Épurer les eaux sans déchets _ les lombrics, c'est fantastique!.pdf

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Épurer les eaux sans déchets : les lombrics, c'est fantastique! S'informer : articles - Développement durable Dans l’Hérault, le village de Combaillaux a choisi d’épurer ses eaux usées… en s’octroyant l’aide de tonnes de vers de terre. Biologique et pratique, cette idée venue du Chili est une première en Europe. Bienvenue dans la cité des vers verts… «Lombristation». Au milieu des déviations, le panneau a de quoi surprendre. À quelques encablures de Montpellier, la route se faufile à travers les vignes. En contrebas du village de Combaillaux (1500 habitants), les cuves roses de la petite station d’épuration semblent bien classiques. Mais à y regarder de plus près, trois millions de travailleurs courageux s’y activent jour et nuit pour nettoyer les eaux grises des ménages du village. Bactéries, phosphates, nitrates, herbicides, métaux lourds, PVC cancérigènes… : aucun polluant n’échappe à ces digesteurs de choc. Et tout ça bénévolement. C’est qu’Eisenia andrei, cette population de lombrics émigrée des laboratoires de l’INRA de Montpellier ou élevée dans les casiers de l’entreprise Lombri-Tek, raffole de la matière organique en décomposition. Une station d'épuration classique, comment ça marche? Provenant des égouts, les eaux usées doivent passer par divers traitements physiques, chimiques ou biologiques, avant d’atteindre une bonne qualité. -Les grilles, qui éliminent les grosses particules solides (objets flottants, graviers). -Le décanteur, qui élimine les graisses par flottaison. -Le bassin d’aération où l’oxygénation permet aux «bonnes» bactéries (qui se fixent par exemple sur des roches volcaniques) de se nourrir de matières polluantes. -Le clarificateur qui sépare l’eau des bactéries bien nourries = boues biologiques. -Aspiration, stockage et séchage des boues résiduelles. La station de Combaillaux utilise aussi cette technologie «classique» à la demande de la Direction départementale des affaires sanitaires qui n’a autorisé le lombrifiltre qu’à titre expérimental, donc en parallèle d’un autre mode de traitement. Tout est bon chez elle, y’a rien à jeter... Vers de terre pionnier dans l’épuration des eaux, Roger détaille son activité, en exclusivité pour Toogezer : «nous nous répartissons en deux grandes équipes. Lorsque l’eau arrive, un filtre récupère toutes ses particules solides de plus de 2 mm. Matières fécales, cheveux, et consort, c’est le boulot de l’équipe «solide». Élevés sur place dans de grands bacs humidifiés, les vers se répartissent ensuite dans des boîtes de 50 litres contenant les rejets solides de 400 équivalent-habitants en une semaine. Au bout de trois mois de taf acharné où ils dévorent, redévorent leurs excréments, etc., les vers arrivent à réduire le volume de la boîte de 60 %. Une fois séché, le contenu est tamisé. Les éléments les plus fins fournissent un peu d’engrais d’excellente qualité (que les élus sont ravis de valoriser dans leur jardin) et le reste part à la poubelle ménagère. Lingettes, préservatifs : on retrouve tout ce que les humains jettent aux toilettes ! Mais au lieu de 60 tonnes de boues polluées à éliminer des stations d’épuration classiques - en les épandant sur les terres des agriculteurs, en les déversant en mer, en les stockant dans les décharges ou en les incinérant à grands frais (voir encadré) -, il ne reste qu’une tonne par an de «déchets ultimes». Et ça, c’est la magie verte des vers de terre…» Quel éco-crâneur ce Roger… ... il suffit de bien la digérer Et l’eau, que devient-elle ? «C’est le boulot de mon équipe, la «liquide». Diffusée depuis les tuyaux, elle passe à travers le

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Épurer les eaux sans déchets : les lombrics, c'est fantastique!S'informer : articles - Développement durableDans l’Hérault, le village de Combaillaux a choisi d’épurer ses eaux usées… en s’octroyant l’aide detonnes de vers de terre. Biologique et pratique, cette idée venue du Chili est une première en Europe.Bienvenue dans la cité des vers verts…

«Lombristation». Au milieu des déviations, le panneau a de quoisurprendre. À quelques encablures de Montpellier, la route se faufile àtravers les vignes. En contrebas du village de Combaillaux (1500habitants), les cuves roses de la petite station d’épuration semblent bienclassiques. Mais à y regarder de plus près, trois millions de travailleurscourageux s’y activent jour et nuit pour nettoyer les eaux grises desménages du village. Bactéries, phosphates, nitrates, herbicides, métauxlourds, PVC cancérigènes… : aucun polluant n’échappe à ces digesteursde choc. Et tout ça bénévolement. C’est qu’Eisenia andrei, cettepopulation de lombrics émigrée des laboratoires de l’INRA deMontpellier ou élevée dans les casiers de l’entreprise Lombri-Tek,raffole de la matière organique en décomposition. Une stationd'épuration classique, comment ça marche?Provenant des égouts, les eaux usées doivent passer par diverstraitements physiques, chimiques ou biologiques, avant d’atteindre unebonne qualité. -Les grilles, qui éliminent les grosses particules solides (objets flottants,graviers).

-Le décanteur, qui élimine les graisses par flottaison. -Le bassin d’aération où l’oxygénation permet aux «bonnes» bactéries (qui se fixent par exemple sur desroches volcaniques) de se nourrir de matières polluantes. -Le clarificateur qui sépare l’eau des bactéries bien nourries = boues biologiques.-Aspiration, stockage et séchage des boues résiduelles.La station de Combaillaux utilise aussi cette technologie «classique» à la demande de la Directiondépartementale des affaires sanitaires qui n’a autorisé le lombrifiltre qu’à titre expérimental, donc enparallèle d’un autre mode de traitement.

Tout est bon chez elle, y’a rien à jeter... Vers de terre pionnier dans l’épuration des eaux, Roger détaille son activité, en exclusivité pourToogezer : «nous nous répartissons en deux grandes équipes. Lorsque l’eau arrive, un filtre récupèretoutes ses particules solides de plus de 2 mm. Matières fécales, cheveux, et consort, c’est le boulot del’équipe «solide». Élevés sur place dans de grands bacs humidifiés, les vers se répartissent ensuite dansdes boîtes de 50 litres contenant les rejets solides de 400 équivalent-habitants en une semaine. Au boutde trois mois de taf acharné où ils dévorent, redévorent leurs excréments, etc., les vers arrivent à réduirele volume de la boîte de 60 %. Une fois séché, le contenu est tamisé. Les éléments les plus finsfournissent un peu d’engrais d’excellente qualité (que les élus sont ravis de valoriser dans leur jardin) etle reste part à la poubelle ménagère. Lingettes, préservatifs : on retrouve tout ce que les humains jettentaux toilettes ! Mais au lieu de 60 tonnes de boues polluées à éliminer des stations d’épuration classiques- en les épandant sur les terres des agriculteurs, en les déversant en mer, en les stockant dans lesdécharges ou en les incinérant à grands frais (voir encadré) -, il ne reste qu’une tonne par an de «déchetsultimes». Et ça, c’est la magie verte des vers de terre…» Quel éco-crâneur ce Roger…

... il suffit de bien la digérer Et l’eau, que devient-elle ? «C’est le boulot de mon équipe, la«liquide». Diffusée depuis les tuyaux, elle passe à travers le

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lombrifiltre, une cuve de 100 m2 où nous sommes presque troistonnes de vers de terre: chaque habitant de Combaillaux a 2500vers à son service... Je poste mon équipe en première ligne au-dessus de la cuve, avec des copeaux de bois de protection. Oncommence par prendre une bonne douche d’eau usée pendant 20minutes, avant de s’accorder une pause de 5 minutes. Et làencore, la matière imbibée d’eau polluée repasse plusieurs fois

par nos intestins. On est des gaillards solides, on accumule les métaux lourds sans broncher, et nosenzymes sont assez puissants pour réduire les molécules complexes en gaz carbonique, en azote ou envapeur d’eau. En plus, on s’est fait potes avec des bactéries sympas qui nous filent un coup de main. Enbas, au sortir du lombrifiltre, pfuiit, plus rien !» Enfin, Roger exagère un peu, il reste bien 10 % depolluants à éliminer pour arriver à une qualité d’eau de baignade ou d’irrigation. Il suffit de faire passerl’eau dans un lagunage : dans des bassins de faible profondeur, les rayonnements UV du soleilanéantissent les bactéries rebelles. Quitte à développer des algues, qui, une fois séchées, iront nourrir lesvers de terre. Et pour prouver que l’eau de sortie répond aux normes les plus strictes, Lombri-Tek et lamairie de Combaillaux y font frétiller de petits poissons, les gambusies. Avis aux poètes : ce cadresomptueux de nature inspirerait bien des vers…

Raquel Hadida29.04.2008

Pour tout savoir sur la Lombri-Station

Pour aller plus loin...

La coopération franco-chilienne alliée au courage d’un maire Trois acteurs, trois motivations concordantes. En 1997, le maire de Combaillaux, Daniel Floutard, doitcréer un système d’assainissement performant pour sa commune où l’habitat se fait plus dense, et où lesfosses sceptiques et la petite station d’épuration obsolète et saturée ne suffisent plus. La mairie fait alorsappel au Conseil général de l’Hérault pour trouver un procédé, simple, efficace et écologique – pouréviter d’avoir à épandre des tonnes de boues. Ca tombe bien : le Conseil général mène une coopérationdécentralisée avec le Chili sur le thème de l’eau. Ainsi, la même année, Patricio Soto, chercheur del’INRA de Montpellier (d’origine chilienne), spécialiste de la sélection et de l’utilisation des vers deterre et responsable de la coopération avec l’Amérique latine, part en visite au Chili pour visiter leurlombristation. Mais pour réaliser un programme novateur de recherche et développement en France, ilfaut trouver une commune intéressée. Combaillaux est partante.

En 2002, le projet finit par être retenu et subventionné par laCommission européenne au sein de Life-environnement. LesAffaires sanitaires et sociales autorisent l’expérimentation… àcondition d’utiliser une station classique en parallèle dulombrifiltre. Après une expérimentation du concept en éprouvette,la création d’une petite station-pilote, la station grandeur réellesort de terre en 2005 avec un dispositif pédagogique complet(panneaux, salle d’explication avec quiz, vidéos amusantes, etc.).Les taux de polluants sont régulièrement mesurés et Patricio Sotoau sein de son entreprise Lombri-Tek, amène souvent des

améliorations techniques. Le rêve de Combaillaux et de Lombri-Tek : faire valider la lombristation parl’État pour qu’elle soit exploitable partout en France (pour les communes d’environ 3 000 eq.habitants). La lombrifiltration pourrait en effet régler le lourd problème écologique de l’épandage desboues sur les terres agricoles… et de leur coût de transport pour les collectivités.

Photos:

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Photo de une: Nettoyée par les vers de terre et le lagunage, l'eau qui sort de la lombristation répond auxnormes de qualité d'eau de baignade et d'irrigation.Photo du haut: Patricio Soto (Lombri-Tek) et sa compagne Rosa Solar devant le lombrifiltre.photo du centre: Roger, lombric ultra-nettoyant et chef d'équipe.photo du bas: Dans le lombrifiltre, vers de terre et bactéries se régalent des polluants contenu dans leseaux usées.

© Raquel Hadida