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ESH – Chapitre 12 – Analyse économique des entreprises – 2016-2017 1 Module 1 – Les fondements de l’économie et de la sociologie Entreprise et organisations Chapitre 7 – Analyse économique des entreprises Objectifs : Il s’agira de présenter l’entreprise, organisation centrale de l’activité, mais aussi d’étudier plus largement l’importance des organisations s’inscrivant dans l’évolution des sociétés contemporaines. Commentaires : Il conviendra de s'interroger sur la nature de la firme notamment comme mode d’allocation des ressources, sur l'efficacité des formes organisationnelles et sur les transformations des modes de gouvernance. On soulignera le rôle de l’entrepreneur. Introduction – Les premières approches théoriques de la firme et de l’entrepreneur Document 1 – L’entreprise comme boite noire L’entreprise n’a occupé, jusqu’aux années 1970, qu’une place très marginale dans la tradition dominante des sciences économiques. (…) La firme y est réduite à peu de chose : une « firme point », c’est-à-dire assimilée à un agent individuel, sans prise en considération de son organisation interne, et une « firme automate », qui, supposée parfaitement rationnelle comme tout agent économique, ne fait que transformer, de manière efficiente, des facteurs de production en produits et s’adapter mécaniquement à des contraintes techniques et à des environnements donnés. Cette vision de la firme se comprend relativement à ce qu’a été pendant longtemps l’objet central de la microéconomie : l’étude des marchés et des mécanismes de prix. Olivier Weinstein, « L’entreprise dans la théorie économique » in Cahiers Français N°345, 2008 Q1 => Quelle est l’objectif de l’entreprise dans l’approche néoclassique ? Q2 => Représentez graphiquement le profit de l’entreprise Q3 => Quelle est la représentation de la firme dans cette approche ? Q4 => Cette représentation diffère-t-elle de l’autre agent économique qu’est le consommateur ? Q5 => Justifiez l’expression « boite noire » Schéma de synthèse : En vous aidant du document 1 et de vos connaissances en microéconomie, remplissez le schéma avec les termes qui suivent : *outputs, *optimale, *marché (2x), *inputs, *contrainte technologique Document 2 – La firme comme réponse à l’incertitude (Franck Knight) (1) Selon Knight, c’est la capacité d’évaluer le danger qui différencie risque et incertitude. Une situation est risquée dès lors qu’un individu peut estimer le danger auquel il est confronté, en se servant de ses connaissances, de son intuition, des informations disponibles. Dans certains cas, il peut mesurer ce danger, à l’aide d’un calcul de probabilité. Il peut se tromper : par exemple, juger une situation peu risquée alors qu’elle est objectivement très risquée. Mais à partir du moment où il est en capacité d’évaluer le danger, c’est bien une situation de risque. En situation d’incertitude, c’est l’inverse qui se produit. Notre individu aura beau mobiliser toutes les informations disponibles et son bon sens, il sera dans l’incapacité d’évaluer le danger, ou de le mesurer à l’aide de probabilités. Prenons

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Module 1 – Les fondements de l’économie et de la sociologie

Entreprise et organisations Chapitre 7 – Analyse économique des entreprises

Objectifs : Il s’agira de présenter l’entreprise, organisation centrale de l’activité, mais aussi d’étudier plus largement l’importance des organisations s’inscrivant dans l’évolution des sociétés contemporaines. Commentaires : Il conviendra de s'interroger sur la nature de la firme notamment comme mode d’allocation des ressources, sur l'efficacité des formes organisationnelles et sur les transformations des modes de gouvernance. On soulignera le rôle de l’entrepreneur.

Introduction – Les premières approches théoriques de la firme et de l’entrepreneur

Document 1 – L’entreprise comme boite noire L’entreprise n’a occupé, jusqu’aux années 1970, qu’une place très marginale dans la tradition dominante des sciences économiques. (…) La firme y est réduite à peu de chose : une « firme point », c’est-à-dire assimilée à un agent individuel, sans prise en considération de son organisation interne, et une « firme automate », qui, supposée parfaitement rationnelle comme tout agent économique, ne fait que transformer, de manière efficiente, des facteurs de production en produits et s’adapter mécaniquement à des contraintes techniques et à des environnements donnés. Cette vision de la firme se comprend relativement à ce qu’a été pendant longtemps l’objet central de la microéconomie : l’étude des marchés et des mécanismes de prix.

Olivier Weinstein, « L’entreprise dans la théorie économique » in Cahiers Français N°345, 2008

Q1 => Quelle est l’objectif de l’entreprise dans l’approche néoclassique ? Q2 => Représentez graphiquement le profit de l’entreprise Q3 => Quelle est la représentation de la firme dans cette approche ? Q4 => Cette représentation diffère-t-elle de l’autre agent économique qu’est le consommateur ? Q5 => Justifiez l’expression « boite noire »

Schéma de synthèse : En vous aidant du document 1 et de vos connaissances en microéconomie, remplissez le schéma avec les termes qui

suivent : *outputs, *optimale, *marché (2x), *inputs, *contrainte technologique

Document 2 – La firme comme réponse à l’incertitude (Franck Knight) (1) Selon Knight, c’est la capacité d’évaluer le danger qui différencie risque et incertitude. Une situation est risquée dès lors qu’un individu peut estimer le danger auquel il est confronté, en se servant de ses connaissances, de son intuition, des informations disponibles. Dans certains cas, il peut mesurer ce danger, à l’aide d’un calcul de probabilité. Il peut se tromper : par exemple, juger une situation peu risquée alors qu’elle est objectivement très risquée. Mais à partir du moment où il est en capacité d’évaluer le danger, c’est bien une situation de risque. En situation d’incertitude, c’est l’inverse qui se produit. Notre individu aura beau mobiliser toutes les informations disponibles et son bon sens, il sera dans l’incapacité d’évaluer le danger, ou de le mesurer à l’aide de probabilités. Prenons

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par exemple un individu désirant essayer le saut à l’élastique du haut d’un pont. Intuitivement, il sait que la corde le retiendra quand il sautera dans le vide. Il voit que les personnes ayant sauté avant lui sont encore en vie. Il sait que le nombre d’accidents en France est très faible. Il peut éventuellement, s’il est particulièrement doué, calculer la probabilité que la corde lâche au moment de sauter. C’est donc une situation de risque. En revanche, même en regardant attentivement au-dessus et en dessous de lui avant de sauter, il ne peut pas prévoir qu’un oiseau le percute en plein saut. Il ne peut pas calculer la probabilité d’occurrence du passage d’un oiseau sur sa trajectoire. C’est donc une situation d’incertitude. Une entreprise capitaliste évolue dans un environnement incertain : elle ne peut prévoir les aléas de la conjoncture, les évènements politiques, les changements de goûts des consommateurs. Dans une situation d’incertitude, l’entité productive ne peut pas se reposer sur un protocole préétabli pour réagir. Elle va devoir réagir au jugé, s’adapter aux circonstances et aux fluctuations économiques. Pour Knight, la prise de décision dans le milieu des affaires n’a rien de scientifique : elle repose plutôt sur le jugement, sur l’intuition, le bon sens des acteurs économiques. Certains individus sont plus doués que d’autres dans cette tâche : ils anticipent mieux les évènements, les attentes des consommateurs et les nécessaires changements de l’entreprise pour atteindre ses objectifs. Une situation d’incertitude conduit précisément l’entreprise à faire émerger ces individus « spécialisés » disposant d’une meilleure capacité de jugement (…). On leur confie alors naturellement la prise en charge des décisions stratégiques pour l’entreprise, plaçant tous les autres salariés sous leur contrôle. Knight nomme ce processus la « céphalisation », c’est-à-dire la centralisation de la fonction de décision de l’entreprise dans les mains d’une seule personne. Ces salariés qui se distinguent des autres par leurs compétences (capacités d’anticipation, de gestion des hommes et de l’entreprise) s’appellent les entrepreneurs. Grâce à leur capacité de jugement, les entrepreneurs sont en mesure de faire passer l’entreprise d’une situation d’incertitude à une situation de risque probabilisable. Le jugement sûr des entrepreneurs permet également d’accroître le chiffre d’affaires et le profit, auxquels sont conditionnés tous les autres revenus distribués par l’entreprise (paiement des salaires, des actionnaires, des créanciers). Se pose alors la question de la séparation des fonctions d’entrepreneur et de propriétaire de l’entreprise. Dans l’idéal type de la firme imaginée par Knight, la fonction d’entrepreneur est nécessairement confondue avec la propriété de l’entreprise : la responsabilité et le contrôle financier de l’entreprise vont de pair. Toutefois, lorsque le capital est divisé entre des actionnaires, comme c’est le cas pour les sociétés cotées, l’entrepreneuriat peut prendre une forme différente. Il est en effet impossible, dans ce cas, de cumuler contrôle total de l’entreprise et fonction de manager. Pour Knight, cela signifie que le type « pur » de l’entrepreneur disparaît au profit « d’entrepreneurs spécialisés », responsables de sous-entités de la firme.

D’après Pierre-André Corpron et alii, Economie, sociologie et histoire du monde contemporain, Bréal, 2013

Document 3 - La firme comme réponse à l’incertitude (Franck Knight) (2) Les agents économiques prennent leurs décisions à partir d’un « jugement intuitif » relatif à des évènements incertains. (…) L’exercice du jugement s’apparente à une forme de coordination qualitative. Dans un monde fait d’incertitude radicale, « la fonction majeure consiste à décider que faire et comment le faire » (F. Knight, 1921). Lorsque l’incertitude apparaît, cette fonction de coordination dirigée prend le dessus sur la fonction d’exécution. (…) Les agents qui vont assurer ce rôle de coordination dirigée sont les entrepreneurs. « L’essence de la firme est la spécialisation de la fonction de direction responsable de la vie économique, la caractéristique négligée à partir de laquelle naît l’inséparabilité entre deux éléments : la responsabilité et le contrôle » (F. Knight, 1921). Les entrepreneurs doivent être responsables, assumer l’incertitude et rassurer les travailleurs en leur garantissant un revenu fixe en contrepartie des efforts qu’ils consentent dans le travail d’exécution. En échange de salaires fixes qui les protègent des aléas, l’entrepreneur acquiert le droit de surveiller les activités des travailleurs de la firme. La théorie knightienne légitime le rapport salarial et la hiérarchisation naturelle dans la firme. Cette vision de l’entrepreneur sera largement reprise par les théories autrichiennes de l’entrepreneuriat (Hayek et Kirzner).

Bernard Baudry, Virgile Chassagnon, Les théories économiques de l’entreprise, collection Repères, La Découverte, 2014

Questions à partir des documents 3 et 4 Q6 => Expliquez la différence entre risque et incertitude Q7 => Quelle qualité, que les autres n’ont pas, l’entrepreneur possède-t-il selon Knight ? Q8 => Quels sont les avantages engendrés par une telle qualité ? Q9 => En contrepartie de ces avantages, quel fonction/pouvoir exerce l’entrepreneur ?

Document 4 – Kirzner et l’entrepreneur vigilant (Pour Kirzner) l’action entrepreneuriale se manifeste à travers l’exercice de la vigilance de l’individu face aux possibilités de profit existantes dans l’économie, mais non encore exploitées. L’homo agens misésien est potentiellement vigilant, c’est-à-dire qu’il est capable, contrairement à l’agent néoclassique, d’interpréter la réalité économique afin de percevoir des opportunités de profit et d’agir en conséquence. Ces opportunités de profit consistent plus précisément en des écarts de prix entre offre et demande qui résultent de l’imparfaite communication entre les marchés. L’action entrepreneuriale est possible non en raison d’un type particulier de connaissance que détiendrait un agent, mais en raison de sa capacité à chercher de nouvelles connaissances. L’activité entrepreneuriale ne requiert aucun autre investissement que la vigilance et constitue la force motrice de l’évolution des prix. L’individu misésien évolue dans un monde d’informations fragmentées, où, de ce fait, existent des déséquilibres d’un marché sur l’autre et où les activités des agents ne sont pas pleinement coordonnées. Il existe dans un tel contexte, en

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raison des imperfections, des opportunités de profits non encore découvertes. Les individus vigilants, c’est-à-dire ceux qui perçoivent l’existence de ces différences de prix, cherchent à en tirer parti. Un tel comportement d’arbitrage est décrit comme une action entrepreneuriale. L’action prend fin lorsque la différence de prix disparaît, c’est-à-dire lorsque acheteurs et vendeurs se retrouvent coordonnés sur les différents marchés. L’action entrepreneuriale dévoile au reste de la communauté l’existence de désajustements ponctuels et, ce faisant, contribue à la diffusion de nouvelles informations à travers les participants. L’acquisition de nouvelles informations permet aux individus, qu’ils soient ou non dotés de la qualité de vigilance, de reformuler leurs plans. Cette reformulation permet selon Kirzner un ajustement des variables économiques et des prix en particulier, permettant une meilleure coordination entre les agents économiques. Faute de le démontrer, Kirzner affirme que les changements qu’engendre l’entrepreneur sont toujours orientés vers un hypothétique état d’équilibre.

Sandye Gloria-Palermo, L’école économique autrichienne, Collection Repères, La Découverte, 2013

Q10 => Quelle est la caractéristique de l’information dans l’environnement de l’entrepreneur kirznérien ? Q11 => Quelle peut être la conséquence sur les prix des actifs d’une telle information ? Q12 => Comment Kirzner définit-il l’entrepreneur ? Q13 => Que rémunère le profit touché par l’entrepreneur kirznérien ? Q14 => En quoi l’action entrepreneuriale est-elle équilibrante ? Que permet-elle au niveau macro ?

Document 5 – La théorie autrichienne de la firme L’un des exemples les plus symptomatiques de l’application de la logique du processus de marché est sans doute la théorie de la firme. La firme s’oppose en effet au marché en tant que logique de coordination et il paraît ici intéressant d’examiner la manière dont les auteurs autrichiens réussissent à se réapproprier une analyse qui semblait destinée à demeurer hors de leur sphère d’investigation. (…) La tradition autrichienne se heurte à des difficultés comparables à celles de la théorie néoclassique lorsqu’il s’agit d’expliquer l’existence de la firme : si les marchés sont un mode d’organisation si efficient, pourquoi recourir à la hiérarchie pour organiser la production alors que l’on pourrait très bien imaginer une décentralisation marchande de tous les stades productifs ? Le cas autrichien est aggravé par les attaques véhémentes à l’encontre de la planification qui, en généralisant, peut s’interpréter comme une remise en cause de la faisabilité pratique et de la possibilité théorique d’une coordination fondée sur une autorité centralisatrice, que ce soit un Etat ou une firme. Expliquer la firme dans ce cadre est un défi, mais l’expliquer en se fondant sur le mécanisme du processus de marché relève d’un véritable tour de force. (…) L’une des caractéristiques de l’entrepreneur kirznérien est que la qualité de vigilance, à l’origine du profit, n’est pas reliée à la possession du capital. Kirzner insiste en effet sur le fait que la pure activité de découverte d’opportunités de profit est sans coût et ne nécessite aucun investissement. Cependant, de plus en plus d’auteurs distinguent entre la découverte de l’opportunité et son exploitation qui, elle, peut nécessiter le contrôle d’un ensemble d’actifs. La découverte d’une opportunité de profit reflète le jugement d’un individu sur l’usage possible d’une ressource en relation avec les besoins futurs imaginés. L’exploitation de ce jugement peut prendre trois formes : (i) l’entrepreneur peut vendre son jugement sur un marché spécifique, (ii) il peut mettre en œuvre une activité simple d’arbitrage consistant à acheter un bien sur un marché et à le revendre sur un autre, ou bien, (iii) il peut, si la mise en œuvre de son jugement est plus complexe et nécessite la coordination de plusieurs actifs complémentaires, créer une firme. Ainsi, la firme n’est autre que la manifestation concrète de l’action entrepreneuriale. Le jugement de l’entrepreneur ne se limite pas à identifier une opportunité de profit mais, afin de pouvoir l’exploiter, consiste à choisir judicieusement quelle combinaison d’actifs mettre en œuvre au sein d’une organisation appelée firme. Dans ce cas de figure, il ne suffit pas à l’entrepreneur d’accumuler une certaine quantité générique de capital ; l’exploitation de l’opportunité de profit passe par l’agencement d’actifs hétérogènes, et le choix de cet agencement résulte de l’interprétation – forcément subjective – que fait l’entrepreneur des usages possibles et des potentialités des divers biens capitaux sous son contrôle. Ainsi, la firme est la manifestation de l’action entrepreneuriale, et son organisation résulte de l’agencement subjectivement choisi de la structure hétérogène du capital.

Sandye Gloria-Palermo, L’école économique autrichienne, Collection Repères, La Découverte, 2013

Q15 => Pourquoi peut-il paraître difficile de penser la firme dans l’analyse autrichienne ? Q16 => Quelles sont les différentes manières d’exploiter les opportunités de profit ? Q17 => Dans quel cas, l’entrepreneur va-t-il choisir de fonder une firme pour exploiter une opportunité de profit qu’il à identifiée. Q18 => Complétez le schéma avec les termes qui suivent : *complexe, *firme, *vigilance, *imparfaite, *coordonner, *profit,

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Synthèse : de l’action entrepreneuriale à la firme dans la pensée autrichienne

1 – Les théories contractuelles de la firme

1.1 – La firme comme alternative au marché : la théorie des coûts de transaction

1.1.1 – L’approche coasienne de la firme

Document 6 – Pourquoi existe-t-il des firmes selon Ronald Coase ? Coase part d’une constatation empirique : le système des prix, dont l’analyse est au cœur de la théorie microéconomique traditionnelle, n’est qu’un des mécanismes de coordination rencontré dans la réalité, et il est même plutôt l’exception que la règle. Coase propose alors de s’interroger sur les raisons de l’existence de l’arrangement institutionnel alternatif au marché qu’est la firme. Sa réponse tient en deux étapes. Si le marché n’est pas l’unique moyen de coordonner l’activité économique, c’est qu’il existe des coûts à recourir au système de prix, des coûts de transaction. En effet, si ce mode de coordination n’était pas coûteux, comme le suppose la théorie microéconomique lorsqu’elle analyse des marchés de concurrence pure et parfaite, aucune alternative crédible ne pourrait exister. Les coûts de transaction sur le marché s’expliquent par l’absence d’un commissaire-priseur collectant l’information et déterminant le vecteur de prix d’équilibre bénévolement. Ils correspondent aux coûts de découverte du prix, c’est-à-dire aux coûts de négociation des contrats, de recherche d’un partenaire, de contractualisation à répétition dès lors que les contrats sont des arrangements de court terme répétés. Supposer, comme le fait Coase, que les coûts de transaction sur le marché sont positifs fournit une explication théorique de l’existence d’un mode de coordination alternatif et oblige les économistes à se poser de nouvelles questions, qu’ils n’entrevoyaient pas sous l’hypothèse de coûts de transaction nuls. Coase remarque ensuite que le mode de coordination au sein de la firme se distingue de celui qui prévaut sur le marché. Il n’est pas fondé sur l’évolution des prix relatif mais plutôt sur l’autorité : « Dans le monde réel, il ne le fait pas en raison d’un changement des prix relatifs, mais parce qu’on lui a ordonné de le faire » (Coase, 1937). Aux relations de marché où la coordination se fait par les prix, Coase oppose les relations internes à la firme dans laquelle la coordination se fait par un entrepreneur coordinateur, ayant autorité de décision au cours de la réalisation du contrat de travail. Cette différence de mode de coordination entre la firme et le marché explique l’avantage potentiel de la firme dans certaines situations qui restent à déterminer. En effet, l’on ne signe pas le même type de contrat dans la firme que sur le marché, ce qui explique que le mode de coordination soit différencié. La coordination ne s’effectue pas par la signature de contrats commerciaux mais par la signature de contrat de travail généralement de long terme (ce qui évite les coûts de renégociations répétées) et très incomplets (ce qui limite les coûts de renégociation des contrats. De ce fait, l’entrepreneur n’a pas besoin de spécifier à l’avance les actions de l’employé. Il peut attendre de voir et de décider ex post une fois les incertitudes levées. Ce type de contrat et de mode de coordination est donc particulièrement utile quand l’entrepreneur évolue dans un contexte de fortes incertitudes. Néanmoins, il ne permet pas une flexibilité totale. Comme le note Coase, l’employeur choisit parmi un « ensemble des possibles » ce que l’employeur doit faire, en accord avec la réglementation du travail qui délimite le pouvoir de l’employeur sur son employé.

Stéphane Saussier, Anne Yvrande-Billon, Economie des coûts de transaction, collection Repères, La Découverte, 2007

Q17 => Coase considère-t-il que l’information est parfaite ? directement accessible ? Q18 => Qu’est-ce qu’un coût de transaction ? Comment Coase les explique-t-il ? Q19 => Distinguez coordination par le marché et coordination par la firme en remplissant le tableau

Coordination par le marché Coordination par la firme (ou l’organisation)

Type de relation Type de contrat

Éléments qui assurent la coordination

Décisions prises de manière… Coûts de…

Q20 => Expliquez pourquoi la coordination par l’organisation peut-être moins coûteuse que celle par le marché ?

………………. entrepreneuriale

Information ……………….

Identification de différences de prix

générant des opportunité de ……………….

Si l’exploitation

de ce jugement est une activité ……………

….

Nécessité de …………………….

différents actifs (salariés, machines…)

Création de la

…………..

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Q21 => Comment Coase explique-t-il l’émergence de la firme ? Montrez que l’existence de la firme dans ce cas améliore l’allocation des ressources.

Document 7 – Différents coûts de transaction Quelle que soit l’efficacité des marchés, le recours aux prix pour organiser les transactions a un coût. Lorsque celui-ci devient significatif, il peut être avantageux d’utiliser d’autres arrangements comme vecteurs de transaction. (…) Prenons le cas de transactions sur le marché, par exemple l’achat d’une voiture, donnant lieu à un contrat de vente. Cette transaction a des coûts directs et des coûts indirects. Les coûts directs sont liés à la transaction spécifique (…) : le coût de recherche d’un partenaire (quel est le concessionnaire qui me propose le meilleur prix ?) ; le coût d’élaboration du contrat, c’est-à-dire ce qu’il en coûte de négocier et d’écrire un contrat tenant compte d’évènements difficiles à anticiper (faut-il prévoir une pénalité dans le cas d’un délai de livraison dû à une grève du transporteur ?) ; le coût des garanties accompagnant la transaction (par exemple, les arrhes que j’immobilise auprès du vendeur jusqu’à la livraison) ; le coût de suivi du contrat ; les coûts potentiels d’exécution (par exemple, le recours à une tierce personne pour contraindre le vendeur à payer une pénalité qui était prévue en cas de retard de livraison ; les coûts d’adaptation ou de renégociation du contrat (par exemple, lorsque des clauses prévoyaient cette possibilité en cas de force majeure). A côté de ces coûts directs existent des coûts indirects, qui ne sont pas propres à une transaction particulière mais résultent des conditions institutionnelles requises pour que les transactions puissent avoir lieu : ces coûts tiennent d’abord à la taille du marché (dans une économie où le volume de transaction et le nombre d’intervenants sont importants, la mise en relation des parties exige des dispositifs techniques complexes – qu’on pense à l’exemple du marché de gros d’électricité) ; une deuxième source de coûts, qui là aussi tendent à croître avec la taille du marché, vient de la production d’information sur les caractéristiques des biens et services (qu’on pense aux dispositifs requis pour signaler et garantir les normes de qualités) ; une troisième source de coût provient des institutions nécessaires à la réalisation efficace des transactions (par exemple la création d’un système de mesure unifié ou d’une monnaie commune) et à la dissuasion des tricheurs (mise en place de lois, de tribunaux et de forces de police).

Claude Ménard, L’économie des organisations, collection Repères, La Découverte, 2004

Q21 => Recensez dans le tableau qui suit les coûts de transaction directs et indirects :

Q22 => Comment évoluent les coûts de transaction avec l’augmentation de la taille du marché ?

Document 8 – Les frontières de la firme selon Ronald Coase Afin de proposer une véritable théorie de la firme, il reste à comparer les faiblesses de cet arrangement organisationnel avec celles du marché de manière à comprendre pourquoi les deux subsistent. En effet, si la firme a tant d’avantages, on peut se demander pourquoi il n’existe pas une seule et même grande firme pour toutes les transactions d’une société. Autrement dit, quelle est la limite à l’intégration ? Afin de répondre à cette question, Coase avance l’idée qu’organiser une transaction en interne, c’est-à-dire dans la firme, entraîne aussi des coûts de coordination propres à celle-ci, notamment parce que les rendements de l’activité de

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management sont décroissants. Les connaissances nécessaires pour coordonner les transactions en interne deviennent de plus en plus importantes à mesure que le nombre de transactions organisées au sein de la firme augmente. Par conséquent, la firme intègre des activités jusqu’à ce que la dernière activité coûte, en termes de coûts de coordination, aussi cher à produire en interne qu’en externe. Coase applique donc un raisonnement marginaliste et introduit la notion de rationalité limitée (ou plus exactement de limites cognitives) des entrepreneurs dans son analyse : à mesure que le nombre de transactions organisées en interne augmente, il est de plus en plus difficile pour l’entrepreneur de coordonner l’activité de production. Coase définit donc la firme comme le lieu où l’on substitue à une relation coordonnée par le mécanisme du prix une relation où la coordination se fait par l’autorité.

Stéphane Saussier, Anne Yvrande-Billon, Economie des coûts de transaction, collection Repères, La Découverte, 2007

Q23 => Décrivez la rationalité attribuée par Coase aux agents économiques dans son modèle. Q24 => Comment définir un coût d’organisation ? Donnez des exemples. Q25 => Comment évoluent les coûts d’organisation avec la croissance de la firme ? Pourquoi ? Q26 => Pourquoi n’existe-t-il pas une seule grande firme qui réaliserait toutes les activités économiques en interne ? Q27 => Comment l’entrepreneur détermine-t-il la taille de sa firme dans ce modèle ? Q28 => Remplissez le schéma qui suit :

Coûts de transaction, coûts d’organisation et taille de la firme

1.1.2 – L’approche d’Oliver Williamson

Document 9 – La théorie des coûts de transaction Williamson va insister sur l’imperfection des relations industrielles en montrant les avantages que peut avoir l’intégration dans une organisation de taille plus importante par rapport à l’existence et au maintien de contrats, par exemple de sous-traitance, entre deux entreprises. L’imperfection repose sur le fait que les agents économiques sont supposés avoir une rationalité limitée car l’information n’est pas parfaite. Ils sont aussi opportunistes, c’est-à-dire qu’ils recherchent leur intérêt personnel, mais dans un cadre qui n’est pas parfaitement transparent, en agissant par des tromperies. Williamson va intégrer dans l’analyse le degré de spécificité des actifs : un actif sera d’autant plus spécifique qu’il ne pourra être utilisé que dans un type particulier de production. Il en sera ainsi si une entreprise sous-traitante réalise des investissements qui ne peuvent correspondre qu’à une seule activité productive. (…) Il faut entendre par « actif » à la fois le facteur capital mais aussi le facteur travail. Certaines activités nécessitent des salariés formés pour un travail particulier. L’actif sera considéré comme spécifique s’il n’est pas réutilisable, ni réemployable pour une autre activité. Prenons le cas d’un investissement en capital fixe puis d’un investissement en capital humain, chacun entraînant la constitution d’actifs très spécifiques. Ils peuvent provoquer l’un et l’autre des comportements opportunistes :

- cas 1) si une entreprise investit pour fabriquer un des composants du produit d’une autre entreprise, elle ne le fera que si elle est assurée d’une demande pérenne et importante. Or, deux types de comportements opportunistes peuvent intervenir. Le premier émane de l’entreprise cliente qui peut faire jouer la concurrence et utiliser rapidement, avant que le capital ne soit rentable, un autre fournisseur. Le second est le fait du fournisseur qui peut faire profiter de l’équipement (…) un autre client produisant le même produit. Dans ce cas, l’intégration du fournisseur dans l’entreprise cliente sous la forme, au minimum d’un contrat de sous-traitance ou d’une opération de concentration verticale paraît raisonnable ;

- cas 2) si une entreprise à besoin de l’apport d’une ressource humaine très spécialisée, elle aura des difficultés à la trouver déjà formée sur le marché du travail. elle sera donc obligée de contribuer à sa formation (…). L’intégrer dans l’entreprise par un contrat de travail à durée indéterminée semble la solution la plus envisageable pour éviter un comportement opportuniste de la main d’œuvre qui peut, une fois formée, répondre à l’offre d’emploi d’une entreprise plus offrante.

Jean-Marc Huart, Stratégie des entreprises et efficacité économique, Collection Thèmes et Débats, Bréal, 2014

Q29 => Rappelez en quoi consiste la rationalité limitée. Q30 => Expliquez ce qu’est l’opportunisme.

Contrat

…………………………

…………………………

Marché

Hiérarchie

Coûts ……………

Coûts ……………

Arbitrage à la marge / coût d’opportunité

Taille de la firme

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Q31 => Expliquez ce qu’est un actif spécifique. Q32 => Dans le cas n°1, que risque l’entreprise qui fabrique la pièce (quel comportement opportuniste peut adopter l’entreprise cliente) ? Que risque l’entreprise cliente (quel comportement opportuniste peut adopter l’entreprise qui fabrique la pièce) ? Q33 => Dans le cas n°2, quel risque prend l’entreprise une fois qu’elle a réalisé la formation de son salarié ? Q34 => Lorsque le risque de tromperie augmente, quel comportement rationnel devrait adopter l’entreprise qui risque la duperie : faire ou faire faire ? Pourquoi ? Q35 => Comment une entreprise cliente peut-elle se protéger contre la tromperie de l’entreprise qui fabrique la pièce nécessaire à son produit ? Q36 => Comment une entreprise peut-elle se protéger contre la tromperie d’un salarié formée par elle pour réaliser une tâche très spécifique ? Q37 => En quoi l’approche de Williamson s’inscrit-elle dans la continuité des travaux de Coase ?

Document 10 –Différents types de spécificité des actifs La spécificité des actifs peut prendre au moins six formes différentes. Le caractère non-redéployable des investissements peut provenir :

- de leur localisation : on parle alors de spécificité de site. L’exemple typique est celui d’un fournisseur qui accepte d’implanter son usine à côté de celle de son client, comme c’est le cas par exemple des aciéries et des hauts fourneaux dans l’industrie sidérurgique. Ce faisant, il économise sur les coûts de transport et de stockage mais il limite dans le même temps les possibilités de redéployer son investissement vers d’autres clients ;

- de leurs caractéristiques physiques : on parle alors de spécificité physique. Le transport de certaines marchandises comme le produits chimiques par exemple nécessite de recourir à des wagons spécialement conçus à cet effet. Aussi observe-t-on que les fabricants de produits chimiques préfèrent souvent posséder de tels actifs plutôt que d’en négocier la location auprès de compagnies ferroviaires ;

- de la taille du marché : on parle alors d’actifs dédiés. De tels actifs sont développés lorsqu’un fournisseur accepte, pour répondre à la demande d’un client d’investir dans des équipements à caractère général, qui pourraient intrinsèquement intéresser d’autres clients ou être facilement redéployés vers d’autres activités. Leur non-redéployabilité ne provient pas des caractéristiques physiques des actifs, mais de la taille du marché qui ne peut pas autoriser ce redéploiement au moment où le fournisseur développe ces actifs. Des actifs dédiés sont généralement d’autant plus développés pour la réalisation d’une transaction que celle-ci concerne des quantités importantes par rapport au marché global ;

- de connaissances spécialisées nécessaires à la transaction : on parle alors d’actifs spécifiques humains. Cette notion comprend les dépenses faites en formation par le fournisseur afin de répondre à la demande d’un client. Pour peu que la demande soit particulière, les connaissances développées par le fournisseur ne lui seront d’aucune utilité pour d’autres clients ou d’autres usages ;

- de leur identification à une marque : on parle alors de spécificité de marque. On regroupe dans ce type d’actif tout ce qui a trait à la marque, notamment les efforts effectués par les contractants pour améliorer leur réputation ;

Stéphanie Saussier, Anne Yvrande-Bilon, Economie des coûts de transaction, collection Repères, La Découverte, 2007 p.19

Document 11 – L’incidence de la spécificité des actifs sur la relation entre les coéchangistes Les transactions différent sur un points essentiel : la nature des investissements que les parties prenantes à une transaction doivent réaliser et plus particulièrement leur degré de spécificité. La spécificité des actifs est l’ingrédient principal de la théorie des coûts de transaction. (…) Des investissements spécifiques correspondent à des investissements durables, effectués pour réaliser la transaction, et qui ne sont pas redéployables sans coût vers d’autres usages ou d’autres clients. Des partenaires sont amenés à réaliser des investissements spécifiques car cela valorise leur relation. Le développement d’actifs spécifiques permet par exemple de réaliser des économies de coûts de production ou de différencier les produits. Cependant, de tels investissements parce qu’ils sont difficilement redéployables, enferment les parties dans une situation de dépendance bilatérale qui accroît les risques d’opportunisme et peut donc affecter le bon déroulement des transactions. Une fois qu’un investissement spécifique durable est effectué, acheteurs et vendeurs se retrouvent dans une situation de lock-in à cause des coûts qu’entraînerait la rupture de la relation. Aucune des deux parties n’a intérêt à ce que la relation soit interrompue car cela reviendrait à sacrifier la valeur économique induite par les investissements spécifiques. Mais chacune peut chercher à exploiter la dépendance de l’autre et à s’accaparer la quasi-rente générée par de tels investissements. En somme, la présence d’actifs spécifiques, parce qu’elle crée une quasi-rente pouvant faire l’objet de convoitises et de renégociations nuisibles, peut-être à l’origine de graves difficultés contractuelles et donc d’importants coûts de transaction.

Stéphanie Saussier, Anne Yvrande-Bilon, Economie des coûts de transaction, collection Repères, La Découverte, 2007 p18-20

Document 11 – Quand l’intégration est préférée au marché La théorie de Williamson se situe directement dans le prolongement de Coase. Elle développe l’analyse des coûts de transaction pour expliquer, en particulier, dans quels cas la firme s’impose comme un mode de coordination, c’est-à-dire dans quel cas l’intégration d’une activité dans la firme sera préférée au recours au marché, par l’extériorisation. Williamson

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se distingue des approches néoclassiques par ses hypothèses sur le comportement des agents économiques et sur les caractéristiques des contrats. Il reprend la théorie de la rationalité limitée d’Herbert Simon : les agents ont des capacités cognitives limitées, ils ne peuvent pas, dans des environnements complexes, envisager tous les évènements possibles et calculer parfaitement les conséquences de leurs actes. En conséquence, les contrats seront, le plus souvent, des contrats incomplets, qui n’envisagent pas tous les évènements possibles. Le problème est alors de savoir ce qui va se passer, après signature d’un contrat, en cas d’événement imprévu. L’incomplétude des contrats laisse une marge de manœuvre aux parties, ce qui va permettre les comportements opportunistes, la manipulation de l’information par les agents. C’est là que se situe, pour Williamson, le problème essentiel : l’opportunisme, et la manière de s’en protéger, est au centre des choix organisationnels. Ce problème se pose tout particulièrement quand, pour une transaction, les agents doivent réaliser des investissements spécifiques, non réutilisables en dehors de la transaction, qui les rendent dépendants l’un de l’autre. Chaque partie peut alors craindre que l’autre s’approprie le bénéfice de la transaction, qu’il y ait « hold-up ». C’est essentiellement dans ce cas où une transaction implique des investissements fortement spécifiques que (…) la coordination dans la firme sera préférée à la coordination par le marché. (…) La firme, pour Williamson est ainsi un système contractuel particulier, un « arrangement institutionnel » caractérisé par un principe hiérarchique selon lequel c’est la direction de l’entreprise qui a le pouvoir de prendre les décisions en cas d’événements non prévus dans les contrats, et qui permet de limiter les risques liés à l’opportunisme.

Olivier Weinstein, « L’entreprise dans la théorie économique » in Cahiers Français N°345, 2008

Q38 => Expliquez ce qu’est un contrat incomplet. Q39 => Remplissez le tableau avec les termes suivants : *élevé, *faible, *faire, *faire faire

Situation d’asymétrie d’information et contrats incomplets La transaction porte sur des actifs spécifiques La transaction porte sur des actifs non spécifiques Risque …………. de comportement opportuniste Risque …………. de comportement opportuniste

Coûts de transaction ………………… Coûts de transaction ………………… Internalisation : …………………… Externalisation : ……………………

Document 12 – Le cas Fisher-Body/General Motor Le cas désormais célèbre des relations entre le constructeur automobile américain General Motors (GM) et l’un de ses fournisseurs, Fisher Body (FB), illustre les aléas contractuels auxquels peuvent se heurter des partenaires lorsque des investissements spécifiques sont en jeu et que l’environnement des transactions est incertain. Ce cas peut se résumer de la manière suivante/ Dans les années 1920, avec l’essor du marché automobile et l’évolution des technologies dans cette industrie (notamment le passage de la carrosserie en bois à la carrosserie métallique), GM, désireux de se différencier de ses concurrents, demanda à l’un de ses fournisseurs, FB, d’investir dans des moules spécifiques au design des voitures de GM. Afin d’inciter FB à réaliser de tels investissements, GM s’engagea, dans le contrat signé, avec son fournisseur, à acheter pendant dix ans toutes les carrosseries produites par FB à un prix couvrant ses coûts variables et lui assurant une marge de 17,6 %. Ce contrat fut donc conçu de manière à protéger le contractant réalisant les investissements, FB, contre d’éventuels comportements opportunistes de la part de son client, GM. Mais, il ne prévoyait pas que le fournisseur lui-même puisse être opportuniste… Or, une fois le contrat signé et les investissements réalisés, la demande d’automobiles augmenta dans des proportions imprévues. GM pressa alors FB d’implanter son usine de carrosserie à proximité de l’usine d’assemblage afin de réduire les coûts de transport. Il demanda aussi à son fournisseur de réaliser des investissements en capital de manière à exploiter des économies d’échelle rendues possibles par l’accroissement du volume de production. Mais FB refusa d’agir de la sorte, préférant rester à distance de son client et embaucher du personnel (plutôt que d’investir dans du capital) afin d’appliquer le taux de marge à des coûts variables (coûts de transports et coûts de la main d’oeuvre) importants. Comme le contrat n’obligeait pas FB à faire autrement, GM du subir l’opportunisme de son fournisseur pendant toute la durée du contrat mais décida, au terme de l’arrangement d’intégrer son fournisseur.

Stéphanie Saussier, Anne Yvrande-Bilon, Economie des coûts de transaction, collection Repères, La Découverte, 2007 p23

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La firme est ici plus efficace que le

marché

Q40 => Analysez sur le même modèle un contrat marchand entre un constructeur automobile et une firme de pneumatiques. Les conclusions seront-elles les mêmes ? Pourquoi ?

Document 13 – Taille et organisation des entreprises à travers le prisme du modèle de Williamson Le modèle de Williamson permet d’expliquer la taille et l’organisation des entreprises par des facteurs liées aux techniques de production mais aussi par des analyses liées aux coûts de transaction. Quand le degré de spécificité des actifs devient faible, et que les coûts de transaction sont également assez faibles, il est possible que la taille de l’entreprise diminue ou que l’organisation évolue. Dans la période la plus récente, l’évolution technologique a rendu moins spécifiques certains actifs, notamment tous ceux utilisant de près ou de loin l’outil informatique. Ceci a eu pour conséquence de diminuer les coûts de transaction grâce à l’utilisation des nouvelles technologies. Dans le même temps, les entreprises ont poursuivi un mouvement d’intégration, surtout horizontal, avec recentrage sur leur activité principale (activité placée au cœur de la production de richesses) (et) elles ont externalisées leurs activités secondaires. Ces dernières étaient surtout celles qui étaient « consommatrices de moyens » selon l’expression d’Henry Fayol. Les firmes arrivent à économiser sur les coûts d’organisation et à réaliser des économies d’échelle sur leur production principale. La fusion entre Rhône Poulenc et Hoechst, qui a abouti à la création d’Aventis, s’est déroulée après un recentrage des deux entreprises sur la production de produits pharmaceutiques et la séparation d’activités annexes. Cette stratégie a abouti à la réduction des effectifs ce qui contribue à la réalisation d’économie d’échelle. Une des conséquences de ces opérations est la mutation des formes organisationnelles des entreprises. Si les formes en U, puis en M, ont pendant longtemps dominé les structures économiques, on assiste à un bouleversement important depuis deux décennies.

Jean-Marc Huart, Stratégie des entreprises et efficacité économique, Collection Thèmes et Débats, Bréal, 2014

Q41 => En quoi la théorie de Williamson est intéressante pour analyser les stratégies des firmes contemporaines ?

Firme 1 : General Motors

Firme 2 : Fisher Body

Contrat marchand

Hypothèse d’incertitude : contrats

incomplets

Forte spécificité des actifs de la firme FB

Comportement opportuniste ex-post (après la signature du contrat) de Fisher Body

Coût irrécupérable pour GM

Situation de « lock in » (c’est-à-dire d’enfermement dans une relation)

+ Rationalité limitée +

Intégration verticale de l’activité par GM

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Document 14 – Une lecture alternative de la concentration des entreprises L’idée centrale de la théorie (ndlr : des coûts de transaction élaborée par Williamson) est que le choix d’une structure de gouvernance (ndlr : pour l’instant firme ou marché) repose sur le principe de minimisation des coûts de production (ndlr : organisation) et des coûts de transaction associés à la fourniture d’un bien ou d’un service. L’arrangement contractuel qui permet de minimiser les coûts de transaction est celui qui est le mieux adapté aux caractéristiques des transactions à gérer. Ceci implique que la diversité des transactions explique la diversité des formes contractuelles et donc des structures de gouvernance, contrairement à l’analyse dominante qui voyait l’intégration verticale comme un moyen de distordre la concurrence et d’extraire une rente de monopole par la prise de contrôle des marchés des inputs ou des canaux de distribution. C’est cette analyse qui a conduit au démantèlement aux Etats-Unis de la Standard Oil de Rockfeller en 1911, au nom du Sherman Antitrust Act (1890), car l’entreprise avait le contrôle des réseaux de distribution du pétrole (commercialisant un produit standardisé, le « standard oil »). L’approche de Williamson remet en cause cette lecture de l’intégration en montrant que ces pratiques devaient être analysées en comparant les coûts liés à la monopolisation potentielle aux gains réalisés grâce à cette opération.

Jean-Pierre Biasutti, Laurent Braquet, Comprendre l’entreprise, ellipses, 2013

Q42 => Quelle est la lecture traditionnelle de l’intégration verticale ? Quelle en est la conséquence en termes de politique de la concurrence ? Q43 => En quoi l’approche de Williamson permet de refonder la politique de la concurrence ?

Document 14 – Des formes hybrides entre firme et marché Les modes de gouvernance hybrides incluent des arrangements aussi variés que les contrats de sous-traitance, les franchises commerciales, les marques collectives, les réseaux de firmes, qu’il s’agisse de réseaux d’approvisionnement ou de distribution, les partenariats entre firmes et universités dans le secteurs des biotechnologies ou entre avocats créant des cabinets, les coopératives ou encore les alliances d’entreprises comme celles développées par les compagnies aériennes. Bien qu’apparemment hétérogènes, ces formes intermédiaires de pilotage des transactions possèdent des caractéristiques communes. En premier lieu, toutes supposent la mise en commun de ressources par des partenaires qui demeurent néanmoins juridiquement distincts. Le recours à des arrangements hybrides s’accompagne en effet d’une perte d’autonomie sur certaines décisions d’investissement ou de planification, sans pour autant mener à l’intégration des parties. La deuxième caractéristique commune à toutes les formes hybrides est le recours à la contractualisation. Pour assurer coordination et continuité de la relation sans passer par une structure hiérarchique qui nuirait aux incitations, les partenaires s’appuient sur des accords contractuels plus ou moins formels. En outre, ces arrangements intermédiaires garantissent le maintien de pressions concurrentielles entre les participants. Les accords peuvent en effet être conçus de

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telle sorte que les participants soient mis en concurrence régulièrement, comme dans le cas des relations de sous-traitance. Ils peuvent aussi prévoir que les participants coopèrent sur certaines activités comme les projets de recherche et développement, mais soient rivaux sur d’autres. Enfin, la dernière caractéristique fondamentale des formes hybrides est qu’elles reposent sur des mécanismes internes de coordination et de résolution des conflits qui leurs sont propres. Les partenaires adoptent en effet des clauses contractuelles restrictives dans le but de faciliter la coordination entre amont et aval par exemple (…). Ils choisissent en outre ensemble les intervenants qui auront autorité en cas de litige.

Stéphanie Saussier, Anne Yvrande-Bilon, Economie des coûts de transaction, collection Repères, La Découverte, 2007 p30

Document 15 – Les propriétés des différentes structures de gouvernance

Document 16 – Un premier exemple de forme hybride : les contrats de sous-traitance Une analyse comparative des relations contractuelles entre les constructeurs d’automobiles et leurs fournisseurs aux Japons et aux Etats-Unis permettent d’illustrer les avantages des formes hybrides. (…) Cette étude (…) constate que les firmes américaines s’appuient essentiellement sur des arrangements marchands ou sur l’intégration verticale pour encadrer les transactions avec leurs fournisseurs. Au contraire, les constructeurs japonais préfèrent recourir à des formes hybrides de gouvernance, en l’occurrence à des contrats de sous-traitance. Ces différences dans les choix organisationnels des constructeurs est présentée comme le principal facteur explicatif des différences de performance entre les firmes américaines et japonaises. En effet, compte tenu des transactions à réaliser dans le secteur étudié, le mode hybride d’organisation choisi par les firmes japonaises serait le plus efficace car il permettrait d’obtenir les avantages de la décentralisation et de la concurrence sans pour autant sacrifier les économies d’échelle et la coordination.

Stéphanie Saussier, Anne Yvrande-Bilon, Economie des coûts de transaction, collection Repères, La Découverte, 2007 p.30

Document 17 – Un deuxième exemple de forme hybride : la relation de franchise Le contrat de franchise est un accord par lequel une entreprise, le franchiseur, accorde à une autre, le franchisé, en échange d’une compensation financière directe ou indirecte, le droit d’exploiter une franchise dans le but de commercialiser des types de produits et/ou de services déterminés. Généralement, la compensation financière prend la forme d’un droit d’entrée et d’une redevance ou de plusieurs redevances qui dépendent du chiffre d’affaires réalisé par le franchisé. C’est la présence simultanée de ces éléments, l’utilisation par le franchisé de la marque du franchiseur, la transmission d’un savoir-faire et l’assistance continue du franchiseur, qui définit le contrat de franchise et qui le distingue des autres types de contrats de distribution. La relation de franchise (…) peut être utilement analysée comme une forme d’organisation hybride soutenue par un contrat néoclassique. (…) Les accords de franchise occupent une position intermédiaire. Par rapport à l’intégration verticale, le franchisé a des incitations beaucoup plus fortes dans la mesure où : 1) il possède son unité ; 2) il est créancier

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résiduel du fruit de ses décisions une fois payées les différentes redevances au franchiseur. L’intensité des incitations est toutefois moins forte que dans le cas du distributeur indépendant (c’est-à-dire la solution de marché pour le franchiseur) car il doit partager une partie de son revenu avec le franchiseur. L’intensité du contrôle est aussi différente avec les structures de gouvernance. Les franchisés sont périodiquement contrôlés par le franchiseur ou un de ses représentants, en particulier la qualité des produits vendus, la propreté du magasin, plus généralement différents éléments qui font partie du concept commercial dont le franchisé a reçu délégation. Une étude dans le secteur de la restauration rapide aux Etats-Unis montre cependant que les unités qui sont possédées par le franchiseur sont beaucoup plus couvent contrôlées que les unités franchisées. Une fois encore, les unités franchisées sont à mi-chemin entre la solution du marché et celle de l’intégration verticale. La relation de franchise n’en demeure pas moins une relation contractuelle caractérisée par des tensions et des risques de conflits. En effet, si l’on considère la propriété des actifs, le contrat de franchise est très proche de la solution de marché (c’est-à-dire le contrat d’achat vente) car le franchisé est un manager indépendant qui possède la totalité des actifs nécessaires à son activité. Si maintenant on considère la question du contrôle de ces actifs, la relation de franchise est très proche de la relation de subordination, propre à la firme, car le franchiseur impose en grande partie ses vues au franchisé. En effet, afin de limiter les comportements opportunistes qui nuiraient à l’image de marque du réseau, le franchiseur impose bien souvent des clauses contractuelles qui limitent l’autonomie du franchisé quant aux décisions qu’il peut prendre sur son activité. Il perd, par exemple, des opportunités de profit si le contrat l’oblige à recourir à des fournisseurs qualifiés par le franchiseur alors même que d’autres fournisseurs lui proposent des prix plus avantageux. De plus, il est parfois contraint par le franchiseur lors de la revente de son unité. Ce dernier peut en effet avoir un droit de regard sur le repreneur potentiel. On est dès lors clairement dans une relation hybride, où les contractants sont indépendants sans être autonomes.

Stéphanie Saussier, Anne Yvrande-Bilon, Economie des coûts de transaction, collection Repères, La Découverte, 2007 p.32-33 Document 18 – Un troisième exemple de forme hybride : la concession La concession est un contrat par lequel une entreprise appelée concédant s’engage à approvisionner son concessionnaire en produits de sa marque et à lui apporter une assistance technique (formation, fourniture de logiciels...) en contrepartie des obligations souscrites par le concessionnaire (respecter des quotas de vente, assurer le service après-vente, participer aux actions promotionnelles, se conformer au cahier des charges). Généralement, la concession confère un monopole géographique au concessionnaire qui est le seul représentant de l’entreprise dans une zone délimitée par le concédant. La concession est un procédé très employé pour constituer un réseau de distribution homogène, pratiquant une politique commune, bien que les divers distributeurs soient juridiquement indépendants.

http://www.oeconomia.net/private/cours/concurrence/seance10.pdf Document 19 – Un quatrième exemple de forme hybride : la coopétition La coopétition traduit une relation de collaboration entre concurrents. Cette situation paradoxale conduit à se poser certaines questions : Pourquoi des concurrents, qu’a priori tout oppose, décident-ils de collaborer ? Comment parviennent-ils à dépasser un risque de perte de ressources lié à l’opportunisme présumé du partenaire ? Dans quel but d’engagent-ils dans des relations aussi complexes. (…) Les entreprises s’engagent dans des stratégies de coopétition pour survivre ou bénéficier de performances économiques hors normes et qu’il existe des manières efficaces de gérer durablement ces relations complexes. (…) La coopétition (…) est un concept 100 % « made in pratique ». Officiellement, la paternité du terme dans le business revient à Raymond Noorda, alors PDG de Novelle, l’entreprise d’Utah fabricante de logiciels. (…) Le terme coopétition lui permet de qualifier les alliances gagnantes menées avec ses concurrents dans le but de développer des standards communs. Une philosophie qui lui a permis d’atteindre 70 % de parts de marché dans les années 1990. Le néologisme coopétition permet ainsi de qualifier des relations mêlant concurrence et coopération. (…) C’est dans le corpus théorique de la nouvelle économie institutionnelle que naissent les fondements théoriques de la notion (…). Williamson établit l’existence d’une troisième forme de gouvernance, entre le marché et l’entreprise, qu’il nomme forme hybride. La forme hybride admet un mélange de concurrence et de coopération qui permet d’acquérir des ressources en s’émancipant du recours exclusif au marché ou à la hiérarchie.

Julien Granata et Pierre Marquès, Coopétition S’allier à ses concurrents pour gagner, Pearson, 2014

Document 19 – Ce qu’il faut retenir de la théorie des coûts de transaction Pour nous résumer, la théorie des coûts de transaction s’interroge sur les motifs qui poussent les agents à écrire des contrats. Le premier motif, le plus souvent mis en avant, est le désir de protection des investissements spécifiques (recherche de sécurité) avancés par l’une des parties ou les deux. Parce que les investissements spécifiques ne sont pas redéployables sans coûts vers d’autres usages ou d’autres utilisateurs, les parties ont intérêt à chercher à influencer la distribution de la quasi-rente ainsi créée au travers de comportements opportunistes. Les contrats sont donc le moyen de promouvoir l’efficacité en spécifiant ex ante la distribution de la quasi-rente ex post, évitant ainsi des marchandages répétitifs et des risques d’opportunisme ex post. Du fait des hypothèses que retient la théorie des coûts de transaction, les choses sont un peu plus complexes notamment parce que les contrats ne sont pas des mécanismes parfaits exécutés de manière mécanique et respectés à la lettre. Ils ne sont que des outils de contrôle très imparfaits des comportements opportunistes. Les parties peuvent mettre au

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point toutes sortes de tactiques pour ne pas avoir à respecter le contrat ou l’esprit du contrat. Un élément important dans le choix de la forme du contrat devient alors la recherche d’économie des coûts associés à la résolution des conflits et au contrôle de l’échange. Les contrats, dès lors qu’ils sont de long terme, sont incomplets et ne cherchent pas forcément à réduire cette incomplétude. Ils sont plutôt caractérisés par un processus de négociation continuelle. Les contrats, de ce point de vue, deviennent simplement un moyen de structurer ces négociations afin d’éviter, dans l mesure du possible, des comportements opportunistes. Le problème qui se pose alors aux parties contractantes est de choisir une structure qui encourage le développement de la quasi-rente (à travers des investissements spécifiques) et les ajustements nécessaires à son maintien (recherche de flexibilité), mais qui décourage les efforts réduisant la quasi-rente, ne cherchant qu’à influencer sa redistribution au travers de comportements opportunistes. Si des contrats recherchant la complétude rendent plus difficile les comportements opportunistes, ils peuvent aussi limiter la capacité d’adaptation des partenaires et sacrifier des gains (coûts d’opportunité) ou entraîner de fortes dépenses improductives afin de conduire les parties à une renégociation. L’avantage de contrats moins précis, plus relationnels, qui laissent certains aspects pour une négociation future, est qu’ils sont plus simples à écrire et permettent l’adaptation aux évènements non prévus. Plutôt qu’un contrat contingent complet, on cherche à mettre en place une sorte de constitution gouvernant la transaction. L’inconvénient de telles structures est qu’elles laissent une grande latitude pour de possibles comportements opportunistes. Dans la réalité, les parties effectuent donc un arbitrage entre flexibilité et sécurité. Le degré de détail dans les contrats reflète la nature de la transaction : « ce qui est nécessaire est un moyen pour rendre certaines dimensions du contrat flexibles avec des termes dans lesquels les deux parties aient confiance. Cela peut être accompli en ; 1) reconnaissant que les risques d’opportunisme varient avec le type d’adaptation proposé et 2) en restreignant les ajustements à ceux où les risques sont les plus faibles. Lorsque le contrat ne permet pas d’obtenir un niveau adéquat de flexibilité et de sécurité dans la relation, alors la solution ultime est l’intégration et le remplacement d’une relation hybride par une relation de subordination (mode D), permettant d’atteindre ces deux objectifs au prix d’une chute des incitations.

Stéphanie Saussier, Anne Yvrande-Bilon, Economie des coûts de transaction, collection Repères, La Découverte, 2007 p.37-39

Synthèse – le choix de la structure de gouvernance : un arbitrage entre flexibilité, sécurité et incitation

1.2 – La firme comme nœud de contrats marchands

Document 1 – La production en équipe et la firme capitaliste classique Dans leur article de 1972 ; Armen Alchian et Harold Demsetz prennent position – dès l’introduction – dans le débat académique ambiant sur la nature de la firme : « les contrats de long terme entre un employeur et un employé ne sont pas l’essence de l’organisation que nous nommons firme » (1972). En d’autres termes, dans une firme, le pouvoir, l’autorité ou même la subordination ne seraient que des illusions. Le principal fondement de cette conclusion repose sur un argument controversé selon lequel dans la firme, tout comme dans le marché, il n’y a pas de contrat qui oblige l’agent économique à renouveler et à pérenniser une relation. La liberté économique est une caractéristique commune au marché et à la firme. D’où la métaphore de l’épicier. Il n’y aurait pas de différence entre une relation d’emploi et une relation commerciale, car,

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de la même manière qu’un consommateur peut rompre à tout instant une relation avec son épicier, l’employeur n’a pas d’autre prérogative que celle de pouvoir licencier un employé. L’une des principales caractéristiques du marché est de révéler le niveau de productivité des agents économiques et, ainsi, de permettre l’égalisation entre le niveau d’effort consenti et la rémunération de ceux-ci. L’une des principales caractéristiques de la firme est de favoriser la coopération entre les agents économiques de telle manière que le niveau agrégé de production de l’équipe – l’output – soit plus élevé que la somme des contributions individuelles. Néanmoins dans une équipe de production, il est impossible de mesurer les produits marginaux des membres de manière directe et séparée. En raison des effets dits de synergie, le produit marginal du team diffère de la somme du produit marginal des membres de l’équipe de production. Dès lors, les individus bénéficieront des efforts collectifs sans nécessairement y contribuer. La firme est fatalement sujette à l’aléa moral et au phénomène du « passager clandestin ». Comment éviter les comportements de tire-au-flanc de manière à asseoir l’efficience d’une firme ? C’est principalement en répondant à cette question que la supériorité de la firme capitaliste vis-à-vis du marché dans l’organisation de la production apparaît. Pour Alchian et Demsetz, l’un des possibilités consiste à recourir à un contrôleur – un moniteur – spécialisé dans le contrôle des performances productives de chaque membre de l’équipe. Bien entendu, le risque de « double aléa moral » demeure ; l’opportunisme du moniteur reste une possibilité à ne pas négliger : quis custodiet ipsos custodiet ?1 C’est pourquoi Alchian et Demsetz attribuent au contrôleur un statut particulier, celui de créancier résiduel (propriétaire de la firme). L’objectif avoué de ce statut est clair : en devenant le bénéficiaire du revenu net – c’est-à-dire le résidu restant après rétribution de tous les autres facteurs de production –, le contrôleur a intérêt à limiter autant que faire se peut les coûts d’agence. Le contrôleur tire sa rémunération résiduelle de la réduction des comportements de « tire-au-flanc » de la part des employés. Toute relation entre un membre de l’équipe et le contrôleur se réduit à un contrat – ou plutôt à un quid pro quo – qui peut être rompu à tout moment par l’une des deux parties. Dès lors, l’autorité ne saurait être un trait ontologique de la firme. La firme ne diffère pas du marché par nature mais simplement par degré d’incitation. Elle est même plus que cela. La firme s’apprécie comme une collection d’information sur les inputs, ce qui fait de celle-ci un véritable marché « efficient ». La firme est réduite à une structure contractuelle sujette à des renégociations récurrentes avec l’agent central, tout à la fois contrôleur, employeur et propriétaire de la firme. Autrement dit, les inséparabilités technologiques nécessitent une production jointe qui est censée délimiter un nœuds de contrats spécifiques, c’est-à-dire une firme. 1 Locution latine attribuée au poète romain Juvénal qui signifie « Mais qui gardera ces gardiens ».

Bernard Baudry, Virgile Chassagnon, Les théories économiques de l’entreprise, Collection Repères, La Découverte, 2014

Q47 => Selon Alchian et Demsetz, quelle est la caractéristique principale de la firme ? Q48 => Expliquez la phrase soulignée. Q49 => Quel est le rôle du contrôleur pour Alchian et Demsetz ? Comment y parvient-il ? Q50 => Pourquoi est-il important que ce contrôleur soit également propriétaire de la firme ? Q51 => Pour Alchian et Demsetz, la firme envisagée comme un « nœud de contrats entre les propriétaires des moyens de production (capital et travail) » s’oppose-t-elle au marché ?

Schéma de synthèse – Alchian et Demsetz : la théorie des droits de propriété

Travail en …………..

Production ………. > somme des productions individuelles

Impossibilité de déterminer la productivité

……………………. Information ……………

……………

Diminution de l’efficience de la production

Solution : ………………………………………………………………………………………………………………………………

Problème : …………………………………………………………………………

Solution : ………………………………………………………………………… ………………………………………………………………………… ………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………

Les salariés acceptent librement de déléguer leur pouvoir de décision au contrôleur/entrepreneur parce que cela permet de dépasser les problèmes d’information imparfaite et d’aléa moral propre au travail en équipe

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Document 16 – Michael Jensen et William Meckling : la théorie de l’agence En mettant l’accent sur les divergences d’intérêt potentiels entre les parties prenantes de l’entreprise (dirigeants, actionnaires et créanciers), l’article (…) de Michael Jensen et William Meckling, en 1976, marque une étape importante dans la construction d’une approche réaliste de l’entreprise par l’analyse économique. Partant d’un constat déjà établi par Adam Smith (…) sur le conflit d’intérêt entre les propriétaires du capital et les dirigeants, il apparaît aux économistes que, dans l’entreprise, certains acteurs (« le principal ») sont amenés à déléguer une partie de leur pouvoir décisionnel à d’autres (« l’agent ») ayant des intérêts qui ne coïncident pas forcément avec les leurs. La théorie de l’agence, fondée sur une approche microéconomique et sur l’hypothèse de maximisation des individus, repose sur l’idée que les divergences d’intérêt dans les organisations s’accompagnent de conflits, induisant à leur tour des coûts. Ces « coûts d’agence » réduisent les gains issus de la coopération, dans un contexte ou les contrats sont incomplets et laissent aux individus une latitude pour profiter des asymétries d’information. Ces conflits porter sur les choix stratégiques de l’entreprise, sur les modalités de la création de valeur, ou sur l’appropriation de la valeur créée. Ils ne sont pas fatalement agressifs et ne supposent pas l’exploitation d’une partie par une autre au sein de l’entreprise. La théorie de l’agence est plus une théorie de la coopération efficace qui cherche à la fois à expliquer les formes organisationnelles comme mode de réduction des couts induits par la relation d’agence et à proposer des mécanismes permettant de réduire ces coûts. Jensen et Meckling y introduisent le concept fondamental de relation d’agence. Cette relation se présente d’abord comme une relation de délégation dans laquelle un agent (ou un groupe d’agents) engage un autre agent (ou un autre groupe d’agents) pour réaliser à sa place une mission qui implique de lui déléguer une partie du pouvoir. Cette délégation suppose une asymétrie d’information car le principal n’a qu’une information limité sur les caractéristiques de l’agent (ce qui l’expose à un risque de sélection adverse c’est-à-dire de choisir le mauvais agent) et ne peut observer qu’imparfaitement l’action de l’agent (ce qui l’expose à un risque d’aléa moral c’est-à-dire de voir l’agent ne pas exécuter la mission comme prévu). Cette imperfection de l’information est constitutive de toute relation d’agence et la relation d’agence est elle-même une grille de lecture qui peut convenir à de nombreuses situations : relation employeur/salarié, relation actionnaires/managers salariés (…). Ces problèmes d’agence engendreront plusieurs types de coûts : des dépenses de contrôle et d’incitation pour le « principal », des dépenses de garantie pour l’« agent » afin de convaincre le principal qu’il ne sera pas trompé, une perte « résiduelle » inévitable qui vient du décalage entre le résultat de l’action de l’agent et les attentes du principal.

Jean-Pierre Biasutti, Laurent Braquet, Comprendre l’entreprise, ellipses, 2013

Q52 => Qu’est-ce qu’un principal ? Q53 => Qu’est-ce qu’un agent ? Q54 => Définissez ce qu’est une relation d’agence. Q55 => Pourquoi une relation d’agence engendre-t-elle des coûts ? Q56 => Donnez des exemples Document 17 – La firme : une fiction légale qui économise des coûts d’agence Si Jensen et Meckling (1976) empruntent à Alchian et Demsetz l’idée que les contrat sont des « véhicules d’échanges volontaires » et approuvent le rôle central que ces auteurs accordent aux activités de monitoring dans la firme, ils se distinguent très explicitement en faisant savoir que la focalisation sur le cas de la production jointe n’est pas une condition nécessaire pour aboutir à leur conclusion. Au contraire, elle mène à une théorisation de la firme beaucoup trop étroite. Pour eux, « les relations contractuelles sont l’essence de la firme, mais elle concernent tant les employés que les fournisseurs, les clients, les créanciers et ainsi de suite » (Jensen et Meckling 1976). Et les relations d’agence se manifestent dans chacune des relations bilatérales entre la firme et un contractant individuel. La firme n’est qu’une fiction contractuelle instituée par le droit pour constituer un nœud capable de cristalliser un ensemble de relations contractuelles conclues entre les individus. En somme, la firme se réduit à la représentation schématique présentée (ci-dessous) :

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La firme centralise un ensemble de contrats bilatéraux, là où le marché décentralisé nécessiterait d’établir plus de contrats, de multiplier les relations d’agence et donc engendrerait des coûts de transaction plus élevés. En effet, sur le marché, chaque individu doit négocier des contrats avec l’ensemble des autres individus. Dans la firme, un agent central, commun à toutes les autres parties, contracte avec chacune d’elles (voir encadré ci-dessous). Dans le cadre de la firme, il y a un nombre indéfini de relations contractuelles complexes entre elle – la fiction légale – et, par exemple, les employés, les fournisseurs et les clients. Distinguer un nœud de contrat d’un autre n’est donc plus une tâche aisée ; « Il est peu sensé, voire dénué de sens, de tenter de distinguer les choses qui sont à l’intérieur de la firme (ou de toute autre organisation) des choses qui sont en dehors de celle-ci » (Jensen et Meckling 1976).

Bernard Baudry, Virgile Chassagnon, Les théories économiques de l’entreprise, Collection Repères, La Découverte, 2014

Q57 => En quoi la théorie de l’agence développée par Jensen et Meckling se différencie-t-elle de la théorie des droits de propriété produite par Alchian et Demsetz ? Q58 => Ces auteurs opposent-ils la firme au marché ? Q59 => Pourquoi ces auteurs parlent de fiction légale pour caractériser la firme ? Q60 => Quel est l’avantage de la firme sur le marché dans cette approche ?

Document 18 – La firme comme système d’incitation Si l’on devait résumer en un mot les conclusions théoriques de la théorie du nœud de contrats explicites, nous choisirions « réduction », car le contrat est supposé être le mécanisme d’incitation et de coordination le plus efficient. Il oriente les actions des individus dans leurs propres intérêts ; il régule les comportements humains dans l’intérêt collectif ; il garantit une rétribution des efforts consentis. Les individus et les relations sociales qui les soutiennent n’existent pas ou n’existent qu’à travers des contrats. La firme n’a d’autre fonction que de créer les incitations nécessaires à l’activité de production. Cette vision de la firme comme système d’incitation sera utilisée dans différents champs de recherche en économie.

Bernard Baudry, Virgile Chassagnon, Les théories économiques de l’entreprise, Collection Repères, La Découverte, 2014

Q61 => Pourquoi Baudry et Chassagnon qualifient-ils les théories des nœuds de contrats de « réduction » ? Q62 => À travers la relation d’agence entre un manager et ses actionnaires, présentez les dispositifs d’incitation qui peuvent être mis en place pour s’assurer que le manager maximise la création de valeur actionnariale. Document 19 – Les mécanismes de résolution du conflit actionnaires-managers Il n’existe pas de définition unique de la gouvernance de la firme. La définition proposée par Andrei Shleifer et Robert Vishny (1997), et largement reprise dans le monde académique, nous servira de point de départ. Pour ces deux auteurs, la corporate governance porte sur les moyens par lesquels les fournisseurs de capitaux de la firme peuvent s’assurer

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de la rentabilité de leurs investissements. A s’en tenir à cette définition, fort restrictive, le principal débat sur la gouvernance renvoie donc aux dispositifs qui vont contraindre les managers à agir dans l’intérêt des actionnaires. Les analyses en terme de relation d’agence montrent qu’un certain nombre de dispositifs permettent en principe de résoudre les conflits d’objectifs que nous avons mis en évidence : il s’agit de l’Etat, de trois mécanismes de nature externe, le marché des biens et des services, le marché financier et le marché du travail des dirigeants, et des mécanismes de nature interne, mis en œuvre par les actionnaires eux-mêmes.

1) L’Etat. Il intervient par les réglementations qu’il impose en matière de protection des documents comptables et financiers, et en mettant en place des organismes de surveillance des marchés financiers, comme la Commission des opération de Bourse en France (COB), organismes qui sont chargés, entre autres, de veiller à la bonne information des actionnaires des sociétés cotées.

2) Le marché des biens et des services. Ce deuxième mécanisme renvoie au fonctionnement « spontané » des marchés sur lesquels la firme opère. Sur un marché concurrentiel, une firme mal gérée doit normalement disparaître, et la seule crainte de cette disparition constitue une incitation pour les managers à bien gérer la firme.

3) Le marché financier. Il intervient dans la gestion des managers par l’intermédiaire du mécanisme des offres publiques d’achat (OPA). Cette technique permet à une société de prendre le contrôle d’une société cotée en proposant à son actionnariat dispersé l’acquisition simultanée des titres en circulation. La menace permanente d’une OPA constitue pour le management une incitation à la bonne gestion. En effet, en cas de changement de propriétaire de la société, la situation du dirigeant risque d’être remise en cause. L’économie de marché dispose ici d’un véritable « pouvoir de police » vis-à-vis des dirigeants des sociétés cotées.

4) Le marché du travail des dirigeants. Les dirigeants sont évalués par le marché en fonction des performances qu’ils obtiennent, performances mesurables par la valeur de la firme. Cette évaluation constitue une incitation à ne pas agir de manière opportuniste et à satisfaire les intérêts des actionnaires. En effet, de cette évaluation dépendent leur maintien à la direction de la firme et leur réputation. Or, cette réputation conditionne les possibilités pour les managers soit de rejoindre une firme qui leur propose de meilleures conditions, soit, en cas de difficultés financières de leur firme, de retrouver une autre place. Le marché du travail exerce donc également une fonction disciplinaire sur les dirigeants, pour qu’ils alignent leurs comportements sur les objectifs des propriétaires.

5) Le conseil d’administration (CA). Lors de l’assemblée générale annuelle, les actionnaires élisent les administrateurs de la société pour qu’ils agissent dans leur intérêt, et le conseil, à son tour, contrôle les dirigeants. Le conseil est composé d’administrateurs internes et d’administrateurs externes qui, comme personnes physiques, peuvent représenter des personnes morale, c’est-à-dire d’autres sociétés. Le CA joue donc un rôle central par rapport au conflit actionnaires-managers, et ses attributions principales, en France, sont les suivantes : il est chargé de nommer et révoquer le président du conseil et les directeurs généraux, il décide des formes et du montant des rémunérations, il choisit le lieu du siège social, il autorise les avals et garanties, il convoque les assemblées générales et fixe l’ordre du jour.

6) La rémunération des dirigeants. Pour réduire les conflits d’objectifs entre actionnaires et managers, une solution consiste à indexer la rémunération des dirigeants sur leur performances.

7) La surveillance exercée par les actionnaires. L’efficacité du CA pour contrôler les dirigeants n’est en aucun cas garantie. De ce fait, on peut supposer que si les performances du CA sont mauvaises, les actionnaires peuvent décider de remplacer les dirigeants. Il est cependant évident que les petits actionnaires ont très peu d’intérêt à se lancer dans ce type d’opération longue et coûteuse. En effet, on retrouve le problème, évoqué plus haut, du passager clandestin, dans la mesure où « l’actionnaire dissident » supportera l’ensemble des coûts, alors que l’ensemble des actionnaires disposera d’une hausse du cours de l’action grâce à une meilleure gestion de la firme. Dans ces conditions, on peut penser qu’un des moyens pour mieux contrôler le management se trouve dans la présence d’un « gros » actionnaire, appelé également actionnaire de référence. Si cet actionnaire a effectivement tout intérêt à contrôler fortement les dirigeants, ce mode de contrôle n’élimine pas totalement les problèmes d’agence, pour deux raisons. Le contrôle ne sera pas total puisque cet actionnaire ne recevra pas 100 % des gains liés aux bénéfices issus du contrôle, ces gains étant répartis entre l’ensemble des actionnaires. Par ailleurs, dans la mesure où cet actionnaire support un risque lié à la non-diversification de son portefeuille, il pourra décider d’orienter la gestion de la firme des projets peu risqués, ce qui engendrera des conflits avec les actionnaires minoritaires, qui eux souhaiteront éventuellement des projets plus risqués.

Bernard Baudry, Economie de la firme, collection Repères, La Découverte, 2003

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Synthèse : Les institutions de la corporate governance pour dépasser le conflit actionnaires/managers

Synthèse : les approches contractuelles de la firme Points communs entre la théorie des coûts de

transaction et la théorie des DP/agence Différences entre la théorie des coûts de transaction et

la théorie des DP/agence

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2 – Des approches non contractuelles de la firme

2.1 – La firme : incubateur de compétences

Document 20 – La firme comme système de compétences La firme a pour fonction de produire des marchandises, elle repose sur la constitution d’une capacité collective à produire, à gérer, à innover. Depuis une trentaine d’années se sont multipliées des analyses dites « fondées sur les ressources » ou « fondées sur les compétences » qui se focalisent sur cette deuxième question. Elles se présentent comme alternatives ou complémentaires des approches contractuelles. La théorie évolutionniste de la firme peut être rattachée à ce courant. Les travaux qui se situent dans cette perspective sont très divers et ne constituent pas une théorie unifiée. Ils se distinguent cependant tous des approches contractuelles par les questions qu’ils traitent et par leurs fondements théoriques. L’objet premier de ces analyses est d’expliquer pourquoi certaines firmes ont durablement des performances supérieures, ou plus généralement chez les évolutionnistes, « pourquoi les firmes diffèrent durablement dans leurs caractéristiques, comportements et performances ». Une réalité essentielle, que les approches contractuelles peuvent difficilement expliquer. La réponse à cette question va être recherchée dans l’analyse des dynamiques d’accumulation des connaissances et compétences spécifiques par les firmes. Chaque firme détient des compétences qui lui sont propres, que les autres firmes ne peuvent acquérir rapidement, parce qu’elles sont difficiles à imiter et qu’elles ne peuvent être acquises sur le marché. Et cela en particulier parce que les compétences reposent en partie sur des connaissances tacites, non formalisées et donc difficilement transférables entre individus ou entre organisations. Ainsi, l’activité et la compétitivité de chaque firme reposent sur un ensemble de compétences « foncières ». On pourrait dire que l’on a une vision de la firme comme « nœud de compétences » plutôt que comme «nœud de contrats ». (…) Ce type d’approche de la firme peut donner une réponse à la question de Coase sur le choix entre firme et marché totalement différente des réponses contractuelles. Une firme serait conduite à choisir entre l’internalisation d’une activité et le recours au marché, essentiellement en fonction des compétences qu’elle détient. Ce qui signifie que deux firmes pourront rationnellement faire des choix différents. (…) Plus généralement, il faut admettre que les firmes pourront, y compris dans un même secteur, avoir des formes d’organisation et de gouvernance différentes. Ce qui va à l’encontre de l’idée dominante selon laquelle il y aurait toujours, dans un contexte donné, un mode d’organisation efficient unique qui devrait s’imposer à tous.

Olivier Weinstein, « L’entreprise dans la théorie économique » in Cahiers Français N°345, 2008

Q63 => Comment définissez-vous une compétence ? Q64 => Comment les évolutionnistes expliquent-ils les différences de performance entre deux firmes ? Cette différence de performance peut-elle facilement s’expliquer dans le cadre des théories contractuelles ? Q65 => Comment les firmes arbitrent entre « make or buy » selon les évolutionnistes ? Y a-t-il un seul et unique mode d’organisation efficient ? Pourquoi ? Q66 => Comment se construisent les compétences au sein de la firme ? Q67 => Pourquoi les firmes peu performantes ne peuvent-elles pas efficacement s’inspirer des pratiques des firmes performantes pour progresser ?

Document 21 – Evolution de la firme et contrainte du sentier (path dependency) Au cours du temps la firme évolue. (…) Cette évolution n’est pas nécessairement lente et graduelle. Elle n’exclut nullement les ruptures et les catastrophes. Cependant, et à l’inverse, cette évolution n’est pas pour autant « libre » et aléatoire. Tout au contraire, la firme évolue suivant un « sentier » déterminé. La thèse évolutionniste affirme ici que c’est la nature même des compétences accumulées au sein de la firme, comme sa capacité à développer en son sein les apprentissages nécessaires pour continuer d’évoluer dans une environnement changeant, qui détermine les trajectoires où elle va s’engager. Ainsi, au plus court, la thèse est que le sentier d’évolution de la firme est prédéterminé par la nature même de ses actifs spécifiques. Cette notion d’évolution suivant un sentier dépendant (« path dependancy » disent les évolutionnistes) est essentielle à toute l’approche, en ce qu’elle est au cœur de la dynamique évolutionniste : elle fournit un outil clé de la transformation endogène de la firme au cours du temps. C’est en effet à partir de ce concept de « sentier dépendant » que les évolutionnistes proposent une théorie de la transformation de la firme, qui consiste en une explication largement endogène du changement d’activité principale. En effet, la théorie de la dépendance du sentier reste parfaitement compatible avec l’existence de bifurcations majeures dans l’évolution de la firme. Suivant la théorie, c’est alors par le biais de ses « actifs secondaires » que la firme peut être conduite à changer de trajectoire. Le processus décrit par la firme est alors le suivant : Au départ, toute firme d’une certaine importance dispose, en même temps que de son actif spécifique et de sa compétence principale (savoir concevoir des circuits électroniques pour microprocesseurs, si l’on prend l’exemple de Motorola), d’un ensemble plus ou moins étendu d’actifs spécifiques secondaires, conçus comme complémentaire des actifs principaux. Il peut s’agir d’une compétence amont (le pôle des chercheurs scientifiques Motorola, capable de dessiner les circuits pour microprocesseurs possède aussi nécessairement des compétences dans le domaine des nouveaux matériaux, des logiciels, de la supra ou de la super-conductivité…), d’une compétence aval (des méthodes de marketing et des circuits de distribution), ou d’une compétence jointe à l’activité principale, en partie requise par elle (en balistique ou en télécommunication, s’il s’agit de concevoir des microprocesseurs destinés à l’armée ou à des centraux numériques de

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télécommunications). D’une manière générale, on peut soutenir que des actifs complémentaires sont présents à côté des actifs spécifiques le long de la chaîne des valeurs ajoutées de l’actif principal. Dans certaines circonstances : par exemple, d’importants marchés gagnés par elle aux limites de ses compétences de base, la firme peut être conduite à développer spécialement certaines de ses compétences secondaires, et à les développer de telle manière qu’elles prennent une place de plus en plus importante. Finalement, le processus peut évoluer de façon telle que certaines de ses compétences au départ secondaire deviennent principales. Ces compétences spécifiques ont alors servi de « tenseur » pour l’évolution de la firme, l’engageant dans un sentier différent de son sentier originel. Pour illustrer le raisonnement, nous avons donné dans l’exemple précédent le cas d’une firme qui remporte un marché dont l’exécution la conduit finalement à changer de compétence(s) principale(s). Pour les évolutionnistes cependant, ces changements de trajectoire sont, pour l’essentiel, déterminés par les « opportunités technologiques »1 qui caractérisent l’environnement immédiat de la firme. Si des évolutions technologiques se produisent, qui ouvrent à la firme certaines opportunités de bifurquer vers une nouvelle activité principale, elle peut être conduite à se saisir de cette opportunité. (…) Si au départ, l’activité d’une firme est enfermée dans une trajectoire déterminée, elle peut cependant être conduite à changer de trajectoire lorsque, au cours du temps, des opportunités technologiques permettent que certains de ses actifs secondaires se développent, au point de justifier son changement d’activité principale. Ces considérations sur le développement des firmes ont ainsi conduit les évolutionnistes à affirmer « que l’histoire compte », puisqu’aussi bien la firme n’accumule que sur ses savoirs antérieurs, qu’elle ne peut sortir de son sentier initial que dans la conjoncture ou des opportunités technologiques le permettent. 1La notion d’opportunité technologique ne doit pas être ici définie de manière trop restrictive. Ainsi, elle peut parfaitement consister dans le fait qu’une firme quelconque, disposant d’un réseau de distribution innovant (qui constitue alors un actif secondaire) pour son propre produit, puisse être amenée à distribuer les produits d’une autre firme. Le savoir-faire alors accumulé peut la conduire à se transformer en distributeur professionnel et ainsi changer d’activité principale.

Benjamin Coriat et Olivier Weinstein, Les nouvelles théories de l’entreprise, Le Livre de Poche, 1995

Q68 => Que veulent signifier les évolutionnistes lorsqu’ils parlent de dépendance du chemin ? Q69 => Comment les auteurs de ce courant expliquent-ils les évolutions des firmes ? Document 22 – Sélection et environnements Le concept de sélection est chez les évolutionnistes spécialement chargé. (…) Il occupe une position critique dans leur construction, les évolutionnistes s’opposant avec force à l’idée que les marchés sont dotés d’une capacité à éliminer efficacement et sans appel toute firme qui ne se comporterait pas suivant une hypothèse de maximisation du profit. Contre ce type de vision, correspondant à la représentation néoclassique standard (…), les évolutionnistes font valoir l’existence d’une pluralité d’environnements de sélection. Le principe de la pluralité des environnements de sélection est en effet essentiel à l’approche évolutionniste. Par certains côtés il est même constitutif de l’approche. Seul, en effet, ce principe de pluralité et de diversité peut expliquer l’existence de trajectoire technologiques différentes et différenciées suivant la structure des marchés ou les caractéristiques institutionnelles des environnements dans lesquels les firmes évoluent. Il est en effet crucial de bien saisir la diversité « des voies par lesquelles les innovations sont tamisées, certaines essayées et rejetées, d’autres acceptées et propagées » (Nelson et Winter 1982). Sans une claire appréciation de ces diversités et de leurs déterminants, il est impossible de comprendre la diversité des performances technologiques et économiques des firmes ou des nations. En pratique, sous le concept d’environnement(s) de sélection(s), les évolutionnistes ont pour ambition de proposer un ensemble de représentations alternatives aux représentations classiques de la concurrence. Il s’agit alors, aussi bien de la caractérisation de la nature du marché des produits et du capital, que des effets des politiques publiques (en matière de réglementation notamment), ou encore de la fréquence des discontinuités technologiques. Suivant la configuration particulière qui résulte de l’addition de ces différents éléments : structures de marché (degré d’oligopolisation ou au contraire de compétition entre unités de taille restreinte…), degré d’ouverture des marchés aux nouveaux entrants (en fonction de la nature et de l’importance des barrières à l’entrée), nature des réglementations, possibilités d’accès aux ressources financières…, les évolutionnistes distinguent aussi des environnements de sélection « lâche » et des environnements « étroits », qui vont peser de manière très différente sur l’évolution des firmes et la sélection qui s’opère entre elles au cours du temps. En dynamique, une importance particulière est abordée au critère de la disponibilité en liquidité (ou, ce qui revient au même, d’accès aux liquidités du système financier) comme clé de l’évolution des firmes et donc de la sélection.

Benjamin Coriat et Olivier Weinstein, Les nouvelles théories de l’entreprise, Le Livre de Poche, 1995

Q70 => Que faut-il entendre par sélection des firmes ? Q71 => Décrivez en quoi consiste un environnement de sélection ? Q72 => Comment les firmes s’adaptent-elle à l’évolution d’un environnement de sélection ? Cette adaptation se fait-elle de manière consciente ? Q73 => Les environnements de sélection dans lesquels s’inscrivent les firmes sont-ils tous identiques ? En quoi cela peut-il expliquer les trajectoires technologiques différenciées que peuvent connaître plusieurs firmes. Q74 => Si l’entreprise ne parvient pas à innover/à s’adapter pour faire face au changement de son environnement de sélection, que se passe-t-il ?

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Synthèse : Evolution de la firme et contrainte du sentier

Document 23 – Made in monde de S. Berger : une illustration du caractère heuristique de l’approche de la firme par les compétences Dans ce livre, je propose une autre manière de comprendre la mondialisation, à partir de que notre équipe a découvert sur le terrain. Notre approche se fonde sur les « héritages dynamiques » parce que cette notion prend comme point de départ l’entreprise et les ressources façonnées par son passé (approche qui s’inspire de celle d’Edith Penrose, The theory of the growth of the firm, 1959). Par « ressources, je ne désigne pas seulement les ressources matérielles, mais un ensemble de compétences, de talents, de facultés organisationnelles et de mémoire institutionnelle. Après tout, l’expérience d’une entreprise n’est pas seulement le résultat des institutions et des valeurs du pays où elle est née, mais aussi le fruit des leçons apprises avec le temps grâce aux clients, aux fournisseurs ou aux concurrents, le fruit des compétences acquises, de la résolution des défis liés à la survie, au renouvellement et à la croissance. L’histoire d’une entreprise s’inscrit dans la manière dont ses directeurs et ses cadres structurent l’organisation. Les stratégies choisies et la manière de les mettre en oeuvre reflètent leurs origines, leurs succès et leurs échecs passés. Certains héritages sont propres à une entreprise et s’enracinent dans les accidents de l’histoire. La personnalité et les convictions d’Henry Ford peuvent laisser une empreinte durable. Notre groupe a étudié ces héritages à la fois comme des ressources qui peuvent être combinées de manière inédite pour former de nouvelles stratégies, et comme des grilles d’analyse permettant de mettre en évidence ce qui est bien connu et ce qui est nouveau dans une situation donnée. C’est l’art avec lequel une entreprise se mobilise et réorganise son héritage à l’intérieur d’une économie ouverte qui, selon nous, distingue les perdants des gagnants. L’expérience d’une entreprise avec ses premiers clients et ses premiers produits peut ainsi s’avérer décisive. Les entreprises de prêt à porter de Hongkong ont pris leur essor dans les années 1960 en vendant aux marques et aux distributeurs américains ou européens. Les acheteurs américains voulaient des volumes plus importants, des prix plus bas et s’intéressaient moins au tissu et aux formes que les Européens qui vendaient sur des marchés plus petits et plus exigeants, qui étaient prêts à payer plus pour une meilleure qualité et qui avaient moins d’employés pour superviser les fabricants de Hongkong. Les exigences étaient tellement différentes que les entreprises de Hongkong se sont senties obligées de choisir entre la clientèle européenne ou américaine. Le choix fut d’abord le fruit du hasard mais, avec le temps, chaque firme développa des compétences spécifiques pour satisfaire les exigences d’acheteurs différents. Les entreprises travaillant pour le marché américain devinrent particulièrement aptes à respecter les calendriers et les recommandations ; celles qui travaillaient pour les marchés européens se mirent à proposer à leurs clients des services de design et évoluèrent vers des vêtements plus haut de gamme. Cette expérience finit par créer un héritage différent, sous la forme de ressources organisationnelles qui influencèrent les choix stratégiques. Les héritages se composent d’éléments disparates et les ressources qu’ils contiennent se prêtent à différents scénarios. Pour revenir aux fabricants de prêt à porter de Hong-Kong, si le seul élément de leur répertoire avait été l’expérience avec les marques et les détaillants d’Europe ou des Etats-Unis, les entreprises auraient sans doute continué à

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travailler exclusivement avec les Européens ou les Américains, et seul l’effondrement d’un de ces marchés aurait pu modifier la situation. En fait, chacune de ces firmes avait aussi des relations avec la firme. Comme certains patrons y conservaient un réseau familial et professionnel, ils purent aisément lancer des opérations en Chine pour y fabriquer des produits destinés à la clientèle européenne ou américaine, et utiliser le marché chinois pour échapper à la domination des acheteurs occidentaux. Mais d’autres hommes d’affaires de Hongkong avaient eu une expérience personnelle très négative en Chine communiste et hésitaient donc à y installer leur production. Ceux-ci maintinrent la fabrication à Hong-Kong en se concentrant sur les produits haut de gamme ou délocalisèrent vers l’Asie du Sud-Est, ce qui les maintenait sous la coupe des acheteurs américains ou européens. Autrement dit, les différents éléments de l’héritage (par exemple une relation avec les acheteurs étrangers conjuguées à une aversion pour la Chine) ont des relations dynamiques entre eux et avec les changements de l’environnement extérieur (comme l’ouverture de la Chine). Les héritages sont également dynamiques au sens où des éléments nouveaux ne cesse de s’y accumuler avec le temps.

Suzanne Berger, Made in Monde Les nouvelles frontières de l’économie mondiale, édition Points, 2013 (2005) p.64-67

Document 22 – Force et faiblesse de l’approche évolutionniste L’analyse (évolutionniste) de la firme renvoie ainsi, comme dans les approches contractuelles, aux modes de coordination entre les individus et les groupes, mais il s’agit d’une coordination « cognitive » visant à combiner les connaissances et les compétences individuelles et à favoriser les apprentissages, par opposition à une coordination « politique » qui vise à rendre compatibles les intérêts entre individus. L’accent placé par ces approches sur les problèmes de connaissances et d’apprentissage, sur la dimension cognitive des organisations constitue à la fois leur force et leur faiblesse. Leur force car elles touchent ainsi à une question essentielle pour comprendre ce que sont les firmes et comment elles fonctionnent, et cela particulièrement quand la capacité d’innovation est la condition de leur survie. Leur faiblesse, dans la mesure ou cela conduit à ignorer, le plus souvent, les dimensions conflictuelles des rapports économiques, et le fait que les firmes capitalistes sont des organisations particulières, dont la finalité n’est pas tant la production pour elle-même que la recherche du profit.

Olivier Weinstein, « L’entreprise dans la théorie économique » in Cahiers Français N°345, 2008

Q75 => Quelle sont les faiblesses de l’approche cognitive/évolutionniste de la firme ?

2.2 – L’approche de la firme par les variétés nationales du capitalisme

Document 23 – Michel Albert, Capitalisme contre capitalisme (1991) L’idée des variétés nationales du capitalisme fut lancée par Michel Albert dans son best-seller Capitalisme contre capitalisme (Seuil, 1991). Selon Michel Albert, il existe deux variantes fondamentales : le modèle germano-japonais et le modèle anglo-américain. A l’époque, les entreprises allemandes et japonaises semblaient mieux réussir que celles des Etats-Unis, et le livre proposait plusieurs explications : la vision à long terme des chefs d’entreprise et des investisseurs allemands et japonais, contrairement aux investissements britanniques et américains qui se concentrent sur les résultats trimestriels et les bénéfices à court terme ; l’existence dans ces pays d’une main d’oeuvre volontaire et très qualifiée et d’une coopération entre travailleurs et détenteurs du capital ; leur capacité à produire des biens diversifiés et de grande qualité, à l’inverse de la standardisation et de la production de masse américaines. Le ciment qui fait tenir un système économique de type germano-japonais, c’est la solidarité sociale qui permet des relations de confiance et à long terme. Les licenciements sont rares, du fait de la force des syndicats allemands et de l’embauche à vie dans les grandes entreprises japonaises. Dans ces pays, les employés passent toute leur carrière dans la même entreprise, ce qui crée un vif sentiment d’appartenance et de loyauté envers la firme. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, Michel Albert perçoit au contraire les marchés et les relations contractuelles comme les institutions centrales de l’économie. Dans ce modèle anglo-américain, les investisseurs et les chefs d’entreprise ont une vision à court terme ; le marché du travail est flexible, on change souvent d’emploi ; le système éducatif est mal relié au monde de l’entreprise ; le système de production, assez rigide, fonctionne mieux pour les séries longues que pour une production de niche ; le marché des actions ordinaires et le capital-risque orientent les ressources vers les activités nouvelles ; les inégalités sociales sont fortes. Ce sont des pays qui excellent dans l’innovation et qui excellent dans l’innovation et où les ruptures sont bien acceptées par le public. Entre les pays, il existe bien sûr d’innombrables différences liées à la culture, aux traditions historiques, au système juridique et aux choix politiques. Nombre de ces différences on sans doute une influence sur les activités économiques. Mais comme celle de Michel Albert, la plupart des théories fondées sur les variétés nationales du capitalisme débouchent sur un nombre réduit de catégories fondamentales. Il existe une quantité limitée de problèmes de coordination liés à la gestion d’une économie capitaliste et une quantité plus limitée encore de solutions institutionnelles efficaces. Toutes les économies avancées ont besoin de répartir les ressources entre ouvriers, patrons et investisseurs, d’organiser la production, la R&D, de former la main d’oeuvre, d’encourager l’innovation, de financer l’investissement.

Suzanne Berger, Made in Monde Les nouvelles frontières de l’économie mondiale, édition Points, 2013 (2005) p.58-60

Document 24 – Peter Hall et David Soskice, Varieties of capitalism, Oxford University Press (2001) Dans la même veine que Michel Albert, les professeurs d’économie politique Peter Hall (Harvard) et David Soskice (Duke) décrivent deux approches fondamentales : les économies de marché libéral, comme la Grande-Bretagne et les Etats-

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Unis, où l’attribution et la coordination des ressources se font surtout par les marchés, et les économies de marché coordonné, où la négociation, les relations à long terme et d’autres mécanismes non liés au marché permettent de résoudre les principaux problèmes. Hall et Soskice montrent que, dans ces économies, les entreprises sont dotées de forces et de faiblesses très différentes. Les firmes allemandes comme Siemens ou BMW sont nées dans un environnement déterminé : des institutions qui donnent à la main d’oeuvre un rôle important dans la gestion des entreprises ; de bonnes relations entre travailleurs et détenteurs du capital qui sont considérées comme essentielles pour les stratégies et les opérations de la firme ; des institutions financières qui fournissent des fonds par l’intermédiaire des banques plutôt que par l’intermédiaire de la Bourse et sont donc moins soucieuses de retours rapides sur investissement ; une formation professionnelle solide qui unit écoles et entreprises pour créer une main d’oeuvre très qualifiée. Les entreprises américaines voient le jour dans un monde où le capital vient du capital-risque, puis de la Bourse ; où les ouvriers sont formés par l’école et non par l’entreprise ; où les nouvelles compétences viennent du recrutement de nouveaux employés et non de la reconversion des anciens employés ; où les relations entre le personnel et la direction sont souvent tendues. Parce que des institutions différentes induisent des comportements différents, une firme allemande et une firme américaine ont de grandes chances de s’organiser différemment, même lorsqu’elles opèrent au sein du même secteur, avec les mêmes technologies pour fabriquer les mêmes produits. Hall et Soskice prévoient que les entreprises ne réagiront pas de la même façon à la mondialisation selon qu’elles appartiennent à une économie de marché libéral ou une économie de marché coordonné. Les institutions de chaque pays suscitent des comportements différents au niveau microéconomique de la firme, parce que les ressources et le degré de compétitivité diffèrent. Selon ce modèle, quand les entreprises de plusieurs pays entrent en concurrence au sein d’une économie internationale ouverte, elles tentent d’exploiter leurs forces spécifiques. Si elles ont besoin d’acquérir des compétences qu’elles ne peuvent créer à l’intérieur de leur propre système, elles peuvent les acheter à l’étranger, par la sous-traitance ou l’investissement direct. Par exemple, si les entreprises pharmaceutiques allemandes excellent en matière d’innovations dans les processus de fabrication, mais pas dans la recherche fondamentale, ou si la législation allemande limite la recherche biotech sur les modifications génétiques, les Allemands installeront leurs laboratoires aux Etats-Unis et auront ainsi accès aux ressources qu’ils peuvent créer dans leur pays. Selon le modèle des variétés nationales, la mondialisation provoque une concurrence dont les différences nationales sortent préservées, voire renforcées. Loin de forcer l’entreprise allemande à évoluer selon la même trajectoire que son homologue américaine, comme le voudraient les tenants de la convergence, le modèle des variétés nationales prévoit que la mondialisation incitera les entreprises allemandes à se spécialiser dans les technologies et les activités de production où elles se distinguent. La mondialisation devrait donc maintenir et même accroître la divergence, chaque société voulant tirer profit de ses forces propres. Originaires de nations dotées d’un capitalisme de marché coordonné, les entreprises allemandes et japonaises tirent la plupart de leurs ressources de leurs relations avec la main d’oeuvre, le gouvernement et les banques de leur pays. La formation, la R&D, la négociation sociale avec les travailleurs et le financement par les banques sont autant de fruits de leur implantation géographique. Puisque ces ressources nationales ne se trouvent pas à l’étranger, ces entreprises sont réticentes à délocaliser. Quand elles le font, elles se substituent parfois aux institutions manquantes en créant à l’étranger une organisation tout à fait différente. Au Japon, Toyota à l’habitude de n’accorder de promotions qu’aux cadres qui ont gravi toute la hiérarchie, mais aux Etats-Unis, l’entreprise a appris à recruter des responsables recrutés sur le marché du travail. Par contraste, les firmes américaines et britanniques sont depuis toujours habituées à acheter leurs ressources sur le marché : elles engagent du personnel doté de nouvelles compétences plutôt que de former leurs anciens employés ; elles cherchent de nouveaux financements sur le marché plutôt que par l’intermédiaire de relations anciennes avec les banques ; elles ont recours au marché du capital-risque pour soutenir l’innovation dans les start-up plutôt que de développer en leur propre sein de nouveaux produits et de nouveaux processus. Moins dépendantes de leurs relations avec les institutions nationales pour leurs actifs vitaux, plus assurées dans leur utilisation du marché pour se procurer les ressources nécessaires, les entreprises des économies de marché libéral sont parées pour le monde de la fragmentation et de la sous-traitance.

Suzanne Berger, Made in Monde Les nouvelles frontières de l’économie mondiale, édition Points, 2013 (2005) p.60-63

Document 25 – Bruno Amable, Les cinq capitalismes, 2005 On peut distinguer cinq types idéaux de capitalisme différant par les institutions présentes dans les domaines de la concurrence sur le marché de produits, du marché du travail et la relation d’emploi, de la protection sociale, du système éducatif et du système financier (…). La concurrence joue un rôle central dans le modèle néolibéral. Sur les marchés de produits, elle rend les firmes plus sensibles aux chocs macroéconomiques, qui ne peuvent être entièrement absorbés par des ajustements de prix et impliquent donc des ajustements en quantité. Ce type d’ajustement va concerner notamment l’emploi. Le maintien de la profitabilité implique donc de pouvoir licencier facilement une main d’oeuvre devenue excédentaire. La flexibilité de l’emploi permet des réactions rapides aux conditions changeantes du marché. Le développement des marchés financiers, c’est-à-dire un mode de financement plus « liquide » que la finance intermédiée (les banques), contribue aussi à cette exigence des firmes de s’adapter à un environnement compétitif changeant. On retrouve des complémentarités d’un autre ordre dans le(s) modèle(s) européen(s). Dans le modèle social démocrate, les exigences de flexibilité sont satisfaites à l’aide de mécanismes qui ne reposent pas, ou pas entièrement, sur la régulation marchande. Une forte pression de la concurrence extérieure exige une certaine flexibilité de la main d’oeuvre, mais celle-ci n’est pas obtenue par des licenciements. La protection des salariés est assurée par un mélange de protection

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légale de l’emploi, modérée mais réelle, et par un haut niveau de protection sociale. Cette protection des travailleurs agit comme une incitation à investir dans la formation et plus généralement dans tous les éléments qui valorisent la relation d’emploi. La compétitivité des firmes repose alors en partie sur cette relation stable. Par ailleurs, un système de négociations salariales coordonnées conduit à un faible écart de salaires et donc de faibles inégalités de revenu, ce qui baisse le coût relatif du travail qualifié et favorise l’innovation et la recherche de la productivité. Le modèle européen continental est par certains points proches de ce modèle, mais se caractérise par une protection de l’emploi plus forte et une protection sociale moins développée. Un système financier centralisé facilite l’élaboration des stratégies à long terme pour les entreprises. Les négociations salariales sont coordonnées et une politique de salaire fondée sur la solidarité est développée, mais à un degré moindre que dans les pays nordiques. Le modèle méditerranéen est, pour sa part, caractérisé par une protection sociale sensiblement plus faible mais un plus haut niveau de réglementation des marchés du travail et des biens et services produits. Enfin, le modèle asiatique repose sur une complémentarité entre des marchés relativement réglementés, une faible protection sociale et un système financier orienté vers les relations de long terme entre banques et entreprises. Ce modèle donne un rôle central à la grande firme, à la fois pour la formation de la main d’oeuvre et pour la progression dans leur carrière des individus.

Bruno Amable, « Les spécificités nationales du capitalisme » in Cahiers Français n°349 Mars Avril 2009 p.58-59

Capitalisme fondé sur le marché

Capitalisme social-démocrate

Capitalisme asiatique

Capitalisme européen continental

Capitalisme méditerranéen

Concurrence sur les marchés

des produits

Importance de la concurrence par les prix ; Etat neutre ;

ouverture internationale à la concurrence

Importance de la concurrence par la

qualité ; engagement fort de l’Etat ;

ouverture internationale à la

concurrence

Importance de la concurrence par les prix et la qualité ;

engagement fort de l’Etat ; forte

protection par rapport à la concurrence internationale ; importances des

grandes entreprises

Concurrence plus sur la qualité que les prix ;

engagement des autorités publiques ; protection faible par rapport à la

concurrence internationale

Concurrence plus sur les prix que la

qualité ; engagement de l’Etat ; protection

modérée par rapport à la concurrence internationale ; importance des

petites entreprises

Rapport salarial

Protection de l’emploi faible ; flexibilité

externe ; négociation salariale décentralisée

Protection de l’emploi modérée ; négociation

salariale centralisée ou coordonnée

Forte protection de l’emploi dans la

grande firme flexibilité externe

limitée ; négociation salariale décentralisée

Forte protection de l’emploi ; flexibilité

externe limitée, négociation salariale

coordonnée

Haute protection de l’emploi (grandes

firmes) ; une frange flexible d’emploi ;

négociation salariale centralisée

Secteur financier

Forte protection des actionnaires

minoritaires ; faible concentration de la

propriété ; importance des investisseurs

institutionnels ; marchés financiers très

développés

Forte concentration de la propriété ;

importance des banques ; faible

développement des marchés financiers

Protection faible des actionnaires

extérieurs ; forte concentration de la

propriété ; concentration des

banques ; très faible développement des marchés financiers

Protection faible des actionnaires extérieurs ; forte concentration de la

propriété ; importance des banques ; faible

développement des marchés financiers

Protection faible des actionnaires

extérieurs ; forte concentration de la

propriété ; forte concentration des

banques ; très faibles développement des marchés financiers

Protection sociale

Protection sociale faible ; participation

faible de l’Etat ; dépenses dirigées vers le soulagement de la pauvreté ; retraite par

capitalisation

Haut niveau de protection sociale ;

forte participation de l’Etat ; grande

importance de la protection sociale

pour la société

Faible niveau de protection sociale ;

dépenses dirigées vers le soulagement de la

pauvreté

Haut niveau de protection sociale fondée sur

l’emploi ; engagement de l’Etat ; système de retraites

par répartition

Niveau modéré de protection sociale ; dépenses dirigées

vers le soulagement de la pauvreté et vers

les retraites ; fort engagement de l’Etat

Education

Dépenses publiques faibles ; système d’enseignement supérieur très compétitif ;

enseignement secondaire hétérogène ;

accent sur les compétences générales

Haut niveau de dépenses publiques ; accent sur la qualité de l’enseignement pré-universitaire ; importance de la

formation professionnelle ;

accent sur les compétences spécifiques

Faible niveau de dépenses publiques ; accent sur la qualité de l’enseignement

secondaire ; formation interne à la firme ;

accent sur les compétences spécifiques

Haut niveau de dépenses publiques, enseignement secondaire homogène ;

importance de la formation professionnelle ; accent

sur les compétences spécifiques

Dépenses publiques faibles ; faiblesse de

l’enseignement universitaire ;

formation professionnelle

faible ; accent sur les compétences

générales

Exemples de pays

Australie, Canada, Royaume-Uni, Etats-Unis

Danemark, Finlande, Suède Japon, Corée du Sud

Suisse, Pays-Bas, Irlande, Belgique, Norvège,

Allemagne, France, Autriche

Portugal, Italie, Grèce, Espagne