Étoiles Peintes

download Étoiles Peintes

of 14

Transcript of Étoiles Peintes

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    1/14

    toiles Peintes. (1921)

    Par Pierre Reverdy. (1889-1960)

    TABLE DES MATIERES

    Le Bruit Des Vagues.Vieux Port.Au Carrefour Des Routes.Ciel Ouvert.Mcanique Verbale Et Don De Soi.Lumire.LOmbre Et LImage.Au Moment Du Banquet.Le Monde Plate-Forme.Bleu Pass.Tout Dort.Les Mouvements A LHorizon.Les Musiciens.Aprs-Midi.La Glace DEncre.Mmoire DHomme.Mouvement Interne.Entre Deux Crpuscules.La Clef De Verre.Tumulte.

    Le Bruit Des Vagues.

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    2/14

    Tous les flots des marines du mur pourraient se dverser dans lesassiettes,avec la cruse cumante des vagues.

    Le fond resterait toujours bleu, derrire le soleil trop clatant ducadre.

    Dans la maison, assez calme pour un pareil temps, chacun se retourna poursavoird'o venait ce bruit, ce mouvement.

    Car personne n'tait dans le secret, que celui dont l'oeil inquiet nequittaitplus le carr blanc de la fentre,

    et, dans les rideaux soulevs par sa poitrine mue, celui qui n'taitvenu lque pour voir et ne pas tre vu.

    Vieux Port.

    Un pas de plus vers le lac, sur les quais, devant la porte claire de lataverne.

    Le matelot chante contre le mur, la femme chante. Les bateaux sebalancent, lesnavires tirent un peu plus sur la chane.

    Au dedans il y a les paysages profonds dessins sur la glace; les nuagessontdans la salle et la chaleur du ciel et le bruit de la mer. Toutes lesaventuresvagues les cartent.

    L'eau et la nuit sont dehors qui attendent.

    Le moment viendra de sortir. Le port s'allonge le bras se tend vers unautreclimat, tous les cadres sont pleins de souvenirs, les rues qui penchent,lestoits qui vont dormir.

    Et pourtant tout est toujours debout prt partir.

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    3/14

    Au Carrefour Des Routes.

    Les bras se levaient vers la croix et la tte restait pendue au flot desescheveux, sous la lucarne.

    Sur les marches il n'y a plus que l'ombre que le soleil projette et lesmainsperdues dans les rayons l'empchent de tomber.

    Une voix d'en haut sortait de derrire un nuage, mais le tonnerre, enroulant,l'a brise.

    Et la prire qui montait du fond n'est plus qu'un souffle, une voix depoitrinequi se laisse tomber dans les plis de la robe aprs tre sortie.

    gauche on monte par le chemin du ciel que ne rvle aucune plaqueindicatrice.

    Ciel Ouvert.

    Le fil descend. Du haut du ciel le fil descend lourd, droit, noir, -descend surle sommet de la tte nue - la tte du vieillard qui sarrte.

    Il est dans un jardin bord de grilles, en cage et le monde est autour.Lesautres gens tournent autour, le long des arbres.

    Le temps est lourd, les yeux, les tincelles clairent la nuit noire oula lueur

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    4/14

    du film - cette lueur qui nest pas encore dans sa tte.

    Un nuage de suie se gonfle, avalanche de coton sans eau, la maison segonfleaussi, la poitrine, les arbres se gonflent et la tte est perdue.

    La peau - sous les tiges de feu - ruisselle - et leau scarte de la

    massedhuile qui glisse, qui joue - les gonds de la plus grande porte quitourne. Leciel fendu - le fil descend - lclair. Le monde sa lueur est peineentrevu.

    Mcanique Verbale Et Don De Soi.

    Aucun mot n'aurait mieux pu, sans doute, exprimer sa joie.

    Il le dit et tous ceux qui attendaient contre le mur tremblrent.

    Il y avait au centre un grand nuage - une norme tte et les autresobservaientfixement les moindres pas marqus sur le chemin.

    Il n'y avait rien pourtant et dans le silence les attitudes devenaientdifficiles. Un train passa derrire la barrire et brouilla les lignesquitenaient le paysage debout.

    Et tout disparut alors, se mla dans le bruit ininterrompu de la pluie,du sangperdu, du tonnerre ou des paroles machinales du plus important de tousces

    personnages.

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    5/14

    Lumire.

    Une petite tache brille entre les paupires qui battent. La chambre estvide etles volets s'ouvrent dans la poussire.

    C'est le jour qui entre ou quelque souvenir qui fait pleurer tes yeux.

    Le paysage du mur - l'horizon de derrire - ta mmoire en dsordre et lecielplus prs d'eux. Il y a des arbres et des nuages, des ttes qui dpassentet des

    mains blesses par la lumire. Et puis c'est un rideau qui tombe et quienveloppe toutes ces formes dans la nuit.

    LOmbre Et LImage.

    Si jai ri ce nest pas du monde clatant et joyeux qui passait devant

    moi.

    Les ttes penches ou droites me font peur et mon rire aurait chang de

    forme enune grimace.

    Les jambes qui courent tremblent et les pieds plus lourds manquent lepas.

    Je nai pas ri du monde qui passait devant moi - mais parce que jtaisseul,plus tard, dans les champs, devant la fort norme et calme et sous lesvoix

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    6/14

    qui, dans lair endormi, se rpondaient.

    Au Moment Du Banquet.

    Sur les murs de cette salle, o le festin a lieu, les traces de ta viemodesteet fade.

    Mais aujourdhui les paroles sont plus fortes, les gestes sont plus

    grands, etle bruit plus joyeux.

    Les limites de ton coeur scartent et peut-tre de tous les autrescoeursquelque chose aussi sortira.

    Mais, sans quaucune autre voix slve, sans quaucun silence tout

    coup nousavertisse, les ttes se penchent, les yeux se lvent et cest une autre

    figuredans le cadre que lon regarde et une autre ligne, du ciel au plafond,

    qui nousspare.

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    7/14

    Le Monde Plate-Forme.

    La moiti de tout ce quon pouvait voir glissait. Il y avait des danseurs

    prsdes phares et des pas de lumire. Tout le monde dormait. Dune masse

    darbres

    dont on ne distinguait que lombre - lombre qui marchait en se sparantdesfeuilles, une aile se dgagea, peu peu, secouant la lune dans unbattementrapide et mou. Lair se tenait tout entier.

    Le pav glissant ne supportait plus aucune audace et pourtant ctait en

    pleineville, en pleine nuit - le ciel se rattachant la terre aux maisons dufaubourg. Les passants avaient escalad un autre monde quils regardaient

    ensouriant. Mais on ne savait pas sils resteraient plus longtemps l ou

    sils

    iraient tomber enfin dans lautre sens de la ruelle.

    Bleu Pass.

    Les mains ouvertes sur la poitrine nue - cette lueur sur le papierdteint,cest une image. Il y a, derrire, une route qui monte et un arbre qui

    penchetrop, une croix et une autre range de branches qui penchent. La pierredesmarches sincline aussiet ce sont des gouttes deau qui coulent entreles

    lignes. La tache qui est au milieu nest pas une tte - cest peut-treun trou.Un regard oblique pique le ciel et soutient le trou, la tte. Personne neparle- personne ne parle dautrefois. Car plusieurs amis sont l qui seregardent.

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    8/14

    Tout Dort.

    Larbre du soir, labat-jour de la lampe et la clef du repos.

    Tout tremble quand la porte souvre sans veiller de bruit.

    Le rayon blanc traverse la fentre et inonde la table.

    Une main avance travers lombre, le rayon, le papier sur la table.

    Cest pour prendre la lampe, larbre au cercle tendu, lastre chaud qui

    svade.

    Un souffle emporte tout, teint la flamme et pousse le rayon.

    Il ny a plus rien devant les yeux que la nuit noire et le mur quisoutient lamaison.

    Les Mouvements A LHorizon.

    Les cavaliers se tiennent sur la route et de profil. On ne sait plus quelestleur nombre. Contre la nuit qui ferme le chemin, entre la rivire et lepont unesource qui pleure - un arbre qui vous suit.

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    9/14

    On regarderait la foule qui passe, elle ne vous verrait pas. Cest une

    vritablearme en marche ou bien un rve - un fond de tableau sur un nuage.Lenfant

    pleure ou dort. Il regarde ou rve.

    Le ciel est encombr par toutes ces armes. La terre tremble.

    Les chevaux glissent le long de leau.

    Et le cortge glisse aussi dans cette eau qui efface toutes ces couleurs,toutesces larmes.

    Les Musiciens.

    Lombre et la rue dans le coin o il se passe quelque chose. Les ttes

    attroupes coutent ou regardent. Loeil passe du trottoir linstrument

    quijoue, qui roule, la voiture qui traverse la nuit.

    Les lames du bec de gaz tranchent la foule et sparent les mains qui setendent,tous les regards qui pendent et les bruits au hasard. Le peuple est l ettous la mme heure, au carrefour.

    Les voix qui se dispersent mnent le mouvement sur la corde qui grince etmeurt

    tous moments.

    Puis le signe du ciel, le geste qui ramasse et tout disparat dans le pandelhabit, du mur qui se drobe. Tout glisse et le brouillard enroule les

    passants, disperse les chos, cache lhomme, le groupe et linstrument.

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    10/14

    Aprs-Midi.

    Au matin qui se lve derrire le toit, labri du pont, au coin des

    cyprs quidpassent le mur, un coq a chant. Dans le clocher qui dchire lair de

    sapointe brillante les notes sonnent et dj la rumeur matinale slvedans larue; lunique rue qui va de la rivire la montagne en partageant lebois.

    On cherche quelques autres mots mais les ides sont toujours aussinoires, aussisimples et singulirement pnibles. Il ny a gure que les yeux, le plein

    air,lherbe et leau dans le fond avec, chaque dtour, une source ou unevasquefrache. Dans le coin de droite la dernire maison avec une tte plusgrosse

    la fentre.

    Les arbres sont extrmement vivants et tous ces compagnons familierslongent lemur dmoli qui scrase dans les pines avec des rires.

    Au-dessus du ravin la rumeur augmente, senfle et si la voiture passe surlaroute du haut on ne sait plus si ce sont les fleurs ou les grelots quitintent.

    Par le soleil ardent, quand le paysage flambe, le voyageur passe leruisseau sur

    un pont trs troit, devant un trou noir o les arbres bordent leau quisendort laprs-midi.

    Et, sur le fond de bois tremblant, lhomme immobile.

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    11/14

    La Glace DEncre.

    Les toiles qui sortent du foyer sont plus rouges. La tte sincline

    assez prsdu tuyau qui a lair dtre son cou et ceux qui sont derrire regardent

    dans laglace.

    Lair tide la veille souffle dans la chambre et sen va. Les paysans

    ny

    sont pas, les btes non plus. Mais il reste le tableau et la prairie quirappelle lt quand la nuit ne voulait jamais descendre parce quon

    nallumait

    pas de feu.

    La nuit nest-ce pas lhiver lui-mme qui flotte sur les chemines?

    Mmoire DHomme.

    De ses paules larges, contre lombre qui danse sur le mur, il tient la

    place oles autres ttes passeraient.

    Linstrument est une guitare dont les notes ne vont pas assez haut.

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    12/14

    Personne nentend rien, pourtant ses doigts pincent les cordes; il joueet sespieds battent sans cesse la mesure.

    Un oeil ferm, lautre perdu derrire le rideau pliss, quand lair

    stale et

    que la foule danse, tout le monde danse, tout le monde crie et enfin deux

    brasblancs sortis des fumes de sa pipe lui entourent le cou.

    Dans le fond les danseurs arrts regardent le tapis.

    Mouvement Interne.

    Sa face carlate illumine la chambre o il est seul. Seul avec sonportrait quibouge dans la glace. Est-ce bien lui? Serait-ce loeil dun autre? Ilnen

    aurait pas peur. Son pied manque le sol et il avance en clatant de rire.Ilcroit que cette tte parle - celle quil a devant lui, ivre, les yeuxouverts.

    Le plafond sabaisse, les murs vont clater et il rit. Il rit au feu quiluichauffe le ventre; la pendule qui bat comme son coeur. La chambre roule- cebateau dont le mt craquerait sil faisait plus de vent. Et, sans

    sapercevoir

    quil tombe, sur le lit o il va sendormir, il croit encore rver queles

    vagues lemportent. Trop loin. Il ny a plus rien que le rire idiot durveil etle mouvement inquitant de la porte.

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    13/14

    Entre Deux Crpuscules.

    Cest dans ce carr de ciel plus clair quon allumera les toiles pour le

    feudartifice.

    Par-dessus la hauteur des arbres - des mouvements de vent, des bruitsdorage -des appels menaants. Cest lendroit o lon ouvre la grille.

    Les raies se dtachent du mur et cest une ombre oblique sur la route -quicourt trop vite.

    On attend. Prs du bois, do sort le pavillon, on entend - et ce sontcertainement des pas tranquilles - en mme temps que slve une prireou, plusloin, un plus joyeux refrain.

    Puis le jour entre tout fait, les coeurs se rtablissent.

    Puisque tout est encore remis au lendemain.

    La Clef De Verre.

  • 7/26/2019 toiles Peintes

    14/14

    Des trous du mur, des trous de la chemine et de ma pipe; au coin deuxcannes enX se battent. Qui les prendra? Il ny a personne la table, personne sur

    le litet les fauteuils sont vides. Quelquun veut sortir. Mais ce nest pas moi

    qui aisouffl la lampe et ce nest pas mon pas qui descend lescalier. Il y a

    peut-tre aussi un mort dans la maison!

    Tumulte.

    La foule descendait plus vite et en criant. Ils venaient tous du fond, dederrire les arbres, de derrire le bois du cadre, de la maison. Chaquevisageblanc avait un regard anim - et sur leurs traces les paroles pluslourdesseffaaient.

    Au bruit qui se fit dans le coin le plus sombre tout sarrta, tout le

    mondesarrta, mme celui dont les yeux taient tourns vers la muraille.

    Et alors, cause du vent, les fleurs de la tapisserie et des toffesremurent.

    Source: http://www.poesies.net