 5 0 7 5 5 - 0 . 6 5 5

0 . 0 4 6 0 . 7 4 6 - 0 . 6 8 4

0 . 0 4 8 0 6 9 1 0 . 5 9 5

0 . 0 4 4 0 . 7 7 4 0 . 6 8 6

0 1145 0 7 5 5 0 . 6 b 5

8. Y A M I N A H U A 0 . 0 4 9 0 . 6 4 9 0 .551

0 . 0 4 6 0 . 7 5 3 - 0 . 6 6 1

0 . 0 4 5 0 . 7 6 5 0 . 6 7 5

0 . 0 4 4 0 . 7 7 4 0 . 6 8 6

0 . 0 4 5 0 . 7 5 5 0 . 6 6 5

0 . 0 4 5 0 . 7 5 9 0 . 6 6 9

0 . 0 4 4 0 . 7 7 4 - 0 . 6 8 6

0 . 0 1 4 0 . 9 9 4 0 . 9 6 6

9 S H A R A N A H U A 0 . 0 4 9 0 . 6 3 9 0 . 5 4 1

0 . 0 4 6 0 . 7 4 3 - 0 . 6 5 1

0 . 0 4 4 0 . 7 7 4 0 . 6 8 6

0 . 0 4 4 0 . 7 7 4 - 0 . 6 8 6

0 . 0 4 5 0 . 7 6 5 0 . 6 7 5

0 . 0 4 5 0 . 7 5 9 0 . 6 6 9

0 . 0 4 5 0 . 7 5 5 - 0 . 6 6 5

0 . 0 1 4 0 . 9 9 4 0 . 9 6 6

pour chaqué cas la fourchette de pourcentages qui permettront, par de nouvelles applications de la formule t=ln C/2 ln r, d'établir les dates máximum et mínimum de séparation á 70% de degré de confiabilité.

Cette nouvelle fourchette, de datations, cette fois, est présentée dans le Tableau 5. Enfin, le Tableau 6 montre la conversión des dates obtenues aux tableaux 3 et 5 en unités "dips", qui présentent l'avantage d'exprimer en nombres plus simples la profondeur relative de séparation des langues dans le temps et de ne pas se préter directement á une transposition historique hátive et abusive des résultats glottochronologiques.

I n t e r p r e t a t i o n de s r é s u l t a t s Ce qui attire d'abord l 'attention, ce ^>nt les dates tres basses de séparation du

Yaminahua et du Sharanahua (19-116 ans, 0-1 dip). Conventionnellement, on considere

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93 en glottochronologie que des dates probables de séparation inférieures a 0.5 millénaiie (ou 7 dips) indiquent que Ies deux parlers analysés sont des dialectes d'une niéme langue p e r m e t t a n t u n e intercompréhension plus ou moins complete entre leurs usagers. Cette interprétation c o n v i e n t en l'occurence, puisque nous savons que Yaminahua et Sharanahua partagent le méme habitat ( s u r l e R i o P u r ú s ) , communiquent entre eux en u t i l i s a n t l e u r s dialectes respectifs et .cohabitent á un point tel que les mariages inter-tribaux sont monnaie c o u r a n t e . Yaminahua et Sharanahua ne sont done que deux dialectes d'une langue que nous appellerons

Pano-Purús et qui, outre les d e u x d i a l e c t e s c i t é s , comprend sans doute le marinahua, le chaninahua, le mastanahua et probablement auss i le Yahuanahua et d'autres dialectes parlés au Brésil.

Remarquables également sont les dates tres basses de séparation que présentent entre eux le shipibo, le capanahua et le panavarro. Dans le tableau 3, par exemple, ees trois langues sont les seules á présenter entre elles une date probable de séparation inférieure á un m i l l é n a i r e . Un p remie r

groupement est done suggéré ici. Comme la position géographique de ees langues se caractérise par une proximité particuliére par rapport á l'Ucayali, nous proposons de les considérer comme constituant un groupe ucayalien.

L'examen des datations du cashibo va nous fournir une justification complémentaire de ce groupement. Le cashibo est interéssant á plus d'un titre: par sa position géographique excentrique d'abord (les Cashibo étant les seuls Paño occidentaux ou pré-cordillérains), et par le fait que c'est la langue qui - tres nettement - présente vis-á-vis des autres les dates de divergence les plus élevées. La date probable de séparation du cashibo par rapport aux langues du groupe ucayalien est de 11-13 siécles, alors qu'elle est de 17-18 siécles par rapport á toutes les autres langues que, vu leur position

Tableau 5 Valeurs de t sur base de (C - O), (C + a)

I PANAVARHU I.STI II.940

4. CAPANAHUA

5. AMAHL ALA

6 ISCONAHl 'A

7 C A S H I N A H l A

8 YAMINAHUA

9. S H A R A N A M l A

Tableau 6 Conversión en "Dips" des valeurs de t, sur base de C,

( C - a ) , ( C + a )

t . PANAVARRO

S. Sl t lPIBO

4. CAPANAHUA

5. AMAHUACA

fc. ISCONAliUA

7. CASHINAHl 'A

S. YAMINAHUA

9 SHARANAHUA

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géographique, nous appellerons langues du sud-est. Jusqu'ici done, les données sont claiies et convergentes: en raison de l 'importance de ses dates de divergence et de sa position géographique particuliére, le cashibo pourra étre considéré comme constituant un rameau isolé. Le groupe ucayalien est identifiable aussi bien par le fait que les langues qui le composent présentent entre elles les dates de séparation les plus basses que par le fait que les datations du cashibo les isolent nettement du groupe des langues du sud-est, celles-ci présentant une différenciation parfaitement constante vis-á-vis du Cashibo (24-25 dips).

On aurait pu s'attendre á ce que ees langues du sud-est forment un autre sous-groupe, identifiable en outre par le fait que ees langues présenteraient entre elles des dates de différenciation plus basses que, par exemple, vis-á-vis du groupe ucayalien. Or, ce n'est absolument pas le cas: séparées de 10-13 siécles par rapport aux langues ucayaliennes, les langues du sud-est présentent entre elles des dates de séparation de l'ordre de 10-15 siécles alors que - rappelons-le - leur séparation du cashibo remonte á 17-18 siécles!

L'extraordinaire constance de leur apparentement avec le cashibo (58-60.2% de cognats) semble bien indiquer que les langues du sud-est formaient encore un groupe indifférencié il y a 17 á 18 siécles. Leur fragmentation n'eut lieu que plus tard (10-15 siécles). Mais alors que d'autres langues, d'ailleurs plus proches du Cashibo, continuaient á former un groupe ucayalien dont la fragmentation fu t , elle, beaucoup plus tardive encore (5-8 siécles) la population parlant les proto-langues du sud-est a dú littéralement éclater, ees ethnies s'isolant non seulement du groupe ucayalien, mais s'isolant aussi mutuellement, état dans lequel elles n 'ont cessé de vivre depuis lors. Ceci explique pourquoi les dates de différenciation de ees langues entre elles ne sont en aucun cas inférieures á celle de leur divergence par rapport aux langues ucayaliennes.

Si nous transposons graphiquement, de fagon indépendante, les dates de divergence du cashibo vis-á-vis des langues ucayaliennes, des langues ucayaliennes vis-á-vis des langues du

Fig. 1 - Giaphiques respectifs des separations Cashibo-Ucayalien, Ucayalien-Sud-Est et Sud-Est-Cashibo.

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95 sud-est et des langues du sud-est vis-á-vis du cashibo, nous obtenons (Fig. 1) trois arbres apparemment inconciliables. lis le sont en efíet si nous tentons de reconstituer á partir d'eux un arbre unique remontant á un hypothétique proto-pano. Seulement, et d'autant plus que les dates qu 'ont révélées notre matériel ne dépassent jamais 20 siécles, il n'y a aucune raison valable de supposer qu'il faille nécessairement postuler une proto-langue unique. II est infiniment plus vraisemblable de supposer l'existence á cette époque d'un proto-groupe linguistique paño composé de plusieurs langues ou dialectes á intercompréhension limitée.

Dés lors, l ' interprétation de nos résultats devient possible et méme aisée: il y a plus de 18 siécles, les ancétres des usagers de nos langues devaient conformer une entité ethnique, géographique et linguistique relativement cohérente. Ce groupe, sans doute parce qu'il s'étendit sur un vaste territoire, dut entrer en processus de diversification interne durant environ cinq siécles, jusqu'á ce qu'intervienne un "grand bouleversement" qui provoqua la migration et l'isolement définitif de toutes les langues non-ucayaliennes: le cashibo d'une part (11-13 siécles de séparation par rapport aux langues ucayaliennes), et les langues du sud-est, d'autre part (10-13 siécles de séparation par rapport aux langues ucayaliennes). Mais, ce qu'il est important de noter, c'est que le cashibo et les langues du sud-est se sont détachées de parties de l'ensemble proto-pano préalablement différenciées au point de vue linguistique. Une représentation graphique satisfaisante de ce processus peut étre obtenue, non pas par un arbre, mais en représentant l'ensemble linguistique proto-pano sous la forme d 'un cercle, le cashibo et les langues du sud-est se séparant, non comme des ramifications, mais comme des "pelures" issues de points différents de la circonférence (Fig. 2). Enfin, au sein méme du groupe ucayalien, le processus de satellisation se poursuivit á des époques nettement postérieures (il y a 5-8 siécles), isolant le panavarro d'abord et le capanahua ensuite du Shipibo. Extrapolations au sujet de U proto-histoire des peuples de langue paño

Dans son livre sur la préhistoire de la Haute-Amazonie, Donald W. Lathrap souligne avec extrémement de pertinence que toutes les régions d'Amazonie ne sont pas également favorables au développement de l'agriculture (p. 28). Nous sommes en accord total avec cet auteur pour estimer qu'il faut voir en ceci "le facteur dominant de l'évolution culturelle dans le bassin amazonien", les peuples dédiés á l'agriculture s'étant toujours arrangés pour se rendre maitres de ees régions é c o l o g i q u e m e n t favorables qui ne représentent guére qu 'un vingtiéme de la superficie totale des terres amazoniennes habitables par l 'homme. En effet , celle-ci est estimée á 3.106.800 k m 2 , desquels 140 á 160.000 k m 2 seulement seraient d e s t e r r a i n s alluvionnaires recents, p r o p r e s a u d é v e l o p p e m e n t d e fr¡ g . 2 Différenciation des langues actuelles. A l ' ag r i cu l t u r e . partir du Proto-Croupc linguistique Paño.

La consultation de la carte géologique du Pérou révéle l'existence, autour de l'Ucayali central, d 'une zone elliptique de terrains

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96 quaternaires, qui coincide aussi exactement que possible avec Taire de répartition des Shipibo-Conibo. Les autres tribus paño, par contre, tant á l'ouest (Cashibo) qu'á l'est et au sud-est de cette région, se trouvent dans des régions écologiquement similaires, sur des terrains relevant du tertiaire continental. D'autres différences sont rapportables a celle-ci: les Shipibo-Conibo pratiquent une agriculture intensive et sédentaire, sont démographiquement tres importants, ont considérablement développé la céramique et le tissage. Disposant en outre de bonnes techniques nautiques, ils sont considérablement plus pécheurs que chasseurs. Quant aux autres peuples paño (qu'on pourrait appeler Paño des Sources, ou Cabeceras, pour reprendre le terme espagnol), ils vivent par tout petits groupes semi-sédentaires pratiquant une agriculture d'écobuage; le développement de la céramique et du tissage est chez eux beaucoup plus rudimentaire que chez les Shipibo-Conibo. Ils sont par contre d'assidus chasseurs, disposant pour cela d'exeellentes armes légéres qu'ils utilisent également pour une guérilla continuelle. En revanche, ils manquent généralement de pirogues, n'utilisant que des radeaux pour se déplacer sur les fleuves.

Depuis le XVI siécle, les documents historiques dont nous disposons mentionnent la présence sur l'Ucayali de Shipibo et de Conibo plus ou moins confédérés (une sorte d'empire, si l'on veut, mais á la structure tres láche, ou tres souple). Jusqu'á une date tres récente, Shipibo et Conibo résistérent farouchement avant de tomber sous la coupe des missionnair.es, avant-garde du Pouvoir Blanc, tandis que, d'autre part, ils repoussaient continuellement les incursions des Paño "sauvages" (Cashibo, Amahuaca, etc.) qui descendaient de temps á autre de leurs "cabeceras" pour aller razzier les villages ucayaliens.

Tenant compte de tout ceci, l ' interprétation de nos datations glottochronologiques nous conduit á supposer la présence sur l'Ucayali central, il y a au moins 18 siécles, d 'une population de langue paño relativement cohérente (ce qui ferait penser á l 'aboutissement d'une migration récente). Durant environ cinq siécles, cette population se serait étendue, en se diversifiant linguistiquement. Soudain, á une époque que nous évaluons á entre -11 et -13 siécles, moins pur évolution interne sans doute que sous une influence extérieure, vu la brusquerie du changement, une partie de la population paño a dü changer son mode de relation au milieu, optant résolument pour l 'adoption d'une agriculture intensive. De profonds bouleversements socio-economiques ont dú alors étre concomitants de l ' introduction de techniques nouvelles. Ceci allait permettre aux ethnies touchées par cette "vague idéologique" de croítre considérablement, renforcant ainsi leur controle sur la région fertile de l'Ucayali et. . .obligeant par le fait méme les autres ethnies de langue paño qui ne purent ou ne voulurent partager cette évolution, á quitter cette région fertile et á se "satelliser" dans la mesure du possible - et avec mauvais gré - tant á l'ouest qu'á l'est de l'Ucayali, la oü ils poursuivent jusqu'á nos jours leur existence d'agriculteurs-chasseurs-récolteurs semi-sédentaires et guerriers.

L'asymétrie de la répartition géographique des peuples paño des Sources par rapport á l'Ucayali est aisément explicable: á l'ouest, il n'y avait pratiquement pas d'espace disponible, la Cordillére élevant une barriere écologique infranchissable pour des populations adaptées á l'agriculture tropicale. A l'est, par corrtre, les peuples paño marginalisés et refoulés vers les sources des affluents de l'Ucayali, une fois arrivés la, pouvaient tres facilement emprunter les sources de maints autres fleuves (Juruá, Purús, Madre de Dios-Madeira) et redescendre ceux-ci sur des distances considérables en fort peu de temps, comme c'est la regle en cas de migration par voie fluviale. En effet , on trouve des tribus paño loin á l'est de l'Ucayali en ierritoire brésilien, sur les hauts cours du Juruá et du Purús, et plus loin encore vers le sud-est, en Bolivie et au Brésil encore, sur des

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97 affluents du Madre de Dios et du Madeira. Parmi les peuples ucayaliens, postérieurement au grand bouleversement d'il y a 1100-1300 ans, intervinrent de nouvelles marginalisations, jusqu'á laisser les actuéis Shipibo et Conibo seuls maftres de la région fertile.

Nous référant de nouveau á l'ouvrage de Lathrap, nous devons souligner que si, d 'une part, nous sommes complétement en accord avec lui concernant le principe des migrations et changements culturéis dans le bassin amazonien, les conclusions que nous tirons de nos calculs glottochronologiques sont assez différentes de celles qu'il élabore sur la seule base de ses découvertes archéologiques. Ainsi, á propos des peuples paño, Lathrap affirme que: "il est vraisemblable qu'il n'y a guére plus de 1000 ans, tous ees peuples partageaient la méme langue et une seule culture". Pour ce qui est des langues en tout cas, nous sommes ici une premiére fois en désaccord avec lui.

Parlant des ruptures dans les séquences de styles de céramique dans l'Ucayali central et de l'apparition des styles Naneiqui et Cumancaya, pour lesquels les dates du carbone 14 sont respectivement AD 650 et AD 810 (pp. 135-140), Lathrap voit en ees dates celles de l'arrivée de "vagues d'invasion" de peuples de langue paño, c'est-á-dire entre -11 et -13 siécles! D'une part, les arguments que Lathrap apporte pour démontrer que la céramique des peuples paño actuéis dérive directement de ees styles anciens, ne nous paraissent pas discutables. Mais, en revanche, les résultats de nos calculs glottochronologiques nous interdisent d'accepter l 'hypothése d'une arrivée aussi tardive des peuples paño dans l'Ucayaü, puisque nous avons vu que celle-ci doit jemonter á au moins 18 siécles.

Du fait de ees divergences, notre conclusión prendra un tour interrogatif: si, comme Lathrap le montre tres bien en parlant de l'expansion caraíbe (pp. 164-5), on peut concevoir des remplacements ethniques et linguistiques qui ne se marquent pas nécessairement par des remplacements de styles de céramique, ne peut-on imaginer, á l'inverse, que des ruptures dans la tradition céramique puissent marquer l'arrivée d'une "vague idéologique" et non celle d'une "vague d'invasion", c'est-á-dire une révolution socio-économique et technique ne supposant pas nécessairement un remplacement de populations?

Arrivant dans l'Ucayali bien avant la date que suppose Lathrap, les peuples paño auraient trés bien pu s'assimiler d'abord le style de vie (et de céramique) qui y était en vigueur et que pratiquaient sans doute des peuples de langue arawak. Quant au changement radical de styles de céramiques qui fait apparaftre les "ancétres" des peuples paño actuéis, il s 'effectue, selon les dates de Lathrap, précisément á la méme époque que celle que nous assignons á la "révision déchirante" des orientations socio-économiques parmi les peuples de l'Ucayali: entre -10 et -13 siécles. Archéologues et linguistes pourront-ils trouver ici un nécessaire terrairi d 'entente? La confrontation des points de vue promet en tous cas d'étre intéressante et, sans doute, fructueuse. Bibliographie

D'Ans A.M., Materiales para el estudio de grupo lingüístico paño, Universidad Nacional Mayor de San Marcos, pp. 153, Lima, 1970.

Izaguirre R.P. Fray B., Historia de las misiones franciscanas y narración de los progresos de la geografía en el oriente del Perú (1619-1921). Producciones en lenguas indígenas de varios misioneros de ta orden, Lima, Imprenta Arguedas, 14 vol. 1922-9.

Lathrap D.W., The Upper Amazon, Coll. "Ancient Peoples and places", p. 256, London, 1970. Shell O.A., Paño Reconstruction, University of Pennsylvania,. Ph.D. dissertalion, p ^67

dactylographiées, 1965.