Essai "Montage et idéologie" - Théorie et pratique du Montage

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"« Le montage, en effet, ne montre pas la réalité, mais la vérité ou le mensonge. Nousdébouchons là sur l'idéologie, et même sur la morale ». Cette phrase d'Albert Jurgenson (lui mêmepraticien du montage) peut paraître évidente de prime abord, si évidente qu'on ne peut rien en dire.Le montage ne montre pas la réalité, il la découpe selon un point de vue déterminé. Point. Pourtanten affirmant cela il nous semble que nous passons à côté de ce qu'il y a de « profond » etd' «essentiel » dans cette affirmation. Comment le montage peut-il être un mensonge ? Enmanipulant la réalité, certes. Cela impliquerait-t-il qu'un film qui n'utilise pas le montage, ou dumoins essaie de ne pas le montrer, serait la vérité ? Le cinéma serait alors destiné a reproduire laréalité dans son objectivité ? "

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GUENAIS Baptiste GUEB09058809

CIN 1001-B

THEORIE ET PRATIQUE DU MONTAGE

Montage, thique et idologie Le montage dans la pratique du cinma, se conoit souvent comme un bout bout de plans assembls par la collure . Le monteur, sous la tutelle du ralisateur, choisis les bouts de pellicules en les dcoupant, puis en les assemblant selon la logique du film. Il s'agit l d'une dfinition trs gnrale et essentiellement pratique du montage (comment il est conu par ceux qui l'utilisent). Le montage au cinma n'est pas forcment vident dans le sens ou il ne s'est pas impos directement comme une mthode obligatoire de la prise de vue, et que la majorit des cinastes qui tournaient fin 19me-dbut 20me n'avaient pas forcment l'ide les possibilits expressives de cet outil. C'est d'ailleurs quand on a prit conscience de ces possibilits que la camra s'est libre, bien plus que par l'invention des travellings et autres mouvements. A partir du moment ou l'on a cess de considrer le cinmatographe ou ses quivalents comme un appareil de prise de vue pour en faire un instrument raconter des histoires (pour reprendre la formule de Christian Metz, le cinma avait la narrativit cheville au corps ) son action sur l'esprit du spectateur, sa facult de persuader est apparue. Les premiers thoriciens du montage, les formalistes sovitiques des annes 20, furent frapps par le pouvoir idologique d'un tel instrument, allant parfois jusqu' le confondre avec le cinma lui-mme. Le montage, en effet, ne montre pas la ralit, mais la vrit ou le mensonge. Nous dbouchons l sur l'idologie, et mme sur la morale . Cette phrase d'Albert Jurgenson (lui mme praticien du montage) peut paratre vidente de prime abord, si vidente qu'on ne peut rien en dire. Le montage ne montre pas la ralit, il la dcoupe selon un point de vue dtermin. Point. Pourtant en affirmant cela il nous semble que nous passons ct de ce qu'il y a de profond et d' essentiel dans cette affirmation. Comment le montage peut-il tre un mensonge ? En manipulant la ralit, certes. Cela impliquerait-t-il qu'un film qui n'utilise pas le montage, ou du moins essaie de ne pas le montrer, serait la vrit ? Le cinma serait alors destin a reproduire la ralit dans son objectivit ? Cette affirmation nous parat bien contestable. Doit-on chercher dans le montage les critres du vrai et du faux ? Si c'est le cas, cette perspective n'est-elle pas exempte d'idologie ? En d'autres termes peut-on considrer un film vrai en sortant du systme idologique dans lequel il est ancr ? Quelles sont les implications, les consquences sur notre thique ? C'est ces questions que nous tenterons de rpondre, en examinant diverses perspectives correspondant des grandes tendances philosophico-idologiques dans la thorie du cinma. On s'intressera d'abord Andr Bazin et sa notion de montage interdit puis Eisenstein et au montage des attractions avant de terminer par Jean Mitry et l'effet-montage .

I Bazin, ou le montage-interdit La premire tendance pose comme prdicat de base le fait que le cinma se veut, et se doit d'tre une reproduction raliste (conventions par rapport aux autres formes d'art) et vraisemblable (l'ensemble des normes sociales) de la ralit et se soumet l'instance narrative qui l'anime. On comprend bien que c'est la notion de transparence qui est en jeu, c'est dire que le dispositif cinmatographique doit s'effacer pour laisser parler le rcit ou la ralit des faits prsents (en non reprsents) l'cran. Cette tendance se manifeste dans plusieurs courants travers l'histoire du 7me art, dans le cinma classique hollywoodien qui en est en quelque sorte le dpositaire, mais aussi dans le no-ralisme italien, du moins selon la perspective d'Andr Bazin. C'est prcisment sur ses crits et les diffrentes notes ce sujet que nous allons maintenant nous baser. Chez Andr Bazin le cinma aurait pour vocation ontologique de reproduire le rel 1. En d'autres termes il existerai une ralit objective et absolue que le film pourrai capter et montrer au spectateur. Dans cette ralit, aucun vnements ne serait dot d'un sens a-priori, ce que l'auteur nomme l' ambigit du rel . Afin de prserver cette ambigut, le montage est interdit . Bazin ne bannit pas pour autant toutes formes de montage, mais prconise le fait que quand l'essentiel d'un vnement est dpendant d'une prsence simultane de deux ou plusieurs facteurs de l'action, le montage reprend ses droits 2. Il s'agit donc de prserver la continuit spatiale et temporelle en vitant le montage qui serait une perte de substance (le film deviendrait un discours), afin de crer une exprience esthtique qui ne soit pas ancre dans un point de vue autre que celui construit par le spectateur devant la suite d'vnements qui lui paraissent apparatre l'cran comme contingents et indtermins. En prconisant le plan squence et la profondeur de champ sur le dcoupage de l'action, Bazin affirme une exprience cinmatographique qui, dans la faon dont elle produit du sens, est la mme que l'exprience de la vie de tous les jours. Bazin dans ses crits, prend essentiellement comme modles les films du no-ralisme italien des annes 40 et le cinma amricain des annes 30-50. Si le montage s'affirme moins dans le premier courant que dans le second, il n'en reste pas moins prsent, notamment travers les discontinuits inhrentes tous les rcits. Ce qui compte c'est que cette discontinuit soit masque, impliquant la notion de transparence et de raccords qui se dfinissent justement comme tout changement de plan effac en tant que tel3 en prservant cette continuit de part et d'autre de la coupe. Ces coupes ne produisent pas d'impact motionnel sur le spectateur mais elles sont tolrs car elles laissent tout de mme subsister en nous l'impression d'une ralit continue et homogne 4. En dehors de ces changements de plans, le montage n'a pas de raison d'tre. Jacques Aumont voit d'ailleurs dans l'analyse que fait le thoricien de Citizen Kane (Orson Welles) la1 2 3 4 Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marie, Marc Vernet, esthtique du film, Nathan Universit, Poitiers, 1995, p-51 Bazin, Andr Montage Interdit , Qu'est-ce que le cinma ? Paris, dition du Cerf p.49-61 (recueil) Jacques Aumont, Opp. Cit, p-52 Bazin, Andr Orson Welles , Paris, dition du Cerf, 1972 p-67

manifestation la plus spectaculaire de ce refus 5. On pense la scne ou Kane enfant joue dehors alors que son avenir est en train de se dcider l'intrieur de la maison familiale. Les deux plans sont relis, on voit Kane par la fentre. La camra effectue plusieurs dplacements (de manire reproduire dans la forme les rapports de forces qui se jouent dans la scne on passera l'analyse filmique) avant de sortir dans l'arrire-cour. Bazin voit dans ce genre de scnes l'application du ralisme ontologique, restituant au dcor sa prsence, dramatique, en refusant la sparation de l'acteur et du dcor, du premier plan et de l'arrire plan, et psychologique car il replace le spectateur dans les conditions de la perception relle. En anticipant un peu sur la suite de notre travail, on peut d'ores et dj remarquer la volont d'Andr Bazin d'appliquer son systme de manire systmatique, mme lorsqu'il n'a pas lieu d'tre. La profondeur de champ, mme si elle ajoute de la complexit l'image, peut tout aussi bien signifier que tous les lments de la reprsentation y sont galement importants. Comme les mouvements de camra en juxtaposant plusieurs motifs dans l'espace s'apparentent de trs prs au montage (c'est ce que Jean Mitry appelle les effets-montages ). Le dfaut ne vient pas tant de la pratique de cet appareil critique que des conceptions philosophiques et idologiques sa base et qui reposent sur le concept Kantien de la libert du spectateur face l'uvre d'art. Sans jamais considrer les dterminations idologiques des modes de reprsentations ou la relativit de la perception, structure actancielle transformant ce qui est potentialit pure en objets rels, pour Bazin le montage serait mensonge car il rduirait la vrit de la ralit prsente l'cran lui faisant perdre cette ambigut propre au rel. Le critre de vrit se fonde donc ici, dans l'absolu, sur l'existence de dieu. Ainsi chez Bazin, le montage n'est pas un critre de ralit, au contraire, il renforce l'ide que le film est un agencement d'image manipul, un mensonge. Son utilisation minimaliste (Bazin admet tout de mme sa ncessit) est un critre de ralit donc, selon la phnomnologie, de vrit. Il nous faut cependant relativiser cette affirmation ds prsent. Le cinma, quel que soit le type de montage qui le construit, n'est JAMAIS la ralit, il est au mieux une reprsentation de la ralit, dpendant d'une part de la subjectivit du cinaste qui monte ou du moins choisis les lments constitutifs du film (la matrise de l'inattendu tant le degr zro) prsentant une faon d'tre dans le monde 6 elle-mme perue et interprte subjectivement par le spectateur. Comme l'enseigne la logique des prdicats : une argumentation dont les postulats de dparts sont faux (relativit du vrai et du faux suivant l'exprience, la connaissance empirique etc...) et bien que cette argumentation soit cohrente c'est--dire que ses conclusions peuvent tres dduites raisonnablement de ces mmes postulats, n'en reste pas moins fausse.

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Jacques Aumont, Opp. Cit, p-52 Jean Mitry Esthtique et psychologie du cinma 2 vol. ditions Universitaires, Paris, 1965

II - Eisenstein ou le montage des attractions Si on peut tenir pour acquis la subjectivit de la perception (au cinma, mais aussi dans un domaine beaucoup plus vaste) le montage serait un moyen intrinsquement cinmatographique d'ajouter un supplment de sens aux images (comme chez Christian Metz, c'est la juxtaposition d'au moins deux images qui permet de crer du sens et un dbut de linarit). C'est cette conception qui est dfendue par les formalistes, au nombre desquels on compte l'un des plus clbres thoriciens et praticiens du montage, le cinaste russe Serge Eisenstein. Selon lui le rel, s'il est le matriel de base du cinma (il s'imprime sur le photogramme) se doit d'tre organis. Mais pas de n'importe quelle faon : de cette organisation doit ressortir le discours du crateur filmique, un systme de signifiants impliquant le spectateur dans une interprtation idologique du rel. Le film s'apparente donc un processus cognitif. Pour Eisenstein, ce qui garantit le critre de vrit du discours c'est sa conformit aux lois du matrialisme dialectique et du matrialisme historique 7. L'exemple le plus frappant est l'adaptation cinmatographique (et avant cela thtrale) des notions de contradiction et de conflit si chres Marx. La vision Marxiste consiste, pour caricaturer grossirement, voir dans l'histoire une situation de conflit permanente, une lutte des classes, entre ceux qui dtiennent les moyens de productions et ceux qui sont responsables de cette production (les bourgeois et les proltaires, mme si ces deux formes particulires changent de noms au cours de l'histoire, tout comme le conflit peut prendre diffrentes formes : ainsi les nobles et les cerfs aux moyen-ge). La fin de l'art se trouverait dans la rvlation des contradictions de l'existence 8. Cinmatographiquement parlant, le conflit se fait entre un ou plusieurs des lments de composition harmonique c'est dire entre deux units du discours, les fragments, ou l'intrieur mme du fragment. Le fragment, est une unit de la chaine syntagmatique du film (il prend son sens dans un rapport in presencia c'est dire dans le rapport qu'il entretient avec les autres fragments) dcomposable en un certain nombre de paramtres esthtiques (lumire, cadrage, dure, chelle de plan, contraste, surface etc...). De la collusion de ces paramtres, de leurs chocs natra un sens nouveau, qu'aucun des photogrammes n'aurait pu prtendre contenir en lui-mme. Ce type de montage est appel par Eisenstein le montage des attractions . Chacun des lments du montage n'est plus indpendant mais devient une des reprsentations particulire du thme gnral galement prsent dans tous les plans . La juxtaposition de tous ces lments en un montage donn fait natre et apparatre au grand jour ce caractre gnral qui a engendr chacun de ces lments et qui les unit en un tout , singulirement en cette image d'ensemble travers laquelle le crateur, suivi du spectateur, ressent le thme du film 9. L'implication du spectateur n'est pas7 8 9 Jacques Aumont, Opp. Cit, p-56 S.M. Eisenstein Le film : sa forme, son sens , Christian Bourgeois, 1976, Paris, p-47 S.M. Eisenstein Le film : sa forme, son sens , Christian Bourgeois, 1976, Paris, p-217

mcanique mais comme l'affirme l'auteur lui-mme organique , une implication sensorielle et surtout motionnelle, appelant l'affect, le pathos . Plus la disharmonie entre deux fragments est grande, plus l'motion provoque sera forte et plus le pouvoir sur le psychisme sera affirm. Le montage des attractions est facilement reprable dans un grand nombre de films sovitiques des annes 20 et 30. Il nous semble cependant qu'un exemple plus rcent se situant dans un contexte idologique compltement oppos serait tout aussi intressant: Rocky IV (Silvester Stalone), tel qu'il a t analys par Alain Labelle. L'auteur tente de dmontrer comment ce type de film est organis pour influencer le plus fortement possible le comportement du spectateur 10 et pour promouvoir l'idologie reaganienne ainsi que les valeurs morales typiquement amricaines qu'elle sert : le conservatisme, en promouvant la famille traditionnel ainsi que l'individualisme, la persvrance, le travail et la foi en dieu tout puissant. Dans Rocky, le montage des attractions amne essentiellement le conflit entre l'Amrique libre d'un ct, et l'union sovitique inhumaine de l'autre. Par exemple la squence ou Rocky aprs s'tre disput avec Adrienne sur les risques d'une visite touristique en URSS se remmore son ascension dans le monde de la boxe. Ici on arrache les images des prcdents Rocky leurs espaces contextuels pour les faire entrer dans un espace conceptuel (dans la pure tradition Eisensteinienne donc). En montrant comment ce dernier pour gagner a du puiser dans ces ressources, ces valeurs amricaines puis en le montant de faon dsigner un mchant , en l'occurrence le systme sovitique individualis par Drago, le choc qui rsulterait de cette opposition serait sens nous amener accepter la dcision de Rocky Balboa d'aller se battre en Russie, en nous faonnant nous spectateur dans le sens dsir travers toute une srie d'impressions sur son psychisme 11. Cette seconde partie peut donc clairer notre sujet : le montage ne montre pas la ralit, mais est plutt une question de vrit (si ses principes sont en accord avec les principes idologiques noncs). Vouloir le rel pour le rel, quelle ignominie ! C'est par la manipulation que l'on peut accder une signification suprieur. Ainsi Eisenstein s'inscrit dans la tendance idaliste , ou le monde (ce qui est relatif l'homme) serait dtermin essentiellement par un processus de conscience. On voit apparatre les limitations d'un tel systme de pens en mme temps que celles de la thorie de l'art matrialiste. Sans entrer dans un dbat philosophique, on peut nanmoins affirmer qu'en se limitant aux bornes idologiques fixs comme des critres de vrit cela rduit considrablement le champ des films que l'on peut considrer comme vrais .Comme le montre l'exemple qu'on voqu, si le cinma est un vecteur d'idologie, il fonctionne galement avec chacune d'entre-elles , dans le sens ou les effets psychiques recherchs convergent vers le mme but : se faire accepter du spectateur en tant que norme et renforcer son systme de valeur moral en l'y confortant. D'autant que ces critres sont trs largement critiquables en ce dbut de 21eme sicle et10 11 Alain Labelle l'utilisation du montage des attractions de S.M. Eisenstein dans Rocky IV p-3 S. M Eisenstein Au del des toiles Paris, U.G.E, 1974, p-127

ce depuis la chute des rgimes communistes et la dsillusion envers cette idologie. Et mme ceux -dont nous faisons partit- qui lui chercheraient des excuses (quand Marx labore sa thorie il pense videmment l'Allemagne pays industrialis alors que la Russie tait majoritairement rurale) ne peuvent srieusement l'envisager comme un systme infaillible, dans la socit comme dans l'art. Car la pens de l'humanit (l'Ide, ou la Raison dirait Hegel) n'a cesse d'voluer dans l'histoire, devenant toujours plus complexe et dtaille. Ce qui t considr comme vrai une certaine poque, ne l'est plus forcment aujourd'hui. Cela peut sembler une banalit dire, mais ce ne l'a pas t de tous temps (on parlait du monde thologique du Moyen-Age prcdemment : cette poque la pense n'est pas considre de faon volutive travers l'histoire, elle est parfaite et finie puisqu'elle est dieu ). La vrit du montage ne peut tre atteignable seulement si elle est envisag l'intrieur mme du systme idologique dans lequel elle est ancr. Comme les mathmatiques atteignent certaines vrits grce leurs calculs : rsultats qui ne peuvent pas toujours tre appliqus dans le monde concret mais qui sont considrs vridiques dans le systme particulier. On pense au calculs des probabilits, par exemple. III Jean Mitry ou les effets-montages Nous allons prsent nous tourner vers Jean-Mitry pour la suite de notre analyse. Il a ceci d'intressant dans son raisonnement qu'il tente de btir une position mdiane entre les deux tendances invoqus prcdemment, et qu'il corrige certaines erreurs et contradictions. Que le montage agisse cache ou cadre, les deux aspects sont indissociables et si l'un prend le dessus, l'autre reste nanmoins toujours prsent. Mitry fait cette dduction partir de la double nature du cadrage, qui tend d'un ct enfermer les images dans une composition esthtiques et de l'autre rendre possible pour les objets ainsi composs d'voluer temporellement, comme s'ils taient infinis (Kracauer) prolongs indfiniment dans le temps (Bazin). Le film ne livre pas son sens dans un rapport direct au monde rel, mais agit plutt comme le rsultat d'une synthse dans l'esprit du spectateur. Il en rsulte la perception d'une continuit dynamique narrative, projetant sur les images du films une signification symbolique d' un ordre suprieur . Selon Mitry, quelle que soit la modalit utilise (plan squence vs dcoupage) le film est toujours soumis un effetmontage qu'il dfinit comme une structure , c'est un dire une des composantes essentielles, constitutive de toute exprience cinmatographique (mais on se rend vite compte que ce modle n'est pas applicable tous les films, seulement au cinma reprsentatif). L'effet montage se dfinit de manire proche d'Eisenstein comme l'association, arbitraire ou non, d'une image A et d'une image B, qui juxtaposes ensembles crent dans l'esprit du spectateur une ide, une motion ou un sentiment qu'ils ne contiennent pas en eux 12. Ceci peut tre aussi bien obtenu par un plan-squence12 Lewis, Brian Jean Mitry and the Aesthetics of the cinema , UMI Research Presse, Michigan, 1981, p-19

que par le dcoupage . Le montage dans les deux cas cre du sens, joue avec le psychisme du spectateur mme si les ractions provoques seront diffrentes. Plutt que d'un conflit entre ces deux idologie, Mitry prfre parler de deux formes diffrentes de l'exprience filmique : la plansquence donnerait l'impression que l'on observe une srie d'vnement contemporains, alors que le montage impliquerait le spectateur dans l'action dramatique de l'vnement. Il se dbarrasserait ainsi de l'ide de libert du spectateur de Bazin, en affirmant qu'elle dtruit l'ide d'un champ de rencontre entre l'auteur et son public. Quelle que soit la modalit dans laquelle le film est prsent, le spectateur regarde toujours ce que le cinaste cherche lui montrer. La profondeur de champ si elle laisse un choix plus grand quand la construction du sens, ne laisse pas pour autant une libert absolue cette construction qui s'effectue toujours dans le limites de la perception. Ainsi, on peut sparer la production de sens du film et les stratgies de montage l'uvre en son sein. Pour Mitry, l'a priori de la perception est une condition de la physiologique (et non pas mtaphysique). Alors que les deux tendances prcdentes distinguait objet et sujet (pour les idaliste le monde est objet cr par le sujet, la pense de l'homme, alors que pour les raliste c'est le monde qui est sujet). Mitry prfre quand lui considrer que le monde tel que nous le connaissons ainsi que l'homme tel qu'il se connait naissent dans un processus interactif, et se compltent mutuellement. Bien qu'il ne renie pas compltement l'ide d'une ralit absolue un faisceau d'nergies et de vibrations celle-ci reste toujours limit l'appareil perceptif humain, une structuration permettant de traduire ces potentialits pures en des objets distincts et reconnaissables dans le monde. Le processus contraire est impossible, puisque personne ne peut avoir un point de vue objectif sur le monde, limit par ses sens (on revient en quelque sorte au doute Cartsien : si mes sens peuvent tres dforms, et que mes systmes de valeurs ou de penses sont dductibles de ces sens, alors je ne peux tre sur que de ma propre conscience : c'est le cogito ergo sum je pense donc je suis - qui deviendra ego cogito, ego sum , je pense, je suis ). La ralit que nous construisons et dont nous tirons l'essence du rel, n'est en fait rien de plus qu'un acte pr-conscient dpendant des systmes sensoriels grces auxquels nous captons cette ralit. Dans ce sens il n'y a aucune vrit absolue dans l'art, aucune ralit absolue, et pas plus au cinma que dans les autres arts 13. Le film, au mieux, peut parler de concepts, de jugements, et de vrits individuelles qui, si elles sont partages par le spectateur peuvent tre considres comme des vrits essentielles (portant sur l'essence du monde, ce qu'il est). Ainsi, le film atteint une vrit plus parfaite que la ralit car les vnements sont disposs dans une chane signifiante et oriente idologiquement, ce qu'ils ne sont pas dans la ralit bien entendu. C'est d'ailleurs la faon dont il explique l'attraction quasi-magntique exerce par l'cran (en partant du concept de Bazin, la Photognie) : les films nous prsentent cette manire spciale d'tre dans le monde 14, dvoilent13 14 Lewis, Brian Jean Mitry and the Aesthetics of the cinema , UMI Research Presse, Michigan, 1981, p-47 Jean Mitry Esthtique et psychologie du cinma 2 vol. ditions Universitaires, Paris, 1965 Vol I p-343

de nouvelles perspectives sur la ralit, des vrits phnomnologique, c'est--dire tirs de l'exprience (relatives donc, et non pas absolues, puisque le propre de l'exprience est que ses conditions comme ses rsultats peuvent varier). Mais l'exprience ne prexiste jamais la perception qui en est fate, et l'acte de conscience qui en rsulte. Le chat de Schrodinger, l'exprience de base pour la physique cantique illustre bien ce principe : un chat est enferm dans une boite avec un dispositif qui tue l'animal ds qu'il dtecte la dsintgration d'un atome d'un corps radioactif. Si les probabilits indiquent que la dsintgration ne devrait avoir lieu qu'au bout de quelques minutes, la mcanique cantique indique quand elle que tant que l'observation n'a pas t faite, l'atome est simultanment dans deux tats : dsintgr et intact. Or le mcanisme de l'exprience lie l'tat du chat l'tat de l'atome. Ce dernier se trouve simultanment mort et vivant jusqu' l'ouverture de la boite et l'observation. L'tat ne prexiste pas la mesure. Si nous nous permettons ce dtour par la physique, c'est que Mitry lui-mme utilise les principes scientifiques (chez Bergson notamment) pour illustrer et appuyer son argumentation. Dans une perspective Hglienne, la valeur suprme de l'art serait en fait une mdiation entre l'homme li sa condition et sa propre impuissance provoque par le sentiment de disharmonie avec l'univers. Afin de contrler cet insaisissable prsent, il labore des outils et des techniques de manire en possder un simulacre . L'art, comme la religion, rpondrait ce besoin de se sentir chez-lui dans le monde par la production d'images destins le rassurer sur le pouvoir qu'il exerce sur ce dernier (et ceci depuis la fin du monde thologique). Si le cinma (avec pour structure de base l'effet-montage ) est une invitation entre les individus partager une exprience du monde, une communication, on peut en dduire les implications sur le systme thique de l'homme. Si l'thique se dfinit dans son sens gnral comme un systme de valeurs correspondant aux choix applicables dans la ralit et de leurs consquences potentielles, elle permet l'homme de juger d'une situation et d'agir en consquence c'est--dire en se conformant ou non aux rgles de ce systme. C'est d'ailleurs parce qu'il est capable de choisir entre les concepts dichotomiques du bien et du mal que l'homme peut s'lever au dessus de l'animal (on se rfrera ici l'exprience philosophique clbre de l'ne de Buridan ). En perdant la capacit de faire ce choix il se dpouille de son humanit et devient une bte. Le choix moral dsintress n'existe pas non plus, il s'agit soit d'un calcul d'utilit selon le courant utilitariste de la philosophie de l'thique soit une rponse quasi-automatique un systme de valeur sociales et en conformit avec lui selon une perspective plus Nietzschenne. Le rapprochement avec le montage et le cinma comme nous l'avons dcrit durant ce paragraphe nous apparat de la faon suivante : d'une part le cinma en agissant sur le psychisme du spectateur, en lui proposant une autre vision du monde permet ce dernier d'largir son champ de perspectives. D'autre part il lui permet de construire un utilitarisme de la rgle , par une dialectique ascendante (des faits particuliers

vers le concept, puis du concept vers le particulier) c'est dire de juger les diffrentes faon de ragir, d'en tirer des rgles et de se les approprier selon qu'elles lui paraissent bonnes ou mauvaises (et tant donn la relativit de ces valeurs). Ne sommes-nous pas devant un film souvent en train de nous demander ce que nous aurions fait dans telles ou telles circonstances ? Quelle aurait t la manire juste d'agir quand nous condamnons les actes du hros ? Il s'agit cependant de nuancer : le montage utilis de faon idologique ne construit pas un systme moral complet. Il ne peut qu'affirmer, ou au contraire critiquer, les valeurs morales l'uvre dans la socit et transmises depuis l'enfance par les instances de socialisations que sont l'cole ou la famille par exemple. Le film peut au mieux entrainer un conflit entre ces valeurs de la socit et celles qu'a intrioris le spectateur, mais ne peut en aucun cas rsoudre ce conflit. De mme qu'il peut tenter de dcrdibiliser certaines autres valeurs qui lui sont trangres (c'est le cas dans Rocky IV, ou les valeurs morales communistes sont caricaturs afin de devenir repoussantes ) et en l'offrant comme preuves dans le but d'assoir sa suprmatie. Si Staline dclarait le cinma est pour nous le plus important de tous les arts c'est qu'il y voyait un moyen puissant de persuasion idologique de l'esprit humain, une manire de subvertir le code moral dominant au profit de nouvelles valeurs (sans vouloir donner Staline le statut d'un philosophe qu'il n'est pas). On se trouve au cinma comme plong dans un rve, cheval sur la ligne entre le conscient et l'inconscient, et le montage comme instrument de manipulation de cet inconscient n'est pas exempt d'influence sur le surmoi , gendarme de la moralit par excellence qui bloque la bte enfouie en chacun de nous et filtre minutieusement les passages entre ces deux instances de l'esprit. Ds lors, si le surmoi modifie ses paramtres, il y a de grande chance que le systme moral conscient du spectateur en soit affect. Avant de passer la conclusion, une dernire prcision : la morale, l'thique au sens ou nous l'entendons n'est pas un systme fixe de valeurs (il s'agit l de l'thique institutionnelle) mais varie plus ou moins selon l'individu (on parle donc d'thique individuelle) les mmes actes pouvant tre considrs en accords avec un systme moral particulier ou non. Ces deux sphres sont en interaction et c'est pourquoi on peut discuter longtemps lequel vient en premier. Si le film s'attaque souvent la sphre institutionnelle, c'est en tant qu'elle reprsente un avis partag par un grande nombre d'individu. Au contraire un grand nombre d'individus partageant les mmes valeurs risque fort de mener une institutionnalisation de ces dernires. C'est pourquoi les mentalits des socits voluent (on pense au fminisme qui s'est plus ou moins bien impos dans les pays de l'hmisphre nord) et pourquoi on a aboutit, comme le dirait Nietzsche, un renversement de ces valeurs le populis vulgaire et pitoyable devenu bon et le noble , le fort devenu mauvais. Mais cela est un autre dbat.

Notre rflexion permet donc d'clairer sous un jour nouveau la citation de Jurgensson sur le montage. En guise de conclusion, on rsumera notre propos. Nous nous sommes intresss tout d'abord l'idologie du montage de Bazin chez qui le systme moral est trs marqu mais trs peu mis en perspective. Selon lui, un film n'est bon (dans le sens moral du terme) que lorsqu'il prsente des vnement en effaant le point de vue du cinaste, pour nous offrir une exprience plus proche de la ralit. Le montage est interdit car il est manipulation en aucun cas assimilable une ralit, et donc mensonge. Bazin ne tient pas compte du fait que tout film est orient idologiquement, au niveau du rcit filmique (le mga-narrateur peut choisir de s'effacer il n'en reste pas moins prsent et indispensable) comme du montage. Par consquent il ne peut donc pas imaginer que les plans-squence, si ils ne visent pas le mme but idologique, n'en sont pas moins encadrs dans une certaine norme et contexte social. Au contraire, pour Eisenstein, si la ralit est le matriel de base du film c'est en la transformant par le montage qu'il obtient une signification suprieure relative la sphre des ides. Le fragment n'a pas de sens priori, c'est de la collusion des lments qui le constituent que natra le sens. Le problme ici c'est que le montage n'est pas l'apanage d'une idologie plutt que d'une autre et que lier la vrit du film aux thories du matrialisme dialectique mne droit dans une impasse. Pourtant on peut en tirer l'argument suivant : le montage est un moyen d'agir sur le psychisme du spectateur de faon kintique (par l'enchainement des plans) et ne peut tre efficace que dans un systme idologique donn. Enfin, en nous appuyant sur la pense de Jean Mitry, qui montre bien que le cinma n'est pas la ralit mais une exprience de cette ralit induite par les effets-montages (qui induit toujours la production d'un sens mme si sa construction et sa finalit peuvent changer selon les films) mais qui font que ce qui est montr parat investit d'une vrit suprieure . Le cinma parle de l'exprience humaine en situant l'homme dans le monde. Le montage idologique serait alors un moyen de se rassurer en reprsentant ce monde d'une manire intelligible et comprhensible, et donc par la mme occasion de se persuader du contrle que l'on exerce sur lui. En ce sens l'art et la religion vont vers le mme but, celui d'tablir un systme de valeur morales en affirmant que c'est grce elle que l'homme peut prendre sa place au milieu de ses semblables, et agir en interrelations avec eux. La mort de dieu au 18eme sicle a mis fin la possibilit d'une explication du monde par sa fin (pour les Chrtiens l'me rejoindrai le royaume de cieux, plaisir suprme qui justifierai toutes les souffrances du monde), l'homme doit se tourner vers l'art (et vers l'histoire) pour approcher cette comprhension d'un monde devenu ouvert, pure potentialit. L'idologie, quelle qu'elle soit, ne peut s'envisager sans une thique pour l'appuyer (sauf peut tre chez les nihilistes) et dfinir ce qui est bon, en rapport aux valeurs considres comme essentielles l'lvation de l'me humaine- et ce qui est mauvais ce qui rduit l'homme au rang de l'animal. Nous ne prtendons pourtant pas la vrit absolue, ni l'exhaustivit de notre rflexion.

tant donn que nous avons cherch une construction formelle en rapport avec l'argumentation tenue on peut concevoir ce travail comme un collage de diffrents courants philosophiques et cinmatographique, ou des deux la fois qu'on a tent de mettre en relation afin d'atteindre nous aussi une vrit suprieure bien qu'abstraite. Peine perdue puisque comme nous l'avons remarqu, la vrit d'un processus de rflexion est toujours relatif son contexte comme aux conditions de sa production. On devra donc se contenter d'une ide, vrit relative, mise jour, mais toujours incomplte.

BIBLIOGRAPHIE

S. M Eisenstein Au del des toiles Paris, U.G.E, 1974, p127 Alain Labelle l'utilisation du montage des attractions de S.M. Eisenstein dans Rocky IV tudes littraires, vol 20, n3,1998, Universit Laval, p 111-122 S.M. Eisenstein Le film : sa forme, son sens , Christian Bourgeois, 1976, Paris Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marie, Marc Vernet, esthtique du film, Nathan Universit, Poitiers, 1995 Bazin, Andr Montage Interdit , Qu'est-ce que le cinma ? Paris, dition du Cerf p.49-61 (recueil) Jean Mitry Esthtique et psychologie du cinma 2 vol. ditions Universitaires, Paris, 1965 Lewis, Brian Jean Mitry and the Aesthetics of the cinema , UMI Research Presse, Michigan, 1981

FILMOGRAPHIE

Citizen Kane, Orson Welles, 1940 Rocky IV , Silvester Stalone, 1985