ET PRODIGES À LE CORPUS ANNALISTIQUE Ii Des prodiges au service des gentes p. 97 Chapitre IU, ......

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LÉGENDES ET PRODIGES À ROME : LE CORPUS ANNALISTIQUE Mémoire Présenté Ii la Faculti des études supérieures de l'université Laval pour l'obtention du grade de maître ès arts (M.A.) Département des littératures FACULTE DES LETTRES UNIVERSITÉ LAVAL JUIN 2001 O Mélanie Boulianne, 2001

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LÉGENDES ET PRODIGES À ROME : LE CORPUS ANNALISTIQUE

Mémoire Présenté

Ii la Faculti des études supérieures de l'université Laval

pour l'obtention du grade de maître ès arts (M.A.)

Département des littératures FACULTE DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL

JUIN 2001

O Mélanie Boulianne, 2001

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Avant Propos

Mener à terme une maîtrise n'est pas qu'une mince affaire : ces deux années d'études

demandent rigueur, discipline, patience, questionnement, courage et j'en passe. Pour toutes

ces raisons, je ne saurais, dans ces quelques limes, remercier A leur juste valeur les

nombreuses personnes qui m'ont entourée durant ces années et qui m'ont permis de réaliser

ce mémoire.

En premier lieu, je tiens à remercier mon directeur de maîtrise, Alban Baudou, qui a su

me seconder dans les moments de doute et d'angoisse, sans jamais remettre en cause la

rigueur du travail final, et qui m'a donnt l'occasion de repousser mes limites.

Dans le même esprit, je remercie mes professeurs de littérature latine, Lucien Finette

et André Daviault qui, en plus de m'avoir initiée au latin, m'ont permis de développer une

passion que j'espère pouvoir cultiver toute ma vie.

La dimension académique ne demeure qu'une partie d'un mémoire. C'est pourquoi je

tiens remercier ma famille dont le soutien moral et financier fut une aide précieuse et sans

laquelle je n 'amis pu rddiser ce mémoire.

Dans cette optique, je ne peux passer sous silence mes arni(e)s, qui malheureusement

ne peuvent être tous cités dans ces quelques lignes. Précisons seulement l'inspiration scolaire

de Pascale et son aide A tous tgards, i'arnitik de Jacinthe et d'Ani qui ont su me divertir dans

les moments plus critiques, de même que la patience de tous et chacun, particulièrement de

Ludovic au cours de la dernière année.

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Ce mémoire de maîtrise présente une analyse des vingt-trois fiagments des d i s t e s qui ont trait au merveilleux et aux prodiges de la République. Cette étude thématique vise a vtrifier de quelles façons le merveilleux et les prodiges furent intégrés à l'intérieur de l'histoire officielle des premiers siècles de Rome. Après une première analyse, et pour les fins de cette recherche, ces fragments ont été divisés en quatre parties distinctes : les prodiges de fondation, les prodiges célestes, les prodiges terrestres et les prodiges ayant trait aux femmes.

Chacune des parties développe un aspect différent de l'utilisation du merveilleux, qui exprime des degrés variables de conscience et de religiosité. Ces multiples facettes de l'apparition de prodiges participant de croyances mystiques propres à plusieurs civilisations indo-

européennes nous permettent de mieux situer les causes de leur intégration à certains instants précis de l'histoire romaine.

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Table des matières

Introduction

Partie A Peter Chassignet

Fragment 1 : Pictor SaP 7aCh

Fragment 2 : - Pictor 7cCh

Fragment 3 : Pictor 2 latP 7eCh

Fragment 4 : Piso 1 OP 12Ch

Fragment 5 : Pictor 4P 5a et bCh

Fragment 6 : Cato 13P 14a et bCh

Fragment 7 : Hémina 1 1P 14Ch

Fragment 8 : Antias 12P - Fragment 9 : - Annales 13Ch

Fragment 10 : Pictor 3 latP 7KH

Fragment 11 : - Annales 33Ch

Fragment 12 : Asellio 2aP 3Ch

Fragment 13 : - Annales 35Ch

Fragment 14 : Piso N Annales 5Ch

Fragment 15 : Piso 13P 15Ch

Fragment 16 : - Annales 7Ch

Fragment 17 : - Annales 24Ch

Fragment 18 : - Annales 26Ch

Fragment 18 : Quad. 12P - Fragment 19 : - Annales 39Ch

Fragment 20 : - Annales 38Ch

Fragment 21 : Piso 38P 41Ch

Fragment 22 : - Annales 2CCh

Fragment 23 : - Annales 27Ch

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Patîie B

Chapitre 1, les prodiges d e fondation

1.1 Des prodiges B défaut d'un passé historique p. 42

- 1.1.1 L'esprit nationaliste romain ou la coherence d'une nouvelle nation p. 42

- 1.1.2 La manipulation historique ou la mise en œuvre logique p. 45

- 1.1.3 La présence affirmée du rationalisme p. 49

1.2 Intégration des mythes de fondation : similarités et différences p. 53

- 1.2.1 Les premiers rois et la tradition indo-européenne p. 53

- 1.2.2 Une tradition plus complexe qu'une simple influence indo-européenne :

les leendes de gérneIlité p. 57

1.3 Consécration d'un être ou d'un événement p. 66

Chapitre II, les ymdiges célestes

2.1 Assimilation et liberté. Le ciel au service de Rome : les oiseaux p. 71

- 2.1.1 L'art augura1 officiel de Rome p. 71

- 2.1.2 Les présages oblatiua : hibou, oiseau incendiaire, coq p. 77

- 2.1.3 La tradition du picus p. 80

2.2 Assimilation et liberté. Le ciel a i service de Rome : propagande anti-étrusque p. 83

- 2.2.1 La foudre p. 83

- 2.3.2 Des haruspices au service de Rome p. 90

2.3 Des prodiges au service des gentes p. 97

Chapitre IU, les prodiges terrestres

3.1 La croyance en certains prodiges, reflet d'une mentalité t r b ancienne? p. 104

- 3 1 1 T m y ? a n c ~ di] jrodi;e de la miilc ?. 106

- 3.1.2 Première caractéristique d'une mentalité très ancienne : l'animal sacré

et le totémisme p. 108

- 3.1.3 Le phénomène de stérilité, source d'angoisse p. 110

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- 3.1.4 Lasouris

- 3.15 Les arbres

Chapitre N : les prodiges et les femmes

4.1 Les prodiges, les femmes et la concorde sociale

- 4.1.1 Une statue qui parle

- 4.1.2 Clauifigendi causa

Conclusion

Annexe A

Bibliographie

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Si l'on connait les noms de quelque cinquante annalistes, les plus anciens historiens

latins à avoir rapporté l'histoire des premiers siècles de Rome, en revanche, il ne nous reste de ces auteurs aucun ouvrage complet et leurs oeuvres nous sont seulement parvenues sous une

forme fragmentaire. En effet, les auteurs postérieurs les ont utilisés comme source et nous ont ainsi transmis plus de 900 fragments, soit en grec, soit en latin. Dans son ouvrage H~sroricomm

Romancrum Reliquiae, H. Peter a répertorié tous les fragments des annalistes extraits des auteurs

qui Ies ont utilisés', soit plus d'une centaine de citateurs différents, dont les objectifs et les écrits sont tout aussi variés ; ainsi se côtoient, notamment, grammairiens, historiens et polymathes qui

furent particulièrement attirés par l'œuvre des annalistes'. Les sujets de ces fragments sont

multiples (politique, religieux, militaire, social) et touchent tous les aspects de l'histoire

romaine. Parmi tous les thèmes abordés par les fragments annalistiques, il nous a semblé pertinent

d'étudier plus particulièrement ceux qui ont trait au prodige, sous toutes ses formes. On

considérait comme prodige tout ce qui contrevenait à l'ordre habituel de la nature selon les

connaissances et les croyances mystiques de l'époque ; en fait, on définissait comme prodigieux tout événement dont les causes de l'apparition étaient imputables à des forces divines3. De plus, comme la différence entre présage et prodige tend à complètement disparaître dès les débuts de

Ia République, les caractéristiques attribuées à certains présages qui influençaient l'avenir peuvent également être appliquées a de nombreux prodiges. Résultat probable d'un héritage

étrusque, de grands rituels entouraient l'apparition à Rome des prodiges qui étaient interprétés avec un soin minutieux. Ces phénomènes prodigieux furent particulièrement présents dans les récits traitant des origines de Rome et du début de la République jusqu'à Ia moitié du deuxième

siècle av. J.-C.

Les prodiges de l'antiquité ont suscité, par leurs caractères insolites, I'intérèt de

nombreux chercheurs. Ceux-ci se sont très souvent concentrés sur la civihsation étrusque, du fait que celle-ci maîtrisait admirablement l'art de la divination ; par ailleurs, leur attention se porta

davantage sur les périodes postérieures à notre recherche, notamment la fin de la République -

' H. Peter, Hisroricorum Romanonrm Reliquiae. Stuttgart, Teubner, 1967 (1 9 14).

' R. Bloch, (( La procurafi0 prodigionrm D, p. 1 19.

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sans doute le De diuinatione de Cicéron, étude critique contemporaine, influença-t-il ce choix.

De récentes recherches, suivant le mouvement instauré par G. Dumézil, ont eu pour objet d'analyser les similarités entre les mythes et les prodiges de diverses sociétés et ont depuis révélé

des thèmes récurrents parmi les prodiges naturels ou animaliers. Ainsi, D. Briquel, par exemple, s'est concentré sur les représentations animalières et sur le mythe de Romulus et Rémus en étudiant leurs différentes significations et en tentant d'établir certains liens avec diverses

traditions étrangères. Toutefois, lorsqu'ils ont abordé la signification des prodiges romains, la plupart des chercheurs ont fréquemment limité leurs études à des sources qui nous sont

parvenues dans un très bon état, tels Tite-Live ou Julius Obsequens. Ce mémoire offre donc un caractère plus original par les sources utilisées : les annalistes

latins, longtemps négligés. En effet, au tout début du 20\iecle, de nombreux chercheurs

européens, notamment O. Leuze, J. Martha, F. Münzer ou H. Pder, avaient tenté de promouvoir l'annalistique ; cependant, que ce soit en raison de l'état fragmentaire des ceuvres ou du peu de crédit accordé à leurs dires, la curiosité des chercheurs envers les annalistes n'a jamais étd

véritablement développée. Depuis les vingt dernières années, plusieurs études, effectuées entre

autres par M. Chassignet, R. Drews, B. W. Frier, E. Rawson, tentent de remettre en valeur l'apport historique et histonographique de l'annalistique'. Ce nouvel intérêt est en perpétuel croissance : il parait en effet opportun d'aborder l'histoire avec ces premiers représentants du

passé de ~ome ' . Les annalistes ont servi de sources dominantes pour les principaux historiens,

1 Citons a titre d'exemples les récentes éditions des ûagments de i'annaiistique ancienne et moyenne dans la Collection des Universités de France (M. Chassignet, L 'annalistique ancienne. M . Chassignet, L 'annalistique moyenne) et le récent travail de S. Walt, Der Historiker C. Licinius Macer. Einleitung, Fragmente, Kommentar, Stuttgart-Leipzig, Teubner, 1997, dtude critique des fragments de Macer ; il faut égaiement mentionner le travail d'un groupe de recherche de l'université d 'Mord qui a développd un intérèt tout particulier pour I'annalistique et tente de faire une réédition et une traduction de I'ouvrage de H. Peter, Historicomm. Une traduction demande, avec commentaire, doit être publiée en juillet 200 1, a l'université de Cologne.

' D'ailleurs, L. Sacchetti, dans une récente étude (( Prodigi e Cronaca religiosa » se penche sur la présence des prodiges dans I'annalistique. Toutefois, précisons que le nombre de hgments sur lequel eue fonde sa recherche est beaucoup plus devd que le nôtre et qu'elle ddveloppe le sujet selon une approche s'intaessant davantage à l'aspect strictement religieux qu'aux événements merveilleux. D'abord, l'auteur divise ses fiagments en deux catégories distinctes : les fragments A caractère étiologique et les ûagments à caracthe phs prodigieux, c'est-Mire qui livrent des anecdotes de type prodigieux. A l'intérieur de cette division, elle indut tant les songes (qui ne font pas partie de notre recherche), que les prodiges. Ses fragments couvrent une période qui s'étend du début de la royauté a la fin de la République (78 av. J.-C.) ; cette période, m e n t e de Ia nôtre, et son approche des prodiges beaucoup plus religieuse, font en sorte qu'elle ne considére pas dans sa recherche les prodiges que nous avons qualifies de prodiges de fondation ainsi que la plupart des aunes prodiges que nous avons retenus pour leur caractère plus rnerveiiieux que religieux ; ainsi, seulement quatre de ses fiagments recoupent notre recherche, soit : un hibou sur le temple de Jupiter (Aseiiio 2a) ; Numa qui appelle la foudre (Piso 10) ; TuBus Hostiliius foudroyé (Piso 13) ; la statue d'Horatius Coclés foudroyée (Annales 7Ch). Enfin, la chercheure met principalement l'accent sur les historiens qui les ont cités (Sduste, Tite-Live et Tacite) et non pas sur les moments où ces prodiges sont arrivés.

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autant romains que grecs, de cette période. Fréquemment Tite-Live, Denys d'Halicarnasse et d'autres citent l'un d'entre eux en mentionnant ce qu'ils ont lu dans leurs Annales. Celles-ci ont

des caractères bien différents, suivant l'intérêt et l'influence de la période ou les annalistes les ont écrites. Il s'avère alors essentiel de connaître suffisamment le tempérament des annalistes

ainsi que les particularités générales de leurs oeuvres pour éviter l'ecueii des contresens dans l'analyse6.

En ce qui concerne les prodiges, nous avons repéré vingt-trois fragments issus de huit

sources différentes - les Annales des Pontifes, Fabius Pictor, Caton, Cassius Hernina, Calpurnius Pison, Sempronius Asellio, Valérius Antias et Claudius ~ u a d r i ~ a r i u s ~ . Dans le bref

aperçu historiographique suivant, nous insisterons plus particulièrement sur le caractère et les traits de ces annalistesa, cités par huit auteurs - Cicéron, Tite-Live, Pline, Quintilien, Aulu-Gelle,

Nonius, Diomède et l'auteur de L'OGR Un des traits caractéristiques des annalistes réside dans cette façon très méthodique de

raconter l'histoire de Rome depuis ses originesg, année après année, et sans réellement rechercher d'explications historiques. Cette façon linéaire d'écrire l'histoire serait

vraisemblablement L'héritage du mode de rédaction des Annales Ponrijicum, que P. Mucius Scaevola aurait publiées autour de 130 av. J.-C. On suppose que cette édition des Annales couvrait l'ensemble de l'histoire de Rome depuis les origines. Cependant, de

nombreuses hypothèses subsistent concernant la provenance même des Annales qui, écrites par les Pontifes, semblent avoir couvert tant l'époque pré-républicaine que la République elle- même. En fait, deux gandes tendances, brièvement abordées dans le cadre de cette recherche, se dessinent. La première soutient l'existeiice d'un premier liber annalis dont l'origine serait peut-

être les tabulae annuelles ; cette hypothèse fut quelque peu modifiée par d'autres chercheurs qui, appuyant l'idée d'un liber annalis, soutiennent que ce livre aurait plutôt existé sous la forme

Ici seront décrits uniquement le caractère et les traits particuliers des annalistes utdisis pur m e recherche.

' Au total, H. Peter a rkpertodé 4 hgments des Annales Ponrifinrm alors que M Chassignet en comptabilise 40, 34 de Fabius Pictor (incluant 6 hgmems en latin) pour 32 chez M. Chassignet, 143 de Caton pow 124, 40 d'Hemina pour 25,45 de Pison pour 48, 14 d'Asellio pour 15,66 d'Antias et 96 de Quadrigarius ; comme les deux ouvrages de M Chassignet concernent l'annalistique ancienne et l'annslistique moyenne, ces deux derniers auteurs n'y sont pas inclus.

' Nous présentons uniquement une vision trés générale, qui ne fait qu'exposer les principales caractéristiques de chacun des annalistes. Néanmoins, une bibliographie plus wmpléte petmettra A tout lecteur d'approfondir ses rtciicrcbes sur ïun ou ïauue cies annaiisres énidik.

A L'exception de Quadrigarius et d'Aseilio, tous les annalistes ont cornmenai à narrer l'histoire de Rome depuis les origines.

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d'une vraie chronique pré-pictorienne dont les annalistes se seraient inspirés ; ils auraient

uniquement utilid des termes différents pour désigner toujours ce même et unique ouvrage. Le manque de preuves de l'existence du liber annalis avant l'édition en 80 livres est la principale opposition à, cette hypothhse. En revanche, la seconde hypothèse appuie l'idée d'une réunion de

tablettes annuelles qui contenaient les événements importants, principalement religieux mais aussi historiques, publiées par Scaevola et dont le caractère serait devenu plus littéraire avec les

annalistes. Les nombreuses théories et le manque d'informations concernant les Annales font en

sorte que les questions restent ouvertes ; ainsi, même la date de l'édition en 80 livres est toujours

obscure : certains soutiennent que le pontife P. Mucius Scaevola aurait été l'éditeur de cette publication, alors que d'autres, y voyant Ie style de compilation du début de l'Empire, pensent

que la publication aurait été commandée par ~ u g u s t e ' ~ .

Les historiens de la République ne prêîèrtnt pas une réelle foi historique aux Annules Poni$cum. Celles-ci, notamment a cause des nombreux prodiges qu'elles relataient, étaient

plutôt perçues comme peu crédibles. D'ailleurs, la crédulité des annalistes qui adoptèrent par la suite ce même procédé, c'est-A-dire écrire l'histoire année après année, fait aprés fait, fut parfois

sévèrement condamnée par les auteurs postérieurs : N ils se sont bornés à la mention des dates, des lieux et des Cvénements [...] iIs ne reconnaissent comme vertu au style que sa brièveté (Cic. Be oral. 2.53) DI'. On ne peut guère savoir quelle fut l'importance exacte des événements cités,

à moins d'une critique même de l'auteur qui les cite, parce qu'on ignore de quelle façon chaque ivénement était classé et développé à l'intérieur de chacune des années. Néanmoins, les annales

de la plupart des annalistes se révèlent le ptus souvent moralisatrices ; toutes sont uniquement centrées sur l'histoire de Rome.

A la suite des Annales Pontijicum, le premier à écrire l'histoire de Rome fut Fabius Pictor. D'origine patricienne, il prècha en faveur des intérêts et des principes de la politique

romaine internationale et des nobles origines de sa nation ; son œuvre est d'ailleurs axée sur

'O Au sujet des differentes théories concemm la création des A d e s , voir : B. W. Fier, Libri Annales P~t?h@Um ; M. Chassignet, L 'anndistique ancienne, p. X X I X - w fait un &umt des diRhentes hypothèses et foumit une bibliographie complèîe sur le sujet. D1aiIleurs, les fragments des A d e s Pontifinmi retenus dans le cadre de m e recherche proviennent de cette édition M. Chassignet a considéré comme faisant partie des A d e s « les hgments dont Ie contenu était nommément attribue à la tabub deaibuia ou a I'kdition en quatre-vingts livres, mais aussi [. . .] les passages cités comme étant tires des Amtales Popdi Romani, des antiquissimi, antipi. ueteres A m l e s ou encore des Annales tout court, dans la mesun où rien ne permet de trancher nettement en faveur des A d e s d e s Pontifes ou de la tradition annalistique en général D, M Chassignet, L 'artnulisiique ancier~~e, p. XXJUX.

" Tite-Live se montre égaiement critique à l'égard de l'œuvre des annalistes ; c'est sans doute ce qui le pousse au tout debut de l'Ab urbe &dita à a î l h e r que « les faits traditio~eis, antérieurs B l'époque qui suivit la fondation de la vilIe ou A celle de sa fondation, plus beaux de légendes poétiques qu'appuyés sur des preuves authentiques de ces exploits, je ne pense ni les affirmer, ni les contester n, (T.-L. Pr. 6).

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l'histoire des origines et sur la seconde guerre punique, période ou il écrivit : cette époque, ou la souveraineté de Rome était menacée, a pu susciter le besoin plus vif d'une propagande pro-

romaine, exprimée par la diffusion, en langue grecque, de son histoire ; cependant, les fiagrnents qui mus sont parvenus ne permettent pas de confkmer que ce h t 18 son but pemier".

Caton et Sempronius AselIio sont les successeurs de I 'adis t ique ancienne, période a laquelle appartient Fabius Pictor. Certains auteurs contemporains ne considèrent pas ces deux historiens comme de réels annalistes en raison de leur façon quelque peu différente d'écrire l'histoire qui se veut plus critique. Caton, historien qui imposa à l'historiographie romaine la langue latine, fut encore plus moralisateur et conservateur que ses successeurs. Dans son premier livre, il traite des origines de Rome et de la période royale ou il ne craint pas, malgré un rationdisme reconnu, d'invoquer les légendes. Il préconisa jusqu'h sa mort autant la vaIeur des anciennes institutions que la vertu militaire13. II ne prôna pas pour autant les valeurs héroïques individuelles, mais plutôt une gloire anonyme au service de l'État : on sait que ses Origines ne présentaient aucun nom et que les individus Ctaient désignés par leur charge ou leur grade.

Quant a Asellio, il se caractérise principalement par l'esprit critique qu'il adopta envers l'histoire et les traditions. Il écrivit l'histoire de Rome en quelque quinze livres ; les origines ne

furent que rapidement mentionnées au profit du 3' et du 2' siècle av. J.-C. 11 cherchait a écrire une analyse de l'histoire en précisant tant les causes historiques que les problèmes socio- politiquesi4.

l2 M . Chassignet, LJannalislipe ancienne, p. L-LX ; E. Cizek, Hisroire et historiens, p. 38-39. Pour une analyse plus campléte, cf. : H. Peter, Hisruriconrm, p. LXIX-C ; R C. W. Zimmermann, (< Zu Fabius Pictor n, in Klio MII, 1932-1933, p. 248-266 ; E. Badian, « The Early Historian D, p. 2 6 ; H. B. Mattingly, « Q. Fabius Pictor, Father of Roman Kistory », in UfC, i, 1976, p. 3-7 ; G. P. Verbrugghe, (( Three Notes on Fabius Pictor D, in Miscelianea di smdi c h c i in onore aï Eàigenio Manni, a cura di F o m m M. J., Diraino M. T ei R k o F. P., 1-VI, Roma, Giorgio Bretschneider, vol. VI, 1980, p. 2157-2173 ; A Momigliano, « Fabius Pictor and the Origins of National History », in nie Classicai Fon&n'ions of Modem Historiography, 1990, p. 80-108. 13 E . Cizek, Histoire et historiens, p. 46-47 ; M. Chassignet, Caton, p. W - m . Pour une analyse plus compItite, c f : J. Martha, (( L'histoire Rome. Caton l'Ancien : sa vie n, in Rewe des cours et confirenees, 1901-1902, p. 491- 498 ; J. Manha, « L'histoire A Rome. Caton l'Ancien : Les Origines n, in Revue des cours et conférences, 1902-1903, p. 737-745 ; H. Peter, Historiconim, p. CXXW-CLXIV ; E. Badian, « The Early Histonans n, p. 7-1 1 ; F . DeUa Corte, Carone censore. iu vit0 e la fortirna, Firenze, ia Nuova Itaiia, 1969 ; T. J. Corneli, 7k Ongins of C a o und the non Roman Historical Tradition about Ancient Italy. Thèse non pubLie, Londres, 1972 ; A E. Astin, Caio the Censor, Oxford, Clarendon Press, XI, 1978 ; W. Kiffdo< E,< Catos "Origines" und die Anfaoge der rdrnischen Geschichtsschxibung ni in Chiron 10, 1980, p. 205-224 ; S. Agache, « Caton le Censeur, les fomines d'une légende », in Caesm&mmi XV (bis), 1980, p. 71-107 ; A T-a, (( OsservaPono su Catone prosatore », in Hommages 9 Henry Bmdon, EmeUes, Latomus, 1985, p. 344-359. " E . Cizek, Histoire et historiers, p. 54-55 ; M. Chassignet, L'anmlistique moyenne, p. LVI. Pour une analyse plus complète cf. : H. Peter, Hisforiwrum, p. CCXLII-CCXLV ; R Till, « Sempronius Aseilio », in Wiburgeri Johrbucher Jur die Alterhnnswissem.F 4, 1949-1950, p. 330-334 ; E. Badian, u The Sempronii Aseüiones », in

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Hémina et Calpurnius Piso appartiennent à une nouvelle période d'écriture qui fiit

baptisée annalistique moyenne ; leurs œuvres se situent entre 150 et le premier quart du 1" siècle av. J.-C. Us se caractérisent par une historiographie assez naïve, plutôt rudimentaire et le souci

constant de certains dktails. Par ailleurs, les annalistes de cette nouvelle période et leurs successeurs ne tirent plus nécessairement leur origine du paîriciat, mais sont souvent des hommes politiques qui souhaitaient ardemment défendre les intérêts des nobles et des plus riches

contre Ies nouvelles revendications de la plèbe. Calpumius Pison en témoigne ; noble et conservateur, on dit souvent de lui qu'il s'activa contre les réformes des Gracques en faveur de

la plèbe". Il a tendance à considérer son époque comme dépravée et semble avoir prôné un retour aux mœurs ancestrales. Il écrivit l'histoire de Rome en sept livres, dont le premier était consacré aux origines et aux rois légendaires. Ses Annales se démarquent par son goût pour l'anecdotique et la dramatisation ; de plus, il n'hésita pas A modifier les informations en faveur

de ses opinions politiques et p u r la gloire de sa patrie elle-même. Néanmoins, les auteurs qui le cit6rent semblent avoir prêté foi à son témoignageI6.

Cassius Hémina eut une inclination tout aussi prononcé pour les faits anecdotiques. Plébéien et conservateur dgalement, il s'intéressa aux problèmes intérieurs plutôt qu'aux

événements militaires. De plus, il aimait tout particulièrement l'étiologie, l'étymologie et l'éponymie. Il écrivit l'histoire de Rome en quatre livres dont le premier traitait des origines, le

second des rois légendaires, le troisième de la première guerre punique et le quatrième de la

deuxihe . On constate dès lors qu'il eut un penchant pour les antiquités, qui prirent autant d'importance dans son œuvre que l'histoire plus contemporaine. C'est peut être pour cette raison que ses Annales n'ont pas eu la faveur des historiens postérieurs tels Cicéron, Tite-Live ou Denys d7Halicaniasse, qui jamais ne le citent".

Proceedngs of the Afican Classic(11 Association, X i , 1968, p. 1-6 ; A Mauarino, (( Sul proemio delle Kistoriae di Sempronius Aseiiio », in Helikon XXM, 1988, p. 145-168.

" Cependut, seion A Baudou, les modernes ont trop souvent l'habitude de voir dans son œuvre (( cette opposition supposée aw Gracques N ; A Baudou, L. Calpuntius Piso, p. 6. l6 E. C i e k Hisroire et historiens, p. 44-45 ; M. Chassignet, L 'ammlisîique moyenne, p. XXII-XXVIII. Pour une andysee plus complète, cf. : J. Martha, (( L'histoire a Rome. Les successeurs de Caton : Calpurnius Piso n, in Revue &s cmrs et confërences, 1902-1 903, p. 309-3 16 ; H Peter, Historicorum, p. CLXXXI-CXCiI ; K. Latte, « Der Historiker L. Calpurnius Frugi », in Si&mgsb. Deutsch. Ak TYiss. Berlin 7, 1960 ; E. Badian, « The Early Historians n, p. 12-13 ; E. Rawson, (( The Fust Latin D, p. 689-717 ; G. Forsythe, The Hisforian L. Calpurnius Piso, Philadelphie, Thèse de doctorat non publiie, 1984 ; A Baudoy L Calpurnius Piso ; G. Forsythe, The Historran L. Calpurnius Piso Frugi, and the Roman Annalistic Traaïtion, Lanham : Md., University Press of America, 1994. l7 M. Chassiunet. L 'annalistique mqwnne, p. XI-XV. Pour une analyse plus compléte, cf : J. Martha a L'histoire B Rome. Les successeurs de Caton : Cassius Héminan, in Revue des cours et confdrences, 1902-1903, p. 105-1 14 ; H Peter, Hisloncomm, p. CLXV-CLXMZT ; E. Rawson, (( The F i Latin », p. 690-702 ; U. Scholz, « Zu L. Cassius Hémina)), in Hermes 117, 1989, p. 167-181 ; G, Forsythe, « Some Notes of the History of Cassius

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Les derniers annaiistes, dont font partie Quadrigarius et Antias, appadennent à l'malistique rtcente, leurs œuvres se situent autour des années 80 A 75 av. J.-C. Cette période semble se caractdriser par un manque d'exactitude ou de volonté scientifique des historiens : les

auteurs souhaitaient d'abord louanger leur propre gens, en plus de rechercher un sensationalisrne qui susciterait l'intérêt et la curiosité d'un plus large public ; cela donne lieu a des récits d'événements inventés, ou simplement modifiés, et à de nombreux anachronisme^'^.

Quadrigarius écrivit l'histoire de Rome en vingt-trois livres où il ne traita que très brièvement de l'histoire des origines. Néanmoins, il glorifia autant les Romains que ses

préddcesseurs en leur donnant raison dans tous les conflits ; on peut ainsi croire, au vu des fragments conservés, que l'histoire, tout particulièrement l'histoire militaire, fut régulièrement

remaniée en faveur de sa patrie. Son récit étant orienté en fonction de ce qu'il aimait imiter, il mit donc volontairement de côté des Cléments importants de la politique intCrieure de Rome et agrkmenta ses récits d'anecd~tes'~.

Antias, qui a écrit dans la même période, composa une œuvre beaucoup plus vaste, piusque ses Annales comprennent soixantequinze livres. Il s'attarda beaucoup plus que

Quadrigarius sur le passe légendaire de Rome, allant même jusqu'à le remanier pour son propre

intérêt. Il avait d'ailleurs tr&s peu d'esprit critique envers ces légendes. Malgré tout, il fut une des sources principales de Tite-Live, ce qui permet de penser qu'il écrivit des annales assez

complètes, bien que sa crédibilité historique fût abondamment contestéez0.

Hernina », in Phmix 44.4, 1990, p. 326-344 ; C. Santini, I frammenti de L. Carn'o Emim Introdurione, fesro, traduzione e commenta, Pise, Edizioni ETS, 1995 ; M. Chassignet, (( Étiologie, étymologie et éponymie chez Cassius Hdmina D, in Les lbudes claFsiques, 1998, p. 321-335.

'' J. Heurgon, (( L'interprktation de l'historiographie », p. 224-225 ; M. Chassignet, L 'annalistique ancienne, p. XXI.

' 9 E. Cizek, Histoire el hisioriens, p. 71-72. Pour une analyse plus compléte cf : H. Peter, Hismiconrni, p. CCLXXXV- CCCIV ; B. Sypniewsko, (( De Claudii Quadrigarü fragmentiis », in Mélanges Chansleria C. De Morawski, no 3 1, vol. 2, 1922, p. 149-189 ; M. Zinunerer, Der Anrtalist Q. Clauaïus Quadrigaritrs, Diss., Munchen, 1937 ; A Kiotz, « Der Annalist Claudius Quadrigarius D, in Rheinisches Museum 91, 1942, p. 268-285 ; E. Badian, « The Early Historians D, p. 18-20.

E. Cùek, Histoire el hisioriens, p. 71-72. Pour une analyse plus compléte, cf. : A A Howard, (( Valerius Antias and Livy )>, in H m d Studies in Classical Philology 17, 1906, p. 161-182 ; H. Peter. Historiconrm, p. CCCV- CCCXXXUi ; E. Badian, The Early Historians D, p. 21-22 ; 3. D. Cloud, (( The Date of Valerius Antias n, in Liverpool Clarsicul Monrhly, 1977, p. 225-227 ; R A Laroche, « Valerius Antias as Livy's Source for the Number of Miiitary Standards Captured in Battle in Books LX », in C&ssicu et Mediaewlia 35, 1984, p. 93-104 ; R A h o c h e . (( Valerius Antia.. : Liw's Source for the Number of Military Standards Captured in Battie in Books XX-XLV », in Lutomus 47 fasc. 4, 1988, p. 758-771 ; T. Leidig, T. Valerius Antias und ein amtalistischer Beurbeifer des Poiybios ais QueIlen des Livius, wrnehmlichfür Buch 30 und 31, Frankfort - Berne - New York, Lang, 1994.

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Dans notre recherche, selon les thhnes récurrents observés, nous avons effectué une division du corpus en quatre catégories distinctes : les prodiges de fondation, les prodiges

célestes, les prodiges terrestres enfin, les prodiges et les femmes ; cette division forme les quatre parties principales de cette recherche. Comme iIs ont tous en commun d'être intégrés A l'histoire

officielle de Rome, des origines à la période pré-républicaine, les prodiges de fondation font l'objet de la première partie de notre étude ; généralement insérés A l'intérieur des légendes et

des mythes de fondation, ils n'en constituent pas l'essence, mais en supportent l'élaboration. Ces prodiges nous amèneront à étudier, en plus de Ia création de l'historiographie latine par les premiers annalistes, les nombreuses traditions qui ont influencé les récits. En revanche, les

prodiges célestes, qui composent la deuxième partie, ont tous en commun d'être intégrés a

l'intérieur d'une science complexe, la science augurale, que les Romains, aprés l'avoir empruntée aux Étrusques, ont facilement modifiée, toujours à l'avantage de leurs propres

intérêts. Ces prodiges nous conduiront A approfondir tant la crainte que Rome entretenait a l'égard des dieux que la facilité avec laquelle elle enrayait cette même crainte. Les prodiges terrestres, qui forment la troisikme partie, sont davantage le reflet d'une réelle superstition à

l'égard de phénomènes naturels souvent mai compris et qui résultent probablement de la permanence d'une mentalité très ancienne. Enfin, les deux derniers prodiges qui seront traités a l'intérieur de cette recherche concernent expressement les femmes et leurs actions ; c'est pourquoi il nous a semblé opportun de les traiter dans une partie distincte.

La constitution de la matière de cette recherche était tributaire de la nature fragmentaire du corpus, qui ne donnait pas suffisamment prise à Ia découverte d'un système exhaustif de pensée ou d'une évolution des mentalités. La mutilation des contex9es et la diversité des sujets

n'autorisaient pour leur approche qu'une analyse de type thématique : dans le but de conférer sa cohérence à un classement de fragments qui pourrait être qu'une excessive juxtaposition de débris, nous nous sommes efforcée d'y reconnaître des dénominateurs communs et de les

regrouper selon un agencement logique.

A l'aide d'une traduction des fragments2', rigoureuse et plus attentive, puisque partielle

et intkgrée A une étude sur un théme seulement, nous tenterons de définir la nature et le contexte narratif des différents prodiges. La traduction la plus fidèle possible des fragments a permis de

constater que la plupart du temps, seul le contexte aide à attribuer à chaque événement un caractère prodigieux. En effet, les deux termes - prodigium et monstrum - qui sembleraient a priori le mieux définir le caractère prodigieux d'un événement, n'apparaissent que deux fois

l1 Sauf indication contraire, les traductions fhnçaks appartiennent a l'auteure du mémoire.

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pour le premier (Annales 27Ch ; Annales 39Ch) et une fois pour le second (Hémina 11) ; les

prodiges qu'ils décrivent ne semblent pas en outre avoir un caractère plus merveilleux que les autres. Les auteurs utilisent en revanche, dans ce contexte, un certain nombre de termes religieux plus conventionnels, reliant l'événement au monde divin et confirmant l'aspect exceptionnel de

l'épisode : par exemple, auspicia (Annales 38Ch), inazlspicuta est (Annales 33Ch), aruspices (Annales 7Ch), diuinajît (Annales 26Ch), ldgion (Pictor 5a Ch) ou encore ierà (Pictor 7a Ch).

Par ailleurs, pour tous les prodiges causés par la foudre, l'unique présence du terme filmen, combinée aux conséquences du foudroiement, sufEt a donner au passage sa coloration

prodigieuse : on connaît le caractère mystérieux de la foudre et la peur qu'engendrait son interprétation comme expression de la colère des dieux.

L'analyse des fragments nous amènera 4 étudier les raisons pour lesquelles tel ou tel historien en vint A relater ces faits prodigieux. Ces analyses permettront d'étudier les influences

des traditions externes A Rome, plus précisément les emprunts faits A d'autres civilisations, la signification des divers prodiges, leurs particularitks romaines, les causes de leur utilisation, en

plus de mieux cerner le contexte historique de leur apparition. De là, nous tenterons de prouver que Rome s'appropriait volontiers les différentes traditions des peuples qui l'entouraient pour s e ~ r un passé historique obscur ou pour sa propre glorification Effectivement, les prodiges

semblent souvent avoir été orientés de manidre A souligner la grandeur des Romains ; cela ne paraît guère étonnant, l'historiographie romaine ayant souvent pour but, nous l'avons vu, outre l'éloge de gentes particulières, la glorification de 1'Vrbs. Ce présent travail permet donc au

chercheur de juxtaposer comaissances historiques et littéraires par l'intermédiaire d'un thème

qui a influencé toutes les civilisations et les grands mouvements de ce monde : le merveilleux.

Nous espérons d'abord que ce mémoire, gràce à une approche des prodiges fondée tout particuliérement sur une relecture des annalistes considérés comme une source historique privilégide, permettra, après une synthèse pertinente des plus récentes recherches sur les

prodiges tels que présentés dans l'annalistique, d'apporter un nouvel ticlairage sur la nature des croyances A une certaine époque à Rome : études des origines, des thèmes récurrents et des pratiques qui entourent l'apparition des prodiges ; en second lie& nous souhaitons que cette recherche contribue d un enrichissement de la connaissance historiographique, par l'exploration

des raisons de la présence des prodiges dans les œuvres historiques et par l'analyse des périodes où ils ont été enregistrés.

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Partie A

Cor~us

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Fragment 1

Fabius 5a = 7a Ch :

(...) Mais elle [Rhéa Silvia] fut enfermée et mise au secret, pour l'empêcher d'accoucher B l'insu d'Amulius. Elle mit au monde deux enfants, d'une taille et

à'une beauté extraorainaires. Aussi Amuiius, pius er'irrayé encore, àonna-t-ii l'ordre A un sewiteur de les prendre et de les exposer. Certains disent que cet

homme s'appelait Faustulus ; pour d'autres, ce n'est pas lui qui portait ce nom

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mais celui qui les recueillit. Ii mit donc les nouveau-nés dans une corbeille et descendit vers le fleuve pour les y abandonner ; mais, lorsqu'il vit les flots gonflés

et houleux, il n'osa pas s'en approcher et, les ayant deposés p r b de la rive,

s'éloigna. Quand le fleuve déborda, le flux souleva la corbeille, l'éleva doucement et la déposa en un endroit au sol assez mou, qu'on appelle A présent Cermalus, autrefois Germanus (...).

ïi y avait A proximitd un figuier sauvage qu'on appelait Ruminal (...). On raconte donc que la louve vint allaiter les nouveau-nés qui étaient couchés 1s et qu'un pivert l'aida h les nourrir et il les protéger. Ces animaux passent pour être

consacrés h Mars ; le pivert est particulièrement honoré et v4néré par les Latins ; c'est la raison essentielle de la confiance qu'inspira l'accouchée lorsqu'elle affirma

que le père de ses enfants était Mars. On dit toutefois qu'elle fut trompée et que c'est Amulius qui, lui apparaissant en armes, l'enleva et fa déflora. D'autres

prétendent que le nom de la nourrice, par son ambiguïté, permit # l'histoire de dériver vers le merveilleux, car les Latins appelaient louves chez les bêtes les

femelles des loups et chez les femmes, les prostituées ; or la femme de Faustulus, p h e nourricier des enfants, en &tait une, du nom d9Acca Larentia (Trad.

M. Chassignet).

Ce frapent , tiré de la Vie de Romulus, est sans contredit le plus long fragment qui nous

soit parvenu de Fabius Pictor. D'ailleurs, Plutarque se vante de suivre le témoignage de

l'annaliste qui, lui-méme aurait suivi les écrits de Dioclès de ~é~aréthos" (Rom., 3.1). Plutarque se serait également inspiré de l'œuvre d'un de ses prédécesseurs, Denys d'Halicarnasse, qui Iivre dans les Antiquités romaines, A quelques différences près, ce récit de la naissance des jumeau.

Dans sa totalité, le fragment fait mention du destin d'nia lors de la découverte de sa grossesse, du sauvetage des jumeaux par Faustulus, de l'enfance des jumeaux et de la rencontre avec Numitor jusqu'à l'assassinat d9Amulius.

" L 'annalistique ancienne, p. 19-20. Nous avons jugé opportun, dans ce corpus, de n'inclure que la partie du fragment qui traite de la naissance et du sauvetage des jumeaux par la Louve, Cf. également le tiagment 5b de Pinor, cite par U.K, M., i .74.éSj.3 au sujet 8e ia naissance aes jumeaux. Comme ies Oinérences entre ies cieux ikgmenrs ne concernent pas le fond mais la forme, nous n'incluons pas dans ce corpus le texte de Denys.

'3 Sur Dioclés de Péparéthoq cf. infia p. 45 n. 75.

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Fragment 2

Pictor 7c Ch.

Ps. Aurel. Vict., O.G.R, 20.1-3 : At uero Fabius Pictor libro primo et Vennonius so(ito institutoque egressam uirginem in usum sacrorum aquam

petitum ex eo fonte qui erat in luco Martis, subito imbribus tonitrubusque quae cum illa erant disiectis, a Marte compressam conturbotamque mox

recreatam consolatione dei nomen suum indicantis af/irmantisque ex eu natos dignos patre euasuros. Primum igitur Amulius rex, ut comperit Rheam

Silviam sacerdotem peperisse geminos, protintls imperauit deportari ad aquam profluentem atque eo abici. Tum illi quibus imperarum id erat

irnpositos alueo pueros circa radices montis Palatii in Tiberim qui tum magnis imbribus stagnauerat abiecerunt eiusque regionis subulcus Fausrulus speculatus exponentes, ut uidit, relabente Jlumine, alueum in quo

püeri erant obhaesisse ad arborem Jci puerorumque uagitu lupam excitam, quae repeFlte exierat, primo lambitu eos detersisse, dein leuandorum uberum grutia mammas praebuisse, descendit. ... 24

Par ailleurs, Fabius Pictor, dans son livre premier, et Vennonius [aflïrment que] la jeune fille, selon l'habitude et d'après l'usage établi, était sortie chercher de l'eau pour la pratique des cultes B la source qui se trouvait dans le bois sacré de

Mars, lorsque, ses compagnes dispersées par les orages et les coups de tonnerre, elle fut violde par Mars ; effrayée, elle fut bientôt rassurée par le dieu qui lui

avait indiqué son nom et affirmé que des fils dignes de leur père naîtraient d'elle. Pour cette raison, le roi Amulius, lorsqu'il découvrit que la prêtresse Rhéa Silvia avait enfanté des jumeaux, ordonna aussitôt de les transporter vers un cours

d'eau et de les abandonner h cet endroit. Mais alors, ceux qui avaient reçu cet ordre abandonnerent les enfants, places dans un baquet, au pied du mont Palatin,

l4 Dam son ouvrage sur I'annalistique romaine, Hisioncorn Romanorum Reliquiae, H. Peter ne considére pas les f iwents issus de SOrko Gentis R o m m e , a&tnant qu'ils ne sont pas authentiques. il suppose que l'auteur de cet ouvrage, f seudo Auréiius Victor, a rassemblé divers événements en leur assignant des noms d'annalistes ; cf'. H. Peter, N Die Schrii't Origo Gentis Romawe D in Berichte über die Verhandimgen der Kdniglich sdchsischen Gesellschafi der Wissenschaften ru Leipzig. Philologrsch-hismische K h s e , 64, 1912, p. 71-165. Dans le cadre de cette recherche, les hgments provenant de I'Origo Gentis Romanae sont considér6s ; ils sont extraits des études de M. Chassignet: Caron et M. Chassignet, L 'annalistique ancienne.

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dans le Tibre qui, 8 ce moment 18, formait une nappe stagnante 8 cause des fortes pluies. Faustulus, porcher de cette région, avait observé l'exposition ; il vit, le

cours d'eau refluant, que le baquet dans lequel les enfants avaient été déposés s'était arrêt6 près d'un figuier et qu'une louve, qui était soudainement sortie excitée par le vagissement des enfants, les avait d'abord nettoyés en les léchant et ensuite leur avait présenté ses tétines pour soulager ses mamelles gonflées grâce sa fécondité ; il descendit. ...

Ce fragment, parce qu'il est citd dans I'OGR, n'a pas été retenu par Peter. L'auteur de

I'OGR, Pseudo Aurélius Victor, narre depuis Janus et Saturne, la succession des grands hommes

jusqu7A Constance ; il traite donc de la naissance des jumeaux selon un ordre chronologique.

Ainsi, au paragraphe 19, après avoir mentionné la traîtrise d'Amulius envers le fils et la tille de Numitor, il raconte une version selon laquelle Arnulius s'était épris d'amour pour sa nièce et

pour cette raison lui fit violence ; de cette union seraient nés Les jumeaux romains. Le paragraphe suivant rapporte la légende telle que l'aurait Iivrke Fabius (notre fragment). Les deux derniers

paragraphes de I'OGR traitent de l'adolescence des jumeaux jusqu'A la prise des auspices qui déterminerait lequel entre, Romuius et Remus, fonderait la ville et détiendrait, ipso facto, la

totalité du pouvoir royal2'.

Cf. Pseudo-Auréiius Victor, Les origines bu peirpie romain. Texte etabi, traduit et commente par J.-C. Richard, Paris, Les Belles Lettres, 1983.

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Fragment 3

Pictor 2 LatP

Quint., Inst. Or. 1.6.12 : 'Lupus ' ma.culinum, quamquam Varro in eo libro, quo initia Romanae urbis enarrut, 'lupum feminam ' dicit, Enniurn (Ann. 68

et 70 V2) Pictoremque Fabius secutus.

Lupus est masculin bien que Varron, dans le livre où il commente les débuts de la ville de Rome, dit ((lupus feniinn w (un loup femelle), suivant Ennius et Fabius Pictor.

Ce fragment est tiré du premier livre de I'lnstirurion oratoire de Quintilien où celui-ci

démontre l'importance de l'utilisation de l'malogie des mots pour en connaître le genre ou pour connaître tout autre renseignement sur un nom ou un verbe douteu. Toutefois, l'auteur en 1.6.12 met en garde son lecteur : le raisonnement par analogie n'est pas valide pour tous les

mots, tels lepw (épicène) et lupus (masculin, sauf chez Varron, Ennius et Fabius Pictor).

O. Skutsch, dans son édition critique des Annales d'Ennius, affirme qu'en réalité, les noms d'animaux peuvent devenir dpicène en ajoutant fimina. Bien qu'il soit plus commun d'ajouter un a au radical, on rencontre d'autres exemples, enfie autres chez Caton (agr. 134.1) et Cicéron (leg. 2.57) qui ont écrit porcus femina dans un contexte rituel. II n'est donc pas surprenant que Varron ait écrit lupus femina , prkférant cette expression il h p a qui désigne égaiement, B l'époque classique, une prostituée26.

26 Ennius, Annalex introduction et commentaire, 0. Skutsch, New York, M o r d University Press, 1985, p. 215.

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Fragment 4

Piso 10P

Plin., 2.140 Exsrar Annalium memoria sacris quibusdam et precationibus uel cogi f ihina uel impetrari. Vetus fama Etruriae est, irnperratum Volsinios urbem depopulatis agris subeunte monstro, quod uocauere Voltam, euocatum a Porsina suo rege. Et ante e m a Numa saepiur hoc

factitatum in primo Annalium suorum tradidit L. Piso, grauis aucfor, quod imitatum parm rite Tullum Hosrilium ictum fulmine27.

C'est une chose avérée dans la tradition des Annales : grâce à certains rites sacrés

et B certaines priéres, les foudrests sont soit contraintes, soit obtenues. Il existe une vieilie tradition en Étrurie : alors qu'un monstre, qu'on appelait Volta, marchait contre la Ville de Volsinies aprés avoir ravagé la campagne, [ta foudre] fut obtenue

après l'évocation de son roi, Porsenna. Avant lui, L. Pison, auteur de poids, rapporte dans son premier livre des Annales que Numa avait assez souvent

accompli ce geste et que Tullus Hostilius, pour l'avoir imité sans bien respecter les rites, fut frappé par la foudre,

Ce fragment provient du livre 2 de L'Histoire Naturelle de Pline. Ce livre traite des

quatre grandes divisions du monde : le feu, l'air, la terre et l'eau. Les questions qui entourent la foudre sont aborddes à l'intérieur de l'exposé sur les phénomènes atmosphériques (l'air) et sont ddveloppées dans les paragraphes 135 à 146. Pline explique en particulier Ie phénomène naturel, c'est-à-dire les diekentes catégories de foudre, les bons et les mauvais présages selon les

endroits d'où elle provient et la vision étrusque de celle-ci. Il ne fait mention que d'un prodige foudroyant qui fut favorable à Sylla.

'' Selon H. Peter, Piso n'aurait pas mentionné la partie du fiagrnent relative au monme qui ravagea ilEuurie : [...] irnpefiahm Volsinras urbem &populat'is agis mheunre mor~fio, qud u m e r e Vokm [.. .].

Zn - 7 'vuus **"fij c&i ;,-i Je ox&i Is ti:üdr: &,%:;iifi;,- ik- phie r,&û;;;c FIüsiwr; q+c; $E5z2tcs j c ~ w tr foudres : celle qui est sèche, cene qui est humide, celle qui est claire, en plus des onze varittés dinies par les Étrusques.

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Fragment 5

Pictor 4P = Sa et b Ch

a) Cependant, pour ce qui est de la denomination de cette ville, Fabius, auteur de l'histoire des Romains, donne une autre version, fabuleuse. Un oracle, dit-il, avait annoncé B Énée qu'un quadrupède le conduirait au lieu où il devrait fonder une ville ; or, un jour qu'il allait sacrifier une truie pleine, de couleur blanche, elle lui échappa des mains et s'enfuit sur une hauteur où elle mit bas trente gorets. Énée, étonné de ce prodige et se rappelant l'oracle, entreprit de fonder une ville sur ce site ; mais, durant son sommeil, il eut une vision qui le lui interdit clairement et lui conseilla de ne la fonder qu'au bout de trente ans, nombre égal il celui de la portée ; il renonça h son projet29. (Trad. M. Chassignet).

Diod. 7.5.6 ap. Euseb., Chron. p. 388 : b) A la mort d'Énée, son fils, Ascagne, accéda au trône ; après trente ans passés, il édifia des constructions sur la colline et donna h Ia ville le nom d'Albe d'après la couleur de la truie (les Latins disent en effet dans leur langue Alba pour (( la Blanche N) ; il y ajouta un autre nom, Longa, ce qui, traduit, signifie (( La Longue », parce qu'elle était étroite en largeur et grande en longueur30. (Trad. M. Chassignet).

Le livre 7 de Diodore de Sicile nous est parvenu uniquement sous une forme fragmentaire. Il est insérd dans une série de Iivres qui reIatent l'histoire universelle de la Guerre de Troie à la mort d'Alexandre. Au début du livre 7, Diodore raconte l'histoire d'Énée Iorsqu'iI était encore à Troie, ensuite son arrivke en sol italien, enfin la fondation d'Albe-la-Longue par son fils Ascagne. C'est à ce moment que Diodore juge utile d'introduire la version de Fabius, faisant appel à l'oracle des trente pourceaux qui aurait dicté la date de la fondation d'Albe. Aprés avoir narré les deux versions de la création d'Albe, l'auteur ne critique en rien l'une ou l'autre de ces versions.

29 L 'andistique ancienne, p. 1 7- 18. 30 Voici la traduction du texte d'Eusèbe en arménien que nous n'avons pas reproduit ici. Cf M. Chassignet, L 'annaiisiique ancienne, p. 18.

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Fragment 6

Cato 13P = 14a et b Ch

Ps.-Aurel, Vict., Origo Gentis Romanae 12.5 : Ar Cato in Origine Gentis

Romanae iia docet : suem triginfa purculos peperisse in eo Ioco ubi nunc

est Lavinium cumque Aeneas urbem ibi cmdere constiruisset proterque a g i

slerilitatem maereret, per quietem ei uisa deorum penatium simulacra

adhorrantium ut perseueruret in condenda urbe quam coeperat. Nam posl

annos totidem quot fetus illius suis essent, Troionos in loca ferrilia arque

uberiorem agrum transmigramros et urbem clarissimi nominis in Iralia

condiruros.

Voici ce que Caton, dans 190rigo Ge& Romartae [nous] apprend : une truie avait

mis bas trente pourceaux dans le lieu o l se trouve aujourd'hui le Lavinium. Énée avait étabti de fonder la ville 4 cet endroit et il déplorait la stbrilité des champs h proximit6 ; or, pendant son sommeil, il vit les repr6sentations des dieux pénates

l'exhortant pour qu'il persévère dans la construction de la ville qu'il avait dkjh commencée. Car a p r h un nombre d'années identiques h celui des petits de cette

truie, les Troyens émigreraient vers un lieu fertile et un territoire plus fécond ; ils fonderaient en Italie une vilIe dont fe nom serait le plus illustre3'.

Ce fiagrnent tire de I'Origo Gentis Romanae serait issu du liwe 1 de Caton ou il traite de la période royale et de ce qui précéda. Le mythe de la truie est mentionnd par d'autres auteurs, mais

toujours avec quelques vruiantes : ainsi Fabius Pictor fait accoucher la mie sur la colline d'Albe et Hémina (fragment I l ) la relie à la légende de Romulus et Rémus.

" Cf. également : D. H. AR 1.56.3 ; Diod. 7.5.5.

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Fragment 7

Diomed. 1 p. 384 K. Haec ira esse hoc modo adfirmar Cassius Hernina in secundo historiarum : Pastorum uulgur; sine contentione cornentiendo

praefecemt aequaliter irnpsrio Remtrm et Romulum, ita ut de regno

parurent inter se. monstmm fit : sus parir porcos triginta, cujus rei funurn

ficerunt laribus Grundilibus.

Cassius Hkmina, dans le second livre de ses histoires, afiirme que ce fut de cette

rnanihe : une foule de bergers, sans rivaiité, établirent comme chefs, A égalité,

Rémus et Romulus, de manière A ce qu'ils s'arrangent entre eux au sujet du royaume. Un fait prodigieux se produisit : une truie mis bas trente pourceaux et le lieu de cet événement fut consacré aux Lares Gmndiies.

Ce fragment, cité par Diomède, grammairien de la fin du 4' siècle, nous rapporte le récit que fit Himina du prodige de la truie. Sa version diffère de tous les autres auteurs anciens. En effet, Hémina relie ce prodige à [a fondation de Rome au temps de Romulus, alors qu'il est généralement situé lors de la création de Lavinium. Par ailleurs, ce fragment nous renseigne sur les origines du culte des Lares Grundiles ou ~ r u n d u l e s ~ ~

" Les iures Gmndiries sont des dieux domestiques. R Schilling, dans son étude « Les Lares Gmridtrles 1) in Rim, cultes, d i a de Rome, Paris, éd. Klincksieck, 1979, p. 402-403, élabore sur la problématique de leur signification d'origine. ii mentionne que G. J. Vossius, suivant Wissowa, a supposé que gnmdules venait de suggnmda (auvent), mggrunrimra ddésignent des sépultures de nouveau-nés. (( Ces sepuIturea d'enfants ensevelis sous l'auvent de Ia pone des cabanes exptiqueraient l'expression Lares GnmduIes n. Selon Ernout-Meiiiet, S. u. gnmdio, gmdt l i s serait un déverbatif de gnrndite (grumire), qui sipilie N grogner », en faisant référence au porc. Quant a l'orthographe du mot, Cassius Fiémina, l'auteur le plus ancien A faire réfërence il ce ternie, écrit gmndi1ibu.s. Par la suite,

~=ktwi, y<e- il 4' y * ~ ~~0~~~ &-. !: d"r*&iLs. cc ChzBzs% Uÿ

vocaIisme en i pour le vocalisme en u est attesté pour d'autres mots, tel scurri1is (forme classique) et smmliras (forme tardive).

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Fragment 8

Antias 12P

Antias donne une autre version : selon lui, la femme de Semius, Geganie, Ctait

mourante et lui-même, devant sa mère, sombra dans le sommeil, accable qu'iI était par Ie désespoir et le chagrin et, comme il dormait, son visage apparut aux

femmes tout auréolé d'un nimbe de feu, preuve qu'il était né du feu et excellent présage du pouvoir inattendu qu'il reçut A la mort de Tarquin grâce au zéle de ~ a i i a ~ u i l ~ ' . (Trad. : F. Frazier et C. Froidefond),

Ce fragment, extrait des CEuvres morales, La fortune des Romains, est inséré dans le récit de la vie de SeMus TulIius. L'auteur, après avoir mentionné les bienfaits de I'œuwe de la Fortune dans la vie de Romulus et celle de Numa, s'attarde A la vie de SeMus qui, dans toutes les traditions, est Ctroitement lite A Ia Fortune. Par exemple, la tradition fait dépendre d'elIe son

pouvoir (de@[. Rom. 10. 3220, et Servius fonda le temple de la Fortune Prirnigenia (1 0. 322f). De plus, PIutarque semble justifier de nombreuses institutions de Servius par le fait que lui-

même devait son pouvoir à la Fortune (10. 323b). Ii présente alors les deux versions du récit

présentant une flamme miraculeuse qui confirmait SeMus dans ses fumes actions : d'abord l'union d'ocrisia avec une flamme du foyer (10. 323c), ensuite la version d'Antias ou il est

plutôt question d'une auréole lumineuse.

Plutarque, Eu~es Morales, TT. V, ltrrpiutie, traités 20-22. Paris, Les Belles Lettres, 1990.

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Fragment 9

Dans les archives locales, il existe une autre version de la naissance de Servius Tullius, qui confère aux circonstances qui t'ont entourée un caractbre fabuleux ; nous la trouvons dans de nombreuses histoires romaines ; la voici, s'il plaît aux dieux et aux divinités qu'on la raconte. Selon ces histoires, du foyer du palais royal eh+ e ~ t ~ EE!E oecriCi~~o~ !es Remaino nCfren! !- prbmi~w de !PET opno; i'n phaHus avait surgi au-dessus du feu. La premiére 4 le voir fut Ocrisia, venue zpporter les gâteaux rituels pour les jeter dans la flamme ; elle alla en informer

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aussitôt le roi et la reine. Tarquin, A cette nouvelle, puis A la vue du prodige, fut saisi d'étonnement; quant B Tanaquil, qui entre autres domaines ou elle était versée, ne le cédait A aucun Tyrrhenien en matière de divination, elle lui dit qu'il

s'agissait d'un signe du destin : du foyer royal naîtrait un enfant supérieur aux

créatures humaines, sorti de la femme qui serait fécondée par le fantôme. Comme les autres devins partageaient son avis, le roi décida qu90crisia, A qui le prodige

était apparu en premier, s'unirait A l'apparition ; h la suite de quoi, la jeune femme, parée comme le sont habituellement les mariées, fut enfermée seule dans la

pièce où on avait observé le prodige. Un dieu ou une divinité - Hépha'istos comme certains le pensent ou le Lare de la maison - s'unit h elle avant de disparaître,

l'union consommée; elle en fut fécondée et mit Tullius au monde le moment vouluu. (T'rad. : M. Chassignet).

Ce fragment, fort probablement parce qu'il est tiré des archives locales, n'est par retenu

par Peter comme faisant partie des Annales Pontificum. Il est extrait des Antiquités romaines de Denys d'Halicarnasse, au ddbut du livre 4, où l'auteur mentionne de quelle façon Ocrisia &ait devenue escalve et dans quel contexte elle donna naissance à un fils qu'elle baptisa du nom de

son défunt mari, Tullius, et du prénom de SeMus, provenant de sa propre condition d'esclave. A la suite de ce paragraphe, il signale des circonstances p l u fabuleuses qui entourent la naissance

de ce futur roi : sa conception par un dieu du foyer et l'aurtole lumineuse qui aurait entouré

l'enfant lors de sa naissance.

j4 L 'cm~listique oncienne, p. 5 .

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Fragment 10

Pictor 3 IatP

Non., p. 834 L : Picumnus et auis Marti dicara, quam picum uel picam uocant, et deus qui sacris Romanis adhibetur [.. ): Fabitrs Pictor Rerum

G e s t a m lib. I 'et simul uidebant picum Martiurn '.

Picumnus, et l'oiseau consacré M a n qu'ils appellent pivert ou pie, et le dieu qui est employé pour les sacrifices romains lm..]. Fabius Pictor, dans son premier livre des histoires :"et au même moment ils voyaient le pivert de Mars".

Dans ce passage où il cite Fabius Pictor, le lexicologue Nonius tente par diverses preuves

de démontrer que le pivert est appelé u oiseau de Mars d5. Dans son livre 10 sur les oiseaux, Pline consacre deux paragraphes (5 40-41) au pic. Classé parmi les oiseaux a serres crochues, il

est explicitement présenté comme l'oiseau attribué d Mars. Au paragraphe 41, Pline met plutôt l'accent sur l'importance et le rôle des pics dans la science augurale, précisant qu'ils N tiennent

le premier rang pour les augures, depuis le roi qui leur a donné son nom D. Le pivert apparaît régulièxement dans la littérature antique comme un oiseau qui a un pouvoir oraculaire ; ces nombreuses apparitions et l'intérêt qu'on lui porte sont dus, notamment, a la légende du roi de

Lavinium changé en pic par ~ i r c é ~ ~ .

Il est certain que cet oiseau resta intimement lié aux dieux. On dit d'ailleurs du pivert qu'il aurait protégé les jumeaux sous Ie figuier ruminal. Pour cette raison, ce fragment, cité par Nonius, peut être à rapprocher d'autres hgments de Fabius Pictor qui a longuement écrit dans

ses Annales sur la tradition des jumeaux fondateurs de Rome.

OV. Fast., 3.291 ;Met., 14.320.

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Fragment 1 1

Annales 33Ch

Ph., N.H., 10.36 ": Inauspicara est et incendiaria auis, quam propter saepenumero lustratam urbem in Annalibw inuenimus, sicut L. Cassio C. Mario cos., quo anno er bubone viso lustratant esse.

L'oiseau incendiaire est aussi de mauvais augure. On apprend dans les Annales qu'A cause de lui la ville a et4 purifiée nombre de fois, comme sous le consulat de L. Cassius et C. Marius, année où elle fut également purifiée après qu'un graod- duc eut été aperçu.

L'événement eut lieu en 107 av. J.-C., année oil L. Cassius et C. Marius furent consuls. Ce fragment, tiré du livre 10 de Pline, est consacré au?t différentes espéces d'oiseau. Ceux-ci se trouvent regroupés selon leurs caractéristiques et leurs particularités tel leur type de griffes ou de becs, ou encore le fait qu'ils dorment le jour ou la nuit. Aucun ordre logique ne semble structurer l'œuvre de Pline ; les paragraphes 34 à 36 sont destinés aux oiseaux perçus comme de funestes présages dont font partie le grand-duc et l'oiseau incendiaire. Au sujet de ce dernier, Pline lui-même affirme ne pas savoir quelle est cette espèce d'oiseau à cause du manque de tkmoignages, mais que d'aprbs certains auteurs, (c est incendiaire tout oiseau qu'on a vu emportant un charbon des autels ordinaires ou des grands autels; d'autres l'appellent spinturnix3* P. Dans son commentaire du livre de Pline, E. de Saint Denis mentionne qu'il peut s'agir de la crave ou du Kopamaq, qu'Aristote aurait dkcrit (9.24) c o r n e un oiseau de la taille de la corneille, et avec un bec rouge. Cet oiseau aurait développé un goût particulier pour des objets brillants, ce qui expliquerait qu'il eut été attirt par des charbons ardents qu'il aurait quelquefois Iaissé retomber au sol, causant alors des incendies. Selon E. de Saint Denis « le Kopanaç d'Aristote serait le pyrrhocorax des Alpes, cite par Pline au paragraphe 1 3 3 ' ~ ».

Au sujet du grand-duc, Pline au paragraphe 34 le décrit comme un oiseau funèbre qui habite les endroits déserts, sinistres et inaccessibles ; il le qualifie même de monstre de la nuit, noctis rnonstrurn. Un tel oiseau ne pouvait qu'être signe de mauvais présage lorsqu'il se montrait en plein jour. Au paragraphe 35, suivant Julius Obsequens, il donne un autre exemple où la ville aurait kt& purifite à cause du passage d'un grand-duc dans le sanctuaire du Capitole, sous le consulat de Sextus Palpellius Hister et de L. Pédanius. La purification de la ville à cause du passage d'un grand-duc apparaît alors nécessaire, suivant l'idée que les anciens se faisaient du pouvoir de certains oiseaux.

" L'évdnement est également mentionnd par Julius Obsequens, 100.11 1. 38 Pliru?, 10 Zh

39 Cf. la note 3 de E. de Sabt Denis 5 36 du livre IO de P h e Histoire NatureLie, de l'édition des Belles Mes, p. 118.

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Fragment 12

Asellio 2aP

Non. S. IL bubo p. 194. Asellio hisioriarum libro I : ... et quod bubo in columna aedis Iouis sedens conspectus est.

Asellio, dans son premier livre des histoires : ... aussi parce qu'un grand-duc, posé sur la colonne du temple de Jupiter, fut aperçu.

Ce fragment de Sempronius Asellio est tiré du De compendiosa domina de Nonius.

Dans ce passage, l'auteur démont~e que bubo peut-être à la fois féminin, comme dans le livre 4.462 de 19Énéide, ou Virgile a écrit : seraque40 culminibusfirali carrnine bubo ; et à la fois masculin, comme dans ce passage d'Ase1lio.

D'après les affirmations de Pline concernant les buùoms, on peut supposer qu'ici Aseliio parlait d'un moment, ou de la cause pour laquelle la ville aurait peut-être dû être purifiée. Du moins, e s t4 certain que ce fut un signe de mauvais présage ; mais comme l'année exacte du

phénomène dvoqd dans ce fragment demeure inconnue, on ne peut réellement envisager des liens avec un incident quelconque. Néanmoins, M. Chassignet a tenté un rapprochement avec un autre kvénement mentionné par Julius Obsequens (26) qui mettait en cause le hululement d'un

hibou entendu au Capitole et la défaite de l'armée romaine contre Numance. Cependant, cette guerre eut lieu en 135 av. J . 4 . : l'événement ne saurait se trouver dans le livre 1 d'Asellio, puisque que d'après les estimations sur l'économie de l'œuvre, la guerre d'Espagne et les tvenements qui s'y rapportent se situeraient au livre 4".

Se-! ?%?!ES ~ o r n p e ; en revanche, !ES !es mz!~ocr;ts l e ! ' c v r ~ vigilennp 4cn_?enc r n ! q ! p , Nbanmnks, l'un ou L'autre adjectif ne change en rien la démonstration grammaticale de Nonius. 4 1 M. Chassignet, L 'wnafistipe moyenne, p. 16 1.

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Fragment 13

Annales 35Ch

Plin., N. H., 10.50 : Inuenitur in Annalibus in agro Ariminensi M. Lepido Q. Catulo cos. in uilla Galerii locutum gailinaceum, semel, quod equidem sciam.

On trouve dans les Annales que, sous le consulat de M. Lepidus et de Q. Catulus, un coq parla sur le territoire d'Ariminum, dans la maison de campagne de GalCrius. ii ne parla qu'une fois, h ce que je sache du moins.

L'événement eut lieu en 78 av. J.-C. ; Pline, dans son livre 10 qui traite des oiseau, parle

des coqs du paragraphe 46 au paragraphe 50. Encore là, aucun ordre logique ne structure l'œuvre. De ces oiseaux veilleurs de nuit, uigiles nocturni, il énumère quelques particularités, par exemple, la peur qu'ils inspirent aux lions (# 46-48). Au paragraphe 49, il aborde certains

pouvoirs mystiques du coq : celui-ci fournit des présages par le simple fait de prendre de la nourritureJ2, il a le pouvoir d'ordonner ou d'interdire des batailles, il est annonciateur des

victoires remportées dans l'univers entier, enfin, par son chant, il fournit des avertissements prodigieux. Le paragraphe 50 est consacre a des détails plus anecdotiques : lorsqu'il est châtré, le

coq ne chante plus ; se présente ensuite une digression sur la pratique des combats de coqs B

Pergame; enfin, Pline termine par ceüe mention d'un coq ayant parlé sur le territoire d' Ariminum.

Le coq revêt une importance considérable dans la science augurale, ce qui renforce Ie

caractère dramatique et magique de l'événement raconté ici ; il est étonnant d'ailleurs que Pline ne souligne pas davantage cet aspect particulièrement merveilleux du fait.

42 Cidron (De du., 2.34.72 ) explique de quelle façon Ies coqs fournissent des augures lorsqu'ils mangent. En 2.26.56, il élabore sur les prodiges venant du chant des coqs, sans jamais faire allusion a un coq qui aurait parlé.

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Fragment 14

Pis0 IV

Annales 5Ch

Ps. Aure :1. Vict., O.G.R., 18.2-343 : p s t eum regnauit Aremulus Siuius qui tantae superbiae non aduersum homines modo, sed etiam deos fuisse traditur ut praedicaret superiorem se esse ipso loue ac, tonante caelo, militibus imperaret ut telis clypeos quaterent dicfaretque clariorem sonum

se facere. Qui tamen praesenti affecrus est poena : nam fulmine ictus raptusque turbine in Albanum lactum praecipitatus est, ut scriptum est arutaliurn libro IlIl el epitarnarurn Pisonis II.

Après lui régna Aremulus Silvius dont on rapporte qu'il fut d'un tel orgueil non seulement envers les hommes, mais aussi envers les dieux, qu'il se proclamait

supérieur P Jupiter lui-même et que, lorsque le ciel tonnait, il commandait Q ses

soldats de frapper leurs boucliers avec leun traits et répétait qu'il faisait un son plus éclatant. Cependant, il fut terrassé par une punition immédiate : car frappC par la foudre et enlevC par un tourbillon, il fut précipité dans le lac d'Albe comme il est écrit dans le quatrième livre des Annales et dans le second des abrégés de

Pison.

Ce fragment, parce qu'issu de 170rigo Gentis Rorn<mnm, ne fut pas retenu par H. peteru. De plus, son appartenance à l'œuvre de Pison fut amplement contestie par les auteurs modernes qui

expliquent difficilement comment concilier la place de ce fragment, écrit dans le second livre

des abrégés de Pison, avec le fragment 10 du même auteur, au sujet de Tullus Hostilius

foudroyé, qui se trouve dans le livre 1 de ses Annales. Toutefois, il n'est pas impossible que des

abrégés de Pison aient existé étant donné que ce style littdraire fut fort populaire sous l'Empire.

Mais certains auteurs modernes préfèrent croire qu'il s'agit ici d'un autre érudit dont le nom s'apparentait B. celui de notre annaliste4'.

43 Cf. kgalement : T.-L. 1.3.9 ; D. K 1.71.3 ; Ov. Met.. 14.617-618 ;Fast., 4.50 ; Oros. 1.20.5. 4.4 CE, supra p. 13 n. 24. Le probIBme de l'authenticitd de cet extrait est encore aujourd'hui source de discussion. ?vur LX ~,1:~!&e CYL,~!?:: = !U qc&vz, cf P, Edvv, :: L e 1~ .d: Ao ? h n . n, p. CC-!?.

4' CE la note 4 de J. C. Richard au paragraphe 18 de l'&go Gentis R o m m e du Pseudo Aurelius Victor, dans l'édition des Belles La re s , p. 14%.

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Fragment 1 5

Piso 13P

Plin., NH., 28.14 : L. Piso primo annalium auctor est, Tullum Hostilium

regem ex Numae Iibris eodem quo ilium sacrrficio Iouem caelo deuocare conatum, quoniam parum rite quaedam fècisset, fulmine ictum.

L. Pison, dans son premier livre des Annales, rapporte que le roi Tullus Hostilius avait entrepris, d'après les livres de Numa, de faire descendre du ciel Jupiter par le même sacrifice que celui-ci, et qu'il fut frappé par la foudre pour avoir accompli certaines pratiques sans b h respecter hi rites.

De cette affaire, Tite-Live raconte que TuIlus Hostilius, après être tombé malade,

s'intéressa à la religion pour la première fois. C'est a ce m e n t qu'il trouva les livres laissés par Numa qui contenaient des sacrifices secrets en l'honneur de Jupiter Élicius. 11 tenta

d'exécuter les rites, mais il le fit avec quelques irrégularités. Jupiter alors « mécontent d'avoir été dérangé par des pratiques défectueuses le foudroyaJ6 ».

Ce fiagment est rapporté par Pline dans le livre 28 ou il critique et énumère les remèdes pour l'homme. L'auteur traite d'abord de magie et de médecine mélangées - où il condamne les

mages qui sont des charlatans et où il aborde le pouvoir des formules magiques ; ensuite il traite des remèdes provenant du propre corps de l'homme ; il poursuit alors avec les traitements qui résultent des animaux : d'abord les animaux exotiques, ensuite les animaux domestiques ou

sauvages de la rkgion.

La foudre est abordée dès le début lorsque Pline traite des remédes tirés de l'homme et de

la véritable valeur du pouvoir des formules magiques et des incantations. Plus précisément, il

affirme au sujet de la foudre que les ancêtres des Romains ont cm A la valeur des formules magiques et que sa w w était la chose la plus diftiçik A obtenir. De là, il émtmire plusieurs croyances et faits relatifs Q des formules magiques dont ce fiagment de Pison.

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Fragment 16

Annales 7Ch

Gell., N.A., 4.5.1-647 : Statua Romae in cornitio posita Horatii Coclitis,

forrissimi uiri, de caelo tacta est. Ob idfufgur piaculis luendum aruspices

ex Etruria .amiri inirnico .osque h~st i l i in populm Romunum animo

instituerant earn rem contrariis religionibw procurare atque ilIam

statuam suuserunt in infiriorem focum perperam iransponi, quem sol

oppusitu circurn undique altarum aedium numquam iilustraref. Quod cum

ita jîeri persuusissenf, delati ad populum proditique sunt et, cum de

per$dia confissi essenr, necati sunt, constititque eam stutuam, proinde ut

uerae rationes p s t compertae monebanr, in lucurn editum subducendam

atque ita in area Volcani sublimiore loco statuendam ; ex quo res bene et

prospere populo Romano cessit. Tum igitur, quod in Efrur;cus aruspices

male consulentis animaduersum uindicaturnque fuerat, uersus hic scite

factus canfutusque esse a pueris urbe rota fer fur :

' Mafum consilium consultori pessimurn est '.

Eu historia de ampicibus ac de uersu isfo senario scripta est in

Annalibus Marimis, i i b r ~ undecimo et in Verrii Flacci Iibro primo Rerum

memoria dignurum.

La statue de cet homme trés courageux que fut HoratiusCodès, érigée sur le somitium A Rome, -fut # r a p p é e q ~ la .foudm Pour racheter ce coup de foudre par des sacrifices expiatoires, on fit venir d'Étrurie des haruspices qui, par une mimitié et hostilité envers le peuple romain, avaient déCid4 d'effectuer t'expiation avec des pratiques religieuses contraires : ils conseill&rent faussement de

transporter cette statue vers un lieu moins élevé, que le soleil B cause de l'obstacle

des édifices élevés situés partout t l l'entour n'éclairait jamais. Alors qu'ils avaient persuadé [les Romains] de procéder ainsi, ils furent dénoncés et livrés au peuple :

pour avoir avoué leur perfidie, ils furent tués. il fut établi, comme le préconisaient les règles véritables découvertes ensuite, que la statue devait être amenée vers un

47 Cf également :T.-L. 2.IO;Cic. Leg., 2.10 ;Plut. Pop[., 16.6-9;Pol. 6.55.1-3 ;D. H. 5.23.2;Flor. 1.4.3-4; Val. Max, 3.2.1 ; Vir illus., 1 11.1-2.

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lieu élevé et érigée ainsi sur l'esplanade de Vulcain, qui est la plus haute ; dès lors,

.l'affaire fut pour les Romains hureuse et favorable. C'est alors, dit-oe, parce qu'on avait châtié et puni des haruspices etrusques qui prenaient de mauvaises

mesures, que ee vers fut habilement composé et chrtnfé par les eafants dans toute la ville :

Un mauvais conseil est trés dommageable pour le conseiller ". Ceffe histoire au sujet des haruspices et de ce vers sénaire est nofée dans le

onzième livre des Annales Marimi et dans le premier livre des Faits Mémorables de Verrius Flaccus.

En 508 av. J.-C.'~, Horatius Cocles avait bravement défendu sa patrie contre une invasion étrusque. Sun incroyable acte de bravoure face B l'ennemi lui mérita l'érection d'une statue an

Comitium. À lui seul et au risque de sa propre vie, il bloqua le pont qui aurait pu livrer le

passage à l'ennemi. En revanche, il fut protégé par les dieux qui lui épargnèrent une mort certaine dans les eaux du Tibre où il fut plongé, vétu de toute son armure, avec l'armée étrusque.

La date exacte de ce prodige reste inconnue ; toutefois, il est préférable de penser à une date assez hautedans 17histoiFe e t en tout cas ant6rieure -au siège .de Véies (406-396) étant donné l'extrême crkdulitk des Romains envers les haruspices et la férocité avec laquelle ces derniers furent traités4'.

49 I. Gagé, (( Une consultation d'haruspices 3, p. 21.

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Fragment 17

Annales 24Ch

Cic., De Diu., 1.100'~ : Quid, quod in Armafibus habemus Veienti bello, c m lacus Aibanus praeter moàum creuisset, Veientem quendam ad nos hominem nobilem perfugisse, emque dixisse ex fatis, quae Veientes scrbta haberent, Veios cagi non gosse, d m lacus is redundaret, et, si lacus emissus lapsu et cursu suo ad mare profluisset, pern iciosum populo Romano; sin adem ita essef eductuq ut ad mare peruenire non posset, tum salutore nostris fore? Ex quo ilia rnirabilis a maioribus Albanae aquae facta deductio est. Cum autem Veientes bello fessi legatos ad senatum misissent, tum ex iis quidam dixisse dicitur non omnia illurn fronsfugam ausum esse senatui dicere; iri isdern enim fatis scriptum Veientes habere fore ut breui a Galfis Roma caperetur ....

Que dire de- que nous trauvans dans les Annales lors de la guerre-contre Véies ? Tandis que le lac Albain s'était accru d'une façon démesurée, un noble Véien fit désertion chez nous et annonça que, selon les oracles notés dans les livres véiens, Véies ne pouvait être prise tant que ce lac débordait; si le lac déversé s'écoulait vers la mer de son propre mouvement, suivant son propre cours, ce serait funeste pour le peuple romain ; si au contraire, il s'écoulait de manière ii ne pouvoir atteindre la mer, alors ce serait salutaire pour les nôtres. Dés Ion fut effectue par nos ancêtres cet étonnant détournement des eaux du lac albain. Or, quand les Véiens, épuisés par la guerre, envoykent des légats vers le sénat, l'un d'entre e u , dit-on, aMirma alors que le dberteur n'avait pas osé tout dire au sénat : en effet, dans les mêmes oracles véiens il était mentionné que se produirait peu après la prise de Rome par les Gaulois.

Le prodige eut lieu en 398 av. J. C., soit deux ans avant la prise définitive de Véies au

terme d'une guerre qui dura dix ans. Lors de cette guerre, qui fut confiée ci la grande gens des Fabii, les défaites romaines furent assez s6vères. De ce fragment, outre la victoire des Romains face aux Véiens, on remarque l'impuissance de Rome envers les Gaulois. ii est a noter que dans

ce récit de la dérivation du lac Albain, cité par plusieurs auteurs, Cicdron ne mentionne pas l'ambassade romaine qui fut par Ia suite envoyée ii Delphes pour confirmer la future victoire des Romains. Selon ValBre Maxime (1.6.3) « [. . . ] .les députés rapportent cette rdponse : les destins

vous ordonnent de làcher les eaux du lac et d'en inonder les campagnes ; c'est un moyen assuré de faire tomber Véies au pouvoir du peupie romain H.

L'événement est kgalement mentionne par : T.-L. 5.14-15 ; Val. Max, 1.6.3 ; Zon. 7.21 ; Cic. De diu., 2.69 ; Plut. C a , 3-4 ; D. H. 12.10-13 ; Diod. 14.93.

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Fragment 18

Annales 26Ch

Gell., XA., 9.11.1-9 ": De Marimo Valerio, qui Coruinus appellatus est ob amilium propugnationemque comi alitis, haut quisquam est nobilium scriptorum, qui secus dixerit. Ea res prorsus admiranda sic profecto est in libris annalibus mernorata : adulescens tali genere editus L. Furio Claudio Appio consulibus <fit > tribunus militaris. Atque in eo tempore copiae Gallortnn ingentes agrum Pomptinum insederunt, instruebanturque acies a consulibus de ui ac multitudine hosrium satis agentibus. Dux interea Gallorum uasta et ardua proceritate armisque auro praefilgentibus grandia ingrediens et manu telum reciprocans incedebat perque contemptum et superbiam circumspiciens despiciensque omnia uenire iubet et congredi, si quis pugnare secum ex omni Romano exercitu auderet. Tum Valerius tribunus, ceteris inter metum pudoremque ambiguis, impetrato prius a consulibus ut in Gallum [am immaniter adrogantem pugnare sese permitteren?, progreditur intrepide, modesteque obuiam : et congrediunfur et consist~rnt, et conserebantur iam manus, atque ibi uis quaedam diuina fit : cornus repente improuisus aduolat et super galeam tribuni insistit atque inde in aduersari os atque oculos pugnare incipit ; insilibat, obturbabat et unguibus manirm laniabat et prospecturn a h arcèbat atque, Ùbi saris saeuierat, reuoilabat in galeam tribuni. Sic tribunus, spectante utroque exercitu, et sua uirtute nirus et opera alitis propugnatus ducem hostium firocissimum uicit intq6ecitque atque ob hanc c a w m cognomen habuit Continus. Id facturn est annis quadringentis quinque posf Romam conditam

Sur Valérius Maximus, qui fut appelé Corvinus pour avoir 4th aidé et dhfendu par un corbeau, il n'est personne parmi les auteurs de renom qui ait présent4 une autre venion. Cette affaire, vraiment remarquable, fut ainsi racontée dans les livres des Annules :

Un jeune homme, issu d'une telle famille, est nommé tribun militaire sous le consulat de L. Furius et Claudius Appius. Au même moment, d'immenses troupes

" Le même combat est égaiement relate par T.-L. 7.26 ; de plus, de nombreux auteurs y font allusion, cf. : Fior. 1.8 ; Val. Max 3.2.6; 6.15.5 ; Amrn. Marc. 24.4.5; Oros. 3.6.5; Zon. 7.25; Eutr. 2 6 ; Kr. dl., 29; D.H. 15.1.1 ; App. Celt., 10 ; Dion h g . 3 1M

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de Gaulois s'étaient installées dans le territoire pontin ; les consuls disposaient les troupes en lignes, gênés par la force et par le grand nombre des ennemis. Pendant ce temps, le chef des Gaulois, d'une stature et d'une taille démesurées et les armes étincelantes d'or, s'avança A grands pas ; balançant B la main son javelot, il progressait, lançant autour de lui des regards méprisants et orgueilleux, dédaigneux de tout, il ordonne qu'on vienne h sa rencontre, si quelqu'un, dans toute l'armée romaine, osait se battre contre lui. Alors que les autres héaitaient entre la crainte et la honte, le tribun Valérius, aprés avoir d'abord reçu des consuls l'autorisation de combattre un Gaulois si terriblement arrogant, s'avance il sa rencontre avec vailIance et retenue ; ils marchent l'un vers l'autre, prennent position et en venaient déjh aux mains. Alors apparaît une puissance divine : un corbeau, arrivé soudainement A l'improviste, vole vers lui, se pose sur le casque du tribun et de IA commence attaquer Ie visage et les yeux de l'adversaire. Il s'blançait, l'importunait, lui griffait la main, obstruait sa vue de ses ailes et lorsqu'il s'était suffisamment acharné, revenait sur le casque du tribun. Ainsi le tribun, sous le regard des deux armées, soutenu par sa vaillance autant que défendu par l'aide de l'oiseau, vainquit le chef le plus impétueux des ennemis et le tua. Voila pourquoi il reçut le surnom de Corvinus. Cet événement eut lieu quatre cent cinq ans après la fondation de Rome.

Le corbeau a toujours été signe de présage dans l'antiquité romaine ; on disait même de lui qu'il coqprenait ce qu'il annonçait. L'kvénement, cité par Quadngarius et les Annales, eut lieu en 349 av. J.-C. sous le consulat de L. Furius Camillus qui avait établi son camp sur les bords de la mer pour contrer le pillage gaulois. C'est à ce moment qu'un ennemi gaulois aurait Iancé un défi à quiconque oserait combattre contre lui, défi que M. Vatérius Corvus, tribun militaire, releva avec prestige.

Ce combat se rapproche d'un autre combat (Gell. 9.13) opposant Titus Manlius contre un colosse gaulois. D'ailleurs, R. h4arachd2 mentionne des points communs trks importants telle la noble origine des deux Romains versus L'extraordinaire force et l'insolence des deux Gaulois dont l'un est décrit comme : uasta et ardua ,proceritate m i s q u e auro graefulgentibus [...J contemptum et superbiam circumspiciens despiciensque omnia (Ge11. 9.11.5) ; et l'autre : fonnidandae uastitatis et quantum insolens prouocutor [...] qui et uiribus et mapitudine et adulescentia simulque uirtute ceteris antisfabat (Gell. 9.1 3.4 et 13.7). Grâce à cette comparaison, il suggère, suivant R. ~ ! o c h ~ ~ , que ces combats singuliers pourraient être le reflet d'une tradition celtique qui aurait été opposée A un tradition romaine où la puissance et la force sont Ie résultat d'une unitd. Cette unité est d'ailleurs la base du nationalisme romain vainqueur de tout. Selon R. Bloch, il ne fait aucun doute que le thime celtique du corbeau, reprdsentant des

$7 "1.

Lr. ia noie 3 de R. iviiirache Ju iivre 9.i i d 'Auiu-Gr , Les truiw uiiiyurs, duis i'Siiiüii Driiss Ltiii-GJ, p. 2iG- 217. 53 R Bloch, « Combats singuliers », p. 108-1 17.

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d i e u de la guerre, fut repris par les Romains pour leur propre profit. D'autres anaIyses du récit sont envisageables, ainsi, R. ~anslik" soutient p u r sa part qu'il s'agit 1A d'un récit étiologique qui f i t répandu par la famille des Valerii.

Le fait que Peter ait attribué ce fragment àt Claudius Quadngariw fut abondamment discuté. R. h4araches5 soutient que ce passage est beaucoup trop sobre et les effets dramatiques trop mesurés pour qrr'il soit attribut5 4 QuadrigaRiis. Pour sa part, J. I3eurgonx propose d'assigner ce récit à Valérius Antias, source constante de Tite-Live et dont la partialité envers sa gens est une des principdes caractéristiques. II critique d'ailleurs u la conclusion prdcipitée de Peter » qui attribue ce fragment à Quadrigarius.

54 R Han& « Vairhius » # 261. in RE. Vm A 1.13 1 : cf. h4. Chassignet. L 'annalisripe uncienne. o. 11 n. 1. 55 Cf Ia note 3 de R Marache du livre 9.11 d'Aulu-Gelle, Les mcirs maques, p. 217.

%L Heurgon, h &disaam & Coprnre pré-romaine, p. J 63-1 64

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Fragment 19

Annales 39Ch

Ph., N.H., 8.173 57: Est in AnnaIibm nostris hc. mulBsjpeperisse saepe, u e m prodigii loco habitum.

On trouve dans nos Annales que des mules ont souvent mis bas, et que ce fut

cansidér6, es vérité, ccrmma un prodige.

Au paragraphe 271, Pline commence a parler de la mule dont il mentionne qu'elle est issue de l'union de l'âne e t de la ju r in t et qu'elle est sans égale pour les travaux. Il pr-ise par

ailleurs, que l'accouplement du cheval et de l'ânesse donne naissance A une mule paresseuse. Ensuite, Pline s'attarde sur les différentes possibiJités d'union entre les deux animaux ($ 172) « Les anciens appelaient hinnulus (bardot) le mâle né d'un cheval et d'une ânesse, et au contraire

mulus le produit d'un âne et d'une jument D.

La principak caractéristique de ces animaux est sans doute le fait qu'irs soient stériles,

d'où un prodige chaque fois qu'une mule met bas. Étrangement, Pline temine son exposé sur les mules en mentionnant que ces animaux sont sîériles mais pas en Cappadoce selon Théophraste.

Le fait qu'une mde mette bas &ait génératement un prodige à connotation négative. Cependant, Cicéron, dans son traité Sur la divinution, tente de démystifier ce prodige qui est un simple phénomène naturel qui arrive rarementsa. La gravité de ce prodige semble donc relativisée dès l'époque de Cicéron, d'autant plus que ce même prodige fut un jour favorable a

{'empereur Galba.

57 SUT le mdme sujet cf,: Cic. De dix, 2.36 ; 2.01 ; Van. RR 2.1.27 ; T.-L. 26.23.5 ; 37.3.3 ; Jul. Obscq. 125 ; Mir. ,-~Ioc'., 7û , Ar. i.8.2 ,624 ri 36 , Eh. 3û.i39,

Cic. De dv., 2.61 : « Car s'il îàut considérer comme prodige ce qui arrive rarement, un homme sage est un prodige : j'estime d'ailleurs qu'une mule féconde est plus hquente qu'un homme sage ».

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Fragment 20

Plin., .WH., 8.223 : Nam soricum occentu dirimi auspicia Annales referros

habernus.

En effet, nous le savons, les An~tales sont remplies d'auspices interrompus par le

cri des souris.

Le livre 8 de Pline, qui traite des animaux terrestres, est divisé en deux grandes parties :

les animaux sauvages et exotiques ($ 1-141) et les animaux domestiques et indigènes ( 8 142- 224). Pline classe la souris parmi les animaux demi sauvages, c'est-&-dire ceux qui ne sont ni

domestiques, ni sauvages, mais qui relèvent d'une nature intermédiaire (4 220-274). II parie surtout des rats, célèbres pour leurs présages, délaissant à Ieur profit les souris. On apprend, par exemple, que la naissance d'un rat blanc est un présage favorable. A propos des souris, A. Ernout affirme qu'on distinguait mal le rat de la souris, « aussi n'est-il pas étonnant qu'elle ait le même pouvoir prophétique que le rats9 ».

D'autres auteurs anciens livrent des événements ou le cri des souris représente de

mauvais augures. Valere Maxime (1.1.5) et Plutarque (Marc.,5) racontent qu'en 221 av. J.-C. le cri d'une souris fit renoncer Q. Fabius Maximus à la dictature et Caius Flaminius a sa charge de maltre de la cavalerie. Le cri des souris demeurait donc empreint de présages néfastes et exerçait une crainte certaine dans l'Antiquité.

" CE la note 1 de A. Ernout au 3 223 du livre MiT de Pline dans l'édition des Belles Lettres, p. 176.

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Fragment 2 1

Piso 38

P h . N.H. 17.24460 : Nec non et Romae in Capitolio in ara huis beiio Persei enata palma uicroriam triumphosque portendit. Huc tempestaribw prostrata eodem loco jicus enata est M. Messalae C. Cassi censorum lustro, a quo tempore pudicitiam subuersam Piso grauis auctor prodidit,

Et h Rome aussi, au Capitole, sur l'autel de Jupiter, lors de la uerre de Perske, B un palmier qui avait pousst annonça la victoire et les triomphes . Aprés qu'il eut été renversé par une tempête, un figuier poussa au même endroit lors du sacrifice expiatoire des censeurs M. Messala et C. Cassius ; époque h partir de laquelle Pison, auteur de poids, rapporte que la pudeur fut bouleversée.

Le livre 17 de Pline est entièrement consacré aux arbres : la première partie (8 10- 140)

traite {( de la culture des arbres plantés et greffés pur leurs fruits D ; la seconde partie (5 141 - 2 15) r< de la vigne et des arbres plantés pour l'usage des vignobles N ; la troisième partie ($216-

267) rc est consacrée aux maladies des arbres, qu'il s'agisse des phhomènes atmosphériques, des dkgâts commis par les animaux ou des lésions provoquées par la culture, puis a leurs

remèdes ($246-267) »62. C'est à l'intérieur de cette partie que Pline mentionne quelques prodiges offerts par des arbres : des figues nées sous des feuilles ; un figuier sauvage qui donne des figues ou l'inverse etc. De plus, Pline précise que tes prodiges provenant des arbres sont t rés

souvent reliés à l'endroit d'où ils poussent tels qu'une statue, un autel ou a la place d'autres artires'j3.

Messala et Cassius furent censeurs en 154 av. J.-C. et entreprirent la construction du premier théâtre. Pison qui souhaitait un retour aux mœurs ancestrales ne vit probablement pas cet événement favorable iî sa patrie, ce qui expliquerait ce prodige du figuier. Tite-Live (Per.

48.25) nous apprend que plus tard cet édifice fut démoli sous l'ordre d'un sénatus-consulte

demandk par P. Cornélius Nasica parce qu'il était inutile et nuisait a la moralité publique.

Cf. également : Jul. Obseq. 65a.

6L VaIère Maxime (1.6.12) fait mention d'un autre moment où un palmier autait été signe de victoire : K A TraIIeg un palmier verdoyant naquit subitamcm dans Ie temple de la Victoire, au dessus de la sanie de Cisar, preuve que les dieux s'intéressaient a la gioire de César ».

62 CE l'introduction de I. Andrd de Pline, MN.. Livre XV& de l'édition des BeiSes Lenres, 1964, p. 7-12. 03

{( Ce sont aussi des prodiges quand les arbres naissent en des lieux extraordies, ainsi sur la tête des statues ou sur des autels ou sur des arbres d'une autre espèce. A Cyzique, un figuier naquit sur un laurier avant le siége de cette ville ; de même A Tralles, un palmier sur le piédestai de Sa statue de César w (The 17.244).

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Annales 20Ch

Pour l'exposé de l'histoire et pour l'instruction de ceux qui croient que les dieux voient sans plaisir les honneurs qu'ils reçoivent des homma et sans colère les actes injustes et sacrilèges, il convient de montrer comment la déesse Fortune apparut alnra nnn n a a iinn aai i la #nia m o i a A rlei~r r a n r i a n a a d n n 1- L & t a A m Pnnt i f~ C 1 .."a-, 'Y' 1 Y I "-"... L Y W , .Y-- ... -II- . -~.."CY, "..*".a **LI -i)*.U -- A "Y..*.." \..-,. U est donc dit que, le Sénat ayant décrétt! de fournir sur les fonds publics tout l'argent nécessaire pour le temple et la statue, les femmes firent préparer une autre

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statue en prenant sur leurs propres richesses et, lorsque le grand jour de ta consécration on eut placé ces deux statues, celle que les femmes avaient fait préparer s'exprima en latin devant une assistance nombreuse, d'une voix intelligible et claire. Traduit en grec, voici ce qu'elle dit : « Femmes, vous m'avez consacrée selon les rites religieux de la cité ». Comme cela arrive généralement

quand il s'agit de voix ou de visions extraordinaires, une grande incrédulité s'empara des femmes présentes qui ne savaient si c'était la statue ou une voix humaine qui avait parlé ; et surtout celles qui étaient occupées h autre chose A ce

moment 18 et qui n'avaient pas vu d'où venait la voix, ne croyaient pas celles qui l'avaient vu. Plus tard ensuite, alors que le temple était plein de monde et que, par une faveur divine, le plus grand silence régnait, la même statue prononça les

mêmes paroles d'une voù plus forte ; ainsi il n'y eut plus de contestation possible64.

(Trad. M. Chassignet).

Ce fiagrnent est considéré comme fiable par Peter, mais comme il ne relevait par expressément des Annales Maximi, qui seules ont été retenues comme faisant partie de la

chronique pontificale, il n'est pas intégré dans son corpus.

Le livre 8 de Denys d'Halicarnasse raconte un rtcit complet des exploits de Coriolan et de la maltrise de ce dernier en 488 av. J.-C. L'histoire prksentée dans notre fragment, intimement

reliée A cette traîtrise, s'insère à la toute fin du rdcit.

L 'mtaIisn'qtie ancienne, p. 8.

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Fragment 23

Annales 27Ch

Liv. 8.18.1 1-12 65 : Prodigii eu res loco habita captisque magis mentibus

quam consceleratis similis uisa; itaque memoria ex Annalibus repetita in

secessionibus quondam plebis clauum ab dictatore fucum alienatasque

discordia mentes hominum eo piaculo compotes sui fecisse, dictatorem

claui figendi causa creari placuit.

Cette affaire fut tenue pour un prodige et considérée comme propre B des esprits possédés plutôt que criminels : c'est pourquoi, un récit des Annales ayant rappelé

que, lors des sécessions de la plébe, un clou avait été planté par le dictateur et que, par cette expiation, les esprits des hommes, aliénés par la discorde, avaient repris

possession d'eux-mêmes, on décida de nommer un dictateur pour planter un clou.

L'affaire eut lieu en 33 1 av. J.-C. lorsque plusieurs hommes d'état périrent empoisonnés. A la suite de ces nombreuses morts, une femme vint dénoncer un complot meurtrier qui avait été mis sur pied par plusieurs matrones préparant des poisons. En raison de cette dénonciation, une vingtaine de femmes furent arrêtées et, réunies au f o m sous les yeux du public, durent absorber leur propre poison ; après quoi cent soixante-dix autres matrones furent encore

condamnees. C'est pourquoi on nomma Cn. Quinctilius dictateur et L. Valérius maître de la cavaIerie dans le but de planter un clou expiatoire.

Valère Maxime, tout comme Tite-Live, mentionne explicitement que c'était la première fois qu'ii était question d'empoiso~ement66. C'est assurbment ce qui confire un caractère

prodigieux à cet hénement qui n'apparaît en rien aller contre nature.

&< - ~ 'évkernen t eyr &aiemenr menrionne par : Vai. Max 2.5.3 ; h g . CU, 3. iT ; Gros. 3. iû. i-j.

66 Val. Max. 2.5.3 : « La question de I'empoiso~ement était inconnue aux Romains ; ni leurs mœurs ni leurs lois n'en revéIaiem l'existence D.

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Partie 8

Dévetoo~ement

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CHAPITRE 1

LES PRODIGES DE FONDATION

1.1 Des prodiges a défaut d'un p d hlîtorique

1 . 1 . 1 L 'esprit nationaliste romain ou la cohérence d 'une nouvelle nation.

Le manque de rationalisme des historiens antiques à I'égard de tous les prodiges fut pour

certains chercheurs modernes déconcertant. Corynent expliquer cette croyance dans les récits de l'époque de Romulus et Rémus ? Leur grande crédulité était-elle le reflet d'une mentalité très

ancienne ? Les premiers siècles de Rome sont marques par des Iégendes merveilleuses ou des événements prodigieux qui font oflice d'histoire. Pour l'historien ancien, la distinction entre les

récits mythiques et historiques résidait la plupart du temps dans une place plus au moins grande

réservée au merveilleux ; les prodiges devaient alors embellir une histoire incertaine ou trop peu reluisante.

Le chercheur moderne se doit donc aujourd'hui d'analyser en détail les mythes afin d'en

dégager la matière historique potentielle : depuis les études de mythologie comparée développées par G. Dumézil, on reconnaît sans conteste le r6le d'une tradition indo-européenne

qui aurait influencé les récits de l'histoire des origines. Rome, nouvelle puissance, devait

diffuser l'image d'un passé fort, noble et beau, ou les grandes vertus romaines et le sentiment nationaliste domineraient ; a cette fin, l'emprunt et l'adaptation de Iégendes édifiantes ajoutées a une trame historique, constituaient un moyen excelIent. Selon J. Poucet, face a l'utilisation par

les Romains de schémas déjà existants, le rôle du chercheur contemporain se detinit par l'étude des circonstances dans lesquelles furent appliqués ces schémas et comment 11s tùrent utilises et

garnis par les premiers écrivains de l'histoire des origines. Ainsi, il devient possible de dégager

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la présence, dans la tradition, de constituants divers tels que les influences des légendes et des

littératures grecques, les anachronismes, les dktails, les noms, les faits, etcb7.

On décèle à l'intérieur des récits des origines de nombreuses influences extérieures à Rome qui reflètent tant le besoin que ressentaient les Romains d'écrire leur histoire que l'importance des relations qu'ils entretenaient avec d'autres peuples. Lorsque le premier annaliste, Fabius Pictor, écrit vers la fin du 3' siècle ses Annales Graeci, Rome a déjà commencé

depuis quelques décennies ses nombreuses conquêtes. L'Italie est romaine, les conflits avec Carthage et la Macédoine s'enveniment, Rome est appelée à devenir toujours plus puissante et toujours plus présente autour de la Méditerranée. Le besoin d'affermir des racines qui

n'apparaissaient alors qu'au travers des carmina conuiualia, chants célébrant la gloire et le souvenir des grands hommes, et des imagines, les portraits de famille, semblait pressant ; car par son passé, Rome devait justifier le prksent, ce qui impliquait la supériorité de ses origines.

L'histoire a donc kt6 transformée en fonction de sa prédestination : fut mise en relief, à I'intérieur des mythes des origines, la grandeur que Rome devait à ses valeurs nationales et

morales. Les annalistes avaient pour tâche de créer cette histoire devant l'ensemble du monde civilise d'alors. De plus, les historiographes de la fin du 3" siècle et du 2' siècle étaient

conscients de l'importance des conséquences de la deuxième guerre punique et des guerres de

conquête qui ont suivi : conséquences autant aux niveaux politique et économique que social et

mods. Leurs œuvres avaient pour objectif d'éduquer leurs compatriotes, mais aussi les peuples avoisinants - surtout ennemis - dont les origines étaient reconnues.

Fabius semble avoir été celui qui a imposé à la tradition ses cadres et ses motifs essentiels. Le fait qu'il écrivit des Annales en grec laisse supposer qu'il voulut sciemment faire

a i m e de propagande69. Cependant' il ne faut pas oublier que l'historiographie latine &tait,

67 J. Poucet, (( G. Dumétil et la Rome royale », p. 193.

" M. Chassignet, « L ' d i s t i q u e ancienne et moyenne D, p. 94, 69 La question reste ouverte II savoir si Fabius a également krit des Annules latines. Ciciron (De div., 1.43) et Denys d'HaIicamasse (1.6.2) affinnent qu'il éaivait en grec, mais nous savons aussi (Cic. Leg., 1.6) qu'il existait des Annales en latin attribuées à un certain Fabius. Friedrich Leo a suppose qu'il aurait d'abord écrit un brouillon en latin, mais I'hypothdse de l'existence d'un second Fabius qui, lui, aurait écrit en latin, n'est pas exclue. il peut aussi bien s'agir d'une traduction de l'ouvrage d'abord écrit en grec, et dont les divergences seraient le résultat du traducteur - dans son ouvrage sur I'annalistique ancienne, M. Chassignet a tendance il se rallier & cette hypothèse ; ce traducteur pourrait d'ailleun être Q. Fabius Pictor lui-même, car aucun nom n'est mentionné. Enfin, les hypothèses sont nombreuses et d d d w B trancher car il pourrait tout simplement s'agir d'une traduction des auteurs latins qui citaient Fabius. CE M. Chassipet, L 'omrcllistique mienne, p. LE-LXIII ; A Momigliano, Le smoir historique, p. 106 ; B. W. Frier, Libn Annales Pontpm, p. 246-253.

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comparativement a l'historiographie grecque, inexistante, la prose latine n'était pas encore développée et aucune tradition ne pouvait répondre aux objectifs de Fabius. Ce dernier avait

également lu des historiens grecs et le grec était compris autour de toute fa Méditerranée : il était des lors préfdrable d'adopter les caractkristiques de l'historiographie grecque afin d'être mieux

compris de la grande rnaj~rité'~.

Le besoin d'tcrire l'histoire s'avérait d'autant p l u nécessaire qu'on devait combattre les chroniques pro-carthaginoises du moment, écrites en grec, ainsi que prévenir le danger d'une coalition générale du monde hellénistique7'. Fabius était conscient d'aider Rome Iorsqu'il

entreprit d'kcnre en grec. Philinos d'Agrigente avait déjà écrit une histoire pro-carthaginoise dans cette langue et Hannibal avait ii. son service deux historiens, Silenos de KaIè-Aktè et

Sosylos de Sparte, qui écrivaient également en grec72. En outre, il devait contrer Les écrits des auteurs non romains qui œuvraient 5i cette époque. Pour ce faire, il enseigna au monde grec non seulement !es nobles origines des Romains, mais aussi leurs institutions, leur tempérament

modéré et leur valeur : le sénat n'entrait pas en guerre injustement et il en sortait vainqueur a bon droit.

Bien que l'annaliste et le contenu de son œuvre commencent à être bien connus des

modernes, les hypothèses au sujet des visées précises de Fabius demeurent nombreuses. On ne pourrait passer sous silence la question de la date prdcise de i'icriture des Annales. Malgré

l'incertitude de la date, il n'en demeure pas moins que l'objectif de l'œuvre peut avoir été très diffërent selon que la pamtion se situe avant ou après la fin de la deuxième guerre punique. Quoi qu'iI en soit, qu'il ait vouiu prôner les grandes vertus de Rome semble incontestable. D'ailleurs,

I'annalistique, qu'elle soit ancienne, moyenne ou récente, gardera tout au long de son existence cette tendance 3 glorifier le peuple de Rome et ses conquêtes militaires. Doit-on alors s'étonner

de ce que le fragment Sa (bgment 1) de Fabius Pictor ait été rédigd en grec ? Le choix d'une langue autre que nationale n'enleva certainement aucune valeur A la puissance de Rome sous- tendue par ces récits.

Les récits des origines restent les meilleurs exemples de ce désir de glorification

reçhercht par i'anndistique. Pour la première fois, l'idéologie tripartie jusqu'alors développée par plusieurs peuples d'origine indo-européenne était appliquée au monde terrestre : Ies d i e u ne

jouaient qu'un rôIe secondaire dans la fondation de Ia ville. On adaptait cette idéologie à une

'O A. Momi@ano. Le savoir hisiorkye. p. 1 13.

71 E. Ciek, Hisloire el historiens, p. 36.

" A, Momigliano, Le m i r historique, p. 120- 12 1.

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trame historique, chronologique et logique, ou les êtres humains devenaient les acteurs

principaux. (( Pour exprimer dramatiquement un message idéologique, on ne présente pas le récit d'actions accomplies par les dieux, mais par les hommes. Pour en faire de l'histoire, il suffira

par la suite d'intégrer ces récits dans une trame chronologique'3 ». Cette n historicisation du mythe74 )) demeurait le meilleur moyen p a r Rome de se créer un passé glorieux qu'aucune civilisation ne pouvait surpasser. Mais les annalistes ont-ils délibérément appliqué ce processus dans le but précis de faire de la propagande visant à se donner un passé illustre ? Si l'on peut

reconnaître qu'ils ont cherché à faire œuvre de propagande - leurs écrits en témoignent - il faut cependant admettre que l'esprit pragmatique romain était porté à accepter plus aisément Ies actions humaines que les actions divines. De plus, Fabius écrivait une tradition déjà vieille de

plusieurs siècles ; le mythe des jumeaux fondateurs (fragments 1 et 2) est attesté à partir du 4' siècle et 1a légende de Romulus et Rérnus avait été racontée avant lui par Dioclès de Péparéthos

(Plut. Rom., 3 . 1 ) ~ ~ . Fabius n'a fait qu'unifier les traditions écrites et orales à l'intérieur d'une vulgate. On ne peut donc conclure à une volonté systdmatique de transformation ou d'invention radicale de sa part, mais bien à une organisation plus logique des récits patriotiques.

1.1 -2 La manipulation historique ou la mise en axvre logique.

L'histoire des origines correspond en fait à la période où se pose la question de ia chronologie dans la reconstruction du récit historique. Bien que les avis restent partagés au sujet

de la crédibilité à apporter à l'œuvre de ~abius '~, on peut fortement supposer qu'il fut le premier à élaborer une trame narrative complète depuis la chute de Troie. il adapta une tradition vieille

de plusieurs siécles, mais voulut l'insérer à l'intérieur d'une trame chronologique qui n'est pas toujours logique. Les nombreux anachronismes concernant l'histoire antérieure à la République en témoignent. Avant Fabius, Naevius et Ennius dans leurs récits épiques rattachaient directement Romulus et Rérnus à ~ n k e , faisant de la mère des jumeaux, l ia, la fille du héros troyen ; mais les origines de Rome ne pouvaient remonter aussi loin qu'Énée : Fabius fi t le

M. Piban, a L'historien ancien », p. 106,

l4 J. Poucet, !< Le premier Livre de Tite-Live D, p. 339.

'' Plut. Rom. 3 . 1 ; cf. R Bloch, Tite-Live, histoire el Ikgende, p. 38.

76 A W l d i a juge Fabius Pictor comme le plus impudent menteur de l'historiographie latine. Ii lui impute la responsabilité d'avoir invente la majorité des faits pour l'époque ancienne. Mais selon J. Heurgon, (( L'interprktation de l'historiographie D, p. 226-227, on ne peut lui accorder N l'extraordinaire facuit6 de création ex nihilo qu'ANMi lui amîue. Fabius a étB avant tout l'organisateur, le metteur efi forme de traditions préaristantes ».

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premier, peut-on croire, à supposer un intervalle majeur entre les deux en faisant de Romulus le petit-fils de Nurnitor. Cependant, pour ce faire, il dut imaginer une longue série des rois d'Albe ou simplement remanier une tradition déjd e~istante'~. Ce traitement historique pourrait

d'ailleurs expliquer que la chronologie des rois d'Albe resta douteuse pour les historiens post4rieurs a Fabius, car nombre de variantes sont perceptibles chez Tite-Live, Denys

d'Halicarnasse, Diodore et Appien, qui n'ont pu concevoir exactement les mêmes succession^^^. Les nombreux anachronismes de I'histoire pré-républicaine ne font que confirmer la

fonction première des mythes : répondre au besoin étiologique de connaître et d'expliquer

d'abord l'origine et ensuite les causes de la création de certaines institutions, de certains lieux,

de certains mon~ments'~. Pour arriver d ce résultat, le moyen le plus simple pour les premiers historiens etait de reculer le plus loin possible dans l'histoire afin de conférer une plus grande importance à ces créations tout en les attribuant, par ailleurs, à des personnages dont le caractère

et l'origine étaient romains. Ainsi, on reconnaît à Romulus la création du sénat, des curies, des tribus primitives ; à Numa, la création des principaux cuites et des sacerdoces (Pontifes, Saliens,

Vestales). Ce découpage t( très nettement articulé )) est, du reste, l'une des preuves de la faible valeur historique à accorder au rôle joué par Romulus et son successeurs0.

Ce travail de mise en ordre historique est particulièrement perceptible lorsque l'on analyse l'apparition de la figure de SeMus Tullius et l'intérêt développé a son égard. Sans hhiter, les annalistes se sont approprié ce roi afin de riduire l'apport étrusque et glorifier

l'apport romain. Cette appropriation, de prime abord, ne semblait pas impossible : chaque cité étrusque étant en compétition, la cohésion nationale faisait défaut et il était aisé de donner à ce roi provenant de Vuici des origines latines, une naissance miraculeuse, et de lui attribuer la majorité des réformes qui s'étaient effectuées tout au long de la dynastie des Tarquins. Ce

77 A Momigliano, Le savoir hfslorique, p. 105.

Cf. annexe A, tableau des rois d'Albe tird de C. Triegev, (( Zur Kritik des Eusebios. 1. Die Konigstafel von AIba Longa N, in Hermes, 1894,29, p. 124-142.

7 9 ~ e désir étiologique des annalistes p e t notamment d'expliquer le fragment 11P d'Hhina (fragment 7) qui aurait vouiu, par souci a'etymoiogie et a'etioiogie, retracer ie cuite des hres Gwnriuies en iui imposant des origmes qui ne sont pas celles de 1a tradition ; cf E. Rawson, « The 6rst Latin Annalists D, p. 697.

J. Poucet, K Le premier Livre de Tite-Live », p. 341.

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processus permettait de fournir un caractére romain aux réalisations étrusques et Servius apparaissait comme l'unique roi à avoir contribué ii la constitution et à l'organisation civiles1.

Cette manipulation a fait de Servius un des personnages les plus complexes de l'histoire romaineB2. La reconstruction historiographique s'intéresse, nous l'avons dit, à la conception miraculeuse de Servius, mais aussi à la suite de sa biographie : après avoir été porté sur le tronc, il fait légitimer son autorité royale par le sénat selon Denys (4.8) et selon Tite-Live (1.41.6), par

le peuple selon Cicéron (Rep., 2.2 1)83. Le récit de son règne est marqué par un grand nombre de divergences chez les auteurs anciens mais l'intérêt qu'ils lui portent est pour tous remarquable

étant donné l'aeuvre grandiose qu'il est supposé avoir réalisée. Généralement, ils s'accordent pour lui attribuer le premier recensement de Rome, la création de la répartition censitaire des

citoyens en six classes déterminées par la fortune, la création de 18 nouvelIes centuries de cavaliers, de la division en quatre tribusM et l'institution des impôts proportionnels a la fortunea5.

Cependant, la chronologie de son règne suscita de très grandes discussions chez les auteurs contemporains. Dans les années soixante, R, Bloch soutenait que chronologiquement,

I'annalistique situait ses réformes et sa mort trop haut dans l'histoire afin de laisser au peuple romain la gloire de la création de la République. Sa dkmonstration était appuyée sur les

découvertes archéologiques et sur les vestiges de céramiques sur le site de Rome, selon lesquels

il n'y eut aucun changement dans la production et dans l'importation avant 475, a n d e aprh Iaquelle l'importation grecque périclita et la production locale subit une diminution marquée ; de plus, selon R. Bloch, les nombreuses dédicaces de nouveaux temples entre 509-475 laissent croire en une présence étnisqiie plus tardive que ne l'affirme l'annalistique. La création toute

nouvelle de la République, ou une cité en reconstruction, n'aurait pas eu les fonds nkcessaires

'' R Bloch, <( Traditions étmsques », p. 391. Au sujet de la latinisation de ce roi et des nombreuses hypothèses qui entourent son régne, cf. P. M. Martin, L 'idée de r o p t é a Rome, p. 267-277.

Le persormage de Seniius Tullius et les légendes qui l'entourent serom analysés plus en profondeur dans la partie dative 8, la consecration d'un ètre.

'' Au sujet de la controverse entourant la légitimation du pouvoir de SeMus, cf. P. M. Martin, L 'idde de r o y d a Rome, p. 51-53.

Le nombre de tribus crédes par Senius soulève la controverse chez les auteurs modernes. Dans son bref article qui résume et critique l'ouvrage de R Thomsen, King Servius Tullius, p. 115-143, J.-C. Richard, « L'œuvre de Semus Tuiiius P, p. 35, désapprouve la conclusion de l'auteur qui attribue ii Servius la création de seulement quatre triius urbaines. Pour sa part, il affirme que SeMus aurait créé dix tribus parmi lesquelles figurent les quatre tribus urbaines : Sukrana, PaIatina, Esquilim et Coilina comme triius urbaines, Lemonia, Poilia, Popinia, Volfinia et Camilia iuKIIï,s uhj î"Siiqhçj ; ,-f. ka& ifidfi ;.<, N&&, ii EjZi da irü $, ii. :~~.:~g. &i ;GjcL ïfû riTi

imputables à Servius, cf également : P. M. Martin, L 'idée de royauté a Rome, p. 181. "T.L. 1.42-44.1 ; D.H. 6.1-39,4.15.1 ;Cic.Rep., 2.39.40.

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pour de telles constructionsK. Selon cette m@me thtorie, on suppose que le changement de régime aurait précédé de plus de trente ans l'élimination à Rome des rois étrusques. Cela

justifierait cet anachronisme provoqué par les annalistes : voulant à tout prix imputer ces réalisations aux Romains, ils n'auraient pas cherché à être exacts dans leur travail de mise en œuvre historique, mais à glorifier leur civilisation. Cette hypothèse demeure encore très

controversée. En 1977, M. Pailotino réfutait pour sa part à tout jamais l'idée d'une datation trop dlevee de son règne et a m a i t que SeMus avait bel et bien vécu à l'époque où la tradition le

soutienta7 ; cette même théorie est défendue par R. Thomsen. Dans son article commentant le livre de ce dernier, J.-C. Richard précise les positions de l'auteur: R. Thomsen réfute l'hypothèse qui tend à fixer le règne de Senius plus haut dans l'histoire ; s'il situe bel et bien le règne du sixième roi au 6' siècle, il n'adhère pas, en revanche, au nombre d'années que dure son

règne tel qu'il nous fùt transmis par les annalistes, c'est-à-dire environ 40 ans, de 578 à 534 :

selon lui, la durde du règne de Servius est incompatible avec l'espérance de vie de cette

Faut-il pour autant remettre en cause l'historicité de Servius Tullius? Tous les

chercheurs modernes s'accordent sur sa réelle existence et sur le fait qu'il aurait effectivement réalisé des réformes importantes de la société. Néanmoins, les investigations les plus abouties supposent que ces réformes ne seraient qu'une transposition des réformes et des problèmes

sociaux A l'intérieur desquels évoluèrent les annalistes, ces derniers semblant considérer que les grands débats entre la plèbe et le patriciat commencèrent sous Servius. Ii ne s'agit pas ici

d'infirmer ou de confirmer la véracité des problèmes qui existaient entre la pkbe et le patriciat à

l'époque de Servius Tullius, mais de mettre en évidence que l'équilibre des deux partis, tel qu'il est dessiné par les annalistes sous le règne de Servius, ressemble A celui qui existait à la fin du 4" sidcle au moment de la censure d7Appius Claudius (312-308) et qui influença l'évolution de la ~ é ~ u b l i ~ u e ~ ~ . De plus, E. Gabba met en évidence certaines données qu'on peut rapprocher de

17Cpoque de Sylla, notamment, la réorganisation des comices centuriates de 88 que souhaitait le gdnéral". Cette période correspond justement à la période où écrivit Antias, dont nous tirons le fragment le plus complet au sujet de Servius. « Tout se passe comme si des arrière-pensées

86 R. Bloch, Tite-Live, histoire er Iégende, p. 65-72.

" M. Pdotino, (( Fatti e leggenda B, p. 85- 129.

" J . 4 . Richard, « L'œuvre de Servius Tullius D, p. 30 ; R Thomsen, King Servius Tullius, p. 30-33. 89- i-~.-l=i o.-.:..- .. r - , - -......- u. uuiucu, 3 5 1 VIUJ cg iujwiunc, p. 129-136.

E. Gabba, a Studi su Dionigi da Al imasso », II in Athenaeum, 39, 1961, p. 98-121. CE, J.-C. Richard, « Recherches sur I'interprétation populaire n, p. 205.

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partisanes, sinon polémiques, avaient ouvert la voie a une interprétation du sixième règne conforme aux aspirations ou revendications qui se firent alors jour dans la vie politique romaineg' ».

1.1.3 La présence afirmée du rationalisme

La complexité que recouvrent les textes annalistiques ressort bien à travers les

nombreuses divergences à l'intérieur de leurs récits : mélange de véracité et d'invention, d'éléments historiques et d'anachronismes, de crédulité et de rationalisme, de quête d'exactitude et de volonté d'embellissement. Toutefois, la véracité historique des légendes ne semble jamais

réellement remise en cause par les historiens postérieurs A Fabius. En revanche, on remarque l'apparition d'un mode de pensée plus rationnel a la fin de la République et sous l'Empire qui

poussa les auteurs à mentionner côte a côte les récits merveilleux et les interprétations plus raisonnables qu'on leur donnait, de longue date sans doute. Ainsi, Denys d'Halicarnasse présente deux versions différentes du récit légendaire des jumeau.. La première, la plus élaborée (1.79.4 a 1.83.3), suit l'argumentation de Pictor (fragment 1) ; dans la seconde version, beaucoup plus courte (1.84), l'auteur affirme qu'il présente la version d'autres auteurs, moins nombreux et qui

ont rejeté les éléments merveilleux. De même, concernant l'épisode de l'enfantement d'Hia, on trouve différentes théories : Denys (1.77), Plutarque (Rom 4.3) et Licinius Macer ap. I'OGR

(19.5) mentionnent qu'llia aurait été séduite par Arnulius, Cependant, Denys et Plutarque ne semblent pas particulièrement adhérer à cette version, ils ne font que la signaler a côté d'autres possibilités dont l'enfantement par Mars rapporté par Fabius Pictor (fragments 1 et 21g2 ; quant a Appien (Reg. 1.2 apud Photius, Bibli. 571, il développa un autre rCcit rationaliste remettant en cause le rôle de Mars et suggérant que les jumeaux seraient tout simplement nés de pére inconnug3.

Une autre version, qui transparaît à travers un fragment de Fabius (fragment l), faisait de

la nourrice des jumeaux une prostituée. Dans les fragments issus de ses Annales, on constate que

91 J.-C. Richard, « Recherches sur I'interprdtation populaire », p. 21 0. 91 Ce fragment de I'OGR, provenant de Fabius Pictor, fait mention uniquement de cet événement. Cependant, la présence de ut vero qui est fréquemment utilisé pour introduire une tradition diirente laisse supposer qu'à l'origine, t... A -.... :--- 1.-:.-. :.....---.i-- PC I- --.- 1 J- T P ~ : - L . - A ... -------- L- qn A.. lin-.-- r- . .d, n,,,,, ~ S J UGUA VGIJLULI~ FIOLFLI~ JUAL~~UDCFJ . b ~ . tu LLULC I UF J.-L. NUI~IU OU ~ ( U L ~ I O ~ I I G -U UÏ I V I I & U u r i r i r ~ i w r r i u r u r i ,

édition des Belles Lettres, p. 171.

93 J. Poucet, Rome, tradition et higoire, p. 239-240.

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Fabius n'hésite pas A utiliser les prodiges et Ies événements rnerveilIeux pour faire ressortir la

grandeur de Rome ; ainsi, son souci de glorifier sa nation et ses origines apparaît dans le fiagrnent 2 lat. P (fragment 3) où il prend soin de désigner la louve qui allaita les jumeaux par les termes lupusfernina, qu'il a pu utiliser par crainte d'identifier la mère des jumeaux à une

prostituée. En effet, les Romains appelaient lupa Ies prostituées et la figure de la prostituée fut aussi présente dans certaines variantes du récit, personnifiée par la femme de ~ a u s t u l u s ~ ~ . Préciser lupus femina permettait à Fabius d'éviter les confusions au sujet du récit qu'il écrivait :

en I'employant, il évitait tout discrddit d'un personnage feminin Pourtant, les auteurs de la fin de la République ne semblent parfois pas moins crédules au sujet d'une louve allaitant les jumeaux qu'au sujet du reste de la légende elle-même ; mais les différentes versions se côtoient

chez les différents auteurs et s'ils ont pu préférer écrire lupu pour rdpondre à un besoin de rationalisation, jamais l'existence d'une louve ne fiit remise en cause, celle-ci étant tantôt un animal, tantôt une prostituée. Ainsi, on remarque chez Tite-Live l'ambivalence entte la tradition et le désir de rationalisme, il fait une narration continue du récit sans jamais sentir qu'il croit

particulièrement A la légende telle que racontée par Fabius. Le nationalisme dont il fait preuve dans l'Ab Vrbe condita l'empêche probablement de critiquer le récit légendaire de la fondation

de Rome. On connaît d'ailleurs ses propos fameux : « Quae ante conditam condendamue urbem poericis magis decora fabulis quam incorruptis rerum gesturum monumentis traduntur, eu nec

udfinnare nec refellere in animo est (T.-L. Pr., 61g5 B.

Cicéron est sans doute l'auteur qui montra le plus de méfiance à l'égard de la légende des jumeaux. Lorsqu'il l'aborde, il utilise des termes tels dicunt, perhibetur, praebuisset, qui

illustrent bien le peu de crédibilité qu'il accordait ti l'histoire des origines. Toutefois, s'il n'adhère pas au récit merveilleux, il le respectera toujours: (( qui parre Marte natus (concedamus enim famae hominum, praesertim non inueteratae solum, sed etiam sapienter a maioribus proditue) (Rep. 2.2.1) D; (( Quorum copiis cum se ducem praebuisset, ut iam a fabulis ad facta ueniamus, oppressisse Longam Album (Rep. 2.2.4-s)% ». Les partisans de la veine rationaliste

acceptaient moins facilement ce qui touche au merveillewi, mais n'osaient rejeter les bases des

légendes. De plus, la liberté qui était accordée aux écrivains leur permettait de modifier les récits

T.-L. 1 . 4 : « certains prétendent que Larentia &ait une prostituée, une louve comme disaient les bergers ». Cf. J. Prieur, I m animmcr sacré.^, p 220 9s Cf. supra, p. 4 n. 1 1 . %

R il était fls de Mars - faisons m e concession i une tradition, qui a pour elle non seulement son ancienneté, mais dgalement la sagesse des ancêtres [. ..] » ; « Ce furent là les troupes dom il prit le commandement, et i'on rapporte @assons maintenant de la légende ii l'histoire) qu'il soumit Albe la Longue [. . .] n.

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sans difficultd, selon leur conception historique, leurs besoins, et bien sûr, leur personnalité ; de cette façon, ils pouvaient repousser des éléments qu'ils jugeaient impossibles et créer leur propre version, plus rationaliste. Néanmoins, à côté de tous les récits novateurs, les récits les plus

anciens demeurent ceux qui gardèrent une place prdponddrante au cours de l'histoire. Est-ce le

rdsdtat d'un respect qu'on vouait aux anciens et auquel les Romains accordaient une très grande importance ? Est-ce dû à une simple volont4 de conserver, malgré tout, un passé glorieux ? Quoi qu'il en soit et malgré leur souci d'atteindre à la véracité historique, leur statut d'écrivain

permettait aux historiens de modifier les légendes selon leur bon vouloir et Ies besoins de leur époque, tout comme l'insertion de prodiges avait permis aux premiers narrateurs des origines de

Rome de modifier et façonner un récit édifiant.

Le récit du règne de Servius Tullius n'échappa pas au courant rationaliste en vigueur dès Ie milieu de la République. L'empereur Claude, lors du célèbre discours prononcé en 48 devant le sénat et qui nous a kt6 transmis par la table de bronze de Lyon (C.I.L. Xm, 1668), livre une version du règne de Servius Tullius dont le caractire semble plus historique, Il y rapporte, on

s'en souvient, que Servius était, pour les Étrusques, relié au chef Toscan, Mastarna, qui aurait

accompagné un autre chef Toscan, Caelius Vibenna, venant au secours d'un roi de Rome apds lit retraite de Porsenna. Ce moment historique semble être celui-là même qui est conservk sur la

fameuse tombe François de Vuici. La conception merveilleuse du roi n'apparaît plus

prépondérante : sur cette tombe, les deux compagnons sont présentés comme des chefs guerriers « qui s'opposaient à une coalition de cités voisines parmi lesquelles figure Rome. C'est aprks ces guerres qu'ils viendront s'installer à Rome, dont le roi a été tué ; et Mastarna, selon Claude, y prend le nom de Servius ~ u l l i ~ s ~ ~ N.

Ce revirement des origines de Servius Tullius permet de se demander si les annalistes n'ont pas volontairement passé sous silence cette tradition qui les unissaient a l'Étrurie. La gloire et Ia supériorité de l'Empire romain n'étaient plus contestées sous le rtgne de Claude. Ce dernier, au contraire des annalistes, ne cherchait pas à faire de la propagande pro-romaine, mais A concilier un Empire qui se composait, de plus en plus, de peuples hétérogénes. Pour

l'empereur, se servir de la figure de Senius Tullius, roi étranger qui avait tant fait pour Rome, était un excellent moyen de faire accepter la participation et l'intégration, dans ce cas précis, des

* R Bloch, Tite-Live, histoire et légende, p. 58. Sur les liens entre Mastarna et Servius TulIius, cf'. D. BriqueI, Le témoignage de CIaude », p. 86-108 ; M. Cnstofani, (( Recerche suiie pitture deUa tomba François a Vuici n, in Dialoghi a7 Archeologia, 1. 1967, p. 186-219 ; P. M. Martin, L'idée de royauté a Rome, p. 273-276 ; R Thomsen, King Servius Tullius, p. 67-103 ; B. Liou-Gille, Une lecwe de Tire-Live 4 p. 324-325.

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ûaulois. Cette anecdote prouve que l'histoire des origines ne resta jamais uniforme, toujours modifiée au profit des besoins présents de Rome. C'est sans doute même l'incertitude qui planait

au sujet de la chronologie historique et des légendes elles-mêmes qui permirent la souplesse des récits, des siècles encore après qu'ils eurent été écrits.

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1.2 Intégration des mythes de fondation : similarités et dwrences.

1.2.1 Les premiers rois et la tradition indo-européenne.

L'habileté à orienter les histoires pour mettre Rome en valeur est très remarquable, car les récits des origines ne furent ni statiques ni crées ex nihilo ; en témoignent les nombreux

parallèles possibles avec d'autres traditions, l'ambition des annalistes de faire œuvre de

propagande, les multiples variantes sur l'histoire pré-républicaine, les anachronismes,

notamment ceux qui concernent l'histoire des rois d'Albe, et les traditions antérieures à Fabius.

Leur étude révèle des emprunts qui sont le résultat tant d'une transposition de l'idéologie indo- européenne à l'intérieur du passé historique romain, que de l'utilisation d'autres mythes des

peuples voisins. De cette façon, en plus d'écrire une histoire noble (car auparavant l'idéologie

û-ipartie n'était appliquée qu'au monde divin), Rome créait des liens avec les civilisations

avoisinantes dont la connaissance du passé pouvait remonter beaucoup plus loin. Ces liens sont

en premier lieu perceptibles dans les mythes de fondations, c'est-à-dire la légende de Romulus et

Rémus, le règne de Numa et le prodige des trente pourceaux. En effet, il semble aise de

décomposer ces mythes ou les prodiges sont nombreux, et d'éclaircir leurs origines. Ces récits, qui datent d'une période où Rome n'existait pas encore, justifiaient la puissance romaine en p l u

d'authentifier les rituels, les lois, les mœurs et les multiples composantes de la société9'.

La mythologie comparée a permis de constater que les mythes des origines contenaient

un grand nombre de conceptions indo-européennes représentant l'idkologie tripartie. Nous nous permettrons de rappeler ici brièvement les grandes lignes de cette théorie, abondamment

élaborée dans les cinquante dernières années. Selon le concept de l'idéologie tripartie, un pouvoir, un panthéon, ou une société parfaite, semblent être fondés sur l'équilibre obtenu gràce à

la présence des trois célèbres fonctions : la première, la fonction souveraine, la seconde, la

fonction guemère, la troisième, celle de fécondité et de prospérité. La première fonction

représente le pouvoir politique et l'administration du sacré ; généralement, elle est constituée de

deux aspects : l'un plutôt violent, inquiétant et magique, I'autre, son antithése, paisible, rassurant

et juridique. La deuxième fonction est reliée à Ia guerre et à la force physique ; cette fonction semble uniquement être consacrée à la science guerrière. Quant a la troisième fonction,

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beaucoup plus large que les précédentes, elle allie tous les déments manquants afin de constituer une société équilibrée, soit : production, agriculture, élevage, reproduction, paix, loisir etc9'.

Selon cette même tradition, Rome appliqua d'abord cette idéologie tripartie a son panthéon, qui était représenté par Jupiter, Mars, Quirinus. Ces dieux, très importants au tout

début de l'histoire romaine, furent rapidement remplacés par d'autres, alors que l'idéologie tripartie était reprise pour la propre histoire des origines de Rome et incarnée par les quatre

premiers rois pré-étrusques : Romdus et Numa pour la premiere fonction, Tullus Hostilius symbolisant la seconde et Ancus Marcius la troisième. Le premier, Romulus, urbis et imperii

condifor » (Flor. 1.1. l), roi ardent et inquiétant, a établi la constitution politique, (t statum reipublicae imposuit : iuuentus dzuisa per !ribus, [...] consilium rei publicae penes senes... ))

(Flor. 1 .1 .15) . Son acolyte, Numa, paisible et juste, donna à la ville ses institutions et Ies lois

religieuses qui lui manquaient « sacra ei caerimonias omnemque culrum deorum inmortalium docuit H (Flor. 1 . 2 . 2 ) ' ~ . Tout en se complétant, les deux représentants de la premiere fonction,

comme V a m a et Mitra ou Odhim et Tyr, s'opposent par leur caractère et leurs actes. lis donnent a la cité les institutions de base nécessaires pour quYelIe puisse se développer et prendre

de l'expansion, mais I'activité de RomuIus demeure principalement guerrière (T.-L. 1.16.7),

alors que Numa, a l'inverse, déshabitue les Romains de la guerre (Plut. Num., 8.1-3). Cette

opposition, nécessaire dans la réalisation de ia première fonction, est également perceptible A travers l'activité religieuse de Romulus qui n'hésite pas A frauder (Plut. Rom., 9.9) alors que le

régne de Numa fut principalement consacré à la religion1*'. On remarque que le rôle de Romulus sera par ailleurs toujours partagé entre les deux aspects de !a souveraineté, Si certains auteurs

99 On sait que le monde divin de nombreux peuples issus de la grande familIe indo-européenne est ainsi anime par ces trois fonctions. Par exemple, en pays scandinave Odhinn et Tyr représentent la première fonction souveraine. On attribue a Odinn une habiIete a contrdler tout ce qui a trait au magique alors que Tyr maitrise l'aspect juridique. Leurs équivalents dans le panthéon Védique sont Varuna, le magcien, et Mitra, le juriste. La seconde fonction, dans la tradition germanique, est occupée par Thôrr, divinité du tonnerre et de la guerre, dont l'équivalent en Inde est Indra. Enfin, la troisierne fonction, et tout ce qu'elle représente, est couverte par Njdrdr, Freyr et Freya et en Inde par les Nasatya. Cf. D. Wwd, The Divine Twinrr, p. 30-34. Nous nous referons ici a I'ouvrage & D. Ward qui a fait une comparaison précise entre les traditions germaniques et indo-européennes tout en précisant les liens entre les traditions romaines et indo-iraniennes. Son Iivre fournit également une bibliographie importante sur le sujet. Cf égaiement G. Dumézil Myfhe et &upée, 1 ; G. Dumézil, Mythe et EPpée, iypes Qiques indo-etiropt'enî : u ? ~ heros, un sorcier, rrn roi, t. I, Paris, Gallimard, 1986 ; J. Poucet, « Le premier Livre de Tite-Live )). note 3 qui fournit une bibliographie pertinente sur le sujet.

Ica G. Dumenl, Mythe et Épopée 1, p. 271.

'O' Ibid, p. 275. A titre d'exemples, nous n'avons qu'a penser A l'épisode où Romulus tue son 6kre parce qu'il aurait franchi les nouveI1es murailles (T.-L. 1.7.2) ou encore A l'enlèvement des Sabines ou iI n'hésite pas à violer toutes les lois d'hospitalité en rigueur dans l'Antiquité (T.-L. 1.9-10, 1.13).

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aiment le présenter comme ua personnage conciliant, d'autres n'hésitent pas A lui attribuer un caractère plutôt tyranniquelo2. Cette opposition caractérise tous les représentants de la première fonction, mais la geste de Romulus demeure plus savamment Claborée, complexe et riche en signification.

Par son caractère belliqueux, Tulliis Hostilius incarne la deuxième fonction, (( omnem

rniliiurern disciplinom oriemque bellandi condidit fi (Flor. 1.3. 1)'03, Les deux épisodes marquant

la vie de Tullus demeurent ta victoire du troisiéme Horace sur les Curiaces et le chàtiment de

Mettus Fuffetius qui sauva Rome du danger de perdre le pouvoir qu'elle commençait tout juste a afftrmer. Les équivalents de ces combats se retrouvent dans la mythologie de l'Inde et se traduisent par la victoire d'Indra et de Trita sur le Tricéphale et le meurtre de ~ a m u c i " ~ . Enfin, vient Ancus dont le caractère est plus dificile a cerner du fait de l'étendue de la troisième fonction. Par le pont qu'il batit sur Ie Tibre et l'ouverture du port d'Ostie, i \ donne à Rome les

kléments nkcessaires pour qu'elle devienne la titi la plus puissante de la Méditerrade, (( ut totius mundi opes et commeatus illo uelut rnariiimo urbi$ hospirio reciperentur D (Flor. 1 .4.2)Io5.

Le fragment IOP de Pison (fragment 4) démontre bien les caractéristiques empruntées A l'id4ologie tripartie indo-européenne pour ce qui a trait a Numa et A Tullus Hostilius. Numa, représentant de la fonction souveraine qui a donné Ies institutions rdigieuses A sa cité, toujours

respectueux des rites, avait le pouvoir d'appeler la foudre, ce qu'il fit d'ailleurs plus d'une foislM. À l'inverse, son successeur, bien reconnu pour sa geste guerrière, fut h p p é par la foudre

pour avoir tenté de l'imiter. Le deuxième roi de Rome sera toujours représenté comme respectant les rites qui se rapportent à la religion ; tenant compte du pouvoir et de la puissance que les anciens conféraient à la foudre, il fut, sans contredit, un digne représentant de la première fonction'07.

'02 I1 suffit de se rkférer aux récits de sa mort que nous transmet Denys d'Halicarnasse pour montrer qu'il prêtait a Romdus un caractère pIutÔt tytyrnnnique. En effet, d'abord il narre la prerniére version, la plus populaire, celle qui Iui donne un caractere divin ; dans cette version, Ie fondateur de Rome est enlevé par un soudain éclair et va rejoindre son père, Mars. Toutefois, après cette version, l'auteur n'hésite pas A affimier que le récit le plus plausible demeure œlui ou il a été tue par ses propres concitoyens 0. H. 2.56).

'O3 G. Duméol, Myihe et &pde I, p. 271.

'041bid, p. 278.

'Os !Ed, p. Y!.

'O6 Un vif intérêt pour la foudre et les éclairs est a n n h é à Numa ; d'ailleurs a il aurait rédige des Commenrmii 06 il aurait rassemblé des renseignements sur la fawn de conjurer la foudre. CE B. Liou-me, Une f e w e de Tite-Liw 2, p. 130

la' AU sujet de la foudre, cf infi.a, chapitre iI, p. 83-87.

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L'histoire d a origines relate des édnements dont chacun a sa place bien définie dans l e

temps, en plus d'un rôle et d'un sens qui ne se comprennent que l'un par rapport à l'autre. Mime si les acteurs principaux retrouvent leur équivalent dans plusieurs panthéons, la production

historique s'enracine dans la mémoire collective des Romains et atteint remarquablement sa fonction de glorification d'abord des origines, ensuite de la fierté d'un peuple. Ces transpositions de l'idéologie tripartie aux quatre premiers rois de Rome apparaissent comme le reflet d'une science transformée en pseudo-histoire, notamment grâce à l'intermédiaire de prodiges, mais une science d'autant plus complexe que les emprunts sont multiples.

Plusieurs spécialistes cherchent encore à déterminer diverses représentations de

l'idéologie tripartie a l'intérieur de la vie de Romulus et Rémus. Les enfance et adolescence des jumeaux paraissent correspondre plus d'une fois au développement de cette idéologie.

D. Bnquel, dans plusieurs études, a tenté de démontrer qu'a de nombreuses étapes de leur vie peut se retrouver un schéma trifonctionnel afin que le héros, Romulus, devienne un être parfait,

achevé, selon les trois fonctions définies par I'idCologie indo-européenne. Ainsi, d'aprks D. Briquet, la troisième fonction est représentée par l'enfance des jumeaux, toujours

indifférenciés et qui sont l'objet des soins de la louve et de Faustulus ; la seconde fonction

apparaît lorsque les jumeaux évoluent travers un groupe de pasteurs - menant une vie de

chasse et d'exercices physiques, ils doivent faire preuve de force et de courage ; enfin, vient la

premiére fonction, ou seul Romulus domine grâce aux divergences des deux fréres dans Ieur

comportement religieux - égal A son frère au troisième niveau, Romulus l'emporte finalement au premier niveau, ce qui lui permet de devenir le chef. Notons encore que D, Brique1 a envisage

d'autres schémas du même type qu'il applique au processus de fondation de Ia citk, au simple triomphe de Romulus, i l'apparition des arbres symboliques dans la légende et a la rencontre avec des animaux qui seraient ordonnés toujours selon ces trois mêmes fonction^'^.

Plus précisément, au sujet du couple de jumeaux (Romulus et Rémus), l'universalité du phénomène rend la tache difficile pour isoler ce qui appartient à la tradition indo-européenne et

ce qui appartient à d'autres traditions. En effet, la tradition indo-européenne ligue à divers peuples un couple de jumeaux dont plusieurs des caractéristiques se retrouvent dans Ia légende

romaine. En premier lieu, on remarque que chacun des jumeaux est génkralement conçu d'un père différent, l'un divin, l'autre mortel. Contrairement aux autres traditions, Romulus et Rémus

'O8 D. Briquel, (( Les enfances de Romulus et RBmus », p. 66 ; au sujet des autres représentations de l'idéologie mpartie, cf. a Trois &des sur Romulus », p. 267-346 ; D. Briquei, « L'oiseau ornid, la louve de Mars N, p. 3 1-60.

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sont tous deux issus de Mars ; en revanche, le caractère divin de Romulus ne tarde pas a se démarquer du caractère mortel de son fière : Romulus est appelé l'apothkose et Rémus connaît

la fin misCrable d'un être humain. Toutefois, dans la tradition grecque, le couple de jumeaux le plus connu, les Dioscures, connaît cette même distinction : Pollux se voit offrir l'immortalité par

Zeus alors que Castor doit souffrir le sort d'un simple m ~ r t e l ' ~ .

Cependant, les jumeaux fondateurs de Rome répondent à plus d'un seul critère du couple

divin indo-européen. D'une part, dans les légendes ou sont mis en scène des jumeaux, en plus d'une conception distincte, on remarque qu'ils ont très souvent des caractères particulièrement différents. A ce niveau, les divergences de Romuiuç et Remus sont facilement perceptibles :

comparativement à Romulus, Rémus fait montre d'hubris, d'abord par les combats qui ont lieu lors de leur vie parmi les pasteurs - particulihment lors de la lutte contre les latrones et lors de

l'épisode où il poursuit des voleurs de bétail -, ensuite au moment de la prise des auspices où il

se permet de manger les exta'lO. D'autre part, ils demeurent étroitement liés à la fertilité - leur mère, une vestale, en témoigne - et dans toutes les traditions - indo-iranienne, gréco-romaine et baltique - où l'on trouve des jumeaux divins, ces derniers représentent la fertilité.

1.2.2 Une tradition plus complexe qu'une simple influence indo-européenne : les légendes de

gémellité.

Au delà des liens qui unissent la paire romaine aux jumeaux divins indo-européens, il

existe un parallélisme incontestable - qui ne résulte pas nécessairement d'une influence indo- européenne - entre la légende de Romulus et Rémus et d'autres Iégendes helléniques où l'on distingue la présence de jumeaux abandonnés, ensuite recueillis par un animal, et qui retrouvent

enfin après plusieurs années un pouvoir perdu. D. ~ r i ~ u e l ' " a dressé une liste exhaustive d'un grand nombre de Iégendes qui ont en commun plusieurs caractéristiques. Le récit de deux héms

arcadiens, Lycastos et Panhasios, est sans doute celui qui ressemble le plus A la légende romaine. La légende arcadienne relate le sort d'une femme, Phylonomè, qui, après avoir étd

fécondée par le dieu Arès, doit confier ses jumeaux aux eaux du fleuve Erymanthe. Les jumeaux

IW R Schilling, N Romulus l'élu n, p. 186.

"O D. Briquei, (( Les etrfimces de Rornuhis et Rémus D, p. 66.

"' D. Briquei, « Les jumeaux B la louve », p. 75-76. 1. Carcopino dans son ouvrage La loime ch Cqirole, p. 58, dresse une Liste de plusieurs légendes heliéuiqun qui ont du points communs avec la légende romuléenne ; lui-mime nous renvoie a l'ouvrage de E. Pais, Sloria rritica di Roma, I, p. 289-290.

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sont alors sauvés et nourris par une louve avant d'être recueillis par un berger, Tyliphos, qui les

adopte (Ps. Plut. par. min., 36)'12. Pausanias (10.16.5) nous livre une autre Iégende analogue à la légende romuléenne où la Nymphe Akakallis, fécondée par Apollon, aurait enfanté un couple de

jumeaux, Phylacidès et Phylandros ; ces derniers, après avoir été exposés, auraient Ctk accueiliis

et nourris par une chèvre. Mentionnons comme derniers exemples, d'abord une légende éléenne, ou les jumeaux Pélias et Nélée, fils de Poséidon et Tyr& furent abandonnés près d'un fleuve

(Arstt. pocr., 16.1454) : nounis par une jument et par une chienne, ils furent recueillis par des bergers, des chevriers ou des gardiens de chevaux (Soph. fi. 594 ; Menandr. epitrep., III ; Apollod. 1.90 ; schol. in Iliaà., 10.334) ; enfin, la Ikgende d'Éole et Boeôtos, fils de Poséidon et

de Mélanippè qui, après avoir été exposés aux bêtes, sont nourris par une vache et recueillis par des pasteurs (Hygin Fab., 167)").

Les points communs sont nombreux et renferment des thémes universels, tels ceux de la

salvation des eaux et du nouveau-né abandonné. Ces deux thèmes ont d'ailleurs traversé le

temps, les époques et les religions : le thème se retrouve encore à travers le personnage de ~ o ï s e " b u , plus près de nous, dans la Iégende de Mowgli ou de Tarzan. Cette dernière donnée

permet de constater que la ressemblance entre les récits mythologiques ne provient pas forcément d'influences directes de récits, mais peut-être de l'expression d'une mentalité et d'une

conception du monde à l'origine commune, voire seulement inhérente A la nature humaine.

Enfin, outre de nombreuses similitudes qui démontrent l'utilisation d'un thème universel par les Romains, en plus d'une filiation directe avec certaines légendes grecques, une vieille

version que nous livrent Denys d'Halicarnasse (1.83.3) et Plutarque (Rom. 10) laisse transparaître un schéma latin archaïque où le berger Faustulus aurait été accompagné de son

frère, Faustinus. La disparition de Faustinus n'est probabiement pas très tardive. On trouve à

Préneste une légende où le héros fondateur est élevé par deux frères : un lien entre les récits premiers est envisageable avec la variante du récit ro rnu~ ten '~~ . Cette observation tend a rappeler

que si les influences sont diverses, la Iégende romulkenne est cependant entièrement modelée pour être au service de Rome et met A jour des intérêts proprement romains.

'"D. Briquel, Les jumeaux à la louve », p. 75, mentionne l'opposition de E. Pais qui ne voit dans cette légende (( qu'une transposition tardive de l'histoire de Romulus et Rémus N.

"' D. Bnquel, (( Les jumeaux a la louve D. p. 75-76. .,. "' Sur le'chéme universel de la salvation des eaux, voir : D. Brique\ (i Les enfances de Romulus et Rémus », p. 55, qui donne une bibliographie plus ditaiIlCe. LIS D. Briquei, R Les enfances de Roiuius a Rémw D, p. 5657.

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Bien que les traditions et les influences soient multiples, les intérêts romains à l'intérieur

de la kgende des jumeaux, telle qu'elle fut le plus popdarisde, sont particulièrement perceptibles par le rôle des personnages et par le choix de l'animal nourricier ; on voit bien qu'il s'agit là d'un archétype indo-européen, adapte selon les lieux et les besoins. Tout d'abord,

l'étude du rôle des personnages permet de constater que très souvent, dans les légendes helléniques, l'exploit essentiel des jumeaux est la libération de la mère. Ainsi, dans le cas

M4lanippè, emprisonnke par son père furieux, les jumeaux avaient comme objectif sa libération et sa vengeance. On observe la même structure au sujet de Tyrô, mise au cachot et ensuite

libkrée par ses fils ; dans le cas d'Akakallis, le rôle de la mère demeure très effacé, mais Ia Iégende étant très mal connue, il est dificile d'en tirer une conclusion. Comparativement a ces légendes helléniques, Ie sort de Rhéa Silvia ne semble pas assez important pour que la majorité

des auteurs s'attardent au sujet de sa destinée. Après qu'elle eut été jetée en prison par Amdius, ils ne donnent aucune précision sur sa situation. Ennius affirme rapidement qu'elle fut jetée au

fleuve et qu'elle devint l'épouse du dieu qui l'habite (ap. Serv., Aen, 1.273)' Denys d'Halicarnasse mentionne la possibilité d'une mise à mort immédiate ou d'un emprisonnement (D.H. 1.16)' alors que Justin (43) suppose une mort en prison"6.

Le manque d'intérêt que les auteurs accordent B Rhéa Silvia dans la suite du récit est un des signes de leur ditachement face à son devenir; l'exploit essentiel de Romulus et Rémus demeure la réhabilitation de Numitor sur le trône. La légende, telle qu'elle nous est parvenue, ne fait non pas seulement que négliger le destin de Rhia Silvia, mais elle réduit aussi A néant le r6le des autres femmes qui etaient souvent A l'origine des conflits et des soufiances de la mkre'". En effet, dans la plupart des récits hellénistiques, une autre figure féminine joue un rôle prépondérant ; ce personnage antipathique à la mère des jumeaux influence le sort qu'on lui

IL6 L'intérêt primordiaI de la libération de la mère se manifeste dans bon nombre d'autres légendes où cet événement est au centre de l'action. Ainsi, dans la Iégende d'Iphimédeia, la mère des Aloades, l'héroïne, après avoir été enlevée pai des pirates, est sauvée par ses fils jumeaux. Même schéma dans la Iégende de Cléopatra dont les as, après l'avoir libérée de sa prison, tuent son persécuteur. Au sujet du rale effacé de Rhéa Silvia et de l'importance de la libération de Ia mère dans les autres légendes heiiéniques, cf D. Briquel, (( Les jumeaux à la louve », p. 77-80.

'17 D m l'histoire d'&le et Bœôtos (Diod. 4.62) « Arnè, confi& par son père à un Métapontin de passage, se prend de querelle une fois arrivée en Italie, avec l'épouse de ce Metapontin. LA encore, cette femme sera tuée par les jumeaux venus secourir leur mère [. . .]. Dans la légende de Cléopatra, l'opposition est plus nettement située au niveau des femmes, et le rÔIe néfaste de la rivale de la mére, responsable de I'emprisomement de cette denÿére comme des mauvais traitements subis pas ses fils, est clairement souligné dans le récit [...]. Le même s c h h a se retrouve dans l'histoire de Tyr6 : le personnage antithétique est ici Sidérô qui sera finalement mise à mort par les jumeaux. Dans le récit de Diodore (4.68) et dans I'Antholoie (3.9); elle est la m n d e femme de SaIrnonée: lequel I'éjouse aprés la mort de la mére de Tyrô, AlkidikB. Et c'est eue qui maltraite sa belle-fille N ; cf. D. Bnquel, Les jumeaux A la louve H, p. 82-84. En fait, dans toutes ces légendes, le rôle des femmes est essentiel et l'opposition se crée davantage entre deux figures féminines que masnilines.

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riserve. Dans la légende romaine, l'opposition entre deux personnages existe, cependant, elle est construite autour d'Arnulius et de Nurnitor. En dehors du récit de Denys d'Halicarnasse où

apparaît une brève allusion à la femme d'Amdius qui aurait découvert la grossesse de Rhda Silvia et par là, doit-on supposer, provoqué sa punition (D.H. 1.78), la présence des femmes est presque inexistante. Toutefois, dans son étude, D. ~ t - i ~ u e l " ~ mentionne une autre

version, celle de Conon (47), dans laquelle la libération de la mère devient l'exploit essentiel des deux jumeaux et où Amuiius fait tuer Nurnitor. Il conclut que les differences entre la légende

romaine et les légendes grecques ne pourraient remonter très haut dans le temps. De plus, Gomme les personnages dYAtnulius et de Nurnitor ne prennent leur plein sens qu'A partir de l'existence de la chronologie pictorienne des rois d'Albe, il serait difficile d'envisager que la

version de la légende romdéenne, telle qu'elle fut popularisée par les annalistes, soit très ancienne.

Si l'on tient compte de la place prépondérante que tiennent les femmes dans les autres Iégendes, comment expliquer cet effacement marqué de RhCa Silvia? D. Briquel élabore

l'existence d'une seconde tradition a l'intérieur de laquelle serait venu s'ajouter un autre rkcit.

La principale caractéristique de cette seconde tradition aurait dté la restauration sur le trône d'un roi déchu. G. Dumézil a d'ailleurs effectué un parallèle avec le mythe indien des Asvin ou force et jeunesse sont rendues à un vieillard, Cyavana. Enfin, comme le fait si bien remarquer

D. Briquel, Denys d'Halicarnasse, qui nous livre la version la plus complète du récit, mentionne la présence de tous les personnages qui se retrouvent dans les Iégendes grecques, leurs rôles

dtant simplement redétinis'lg. La juxtaposition de deux Iégendes serait ainsi justifiée.

Doit-on s'étonner de cette prdférence mettant en valeur des figures masculines qui

devaient, à l'origine, être féminines ? Sans doute y transparaît le tempérament fondamental des Romains, qui portent une importance toute particulière à la politique et à la lignde masculine. Cette importance, en dehors du mythe des jumeaux, fait également partie de l'histoire des

origines à travers le mythe d'Énée où le hdros, lorsqu'il quitte Troie, se préoccupe de porter son père sur ses épaules et de tenir son fils par la main, laissant, seule, Créuse, B ~ ~ a n i è r e ' ~ ~ .

I l8 D. Briquel Les jumeaux I la louve », p. 86.

'Ig fbid, p. I5-96. l m « A ces mots, j'étends sur mes larges épaules et sur mon cou baissé une couvemue. une peau de lion fauve ; et je me courbe sous mon fardeau. Le petit Iule a mis sa main dans la mienne et suit son pére d'un pas inégal. Ma femme vient demére. [...] Je ne cherchai des yeux la disparue, je ne songeai à la chercher qu'une fois arrive sur Ia hauteur de l'antique Cdrès, près du temple sacré. Nous étions rassemblés tous : eUe seule manquait et trompait l'attente de ses compagnons, de son as , de son mari. D (Virg. Aen, 2.271-275 ; 241-245).

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Le second élément de la légende qui semble donner d'autres renseignements sur le caractére proprement romain de ce mythe universel est sans doute le choix de la louve comme

animal nourricier. Effectivement, l'animal nourricier ne paraît pas remonter au thème indo- européen des jumeaux. D'abord parce que l'on constate un intérêt particulier accordé à la louve

chez certains peuples voisins de Rome, ensuite parce que le même trio truie-louve-aigle (ou autre oiseau) apparaît dans le mythe d'Énée. Cette coïncidence n'est sans doute pas forhite.

Sans accorder une importance démesurée à l'idolâtrie d'animaux chez les Romains, on constate que certains d'entre eux pouvaient être perçus comme des representants des dieux sans être les divinités elles-mêmes. On attribuait à certains animaux, dont la louve, un symbolisme bien précis provenant de très vieilles traditions ou de leur simple force naturelle"'. C'est d'ailleurs un des éléments qui permet d'expliquer que tout au long de la République et de l'Empire romain, la Louve soit restée la représentation obligée d'une protection divine sur la ville'22.

En tenant compte du symboiisme &ès ancien de la louve aux yeux des Romains, on peut croire que le choix de la louve a l'intérieur d'une légende semblable a tant d'autres a une sigrufication et une origine propres à ce peuple. Deux aubes études de S. Reinach et de

J. Carcopino, quoiqu'anciennes, gardent un caractère stimulant pour l'étude du phénomène. S. Reinach, dans le premier tome de son ouvrage consacré aux cultes et aux mythes dans les religions, étudia la survivance et la signification des animaux tothiques des anciennes trib~s' '~. Une des caractéristiques fondamentales des premières tribus, queiies que soient leurs origines, est d'avoir eu à l'égard de certains animaux des croyances mystiques ; dans ces circonstances, un animal quelconque pouvait devenir un symbole particulier pour une quelconque cité. Plusieurs théories furent élaborées sur l'importance du loup en Italie, et, toujours selon S. Reinach, le loup

12' Sur la mentalité primitive, cf, inpu, chapitre Ui, p. 105-T06.

122 Un pyxide de bronze du Louvre (catalogue Louvre par De Etidder, #2958), illustre bien cette utilisation plus tardive du mythe de la louve. Cette dernière, qui allaite les jumeaux sous le figuier ruminal, est encadrée par deux personnages : à gauche, VÎms Romma, ii droite, un personnage cuirassé, peut-êîre un empereur ou le dieu Mars. Comme il a la tête nue, G. C. Picard, dans son article (( La louve romaine a, p. 263, eqlique qu'il s'agit plus probablement d'un empereur. Néanmoins, on remarque que la louve demeure la digne représentante de Rome et ce depuis les premières figurations de celie-ci. Par exemple, Denys d'Halicarnasse (1.59) fait mention d'un groupe en bronze représentant la lutte d'un aigIe et d'une louve contre un renard : dans cette anecdote, qui correspond à l'époque de la fondation de la cite, le renard représenterait les Rutules, la louve les Romains et l'aigle, les Troyens ; par cette utiiisation, les animaux ne sont plus des êtres divins, mais de simpIes symboles. Cf. D. Briqud, « L'oiseau orninai, la louve de Mars N, p. 3 1-32. L'auteur memionne certaines objections à cette interprétation dont celle de G. Ciagi, in KE, iû6, i954, p. 31, a qui propose une interprétation iGgérement ciiffirente : ies animaux représenteraient respectivement Volsques, Troyens a Latins ».

l P Sur les caractéristiques des animaux totémiques, c f . infa p. 108-109.

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aurait pu être un animai totémique du Samnium, qui aurait servi de guide il des Samnites pour la fondation d'une colonie. Ainsi, d'hirpus, qui désigne un loup en samnite, découlerait leur propre nom : ~ i r ~ i n s ~ ~ ~ .

J. Carcopino, dans son dtude La louve du ~ a ~ i t o l e ~ , appuie cette théorie selon laquelle

le culte de la louve serait d'origine sabine et son existence bien antérieure au mythe des jumeaux. Selon lui, les traces d'un culte voué au loup abondent dans la région sabine et auraient influencé le choix du loup comme sauveteur des jumeaux. Mais cette théorie fut ouvertement

critiquée par A. Aifdldi, qui contesta de la même manière les anciennes théories de E. Pais, O. Rayet et A. Piganiol, selon Iesquelles la louve serait l'animal totem des Romains « A l'aube de leur histoire D'~~. En retour, A. Alfoldi tenta de démontrer que la louve était non pas d'origine

sabine mais plutôt étrusque, ce qui expliquait par le fait même que sur certaines représentations antiques les jumeau n'apparaissaient pas toujours. En effet, Tite-Live (10.23.12) nous apprend

l'existence d'une statue de la louve, seule, ti laquelle les jumeaux ne furent adjoints qu'en 296 av. J.-C. sur décision des édiles de cette année là : [...] et ad ficum Ruminalem simulacru infantiun? conditorum urbis sub uberibus Iupae posuerunt127. A. Alfoldi, suivant cette fois

J. Carcopino, mentionne d'autres cas où des statues auraient été représentées sans jumeaux'28. En revanche, il constate que très souvent, la louve semble particulièrement rné~hante''~. Pour les

Étrusques, elle représentait effectivement un monstre temble et non pas une tendre nourrice ; l'emploi fréquent d'un loup infernal, ou d'un démon ayant une gueule de loup dans l'art

étrusque est d'ailleurs bien connu. il n'entre pas dans notre propos de déterminer quelle est l'origine de Ia louve capitoline, mais il n'en demeure pas moins qu'd l'intérieur d'une légende

12' S. Reinach, Cultes, mythes et religions, t . 1, p. 25 ; A Emout, A. Meillet, Dictiottnmre éfymologrque de la Iangue latine, histoire cies mots, Paris, Klincksieck, 1979, s. u. hirpus, p. 296. 115 J. Carcopino, la l m du Capitole, chap. m. '26 A. AIMldi, « La louve du Capitole », p. 2. De plus, précisons que les nouvelles technologies nous rappellent le côt6 toujours aussi populaire et hypothétique de la louve romaine chez les antiquisants gràce à un site intemet entidrement consacré à cette d e d r e : http:lAupacap.fltr.ucl.ac.bd

'" « [.. .] et, prks du figuier Rurninal, des images des enfants fondateurs de Rome sous les mamelles de la louve ».

'18 A Alfbldi (< La louve du Capitole r), p. 3 ; J. Carcopino, La louve du Capitole n, p. 23.

l m Il donne, entre autres, comme exemple, la stdle sculptée de Felsina et la critique comme suit : a Dans le registre inférieur, on voit une bête terrible, une louve &orme, tomde d gauche, inclinant docilement sa grosse tête vers un petit enfant qu'eue allaite. A L'inverse de J. Carcopino, nous y voyons, avec E. Peis et A ûrenier et d'autres, l'image d'un mythe étrusque, analogue iî celui des Romains. Cc bas-relief se distingue par le dédoublement des contours du cheval pour signaler la présence d'un second cheval comme sur les vases arecs du 6' sikle. La louve et son nourrisson, avec leurs silhouettes rigides ruais vigoureuses, portent la marque d'un style archaïque qui s'oppose ti des datations trop basses. En tout cas, la stéle fut érigée bien avant la prédominara a la conquête de R o m n ; A. AUoIdi « La louve du capitole n, p. 8.

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dont les influences sont helléniques aussi bien qu'indo-européennes, la louve apparaît comme un trait romain hérité des peuples avoisinants et dont la signification convenait au récit de la fondation tel que les Romains voulaient le forger. La louve fkroce des Étrusques, tout comme la

louve totem des Sabins, se présentait comme une excellente protectrice pour les jumeaux - et

par la suite pour les empereurs qui se privalurent de son symbolisme -, la première par la mdchanceté qui la caractérisait, la seconde par l'affiliation au (( clan divin, celui du loup u, qu'elle offrait aux jumeaux en les nourrissant et en les protégeant'30.

D m son ouvrage, S. Reinach tnumère de nombreuses caractéristiques propres aux

animaux totémiques dont l'une est, en plus d'annoncer l'avenir, de servir de guide. Ce dernier

trait, mentionné au sujet du loup pour une tribu Samnite, est propre à la Egende romuléenne : la louve sert di: guide pour la cité par le lieu où elle a allaité les jumeaux, endroit qui sera la future Rome. Différents animaux furent régulièrement investis de ce rôle dans d'autres mythes de

fondations ; généralement, ils indiquaient l'endroit de la futwe cité en se couchant, épuisés par la fatigue. Les légendes qui mentionnent un animal guide sont presque aussi nombreuses que la variété des animaux eux-mêmes ; qu'il soit corbeau, aigle, colombe, loup, chien ou renard,

l'espéce semble peu importer. Ainsi, Rome aurait sans doute repris l'animal guide, ou totem, d'une cité voisineL3'.

La truie, animal tout aussi important dans les légendes de fondation latine, aurait également servi de guide. 3. Heurgon, dans son ttude sut le uer sacrum, rapproche le mythe de la

truie de cette pratique ou un animal guide, généralement ayant les attributs de Mars, menait la migration des iuuenes. Lors du uer sacrum, l'animal conducteur léguait son nom à la viIle dans

laquelle iI s'&ait arrêté ; de mCme, l'animal guide de Bovianum, mttropole des Samnites, aurait I t é le bos'" et celui de Picenes, le pictrr. Dans le cas du prodige des trente pourceaux, la couleur

bIanche de la truie, bien que certains auteurs lui attribuent une couleur sombre (Lycophron,

"O S. Reinach, Cultes, myrhes et religions, t. I, p. 75.

13' À titre d'exemples : fondation de Magnésie par un corbeau, fondation de Séleucie par un aide, fondation d'Athamanthia par un loup, fondation de Milet par un chien, fondation d'Ephese par un sanglier et un poisson, fondation d' Argilos par un rat, fondation de Phocée par un phoque. etc. Cf : F. Via& bs oripines de Tl iéby p. 77- - - 19.

'" J. Heurgon, Le uer s a m , p. 8. Ce qui n'exclut pu nécessairement qu'un hirpus ait men6 une autre tribu Samnite, d'ob l'appellation qui désigne les Samnites en général : Hirpirx

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Varron), pourrait bien rehausser sa signification toute particulière et faire référence a Albe ; ainsi, la û-uie répondrait au rite du w r sn~nrm'~~.

Les interprktations sur le symbolisme de la truie et sur le prodige des trente pourceaux

sont aussi diverses et nombreuses que celles concernant la lowe ; de p lu , les sources ne permettent pas veritabtement de trouver un terrain d'entente. SeIon Pictor (fragment 5) , la truie

accouche à Albe, selon Caton a Lavinium (fragment 6) et selon Hémina (fragment 7)' le prodige a lieu a Rome et au temps de orn nul us'^^. La signification du nombre de porcelets varie de la même façon. Lycophron donne une interprétation spatiaie en le reliant a trente forteresses,

Fabius et Caton une interprktation temporelle en affirmant qu'ils représentent les trente années qui séparent la fondation de la ville, Albe, et le prodige. Selon la thkone de D. Briquel, « la m i e aurait été l'animal symbolique des Latins, mis en rapport avec la fondation de leur vieille

capitale, Albe D. A l'origine, la possibilité qu'une tradition albaine faisant allusion a une truie

blanche ait existé est d'autant plus plausible que le nombre des pourceaux ferait alors référence aux trente populi Latini dont Pline (3.5) fait la d e ~ c r i ~ t i o n ' ~ .

Enfin, comme ce sont les trois mêmes animaux qui apparaissent à Rome et ti Lavinium, on peut supposer que la ldgende romaine fut inspirée par des legendes qui entouraient la région du Latium et que les annalistes ont simplement redistribué le rôle de chacun des animaux. A Lavinium, la truie est marquée d'une plus grande importance parce qu'elle participe a Ia fondation de la cité, alors que ses acolytes - la louve et l'aigle - apparaissent comme omina,

garantissant Ia bienveilIance des dieux ; Rome, Ia louve a incontestablement le premier rôle, la truie est presque inexistante, si ce n'est dans le prodige que relate Hemina ; quant à l'oiseau, il

gardera toujours sa valeur d'amen'? L'importance originelle de ces trois animaux semble

devoir ètre mise en lien avec le sol italien et leur choix apparait ètre le résultat de croyances plus anciennes que la légende des jumeaux.

'33 Le uer s 4 m m proprement dit était la consécration au dieu Mars de la production de l'année lors d'un fléau nature[. Un autre uer s u c m était l'expulsion des jeunes comme une sorte de mission colonisatrice où un Bnimal était guide ; la cérémonie mettait l'accent sur la fertüité. Cf. J. Heu~gon, « Le 'Ver sacnmt ' », p. 5-10. 134 Probablement parce qu'il tente de Ie relier à un monument de la cité, le temple des Lares Grundiles, et ainsi justifier cette institution ; 6. npru p. 19. l?<

U. Eriquei, « L'oiseau orniniri, ia iouve de Miirs D, p. 4 1 . Four une anaiysc pius cornpière au prodige aes uenre pourceaux, cf. Ehlers, W., «Die Gnrndungprcdigien von Lavinium und Aiba Longa », MwwniHelveticum, 1949,p. 166-176 ; Meyer, E., « Das sauprodigium und sein reEgionsgeschichtlicher Hintergnind Porca pue pepiremi f i , in Acta Antigua Academiae Scientiamm Hungurime, 16, 1968, p. 1 98-208.

Sur 1a valeur d'omen favorable symbolisé par la présence d'un oiseau, cf infra p. 82.

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A ce stade, pouvons-nous parler d'originalité des Romains dans l'écriture de leurs origines ? L'utilisation de diverses traditions par les annalistes saurait difficilement être tenue pour une simple coïncidence ; ils ont su, à l'aide de prodiges, se rallier à leurs voisins et créer un passé historique à la hauteur de leurs aspirations mais avec des caractéristiques typiquement romaines ; de plus, les écrivains postérieurs ont également su remanier ce passé selon les

périodes et les besoins. En revanche, pouvons-nous vraiment affirmer qu'ils étaient conscients du placage artificiel qu'ils opéraient? Les diverses traditions semblent être restées dans une mémoire collective vieille de plusieurs siècles, ce qui permettait aux auteurs d'utiliser

consciemment ou inconsciemment, selon leur dessein et leur savoir, Ies éléments qu'ils jugeaient ~ ~ ~ o r t - u n s l ' ~ . Dans cette optique, les divergences entre les récits ou certains anachronismes peuvent n'avoir été qu'un reflet de l'ignorance de certains historiens. Les mêmes procédés de

modifications historiques sont perceptibles pour une époque plus proche de la leur, celle du régne de Servius Tullius, OU les prodiges furent encore l'élément primordial, un signe des dieux,

qui confirmait aux Romains leur grandeur et leur puissance.

13' La question reste ouverte d savoir si les annalistes ont modifié les récits B partir de traditions dont ils connaissaient le contenu ou s'ils ont plutôt étd tributaires d'une ignorance qui leur a permis de mélanger plusieurs traditions l s s remettre en cause les origines des différentes kgendes. L'état actuel des sources empêche quiconque de tranchcr sur la question, et l'inconscient collectif est certainement assez fort pour avoir permis de réinterpréter dans I'interêt de Rome des légendes connues et aussitôt oubliées.

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1.3 Consécration d'un être ou d'un événement : Servius Tullius

Nous avons déjà mentionné, dans l'analyse du règne de Servius, le caractère hypothétique et énigmatique des récits le mettant en scène : comme pour Romulus et Numa, les légendes et les

prodiges qui constituent son existence reflètent diverses traditions ; mais contrairement a ses

prédécesseurs, son caractere historique est admis de tous. Toutefois, les influences des récits

conservés sont nombreuses et variées et les déformations historiques qui couvrent son règne sont

incontestables. On connaît en effet, chez d'autres peuples, l'existence de récits liant la supériorité des souverains a des forces surnaturelles symbolisées par le feu, comme dans le cas

de Servius Tullius, fils du dieu du foyer ou, selon le fragment d'Antias (fragment 8), dont le

pouvoir fut confirmé par le feui3'. Par ailleurs, dans le Latium même, nombre de rapprochements sont possibles entre les récits relatifs à la vie de Servius et les légendes tant des

jumeaux fondateurs de Rome que du roi de Préneste, Caeculus. Ainsi, dans le cas des traditions

entourant la vie et le règne de Servius, une double influence, Iavinieme et indo-européenne, est

envisageable.

Un des grands problèmes concernant l'origine de Servius vient de son nom lui-même.

Est-il le fils d'un ou d'une esclave? Il n'est pas de noDe propos de nous attarder sw les differentes théories concernant l'origine de ce roi. Néanmoins, pour mieux situer la

problématique du régne de Servius, il convient de rappeler les nombreuses versions de sa conception et de l'origine possible de ses parents. Denys d'Halicarnasse donne deux variantes : la première (4.1.1-3) fait d'ocrisia, mère de Servius, i'épouse d'un haut personnage de

Corniculurn qui Kit tué lors d'une guerre contre Tarquin l'Ancien. Veuve et enceinte, elle aurait

été recueillie par Tanaquil qui, en raison de son ancien statut, lui aurait rendu sa ~iberté"~. La seconde version est celle qui unit la jeune fille, indépendamment de son statut, à un phallus.

Cette fois, Denys hésite sur la nature du géniteur entre une représentation de Vulcain et des Laresj'ümiliaris. C'est s u . cette seconde version que nous nous attarderons particulièrement.

"' C f le üagrnent 12P d'ht ias (Fragment 8) : (1 [...] comme il dormait, son visage apparut aux femmes tout auréole d'un nimbe de feu, preuve qu'il était ne du feu et excellent présage du pouvoir inanendu qu'il reçut a la mon de - I arquin grace au zeie ae ïanaquii ».

'" Tite-Live (1.39.5-6) ne semble pas particulièrement intéressé par ceae version car il refuse l'état d'esclave de la jeune fiUe et prefére attribuer le prénom de Servius a son detunt pere.

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A l'origine, dans une légende que livre Promathion, la mère des jumeaux romains aurait

été fkcondie par un phallus, représentant d'un dieu masculin du foyer"* ; ce symbolisme fut

oublié ou volontairement réinterprété ; ensuite, l'annalistique présenta comme géniteur Vulcain ou ~ar f i rn i i in r is '~ ' . Les similitudes avec la conception de Caeculus sont manifestes : après que sa mère eut été fécond& par une étincelle qui etait la représentation de Vulcain, le futur roi fut

recueilli prks d'un feu (Vir. Aen., 7.679-680). Ces trois conceptions divines, qui mettent au

premier plan le feu comme géniteur, ne sont pas le seul point commun des récits relatant le début de la vie de chacun des personnages. Romulus et Caeculus sont élevés par deux fières bergers (du moins dans la version de la légende romuléenne qui attribue a Faustulus un fière), ils

passent leur adolescence parmi ceux-ci, ils se font tous deux confirmer leur pouvoir par le feu, et les deux rois organisent un rapt de femmes pour combler le déficit démographique de leur

En plus, G. Capdeville rapproche leur vie de celle de Mastarna, dont la naissance reste obscure mais qui a également rejoint une troupe de campagnards ou de bergers cornandie par deux frères. Un seul é l h e n t manquait dors pour faire de Mastama un roi dans Ia lignée de

Romulus et Caeculus : la conception prodigieuse, qui fut imaginée selon le même thème, c'est-a-

dire « à partir d'un foyer conçu comme féc~ndateur '~~ r).

Plusieurs caractéristiques qui apparaissent dans ces trois récits incitent i voir dans les

liens du premier roi avec Ie feu une origine etrusqx. D'abord, dans Ia légende de Romulus et

Rérnus que nous livre Promattuon, il est question d'un seul fils : ri elle aurait un fils glorieux » ; les noms donnés et au roi d'Albe, Tarchètius - qui proviendrait du même radical que Ie nom des

Tarquins -, et au serviteur, Tératius, seraient d'origine éûusqwe ; de plus, l'oracle dont il est question serait kgalement étrusque. Ensuite, dms la légende de Caeculus, ou ie caractère étrusque ne semble pas particuli&rement défini, Préneste, la citd dont il est roi, bénéficie d'une

très ancienne influence culturelle de ~'Étnine. Enfin, dans la Iégende de Servius, sa naissance se situe dans un contexte étrusque ; lui-même, Q l'origine, est censé être un roi é b u s q ~ e ' ~ ~ .

'41 « U y en a enfh qui font de sa naissance un récit complètement fabuleux. Tarcbétius, roi d'Albe, homme des plus déréglés, et des plus cmels, aurait eu chez Iui une vision étrange : un organe male surgit du foyer et resta sur place plusieun jours. Or il y avait en Étrurie un oracle de Téthys, d'où fit apporté a Tarchétius l'ordre d'unir B I'appantion une jeune Elle ; elle aurait un 6is glorieux [.. .] Voil ce que rapporte un certain Promathion, auteur d'une histoire d'Italie D ; cf. Plut. Rom., 2.4-8. Promathion demeure un historien inconnu de la littérature grecque ; on lui attribue ce seul kagrnem. On pense qu'il aurait vécu autour du 3" av. J.-C. Cf. L. Berkowitz, K. A Squitier, Canon of Greek Authws mi Work, New York, Mord University Press, 1986, p. 279.

14' D. Briquel, « L'oiseau omllial, la louve de Mars n, p. 37.

14* Sur les points communs entre CaecuIus et Romulus, cf: B. Liou-Ciilla IIne lecture de Tite-Live I. p. 323.

lu G. Capdaille, (t te mythe du premier roi D, p. 60-62. 144 G. Capdedie, rt Le mythe du premier roi D, p. 58-59 ; B. Liou-Gille, Une lecture & Tite-Live I, p. 3 17-3 18.

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Ainsi, la légende et les prodiges entourant la vie de SeMus reflètent un héritage étrusque toujours présent Mais a l'instar des Iégendes de Romulus et de Numa qui ont des influences

diverses, la provenance origmelle des liens étroits entre le feu et le roi, nettement mis en relief dans les deux fragments que nous laisse I'annalistique, serait indo-européenne. En effet, les deux

épisodes qui font intervenir le feu dans la vie de Servius - la conception et la légitimation du pouvoir - représentent un schéma consacré qui se retrouve plus d'une fois à l'intérieur des

Iégendes des premiers rois. A ce sujet, D. ~ r i ~ u e l ' ~ ~ a remarqué que sa naissance peut être rapprochée de celle du premier roi indo-iranien, du roi perse né du sein d'une flamme, ou encore de la vie du roi suprême de l'Irlande qui (( était considéré comme animé par le feuId6 ».

En plus des traditions relatives à sa naissance, cette affinité roiIfeu est marquée,

notamment, par l'auréole lumineuse qui entoure la tête du souverain. D'ailleurs, l'union du feu et du souverain s'avère presque nécessaire, car on imagine que c'est a l'aide du feu (Ies éclairs

servant d'intermédiaires entre le ciel et la terre) qu'il pourra communiquer avec l'au-delà. La naissance miraculeuse du premier roi combinée à la relation qu'il entretenait avec le feu aurait

&te, à l'origine, le moyen d'exprimer sa puissance'47.

G. Dumézil établit, quant à lui, divers liens avec une figure légendaire indienne, le roi

Prthu Ce dernier serait né de la cuisse du cadavre du roi Vena, d'où il serait sorti à la manière

du feu aprts qu'elle eut été fiottée par les sages14*. En plus d'être étroitement lid au feu par sa naissance, Prthu peut être comparé A Servius non seulement par l'acquisition de la royauté - tous

deux sont arrivés subitement au pouvoir afin d'éviter un désordre social - et par l'œuvre de mise en ordre de la société qu'ils ont effectuée, mais aussi par leurs règnes, qui s'intercalent entre

deux tyrans, et par leurs rdformes en faveur de la plèbe149.

Dans son ouvrage, G. Dumézil montre de nombreux autres points communs, dont celui

qui met en scéne une vache, salvatrice de la mission respective du règne de chacun des rois. Dans la tradition indienne, Prthu se lance a la poursuite d'une vache d'Abondance qui lui

permettra de nourrir son peuple ; au moment où il est prêt à tuer celle-ci, elle se laisse alors traire et le roi peut ainsi alimenter son peuple pour une longue période. Dans le récit servien, l'épisode de la vache merveilleuse est, bien entendu, adapté aux valeurs romaines et l'animal

"5 D. Elriquel, K En de@ de l'épopée D, p. 18.

Ibid, p. 14.

147 n R r i q d , n En de@ rls 19éjr\pér? », p 23 ; R Thornwn, Kin: S ~ M I I S fi11li11.r: p 10-1 1

G. knézii, Servius et la Fortune, p. 216.

'" Ibzd, p. 206.

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sert à confirmer le pouvoir du roi et la puissance de Rome. En effet, la tradition livre deux

versions du moment où SeMus a finalement assuré la suprématie de la ville sur ses voisins. La première, très pragmatique, présente Servius parvenant à ses fins grâce a son activité

diplomatique ; la seconde raconte l'histoire d'une vache miraculeuse qui naquit dans le pays sabin et qui, par sa taille et sa beauté, était considérée comme un prodige ; on disait de celle-ci

que le peuple qui l'immolerait deviendrart maître de l'Empire : grâce à une ruse de SeMus, les Romains immolèrent la vache, ce qui confirma leur pouvoir suprême150.

D'autres parallèles indo-européens sont possibles et ont permis a D. Brique1 de diviser le règne de Servius d'après l'idéologie tripartie. D'abord, suivant le récit de Tite-Live, Servius

prend le pouvoir après le meurtre de Tarquin, épisode qui se déroule dam la première fonction, la fonction souveraine ; se présente ensuite sa réalisation dans la deuxième fonction, la fonction guerrière, où il doit combattre les Étrusques et faire montre de sa force physique ; enfin, la fin de son règne se rkalise dans la troisième fonction alors qu'il se consacre à la réalisation d'une

œuvre constitutio~elle et assure la prospérité à ses habitants. Le schéma triparti du règne de Servius d'après le récit de Denys d'Halicarnasse est quelque peu différent ; après avoir fait ses

preuves en accomplissant des exploits militaires (deuxième fonction), il se réalise dans la première fonction lorsque Tarquin lui offre la main de sa fille. Selon ce récit, la troisième

fonction a lieu lors du discours électoral où Servius tente de convaincre Ie peuple des largesses, des remises de dettes et des distributions de terres dont il est capable'".

La vie de Servius, tout comme celle des rois pré-étrusques, fut modelée par les historiens de manière a rehausser son apport dans la création de la République. Le caractère énigmatique de son régne et de son personnage reflète une maladroite modification de l'histoire qui s'avérait essentielle ; mais il existe des versions plus rationnelles. Le fragment 13Ch des Annales des

Pontifes (fiagrnent 9) affirme au sujet de la naissance de Senius que la seconde version confère

aux circonstances qui l'ont entou.de un caractdre fabuleux, ce qui implique qu'une version pragmatique était assez connue puisque citée en premier. Toutefois, aucun historien ne semble avoir réfute le lien étroit qui existait entre Servius et le feu ; si celui-ci n'était pas illustre pas sa

naissance, il l'était par l'auréole de feu qui aurait un jour subitement entouré sa tète, confirmant ainsi la supériorité de son pouvoir.

150 Û. Üuli&d, &.v iu~ di IL Fui iuiid, P. 3 - 2 i i , F. ;vi. hT i i i , L 'id& u> ï ü ~ ~ i i j: 'Yùii i~, 2. 72 ; 6 T.-L. ; .45.4-

7 ; Val.-Max. 7.3.1 ; Plut. Quaest. Rom., 4 ; Mor., 264 cd.

"' D. Briquei, En de# de I'épopk n, p. 26-28.

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A travers l'ensemble des rhcits merveiIleux relatifs à Servius Tullius, on peut voir encore que les prodiges qui constituent les ddbuts de Rome ont permis non seulement Ia crtation d'une trame historique rdpndant au besoin d'un peuple en formation, mais aussi la filiation avec d'autres peuples. Réguli6ternent, les modems perçoivent de nouveaux tiens qui s'inserent a l'intérieur d'une tradition donnie et qui ont servi le passe légendaire ou divin des premières civilisations. Les anciens, bien qu'ayant un nouveau regard plus critique et pragmatique, ne voulaient peut-è~e pas enrayer cette filiation, Ainsi, en regard des prodiges qui constituent les origines de Rome, i l est possible de déceler des traits typiquement romains qui devaient mettre davantage en vaieur cette citk par rapport aux autres.

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CHAPITRE II

2.1 Assimilation m liberié. Le ciel au service de Rome : les oisearut

2.1. I L 'art augura[ oficiel de Rome

Nous avons choisi de faire des prodiges célestes et des prodiges terrestres deux parties distinctes car l'art augural, d'origine ornithologique ou Mgurale, fut pour les Romains, au contraire des prodiges insolites qui constituent la troisième partie, une science particulièrement développée et principalement héritée d'Étrurie. Ces deux formes de prodiges semblent particulikrement enrichissantes à analyser en ce qu'elles préfiguraient l'état d'esprit des dieux et surtout en ce qu'elles pemettaient aux Romains de les consulter à l'aide de rites complexes en vue d'actions subséquentes. Ainsi, l'art augural, par le dialogue entre hommes et dieux qu'il permettait, en vint à prendre une place fondamentale autant dans la religion que dans la vie courante.

L'importance de ces deux types de prodiges transparaît à travers le nombre de fragments des annalistes : sur le total des 23 prodiges qui forment notre corpus, 5 prodiges sont causés par l'apparition ou l'action d'oiseaux alors que 4 concernent la foudre. De ce pourcentage élevé, et surtout du fait que les sciences qui gouvernaient I'interprétation des apparitions des oiseaux et de la foudre étaient particulièrement développées sous la République, il résuite qu'une partie se doit d'ttre exclusivement réservée aux phénomènes célestes, d'autant que par ces sciences, bien n* * 'hâ& i~ar APF khwntiec Rnme o c i l i t i c t i f i ~ r cf $ ~ i f i ~ r ac~cnf ml'cll% allait entreprendre. yu 4, b....#*d "WU u.. "e.,..-uy A.".**- - -- J -"""'

Afin de mieux saisir l'étendue de l'art augural a Rome, Ies caractéristiques propres à certains oiseaux et la façon dont les Romains pouvaient orienter l'interprétation des signes

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divins, il convient d'abord d'établir les origines de cette science et les pratiques qu'elle nécessitait. La plupart des civilisations ont attribué aux oiseaux un pouvoir magique avant même

d'imaginer des dieux; ces oiseaux étaient considérés comme des créateurs mais avaient dgalernent la faculté de prédire l'avenirls2. Ainsi, même après l'apparition des dieux, les oiseaux

gardèrent cette caractéristique propre aux prophètes : que ce soit par leurs cris, par leurs vols se modifiant selon les conditions atmosphériques ou encore par leurs rassemblements qui laissent de tout temps place à diverses légendes, les oiseaux se virent toujours attribuer des facultés surnaturelles qui en firent l'objet d'une science bien élaborée ; de par leur situation spatiale, entre la terre et le ciel, ils furent perçus comme des intermédiaires privilégiés entre le monde des

hommes et celui des dieux. Les Romains eurent tôt fait de porter attention aux présages signifiés par les oiseaux, devenus parfois les représentants des dieux eux-mêmes'53. Tout comme les autres animaux, les voIatiles ne possédaient, selon la croyance antique, aucune volonté propre ;

ils étaient dès lors les porteurs potentiels de tout signe divin : r( La volonté divine agit sur les oiseaux ; elle fait que ceux dont on observe le vol se portent tantôt d'un côte, tant& de l'autre ou disparaissent dans telle ou telle région ; elle fait que ceux dont on écoute le chant se fasse entendre soit a droite, soit B gauche. Si chaque animal use à son gré de la fàculté de mouvoir son corps, en avant, de côté, en arrière ; s'il fait de ses membres ce qu'il veut, s'il les courbe et les recourbe, s'il les Ctend et les retire ; s'il exécute tous ces mouvements avant même d'y penser, combien cela n'est4 pas plus facile B dieu, à la volonté de qui toutes ces choses sont soumises 7 C'est lui qui nous envoie des signes dont l'histoire a recueilli de nombreux

Cic. De diu., 1.53.

Le monde de la divination augurale était infiniment complexe : autant le côté d'où provenait l'oiseau que son espèce exigeait des interprétations bien précises. Par cette science, en

plus de désirer des réponses sur le futur, les Romains, comme les Étrusques, cherchaient A apaiser une apparente coltre divine afin de rktablir à tout prix la pax deorurn. Les Toscans consultaient très souvent des livres sacrés A la recherche de réponses qui calmeraient cette apparente colère divine. La division de ces livres sacrés était triple : un premier groupe était consacre A l'examen et a l'étude des entrailles des victimes, un deuxième groupe concernait les

foudres, et un dernier groupe embrassait « les préceptes les plus divers, intéressant la vie des individus et des États1'* D. L'omithomancie était incluse dans ce dernier groupe, ce qui porte A croire qu'elle était de moindre importance pour les Étrusques que pour les ~ornains"~, dont le

15' 1. Bayer, (( La croyance romaine D, p. 3 1. 153 D. Briquel, (( Sur un ffagment d'Umbricius Melior D, p. 39.

LU cf 1 Ptimir, l m Animmn rnrdy p 1 53.

'" R Bloch, Lesprodiges, p. 45-47. 156 D. Briquel, (( Sur un fragment d'umbricius Melior n, p. 39.

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quotidien pouvait &e influencé par tout oiseau qu'ils croisaient. Bien que l'ordre d'importance fut modifié, un suppose que Rome eut accés aux Iivres toscans qui dictaient, entre autres, le

comportement et les craintes que des oiseaux particuliers symbolisaient. Cependant, à l'inverse des Étrusques constamment craintifs envers tout signe divin, les Romains semblent davantage avoir cherché à influencer leur destin; lors d'un présage, le Romain s'inquiétait moins de connaître un avenir qu'il aurait a subir que d'assurer partir de celui-ci ses actions futures.

Autant le maître de cavalerie que le magistrat au le simple citoyen risquait de voir son futur se rndfier par le vol des oiseaux ; de même, pour certaines décisions politiques ou militaires, il était ndcessaire pour ces hommes de consulter les auspices avant d'entreprendre

toute action importante. Le but était fort simple : Ie consultant recherchait l'accord des dieux

pour une action à venir en analysant le vol des oiçeaux15'. Cette prise des auspices se déroulait dans un lieu bien déterminé, le templum, divisé en plusieurs parties et trace par les augures à

l'aide du l i r ~ u s ' ~ ~ . Ces derniers devaient uniquement recueillir les signes d'approbation ou de

désapprobation des dieux ; ils ne bénéficiaient en rdalité d'aucune liberté d'action puisqu'ils ddpendaient d'un magistrat seul habilité à prendre les auspices tandis que Ieur rôle consisbit uniquement à Ies annoncer159.

Lors d'une consuitation, les oiseaux étaient séparés en deux principaux groupes : les aues

oscines, qui fournissaient des auspices par leur simple cri, et les oues alites, dont on étudiait le vol. Un oiseau ne pouvait être A la fois oscen ou ales, chacun avait des attributs bien établis et

l'espèce détenait une très grande importance. Le busard (bureo), I 'orhie (osslff.aga), l'épervier (accipiter), l'aigle (aquila) et le vautour (uultur) constituaient les aues alites ; le corbeau

( c o r n ) , ia corneille (cornix), la chouette (nocrua), la mésange @arra) et le pic (picus), les aues

oscines. Pour Ies oiseaux dont seul le vol, ales, était considéri, autant l'étude de la direction que le cdté d'ou ils provenaient avait une signification particulière ; tout acte pouvait ètre interprété et devenir notable : « direction, rapidité, régularité ou écart de vol », le tout noté par rapport A la

15' D'ailleun le mot auspicium lui-même vient de mi spicium, observation des oiseaux. 158 3. Scheid, La religron des Romains, p. 96 ; J. Prieur, Les Animata sacrés, p. 158.

Is9 En fait, le rdle réel des augures demeure encore aujourd'hui assez confus, « le flou qui entoure la conception même de Ia mission des augures s'explique peut-être par l'amalgame qui se setait opiré dans les esprits entre ces p r h et de purs techniciens de la divination comme les haruspices (spécialistes de l'examen de la fiessure des victimes airisi que des prodines et des Main). les quindécemvirs (chayés de la consuitation des Livres Sibyllins), les astrologues ou encore les interprétes dm oracles et des songes D ; cf Y. Lehmann, Religions de i;QnliquirP, p. 190. Cf Cic. Phil., 2.81, au sujet de l'opposition entre la spectio réservée aux magisaats et la nrntiario qui revient aux augures.

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direction du ternplelm. Au sujet des oiseaux dont le chant servait de présage, en plus de la position et de la prestance qu'ils affichaient, on tenait compte autant de la fiQuence, de la force

et de l'accent de leur cri (Plin. 10.12.33). D'ailleurs, les cris obéissaient kgalement -à des catkgories ab strictes puisque Pline affinne que selon (( Nigidius ~igulus'~', une chouette n'a pas moins de neuf cris diffdrents (Plin. 10.17.39) s, et qu'on croyait le cri du corbeau favorable venant de droite, alors que c'était l'inverse pour le cri de la corneille ou du pivert (Cic. De diu,I.7.39 ; PIaut. Asin., 2.1.12).

Que Ia majorité de l'art ominal ait été influencée par des espèces précises n'exclut pas qu'A l'occasion un oiseau quelconque pouvait foumir un signe'62. Cependant, le fait que

certaines espèces représentaient des divinités particdières et que d'autres avaient un physique et des habitudes qui fascinaient davantage a favorisé l'accroissement de l'importance accordde à

quelques volatiles. Ainsi, les oiseaux de proie, parce qu'ils dévoraient le foie de leur victime, organe particulièrement important pour les hanispices, &aient voués a devenir des oiseaux

auguraux de première instance. D'ailleurs, des oiseaux de proie, l'aigle semble avoir dté le plus

convoité ; l'importance qu'il acquit dès la première prise d'augure de la ville par Romulus et Rtmus, selon la lkgende, combinée à son air majestueux, en firent l'oiseau aupral par excellence'63. Quant h la chouette, son regard fascinant et menaçant a pu contribuer 4 lui donner

un pouvoir mystique ; c'est waisernblablement pour ces mêmes attributs que les Grecs en ont fait l'oiseau d ' ~ t h é n a ' ~ ~ .

Certaines caractéristiques spécifiques aux oiseaux, telle leur facultd de prédire l'avenir, font en sorte que leurs manifestations pourraient 2tre considérées plus comme un présage (le prdsage indiquant l'avenir) qu'un prodige (le prodige indiquant que la par deorum a été rompue

J. Prieur, Les Animaux sacrés, p. I 5 5.

16[ Préteur en 58 W. S.-C., Publius Nigidius Figulus écrivit des ouvrages de grammaire, de théologie et sur des domaines diveriiés concernant les sciences naturelles. Contemporain de Varron, son travail semble avoir Cté trop abstrus pour intdresser Ie public et il n'eut aucun disciple pour rdpandre ses écrits. Cf. K. Bardon, La littérame latine inconnue, t. 1, Paris, Klincksieck, 1952, p. 306307.

'" L. Btind'Amour. P. Brind' Amour, K Le dies Iustricus P, p. 23.

J. L. Deder, ((: L. Valerius Acisculus », p. 822.

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et qu'elle doit être rétablie)'". Toutefois, les anciens différenciaient deux sortes de présages, les

présages imPetriia1bq présages demandés aux dieux, et les prdsages oblatiua, présages offerts par les dieux lors de l'apparition fortuite d'un oiseau16'. Dans le cadre de cette recherche, les

présages impetrita ne sont pas réellement abordés étant donné leur caractère plus religieux que merveilleux ; il convient donc davantage de s'attarder sur les présages oblatiua -dont notre

corpus est composé - qui, causés par l'apparition inopinée des oiseaux, ne se différencient plus réellement des prodiges devenus, dès la seconde guerre punique, des présages « d'exceptionnelle importance'68 ».

Lors de l'apparition d'un prodige ou d'un présage oblatiuum, la procuratie prodigiorum, nécessaire pour maintenir l'ordre du monde, exigeait divers rituels déterminés par des règles tout aussi strictes que I'ktude de la signification de cette même apparition. Dès l'annonce d'un prodige oblatiuurn, de nombreuses étapes devaient être franchies avant que le Sénat puisse l'accepter (accipere) ou le réfuter (refutare). Pour qu'un prodige soit accepté par celui-ci et devienne prodige d'État, il devait s'être produit sur I'ager publicus, avoir été annoncé

(nuntiare), et avoir été enregistré (smcipere) par les consuls, qui en faisaient part au Sénat au début de chaque année ; alors seulement les sénateurs pouvaient délibérer sur ce prodige. En cas d'acceptation, ils s'en remettaient aux autorités religieuses qui avaient comme devoir de décider de la procuration nécessaire ; la procuration du prodige devenait alors une affaire religieuse et seuls les prêtres, les haruspices ou autres instances religieuses étaient en mesure de le conjurer

au moyen de purifications, de la consultation des livres sibyllins ou de cérémonies propriatoires.

16.' A l'origine, le prodige était essentiellement néfaste parce qu'il signifiait que la paix des dieux avait été rompue. Toutefois, cette vision des prodiges eut tendance à s'atténuer au contact des ûrecs, qui ne voyaient aucune différence entre présage et prodige, les deux ayant la faculté d'indiquer autant un événement favorable que funeste. Ainsi les Romains, de plus en plus sensibles a l'hellénisme, modifiérent leur notion toujours trés négative de la valeur du prodige ; c'est sans doute ce qui leur permettait d'accepter ou de réfuter des signes divins et ce qui nous amène a expliquer que les apparitions subites de hiboux ou d'oiseaux quelconques ne surviennent que très rarement avant le deuxième siécle, où l'on remarque une résurgence de l'intérêt pond aux prodiges, qui n'étaient alors plus strictement terrifiants. Au sujet des changements de la conception même des prodiges, cf. R. Bloch, «La procurario procigrorumn, p. 120-121 ; R Bloch, (( Liberté et déterminisme», p. 93 ; F. Guillaumont, ((La nature et les prodiges D, p. 46 ; E. Rawsan, (( Prodigy Lists », p. 164. D'ailleurs, cette conception des ornina créera sous l'Empire une nouvelle crainte, plus naïve, envers tous les signes susceptibles d'illustrer une parole divine ; ainsi, au temps d'Auguste, Ia religion cide a la superstition. Cf. Y. Lehmanq Religionsde IYntipitd, p. 195.

166 On distinguait cinq catégories de présages impetrita : signes célestes, ex caelo, signes fournis par le vol des oiseaux, ex mibus, ceux fournis par le sautillement des poulets, ex tripudiis, ceux relatifs au comportement des bêtes, ex quodnrpedbus, et les présages menaçants, ex diris (Festus S. u. pin, p. 316, éd. W. M. Lindsay) ; cf Y. Lehan5 Religions & l 'Antiquité. p. 191.

16' J. Prieur, Les Animaux sacrés, p. 152 ; J. Scheid, La religion des Romains, p. 96-99.

lba R Bloch, (c Laprocurario procigiorum D, p. 124.

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En fait, ces pratiques de conjuration généralement rapides et efficaces, bien que populaires dans

la plupart des religions antiques, représentent très bien le caractère tant pragmatique que

religieux des ~ o m a i n s ' ~ ~ .

Aussi sérieuse et rigoureuse que cette science puisse paraître, les Romains ont toujours gardé la possibilité de la contourner. Tout individu, particulier ou magistrat, avait le pouvoir d'ignorer un présage oblatiuum ; cette ignorance, volontaire ou non, annulait automatiquement

son effet. A cette ignorance et à la procuration de certains prksages oblatiua s'ajoutait la possibilité de les contester : « repudiare, refutare, improbare, msecrari, abominari, autant de

termes de la langue religieuse latine pour exprimer ce refus, énoncé à voix claire et haute f i ; la parole prononcée supprimait aussitôt sa valeur et son effet17'. De plus, lorsqu'il était question

d'un présage impetritum, comme les auspices devaient légitimer la plupart des décisions publiques, un adversaire politique pouvait aisément contester l'interprétation de l'augure ou la

simple acceptation du prodige. J. Scheid fait de cette faculté a répudier un prksage le fondement même de la liberté publique romaine : « [les auspices] garantissaient, d'un côté, la liberté

d'action des magistrats et leur imposaient, de l'autre, tant de règles et de limites qu'ils ne pouvaient agir qu'avec mille prkautions, car une porte était toujours ouverte à la contestation ou

A l'annuiation d'un acte D.

Voilà autant de facteurs qui ont influencé les rites et qui ont sans doute contribué à Ia diminution progressive de l'intérèt qu'on portait d l'observation des oiseaux comme présage impetritum. De plus, l'extrême complication des règles que cette pratique nécessitait, combinée

à une plus grande rareté de l'apparition d'oiseaux dans les grandes villes et à un rationalisme de

plus en plus présent, a fait en sorte qu'ils furent beaucoup moins interrogés dès l'époque de ~iceron"'. Avec le temps, lorsque certains signes demandes pas les augures n'étaient pas obtenus ou que l'oiseau appelé n'occupait pas la position recommandée, les augures concluaient

un présage favorable par N consentement tacite des diewt"' D. Bien que ces dernières remarques s'appliquent aux présages impetrita, il faut souligner la facilité des Romains à

' 69 R Bloch, (( Liberte et déterminisme », p. 93 ; R Bloch, « Laprmrarioprdigiorum n, p. 128.

170 R Bloch, a Liberté et déterminisme n, p. 96.

17' J. Scheid, La religion des Romains, p. 100.

ln N Ce genre de prodiges n'a rien de miracdeux. Lorsqu'ils se sont produits, ils reçoivent un sens conjecturai par le biais d'une interprétation [.. .] Comme aucun de ces phénomènes n'a pu se produire sans quelque secousse, pourquoi prétendre que ces faits sont dus aux dieux plutôt qu'au hasard ? n (Cic. De diu. 2.3 1 ) . On sait même que l'art au@ a 2,; :; $Ae & pS. ifr.yüc ~Ca-4.üj, q.i ..&.& +.-. Giii-.iî; iijL+..CCj L 2;; 6-u..; Présage a la fin du 2' siècle av. J.-C.

ln J . Prieur, Les Animaux sacrés, p. 159.

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modifier une science à l'origine rigide et terrifiante afin qu'elle devienne le reflet de l'accord

toujours présent des dieux.

2.1.2 Les Présages oblatiua : hibou, oiseau incendiaire, coq

Le pouvoir divin attribué à des espèces spécifiques, tout comme les croyances entourant

l'art augural, est perceptible à travers les fragments des annalistes. Le Fragment 2a d'hellio

(hgment 12) semble confirmer et les craintes que le bubo provoquait et les pratiques qu'exigeaient son apparition selon l'art augurai. Bien que Nonius, citant i'amaliste, ne mentionne que l'apparition d'un grand-duc et que le contexte de l'événement demeure obscur"4, on présume que de ce présage oblatiuum la ville fut probablement purifiée, car en tant qu'oiseau de la nuit, le bubu était associé à la puissance des ténebre~"~ ; de plus, sa présence sur le temple

de Jupiter vient amplifier l'événement puisque l'apparition d'animaux insolites dans des endroits

sacrés était encore plus redoutée.

D'autres présages semblables et de mauvais augures nous sont connus, notamment, par Tite-Live et Jutius Obsequens : un vautour pénétrant dans le temple de Jupiter à Caeré, {T.-L. 27.1 1.4)' un corbeau se posant dans le temple de Junon à Lanuvium (Te-L. 21.62.4)"6, un hibou aperçu sur le Capitole (Obs. 32), enfin, un oiseau incendiaire et un hibou aperçus dans la ville

(Obs. 40). Le caractère néfaste de ces oiseaux semble être mis en évidence dans leurs nombreuses apparitions, toujours prodigieuses ; et bien que l'espèce en elle-même eût sufi à

qualifier leur présence d'extraordinaire, le lieu de leur apparition venait automatiquement rehausser la gravité de l'événement.

"' L'apparition des grands ducs était sans doute assez courante car Juiius Obsequens note une série de prodiges impliquant les bubones dont le premier eut lieu en 134 (Obs. 26 ; 32 ; 40 ; 43 ; 46 ; 47 ; 49 ; 53) ; E. Rawson ment io~e quinze prodiges d'oiseaux entre 135 et 95, la plupart relatifs au hibou. Cf B. W. Frier, Libn' Annales Ponh$nmt, p. 220-221 ; E. Rawson, (( Prodigy List D, p. 164.

"' Dans la poésie, on conFere au bu60 ces mêmes caractéristiques, il est associé h une poésie de malheur, (( de l'horreur et de la mon D ; de là les expressions : ferale carmen et Jeralia h m canens (Vu. En, 4.462 ; Ov. Mer., 10.452-453 ; Sta. Th, 3.5 11-512) ; cf. A Sauvage, Études & rhdmes animaliers, p. 180. 176 Ce prodige, qui eut lieu en 218 av. J.-C., prend son importance principalement a partir du fait que L'oiseau s'était posé dans le temple de Junon, déesse qui prit cette année-là une place prépondérante Ion des cérémonies. Parce que cette déesse etait celle de Carthage, on conféra au prodige une plus grande ampleur ; cf. J. Champeaux, Le mile de fonune d Rome, p. 185, n. 184.

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11 est impossible de relier le fragment 2a dYAsellio A un moment historique précis, ce qui

nous limite à le comparer avec d'autres dvdnements similaires afin d'éclaircir quel impact ce prodige put avoir. En revanche, le fragment des Annales des Pontifes 33Ch (fragment 11) illustre A la fois la crainte engendrée par une espèce particulière et les rites imposés par son apparition.

Bien que l'oiseau incendiaire nous soit aujourd'hui mal connu, on sait toutefois que pour les anciens il était obligatoirement synonyme de funeste présage ; son apparition oblatiua nécessitait un rite qui avait pour but d'apaiser la discorde céleste ou de favoriser l'avenir.

Le fragment des Annales précise que la ville fut purifiée à la suite du passage d'un oiseau

incendiaire sous le consulat de L. Cassius et de C. Marius, Ce consulat nous reporte en 107 av. J- C , année même où L. Cassius subit une défaite désastreuse contre les Tigurins et où il fut tué'77.

Dans ces circonstances, le passage de l'oiseau incendiaire pourrait être à rapprocher de ce désastre ; cela expliquerait que Pline ait choisi de citer cet exemple parmi tant d'autres, selon ses

propres dires. Dans ce cas-ci, la défaite romaine serait le résultat du présage oblatiuum, colère des dieux que les Romains auraient subie.

L'un des oiseaux les plus convoités par l'art augura1 et particuli&rement apprécié pour sa

capacité A foumir des présages irnpetrita était le coq. Le récit du troisième prodige analysé dans cette partie présente d'ailleurs cet animal, que l'on aurait entendu prononcer des paroles en Gaule. Les anciens avaient l'habitude d'observer l'appétit (auspiciapullaria) des poulets afin de

prédire l'avenir. Cette façon de prédire le futur Fut très populaire étant donné sa facilité et sa proximité ; lors de leurs déplacements, les magistrats étaient accompagnés d'une cage remplie de poulets et pouvaient alors régulièrement observer l'appétit de ces volatiles et décider des

actions il venirI7'. Selon Pline, on attribuait au coq les mêmes capacités oraculaires qu'au poulet. Autant le chant de cet oiseau, qui annonce le jour et par le fait même chasse les démons des

thiribre~"~, que son appétit &aient attentivement étudids. Pourtant, le prodige du coq que nous livrent les Annales des Pontifes (fragment 13) semble plutôt anodin, du moins par la façon dont Pline le cite : l'auteur mentionne sans étonnement apparent le fait qu'un coq ait parlé sur le

territoire dYAriminum. Cependant, ce prodige devrait être significatif ou même inquiétant, car d'aprks la tradition étrusque, les animaux qui avaient parle devaient être précieusement gardés et

nourris aux fiais de l'État. Ces animaux n'étaient pas considérés au même titre que d'autres, on

ln Cf. : Caes. BG.. 1.7.4. 12.5-7. 13.2. 14.3 : T. L. Per.. 65 : Tac. Genn.. 37 : App. Celt.. 1.3 : Oros. 5.15.23-24.

1. Scheid, La religion des Romains, p. 98.

'" I. Annequin, L 'actiorz magique, p. 24.

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croyait que leurs corps étaient possédés de quelque élément divin. Selon R. Bloch, (( il faut penser, sans que les textes ne nous l'indiquent, qu'ils ktaient tenus en des enclos spéciaux,

représentants du sacrk et du monde profane'" ».

En règle géndrale, les animaux qui parlaient annonçaient une guerre ou un événement inquiétant ; ainsi, des rares témoignages que nous conservons, le plus célèbre est sans doute celui

de Tite-Live (35.21.5) qui affirme qu'un bœuf, en 192 av. J.-C., aurait dit : « Rome, prends garde à toi D, peu avant la guerre contre Antioche III de Syrie. Il ne faudrait pas omettre un second témoignage, toujours de Tite-Live (3.10) , selon lequel une vache aurait pris la parole lors de

l'affrontement de la plèbe contre le paticiat181. D'après les prodiges connus par Tite-Live ou Julius Obsequens, ceux où apparaissent des animaux ayant parlé semblent avoir été presque exclusivement le fait de vaches ou de boeufs ; chez le seul Julius Obsequens, on dénombre cinq

prodiges où une vache ou un bœuf prit la parole (15 ; 35 ; 27 ; 43 ; 52)' alors qu'il n'est jamais question d'autres animaux.

Le fragment 35Ch des Annales Ponrljicum qui relate qu'un coq prit la parole en Gaule

eut lieu en 78 av. J.-C., année où l'ancien dictateur Sylla rendit l'âme : peut-être doit-on y voir un lien's2. Nous avons noté que, en regard de t'importance traditionnelle vouée au coq dans l'art augura1 et de l'intérêt particulier accordé aux animaux qui avaient prononcé quelques mots, la

simplicité ironique avec laquelle PIine mentionne qu'un coq parla est particulièrement surprenante ; cela rend la tâche encore plus dificile pour ktablir des liens entre ce prodige et un événement historique précis. Peut-être doit-on voir dans cette relation anodine de Pline le signe de l'évolution que nous avons mentionnke: les prodiges perdent de plus en plus leur

signification strictement négative et l'importance que leur accordent les Romains varie de plus en plus selon les circonstances où le prodige s'est produit et les personnes qui l'ont entendu.

Ces premiers exemples de prodiges causés par l'apparition inopinée d'oiseaux semblent révéler que les Romains ont su adopter et adapter une science, qui a l'origine n'était pas leur, a leur caractère pragmatique et superstitieux ii la fois. Les paroles, dorhavant plus puissantes que l'auspice lui-même, permettaient de fixer le futur, sans pour autant faire abstraction des

''O R Bloch, Lesprodiges, p. 74.

'*' CE Cgdement T.L. 24.10, 27.1 1 et 28.11 où successivement un boeuf parla en Sicile puis deux autres au Latium D'autres exemples de bœufs ayant parie se trouvent notamment chez Julius Obsequens 15, 25, 27 et 43 ou une vache ci uii r; iki i uiii plis in p u oie. Crpcudaiii wiiuiie i'uuitu s Lui ur iricii~uiuki k 6~6liliïiafii~ ~ X Ü & ~ C Ü ~ jiu7S ikîi

de plus, il est impossible de savoir quelles furent les conséquences de ces paroles.

In A Neyton., Le merveilleux religieux, p. 115-1 16.

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anciennes croyances, et d'enrayer l'effet ndgatif des présages oblatiua. Dorénavant, l'homme, gdce à la manipulation des auspices, serait de plus en plus libre des contraintes traditionne~les'~~. Les Romains ont modifié cette méme science qui confinait les Étrusques dans

une peur constante des dieux de façon à ce qu'elle soit sans danger pour eux, et même à ce qu'elle devieme favorable A leurs futures actions. Ce comportement illustre le désir de liberté

qu'ils recherchaient constamment ainsi que cet esprit superstitieux et méthodique qui réglementait leur vie Ils devaient s'assurer que tout présage lmpetritum allait leur

être favorable et lorsqu'un présage oblatiuum apparaissait pour signifier un événement, ils le

conjuraient le plus tôt possible afm d'assiuer un meilleur avenir. «. La volonté des dieux,

manifestée par des présages fortuits, s'impose A l'homme. En fait, celui-ci a toujours cherché à m e r pour que la volonté divine s'identifie à la sienne : parmi les anciens, le Romain, proctdurier, dispose de mille moyens face à un prisage défavorab~e'~~ )).

2.1.3 La tradition du picus

Le prodige analysé ici concerne un autre oiseau, le pivert de Mars (fragment 10). Il nous

apparaît opportun de le traiter distinctement des trois premiers prodiges issus de l'art augura1 car l'apparition du pic n'obdit pas exactement aux mêmes rbgles que les présages mettant en scéne les oiseaux précédents. Le pic joue un rôle particulier dans la tradition latine, puisque, depuis longtemps, les Romains en ont fait l ' a ~ b u t du dieu Mars ; son apparition peut plus facilement

être interprétée comme le reflet de la bienveillance des dieux. Le fragment de Fabius Pictor 3 lat. P (fragment 10) qui paraît intégré au mythe de fondation, plus particulièrement à

I'allaitement des jumeaux par la louve, semble d'ailleurs confirmer le rôle traditionnel du pic comme attribut du dieu Mars. Le picus et la p m a étaient perçus comme un couple d'oiseaux et

symbolisaient « le couple primordial de l'histoire et de la religion romaines Mars et vestaIg6 » ; d'ailleurs Nonius (835 L) dit explicitement : est parra Vestae, picus Martis. Cette affiliation particulièxe A Mars et à Vesta a permis au picus et ti laparra de jouer un rôle considérable dans

la prise des augures comme le prouve le fait que seuls ces deux oiseaux peuvent être à la fois ales ou oscen.

ln3 J . Bayet, Histoirepolitique etpsychologique, p. 54 .

'" R Rlwh, M T .ihr?rtP1 et riMqrminicme n, ? ! IK)

185 J. Prieur, Les Animatnc sacres. p. 159.

L. B~d'Amour, P. Brind'hour, « Le dies iumms n, p. 23.

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Le pic joue le rôle d'oiseau oraculaire chez divers peuples ; son plumage et ses habitudes

ont favorisé les nombreuses croyances et les nombreuses légendes qui l'entourent'". À Rome, les qualités qu'on attribuait au pic et à la mesange ont rendu leur présence recherchée lors

d'événements dont on espérait prospérité et bonheur. lis étaient alors consultes en couple, le pic devait arriver de l'est pour être de bon augure alors que Ia mésange devait arriver de l'ouest,

t'inverse étant défavorable. S'ils arrivaient respectivement des côtés souhaités, ils annonçaient une certaine abondance puisqu'ils étaient reconnus comme étant des oiseaux nourriciers, la porro grâce à son î rks grand nombre d'œufs, et le pic parce qu'il était cru procurer du aux hommes et aux enfantslg9. Ami, sa présence dans la légende de Romulus et Rémus peut

s'expliquer de nombreuses maniéres, dont l'une est d'assurer l'approvisionnement en miel des jumeaux. On confère également au pic un rôle protecteur, qui se remarque dans certaines cérémonies, dont les dies hsfricus : il était le principal oiseau recherché pour apporter garantie au nouveau-né et à sa mère contre le dieu ~ i l u a n u s ' ~ . La présence du pic signifiant protection et

prospéritci, en plus d'assurer l'approvisionnement des jumeaux, il apparaît lors de l'allaitement pour confirmer un avenir qui était déjà assuré par les dieux ; représentant du dieu ~ a r s ' ~ ' , sa

présence dans la Iégende renforçait le lien &oit entre Ies jumeaux et leur père.

Ces dernières explications sur la présence du pic dans la Iégende furent

traditionnellement acceptées. Toutefois, sur les représentations figurées de la Iégende qui nous sont parvenues, il est fréquent que les deux oiseaux, le pic et Ia mésange, jouent un rôle plutôt

passif: soit ils demeurent immobiles près de la scéne de l'allaitement, soit ils la survolent en arrière-plan. Cette dernière constatation vient atténuer le rôle traditionnel du pic comme nourt-icier, mais en revanche, elle fait particulièrement ressortir sa simple présence au côté d'un

'" Chez les anciens Crétois, le pic apparaissait comme un prophéte de la température : le dieu pluie ou tonnerre prédkessew de Zeus ; on dit aussi qu'il fut l'animai guide de Picenum et qu'il légua son nom a la région ; dans d'autres traditions il est le père de jumeaux; ses attributs varient autant que les régions et les légendes; cf. A Haggerty Krappe, « Picus », p. 249-250.

Le pic est reconnu comme un oiseau mangeur de miel dans plusieurs civilisations fituanieme, germanique, anglaise et grecque, où trois principales légendes sont connues, ceile de Polyphontè, celle de Kélhs brigand crétois et celle du héros de Colophon, Polytechnos) ; en Italie, Pline rapporte que les apiculteurs avaient comme habitude de porter en amulette un bec de pic qui devait les protéger d'éventuelIes piqûres ; cf. L. B~d'Arnour, P. BNidlAmour, « Le dies lu~rn'cus », p. 23.p. 30 ; A H. Krappe, (( Picus », p. 243.

L. Brind'hour, P. B r i k ' h o u r , « Les dies Imm », p. 23-29. 190 n . .

iu iu , p. 2û.

19' Cette association piddieu de la guerre se retrcuve aussi dans le monde osco-ombrien ; cf. D. Bnquel, (( L'oiseau ominal la louve de Mars n, p. 36 n. 2.

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autre oiseau en tant « [qul'omina favorables envoyés par les dieux192 ». Étudiant d'autres représentations dont le miroir de Bolsena - où ce n'est plus un pic, mais un aigle passif et une

chouette qui observent les jumeaux -, A Alfoldi, et à sa suite D. Briquel, ont tôt fait de remettre en question la seconde signification traditionnelle du pic, qui le présente comme attribut du dieu

Mars. En revanche, ils ont davantage insisté sur le rôle d'omen dont bénéficiaient les oiseaux en général ; car l'aigle et la chouette qui figurent sur cette représentation furent aussi des oiseaux oraculaires d'une grande importance. Ainsi, leur apparition successive dans les illustrations de la

légende ne viendrait que confirmer l'approbation et l'intérêt des dieux envers les jumeaux,

l'espèce de l'oiseau n'ayant alors qu'une signification réduite'93. Néanmoins, le pic, en tant que réel attribut du dieu Mars, demeure l'oiseau qu'on associe le plus régulièrement au récit de Romulus et Rémus, et cette attribution reste bien latine. Le pivert fait partie d'une tradition très ancienne, ce qui lui assure une grande importance et un intérêt particulier. D'ailleurs, il aurait

étC ii I'origine un animal totem du Picenum, à laquelle il aurait légué son nomIy4.

192 D. Briquel. <( L'oiseau ornina1 la louve de Mars n. p. 39. 193 D. BriqueI, K L'oiseau ominal, la louve de Mars D, p. 36-38 ; A. Alfdldi, Emly Rome, p. 277. 194 CE. supra p. 81 n. 187.

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2.2 Assimilatiott et libertti Le ciel au service de Rome :propagande ad-éttusqae.

L'ttat d'esprit des dieux était illustré par plus d'un moyen de communication ; outre

l'étude des oiseau. un autre moyen reconnu par lequel les dieux communiquaient leurs accords

ou leurs désaccords, était la foudre. L'art augura1 officiel de Rome était basé tant sur l'étude du

vol et du cri des oiseaux que sur l'interprétation de la foudre. Cette interprétation dépendait de la

rdgion d'ou elle provenait, de l'endroit où elle tombait, enfin du moment oii elle s'était produite ; l'ensemble de ces faits contribuait a !a déduction du message divinI9'. La divination

par la foudre fut d'abord populaire chez les Étrusques, passés maître dans l'art. Dkja ces derniers

avaient divisé les éclairs en plusieurs catégories et observaient savamment leurs apparitions. Ils en vinrent a distinguer trois différentes couleurs d'éclair : blancs, noirs, rouges, (manübiae albue, nigrue, rubrue), ainsi que différents effets : les éclairs qui transpercent, ceux qui font

éclater et ceux qui brûlent (genur quod terebat, quod discutit, genus quod urit out f~cat)'~.

Les Romains ont repris cette science, interprétant minutieusement les provenances de la foudre et les endroits où elle jetait son courroux, mais toujours en fonction de leurs propres

intértt~'~' . D'ailleurs, l'utilisation des prodiges de la foudre dans l'histoire des origines nous

montre les Romains maîtres de cette spécialité étrusque, allant même jusqu'a réduire les

connaissances de ces derniers dans la matière. Le désir de glorifier ses propres intérêts en modifiant les éléments de base qui constituaient la science augurale toscane se remarque

notamment à travers les prodiges iü1gurau.x laissés par les annalistes. Car si les Romains ont uniquement modifié l'interprétation du vol des oiseaux de façon A ce qu'ils deviennent, la

plupart du temps, inoffensifs pour eux-mêmes, ils ont, dans le cas de la foudre, modifié sa

19' 1. Vernant, « La divination », p. 304 ; B. Liou-Gille, Une !ectwe de Tite-Live 1. p. 262. 1% Sén., Quesr. Nat.. 2.40 ; Fen., 352 ; cf. D. Bnquel, « Sur un hgment d'Umbncius Melior », p. 32 ; F. Brunei1 Kraiiss, Omens, Porfem and Prodiges, p. 37, n. 5. Pour une description plus détaillée du savoir et des

tnzc-l c~>n.cernp'r 1s fxdrr, veir. ' RriqticI. R~lifinnv de I'Antiqurté. p 47-45 : S. Weinstock cc Libri Fiilgurules », p. 122-153 ; B. Liou-Gille, Une lecture & Tite-Live I, p. 269-270.

'" Au sujet de I'empnint des Romains de la science toscane. cf. B. Liou-Gille, Une kcriue de Tite-Live I, p. 267- 268.

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signification afin qu'elle soit pdcuMrement néfaste pour les Étrusques. Encore une fois la

parole des dieux venait appuyer cet « empire >) naissant.

Pour les Romains, comme pour les Étrusques, la foudre représentait la colère ultime des d i e u ; elle était l'un des attributs principaux de Jupiter, le dieu par excellence a la tête du

panthéon, qui n'hésitait pas, par son pouvoir destructeur, a exprimer son opinion à travers elle. Jupiter fulgur était une expression bien attestée, un culte lui était attribué dans le calendrier préjulien d'Antium, a la date du 7 octobre ; on distinguait toutefois deux dieux de la foudre,

celui du jour, Jupiterfulgur, et celui de Ia nuit appeIé ~urnmanus '~~. L'attribution de la foudre au maître des dieux conféra nécessairement cette manifestation naturelle un caractère qui

amplifia sa signification. Ainsi, l'un des pires châtiments que Jupiter pouvait réserver a un homme était de causer sa mort par foudroiement. La peur des éclairs était une peur ancienne, on

croyait la foudre d'une extrême puissance, on la pensait invincible, a l'image de son détentedoo.

Cette crainte et ces croyances transparaissent a travers les nombreuses allusions aux

prodiges fulguraux, quels que soient leurs genres. Chez le seul Julius Obsequens, ces prodiges se trouvent dans presque un paragraphe sur deux ; gédralement l'auteur ne fait que citer l'endroit

où la foudre tombait : un temple (1 ; 3 ; 12 ; 44 ; 54), une statue (36 ; 61) ou plusieurs lieux ou choses indéfinis,fulmine pleraque tacta, (1 1 ; 12 ; 15 ; 17 ; 20 ; 24 ; 25 ; 29 ; 36 ; 4 1 ; 47 ; 49 ; 50 ; 52 ; 53 ; 61). Les décès causés par la foudre sont plutôt rares : celui d'un préteur (44) et celui d'un soldat tué par un éclair (56b). Néanmoins, Tite-Live (10.31.8) cite pour l'année 295

av. J.-C. plusieurs morts par foudroiement - ce qui d'ailleurs pourrait justifier la place du

fiagment IV de Pison (la mort d'Arémulius, fragment 14) dans le quatrième livre des Annales et

au second livre des abrégés de ~ ison~ ' ' .

La fiéquence des prodiges Fulguraux montre l'importance que les Romains attachaient a son apparition. Aucun autre type de prodiges ne semble avoir eu une si grande récurrence. Représentant la parole de Jupiter rnèrne, la crainte engendrée par la foudre demeurait

entièrement justifiable et l'anxiété constante causée par des accidents naturels, autre reflet de

l'esprit romain particulièrement superstitieux, a suscite des comportements particuliers envers

19kes poetes latins utilisent réguliérement son nom pour personnifier le ciel : Hor. Odes, 1.1.25 ; 1.22.19 ; 3.10.7 ; Ovid. Fast., 2.128.299 ; 3.527 ; 4.505 ; Ov. Ars Anrat.. 1.726 ; 2.623 ; Ov. Metam., 4.260 ; Vug. Geo., 1.418 ; 2.419 ; cf J. G. Frazer, The Workship of Nature p. 38.

lP9 R. Schillin~, « Jupiter Fulgur a_ p. 686 200 A Baudou, L. Calpurnius Piso, p. 143.

'O' A Baudou, L. Cu@mius Pisu, p. 307 ; k Bsudou, N La fkqpeots dc Pison n, p.72-74.

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toute personne ou tout lieu touchi. Festus (190 L) cite deux lois royales a ce sujet 202 : si hominem filminibus occisit, ne supra genua tollito ; homo si fulmine occisus est, si justu nulla fieri opportet. Pline ajoure (N.H. 2.145) que lorsqu'un homme &ait foudroyk, il était interdit de l'incinérer, il devait être enterré à l'endroit mème oii il avait été frappé ; il était même interdit de

toucher A un corps foudroyé. Tout endroit atteint par un éclair devenait immédiatement sacré et

par la suite entouré d'un petit mur appelé soit puteai soit bidental, afin qu'il soit séparé de tout contact humain ; car la divinité, par ce geste, l'avait dédié à elle-mêmez0'.

Les significations de ta foudre ont varié selon l'endroit touché ou les personnes visées. Lorsqu'elle atteignait les défenses de la ville, murs, ponts, remparts ou tours, on concluait

généralement à un retrait de la protection de hpite?O4. Sous l'Empire, on constate que sa sigmfication a changé selon le caractère de l'empereur visé : les prodiges FuIguraux du règne

d'Auguste furent positifs - le dernier confirma même l'apothéose de l'homme (Suét. Aug., 97.2) ; en revanche, l'interprétation des éclairs entourant le règne de Néron fut principalement ndgative : en 60 la foudre frappe un banquet donné par l'empereur et le prodige est interpM

comme im retrait de la faveur des dieux à son égard : l'empereur doit mourir (Tac, Ann, 14.22.4). En 62, année où Néron termina la construction d'un gymnase sur les champs de Mars, ce dernier fut foudroyé et on conclut une fois de plus à une défaveur des dieux envers son règne (Tac. A m , 15.22.3-4lZo5.

Les annalistes nous ont laissé quatre fragments reiatifs à l'apparition de la foudre dont deux racontent les morts respectives de Tullus Hostilius (fiagrnent 15) et Arémulius Silvius

(fragment 14), le troisième le maniement aisé de la foudre par Numa (fragment 4) et le

quatrième le foudroiement de la statue d'Horatius Cocles (fragment 16)'~. Ces quatre prodiges fdguraux semblent révéler le désir chez les auteurs qui Ies relatent de démontrer, en plus d'une

très grande mattrise romaine de la science fuIgurale, l'intérêt incontestable des dieux pour ks Romains, aux dépens des Étrusques.

2M Ce qui prouve le caractère ancien de la superstition. Au sujet des lois funéraires prescrites pour un homme fwdroyé, cf B. Liou-Cille, One lecture de Tite-Live I, p. 13 1-1 32.

P. BruneIl Krauss, Omens, Portem rmdProdigies, p. 37 ; R Schilling, Jupiter FuIgur », p. 683.

F. Bruneil Krauss, Omem, Ponens mrdProdigres, p. 38-39. 2 0 3 ; y , A . . r p. -2. m Comme Ie prodige d'Horatius Codés concerne une statue et que I'accmt est davantage mis sur la trahison étrusque, il convient de le traiter séparément.

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La première analyse qui s'impose est celle de la geste du roi Numa qui, selon la tradition,

aimé du peuple et instigateur de la religion, avait Ia capacitk d'appeler la foudre. Représentant de la première f~nction'~', on lui consentait la capacité d'user comme il le désirait de la foudre,

dont l'obtention était la chose la plus difficile a réaliser. Numa, roi Sabin, au contraire de son successeur, Tullus Hostillius, fut de tout temps très apprécié par la tradition alors que Tullus

semble avoir symbolisk, pour les historiens de la République et de l'Empire, l'échec

inadmissible de Rome face à la dominance étrusque. Cette appréciation transparaît à travers la

tradition, confërant a Numa la maîtrise incontestable d'un pouvoir originairement réservé aux

Étrusques : il en sera récompensé par l'image positive que lui conserva la tradition ; en revanche, le roi qui se révéla incapable de réussir dans cette entreprise de captation religieuse et montra son incapacité à user des mêmes d e s se vit présenter de maniére négative et dévalorisé dans tous les récits.

La maîtrise de la foudre, ce pouvoir divin ktroitement Iié a Jupiter, valorise d'autant plus

Numa que son successeur, en tentant de l'imiter, trouva Ia mort ; une mort cruelle, synonyme

d'une punition divine. Par ce contraste dans la manipulation de la foudre exprimé par les deux

fl-agments annalistiques, il est possible de percevoir le désir de Rome d'effacer toute trace d'emprunts religieux étrusques. Par l'utilisation de ce prodige, les auteurs auraient traduit (( le rejet des rites éûusques, à une certaine époque, sous l'effet du nationalisme religieux2" ». La

transgression des rites religieux et l'impiété de Tull-us sont également mis en évidence dans un article de H. LeBonniec ou l'auteur démontre, gràce à un passage dlArnobe, que le roi aurait commis une impiété en changeant le rite de la viande bouillie pour de la viande

Le dksir d'opposition entre les rois qui animait les annalistes s'observe également A travers

les diffkrences pronondes entre les personnages de Numa et de Tullus Hostillius : alors que le premier est pieux et religieux, le second se dimarque principalement par la lutk entre i t s

Horaces et les Curiaces et la destruction d'Abe. Les historiens le décrivent principalement comme un guerrier : «Tullus se distingua par sa gloire militaire, et ses hauts faits pemers

furent considdrables » (Cic. Rep. 2.17.3 1) ; en plus de passer son règne à guerroyer, Tullus se voit attribuer une attitude particulièrement impie et un mépris envers les institutions que son

'O7 Cf supra, chapitre 1, p. 53-55. 208 A. Baudou, L. Calpurnius Piso, p. 146.

209 H. LeBonniec, « Un témoignage d'Amobe », p. 183-192. Sous les règnes de Rornuius et de Numa, les entrailles des victimes étrllent d'abord cuites et bouillies et ensuite b d b en offrandes aux dieux. Sous le règne de Tdlus, d'aprés le témoignage d ' h o b e (2.68). la tradition aurait étt rnodiée et la viande offerte a moitik crue alors que (< les dieux, comme les hommes, sembient avoir préféré le bouilli, ofiande rituelie bien attestée dans la religion romaine ancienne », cf. H. LeBonniec, (i Un témoignage d'hobe », p. 185.

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prédécesseur avait mises en place. Tous les auteurs anciens s'accordent pour dépeindre une figure négative :

(< ii poursuivit de ses ridieries et de ses sarcasmes la plupart des belles institutions de Numa, en premier lieu er surtout son respect envers les dieux, qu'il accusait de rendre les hommes lâches et enéminés, et il t o m les citoyens vers la guerre ; mais il ne persista pas lui-mème dans les fanfannades ; atteint d'une maladie douloureuse, il changea d'opinion et s'abandonna B une superstition qui n'avait rien de commun avec la piété de Numa et qu'il communiqua aux autres Romains, surtout quand ils le virent périr. a ce que l'on dit, brûlé par la foudre ». (Plut. Numa 22- 11-12}.

A travers ce passage de Plutarque, ressort le caractère opposé des deux rois. Cependant, l'impiété attribuée a Tuiius Hostilius fut peut-être pou. les historiens le seul moyen d'éclipser la

gloire que lui conférait sa valeur guemère et de le dépeindre comme un combattant refusant

toute valeur religieuse. Ce contraste mis en évidence rendait aussi le rapprochement et la comparaison plus aisés avec la figure du pieux Numa.

Dans les fragments 10 et 13 de Pison (fragments 4 et 15), l'opposition est a son comble

lorsque le roi impie tente, d'après les rites sacrés du roi pieux, d'appeler la foudre. (r Cette mort expiatoire - la plus grave qu'il puisse être - présente également l'avantage d'opposer Tullus Hostilius A Romulus, divinisé, rappelons-le, par le même trait2'' ». Au delà de la volonté

de punir une supposée impiété, la finalité recherchée par la tradition pourrait s'expliquer

davantage par le désir de ternir l'image du roi qui faillit dans son entreprise de romanisation d'un rite étrusque en comparaison avec l'image du roi Sabin, fondateur des institutions

romaines. Cette £inalité parait se confirmer lorsqu'on constate la faible popularité d'un récit de Denys d'Halicarnasse (3.35) où l'historien livre une seconde version plus rationnelle dans laquelle Tullus aurait rendu l'âme après avoir été assassiné par la main d'Ancus Marcius ; a une époque où les auteurs préféraient des récits plus rationnels, cette version ne semble pas avoir

influencé les écrits des historiens, qui ont persisté rl dépeindre Tullus Hostilius comme un personnage odieux. Par l'intermédiaire d'un décès par la foudre soi-disant provoquée par une attitude sacrilège, les annalistes, ainsi que les historiens postérieurs, souhaitaient laisser A la

pustérité l'impression que ne pourrait 2tre célébré un roi romain incapable de se montrer aussi sage et puissant qu'un représentant d'une autre nation : l'image de Rome ne pouvait être

rehaussée par un guerrier impie, impuissant face à une force naturelle que maîtrisaient les

Étrusques

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Les mêmes aspirations romaines visant a glorifier la nation transparaissent dans le ricit de la mort dYArémuiiis Silvius. L'histoire semble en effet avoir été tributaire de modifications

qui ont rendu possible la manipulation de la mort du roi de façon à ce qu'il devienne de plus en plus mécréant, méritant d'être tué par la foudre. Le fragment IV de Pison (fragment 14) le décrit

tout aussi impie que Tullus Hostilius et met en évidence son Comportement lorsqu'ii va jusqu'à

défier Jupiter, ce qui lui vaut le dernier des châtiments.

Les écrits des auteurs anciens ne s'accordent toutefois pas au sujet de sa mort et lèguent trois versions différentes dont, selon K. F. Smith, l'élément commun est la foudre211. Dans la

première version, celle de notre fragment, le roi meurt 8 la suite d'une punition immédiate de Jupiter, la foudre, avant d'être précipité dans le lac ; dans la deuxième version (OGR, 18.4)' le

roi succombe, entraîné dans le lac avec son palais à la suite d'un tremblement de terre - version probablement forgée par souci de rationalisme pour expliquer les vestiges qui se trouvaient au fond du lac ; dans la troisième version, citée par Denys d'Halicarnasse, Eusèbe et Zonoras, le roi

meurt à la suite d'une noyade, alors que la foudre est présente seulement à travers une tempête. Enfin, Diodore apporte une petite variante à cette version en mentionnant qu'il fut frappé par la foudre avant d'être englouti. Bien que les trois versions soient différentes, la foudre et le lac demeurent les deux éléments principaux de tous ces récits : la foudre représente la colère divine,

la crue du lac la conséquence de cette colère divine'".

Les éldments communs qui existent entre ces trois récits nous permettent d'envisager un remaniement historique de la part des annalistes, ce que tendent également à prouver les liens étroits que présentent le récit de la mort d'kémulius et le mythe grec très ancien de Salmoneus.

Ce roi, qui fut puni par Zeus après avoir tent6 d'appeler la foudre et le tonnerre, meurt foudroyé alors que sa ville est complètement anéantie. Comme dans le cas de la mort de Tullus et la mort dYArémulius, la foudre est utilisée comme instrument pour illustrer tant la grande colère de

Jupiter face à un personnage impie que la punition definitive qu'il mérite2". Cette dernière

constatation amène à supposer qu'à l'origine, l'idée d'impiétd ne constituait probablement pas le centre du récit d'Arémulius et qu'eue fut Maisemblablement un ajout de I'annalistique. Le .récit de base devait être un simple récit étiologique visant à expliquer les ruines qu'on pouvait

2'3 A Baudou, L. Calpurnius Piso, p. 310-313. Sur la légende de Sahoneus, cf. : Appod. 1.9.7 ; Diod. 4.68.1-2 ; Vig. E h , 6.585.594 ; Hyg. Fab., 61 ; Serv. AdEn, 6.585,

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apercevoir au fond du lac2I4. Délibérément, les auteurs latins, dont le premier à raconter la mort

dYArémulus fut peut-être Pison, auraient transformé la légende pour faire d'Arémulus un roi impie, digne d'une punition des dieux. Comme la mort par foudre serait postérieure au récit

étiologique, l'idée d'impiété ne prendrait naissance qu'avec Pison, ou un annaliste dont le texte

n'a pas été conservé. En effet, I'intigration de la foudre était relativement aisée car les crues du lac sont causkes par de violentes tempêtes, si bien qu'il n'a suffi alors que de s'inspirer, pour la légende dYArémulius, du récit de alm mon eus^'^.

L'intermédiaire de la foudre pour ternir le caractére d'un roi et mettre en évidence la

colére de Jupiter apparaît un procédé judicieux car il demeura encore employé sous 17~mpire216

ou l'interprétation des éclairs semble avoir été influencée tant par Ie caractère de l'empereur que par les tendances sociales et les événements politiques ; les techniques de manipulations de la

foudre dans le but d'accorder l'opinion des dieux avec l'opinion publique d'un personnage furent donc les mêmes sous l'Empire que dans les récits de l'époque royale : alors que les

historiens se servaient de prodiges fuiguraux pour illustrer leur appréciation d'un empereur, bien avant eux, par ces mêmes prodiges, les annalistes avaient fait pour leur époque un travail de

justification qui visait A valoriser les Romains par rapport a des peuples ennemis, principalement

les Étrusques pour cette M o d e . Sous la République, les conalts entre Rome et les Étrusques étaient toujours vivants et encore trop présents dans l'esprit des Romains qui, maintenant vainqueurs, avaient subi de trop nombreuses defaites. Grâce au prodige de Numa et à celui de

Tullus Hostillius, en s'appropriant le savoir de la science fulgurale dont Les Étrusques étaient les maîtres, Rome ne faisait pas que s'attribuer leurs connaissances, elle enlevait entièrement aux

Étrusques le mérite de l'avoir créée. Ainsi se remarque une « volonté de dé-étnisquisation », volonté qui transparait dgalement dans la disparition totale du nom des Tarquins a ~ome*".

'14 D'ailleurs la mon des deux rois précédents sert de récit étiologique : Tlberinus fut jeté dans la rivitire d'Albe qui fut par la suite appelée Tibre, alors qulAventinus fut enterrd sur le mont Aventus, d'où provient le nom ; cf. K. F. Smith, « On a Legend of the Alban Lake », p. 204.

'15 k Baudou, « Les fragments Pison D, p. 77-78. La confusion au sujet du simple nom du roi démontre jusqu'8 quel point la liste des rois dbains (annexe A) pouvait Eue wnfiictueile et qu'il devait être assez aisé pour des auteurs de remanier un régne ou l'attitude de tyran impie du roi était déjà attestke. Par les différentes appellations que les auteurs ont données a Arémulius, son règne lui-même demeure ndbuleux. Denys d'Halicarnasse en fait le fils d'Agrippa et l'appelle Allodius ; Diodore de Sicile (m. Frg. 5) appelle le roi Arramufius Silvius ; Zonoras, Amulius fils de Tiberinus ; dans I'OGR il est appelt Arcmulus Silvius ; Tite-Live le dénomme Romulus Silvius ; Ovide lui donne deux origines différentes, dans les Metmorphoses (14.616) il mentionne que Tiberinus a deux enfants, Remulus et Acrota, d o n que dans les Fmtes (4.49) il fait d'Agrippa le fils de Tiberinus et de Remulus son petit-fils. Cf. K. F. Smith, On n LPYPK! cf the A l h ~ n L&r a, : 305-7?6

Cf. supra p. 85.

'11 k Baudoy L. Calpurnius Piso, p 147.

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2.2.2 Des haruspices au service de Rome

Le prodige de la statue d'Horatius Cocles (fragment 16) semble répondre aux mêmes objectifs historiographiques que les prodiges précédents : c'est-à-dire réduire l'apport et l'image étrusques afm de mieux glorifier l'image de Rome. Cependant, dans le cas de la statue d'Horatius Cocles, bien que la foudre soit à l'origine du prodige, elle ne constitue pas l'élément primordial du récit ; c'est en effet la trahison des haruspices étrusques qui fome le centre de l'histoire. L'importance étant mise sur les haruspices, il convient de traiter de ce prodige séparément.

Les haruspices furent très importants à Rome pour l'expiation des prodiges, la cité leur accordait une confiance considérable. Effectivement, pour avoir recours aux hanispices, R o m devait, en quelque sorte, reconnaître l'incapacité ou l'impuissance des prêtres et de leurs rites

expiatoires. Dans les cas d'ignorance, elle s'en remettait aux spécialistes toscans qui devaient d'abord indiquer quelles étaient les divinités en colère, la cause de cette colère, la significatian du prodige en ce qui concerne l'avenir, et enfin l'expiation nécessaire. Généralement, les réponses aux prodiges faites par les haruspices étaient minutieuses et appliquées. Lorsque le Sénat avait recours à ces derniers, il se trouvait nécessairement dans une position de faiblesse, car il devait admettre « l'impuissance des collèges nationaux en face des exigences nouveiles de

la conscience religieuse romaine, à qui les vieux rites pontificaux et même décemviraux ne suffisent plus21s ».

De prime abord, il semble trés étonnant que des étrangers aient partagé aussi étroitement

la vie religieuse de Rome, d'autant plus qu'aucune aune cité n'avait intégré des étrangers de cette façon, c'est-à-dire en leur conférant un rôle religieux de première importance en tant que techniciens de la religion. Mais les Romains restaient très impressionnés par l'élaboration et les techniques entourant l'art divinatoire étrusque contenues dans leurs livres sacres. De plus, intégrer tes hanispices, généralement aristocrates, à l'intérieur de la société, ne représentait qu'un moyen different de se rallier les adversaires, la politique utilisant la religion et vice- versa'".

''' R Bloch, « La procuratio prodigrorum D. p. 13 1. ? !? h it cas ae i'Ermrie, ia acmanae croissanre cies haruspicci irait en ce xru , i'iusioiic i i u u ~ i~iviiùc üiii

augmentation de la demande dès la première moitié du troisiémc siécle et durant la guerre punique, ou Rome cherchait a se concilier les grandes familles étrusques ; cf B. MacBain. Prodia wdErpiation, p. 43-44.

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Dans le cas de la statue d'Horatius Coclès foudroyée (fiagment 16), l'expiation proposée par les haruspices n'avait rien d'étrange ; bien au contraire, elle correspondait au rite habituel

qui exigeait de repositionner les statues ayant étk frappées par un éclai?". Ce qui donne une

plus grande ampleur à ce récit, ce n'est pas la foudre mais la traltrise des haruspices qui, en cette occasion, ont tenté de tromper les Romains. Plusieurs hypothéses sont émises par les modernes, qui recherchent la cause d'une machination volontaire des haruspices. Selon B. MacBain, Aulu- Gelle, seul auteur A relater le fait, aurait simplement cherché à faire un récit étiologique pour expIiquer l'origine du proverbe Malum consilium comultoripessimum est ; il aurait lu l'histoire

chez Flaccus, car les Annales Pontijicum auraient simplement mentionné le prodige, la consultation et l'expiation requise, sans s'attarder à une supposée trahison des hani~~ices '~ ' . L'événement aurait alors été modifié, ou mèrne inventé, en fonction des seuls intér2ts romains

aux dépens des intérèts étrusques.

Mais les origines entourant la statue de Cocles, ainsi que les motifs qui conduisirent les Étrusques a renverser délibérément le rite exigé par les dieux, sont très complexes : s'y mélangent traditions d'origine étrusque et traditions d'origine latine. La coutume de dresser des

statues à ciel ouvert, entourées de rites sacrés et empreintes d'un caractère magique, était probablement de provenance étrusque. Les Toscans conféraient a leurs statues un réel pouvoir

; très nombreuses, elles auraient toutes été placées sur le Vulcanal de l'ancienne Rome et les Romains auraient désiré trouver pour chacune d'entre elles une histoire ; c'est ainsi qu'on aurait imaginé l'exploit de Coclès au pont Sublicius.

Le personnage lui-même et le lien étroit qui existait entre lui et le Tibre laissent croire

quc cette statue devait se rapprocher d'une (( imagerie du cycle de Vulcain, plus religieuse donc que militaire ; le héras était conçu comme une sorte de borgne sacré du dieu du feu, et l'exploit

au Pont Sublicius lui aurait étt attribué dans la mesure où ces superstitions du feu se trouvaient primitivement liées, le long du Tibre - entre Rome et Ostie - d la religion d'un dieu fleuve2" ».

Ainsi, l'exploit d'Horatius au Tibre et sa représentation au Vulcanal s'expliqueraient par le fait

que ce personnage aurait d'abord représenté un génie vdcanien étnisque, ou éûusco-latin, qui aurait peut-être été, dans une époque antérieure, symbolisd par Caeculus de Préneste, roi

B. MacBain, Prodigy andErpidon, p. 5 1.

ni Ibid, p. 54.

" J. Gagé, N Une consultation d'haruspices n, p. 5 .

~ b i d , p. 11.

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mythique étrusque dont la naissance reste étroitement reliée au feu et dont k nom premier pouvait être Caecle, d'où proviendrait le nom de ~ 0 ~ 1 6 s ~ ~ ~ . Cela permet également d'expliquer

I'ambiguité de la nature même du personnage, qui est considéré comme un demi-dieu.

D'ailleurs, de plus en plus, les modernes se tournent vers une origine divine du personnage. Gràce 2i cette origine, une fois de plus, un dieu intervenait pour glorifier Rome, ou ses grandes gentes, car Coclès semble s'introduire dans l'histoire uniquement pour libkrer la ville du péril

&usque et disparaît par la suiteI2'.

D'ailleurs, cette origine divine d'Horatius Cocles fut également kvoquée par G. Dumézil,

qui unit son exploit à celui de Mucius Scaevola et rapprocha ces deux événements, caractérisant la premikre guerre des soldats de la République, d'une tradition indo-européenne scandinave ou un dieu borgne - le dieu magicien Odinn - et un dieu manchot - le dieu Tyr -, grâce à leur

handicap, ont sauvé leurs acolytes des pires dangers ; de plus, ces mutilations remonteraient (( au "grand temps" des mythes ))226. En fait, selon, G. Dumézil, tafit les Germains que les Romains

devaient avoir dans leur passé mythique ce couple du Borgne et du Manchot. Seulement, ce couple, <( soutenu par la théologie de la souveraineté, fut rameni du ciel sur la terre par les

~omains"' » ; comme ce fut le cas pow les trois céltibres fonctions qui étaient d'abord

représentées par Jupiter, Mars et Quirinus. Les Romains auraient dès lors mis en brade une fois de plus un processus d'historicisation du mythe ou des dieux, devenus hommes, vinrent au secours de leur nation228.

Toutefois, l'origine même d'Horatius Coclb et le lien étroit existant entre lui et Vulcain ne justifient pourtant pas le motif des haruspices 2i modifier les rites prescrits. Dans son article,

J. Gag4 soumet deux hypothèses pour tenter d'dclaircir la réaction des haruspices. La première consiste a croire en une vengeance pure et simple envers celui qui a permis la victoire romaine au pont Sublicius contre les troupes de Porsenna ; cette hmthèse se fonde sur la perception

224 1. Gagé, Une consultation d'haruspices n, p. 2 1. 223 f . Bayet, (( Méthodologie de l'histoire ancienne n, p. 280 ; cf. @alement J. Carcopino, Virgile et les ortgmes d'Ostie, p. 595-720.

Odinn avait offert l'un de ses yeux à une source merveilleuse en échange de la claire voyance ; c'est par celle-ci qu'il a su vaincre l'ennemi. Quant A Tyr, il accepta de sacrifier sa main pour sauver les dieux du loup Fenrir qui était censé causer leur perte. Cf. G. Durndzil, Mythe ei 1, p. 425-426.

n7 G. Dumézil, Myhe et épopée I, p. 427.

De plus, G. Capdeville, dans une étude N Le centurion Borgne et le soldat manchot D, in Melange de l 'ho le Française de Rome, 1984, p. 601-621, montre une autre réutilisation du couple Borgne et Manchot dans I'armk de César, réutilisation qui est sans doute le h i t d'une construction des historiens mais qui prouve l'intérêt marque de m e légende.

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qu'avaient les Romains de ce héros, conçu comme un personnage historique typiquement romain. La seconde hypothèse met plus en évidence une perfidie des haruspices qui se souvenaient de la façon dont Rome avait trait6 les troupes de Caele Vibema. Ce dernier, après être venu au secours de Romulus contre le roi Tatius, s'était installé sur le mont Caelius avec ses troupes, A sa mort, par extrême méfiance, on avait fait redescendre ses troupes qui occupaient un lieu trop f~rtifié"~ ; les haruspices auraient effectué ce même transfert par solidarité envers les Caeliani délogés. Cette théorie pennet de supposer que le personnage de Coclès lui-même fut particulièrement cher aux ~ a e l i a n ? ~ ~ .

Quoi qu'il en soit, dans ce ricit, l'accent est fortement mis sur la trahison des haruspices et le récit livré par les annalistes vise avant tout ternir l'image étrusque. D'ailleurs, l'histoire

fournit d'autres exemples célèbres ou des haruspices essayèrent de nuire A l'expansion de Rome. L'épisode le plus connu est sans doute celui de la tête intacte trouvée sur le Capitole (T.-L. 1.55.5) : après que les Romains eurent demandé conseil aux haruspices sur ce prodige, ces demiers, conscients de sa signification, qui garantissait le pouvoir à celui qui allait construire une citadelle au même endroit, essayèrent de se l'approprier. Ainsi, la statue d'Horatius Cocles foudroyde ne pourrait être qu'une réorganisation romaine, d'après une structure indo- européenne, d'une légende vulcanienne d'origine étrusque visant à s'approprier le personnage ea plus de l'appui des dieux, tout en ternissant davantage l'image étrusque par l'intermédiaire des haruspices.

Un autre exemple d'une trahison voIontaire des haruspices nous a été livré par les

annalistes et se constate dans le récit du dibordement du lac Albain (fragment 17). Ce lien explique l'intégration du prodige du lac Albain dans cette partie, même s'il ne peut ètre considéré comme un prodige céleste ; d'abord parce que la période et les visées historiques correspondent A celles du récit de la statue d'Horatius Coclès, ensuite parce que ce qui donne une tout autre importance ti cet événement tût la trahison des haruspices. Toutefois, le prodige a particulièrement trait à la crue exceptionnelle du lac qui transparaît davantage dans la narration de Tite-Live (5.15) : (( [. . . ] le lac de la forêt sacde d'Albe, par un phénomène surprenant qui ne pouvait s'expliquer ni par les pluies ni par aucune autre cause, s'éleva à un niveau insalite )).

Lors du prodige du lac Albain, les Romains se trouvèrent fort embarrassés, car 1'Ctat de guerre ne leur permettait pas de consulter les devins étrusques. ns furent informés de la signification du

lZ9 Varron, De ling. lut., 46 ; cf. J. Gagd, « Une consultation d'haruspices », p. 7.

J. Gage, «Une consultation d'haruspices D, p. 9.

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prodige par un déserteur ; cependant, ce dernier n'avait pas entièrement divuigué la teneur réelle du prodige, omettant de mentionner que Rome allait par la suite être prise par les Gaulois. Selon les régies traditionnelles, l'haruspice devait indiquer les rites agréables aux dieux afin d'enrayer

la prophktie, ce qui ne fut pas entièrement fait dans le cas du lac Albain.

Ce récit, en plus de ternir une fois de plus l'image étrusque, semble excuser

l'impuissance des Romains devant une menace gauloise qu'ils n'ont pu enrayer ; cette fatalité disculpe, ipsofacto, une des grandes défaites de leur histoire. Les objectifs de ce récit seraient

alors doubles - tout en gardant la même finalité : les annalistes auraient cherché autant a faire ressortir la traîtrise des haruspices qu'a justifier l'incapacité de Rome combattre contre les

Gaulois. Effectivement: comme les Romains ne huent pas informés de la totalité du prodige, ils ne purent essayer d'amadouer les dieux.

J. Hubaux, afin d'expliquer la corrélation que les annalistes ont réalisée entre le débordement prodigieux du lac, la chute de Véies et la prise de Rome par les Gaulois, évoque un lien entre les croyances myîiuques romaines et k s croyances égyptiennes. A partir du rdcit de

Denys d'Halicarnasse qui précise que la crue du Nil a lieu au même moment et qui insiste également sur plusieurs points de ressemblance entre cette crue et la crue du lac Albain, l'auteur

conclut B la crainte de Rome, qui transparaît à travers l'annalistique, d'atteindre la trois cent soixante-cinquième amie de fondation de la Mlle, année qui represente la fin'3'. D'ailleurs entre

le moment où Rome s'empare de Véies et Ie moment où elle fut prise par les Gaulois, certains grands hommes d'état avaient proposé d'aiier s'établir Véies.

Ce lien avec les Égyptiens, pour qui Ia période sothiaque avait une durée de 1 461 ans, viserait4 a sauver Rome d'une fin préméditée232 ? Dans son récit, Denys juge également

important d'indiquer une période précise de L'année, le lever de la Canicule ; or, lors de la crue du Nil et du lever de la Canicule, une nouvelle annde recommence pour les Égyptiens. Toutefois,

il serait surprenant que les annalistes aient pensé A établir une telle corrélation dans l'unique but d ' M e r un éventuel malheur A leur ville. J. Hubaux conclut son étude en affirmant que la part d'historicité lui paraît faible dans ce récit «qui semble inspiré par des tendances

Ce prodige et la notion qui entoure la crainte d'une 365'année sont à mettre en lien avec celui dlArémulius dont le palais f i t emporté par les crues du lac d'Aibe au tout début de la création de Rome, soit 365 ans avant le prodige du lac Albain. D'ailleurs en 28 av. J.-C., N c'est-a-dire après I'icaulement d'une nouvelle année de 365 ans, Rome, coupable cette fois du meurtre de César, recevra des dieux un nouvel et grave avertissement. Le Tibre débordera, comme jaais ie iac atXoe, ies Romains apprënenaerom ie retour ou aeiuye et suppüeronr ie ciei de ieur envoyer un sauveur qui sera Octave Auguste, le nouveau fondateur de Rome » ; cf. J. Hubaux, Rome et Vdies, p. 146-147.

J. Hubmx, « La crue du lac Albain ». p. 293-294 ; cf Cmsorhs, De de ncm)h', 13.

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h ~ n i s t i ~ u e s ~ ~ ~ ». Dans une autre thde, J. Gagé réfute l'hypothèse de J. Hubaux et fait une analyse beaucoup plus rationnelle du récit. Il démontre qu'il &riverait plutîit de la mauvaise interprétation par les annalistes de paroles qui auraient étk entendues lors du siège de Véies. Un senex qui ne voyait pIus d'issue à ce siège, en longeant les murs de la ville aurait &laré Alpanum souendum : il fallait s'acquitter, se délivrer de la condition d'Alpanu, déesse du destin que les Étrusques liaient plusieurs superstitions et qui serait en quelque sorte L'équivalent étrusque de la Némésis des Grecs. Ces paroles auraient été le vrai piaculum suggéré, N Véies était menacée par cette divinité du destin, savait que de son arbitrage dépendait l'issue du siège, mais n'arrivait pas, semble-t-il, a se délivrer de cette menace par un remède religieux positiP4 ».

Il est bien loin de notre propos de dtiterminer dans quelle mesure les annalistes avaient des connaissances accrues de I'asîrologie ou de la mythologie toscane, connaissances qui leur auraient permis d'tcrire de telles comparaisons. De nombreuses hypothèses sut l'origine du prodige du lac Albain sont encore étudiées235. Il apparaît toutefois que dans le cas de la statue

d'Horatius Cocles comme dans le cas du prodige du lac Albain, les annalistes cherchaient à

mettre en évidence l'honnêteté de Rome aux dkpens de l'tionnêfeté des Étrusques. Ce dessein des annalistes est d'autant plus justifié si l'on considère un récit beaucoup plus rationnel dont Cicéron nous fait part : dans le De diuinarione (2.33)' lorsqu'il répond a son fière Quintus qui expose la version annalistique du prodige du lac Albain, soit celle de notre fragment, il explique

que si (( Ies ancêtres ont creusé l'émissaire du lac Albain, c'est tout simplement pour irriguer Ies terres environnantes et que cette entreprise n'avait rien a voir avec le destin de Rome ou de Véies ». En dehors de la voIonté rationaliste de Cicéron, on peut voir également qu'il adopte une version pro-romaine du rtcit, puisqu'en réalité, ce ne seraient pas les Romains mais bien les Étrusques qui auraient les premiers écoui6 les eaux vers les terres236. Ainsi, si la recherche de rationalisme a influencé 1' Arpinate, la rivalité institutionnelle qui existait entre Rome et l'Étrurie ne s'est pas amoindrie au point qu'il ne paraisse plus nécessaire à l'auteur de discréditer le savoir des Étrusques ; et sedement quelques décennies avant lui les annalistes étaient conditionnts par une rivalité constante, où prophities, haruspices, devins et divination demeuraient les thèmes historiographiques par excellence où s'exprimait l'antagonisme entre

233 J. Hubaux, Rome el Véies, p. 144.

234 1 f'3tg.6, <r Alp~nfi Étn!M;?~Po n, p $3 ; p 19-7X, 23 5 Pour un bref r h t de quelques hypothèses, cf B. Liou-Gille, Une lecture de Tite-Live 1, p. 253-255.

" I. Hubam, Rdme m.YPies, p. 133.

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Rome et Véies, représentante attitrée de toute Ia nation étnisque. Par le prodige entourant la statue d'Horatius Coclbs, comme par l'exploitation du thème de la foudre, on constate le retour chronique des thèmes divinatoires qui cherchent a opposer tant des systèmes religieux et sociaux

que des sanctuaires ou des fondations remontant à l'époque royale2".

Nous pouvons donc voir que les prodiges ont souvent servi dans l'histoire à justifier des

actions accomplies contre certains peuples ou à illustrer de simples idéaux. Ainsi, la majorité des prodiges fulguraux, manifestation de la colère divine, depréçie les Étrusques ; ces derniers

apparaissent chez les annalistes comme les principaux responsables des difficultés de l'époque pré-républicaine et du début de la République, et ce, même si la menace toscane est de moins en moins présente. Le prodige de la dérivation du lac Albain et celui de la statue d'Horatius Coclés ne viennent que confirmer la prdsence d'un sentiment contradictoire, fait d'attraction et de

r&pulsion, que les Romains continuaient d'entretenir envers les Étrusques ; atiraction par les nombreux emprunts a leur science, répulsion par le désir constant de ternir leur civilisation et ses grands h o m e s .

"' F.-i-L Massa-Perrault, K La rivalité Rome-Véies e, p. 68-69.

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2.3 Des prodiges célzstes au service des gentés

D'autres recherches concernant l'exploit d'Horatius Cocles justifient plutôt l'existence

de ce rkcit par Ie désir de glorifier la célèbre gens des Horatii. Effectivement, chacune des grandes gentes aristocratiques qui se partageaient le pouvoir au début de fa République désirait

créer sa psopre histoire glorieuse, mettant en valeur les origines de sa famille, comme Rome

l'avait fait pour ses origines par la légende des quatre premiers rois. 11 sufisait pour ces gentes

d'intégrer leurs récits au fil de l'histoire officielle. A priori, une telle tâche pouvait paraître aisée

à réaliser étant donné que ces familles occupaient les plus grandes fonctions a Rome. Ainsi, A coup de faIsifications et de représentations historiques, on peut croire que certains personnages

influents réussirent à intégrer leur propre histoire à l'histoire nationale. A ce sujet, J. Bayet ajoute qu'cc il est visible A tout lecteur que le récit traditionnel des premières années de la

République est contaminé par la vanité des Horatii et des Valerii, qui cherchent, a l'envi, a s'y

donner le rBle )).

Le lien envisageable entre les Horarii et la statue d'Horatius Cocles est tout aussi

p!ausible que les autres hypothèses concernant cette même statue. La gens des Horarii a pu avoir dans un passé lointain un culte propre, voué à un certain dieu éclair dont les attributions pouvaient s'assimiler à celles de Vulcain : (( le personnage de Cocles se serait ainsi développé

dans le cadre de leurs particularités gentilices239 ».

Cependant, l'origine de Coclès semble très ancienne, ce qui porte à croire que les H m i i

auraient délibérément repris un thème déjà existant, d'autant plus que le nom mime de Coclès

peut tout aussi bien se rallier à la famille étrusque des Cailianii par son rapprochement avec Caeculus de ~réneste"'. Ainsi, à cause de l'origine très ancienne du personnage et son statut de

demi-die& pour expliquer le plus rationnellement possible l'exploit d'Horatius Coclès, il faudrait libérer le personnage des nombreux éléments divins qui le constituent, mais, par ailleurs, quoi de mieux que le divin pour mettre en valeur une gens dont les exploits militaires,

bien que sûrement considérables, ne peuvent avoir été surhumains ?

3 8 I. Bayet. « Méthodologie de l'histoire ancienne D, p. 768. 239 3. Gagi, r Une consultation d'haruspices », p. 10-1 1. expose la théorie de E. Pais, Storia critica, III, p. 10 1-107.

'" CE srrpra p. 9 1-92,

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Bien que les explications et les intérêts recherchés a travers le récit d'Horatius Coclés

soient complexes, un second prodige transmis par les annalistes vient confirmer le désir des grandes gentes de s'intégrer à l'histoire officielle de Rome, le prodige de Valérius Corvinus

(hgment 18). Nous avons vu que l'animosité envers les Étrusques trouvait son origine dans un

lointain passé où ces derniers dominaient le jeune peuple romain ; cette prédominance terminée,

Rome voulut s'approprier cet ancien pouvoir pour glorifier ses origines et soulager son orgueil. Selon les écrits des annalistes, miroirs du dCbut de la République, les Celtes, alors une menace

réelle et constante pour la ville, représentaient un autre peuple dont Rome sentait la necessitd de

s'attribuer les traditions, d'autant plus que ce peuple du nord fut très longtemps dangereux pour les Romains. Le combat relaté par le fiagrnent 12 de Quadngarius et 26Ch des Annales des Pontifes eut lieu en 349 av. J.-C. pendant les guerres gauIoises. Il constitue le deuxième récit

d'un groupe de trois événements dont un premier duel entre un coIosse gaulois anonyme et Titus Manlius ~ o r ~ u a t u s ~ ~ ' qui prit place en 361 av. J.-C. (T.-L. 7.9-IO), et en dernier lieu, la

bataille du Sentinum (T.-L, 10.27.6-9). Ces trois événements reprisentent, en quelque sorte, une propagande anti-gauloise mise en œuvre par l ' a ~ a l i s t i ~ u e ~ ~ ~ .

Par le prodige de Valérius Corvinus, Rome adapte eri vue de son intérèt propre un récit

mythique celtique dans lequel le corbeau est l'attribut d'une déesse guemère très importante.

Cette fois-ci, le transfert est réalisé non pas pour redessiner un passé trop peu glorieux, mais

pour amoindrir une crainte qui hante les esprits. En s'appropriant l'attribut d'une déesse guemère d'un peuple antagoniste, Rome se donnait le pouvoir de combattre ce peuple. Ce transfert des dieux se comprend mieux lorsqu'on analyse la psychoiogie romaine qui redoutait de s'aliéner les dieux, rnèrne les dieux étrangers ; pour gagner une guerre, on devait

nécessairement avoir leur appui243. Pour Rome, (( à moins d'une faute religieuse gave de leur

part D, la bienveillance des d i e u ne pouvait revenir qu'à eux ; craignant de faire la guerre aux dieux de ses adversaires, elle devait par tous les moyens, (( les engager à prendre, à Rome, une

24' Comme dans le cas de Valérius Corvinus, le cognometi de Manlius, Torquatus, provient de sa victoire contre le colosse gaulois a qui il prit le torque en guise de victoire.

242 Dans le cas des deux combats, soit celui de Manlius et celui de Valérius, on remarque plusieurs concordances dont la principale est sans doute le ponrait des deux guemers gaulois qui sont odieux, forts et barbares ; mais le combat de Manlius correspondrait davantage à une pratique militaire celtique que les Romains auraient relatée dans le but de la tourner en dérision ; cf C. Vielle, « Matériaux mythiques gaulois », p. 123-149, qui analyse la correspondance entre ces trois récits.

243 Cette croyance a d'ailleurs influencé les pratiques guemères des Romains qui, « au moment de donner l'assaut à la ville assiégée D, exigeaient l'exécution d'un ancien rite, I'cuocatio, qui consistait rt faire sortir de la vilie toutes les divinités qui étaient c e d e s la protéger et l'habiter ; celles-ci passaient par le fait même en sol romain. Ainsi, Véies et Carthage ont été également privées de l'appui de leurs dieux avant i'assaut des légions romaines ; cf R Bloch, « intqxetatio D, p. 23.

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seconde demeure, ou à y émigrer définitivement2& D. D'ailleurs, c'était fa nature même de Rome

de rechercher incessaniment la paix des dieux, comme Ie prouve I'art augura1 qui guidait leur vie publique et politique. Toute réaction hostile des dieux, quels qu'ils soient, devait être éIi*24*.

Le corbeau fut une représentation divine guerrière pour les Celtes et pour Ies irlandais en

particulier ; diverses légendes présentaient l'oiseau s'attaquant à des personnages héroiques ou humains en cherchant à leur crever les Ce corbeau guerrier, au rôle davantage positif', ne correspond en rien à la définition traditionnelle du corbeau dans I'art augura1 de Rome, présenté comme plutôt dfaste. La divergence des attributs alloues au corbeau entre la civilisation gadoise et fornaine a longtemps porté confusion sur l'interprétation a domer au prodige qui

valut le surnom de Coruinus à ~ a l é r i u s ~ ~ ' . En effet, lors de son combat, la sigmfication augurale

du volatile change subitement. Pour les Romains, son apparition demeurait essentiellement négative ; en revanche, dans la mythologie celtico-irlandaise des liens étroits existaient entre le corbeau, la corneille et certains dieux ou déesses de la guerre : la corneille etait perçue comme

I'Uicarnation de Badb Catha, déesse irlandaise de la bataille, et le corbeau l'incarnation de Briin, dieu géant. Au contraire des Romains à l'époque du combat de Valerius, des rapports très

contigus subsistaient toujours chez les Celtes entre les animaux et les dieux ou déesses, ce qui amplifiait le sens de l'apparition d'un corbeau lors d'un combat. Ainsi, Badb Catha apportait son

aide sous forme de corneille et venait a semer l'épouvante chez Ies hommes n, alors que Br@ qui se madestait par l'intermédiaire du corbeau, donnait son nom a des guemiers gallois, « qui

semblent ainsi ne faire qu'un avec lui et avec la déesse238 ».

L'importance du corbeau combattant chez les Gaulois transparaît également a travers certains vestiges archéologiques, dont les casques des gueniers qui, très souvent, étaient

244 1. Bayet, Histoire politique erpsychologrque, p. 57.

245 Bid, p. 58.

"' Da% le CU de lir science augurale, le corbeau était effecti~ernent de mauvais augure pour les Rornains. Sa représentation dans la poésie prouve son caractère principalement néfaste ; sur le plan mythique, (( le corbeau est un oiseau déchu, dont Ie chitirnent a consiste en une métamorphose de son plumage blanc en un.plumage noir », bien qu'il arrive qu'il soit synonyme de beau temps ; cf. A. Sauvage, h d e s de thénies unimaiiers, p. lgû- 191.

R Bloch, « Interpretatio », p. 23 ; J . 4 . Desnier, (< L. Vaidrius Acisculus D, p. 826 ; A Ross, Pagan Celtic Brifain, p. 249-256, accepte l'existence de Ia déesse, comeiile du combat mais non celle des dieu corbeaux tels qu'fis sont restitués dans les études de A Haggerty Krappe, G. Chamére et A Audim.

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surmontés du volatile249. Peut-être attribuait-on au corbeau la capacitd de faire fuir l'ennemi par son croassement ? Peut-être les guerriers pensaient-ils s'attirer la protection de la déesse ou du

dieu qu'il représentait250 ? L'importance réelle du corbeau et son assimilation a un quelconque dieu est difficile à cemer. Néanmoins, sa signification et l'intérêt que lui portaient ati combat les

guemers celtes demeurent indubitables ; cet oiseau reste étroitement relié à la guerre, où sa présence symbolise l'aide des dieux, il apporte incontestablement une protection supplémentaire. Par le seul récit du combat de Valérius, on peut venir a penser que les Romains

ont cherché à s'approprier les nombreux pouvoirs voués au corbeau : représentant l'appui des

dieux, épouvantant l'adversaire, il se perche sur le gaiea de Valérius - qui d'ailleurs fut, par la suite, toujours représenté avec un corbeau juché sur son casque. Bien malgré lui, le corbeau

divin des Celtes venait de passer dans le camp ennemi, offrant sa protection sacrée à l'am& romaine.

Peut-on croire sans réserves à une assimilation volontaire du récit mythologique des Celtes et des Irlandais ? M. 1. Davies apporte certaines objections en montrant que le corbeau des Celtes, (t et par la suite la Badb Catha des légendes D, n'aveuglait pas systématiquement leurs

victimes. La Badb irlandaise ne faisait qu'assister aux événements et prenait part au combat plutôt en frappant d'épouvante ou en paralysant l'adversaire, dors que dans le récit des

annalistes que nous livre Aulu-Gelle, le corbeau prend une part active au combat. Cependant, a travers le récit de Tite-Live, les éléments typiques de la lkgende irlandaise transparaissent

davantage : l'auteur, en plus de faire ressortir la peur du Gaulois devant un tel prodige, précise

qu'il eut l'esprit aussi troublé que la vue. Dans ces deux récits le corbeau reste agressif et joue une place active dans le combat ; mais dans le récit de Tite-Live ressort égaiement le pouvoir de

son action psychologique. Aulu-Gelle, peut-ère par excès de sensationnalisme, livre un récit ou l'importance psychologique est moindre par rappon aux exploits guerriers du corbeau2".

Toutefois, le citateur de Quadrigarius s'attarde davantage que Tite-Live a la description de

l'atmosphkre du combat, c'est-à-dire a l'amplitude du défi et à la préparation des deux belligkrants. Ce choix de consacrer soixante-quinze pour cent du récit à l'avant combat - au

contraire de Tite-Live dont le simple combat occupe soixante-quinze pour cent - peut être

'" La donnée iùt confirmée par la découverte d'un chaudron d'argent en 1891, B Gundestnip, et dont l'une des images représente un oiseau s'élevant sur le casque d'un Gaulois ; cf. R Bloch, N Interpretatio D, p. 28 ; cf. également la description des casques faite par Diodore 5.30.2. On trouve aussi des casques gaulois surmontés de quadrupédes.

''O Desnier, J.-L., (( L. Valérius Acisculus ». p. 826.

Ibid, p. 829.

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expliqué par le désir de Qudrigarius d'exclure les éléments merveilleux de son ouvrages2. Ainsi, Aulu-Gelle aurait repris le récit plus rationnel de l'annaliste, limitant l'intervention du

corbeau à vingt-cinq pour cent de l'événement et à ses actes physiques. De plus, on ne peut réellement mettre en doute Ia connaissance des Romains en matière de culture .celtique, la description exacte des m e s et des costumes gaulois chez Tite-Live et chez Denys laisse

supposer que les annalistes connaissaient assez bien leur culture, du moins leurs traditions guerrières ; ils pouvaient dès lors être informes des kgendes les plus populaires'53.

Comme ce prodige est unique dans la tradition romaine, il semble vraisemblable de trouver l'explication de sa signification dans le domaine celtique. En effet, il n'a rien en

commun avec les nombreux prodiges relatés dans les mêmes périodes et le sens augurd du corbeau est tout autre. L'emprunt d'un mythe celtique apparaît d'autant plus évident lorsqu'on

analyse la geste irlandaise héroïque d'Ulster combinée à l'exploit de Valérius et à celui de Manlius. Le récit des deux Romains « constituerait même une pénétration du mythe celtique en

profondeur et non pas tellement l'emprunt en surface d'un récit mal compris2Y ». La geste d'Ulster se trouve entièrement, mais de manière séparée, dans les deux récits de Manlius et de

Valérius. Dans cette épopée, un guemer fabuleux de force et de taille, armé de façon extraordinaire, doit combattre un à un les guemers de l'armée ennemie ; la première technique

de combat se caractérise par ses cris tembles qui efiaient ; pour avantager sa force, il fait appel à des pouvoirs mystérieux qui lui permettent d'exécuter des contorsions magiques, de se déformer physiquement et ainsi de se rendre horrible ; ce combat est plus proche de celui de

Manlius. Le second phénomène inhabituel qui aide le cdebre guerrier a vaincre ses nombreux

adversaires est nul autre que l'apparition de la déesse elle-même, Badb, qui sous la forme d'une corneille, comme à l'habitude, aide a faire fuir l'ennemi par son : on retrouve la davantage les éléments de l'exploit de Valerius.

Par ce type de combat, on remarque que les Romains se font maitres d'une coutume qui était bien éloignke d'une de leurs principales valeurs gueméres oii la force provenait de la cohésion et de la discipline de l'année. D'ailleurs, Tite-Live, lorsqu'il cite le prodige de

Valérius, est conscient d'une certaine anomalie puisqu'il précise que « ce combat d'homme à

'j2 L. Fiene, (( Marcus Valhius Coniinus D, p. 103-105.

U3 R Bloch a Traditions celtiques r). p. 126,

254 Ibid, p, 13 1.

lSs C. Vielle, a h.lnérirrmt mythiqoes gmlois B, p. 132-134,

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homme fut rendu moins glorieux par l'intervention d'une puissance divine256 ». Réflexion

rationaliste ou simple étonnement devant une intervention divine et un type de combat inhabituel ? En revanche, le duel correspond parfaitement aux valeurs gauloises qui vantaient les mérites des combats individuels. Rome a dom: dû s'adapter a son adversaire, mais toujours en

prônant les valeurs traditionnelles romaines ou la force brutale ne peut l'emporter sur la piété,

l'esprit patriotique et la bravoure257 D. Ainsi, par le prodige de Valérius CoMnus, les annalistes

ont exécuté un transfert du même type que dans le cas de Numa et Tullus ou le premier domine

dans une science qui fait défaut au second.

De telles corrélations tendent a prouver que l'histoire fut mont& de toutes pièces. Le fait

que Valérius soit le héros de ce récit ne peut ètre une pure coïncidence, le choix de cette gens en particulier visait sans doute à la glorifier et a la mettre en valeur ; ainsi apparaissait (( a coté de

Valérius Publicola, l'un des deux fondateurs de ta République romaine, une seconde figure de héros légendaire, donnant aux Valerii de nouveaux titres de noblesses2ss ». Longtemps les

modernes ont cru que c'était là le but premier du prodige de Valerius. Néanmoins, les dernières ktudes concernant les mythes celtiques ne permettent plus de présumer qu'il fut uniquement imaginé pour soutenir les intérêts et les origines de cette noble gens comme le soutenait Enszlin.

En effet, ce dernier y distinguait soit un simple récit étiologique visant à expliquer le cngnomen

de Valérius, soit un récit écrit dans I'unique but de glorifier la gens des ~alerii"~. II n'en

demeure pas moins qu'un Valérius, élu pour être Ie héros de ce récit, fut p u la suite baptisé du cognomen de Coruus ou Coruinus - erreur commise par certains auteurs sans doute due au caractère inhabituel de ce surnom, le corbeau. Peut-être y eu t4 à l'origine un réel combat entre

un Romain appartenant à la gens des Valerii et un Gaulois, les annalistes auraient alors sedement intégrtf un élément merveilleux au cmtr du récit. Par un simple prodige, ils réalisèrent

un double objectif: s'approprier un dieu celte très important, tout en exaltant la figure des Valerii. U est certain que l'intégration de grandes gentes à l'int&ieur des récits avait pour but

non seulement de rehausser leur prestige, mais elle permettait aussi de confkrer une plus grande

part de réaiité a u exploits racoi;tt;s De cette façon, les grands hommes de Rome demeurent indissociables de l'histoire nationale dont les d i s t e s sont les chantres inconditiomels.

Comme le disait J. Hubaux : ((Ainsi douée d'un corps et d'une âme par la volonté de ses

T.-L. 7.26.3 ; cf. M. J. Hubaux, Les gr& mythes, p. 62.

R BIoch, R Interpretatio D, p. 20. 'Ma -. -- - laem.

Enszün, « M. Valérius Corvus D, R E., 1948 ; cf. R Bloch, q. Tite-Live ML, Paris, 1968, Appendice IV : K Combats singuliers D, p. 1 13.

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mythographes, Rome ne laisse s'épanouir dans ses murs aucune autre personnaiité que la

sienne ; les hommes illustres n'ont pas de vie individuelle, ils sont des parcelles de Rome, rien

d'autre2* 8.

Cette analyse confirme l'idée que Rome a toujours su s'approprier les traditions et les récits des peuples avec lesquels elle entretenait des contacts, Les annalistes et leurs successeurs

se sont comportés à l'égard des traditions celtiques de la même façon qu'ils l'ont fait à l'égard des traditions étrusques, les intkgrant ti leur proprehktaire de &an à ce que dieux, mythes et

traditions soient assimilés à des récits historiques, ce qui permettait de créer « une atmosphère correspondant assez bien à celle des temps qu'ils évoquaient261 D. Ces transferts furent

constamment conditionnés par le désir d'exalter l'image de Rome et le meilleur moyen de

réaIiser ces intégrations fictives demeura l'utilisation du merveilleux, voire des prodiges, reflets

de la bienveillance et de l'accord des dieux. Se pose bien sûr la question de la p~rception qu'avaient les Romains eux-mêmes de ces récits. L'existence de versions plus rationalistesZG2 mais pourtant négligées peut être interprétée soit comme une croyance certaine en la réalité dts pouvoirs attribués aux messages divins, soit comme une sorte de complaisance collective envers

des récits fabuleux, certes, mais permettant de présenter les Romains, en regard de leurs

ennemis, à la fois comme des maîtres incontestés et des aiiiés constants des dieux : par cette manipulation de l'histoire, Rome se montrait dominée par les divinités mais dominant les

hommes. Les prodiges étudiés dans la troisième partie intéressent ce problème de la réception des textes historiques, puisque au delà d'une apparente lucidité et de la manipulation de

certaines manifestations divines, certains récits semblent prouver l'existence d'une réelle

crainte, constante, inexpliquée et inexplicable,

M. J. Hubaux, Les grands mythes, p. 5 5 .

'" ! Kioch, « herpraxtio », p. 28. Pour aes rif'ërences suppiémenraires au sujet de vaiérius Corninus, ci. bibliographie p. 141-142.

CE, entre autres, l'explication des édairs ou la dkrkation du Lac Albarn.

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LES PRODIGES TERRESTRES

3.1 La croyance en ceriaitu prodiges, repet d'une mntalitk trPs ancienne ?

La manipulation des prodiges effectuée dans les débuts de la littérature Iatine afin de remodeler, ou de glorifier, tant le passé historique de Rome que les exploits de ses grandes genres, en plus d'illustrer leur fonction de maîtres des peuples avoisinants, tend à prouver que les Romains accordaient une importance particulière à toute réaction divine, quelle qu'elle soit. De mème, à la toute fin de la République, Cicéron, qui, du fait de sa personnalité, tentait d'expliquer le plus rationnellement possible les nombreux prodiges, n'affirma jamais réellement que la divination n'existait pas ; il chercha plutôt à démontrer que les dieux ne prenaient aucune part lors des rites divinatoires, qui relevaient purement des hommes, et qu'ils n'intervenaient pas

nécessairement pour répondre aux questions posées par les hommes lorsqu'ils rnodiaaieat les lois de la nature263.

Néanmoins, le fait que les Romains aient accordé une si grande importance aux cultes suppose que l'on croyait fermement à la présence et à la manifestation des dieux, « ou du moins aux effets sociaux bénéfiques et indispensables » des pratiques divinatoires'". Dans cette optique, les prodiges, reflets de quelque trouble apporté à la paix divine, avaient forcément un pouvoir réel qui suscitait une inquiétude constante parmi la population. Bien que les croyances les concernant eurent tendance s'amoindrir sous la République et que la colère divine, illustnk par l'apparition d'un prodige, semble avoir eu en général de moins en moins d'impact, la crainte

26s 1. Scheid, « La parole des dieux », p. 128

2M ~bid , p. 129.

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engendrée par certaines manifestations semble s'expliquer par !a permanence d'une mentalité

très ancienne qui persista longtemps dans les esprits a Rome.

Ces prodiges, que nous qualifions de terrestres dans le cadre de cette recherche, étaient habituellement fatalistes, ce qui nous permet de les percevoir plus comme cies présages

déterminants en ce qu'ils décidaient du futur sans qu'aucun rite ne puisse modifier le désir des dieux : on ne pouvait que tenter d'apaiser leur colère en vue d'un meilleur avenii".

Généralement a connotation négative, ils demeurent pourlesmodemes bffidement ex$cahles et ont un aspect plus magique que religieux. Toutefois, il reste possible d'établir quelques

constantes : habituellement, ils fixaient des événements dans un futur que nul ne pouvait modifier ; très souvent, ils &aient soit d'origine animale, soit d'origine végétale et, au contraire des autres prodiges qui peuvent être intègres dans l'art augural grâce à leurs caractéristiques, ils

ne peuvent s'assimiler à aucune science dgie par des lois ou par des codes très ~ t r i c t s * ~ .

Devant certaines des réactions qu'ils provoquaient et que l'on aurait tendance à qualifier

d'excessives, le chercheur moderne est tenté de se questionner sur l'origine des craintes provoquées par ces prodiges, craintes qui apparaissent comme des survivances de pensées « archaïques D persistantes et qui conféraient des pouvoirs mystiques à certains phénomènes

naturelsz6'. En effet, ces prodiges apparaissent quelquefois soit comme le résultat d'une nature encore mal comprise et, ipso jucto, que l'on redoutait, soit comme Ie résultat d'antiques

croyances qui ont persisté dans l'esprit collectif de Rome. Peut-on réellement supposer que I'anguisçe qu'ils suscitaient résulte de la persistmce d'une mendité primitive ? A ce sujet, dans

son étude sur le merveilleux religieux dans I'antiquitt, A. Neyton conclut que (< certains étaient des faits réels mais inexplicables par les connaissances antiques, surtout populaires. Quant aux

26J R. Bloch, Libertd et déterminisme D, p. 97. 266 Cikon , dans son traité sur la divination (1.11) distingue aussi deux sones de divination : la première relève d'une technique, la seconde de la nature. L'apparition d'oiseau insolite dans des villes ou dans des endroits inhabituels peut relever tant de la premiére divination -grâce au classement possible B I'intérieur de la science augurale - que de la seconde - par leur arrivée involontaire. Dans le cadre de cette étude, il nous a semble plus opportun de traiter des prodiges mettant en scène l'apparition d'oiseaux insolites lors de la dew0éme partie, ce qui permettait de mieux approfondir l'art augural ; n h o i n s , la peur engendrée par i'apparition d'oiseaux pourrait trouver son explication dans des origines très anciennes tout comme la crainte provoquée par une mule qui met bas ou par le cri des souris qui perturbent les auspices. Toutefoi$ notons que la science augurale étant ordonnée par des rites tris préci& on explique plus aisément les purifications exigées par l'apparition d'un hibou ou d'un oiseau incendiaire.

267 Les crovances qui concernent les oiseau. et les éclairs pourraient égaiement etre le reflet d'une pensée archaïque ; cependant, les nombreux prodiges et prdsages qui les constituent sont savamment étudies et font partie de sciences dont la manipulation et l'interprétation, nous l'avons vu, pouvaient facilement être contredites. CE chapitre iI, supra, p. 75-77 ; 83-84.

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autres, la peur superstitieuse et l'imagination plus ou moins mmpléte ou d é f o m t e ttaimt visiblement les sources de cet ensemble merveilleux, miroir fidèle de l'esprit de l'époque'68 D.

À l'intérieur de notre corpus, on dénombre trois prodiges dont la crainte, et surtout la

persistance de ce sentiment, demeurent difficilement explicables et peuvent être conçues comme la sunivance d'une mentalité très ancienne : une mule qui met bas, le cri des souris qui

perturbent les auspices, et le pouvoir accordé à certains arbres. Ils ont tous en commun de laisser

les modernes perplexes par leurs manifestations en tant que prodiges, car l'explication des croyances qui les entourent peut difficilement être intégrée dans un schéma devant d'urrc science bien établie. La grande crédulité des anciens devant des phénomènes naturels incite à penser que parallèlement à la manipulation de certains prodiges, peut-être rendue possible grâce

à une reeUe lucidité des Romains, la présence d'une mentalité encore très ancienne demeurait sous Ia République. C'est pourquoi ces prodiges peuvent être mieux compris avec l'aide d'autres sciences humaines, telle la sociologie, qui contribue à faire prendre conscience d'une survivance

d'un mode de pensée prélogique269+

Pour les anciens, la parturition d'une mule était automatiquement synonyme

d'indiscutables malheurs. Dans notre corpus, cette fatalité et l'angoisse provoquée par cet événement se manifestent en premier lieu par le terme utilis6 pour qualifier le fait : ce prodige

. .270 . (hgment 19) est l'un des deux seuls de notre corpus qualifiés par les annalistes de prodigrr , Le mystérieux et le surnaturel qu'entoure ce qualificatif tendent à prouver l'inquiétude qu'un tel

incident engendrait ; ainsi, l'angoisse provoquée par ce type de prodige apparaît plus évidente du fait de I'utilisation dans notre fragment du terme prodigium, beaucoup plus explicite et dont le

sens ne fait aucun doute.

k Neyton, Le merveilleux religieta, p. 1 10.

16' J. Bayet, a présages figuratifs », p. 13. Dans son artide, 3. Bayct traite presque exdusivernent des songes qui apparaissent toujours comme de r6els présages figuratifs déterminants. Toutefois, comme la différence mue présage et prodige tend à disparaître dès les débuts de la République, les caractéristiques qu'il attribue aux (( présages iguratiis aéterniuiams » peuvenr égaiement kre appüquees à certains proaiges.

''O En effet, le terrneprodigium ne revient que deux fois : lors de la parturition d'une mule ( h a i e s 39Ch) et lors de la plantation d'un clou dans un but expiatoire (Annales 27Ch).

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Cependant, les deux prodiges définis par le terme prodigium sont cités par les Annaies Pont$cum, la plus ancienne référence annalistique ; peut-ètre existe t-il un rapprochement entre

l'utilisation de ce terme et leur prtisence dans ces Annales. Ainsi, leur occurrence à l'intérieur de

ces dernières, en comparaison avec leur absence dans .le-.reste de notre corpus, poutrait être un signe d'un rationalisme montant qui se développe tout au long de la République. Néanmoins, I'intensité que l'on confère aux prodiges de la mule ne semble pas s'atténuer sous la

~ é ~ u b l i ~ u e ~ ~ ' . Dans une étude consacrée à l'analyse des prodiges dans I'ceuvre de Tite-Live, E. de Saint Denis remarque que des prodiges causés par une mule ont été enregistres en 21 1, 190, 182, 179, 172, 163, 139 et 130 av. J.-C., et qu'ils ont tous été synonymes d'une grande

crainte parmi la population.

Pour aniver à cette conclusion, l'auteur a tenté d'évaluer la gravité de chaque type de

prodiges selon l'endroit où ils se situent dans l'énumération de l'historien. En premier lieu, il a constaté qu'habituellement Tite-Live utilisait la mème fomule traditionnelle, c'est-à-dire

d'abord l'énumération des prodiges, suivie de I'iadication des rites ordonnés, des expiations, ou des cérémonies requises. En ce qui concerne la liste même des prodiges, il suppose que Tite- Livc- aurait respecté le même ordre que celui qu'il aurait lu dans les Annales Marimi ; cet ordre

se présenterait tantôt sous un aspect chronologique, tantdt sous un aspect géographique. De plus,

lorsque l'auteur aurait adopté une smcture gkographique, E. de Saint Denis constate que I'historien aurait d'abord cité les prodiges qui entouraient Rome et ensuite ceux de la ville même272. Enfin, il remarque que Tite-Live ne semble pas avoir eu de préférence pour l'une ou

I'autre des deux méthodes citées, et qu'il les utilise sans iogique apparente. Cependant, malgré ces ordres variables, il observe, en sus, que ces structures étaient généralement doublées d'une amplification psychologique, c'est-A-dire qu'elles se sont enrichies d'une gradation dramatique

dépendant de I'eEroi causé par Ies prodiges Ainsi, indépendamment de la structure qu'aurait choisie Tite-Live, la place réelle du prodige dépendrait avant tout de la peur qu'il a engendrée parmi la population.

"' DU moins au cours du 2' siècle, période d'ailleurs particuliérernent dramatique ou se font sentir les premiers soubresauts de la République finissarite.

Zn E. de Saint Denis, K Les prodiges dans I'anivre de Tite-Live )i, p. 128. L'auteur constate ce même type de classement chez Cicéron (De dv,, 2.28.60), qui mentio~e d'abord des hén nom en es naturels qui vont du plus simple au plus extraordinaire, pour ensuite énumérer les phénoménes qui vont contre name tels les monstres humains et animaux. Cette gradation serait également mise en relief dans un autre passage (De div., 1.18.36) où le dernier prodige énuméré est celui d'une mule qui mit bas. a. E. de Saint Denys, a Les prodiges dans l'œuy~e de Tite-Live », p. 134 ; voir aussi Cic. De div. 1.35 ; 2.50 ; 2.61 sur des prodiges concernant des mules.

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Cette analyse nous intéresse particulièrement par le fait que les prodiges relatifs à la mde apparaissent toujours être des plus terrifiants, au même titre que la foudre, colère ultime des

dieux. En conséquence, dans certaines énumérations où les prodiges croissent en gravité (T.- L 40.2 ; 40.45), à la toute fin an trouve les prodiges de .ia naissance dam d e î à irais pattes ainsi que d'un temple frappé par la foudre ; en d'autres passages, la structure choisie par Tite- Live reste toujours doublée d'une gradation psychologique mais cette fois décroissante où l'auteur termine avec les prodiges plutôt anodins273.

3.1.2 Première caractéristique d'une mentalité primitive, l'animal sacré et le totémisme.

Il est étonnant que la mule ait provoqué une telle crainte chez les Romains, d'autant phs

qu'elle est réputée, selon Pline, ne pas toujours être stérile, notamment en Cappadoce. Cette même crainte nous laisse croire à une présence persistante d'une mentalité que nous qualifierons de primitive, parce que très ancienne, à l'instar de .J. Bayet ; ea &et, dans un article consacré à l'étude des croyances envers les présages, l'auteur appelle primitive la croyance en certains

@sages dont l'une des principales caractéristiques est leur acceptation nécessairement

fataliste2". Comme sous la République les anciens ne font plus une réelle différence entre

présage et prodige, les deux annonçant le futur d'une façon presque irrévocable, on peut considérer que cette affhation s'applique également A un certain type de prodige, totalement autonome et indépendant de la volonté des dieux : aucune conjuration n'est possible, sinon les

rites de purification exécutes au début de chaque année sous l'ordre du ~énar"'. De prime abord, par l'acceptation nécessairement fataliste qu'il entraîne, le prodige de la mule correspond aux

notions de mentalité primitive telles que les conçoit J. Bayet. De plus, il appert que la croyance et la peur qu'engendre le prodige trouvent leur origine dans un passé très lointain.

Dans un ouvrage consacré aux caractéristiques de la mentalité primitive, L. Lévy-Bruhl faisait remarquer que celle-ci se traduisait d'abord par un désir intrinsèque de se sentir en communion avec la nature ; autant les animaux que les plantes et les arbres étaient constamment investis de pouvoirs mystiques276. Ces pouvoirs mystiques chez les animaux pouvaient se

" E. de Saim Denis, « Les prodiges dans l ' m e de Tite-Live N, p. 130.

n4 J . Bayet, u La croyance romaine », p. 5 1. n c -- -.- rata, p. 44. 276 L. LRvy-BnihZ La mentalité primitive, p. 26. D'ailleurs, A l'origine, on croyait que les animaux éprouvaient Ies mèmes sentiments que les hommes : joie, tristesse, coke, courage et peur. Avec le temps, les anciens ont commencé

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traduire par une sorte de totémisme ancien pratiqué par les premières tribus : on suspecte la mule

d'avoir été au nombre des animaux totémiques dans une cité en particulier: Réate.

Effectivement, dans cette ville, les naissances prodigieuses de mules et de poulains sont

beaucoup plus nombreuses que dans aucune autre cité. Auw, on ciduombre une d e qui mit bas en 21 1 et en 190, la naissance d'une mule A trois pattes en 182, 179, 163 et d'une mule à cinq

pattes en 130. Les seuls Cvénements comparables sont la naissance d'une mule à trois pieds à

Calatia en 172 et en 139 aux Esquiliae. Cette superstition relative aux mules parait dès lors trouver son origine dans la ville même de Réate : sur un total de dix prodiges enregistrés dans cette même ville, six concernent les mdes2".

L'importance ancienne vouée à la mule dans cette ville n'aurait pas entièrement disparu mais aurait été récupérée par Rome, car l'une des caractéristiques des animaux totems est, en plus de servir de guide, d'annoncer l'avenir2" ; or Les Romains étaient fascinés par les méthodes

de connaissance de l'avenir. Plusieurs animaux auguraux auraient été, originellement, des animaux totémiques ; ces animaux étaient investis de trois fonctions : guides, augures et

totems2". Lorsqu'une tribu adoptait un animal particulier comme animal totémique, elle lui conférait automatiquement des pouvoirs divins qu'elle cherchait à se concilier ; comme Ia

plupart du temps ces animaux ne se prêtaient .pas à la damesticatiaq «le .même état des chases pouvait subsister pendant des siècles'80 n. Dès lors, les pouvoirs mystiques attribués à la mule

par les Romains ne seraient qu'une résurgence de très anciens pouvoirs mystiques octroyés à

cette dernière par la ville de Réate ; les Romains auraient alors conservé l'idée d'un prodige lors

de la parturition d'une mule qu'ils auraient interprétde comme le signe d'une rupture de la paix des dieux, probablement sans chercher a expliquer ce qui en faisait un événement particulièrement inquiétant, on peut voir la un reflet éventuel d'une pensée archaïque persistante.

i4 différencier l'intelligence et l'instinct. II semble intkessant de mentionner que ce mot fut employé dans deux principaux sens, d'abord par Cicéron qui l'employait dans le sens d'inrtincfus diirinus, ensuite, dans l'antiquité phs tardive, dans le sens d'insrjncrtrs nalurae ; cf U. D i ~ d ~ e r , (( Raison ou instincts D, p. 6-7. L'utilisation de ce terme démontre que la première conception de l'animal était étroitement reliée aux dieux.

rn Sur les Liens m e la mule et la ville de Riate mir: E. Rawwn, N Ptodigy Lists f i , p. 164 ; B. MarBain, P r d g y andQuiation, p. 15 ; F. Bruneil Krauss, Omens, Portenls ami Prodigies, p. 124-125.

Ifs P& totémisme, S. Reinech sous-entend « l'ensemble des prohibitions qui mettent un frein à l'activité humaine dans ses relations avec les animaux et les végétaux D, et précise que Ie totémisme (( n'est pas seulement corrélatif du droit et de la morale B leurs débuts, mais se confond avec eux ; exactement comme, aux yeux du primitif et de l'enfant, homme, animaux et végétaux ne forment qu'un seul règne ou circule le mime esprit vital )) ; cf. S. Reinach, Cultes, n@es ei religions, t. i, p. 28. Cette notion tris archaïque du monde à propos de certaines croyances concernant des animnlir -! pr4E--(! n ! ~ o rcv~me -ne menta!itk primitive den? nn y!? v i r one ~xvivsi_nce ?EE c ~ i f n i m prnrliyeo

17' S. Reinach, Cultes, mythes et religions, t. i, p. 24.

Ibid, p. 11.

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3.1.3 Le phénomène de la stérilité, source d'angoisse

L'une des caractéristiques de la mentalité primitive est cette recherche constante d'un

parallélisme entre les attributs accordés à l'humain et ceux de na animal'^'. Ainsi, la mule a sans contredit gardé ses facultés d'animal augura1 qui ont pu, par la suite, être entremêlées avec une autre crainte antique qui concernait la stérilité elle-même - principalement la stérilité qui touchait les femmes - ; d'ailleurs, cette dernière crainte a probablement conféré au prodige de la

mule une gravité plus notable. Cicéron (De dtu. 1.36) nous apprend que lorsqu'un mima1 stérile

par nature, comme une mule, donnait naissance a des petits, les haruspices prédisaient l'apparition d'incroyables maux. Le phénomène de stérilitk en lui-même était, dans l'antiquité,

source d'une très grande angoisse; lorsqu'un probléme & sténlité accabkit une femme, les anciens voyaient la un lien très Stroit avec la fécondité du sol, d'où l'ampleur de ce mauvais

présage. D'autre part, l'apparition de nouveau-nés anormaux chez la femme était trés souvent liée a la stérilité même des femmes282 et perçue comme « le signe par excellence envoyé par les dieux aux hommes coupables2k3 >). Les nouveau-nés déformés signifiaient que les lois de la nature avaient été perturbées par de graves événements tout comme la stérilité qui venait contrecarrer cette mème nature ; ce dérèglement de la nature ne pouvait être que néfaste pour l'humanitém.

Ainsi, les craintes provoquées par la stérilité des femmes et celles provoquées par la stérilité de la mule peuvent être mises en parallèle, car les prodiges impliquant les mules soit ont trait uniquement au fait que l'animal, stérile par nature, mit bas, soit consistent dans la naissance de mules difformes. Cela nous permet de croire que l'angoisse occasionnée par les mdes serait reliée a la crainte concernant le phénomène de stérilité lui-méme, où les lois de la nature sont bafouées : phénomène qui éclaire égaiement la gravité de ces prodiga aux yeux des anciens La

28t L. Levy-Bruhl, La mentalité primitive, p. 47

284 L'enfant anormal, a une certaine epoque, ne devait mème pas toucher le sol, il était recommande de le bder et de jeter ses cendres dans la mer; bien que selon J u v é d (1 5.140) les petits enfants ne soient jamais bdes, mais enterrés : « [.,.] quand nous voyons la terre se refermer sur un petit enlant trop jeune pour le bicher )). Cependant, lars des périodes troubles. on n'enterrait pas ces cadavres de peur de contaminer le soi, on les portait a l'eau. Donc, l'nit'ant anormal demeure droitement relié à la stérilité du sol. .4u sujet des pratiques entourant les enfants anormaux, cf. L. Delcourt, Sferilires mysrerieuses, p. 64-66.

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gravité attribuée au prodige de la mule pourrait dès ion s'expliquer par I'apprCtmision d'me mauvaise dcolte, car les anciens voyaient rc clans la fécondité de la terre et des espéces vivantes un seul phénomène régi par la même volontk divine » ; d'ailleurs, les anciens utilisaient les

memes mots désigner la fécondité de la femme et ses organes que pour décrire la terre

labourée, et lorsque les d i e u Ctaient en colère, le chitirnent ultime qu'ils redoutaient &tait la stérilité sous ses trois aspects : stérilité végétale, stérilité animale et stérilité humaine285.

L'étude réaiisee par L ~ o d s o n ~ ~ ~ permet également d'expliquer la présence du prodige de la mule a cet endroit du texte de Pline par le lien qui existe entre ce prodige et les consquences envisagtabks pour l'homme. L'auteur constate que dans les livres DU il traite des animaux, le naturaliste associe constamment co~aissances théoriques et données utilitaires, sans pour autant être systématique et toujours bien stnicturi. Mais gknéralement, Iorsqu'il traite d'un animai, il écrit d'abord au sujet du groupe auquel il appartient et ensuite au sujet de sa fonction par rapport à l'homme. De plus, Pline attache une importance toute particulière A la

reproduction. Ainsi, dans le cas de Ia mule, il mentionne d'abord les principaux a c c o u p h n t s

possibIes entre I'ine et la jument, ou l'ânesse et le cheval, les caractéristiques de chacun comme travailleur, et ensuite des nombreuses ricunences dans les Annales de mules qui mettent bas ; ce

phénoméne se présenterait alors c a m e sa derniére fonctiao . p a r x a p p à .l'hamme, c'est-Mire les conséquences que ce prodige impose : nuire a Ia productivité du SOI.

Le caractère prodigieux de la muIe trouve son origine dans de trés anciennes traditions et croyances, dont on pourrait penser qu'elles s'atttnueraient au fil des sitcles. D'ailleurs, Cicéron mentionne I'animal dans l'un des passages Ies plus rationalistes du De diuinatione (2.49-50),

afGrmant qu'un hénement, s'il n'avait pu se produire, ne serait tout simplement jamais arrivé ; devant un fait nouveau, ou qui arrive rarement, il y a étonnement, alors que devant un fait qui arrive régulièrement, mais dont on ne armait pas l'origine, aucune réaction rre st manifeste parmi la population. Cette même affirmation permet ensuite A l'auteur de ddclarer (De diu.,

2.61) que (( s'il faut considerer comme prodige ce qui arrive rarement, un homme sage est un

285 L. Delcourt, Srerilirés mysterieuses, p. 9-10. Le rappon étroit qu'entretenaient Ies Romains avec les animaux ressort particuiierement dans le livre VUI de Pline ; c'est ce qui permet à L. Bodson d'&mer que « s'il est Mai, comme le soutient Keith Thomas, qu"i1 est impossible de séparer l'idée que les hommes du passé se faisaient des plantes et des animaux de celle qu'ils se faisaient d'eux-mêmes', les Livres WLi a XI de l'histoire naturelle de Phe oiÛent sur ies conceptions romaines ae i'animai un témoignage a'une ampieur et aune cohérence sans équivaienr dans la Littérame antique a ; cf. L. Bodson, « Le témoignage de Pline l'Ancien », p. 348.

L. BO~SOII, « Le tthoignage de f line l'Ancien )b.

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prodige : j'estime d'ailleurs qu'une mule fëconde est p l u fréquente qu'un homme sage »287.

Mais malgré cette tentative cicéronienne de minimiser la singulariti d'un tel prodige, la mule resta frappée d'un caractère maléfique qui se reflète encore sous l'Empire ; ainsi, dans la Phcmi.de de Lucain (1.589-591)'~~~ 1, m f m du vers 589 ne feraient pas uniquement réfërence

aux naissances humaines monstrueuses mais, selon un scholiaste de Lucain, l'expression

srerili ... . ex utero ferait Cgalement allusion aux mules, dont l'enfantement exceptionnel passait encore pour un prodige289 ; ce qui tend 1i démontrer une fois de plus le parallClisme existant entre la stérilité de la femme et la stérilité de la mule.

De même que le confinne le passage de Lucain, l'importance des circonstances pour

expliquer certains prodiges demeure fondamentale et trop souvent celles-ci nous manquent, comme dans le cas de notre fragment ; toutefois la hantise des mules persiste à travers les siècles. Cette même hantise peut se révéler comme le reflet d'une mentalité primitive

persistante, même si se manifeste vers la fin de la République une tendance selon laquelle les plus éduqués tentent d'expliquer ces prodiges2M. Mais malgré cette tentative rationaliste, la mule

resta un animal considéré comme susceptible de signifier la colère des dieux.

Nonobstant l'apparente lucidité de Cicéron sur l'apparition des prodiges et leur utilisation, lui-mème n'hésite pas a augmenter le nombre de prodiges lors de la conjuration de Catilina.

288 « monstra iubef primum, quae ml10 semina discors proiulerat nasuru, tapi srerilique nefandos ex ulero fetus infastis urere flommis ».

289 Lucain, Bellum ciuile, liberprimus. 1962, v. 589-91. De plus, l'utilisation de ce prodige par Lucain ne semble pas avoir été sans but ; pour l'auteur, les monstres sont un produit de la nature divisée. naruru discors, ce qui renvoie clairement à la discorde civile de son époque. «L'état de l'univers reflète celui de la cité. La nature déchirée est à I'imge de la société humaine D ; cf. F. Guillaumont, « La nature et les prodiges rb, p. 62.

Cette manipulation, ou cette réimerpntation des prodiges de façon à favoriskt le pauvoir persorniel des plus éduqués, est également observée dans le cas de l'art augurai. Dans le cas de la mule, plusieurs décennies après Cicéron, le prodige devint favorable pour l'empereur Galba, dont le régne fut confirmé lors de la parturition d'une mule Le grand-pére de Galba, refùsant un présage selon lequel I'un des siens aiiait devenir empereur, ridiculisa cette prévision en alErnant que le tout se produirait le jour ou une mule mettrait bas. K Mais voici que, bien plus tard, son petit-fiis. dCjà au terme de sa vie, entreprend de se saisir de ('empire et. à ce moment. une mule met bas. prodige sinistre aux yeux des Romains ; mais Galba, s e 4 l'accepte pour FavarabIe : et il s u d d e a Néron. Dans un tel rtcit, tout est étrange, a moins qu'on n'admette l'individualité, l'indépendance, La force déterminante absolue du présage, en dehors de toute reiigion )) ; cf. Suet. Galb., 4.

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3.1.4 La souris

L'origine des croyances entourant les souris peut également s'expliquer à partir d'une

forme de totémisme ancien qui Était voué a l'animal. Ainsi, on sait qu'on nourrissait des souris

dites sacrées dans les temples d'Apollon que l'on appelait Sminthien. c'est-à-dire (( souricier D ; de plus, Elien (Hist. anim., 12.5) nous apprend qu'a Harnaxitos, en Troade, les souris

bénéficiaient de traitements particuliers parce qu'elles étaient étroitement reliées à Apollon.

Enfin, la souris, mus, senit peut-être aussi de gui& pour les Mystcns, auxquels tlk aurait d'ailleurs donné son nomIg'. Ces caractéristiques correspondent exactement à celles qui ont été

décrites précédemment par L. Léw Bruhl au sujet des animaux totems. De plus, selon

S. Reinach, ((l'idée de propriété divine » ne peut être que secoadarre, succédant à une

importance archaïque accordée à l'animal en La souris se révèle donc bien comme

un animal dont les attributs et les pouvoirs mystiques sont fort anciens et dérivent probablement

d'un totémisme pratiqué envers l'animal293.

Les références aux souris et aux traditions qui les concernent sont assez rares dans la

littérature htine ; mais, la souris demeure dans L'antiquité un animal augura1 reconnu. Toutefois,

les récits des prodiges causés par les souris ne semblent pas permettre de déceler un maintien ou une résurgence de ces pouvoirs mystiques. D'après les exemples laissés par les cris des souris,

les prodiges qui en résultent paraissent être uniquement politiques. 3utre notre prodige où des

haruspices durent interrompre leur travail à cause du cri des souris (fragment ?O), Valère Maxime et Plutarque sont les deux autres auteurs qui font référence a des cris de souris qui

auraient perturbé des événements, égdement politiques, et par là forcé le maître de cavalerie et

le dictateur à se démettre de leurs fonction^'^'. Le texte de Pline confirme cette utilisation

19' S. Reinach, Culrrs, mythes et religionr, t. 1, p. 60.

'= Ibid, p. 17. 293 La souris était aussi très imponante chez les ~ t r u s ~ u e s ou on l'associait aux divinités infernales et au monde chthonien ce qui explique notamment sts reproductions dans certaines tombes ; cf. J.-R. lannot, « Les représentations d'animaux », p. 227. 19.8 Val. Max. 1.1.5 : N la perception des cris sinistres poussés par une souris donna motif a Fabius Maximus et a Caius C.lamus de se demenre ae ieurs ionctions, ioun aictateur, i'autre mitre ae cavaiene n ; Fiul. ;viurc. 5.6 . N . iu

moment ou le dictateur Minucius venait de nommer Gaius Haminius maitre de la cavalerie on entendit le cri d'une souris (animal que les Romains appelle sorex) ; on les destitua tous les deux et on en nomma d'autres ».

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politique des prodiges : ainsi, lorsqu'il (8.221) discourt au sujet des il mentionne que

leurs présages ne sont pas à didaigner, particulièrement quand il s'agit d'affaires d'État2". À ce

sujet il livre quelques anecdotes, telle celle où, « en rongeant les boucliers d'argent de Lanuvium, ils annomèrent Ia guerre des Marses N ; à la toute fin, P h e nienticme Rotre

fragment, qui termine son expose sur les rats et les souris. La place du fhgment à travers l'œuvre dc Pline ne livre aucune donnée précise qui permettrait de situer l'événement; toutefois,

conformément à l'ensemble des anecdotes relatives soit aux rats, soit aux souris, le présage de notre texte Ctait probablement relié aux affaires d'État.

Malgré le caractère indubitablement politique des prodiges dont les anciens font mention, il convient d'admettre que l'angoisse que pouvaient provoquer de simples cris de souris, tout comme celle qu'engendrait la parturition d'une mule, était due a la sunivance d'une mentalité aschaique qui accordait à ce rongeur des pouvoirs mystiques dont les anciens ne pouvaient expliquer l'origine. C'est d'ailleurs ainsi que toute manifestation d'animaux, non pas

nécessairement insolites mais ayant des attributs divins bien déterminés, dans des vittes ou dans des endroits consacrés, devenait synonyme de crainte « qu'il s'agisse d'un vautour pénétrant

dans le temple de Jupiter à Caeré (T.L. 27.11.4), d'un corbeau se posant dans le temple de Junon à Lanuviurn ( T L 21.62.41, ou de souris venant les mets & repas offerts aux dieu (T.L. 4 0 . 3 9 . 8 ) ~ ~ ~ N Les pouvoirs mystiques de ces animaux résdteraient d'une époque ou l'homme n'entretenait pas encore la mOme conception de la nature. Dans le cas de la mule comme dans le cas de la souris, la longue tradition entourant leurs espèces suffit peut-être à

conserver leur pouvoir divin même si un esprit plus rationaliste commence a faire surface, car sous la République, il demeure impossible de parler de totémisme, mais uniquement de

sunivance d'antiques croyances. Et malgré toutes les explications rationnelles concernant ces animaux, certains ont su garder une force mystérieuse ; c'est sans doute ce qui conduisit

SCnéque à mentionner que « le temps viendra où nos descendants s'étonneront que nous ayons ignoré des choses si simples2Y8 ».

"' Comme fréquemment dans i'antiquitd, on notera que Pline confond le rat et la souris ; cf. p. 33.

Pline (8.103) déait @us pricisément la façon dont les rats fournissent des présages ; il livre quelques exemples comme l o p ' i l s quittent un bltiment qui menace de s'effondrer.

2 9 7 ~ ~ t ~ c h , impwigm, i I 8 .

19' Sén. Quesi. Na, 7.25 ; ci. A Neyton, Le merveilleux religim, p. 110.

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3.1.5 Les arbres

Les croyances envers certains arbres trouvent aussi une origine dans de très anciennes convictions qui pourraient résulter d'une pensée archaïque où les végétaux étaient investis d'un caractère sacré. Comme ce fut le cas avec quelques animaux, souvent les anciens croyaient ct à

une parenté étroite des hommes avec les plantes et les arbres N : abattre un arbre devenait alors

un acte très sérieux qui nécessitait rites et prières, car l'arbre abritait des espritsD9. C'est

pourquoi les anciens adoraient les arbres en tant que représentants d'une force supérieure à

laquelle ils devaient non seulement leur nourriture, mais aussi leurs vêtements et leurs abris,

leurs armes et bon nombre d'autres instruments nécessaires. Le besoin de se concilier les plantes

et les arbres pour leurs bienfaits devenait donc indispensable, ce qui encouragea dès une époque très ancienne de nombreuses croyances à leur sujet3M).

Les pouvoirs qu'on leur conférait ont favorisé l'élaboration d'une science complexe ou chaque espèce d'arbre était classifiée soit comme négative, soit comme positive. Cette science, a l'instar des pratiques religieuses relatives aux oiseaux et a la foudre, était probablement

d'origine étrusque ; d'ailleurs, Macrobe (3.20.3) nous apprend qu'un certain Tarquitius Priscus,

qui traduisait des livres étrusques en latin, avait rédigé un Osrenrarium arborarium, c'est-à-dire un recueil de prodiges concernant les arbres3".

Selon cette science, les arbres étaient d'abord séparés en arbores infelices et arbores felices ; la catégorie d'arbres maléfiques était généralement constituée d'arbustes sauvages aux

baies ou aux M t s noirs ou encore dont la sève était rouge. Les Étrusques leur attribuaient une puissance redoutable. En revanche, les arbres dont les Fniits étaient comestibles et dont la sève était blanche constituaient les arboresj'èli~es~~'.

199 1. Lew-Bruhl, La mentalire pimirive, p. 13-24,

Ibid. p. 17. 301 Cf. F. Guiilaumont, <( La nature et les prodiges n, p. 50. Tarquitius Priscus. qui vécut a la même époque que Vanon, rcdgea des traités sur ta discpkz cmscu dont l'un qui e trait uniquement aux prodiges (Ushmtarim Tuscurn) et dont .iacrobt (3.7.2) est I'unique témoignage de son existence. Cf. H. Bardon, Lu linemmre latine :..A-......" . 1 D-4.- vl:"-L~;.,-L 1 0 4 9 .. 2 1 9 - 2 1 ,!, 4 l ~ b U l l l ~ ~ b . h. &, L & I d , &-A~-&-dh+--* A#--, p. 4 A - - 'O2 R Bloch. Lesprodiges. p. 67-68. Au sujet des difFërents prodiges qui concernent les arbres. cf Plie, NH, 17.241- 343.

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Dans ce classement, le laurier était incontestabkmcnt signe dt gioire et de victok,

comme le montre notamment son association constante avec la personne de l'empereur'03, alors

que la pousse d'un figuier était souvent synonyme de catastrophe et celle d'un palmier favorable. Toutefois, seia Jes listes et les c m & & i p d'arbres transmis .par Macrobe, on apprend que deux espèces de figuiers avaient un sens opposé, le figuier blanc était considéré fellx, alors que

le noir était considéré infilixJM. En revanche, les prodiges de palmier semblent avoir été toujours positifs ; ainsi, la miraculeuse arrivée d'un palmier, symbole de victoire, dans la maison de

Marcius (T.-L. 4 3 . 1 3 4 , avait sûrement comme but d'influencer sa prochaine nomination au commandement des troupes dans la guerre contre Persée, bien que le prodige ait été rejeté par le

sénat pour des raisons politiques. Cette même année, le sénat avait accepté deux autres prodiges de palmier : d'abord .le prodige d'un p a k qui avait poussé dans te temple de la Fwturre Primigenia (T.-L. 43.13.5) ; ensuite, le prodige relaté dans le fragment 38 de Pison (fragment 21)

ou un palmier annonça des victoires et des triomphes (Pline NH. 17,244)~~'. Toutefois, comme la

notice attribuable à Pison semble recouvrir uniquement Ja. propositiori infinitive du verbe prodidi?06 où l'annaliste mentionne que la pudeur fut bouleversée par l'apparition d'un figuier,

lien d'ailleurs probablement attribuable à Pline lui-même307, nous ne traiterons pas davantage

des prodiges relatifs aux palmiers pour nous attarder ii la tradition qui entoure le figuier et les dvdnements qui ont pu influencer l'apparition d'un tel prodige.

Les croyances concernant Ie figuier dtcoulcnt probablement d'une trks vieille tradition, - cela pourrait expliquer sa double propriété d'infelix et de felix -, tradition rendue en outre particulièrement complexe par le fait que le figuier fut l'arbre qui, selon la légende, protégea Romulus et Rémus lors de leur ailaitement par la louve. Par ailleurs, Rome était emplie de figuiers dont la fonction était de la préserver de la foudre ; 6 tous les endroits stratégiques de la

'O3 D'ailleurs, la famille julio-claudienne fut étroitement liée au laurier ; c'est ce que nous apprend Suéton Galb., 1 : « la vie de chaque César claudien s'accompagnait de celle d'un de ces lauriers, et l'arbre mourait, en même temps que celui qui l'avait plant6 ; et tout, basse-cour et bosquet, périt dans la demière d e du régne de Néron )) ; cf. J. Bayet, (( La croyance romaine », p. 46-47.

'04 J. Bayet, u Le rite du fécial D, p. 18.

'O5 B. MacBain, Prodip and Expiation, p. 30 n. 59. Dans le cas du palmier ayant pousse dans I'impluuium de T. Marcius Figulus, Tite-Live précise qu'il fut rejeté par le sdnat sous prétexte qu'il s'était produit dans un endroit pnvt (T.-L. 43.13.6). rnA W.

nuc iempsiuiihs prusiruiu e w h iwu j7i.w~ enum es1 M. Mésmiae C. îaw' censomm iusim, a quo irmport! pudicitiam subuersam Piso p i s rmctor prodidi.

307 Sur ia problématique du passage atbibuable B Pison, cf A Baudou, L. Calpuntius P~so, p. 408-410.

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ville, des figuiers avaient itd plantés : a aux carrefours les plus fréquentés, aux abords des sanctuaires les plus vuinérables ; sur le forum il y en avait jusqu'à trois : près du lac de Curtius, sur l'esplanade du temple de Saturne et au Comitium )) ; chacun de ces arbres, avec le temps, en

vintà se î%re &pet- par un smam .mc~e?08.

Ainsi, le figuier Ruminal reste le premier arbre à apparaître dans la légende car c'est

celui qui, en plus d'avoir accueilli les jumeaux, aurait protégé la louve nomissant Romulus et Rémus ; c'est également sur ,lui ,que dans certai.nes mprésentations .les oiseaux .apparaissent perchés. D'ailleurs, la plupart des auteurs anciens, à l'exception de Denys d'Halicarnasse,

mentionnent la présence de cet arbre dans la légende'09. Le figuier Ruminal, par ses liens étroits

avec la fécondité, la reproduction et l'allaitement, est devenu l'arbre de prédilection de la Iégende et, par le fait même, est demeuré important tout au long de l'histoire de orne^'^.

A ce sujet, J. Bayet mentionne que le (( rattachement de la vie d'un groupe ou d'un

individu à un arbre, c'est un phénomène tout à fait religiew souvent noté chez les " primitifs ",

tenace chez les Romains et qui subsiste encore dans le folklore » de certaines rkgions3". Que le

figuier ait eu une importance particulière dès les origines de Rome demeure un fait accepté de tous ; c'est ce que tend a prouver S. Reinach, qui mentionne la possibilité d'un culte très ancien du figuier en Italie, particulièrement dans le Latium et à Rome. D'ailleurs, le lien ne saurait être

fortuit entre le fondateur de Rome et cet arbre en particulier. En témoignent d'abord la Iégende

de sa naissance sous le figuier Rurninal, puis la commCmoration de sa mort le jour de la fête des

'O8 Le figuier Ruminal, sans doute le plus célèbre de l'histoire de Rome, tirerait son nom d'une expression locale rumis, cc qui signifjait mamelle, et dont la racine perce dans le verbe ruminare n ; ce terme aurait servi <( à qualifier le figuier a l'ombre duquel les moutons et les chévres venaient rununer ; ensuite, par déformation, il entra dans le cycle de la Iégende des origines romaines et passa pour avoir protégé la louve en train de donner la mamelle » ; 1. Carcopino, Lu louve rfu Capitole, p. 25-26.

309 D. Briquel, N Trois études sur Romdus D, p. 30 1.

"O Le choix du figuier dans la Iégende peut s'expliquer par sa sève blanchàtre qui ressemble au lait et par la survivance d'un culte trés archaïque qui liait le figuier à la sexualité, plutôt ferninine. Le 7 juillet, on célébrait les P I m e Cqrritiae, @te des fques saweges, oii les domestiques simulaient une bataille avec des pierres et s'insdtaient entre eux. Ce rite sembie avoir été un ancien rite de fertilité - peut-être justement parce ce que le jus des figues se rapproche de la texture et de la couleur du lait - qui se développa principalement chez les esclaves ; cf. Oxjord Classical Eictiomyy S. u. Caprotinu, p. 2n3. Au sujet des Nonae Caprotinae, cf. M . Lejeune, « Caprotina », Revue des &tudes Latines, 45, 1967, p. 194-202 ; P. Drossart, (( Nonae Caprotinae : la fausse capture des Aurores », Revue & I'HimRe des Religions, .l85, 497-4, p. 129-139. Dans son artide, D. Briquel melyse égttiement la représentation du figuier en tant que troisiéme fonction grâce au lien étroit qui le lie à la fertiiitk et a son association avec le lait dans la s&e de l'allaitement des jumeaux ; la louve, atmbut du dieu Mars, serait la digne représentante de ia oewiéme tonaion, aiors que ies oiseaux, par ieur vaieur auguraie, symboüseraient ia protection des &eux a Jonc la première fonction, la fonction souveraine ; cf. D. Briquei, <( Trois études sur Romulus n, p. 305-306.

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figues, enfin la valeur religieuse incontestable du culte de la figue et (I de la culture qui est née de ce culte [quiln'échappe pas à ceux qui cherchent dans les religions primitives, dans les survivances du totémisme végétal, l'explication des mythes et des rites où le figuier intervient

comme un é~ément~" )).

Cet arbre en particulier est donc empreint de valeurs et doté d'une importance particulière aux yeux des Romains ; ce caractère propre a pu conditionner son utilisation socio- politique dans des prodiges qui visaient à exprimer une opinion sur di.fférents faits. De même, malgré le caractère sacré incontesté de l'arbre, dans le cas du fragment 38 de Pison (fragment 3 l), le prodige apparaît plutôt avoir été une invention de l'auteur qui devait connaitre

ses attributs le reliant aux origines de Rome et par là aux valeurs ancestrales. Ainsi, par l'entremise de cet arbre, Pison aurait voulu exprimer son opinion sur un contexte politique

particulier ou sur un événement bien précis - si le lien entre l'apparition d'un figuier et le

bouieversement de la pudeur n'est pas une conséquence des modifications apportées par Pline au texte de l'annaliste ; néanmoins, une conjoncture particulière a sûrement amené Pison à

mentionner que, cette année là, la pudeur fut bouleversée.

La plupart des auteurs soutiennent que le fragment de Pison serait une référence directe à

l'opinion de l'annaliste, qui considérait son époque comme le ddbut de la ddcadence3".

Cependant, ces chercheurs ne s'entendent pas nécessairement sur les motifs qui auraient permis

B I'anndiste de déclarer que la pudicitio fut bo~leversée~'~. Selon ceriains .modernes, Pison

IL' S. Reinach, Cultes, mythes et religrons, t. 1, p. 109

I t3 E. Badian, a The Eady Historians D, p. 13 ; M. Sordi, (( La decadema della repubblica », p. 340 n. 12 ; cf A. Baudau, L. Calpurnius Piso, p. 409 n. 2 ; D. C. Earl, « Calpmtii Pisoties », p. 293, sur l'attitude de Pison concernant la censure de M. Valérius Messalla et C. Cassius Longinus. a He larnented the loose morals of the young and held that 6om the censorship of M. Valerius Messalla and C. Cassius Longinus in 154 pudicitia had been ovenhrow at Rome. The contemporary moral laxity, especially among the young nobles, engaged the attention of such diverse characters as Cato and Scipio Aemilianus. Piso may have trace the decline of private and public morality at Rome u d e r the pressure of the East n. il n'y a que E. Rawson, (( Prodigy Lists », p. 160, pour y voir un doublet d'un prodige de Tite-Live (43.13) qui eut lieu en 169 av. J.-C, où dans le temple de Forruita Primigenia, un palmier avait poussé dans une cour. E. Rawson base son étude sur l'apparition fréquente de doublets de prodiges chez les auteurs anciens. 314 Pour Pison, conservateur, le iuxe des théâtres et les m m qu'on y p@emait auraiern pu s u f i k h condamner son époque de décadente. En fait, le terme même de pudicitia était généralement utilisé pour déterminer la verni féminine et les théâtres apparaissaient comme des lieux ou la vertu cédait sa place B la débauche et à la corruption ; ils devinrent pour cette raison des lieux trés critiqués de la Rome du 2' siècle av. J.-C. A première vue. cette condamnation n'a rien d'extraordinaire, pour la majorité des historiens de l'époque pré-cicéronienne, la domination romaine était le h i t de ses vertus traditionnelles de cohésion, de persévérance et de pragmatisme. L'arrivée d'un théâtre, lieu de moeurs légères, aiiait inévitablement choquer certaines personnes plus conservatrices, car les

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aurait utilisé Ia date fictive de 154 av. J.-C. pour illustrer, entre autres, son désaccord avec

l'action des ~ r a c ~ u e s ~ ' ~ ou encore parce que l'année 155 av. J.-C. avait été tris tourmentée : d'abord par la guerre lusitano-celtibkre, ensuite par l'expulsion des Épicuriens de Rome, enfin

par la condamnation de quelques préteurs pour cause de p é c ~ 3 1 6 - Cependant, a utilisant ce terme, Pison a pu uniquement chercher à faire réfdrence aux deux censeurs M. Messala et C. Cassius qui avaient entrepris la toute première construction d'un theâtre en pierre317. Cette

construction fut toutefois détruite : il faudra attendre jusqu'en 55 av. J.-C. pour que Pompée construise le premier theotrutn iqideum, qui sera très critiqué par les vieillard^^'^.

Toutefois, le rapprochement systématique du prodige de Pison avec la construction du

théiitre est à éviter. Selon A. ~ a u d o u ~ ' ~ , l'opposition de l'annaliste face à sa réalisation peut être autant politique que morale car la construction de l'édifice avait déjà été vivement interdite par Scipion Nasica et avait même été interrompue. Par ce prodige, Pison, étant do& sa grande

rigueur morale, aurait plutôt condamné d'abord le fait que les censeurs aient pris seuls la décision d'ériger un théâtre, ensuite qu'ils aient probablement cherché à s'enrichir grâce a cette

même construction. Ainsi, le but premier de l'annaliste aurait été de blâmer l'autonomie de plus

en plus grande que s'appropriaient les censeurs et les autres magistrats aux dépens de la

population et de la République. Pison, très traditionaliste et d'une fitniUe OG tous auaient exercé des fonctions politiques trks importantes ne devait pas voir d'un bon ceil l'évolution du pouvoir

politique et de la RépubIique en général320.

fondements de la puissance romaine ne pouvaient qu'en être perturbés: en plus d'être un lieu de débauche, le théâtre apparaissait comme le symbole des valeurs grecques qui avaient défkitivement pénétrd Rome. CE N. Sordi, (( La decadenza deUa Repubblica », p. 336-340 ; N. Berti, « La decadenza morale », p. 147-148 ; A. Baudou, L Calpinnius Piso, p. 4 13 ; A Novara, Les idées romaines sur le progrès, p. 160.

"' S. Maaarino, il-pmii?ro sfuri'co, p. 1 13- 1.14 ; A. .W. .Limm, (( -Imperia1 .Expansion n, p. 628-629 ; d k .Baodao, L. Calpurnius Piso, p. 4 10-4 1 1.

'16 N. Berri, « La decadenza morale D, p. 146-147 ; cf. A Bwdou, L Calpurnius Piso, p. 41 1 .

'17 Au sujet de la consuuction d'un théâtre par M. Messala et C. Cassius, cf. : T.L. Per. 48.25 ; Val. Max. 2.4.2 ; Oros.4.21.4 ; Aug. CD., l.3.1-33.

''' Tac. Am. 14.20-21 : (t En effet, il y avait des gens pour rappeler que Cn. Pompde, lui aussi, avait encouru les reproches des vieillards pour avoir construit un théâtre permanent : car auparavant des gradins improvisés et une scène élevée pour la circonstance suffisaient habituellement pour donner des jeux, ou même, si l'on remontait plus haut le peuple y assistait debout, par crainte que, s'il restait assis au théâtre, il n'y passât toutes ses journées a ne rien faire D ; cf. A Baudou, L. CaIpuniius Piso, p. 413.

'19 A. Baudo y L. Calpurnius Piso, p. 415.

"' La plus grande faiblesse de cette hypothèse est sans doute de mal justifier l'utilisation du terme pudiciiia. Cependant, A Baudou, L. Calpuntius Piso, .p. 415, sugg4re que le fiagrnent .peut n'être qu'un résultat d'un abrdgé que Pline aurait fait des A d e s de Pisoq ce qui expliquerait cette confusion au sujet du terme. La connotation

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Peu importe les raisons qui ont pu motiver i'armaiiste a citer cc prodrge, il m b k que comme conservateur, vivant dans une époque où les mœurs traditionnelles étaient appelkes à

changer, le choix du figuier, symbole de la fondation de Rome et par là reflet possible des wides traditians et des mœurs anmtrdes, pouriilillustrer soa h o r d concemant I'evduticm de la République, semble judicieux.

davantage morale que politique de ce prodige tel que nous le livre Pline serait dors non pas imputable a l'annaliste, mais au naturaliste, bien que la notion de décadence morale puisse sembler avoir é î B mise en valeur par Pison.

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LES PRODIGES ET LES FEMMES

Les deux derniers prodiges que nous aborderons nous ont semblé pouvoir être rapportés dans une tierce partie parce qu'ils concernent avant tout les femmes et résultent, dans les récits qui les relatent, de l'action de celles-ci. Nous nous attacherons tout d'abord à cerner les raisons qui ont pu amener les anciens a croire en ces prodiges ; en effet, il paraît difficile, dans le cas notamment des prodiges impliquant des statues, d'évoquer la sunivance d'une mentalité tres ancienne qui permettait la foi en de tels événements irrationnels et merveilleux. -Ii nous amnbté pertinent également d'insister sur l'importance de l'élément féminin dans ces narrations, puisque sont fort rares - et donc particulièrement révélateurs - dans les textes historiques romains les récits conférani aux femmes un d e de premier pian.

4.1.1 Statue qui parle

Denys (Fra-ment 22)' suivant les écrits des Pontifes, présente le prodige de la statue de Coriolan comme un reflet de la reconnaissance des dieux envers l'action des femmes. Ainsi, des deux statues construites, l'une par le sénat et l'autre par les femmes, et consacrées en l'honneur de la ~orrwie'~', la statue dressée par les femmes s'exprima a deux reprises et dit : (( Femmes vous m'avez consacrée selon les rites religieux de la cité ».

"' ii est question du temple de Fortuna Muliebris, ediC sur la uia Larina pour honorer l'action des femmes hce a Coriolan ; cf Fest. p. 282L ; Vir-ill. 19 ; Val. Max. 1.8.4 ; la statue parla le jour de sa consécration, c'est-a-dire le 6 juillet 484 av. J.-C ; cf. M. Chassignet, L ' u n ~ l i s r i q ~ e uncienne, p. 8 n. 2 et 3.

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.Les prodiges dc statues ont +ti tris ttumbrtux dans l'antiquité ; it caractère sacré de ia statuaire a Rome, quelle que soit la représentation, animale, humaine ou divine, encourageait certes l'observation attentive des signes matériels susceptibles d'être interprétés comme

l'expression d'uu message des dieux Néanmoins, db le premier siècle après 1.-C, Plutarque (Cori., 38.2-3) donne plusieurs explications rationnelles au sujet de ces prodiges ; il admet que

certaines statues peuvent parfois donner l'impression de (( suer, verser des larmes et Iaisser échapper des gouttes de sang D, mais que ces manifestations ne sont que le rksultat de l'altération

du bois ou de la pierre qui contractent souvent une moisissure, génératrice d'humidité, [et qui]

preanent ainsi d'eux-mêmes plusieurs couleurs et reçoivent aussi des teintes de l'atmosphère qui les environne ».

Plutarque, sans remettre en cause l'existence même des dieux, insiste .largement .sur ie caractère naturel des prodiges ; ainsi, selon lui, parler de statues faisant entendre leur voix,

« c'est vouloir nous faire croire des choses qui ont bien l'air de n'être jamais arrivées, et

difficiles à admettxe N (Cori 38.1 ). U justifie sa .pensée ea .aff;rmant (Cori. 383.) que les brui.ts

ou les gémissements provoqués par une statue, peuvent ètre le simple fait d'une rupture ou d'une dislocation « un peu violente de ses éléments intérieurs ». L'auteur semble refuser catégoriquement la possibilité qu'une statue ait pu parler si nettement : (( qu'une voix articulée,

une parole si claire, si remarquable et si nettement prononcée se produise dans un objet inanimé, c'est absolument Unpossible, puisque même notre âme et la divinité elle-même ne se font pas entendre ni ne parlent sans l'aide d'un corps qui leur sert d'instrument et qui est pourvu des

organes de langage )) (Cori. 38.3).

Face à une logique si fortement affirmée, on ne peut évoquer, comme nous l'avons fait

précédemment dans d'autres cas pour justifier la croyance portée par certains à ce type de phénomène, la présence persistante d'une mentalité ancienne qui aurait prêté crédit aux récits.de statues qui parlent ; nous préfirons y reconnaître la simple crédulité naïve d'une minorité de

personnes de cette époque. Néanmoins, une constatation s'impose : généralement, les prodiges

de statues anivent lors de périodes troubles et, dès lors, peuvent êîre seliés a des m a m a historiques Ces périodes troubles pourraient avoir comme effet de favoriser une exaltation collective, incitant à croire aux moindres signes exterieurs délivr4s par les dieux,

'*' Tenons pour exemples la statue de Mars qui uanspiie pour manifester son inquiétude lorsque Hannibal pénétra au de l'Italie (T.-L. 22.1 ; Flor. 2.8) ; celle d7Héracles iî Sparte tout juste avant la defaite des Leuctres (Cic. De

du.. 1.34) : celle d10rph6e avant le départ d'Aiexandre pour 1'Asie (Anien 1.3) : une statue qui pleure lors de l'assassinat de Cdsar (Virg. Géor., 1. 480) ; la statue de Jupiter sur Ie Mont Albain qui saigne avant la bataille de Philippes @ion. 47.40) et ceiie d'Antoine avant la batde d'Actium (Dion 50.8) ; cf. A. Neyton, Le merwillelcx religiaa, p. 106.

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particuiitrtrmnt les signes dtiiwés par l'inttrrnidiairt de ieurs rtpris«ltations : les statuts ; ce constat est d'autant plus plausible qu'une corrélation est évidente entre les apparitions de prodiges beaucoup plus nombreuses lors de périodes historiques inquiétantes. Dans le cas de

notre fragment, la crainte engendrée par la tmi4kk de Cmiolan a certainement influencé le désir de remercier les femmes et de se concilier à nouveau la faveur des dieux. Cet homme, noble représentant de la vertu romaine lorsqu'il battait les Voisques au terme d'une longue guerre, fut

capable de venir assiéger la ville où résidaient sa femme et sa mère peu de temps après ses grandes et nombreuses victoires au sein de l'armée romaine : on voit combien, dans l'esprit des historiens relatant ces faits, le bouleversement des valeurs était grand et appelait une remise en

ordre drastique et spec+açulaire.

Il est avéré que ce récit, tel qu'il nous est livré, où les grandes vertus traditiomHes romaines se regroupent chez un seul homme dont seules les femmes ont su modérer le

tempérament, est inventé de toutes pièces. G. Gag& dans une étude consacrée au rôle des

femmes dans 1 'histoire romaine, a fait ressortir la ressemblance entre ia ~ n a ~ c h e des femmes qui se rendent auprès de Coriolan et une marche qui apparait ètre une ambassade patriotique N qui serait en fait le schéma d'une intervention matronale de type ancie~?'~ ». Il fait également un

rapprochement avec la figure traditionnelle des femmes, qui demeure conventionnelle, car (( la cérémonie [transposerait] une cérémonie du type d'une supplicario élargie, célébrée d'avance dans le cadre du culte de Fortuna ~ u l i e b r i s ~ ~ ~ D. Enfin, il conclut son hypothèse qui veut que ce

récit soit une création volontaire des historiens en précisant le parallèle envisageable avec le récit de I'enlkvement des Sabines où, dans certaines versions .dont celie -de Tite-Live (1:1l.2),

une femme seule, Hersilia, prend la décision d'aller au-del8 des hommes pour régler le conflit ; dans notre récit il s'agit de Volurnnia (ou valeria))'*. Dans les deux cas, les femmes entraînent

demkre elles plusieurs autres femmes, ce qui po-t être une aittre preuve que les - interv~hns

323 J . Gagé, Manonalia, p. 1 1 1

324 Cme cérémonie avait comme terme et objectif le sanctuaire s i i e A quatre d e s de Rome, sur la voie latine, elle suivait un parcours ddfini, I'agmen mulierum, établi des le départ selon un schéma de culte précis. J. Gagé, Manonalia, p. 112-1 13.

12' D'ailleurs, le fait qu'une femme de la gens des Yalerii ait fait la première la demande d'aller au devant de Coriolan peut êire interprété comme un autre signe du maniement de ce récit qui deviendrait alors un autre moment historique tourné à i'avantage de la gens des Vulerii. Mais selon TitaLive, les femmes ont pris l'initiative seules d'aller au devant de Coriolan, on ne peut donc pas ètre persuadé que ce récit fut écrit dans le but de glorifier cette célébre gens ; cf C. &rmann, Rôle-politique a h c i a i t e &sfms, p. 28-29.

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matronales les plus patriotiques itamit msh Êtrc txtctttics de cette façon : un muvem«it

qui entraîne les femmes de façon contagieuse326. L'idée que ce récit est une création volontaire des annalistes ressort également dans une

rikente dûde de KMert q.u me$ en pamllde I'idéalw'e a i p d e et l e réciI & Catiolan.

L'auteur tente de démontrer que l'événement prend tout son sens à @avers les trois célèbres fonctions de G. Dumézil et qu'au côtC de Coriolan, représentant de la deuxihme fonction, se dresse la troisième fonction, symbolisée par les femmes. Ainsi, Coriolan, guerrier inexorable qui

ne connaît quc la victoire, illustre les anciennes traditions où les valeurs guemères sont mises au

premier pian ; mais il fait défection a sa patrie et trahit son peuple par des élans de démesures inexplicables. En revanche, la solution au problème se trouve dans la troisième fonction, une fonction à l'origine brimée, qui est pourtant la production, donc la pkbt-(dont Coriolan a ravagé les terres)327.

Si les annalistes cherchaient à illustrer le conflit entre les patriciens et les plébéiens, le

personnage de Coriolan était particulièrement bjea chaisi, car il s'oppasa à toutes Jes revendications de la plèbe et lorsque la plèbe obtint ses tribuns, il désapprouva le fait « que la

puissance du peuple [soit] accrue par les concessions de l'aristocratie D, et que (( le peuple étant dangereux et séditieux par nature, il faut le jugule?28 D. Toutefois, le rôle et la présence des femmes pou. illustrer l'écart entre les plébéiens et les patriciens restent obscurs. Dans la pièce

de Shakespeare inspirée de l'histoire de Coriolan, R. Robert voit davantage « des images féminines complexes, qui mettent [encore plus] en hidence le paradoxe fondamental des valeurs guerrières : sous la violence et la brutalit6 impitoyable, une vulnérabilité -essentidlement

marque le héros32g >). Peut-on appliquer cette remarque au passage de Plutarque ?

Certes, lors de ce conflit, la ville de Rome fut très désarmée et devant un nouveau problème dont elle ne co~a i s sa i t .pas la solution; une nouvelle figure, soit les femmes, qui personnifiaient les traditions familiales et les temps paisibles, a pu alors être préférée à la plèbe

326 J. Gage, Matrottalia, p. 114. Nous nous écartons donc de l'hypothèse trop exclusive de C. Hermann qui voit dans cet événement un réel reflet du.patriotisme des femmes qui auraient pris la route vers Coriolan pour l'amour de leur patrie. Eue fonde son hypothèse sur ces paroles de Plutarque : ((Nous sommes venues comme femmes vers des femmes, sans sénatus-consulte ni décision consulaire ; c'est notre dieu, semble-t-il, qui, ayant pris par pitié nos supplications, nous a inspiré L'idée de nous tourner vers vous et de vous demander le salut pour nous et pour les autres citoyens et aussi de vous persuader d'acquérir une gloire plus éclatante que cele des filles des Sabines, iarsqu'elles d e t u -leurs pérs et leurs-maris & la gue~~e 4 J h& et A la paix )> ( C d . 33) ; cf C Hemnanq Le rdle politique et judiciaire des femmes, p. 28.

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par .tes .historiens -qui .ont -dû li~m a .la pbçttTitt, à la fbis .k cordit et l'atmospb de créée par l'opposition constante entre patriciens et plébéiens. Le choix des femmes pour illustrer

la 3Yonction et être les instigatrices de la concorde sociale semble judicieux ; de plus, les

contrastes ont été fortement accentues par l'utdisarim du pimmmge & C&h qui, en plus

d'être un implacable guerrier, n'avait été élevé que par sa mbre qui l'avait d'ailleurs forct à

prendre une épouse et à avoir des enfants3".

Les annalistes auraient donc écrit un récit suru canevas ~0~111 de -bus, mais .la .raison de

ce prodige 6 cet endroit particulier de l'histoire romaine et qui met en valeur l'action des

fcmmes demeure toujours inconnue. Certes, par l'apparition de ce prodige, Rome, a travers les

dcrits des historiens, a pu chercher à se concilier les dieux, car ces années étaient des années très

agitées p u r la ville qui, en plus de poursuivre les combats avec les Latins et les Volsques, devait

établir de nouvelles n o m s entre les plébéiens et les patriciens. Effectivement, la mème année

où Coriolan fit défection à sa patrie, la plèbe faisait sécession, obrigeant la plantation d'un clou dans un but expiatoire ; un c h a t de peur devait déjà habiter la vilIe. L'utilisation des femmes à

ce moment précis de l'histoire pourrait alors soutenir la concorde sociale, fondement mème de la République, et l'apparition d'une statue qui parle ce mème moment peut alors être perçue

comme un simple moyen d'appuyerhus &es e.i dereadreI'hiskue.plus édihnk

"O Plutarque, Cori. 4.5-6

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4.1.3 Rituel du ciauus

Le dernier prodige traité à l'intérieur de cette partie met également en relief une action

des femmes, mais l'ampleur de ce récit fut certainement conditionnée par un événement historique qui inquiéta la population au point qu'elle vit un prodige dans ce qui était le fait d'un

empoisonnement collectif. Pour la première fois dans l'histoire de Rome, des empoisonnements suscitaient l'intérêt public, jamais auparavant il n'avait été question de telles pratiques au sein de

la société ; ce qui pounait expliquer l'angoisse provoquée par ce phénomène que l'on qualifia de

prodigieux et qui obligea Ia nomination d'un dictateur clauuijigendi causa.

Au premier abord, il n'apparaît pas surprenant qu'une telle pratique, c'est-à-dire la

préparation d'un mélange mortel, ait été imputée a w k m m ; dans te monde romain, ks matrones étaient étroitement associées aux breuvages magiques : certaines drogues étaient

utilisées entre les femmes pour soulager des mattv féminins, certaines recettes étaient echangées

a fh de rendre les euf&ments mains doulourwx, ou encare p u r des raisans non physiques mais psychologiques, comme trouver (( le moyen magique de retenir la fidélité du mari n. Les rnclangcs mysterieuu, inconnus du grand public, étaient particulièrement présents dans le monde

féminin ; on soupçonne également l'usage de drogues féminines dans le culte de Carmenta et

dans celui de Bona ~ e o . ' ~ ' . Ainsi, il semble aisé d'associer le poison aux femmes, ce que tend également à corroborer I'étymologie de uenenum terme dérivé de uenus, « charme magique », qui, avec le temps, développa un sens plus péjoratif et évolua pour désigner également le poison3".

L'empoisonnement dont il est question dans notre fragment Fut considéré comrnz

extraordinaire et sùrement comme l'effet d'esprits possédés, car il nécessita la nomination d'un dictateur pour planter un clou dans un but expiatoire. La plantation du clou est l'un des pIus anciens rituels de Rome. A travers cet acte, se dégageait une idée de préservation « en même

temps qu'on y voyait le symbole de ce qui était désormais nécessaire et irrévocablement fixé3j3 n. Tite-Live (73.5) évoque cette antique loi sur la plantatron d'un clou :

"' I. Gage, .Llarrornlia p. 158-259. ..- "' ib id . p. 25 7.

'" Ch. Daremberg, Edm. Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, Graz, Austria : Akademische Druck, 1969, S. u. clmus. p. 1240.

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i( Ii &e une b i anciffyte, &rite en lettres et mots ~dmfques, qui veut que le préteur suprême plante le clou aux ides de Septembre. Elle fut autrefois a5chée sur le flanc droit du temple de Jupiter très Bon tris Grand, du côté du sanctuaire de Minerve. En ces temps. l'écriture était rare et ce clou servait, d i a , à marquer le nombre des années. Comme la numkration est une invention de Minerve, on avait dédié Ia loi au temple de la déesse v .

L'historien continue son -cxpost en affirmant que cette couturnt txistait tga)emtrrt à

Volsinies. En effet, cette pratique serait d'origine étrusque : le clou était l'un des attributs des

divinités du destin, comme le prouve la gravure d'un miroir qui représente une Parque, Atropos, tenant d'une main un marteau et de .l'autre ua c i q pr2î.à ètre enfmcé àgraximiîé d'une bure de

sanglier, et qui fixe l'heure fatale où Méléagre et Adonis vont mouri2". Cette tradition

proviendrait donc directement des Étrusques, car a Volsinies, dans le temple de Nortia, déesse dont le pendant romain est la Fortune de Prtneste ou d'Antium, on pratiquait le rituel annuel de la pIantation du clou qui servait à calculer les années écoulées335.

La coutume aurait passé à Rome, probablement importée par les Tarquins ou d'autres Étrusques infiuents. L'histoire, telle qu'écrite par les annalistes, la fait remonter à la date précise

du 13 septembre 508 av. J.-C., lors de la dédicace du temple de Jupiter Capitolin inauguré par le

consul M Horatius. A l'intérieur de ce temple, un clou était planté dans le mur séparant la cella qui abritait la statue de Jupiter de celle qui abritait la statue de Minerve. Toutefois, l'usage de la plantation du clou, tel qu'il est décrit par Tite-Live (7.3.9, nc tarda pas à dépasser te cadre de la

tradition pour revenir en d'autres occasions, exécuté alors par un dictateur nommé spécialement claui jîgendi causa, car le rite ne pouvait être accompli que par le magistrat qui avait la plus

haute autorité de a orne^^^ ; non pas systéniaiiqiiemeot chaque année, .mais seulement lorsque de

graves calamités frappaient la ville.

Les auteurs anciens ont mentionné quelques cas qui nécessitérent cette plantation : entre autres, en 493 pour mettre fin A l'agitation de la Rtpublique alimentée par la sécession de la pltbe, en 363 (T.-L. 7.3. 3 4 ; 8-9) pour une peste - au sujet de cet événement, Tite-Live semble dire que le clou fut planté aprb qu'on eut tenté plusieurs moyens possibles pour enrayer l'épidtmie : « Cependant l'institution de ces jeux scéniques, faite pour conjurer les craintes religieuses, ne soulagea ni les esprits de ces craintes, ni les corps de kurs maux [. . :] comme -si

Miroir de Pérouse qui se trouve au musée de Berlin ; cf. E. Gerhard, Eir. Spiegel, U, 176 ; R Bloch, (( Religion romaine du VI' au Ve siècle av. J.-C. », p. 353.

33s T.-L. 7.3.7 ; Festus, S. n. c h u s m i i s ; d'ailleurs, ce rite p d q u é dans le temple de Nortia &ait siirement trés p@ûkè C i pid'ufid6üiciii aiid d ~ i ici U&iiuris, GW UI&< ia d ~ u u ~ u u r ~ dc: in vi% cfi 2% ü v . ;.<., dis inscriptions attestent que le culte exista jusque sous l'Empire. Cf. J. Heurgon, « Cincius », p. 436, n. 19.

J. Hmgon, « Cicius D, p. 433.

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.ks d k t ~ ~ SC clétoumaitnt désannais àe .Rome et dédargnaknt .les moyens d'apaiser leur colire (7. 3.1-2) )) - ; enfin, en 331, après de nombreux empoisomements - l'événement raconté par Ie

fragment 27Ch des Annales (fragment î3)337.

Les occurrences du ciauus annalrs dans I ' h o i r t de Rome tendent à démontrer deux

traditions réellement distinctes : depuis 508 av. J . 4 . la plantation t r a d i t l o ~ e k et périodique du

clou, et la plantation plus tardive, exigée en cas de peste ou de graves malheurs, comme la

sécession de la plèbe. Nohm que ces deux ~~ avaient le même but, soit celui de canfiner

dans le passé les mauvaises puissances338. En fait, outre les cas d'apparition de peste, on décidait la nomination d'un dictateur pour planter un clou uniquement lorsqu'on constatait un moment

de folie générale, ou plutôt une maladie d'esprits possédés. Cette plantation avait le pouvoir d'expier les esprits aliénés par la discorde, un danger passé, ou encore la faculté de présemer la

société d'une folie analogue339.

Dans le cas de notre fragment (fragment 23), le caractère prodigieux de l'événement

dCpend principalement du fait que selon Tite-Live (8.18.1 1) et Valère Maxime (2.5.3) c'était la première fois que des empoisonnements étaient révélés au grand jour 4 Rome. Toutefois, une

tension générale déjà présente dans la ville a pu influencer le fait qu'ils furent considérés comme prodigieux. Mais l'insistance de Tite-Live au sujet de ce moment provoqué par une folie

collective nous incite à ne pas vraiment mettre en doute le fait qu'il yeut dts -empoisonnements,

du moins des morts suspectes a orne)^'. De pIus, lors des nombreux empoisonnements, Tite- Live explique la situation par (( le fait d'esprits possédés plutôt que criminels )), ce qui justifie la

nomination d'un dictateur clauifigendi cauw et ce qui rehausse le caractère mystique du récit

j3' Mentionnons que l'histoire livre d'autres conjoncmes qui nécessitaient un tel rite ; Pline signale que pour lier la maladie, le clou était 4galement utilisé ; il conservait Ie même pouvoir fixateur. Ainsi, .pour arrêter le grand mal - une crise d'épilepsie - il sufisait de planter un clou de fer a la place ou la tête du malade avait h p p é le sol la première fois (28.63) ; c'est également (< pour b e r la mort qu'on plaçait des clous magiques dans des tombeaux D. Ces derniéres pratiques confirment une autre fois l'idée générale de la plantation du clou, symbole de ce qui était dkîïnitivement h6 ; cf J. Annequin, L 'action magique, p. 21. 33 9. Heqon, « Cincios n, p. 433.

jJ9 G. Poma, « Le secessioni », p. 41. Cf. également R Bloch qui mentionne qu'A l'origine, ce type de rituel pouvait hre principalement destiné Q a écarter les maux, a immobiliser en quelque sorte les forces mauvaises, en particulier i kome ies épiaPrnies meurtrieres v , et qu'un rite ayant exactement ies memes objectifs se trouve egaiement ciicz d'autres peuples ; cf. R Bloch, (( Religion romaine du VF au V décie av. J.-C. », p. 352-353.

'40 C. Hemnann, R6le politique et judiciaire des femmes, p. 47-48.

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.En fait, -ces d m s amrtts, .le climat pahqut dcmtmait assez tendu : b gu«rts coutre les Samnites, les Gaulois, les Campaniens, les Latins et les Sidicins se succédaient sans relâche

et ne laissaient aucun répit à la cité. Les autorités de Rome, rendues méfiantes par Ies

nombreuses guerres, furent sans doute portdes à interprétet l'événement par J'intermédiaue d'un certain mysticisme et à exiger un rite qui était censé fixer dans le passé les mauvais esprits. Cependant, aucun événement précis ne semble avoir suscité un intérêt particulier chez les

historiens cette année-là, du moins, un intérêt assez important pour justifier une crainte étonnante de la part des autorités romaines. On est donc tenu de supposer que le récit s'explique

davantage par la présence des femmes dans laquelle réside l'idée de concorde ~ocia1e'''~ue ddfendait toujours l'historien de Padoue.

Néanmoins, au début du siècle, S. Reinach soutenait une autre hypothèse, affirmant que ces empoisonnements apparaissaient plus comme le reflet d'une ordalie volontaire. Il fondait son

argumentation sur le fait que cette histoire parait plutôt n'être qu'une pure reconstruction de

Tite-Live et que le récit, tel qu'il nous est parven y était en soi impassible : d'dard parce que des matrones n'auraient eu aucune occasion d'apporter des boissons quelconques à des hommes qui n'étaient pas leur mari ou de proches parents, et que s'il y avait eu un lien de parenté entre

les morts et les empoisonneuses, Tite-Live, ou la tradition, l'aurait sürement mentionné ; ensuite parce qu'il réfute l'idée que des matrones eussent choisi d'elles-mêmes de boire un poison en

plein forum. Aprks cette énumération d'éléments irrationnels, qui constituent le récit de Tite- Live, il justifie la place du récit dans l'œuvre de Tite-Live par trois explications plus logiques : en premier lieu, par la mort de certains hauts hommes d'état la ande causée par une N épidémie naturelle, attribuée par ignorance à des empoisonneuses D ; en second lieu N comme il n'y a pas de poison A l'œuvre, l'histoire des poisons découverts chez les femmes est une invention H ; en îroisieme lieu, (( camme les femmes accusées meurent empoisonnées en .public, c'est qu'on leur a imposé l'ordalie par le poison en les mettant en présence de drogues létifères (qu'elles n'avaient naturellement pas fabriquées)3" 2,.

Cette hypothèse a comme premidre .hiblesse de se .fonder sur -plusieurs cub1.i~ -possibles des auteurs anciens, ou déformations historiques volontaires (ce qui n'est toutefois pas

impossible comme nous l'avons vu prkédemment), et comme deuxième faiblesse, de ne pas tenir compte de la fabrication du poison par les femmes, alors que le lien entre ces dernières et

342 S . Reinach, Cultes, mythes et religions, t . iiI, p. 261 n. 1. Pour le développement de cette théorie, p. 257-261. Au sujet de l'existence et de la pratique de l'ordalie dans le monde romain, cf C. St. Tomulescu, (( Les ordalies ».

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sa fiimca$im &ait assez ais6 dans I'arttiqmtt. Par contre, dk explique plus faciiernenr la nomination d'un dictateur clauuifgendi causa, rite qui fut souvent exigé, nous l'avons vu, lors de l'apparition de peste.

Mais au même titrtqae -ta sécession -de la pkk .qui qdmtat un .grave banger pow te nouvel équilibre de Ia République, l'entreprise des matrones aurait pu devenir un danger pour l'État, ce qui apparaît amplement s ~ s a n t pour exiger la nomination d'un dictateur chuifrgendi

cama ; dans cette optique, la nécessité d'accomplir le rite du clauus avait probablement comme

finalité de recouvrer la concorde sociale, fondement même de Rome. Cette plantation du clou pourrait alors être étroitement reliée à la politique ou plutôt au bon fonctionnement de cette

deniière à Rome. En fait, c'est souvent la disparition de cette même concorde sociale - causée par de longues guerres, des trahisons ou encore des conflits internes - qui semble avoir motive l'apparition de plusieurs prodiges.

Un lien entre ce prodige, qui a exigé la plantation du clou, et la politique, est d'autant plus envisageable que Tite-Live précise que seuls des magistrats ou d'anciens magistrats (primores ciuitatis) furent atteints par de semblables maux causant leur mort ; la qualité, plus

que la quantité de morts, semble avoir été importante. Ce détail pourrait expliquer l'action des

femmes qui ont exécuté ces crimes et prouver quklks avaknt-avant tout dcs~objectifs politiques.

Ces visées des femmes constituent d'ailleurs l'une des principales hypothèses qui cherchent à

interpréter ce passage de Tite-Live. Toutefois, d'autres hypothèses sont soulevées et elles

reposent toutes sur cette même question : les femmes furent t-elles riellement à l'origine de cette discorde sociale ou en furent-elles plutôt les victimes ?

Pour sa part, J. Donaldson, au début du 20' siècle, soutenait sans modération que les

femmes avaient Cté la cause de tous les maux sociaux en affirmant que N les Romains savaient probablement fort bien pourquoi les femmes avaient recours à des mesures aussi violentes, et

qu'elles n'étaient pas disposkes à subir la tyrannie des hommes sans faire un effort, d'une manière ou d'une autre, pour y mettre fin343 ». A premiére vue, l'événement semble en effet trouver son explication dans un m é c o ~ m c n t massif dts fémmcs .qui aurait j u s t e .k &ir d'empoisonner des hommes d'état.

Dans les années 60, C. Herrmann soutenait a nouveau la thèse d'un mécontentement 344 . politique qui fut d'aillms a-iSs récemmem appayée par .R. .Barnan . Pour fonder son

hypothèse, C. Hermann met ce récit en parallkle avec de nombreux autres qui exposent des

343 J. Donaldson, Womm, Londrw, 1907, p. 90-91. ,Cf S. .Reinach, Cuites, mythes etreli@, t, p. 256.

344 R Bauman A., Woman and Politics.

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révoltes des k m , tt relie chacune de m nivoltes à d a de la loi des douze tables qui imposent des rkglements, généralement eès restrictifs, aux femmes345. R. Bauman appuie cette

thèse en précisant que ces femmes étaient d'origine patricienne, donc qu'elles étaient bien

placées pour revendiquer un pouvoir pdbque et qu'elles auraieni simplement renversé Je canait plébéiensipatriciens en imitant les plébéiens dans leur violence346.

L'hypothèse d'une révolte politique semble cependant irrecevable à certains, parce que, au 4e sikcle à Rome, comme ailleurs dans le monde méditerranéen, l'idée que des femmes aient pu seulement aspirer à un pouvoir de ce type semble inconcevable. Ainsi, J. Gagé, dans son

ouvrage sur les matrones romaines, constate que l'épisode surgit après une série d'années où la

pestilence avait fait des ravages à Rome, ce qui rendait la phiode particulièrement propice a l'acceptation de prodiges. D'ailleurs, selon cet auteur, le manque de considération d'une

possible « crise de la santé publique » aurait poussé plusieurs modernes A « indûment [convertir

ce récit] en fables politiques )) ; « devant la gravité d'un mal qui continuait de sévir D, les femmes auraient pl uîôt été des victimes, parce qu'elles auraient (( &ut circuler comme d e s des

recettes de potions pour le moins impudentes3" D, qui auraient malencontreusement causé la mort de hauts hommes d'État. ii conviendrait donc, pour une meilleure compréhension de ce prodige, d'inclure des éléments hypothétiques qui concernent la présence du poison.

Que la plantation d'un clou ait étt motivte par des esprits a l ih t s qui auraient fabriqué

du poison, ou par l'apparition d'une peste que la tradition a oubliée, ces deux hypothéses apportent une réponse au rituel demandé. Si on analyse plutôt le fait que ce passage soit qualifié

de prodigieux parce que ce fut dans I'histoire la premikre fois que des empoisonnements frappaient le grand public, la surprise et la crainte causées par la nouveauté ont pu suffire a faire

"' C. Hemann, la rdle politique et judiciaire &.sfemmcs. p. 30-35.

Yd R Bauman A.. Womm and Politics, p. 14. En fait, il est aisé d'irnerprher cet épisode comme étam le résultat d'une rdvolte féminine, car le prodige dont il est question ici apparaît être le premier d'une sirie de trois oii des femmes, .patriciennes, auraient volontairement empoisonnC de hauts hommes d'état. La seconde accusation eut lieu en 184 av. J.-C., lorsqu'une épidémie étrange se déclara A Rome et tua des hommes dont le pouvou politique était influent, entre autres, le préteur T. Minicius et le cansul C. Calpurnius Piso. A la suite de ce$ évdnement, baptisd l'affaire des Bacchanales, deux mille femmes furent condamdes. Elles auraiefi: riagi 21 la rigwùr de la répression des Bacchanales. La troisibe a r e eut lieu en 153 av. J.-C., lorsque deux patriciennes, Publicia et Licinia, empoisonnèrent L Posaimiiis Albinus et C W Aselius (T.-L. Per. 48 ; Val Max 6.3.8); ces deux femmes furent &hg16es. Dans cette dernière affaire de poison, leur révolte pourrait être expliquée par le fait qu'elles étaient des f e b très riches, patriciennes, donc que les Iois anti-féministes visaient particulièrement ; en plus, elles .. -3----.J.- A n-lc.-&.- A I l I - . . r -,.: "-4.. 1, -,- A.. -n.in+J A a I Q C : .i..niial 1- KAnrrLnr+e, n.n:a+ rl.1 1-iir ii a aruyuiiwib o A voru~iuuo ruvuiuy yu. p r r r ir i ivrr i uu uuiwur r u .ur vvyvw icd uurr~iui..cr r i - - i i r ur r r u

répression D. Cf. C. Hemnann, Rôlepolitique et judiciaire des femmes, p. 78-79 et 85.

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rtssortir k c a r a h presque uniqutmeni mm&cux de ce n 5 t . Dt &me, que l'on accepte l'une ou l'autre des hypothèses sur l'origine du récit - une réaction des femmes à l'égard de la politique ou le résultat d'une épidémie mal comprise -, la présence d'un prodige a servi de

justification à un drame qui dépassait l'entendement hiunain et les .&ans envers ce prodige, l'ordalie dans le cas de l'hypothèse de S. Reinach et la plantation du clou dans l'histoire telle

que livrée par Tite-Live, sont deux réactions que nous pouvons qualifier de primitives.

De plus, précisons que dans ce cas, comme dans celui que nous avons étudié précédemment, le rôle de la femme ainsi que ses intentions premières sembIent avoir été l'objet

d'une manipulation historique dc la part des annalistes, ct peut être même des historiens plus tardifs, mais sa signification profonde dans ces deux passages de l'histoire n'est pas sûrement établie. Il est possible d'admettre que l'image des femmes et son utilisation furent introduites dans l'histoire par l'intermédiaire de prodiges pour expliquer et justifier certains moments où la

concorde civile fut menacée, sans pour autant nier que les femmes aient probablement fait une marche de type supplicatio, ou encore qu'elles aient bu du poison en pkin forum. Ainsi, deux constatations semblent se dégager de ces deux derniers prodiges : d'abord, ces événements

prodigieux semblent avoir un réel fond historique ; ensuite les deux ont été modifiés de telle

sorte que les actions des femmes (et les conçéquences de ces actions), sajent au cœur de ces modifications.

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Condusion

Malgré nos efforts, cette recherche ne p u t que demeurer une étude incomplète, car nous

ne pouvons parfaitement connai~e l'esprit de Tite-Live, de Cicéron ou de Denys, Iorsqu'ils citent les prodiges des annalistes - sauf en de tres rares occasions où l'on peut comparer le

traitement des faits - , et moins encore l'esprit des annalistes Iorsqu'ils les mentionnèrent eu.- mêmes dans leurs œuvres. Ainsi, lYempIoi du merveilleux a été influencé par la période ou chacun d e annaliste écrivit son histoire, mais également par la personnalité de chacun d'eu't :

chez Fabius, le premier à écrire le récit des origines de Rome, l'histoire et le fabuleux

s'entrecroisent au gré des besoins. Un courant plus rationaliste se fait davantage sentir rl travers

l'œuvre d'Hémioa, auteur du 2' sikde qui cherchai1 avant tout a j d e r Jes institutions i partir

des origines. Antias, auteur qui appartient à I'annalistique récente, en vient, par manque d'esprit

cntique, a livrer diverses versions et à se rattacher à la tradition tout en ponctuant ses Annules

d'anecdotes et de sensationnalisme. La période et le caractère des écrivains ont donc été

déterminants dans le choix qu'ils firent de relater tel ou tel prodige. De mtme, pour chaque auteur postérieur aux annalistes, qu'il soit historien ou pmmairien. la préférence d'inclure un fragment en particulier au lieu d'un autre devait également être infiuencée par des opinions

personnelles. C'est la justification de ces pref~rences qui nous contraint a demeurer

continuellement ûibutaire du passé. Toutefois, par cette recherche sur la récurrence des prodiges, leur place dans t'histoire et

surtout les mditions qui les entourent, nous avons renté de mieux saisir Jeur Swan par les auteurs. Les quelques fiagents des annalistes qui nous sont parvenus et qui ont trait au merveilleux semblent dresser un tableau cornpIet de l'utilisation et de la perception des prodiges

sous la République : la manipulation aisée, qui permet d'incorporer les prodiges au cours naturel de i'histoire, reste soumise à une peur ancienne de certains phénomènes naturels mal expliqués.

Il nous a dès lors été possible de diviser les prodiges en différentes catégories bien

distinctes. En premier lieu, nous avons isolé les prodiges de fondation qui ont servi a justifier, a embellir et à donner une plus grande crédibilité a une histoire que Rome jugeait trop récente. En second heu, nous avons traite des prodiges célestes qui, tout en étant étroitement relies a la religion, ont seni de justification tant a u valeurs romaines qu'a la grandeur de la ville et de ses ~ z d e s gonsaz ; CS prcdigpf, ims d'iine C C ~ ~ E C ~ d x ! !z m^nipfl!ri!inn ?s!riit y~!g?k~mr~!f zi*

ont, encre autres, permis à Rome de s'approprier des dieux qui n'étaient pas les siens. A côté de

ces phénomènes merveilleux intégrés à une science complexe dont l'interprétation dépend

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généralement de cette de&, app;narssent d ' a ~ prdrgcs, provenant d'um nature mai comprise et résultant souvent de vieilles croyances qui persistent et dont Ia manipulation par des intellectuels demeure encore sous l'Empire. L'étude de Ia prksence de ces prodiges dans

J'bistoire et le .pouvair qu'ils exerçaienî au sein & h population f ient davantage abordes dans la troisième partie de cette recherche. D'ailleurs, ces prodiges s'expliquent régulièrement par une étude plus approfondie du contexte historique dans lequel ils sont apparus ; enfin, c'est ce même contexte historique qui nous a permis d'analyser et d'interpréter, au meilleur de nos

connaissances, les derniers prodiges de cette recherche et qui concernent particulièrement l'action des femmes.

Chacune des catégories a ainsi des spécificités très particulières. Les prodiges de

fondation ont permis de créer les ltgendes qui décrivent les premiers temps de Rome. À ce sujet, J. M. remm mer^"' affinne qu'il existe deux sortes de mythes : ceux qui sont empruntés

intégralement aux mythes grecs (comme le mythe d'Hercule) ou aux mythes d'autres civilisations, et ceux qui sont nés du désir de se créer des antéctdents. A Rome, ce processus fut

notamment mené à bien grâce à l'utilisation des prodiges par les annaIistes. Cette première

fonction des prodiges, destinés, en plus de le créer, à justifier un passk trop récent, nous éclaire aussi sur le contenu de la notion de mythe pour les Romains ainsi que sur la manière dont l'histoire était transmise et modifiée.

Réguiitrtmcnt, Ics Romains considéraient comme prodigieuses uniqucmcnt des parties

isolées, trop merveilleuses, a l'intérieur des mythes eux-mêmes ; parce que profondément intégrkes dans une mémoire collective, les traditions, vieilles de plusieurs siècles, ne pouvaient

réellement être remises en question dans leur ensemble. Mais grâce au merveilleux, les premiers

annalistes ont su rallier leur patrie A d'autres peuples et ennoblir leur histoire nationale. Lorsque les bases de la République, et surtout celles du pouvoir de Rome, furent bien.étabks,.l-cs auteurs

postérieurs ont pu plus aisément délaisser certaines parties qu'ils jugeaient trop fabuleuses. Toutefois, le rôle des premiers malistes était d'abord de bâtir et d'expliquer la puissance sans

cesse croissante d'une nation montante; pour ce faire, iis ont .puisé autour d'eux ce qui semblait

le plus adéquat.

Le deuxiéme type de prodiges est demeuré plus étroitement relié A la parole divine par le fait que les prodiges qui le constituent &aient tous intégrés A l'intérieur d'une science augurale

complexe, science empruntée aux Étrusques et dont la fonction principaie était d'interpréter la parole divine. Comme ces prodiges n'étaient qu'un reflet de cette parole divine, les Romains

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n'ont tu qu'à interpréter ces rnanifkstatiom en kur faveur ; tts prodiges en v i m t alors 4 représenter un simple signe divin supplémentaire venant confirmer tant le pouvoir de leur nation

montante que celui des grandes gentes qui la constituaient. C'est ce que tend d'abord à prouver

l'utilisation faite de la science augurale et de l'étude de l'appantioa des oiseaux dnrir les

significations étaient aisément remaniées. Nous avons vu que la divination par les oiseaux était

orchestrée par des règles strictes où chacun avait sa signification particdiire ; à Rome, l'oiseau incendiaire et le hibou apparaîtront toujours néfastes, exigeant une purification de la ville alors

que le pic, digne représentant du dieu Mars, sera très souvent consulte afin de s'assurer la bienveillance des dieux pour une action à venir. Mais dans leur façon de consulter le ciel ou d'expier les mauvais présages oblatiua, les Romains firent en sorte la plupart du temps de se

concilier la parole divine, assouplissant une science très rigide pour la mettre au .servicc de Rome et à la hauteur de ses aspirations. C'est là d'ailleurs un trait typiquement romain que

d'apporter des modifications à certaines croyances afin de les rendre plus pratiques et plus

accessibles À ce sujet, G. Capdede dans un arh'cie consacré aux sacrifices expiatoires, faisait

remarquer que <( les Romains possédaient certes des principes rituels très stricts, mais [qul'ils savaient certainement jouer avec eux en cas de nécessité ; Numa leur avait donne à la fois ces

principes et les moyens de les adapter à la situation : ils n'ont oublié ni l'un ni l'autre de ses renseignement?" H. Sans modifier les principes immuables qui entouraient l'art de la divination par les oiseaux, ils les ont contournés de façon à être la plupart du temps en accord avec les

dieux. Toutefois, ces modifications ne visaient pas à diminuer les connaissances et le savoir des

Étrusques qui leur avaient transmis cette science, elles visaient d'abord à justifier les actions que Rome entreprenait. Cette propension à modifier la signification des prodiges est par ailleurs confirmée par la perversion exécutée relative au pouvoir de la foudre dans les récits pré-

Républicains ainsi que par la manière dont les grandes genres ont su s'immiscer à I'intérieur de

l'histoire officielle de Rome grâce à l'intermédiaire de ces mêmes prodiges.

De même, la science fulgurale, à l'origine étrusque, seMra continuellement à justifier des idéaux ou ii glorifier les grands hommes politiques romains au détriment des étrusques. De

plus, bien que le caractère sacré de la foudre ait été remis en question et même expliqué par certains philosophes et historiens tels Sénèque ou Pline, grâce à sa puissance et a sa force, les

attributs et les interprétations biaisées donnees aux foudres perdureront bien au-delà de la

République. Grâce la science augurale et à la science fulgurale, les deux déjà amplement

deveioppees par ies htrusques et qui tenaient une piace de choix h s ia reiigon romaine, ies

349 G. Capdedie, i< Substitution de victimes », p. 323.

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p r h g e s restèrent les meilkurs représentants dc .la ;im cies dieux en confinnant k pouvoir de Rome et la valeur héroïque de quelques grands hommes. Ces manipulations semblent

indispensables, car il était essentiel pour les Romains de rechercher l'accord des dieux et ce,

pour tous leurs actes ; ainsi, l'esprit pragmatique qui caractérise leur civilisation a rapidement trouvé les solutions nécessaires.

Le rationalisme montant à l'égard du merveilleux qui habite les légendes des origines et

même à l'égard de la manifestation d'autres prodiges. ne fut pas aussi populaire pour tous les types de prodiges. Ceux qui sont analysés dans la troisième et la quatrième partie de cette recherche tendent lu tôt à démontrer qu'à certains moments de l'histoire, leurs apparitions

restent étroitement liées à ce que nous avons qualifié de survivance d'une mentalité primitive, d'abord à cause de vieilles croyances qui persistent, telles celles qui entourent des animaux .ou

des végétaux, ensuite à travers l'utilisation de vieux rites, telle la plantation d'un clou ; très souvent, on constate que la croyance en ces prodiges résulte d'une nature mal comprke et qu'ils

surgissent l e pius souvent en cas de & sociale où Je ratianad ne suffit plus à foucnù des

explications.

Ccs prodiges, qui sont la cause de grandes craintes parmi la population, demeurent ceux

qui sont les plus difficilement explicables, en raison de cette même crainte que nous pounions qualifier de démesurée. Cette crainte, peut-être un reflet d'une pensée primitive, aurait dû

diminuer sous la République suivant la tendance générale au rationalisme montant. Pourtant, les croyances mystiques reliées à des phénomknes rares ou mol compris ont persisté au-del8 de cette tendance. Aidée par une crédulité collective amplifiée par des guerres, des pestts, des famines ou des graves problèmes sociaux, la parturition d'une mule ne pouvait que garder une

signification néfaste et ètre signe d'incroyables maux pour la société. La manipulation historique des prodiges se remarque également par l e fàit que Rome n'a pmak vu autant de .prodiges que dans ces armées temfiantes où les rites d'expiations ordinaires ne suffisent plus. Lors de ces périodes troubles, une vulnérabilité, qui n'est pas propre au caractère pragmatique et conquérant romain, influençait l'apparition de prodiges essentiellement néfastes. Cette vulnérabilité semble

même s'être transformée, dans le cas des prodiges qui concernent les femmes, en névrose collective, ti l'affût du moindre signe extérieur pouvant représenter l'état d'âme des dieux. Ces prodiges et l'angoisse qu'ils ont suscitée dans toute la population semblent être apparus

principalement lorsque la concorde sociale de Rome, fondement même de la République d nécessaire B son expansion, était menacée.

La multiplicité des prodiges et leur diversité démontrent également que Rome était

profondément religieuse et qu'elle chercha sans c m e la paix des dieux. L'accord des .dieux illustr4 ii travers les prodiges fait ressortir le rôle d'unification qu'ils ont joué ; unification

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d'abord parce que Rome devait constarmmnt s ' a f k à tous ks dieux, ttrslrite parcc que par

l'intermédiaire des prodiges, le futur Empire s'est uni à ses voisins comme à ses ennemis. Les

prodiges ont dès lors pu contribuer au maintien d'une unité psychologique à travers le monde Adque et même méditenaaden.

La création de cette unit& si elle fut volontaire, est susceptible d'illustrer un autre trait de

ce qu'on pourrait appeler le génie romain, car les prodiges, en plus de modifier le passé de Rome, ont servi -à jbl~t-i~fiir son .pdsent e t son fiihir, .transfomant leur signification -au gré des

années et des tempéraments ; et bien que plusieurs prodiges aient été le résultat d'une manipulation historique volontaire des annalistes et des historiens, orientée toujours au profit de

Rome, d'autres manifestations merveilleuses ont cependant soulevé la peur dans la population ; mais dans les deux cas, les prodiges sont demeurés un moyen d'expression, dont l'efficacitk a été constamment avérée par le temps .

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Certains o u q e s mentionnés en note de bas de page ont pour but de faciliter des recherches subséquentes : ils n'apparaissent pas dans la biblisgraphie finale parce qu'ils n'ont pas été consultés. En revanche, les ouvrages et les articles identiti& d'un astérisque ont été consultés pour cette recherche mais ne sont pas cités en note du fait de leur caractère plus génkral.

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