Episcopal Elections in Late Antiquity () || Les élections épiscopates en Égypte aux VIe- VIIe...

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Les elections episcopates en Egypte aux Vle- Vllesiecles EwaWipszycka Dans la vie des villes du monde chretien, l'election de l'eveque etait tou- jours un moment de grande importance, suscitant de vives emotions dans tous les milieux. Etant donnees les taches qui attendaient le detenteur de la dignite episcopale et l'ampleur de ses prerogatives, qui resultaient de la tradition et de la legislation imperiale, beaucoup dependait des qualites humaines du candidat, car la remise d'aussi vastes pouvoirs entre les mains dune personne incompetente risquait d'etre lourde en consequences pour la communaute. II arrivait (sans doute assez souvent) que la decision commune du clerge et des laiques confiait quasi unanimement le trone episcopal au candidat propose, sans soulever de controverses ni entrainer d'ennuis. Mais il arrivait aussi que les membres de la communaute chre- tienne etaient divises, formant des groupes qui soutenaient chacun un autre candidat. Ne connaissant que des cas precis, nous sommes dans l'impossiblite de repondre a la question de savoir laquelle des deux situa- tions etait la plus frequente. En regie generale, les parties rivales tentaient de negocier un compro- mis ou de reduire au silence les groupes les plus faibles, dans l'espoir qu'au bout dun temps ceux-ci oublieraient tant les circonstances dans lesquelles l'eveque avait pris ses fonctions que les critiques formulees a son encontre. Cependant, parfois des conflits violents eclataient, suivis de tueries et de ravages; les manifestations religieuses tournaient en emeutes et pillages. A la lecture des sources relatives a de tels faits, il apparait nettement que, dans leur mentalite, les populations des villes chretiennes ne s'etaient pas encore defaites des vieilles habitudes qui remontaient jusqu'a l'epoque des cites archaiques et des violents conflits politiques appeles staseis. A l'occasion des elections, des luttes internes avaient souvent lieu et ceci aussi bien dans les petites et moyennes villes que dans les grandes villes comme Rome, Alexandrie ou Constantinople. La presence dans ces villes de hauts fonctionnaires envoyes par le pouvoir central et disposant d'une force armee stationnee a proximite ne faisait qu'empirer la situation, car Brought to you by | New York University Elmer Holmes Bobst Library Authenticated Download Date | 10/19/14 1:03 AM

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Les elections episcopates en Egypte aux Vle-Vllesiecles

EwaWipszycka

Dans la vie des villes du monde chretien, l'election de l'eveque etait tou-jours un moment de grande importance, suscitant de vives emotions dans tous les milieux. Etant donnees les taches qui attendaient le detenteur de la dignite episcopale et l'ampleur de ses prerogatives, qui resultaient de la tradition et de la legislation imperiale, beaucoup dependait des qualites humaines du candidat, car la remise d'aussi vastes pouvoirs entre les mains dune personne incompetente risquait d'etre lourde en consequences pour la communaute. II arrivait (sans doute assez souvent) que la decision commune du clerge et des laiques confiait quasi unanimement le trone episcopal au candidat propose, sans soulever de controverses ni entrainer d'ennuis. Mais il arrivait aussi que les membres de la communaute chre-tienne etaient divises, formant des groupes qui soutenaient chacun un autre candidat. Ne connaissant que des cas precis, nous sommes dans l'impossiblite de repondre a la question de savoir laquelle des deux situa­tions etait la plus frequente.

En regie generale, les parties rivales tentaient de negocier un compro-mis ou de reduire au silence les groupes les plus faibles, dans l'espoir qu'au bout d u n temps ceux-ci oublieraient tant les circonstances dans lesquelles l'eveque avait pris ses fonctions que les critiques formulees a son encontre. Cependant, parfois des conflits violents eclataient, suivis de tueries et de ravages; les manifestations religieuses tournaient en emeutes et pillages.

A la lecture des sources relatives a de tels faits, il apparait nettement que, dans leur mentalite, les populations des villes chretiennes ne s'etaient pas encore defaites des vieilles habitudes qui remontaient jusqu'a l'epoque des cites archaiques et des violents conflits politiques appeles staseis. A l'occasion des elections, des luttes internes avaient souvent lieu et ceci aussi bien dans les petites et moyennes villes que dans les grandes villes comme Rome, Alexandrie ou Constantinople. La presence dans ces villes de hauts fonctionnaires envoyes par le pouvoir central et disposant d'une force armee stationnee a proximite ne faisait qu'empirer la situation, car

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d'ordinaire ceux-ci prenaient position pour une des factions et n'hesitaient pas a la soutenir manu militari. D'habitude, ces luttes faisaient reagir l'empereur qui intervenait avec des consequences tantot bonnes, tantot mauvaises.

C'est de la premiere moitie du IVe s. que datent certaines regies cen-sees regir toute la procedure d'investiture de Feveche et donner satisfaction a differents groupes participants a l'election, dont le clerge de la ville, sur-tout les plus importants presbytres et diacres, des notables locaux et des fonctionnaires imperiaux (residant en ville), des commandants de troupes (dans des villes de garnison) et de simples laiques qui avaient garde une partie de leurs anciens droits. Le choix du candidat etait generalement approuve par acclamation: "il en est digne, il en est digne!" Ainsi, surtout lorsqu'ils etaient organises, voire manipules, les electeurs disposaient dune arme dangereuse (en effet, il aurait ete impossible de faire quoi que ce soit, s'ils refusaient obstinement d'assister a la messe). Dans toute cette proce­dure, un role important (et, avec le temps, de plus en plus important) revenait aux eveques des autres villes de la province concernee. Certains d'entre eux se rendaient a l'election, d'autres faisaient parvenir leur con-sentement par ecrit, le dernier mot appartenant toujours a Feveque metro­politan. Ce qui fut institue par le Concile de Nicee et exprime dans un de ses canons.

Canon 4: "Le plus convenable est qu'un eveque soit etabli par tous les eveques de l'eparchie; si la chose s'averait difficile, soit en raison dune necessite urgente, soit a cause de la longueur de la route, il faut de toute facon que trois eveques se reunissent au meme endroit - les absents aussi donnant leur suffrage et exprimant leur consentement par ecrit - et fassent alors l'ordination. Que l'autorite sur ce qui se fait revienne dans chaque eparchie a Teveque metropolitan."

La procedure durait parfois longtemps, meme si la candidature du fu-tur pasteur ne pretait pas a controverse. Des lettres et des delegations cir-culaient. Toutes ces demarches etaient supposees empecher des prises de decision trop hatives, pouvant elever a la dignite episcopale des personnes compromises, surtout celles qui etaient suspectees de corruption dans leur course au pouvoir.

La consecration solennelle avait habituellement lieu dans la plus im­portant eglise de la ville. Afin que Facte lui-meme puisse etre reconnu comme legitime, il etait necessaire que trois eveques assistent a la ceremo-nie (des cas d'ordination celebree par deux eveques sont egalement attestes,

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mais de telles situations n'etaient pas appreciees).1 II n'y avait aucune rai-son de nature doctrinale (d'ailleurs aucune ne fut jamais evoquee), il s'agissait tout simplement dune conviction basee sur le pragmatisme et le bonsens.

Ces regies etaient en vigueur dans routes les regions du monde chre-tien, sauf l'Egypte. Ici, les institutions ecclesiastiques suivaient d'autres principes et respectaient d'autres usages. Les eveches metropolitans n'existaient pas, les eveques dependant directement de l'eveque d'Alexandrie. En effet, c'est deja au IIP siecle que fut institute la regie selon laquelle tous les eveques d'Egypte devaient etre consacres par le pa-triarche en personnel et l'ordination se faisait toujours en son siege. Il n'existe pas de temoignages sur des ordinations qui auraient pu avoir lieu lors de ses visites pastorales dans d'autres villes. Les candidats se rendaient a Alexandria accompagnes d'une delegation d'ecclesiastiques et de no­tables locaux, qui apportait le psephisma, le document relatif a la designa­tion d'un candidat (ou de plus d'un candidat). Il nous est impossible de situer avec exactitude dans le temps le moment ou il fut admis que, dans son choix, le patriarche n'etait pas tenu de respecter les preferences des fideles.3 II choisissait les candidats selon son gre, il pouvait (cela ne veut pas dire qu'il le faisait systematiquement) installer sur le trone episcopal une personne ne jouissant d'aucun appui, voire complement inconnue des fideles. Cela modifiait profondement les regies du jeu. En effet, ces pratiques limitaient considerablemement les droits des groupes qui, en

1 Dans les Canons Apostoliques faisant partie des Constitutions Apostoliques (VIII, 47), le canon 1 stipule: "Que l'eveque soit ordonne par deux ou trois eveques"(SC 336, 274).

2 Pour des raisons pratiques, dans cet article, je vais designer l'eveque d'Alexandrie du terme de patriarche, bien que ce mot ne soit entre dans l'usage courant qu'au VP siecle. La premiere attestation de l'emploi de ce terme pour designer le chef de l'Eglise d'Egypte apparait dans un diptyque ecclesiastique a usage liturgique de la fin du VIP siecle (done posterieur a la conquete arabe): "notre bienheureux patriarche" (il s'agit d'Agathon, qui exerca sa fonction de 662 a 680). L'inscription du diptyque est publiee dans le Sammelbuch griechischer Urkunden aus Agypten, n° 6087 [SB III Berlin-Leipzig 1926]. C'est egalement pour des raisons pratiques que je vais employer le terme "diocese" dans le sens qu'il a aujourd'hui. A la fin de l'Antiquite, ce terme desi-gnait une unite administrative de l'Empire. Je vais neanmoins l'employer dans son sens ecclesiastique moderne, pour ne pas compliquer mes propos. Voir aussi E. Wip-szycka, Le istituzioni ecclesiastiche in Egitto dalla fine del III al inizio dell'VIII secolo, in: L'Egitto cristiano: aspetti e problemi in eta tardo-antica, ed. A. Camplani, SEA 56, Rome 1997, 219-271.

3 Der Papyruscodex saec. VI-VII der Phillippsbibliothek in Cheltenham. Koptische theologische Schriften ed. W.E. Crum, commentaire W.E. Crum, avec une contribu­tion de A. Ehrhard, Strassburg 1915, p. 60-61.

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dehors de l'Egypte, decidaient traditionnellement de l'investiture de l'eveche: du clerge local, des notables et du peuple de Dieu, autrement dit du commun des laiques. De meme, le role des eveques des eglises de la meme province etait different; certes, une partie d'entre eux partici­p a n t au debat sur les candidatures proposees, mais leur role se limitait a cela.

Les regies qui etaient en vigueur dans la pratique ecclesiastique furent exprimees sous forme de questions-reponses dans un petit texte redige en dialecte copte sahidique. Le manuscrit date du VT ou du VIP siecle, mais l'ouvrage est un peu plus ancien, il peut etre attribue au Ve ou au VF siecle. II est probable que l'original etait en grec. Deux diacres, dont nous ignorons tout, excepte les noms qui sont grecs, interrogent le patriarche Cyrille sur differents sujets, entre autres sur les principes qui le guident dans les ordinations episcopales. Dans ses reponses, Cyrille affirme qu'il accepte le candidat qui lui a ete presente unanimement par les habitants de la ville, les fonctionnaires et les petites gens (leptodemos), mais que, lors-qu'il connait lui-meme un bon candidat qui aime les pauvres, n'est pas tout a fait etranger au diocese et a atteint un certain age, il le consacre; et que, s'il le faut, il est pret a accepter un candidat imparfait, en lui recom-mandant tout de meme de ne pas s'enorgueillir. Si, lors de la designation des candidats, l'opinion de la majorite des habitants diverge de celle des notables de la ville, en regie generale il se range du cote de ces derniers. Il envisage neanmoins la possibilite du tirage au sort. Le texte ne fait pas mention de l'attitude du clerge, comme s'il etait evident que celui-ci ap-prouvera sans conteste la decision du patriarche. L'editeur de cet opuscule, W.E. Crum, et son commentateur, A. Erhard etaient d'avis qu'il s'agissait de propos authentiques de Cyrille, mais il est difficile de savoir si leur hy-pothese etait juste. Les patrologues ne se sont pas trop interesses a ce texte, personne n'a entrepris d'etudes sur la pensee theologique qui - ne fut-ce que sous une forme simplifiee - s'y exprime. Meme si Cyrille n'y a pas prete la main, en raison du contenu de l'ouvrage, nous devons le conside-rer comme l'expression de l'opinion du clerge de la curie.

Tous les candidats a l'ordination designes par les suffrages locaux etaient envoyes a Alexandria Cette procedure etait censee eliminer d'eventuelles tensions et reduire le risque de conflits (a ma connaissance, en Egypte, en dehors d'Alexandrie, des cas d'emeutes causees par la desi­gnation des candidats n'ont pas ete notes, mais il s'agit la d'un argumen-tum exsilentio, il vaut mieux ne pas y recourir). Le retour de l'eveque nou-vellement elu pouvait en revanche creer des problemes, lorsque les divisions au sein de la communaute chretienne etaient tellement profondes qu'elles rendaient impossible toute activite pastorale. Le malheureux elu

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n'avait alors qua se retirer, prenant souvent la direction d u n autre diocese ou il exercait sa fonction sans trop de mal. Nos textes en fournissent de nombreux temoignages; de telles situations y sont signalees ouvertement et sans home, car l'echec de la mission pastorale en un lieu ne signifiait nul-lement que la personne etait malhonnete.

Le patriarche avait-il l'habitude de s'adresser a la communaute de la ville pour connaitre son avis, s'il n'avait accepte aucune des candidatures proposees? Un seul texte semble en temoigner, a savoir la Vie de Pisen-thios, du moine qui devint eveque d'Hermonthis, une petite ville sur la rive occidentale du Nil, face a Thebes.4 Le patriarche aurait rejete par deux fois la candidature presentee, car - comme cela est propre a la realite ha-giographique - par inspiration divine il savait tres bien que dans les envi­rons d'Hermonthis vivait quelqu'un de tres pieux, du nom de Pisenthios, et c'est sur lui que porta son choix. Il est impossible de savoir si des cas analogues avaient lieu pour des candidats ordinaires. Mais, compte tenu de la nature autoritaire du pouvoir du patriarche en Egypte, je doute que de tels cas aientpuetre frequents.

Comme il a ete deja dit, la ceremonie d'ordination episcopale avait habituellement lieu a Alexandrie, toujours un dimanche. Elk etait prece­d e d'une veillee nocturne organisee dans l'eglise ou allait se derouler l'office.5 La ceremonie elle-meme reunissait le patriarche, qui arrivait en compagnie de son clerge, et les eveques d'Egypte presents dans la capitale. Elle se deroulait selon un rituel bien etabli: l'archidiacre jouant le role de

4 II apparait dans le synaxaire sous la date du 20 Kihak: R. Basset, Le synaxaire arabe Jacobite, PO 3, 1904, 490-491; voir aussi W.E. Crum dans: H.E. Winlock, W.E. Crum, The Monastery of Epiphanius at Thebes, New York 1926, t. I, 136; W. Gabra, Pesyntheus, Bischof von Hermonthis, MDAIK Abteilung Kairo 40, 1984, 27-29; J. Van den Vliet, Pisenthios de Coptos (569-632), moine, eveque, saint, Topoi (Sup­plement 3), 2000, 61-70.

5 Mes connaissances relatives a la liturgie de consecration des eveques et des patriarches viennent entre autres du texte copte du manuscrit 253 conserve au Musee Copte. Le texte date de 1364. II fut publie en deux parties: The Rites of Consecration of the Pa­triarch of Alexandria, ed. tr. O.H.E. Burmester, Le Caire 1960 et Ordination Rites of the Coptic Church, ed. tr. O.H.E. Burmester, Le Caire 1985. II ne fait pas de doute qua lorigine se trouvait un texte grec d'avant la conquete arabe. Bien que remanie et complete, il a garde, pour l'essentiel, son caractere initial. Sur ce texte: H. Brakmann, Pseudo-Clemens Romanus, homilia 3,72 als Petrinisches Konsekrationsgebet der Kopten und der agyptischen Melchiten, Zeitschrift fur Anti-kes Christentum 10, 2007, 233-251. Sur l'importance de ce genre de textes liturgiques dans les etudes sur l'ideologie du patriarcat alexandrin voir A. Camplani, La funzione religiosa del vescovo di Alessandria: a proposito di alcune recenti prospettive di ricerca, dans: Sacerdozio e societa nell'Egitto antico, ed. S. Pernigotti, M. Zecchi, Bologna 2008,153-165.

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maitre de ceremonie remet entre les mains du partiarche le psephisma qui est ensuite lu par un diacre designe par le patriarche parmi son clerge. Redige selon une formule consacree, le document presente la forme dune supplication adressee au patriarche qui etait la seule personne susceptible de donner une valeur religieuse au choix fait par la plebe et le clerge. II y est nomme "Illuminateur orthodoxe", "Pere de tous les peuples", "Homme du veritable savoir", "Celui que le Christ a choisi pour l'elever au trone orthodoxe", "Digne du trone de Marc l'Evangeliste" et "Homme du veritable savoir que notre saint Pere, Marc l'Evangeliste, enseigna le premier lorsqu'il fonda et consolida l'Eglise catholique et apostolique". Le psephisma finit par une priere adressee au patriarche dans laquelle celui-ci est sollicite de bien vouloir ordonner le candidat qui est indique par son nom. Puis, l'archidiacre lit la declaration du patriarche communiquant l'exaucement du voeu. Le patriarche quitte son siege, les eveques se reunis-sent devant l'autel, tandis que l'ordinand se met a genoux au pied de l'autel. Apres la recitation dune litanie a laquelle participent l'archidiacre et les fideles, l'archidiacre ordonne: "Levez les bras, eveques"; a ces mots, ceux-ci se placent de part et d'autre de l'elu et posent les mains sur ses epaules. Le patriarche est alors prie d'imposer la main sur la tete de l'ordonne.

L'Eglise egyptienne ne pratiquait pas le rituel d'onction au moment de la consecration episcopale, mais le patriarche tracait a trois reprises le signe de croix sur la tete de l'elu, avant de le revetir des ornements episcopaux. Chacun de ces gestes etait accompagne d'une priere recitee par l'archidiacre et le patriarche. La ceremonie finissait par une messe celebree par le patriarche, au cours delaquelle l'ordonne recevait la communion des mains de ce dernier. II est important de noter que les eveques presents a la consecration posaient leurs mains uniquement sur les epaules de l'elu, l'imposition des mains sur la tete etant reservee au patriarche.

L'eveque recevait a cette occasion le document de consecration qui, a son retour dans la capitale du diocese, etait lu pendant une ceremonie celebree avec plus ou moins de faste, en fonction des possibility finan­ciers de l'eglise episcopale.6 Le cout de l'operation etait augmente par des cadeaux offerts a ceux qui avaient participe a la ceremonie. Les eveques des eglises voisines, qui n'etaient pas a Alexandrie au moment du sacre, rece-vaient, eux aussi, des cadeaux d'usage. De meme, les representants du clerge local, ainsi que le personnel laique: secretaires, notaires, etc. En temoigne le texte d'une Novelle de Justinien (123,3) de 546. Les cadeaux _ _ _

6 E. Wipszycka, Le fonctionnement de l'Eglise egyptienne aux IVe-VIIIe siecles (sur quelques aspects), dans: E. Wipszycka, Etudes sur le christianisme dans l'Egypte de l'antiquite tardive, Roma 1996, 202-203.

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y portent le nom de enthronistika ("a l'occasion de la montee sur le trine"). L'empereur, sachant que ces cadeaux representaient un fardeau considerable pour les eglises qui depensaient au-dela de leurs moyens, etablit des tarifs a respecter. Ainsi, les eglises patriarcales (Rome, Constan­tinople, Antioche, Jerusalem et Alexandrie) pouvaient engager des sommes allant jusqu'a 20 livres d'or; les eglises metropolitans, celles dont le reve-nu annuel depassait 30 livres d'or, pouvaient donner 100 solidi aux membres du clerge et 300 solidi aux fonctionnaires laiques; les eveques des dioceses beneficiant dun revenu annuel entre 10 et 30 livres d'or - 100 solidi au clerge et 200 aux fonctionnaires laiques; les eveques des dioceses jouissant d'un revenu annuel entre 2 et 10 livres d'or - respectivement 50 solidi et 200 solidi, et enfin les eveques des dioceses avec un revenu annuel entre 3 et 5 livres d'or - 10 solidi et 24 solidi.7 Les eveques moins nantis ne payaient rien. Leur dignite et le sentiment patriotique de l'opinion pu-blique locale en souffraient: c'est cette derniere, en effet, qui poussait les hierarques aux exces financiers.

II ne semble pas que le systeme conferant au patriarche le droit de de­cider de routes les nominations ait rencontre quelque resistance en Egypte, en tout cas, nous n'en avons aucune connaissance. Les chretiens d'Egypte, et non seulement le clerge egyptien, ont assimile la doctrine de la primaute d'Alexandrie, que Ton justifiait par le martyre de deux de ses eveques: Marc l'Evangeliste et Pierre F (311). Cette doctrine se basait sur l'idee d'une protection speciale dont Pierre l'Apotre etait cense entourer la ville (par l'entremise de son disciple Marc). Une tres forte dependance de l'ensemble du clerge a l'egard des dignitaires alexandrins etait done une chose allant de soi. Y contribuait encore un autre facteur: les villes egyp-tiennes n'etaient devenues des poleis qu'au debut du IIP siecle, aussi les elites n'avaient-elles pas suffisamment d'experience dans l'autogestion de la ville, n'avaient pas assimile l'heritage de la polis, avec routes ses conse­quences, y compris l'aptitude a la contestation.

Bien que l'autorite patriarcale dominat sur le deroulement de la suc­cession episcopale, en pratique, dans la plupart des cas ou le patriarche refusait les candidatures proposees par les autorites locales, ce n'etait pas lui qui choisissait: le choix se faisait a un niveau inferieur, dans la curie. Le patriarche ne pouvait pas connaitre tout le clerge egyptien, les dioceses etant tout simplement trop nombreux. II n'avait pas non plus l'habitude de visiter les dioceses pour faire connaissance des candidats aux charges

7 II est frappant de constater que les sommes destinees aux laiques sont plus importantes (et de loin) que celles destinees aux membres du clerge. Ce qui semble signifier que les premiers etaient beaucoup plus nombreux et que le cercle des beneficiaires etait large, mais il nous est malheureusement impossible d'en dire plus.

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vacantes. En revanche, les membres de la curie, qui circulaient dans le pays et entretenaient une vaste correspondance epistolaire, etaient en contact avec un grand nombre de gens. Isidore de Peluse, ascete et epistolographe connu du debut du Ve siecle, raconte un scandale provoque par l'econome de l'Eglise de Peluse, Martinianos, qui, pour s'assurer l'obtention de la charge episcopale, fit envoyer de Tor a Alexandrie. La nouvelle de son mefait parvint a Cyrille qui lui fit grace de Inclusion de l'Eglise, mais le menaca de punition severe, si jamais il recommencait. Quelque temps apres (nous ne savons pas exactement a quel moment), Martinianos decida de recommencer la demarche, mais cette fois-ci il se rendit personnelle-ment a Alexandrie, en secret.8 Il importe peu de savoir si la denonciation adressee directement a Cyrille correspondait a la verite ou non; pour nous, l'essentiel est qu'Isidore a retenu cette information comme credible. Le patriarche devait, certes, recevoir de nombreuses lettres de delation: les accusations de simonie constituaient sans doute un motif frequent dans les rivalites locales.

II ne fait pas de doute que les procedures regissant les elections episco-pales en Egypte favorisaient la simonie, le choix des candidats n'etant au-cunementsoumisaucontrole public.

Ce qui fut a l'origine des plus grandes perturbations dans les elections episcopales ce sont les controverses christologiques qui, depuis le milieu du Ve siecle, sevirent a Alexandrie et conduisirent a la constitution de deux patriarcats.

Les delegations munies de documents attestant les resultats des elec­tions locales s'adressaient sans doute a celui des deux patriarches dont les opinions concordaient avec leurs sympathies. Je suppose que, lorsqu'un seul patriarche exercait son pouvoir a Alexandrie et que celui-ci apparte-nait au camp doctrinal auquel la delegation etait hostile, celle-ci essayait de faire durer les procedures, en attendant que la situation change. Comment les representants du pouvoir imperial reagissaient-ils alors? Realisaient-ils avec perseverance la politique constantinopolitaine? Il nous est malheureu-sement impossible de repondre a ces questions.

La fin du VF siecle voit se former dans les villes egyptiennes une hie-rarchie monophysite complete, parallele a la hierarchie pro-chalcedonienne, comprenant non seulement des eveques, mais aussi des presbytres et des diacres. Le processus fut tres rapide, ce dont temoigne une information donnee par Jean, eveque monophysite d'Ephese et histo-rien de l'Eglise, engage dans les evenements de son epoque, qui fournit

8 Isid. Pel. ep. 2 627 (PG 78, 205). Cette lettre ne figure pas encore dans la nouvelle edition de P. Evieux dans les Sources Chretiennes. Sur la simonie en Egypte, voir E. Wipszycka, Le fonctionnement (cit. note 6), 195-212.

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generalement des renseignements fiables.9 Jean rapporte en effet que Pierre IV (576-578), premier patriarche monophysite apres l'intervalle qui suivit la mort de Theodose (voir ci-apres), consacra, pendant les deux annees de son patriarcat, soixante-dix eveques.10 Certes, le chiffre est volontairement exagere. Cet auteur detestait Pierre (il etait partisan de Theodore, qui avait ete consacre avant Pierre), et il voulait montrer que la consecration dune foule de hierarques etait une absurdite. Mais, meme si nous tenons compte de cela, il reste que le chiffre a du etre impressionnant. Tout porte a croire que Pierre a ordonne les pasteurs de la quasi totalite des dioceses (ceux-ci correspondaient dans la plupart des cas aux nomes, dont le nombre oscil-lait autour de 40; il y avait cependant plus d'eveches que de nomes, car ils etaient parfois institues dans des localites qui ne possedaient pas le statut de ville). Les eveques ordonnes par Pierre devaient ainsi prendre leur place a cote des eveques chalcedoniens qui avaient ete consacres par les pa-triarches successifs de ce camp et qui continuaient d'exercer leurs fonc-tions. L'existence de ces derniers ne fait pas de doute: en effet, il est impos­sible d'imaginer que les chretiens d'Egypte aient pu se passer d'eveques pendant un bon demi-siecle. Nous ne savons pas si tous les eveques or­donnes par Pierre eurent la possibilite d'entrer en fonctions. Il est probable que les representants de l'administration imperiale essayerent de les en empecher, mais il n'est pas tout aussi probable que leurs interventions aient ete efficaces.

Des preuves de l'existence de dioceses diriges par deux eveques a la fois sont fournies surtout par les documents relatifs a Pisenthios, eveque de Koptos, et a Abraham, eveque d'Hermonthis, tous deux monophysites. Nous possedons de nombreux documents, rediges en copte et provenant de leurs archives, en outre la Vie copte de Pisenthios. Selon ces temoi-gnages, les deux eveques etaient etablis dans des monasteres situes a une dizaine ou quelques dizaines de kilometres du siege de leur diocese. Pen­dant longtemps les specialistes d'histoire de l'Eglise ne se sont pas preoc-cupes de cette circonstance, car on savait que les eveques restaient parfois dans leur monasters de tels faits sont attestes dans differentes regions du monde chretien; en Egypte ce fut le cas de Feveque d'Oxyrhynchos Ap-phou (sous le patriarcat de Theophile).11 Cependant, a la lecture de l'ensemble des textes concernant Pisenthios et Abraham il apparait nette-ment que nous avons a faire avec une situation tout a fait particuliere, et

9 Sur les sources historiographiques utilisees dans la presente etude et les dates des editions respectives, voir Appendice I a la fin de l'article.

10 Jean d'Ephese h.e. 4,12 (CSCO 105, 196 Brooks). 11 Cette information est fournie par sa Vie publiee par F. Rossi, I papiri copti del Museo

Egizio di Torino, t. I, fasc. 3, Torino 1887, 5-22.

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non pas simplement a la volonte de vivre a l'ecart du "monde". Toutes les affaires dans lesquelles etaient engages les deux hierarques concernaient des villages et des monasters, tandis que les deux villes, Koptos et Hermon-this, restaient en dehors de leurs preoccupations. II est significatif, en outre, qu'il n'y ait aucune mention de l'econome, de l'administrateur des biens episcopaux, tres proche collaborates de l'eveque. Tous les membres du clerge qui sont mentionnes dans ces archives exercent leurs activites dans de tres petites localites. Les donnees fournies par les travaux archeo-logiques viennent corroborer ces constatations, du moins en ce qui con-cerne Abraham. Tout semble en effet indiquer que, dans son cas, la direc­tion du diocese n'avait pas le poids dune charge episcopale "normale". Le monastere ou il residait n'etait pas grand et les locaux abritant les archives, la suite episcopale, le secretariat et les magasins ou Ton stockait des dons en nature etaient plus qu'exigus.12

J'ai des raisons de croire que, dans ces deux villes, un compromis tres particulier avait ete conclu, aboutissant au partage du diocese: la ville (avec sans doute une partie du diocese) etait passee entre les mains des chalce-doniens, soutenus par les autorites laiques, le reste du territoire avait ete place sous le controle du clerge monophysite. Les fonctionnaires locaux avaient sans doute participe a cet accord, car ils ne pouvaient pas faire semblant de ne pas remarquer le changement; ils avaient surement decide de ne pas destabilise la situation par des reactions trop violentes a l'egard desmonophysites.

Bien evidemment, ce n'est pas dans tous les dioceses qu'apparait la coexistence de deux eveques. Tout dependait de la puissance de chacun des groupes dogmatiques, de la determination du fonctionnaire imperial residant sur place (il pouvait y consentir ou non) et de beaucoup d'autres facteurs. Ainsi, de 525 (env.) jusqu'a 577 (au moins) le trone episcopal de Philae - diocese situe aux confins sud de l'Egypte, aux environs de la pre­miere cataracte - a appartenu a Theodore (et exclusivement a Theodore), monophysite declare et bien connu, ordonne encore par Timothee III. Theodore a du collaborer etroitement avec le due de Thebaide, les chefs de la garnison locale et les fonctionnaires imperiaux. Il a certainement agi au grand jour, sinon il n'aurait pu transformer le temple d'Isis en eglise. C'est tout aussi ouvertement qu'il a du participer aux preparatifs pour la mission deNubieetensuite a cette mission.13

12 Pour la description du monastere, voir W. Godlewski, Le monastere de St. Phoibam-mon, Varsovie 1986, et E. Wipszycka, Moines et communautes monastiques en Egypte (IV°-VIir siecles), JJP Suppl. 11, Warszawa 2009, 178-182.

13 Sur Theodore, voir J.H.F. Dijkstra, Philae and the End of Ancient Egyptian Religion. A Regional Study of Religious Transformation (298-642 CE), Leuven 2008, 305-338.

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Les elections episcopales en Egypte aux VIe-VIIe siecles 269

Parmi les eveques monophysites etablis dans des monasters il faut mentionner Senouthes, eveque d'Antinoe, Constantin, eveque de Pykopo-lis (au temps du patriarche Damien), et peut-etre aussi Nikolaos, eveque d'Arsinoe dans le Fayoum (VP siecle), residant au monastere de Naqlun.

Pes patriarches monophysites du dernier quart du VP et de la premiere moitie du VIP siecle avaient des difficultes a controler les dioceses eloi­gner Pes problemes touchaient entre autres (peut-etre avant tout) le choix des candidats a la dignite episcopale. Ce sont ces difficultes qui ont fait naitre l'idee de creer la fonction de vicaire du patriarche. Nous savons que, dans les premieres annees de son patriarcat, Theodose nomma Phoibam-mon, eveque de Panopolis, son diadochos pour la chora egyptienne (mais qu'etait-ce que cela? l'Egypte tout entiere ou la vallee du Nil, excepte le Delta?).14 Nous connaissons les noms de deux vicaires de Damien: Se­nouthes d'Antinoe et Constantin de Pykopolis, dont le synaxaire Jacobite (Kihak 20) dit qu'il leur incombait de confirmer les candidatures, sans quoi le patriarche refusait l'ordination.15 Au VIP siecle il est question de deux vicaires: l'un pour la Haute Egypte, l'autre pour la Basse Egypte.16

P'institution du vicaire s'avera tres utile plus tard, apres la conquete arabe, lorsque les monophysites dominaient sur l'Eglise egyptienne. Nous sommes malheureusement dans l'impossibilite de dire si les vicaires avaient garde leur pouvoir de valider les candidatures a l'ordination episcopale.

Pes plus grandes difficultes dans le maintien regulier des effectifs du corps episcopal monophysite furent celles que causa l'absence prolongee du patriarche Theodose.17 Quelques annees apres son ordination, celui-ci fut oblige par Justinien a partir pour Constantinople. Il s'y rendit accom-pagne d'une enorme suite (trois cents hommes seraient partis avec lui, dont plusieurs eveques et beaucoup de membres du clerge alexandrin) et emporta une somme importante d'argent.18 Ce faste etait necessaire pour

14 Ce fait est mentionne dans 1'introduction a l'eloge en l'honneur de Kollouthos, le martyr. Phoibammon aurait ete son auteur. Le texte est redige en copte. Edition W. Till, Koptische Heiligen- und Martyrlegenden , t. I, Roma 1935, 174-176.

15 R.-G. Coquin, Saint Constantin, eveque d'Asyut, SOC Collectanea 16, Cairo 1981, 162.

16 Voir Vie d'Isaac, patriarche d'Alexandrie de 686 a 689, PO 11, 354 Porcher. 17 Bien qu'il soit mentionne par plusieurs sources, Theodose n'a pas encore fait l'objet

d'une monographic Le lecteur trouvera des informations a son sujet chez J. Maspero, Histoire des patriarches d'Alexandrie, Paris 1923 et W.H.C. Frend, The Rise of the Monophysite Movement, Cambridge 1972; d'autres auteurs ne font que signaler son existence.

18 Cette information est donnee par Jean d'Ephese dans: Lifes of Eastern Saints, PO 18, 528 Brooks.

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faire preuve de la magnificence du trone d'Alexandrie. Accueilli avec tous les egards a Constantinople, Theodose refusa cependant de se plier a l'exigence de l'empereur qui attendait de lui une declaration pro-chalcedonienne. II fut done exile a Derkos (Thrace), puis install* au palais d'Hormisdas, a Constantinople, ou il vecut enferme, sous la protection et le controle de l'epouse de Justinien, Theodora. Cette detention n'a jamais signifie l'isolement complet du monde exterieur; Theodose y recevait de nombreux hierarques et echangeait une intense correspondance avec des pretres et des moines d'Alexandrie et d'Egypte. Il participait egalement aux decisions des hauts dignitaires monophysites. Toutefois, depuis le debut, il refusait systematiquement de consacrer des eveques, il n'accepta meme pas d'ordonner presbytre le petit-fils de Theodora, Athanase, affirmant qu'il n'avait pas l'intention d'ordonner qui que ce soit, tant qu'il residait en dehors d'Alexandrie.19 Michel le Syrien, qui donne cette information, est un auteur digne de foi qui disposait de sources fiables, nous n'avons done aucune raison de douter de la veracite de ce temoignage, si important pour la bonne comprehension des procedures d'ordination. Tout porte a croire que Theodose s'abstenait d'ordonner des eveques non pas par peur de se voir exiler dans un endroit pire que Constantinople, mais parce qu'il etait convaincu que faire cela en dehors de son eveche, sans la presence de son clerge, serait contraire aux regies canoniques. Certes, a un moment il etait pret a ordonner Longinos eveque des Nobades (= Nubiens) et, comme il ne le fit pas a cause d'une maladie (e'etait du moins ce qu'il pretendait), il envoya en revanche une procuration speciale {entolikon) a Paul, patriarche d'Antioche.20 Il est probable qu'aux yeux de Theodose cet eveche de mis­sion, qui devait etre cree en dehors de l'Egypte, n'etait pas soumis aux regies canoniques regissant les elections episcopales en Egypte.

A la fin de sa vie, voyant que la hierarchie monophysite en Egypte al-lait s'eteindre, Theodose accepta que des eveques soient ordonnes a Cons­tantinople pour douze dioceses egyptiens. Pourtant, ce ne fut pas lui qui effectua la consecration, mais Jacques Baradaios avec deux eveques qui l'accompagnaient dans ses voyages de mission. La ceremonie eut lieu a Constantinople en 558. L'evenement est mentionne par Jean d'Ephese dans la Vie de Jacques Baradaios.21 Il n'y a aucune raison de mettre en doute l'exactitude de ce temoignage, car l'historien connaissait bien Theo­dose. Pourtant, rien ne prouve que les eveques ordonnes par Baradaios

19 Michel le Syrien, Chron, t. II, 285 Chabot. 20 Documenta ad origines monophysitarum illustrandas, ed. trad. J.B. Chabot, Louvain

1908, 1933, 92-93. 21 Jean d'Ephese, Lives of the Eastern Saints, PO 18, 1924, 339.

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Les elections episcopales en Egypte aux VIe-VIIe siecles 271

aient bien rejoint leur diocese. En tout cas, ils ne figurent pas dans le cercle restreint des eveques monophysites d'Egypte qui nous est bien connu.

En 565, un an avant sa mort, Theodose autorisa Paul, le patriarche monophysite d'Antioche et son ancien secretaire, a consacrer des eveques pour des villes egyptiennes, mais selon une procedure differente.22 Paul devait emmener a Alexandrie quelques eveques de la prefecture d'Orient. Cette condition avait sans doute ete suggeree a Theodose par Paul: elle lui permettait de choisir des collaborateurs prets a lui obeir; il est vraisem-blable qu'il n'avait pas confiance dans les eveques monophysites d'Egypte. Vers 565, ils etaient quatre: Jean des Kellia (eveque du centre monastique des Kellia, et non pas dune ville: situation qui merite d'etre notee, car elle n'a pas d'analogue en Egypte), Joseph de Metelis, Leonidas (?) et Theo­dore de Philae (qui, en raison de son age et de sa maladie, refusa de se deplacer). Le projet de Theodose ne put neanmoins etre mene a bien. La personnalite conflictuelle de Paul le rendit inapte a realiser une si delicate mission: les Alexandrins ne voulurent pas avoir affaire avec lui.

Des efforts visant a trouver un successeur de Theodore ne furent en-trepris que dix ans apres sa mort. Fut alors elu Theodore, un moine de Scete, a qui succeda Pierre IV, deja mentionne ci-dessus.23

II y a lieu de se poser la question de savoir combien de membres comptait le clerge alexandrin a la fin de la crise, au moment de l'avenement de Pierre (576). Il avait certainement diminue en nombre; le patriarche etait en effet indispensable non seulement pour l'ordination des eveques, mais aussi pour celle des pretres de son diocese. En quarante ans, depuis le debut de l'exil de Theodose (535), la majorite des presbytres et diacres monophysites etaient sans doute decedes. Le clerge alexandrin accueillait vraisemblablement des pretres ordonnes dans d'autres villes par des eveques monophysites, mais ces transferts ne pouvaient certainement pas combler le deficit des effectifs. Sans doute y avait-il des pretres qui passaient de l'Eglise chalcedonienne a l'Eglise monophysite, mais ils n'ont pu etre tres nombreux, car dans la seconde moitie du VP siecle, la situa­tion en Egypte encourageait les gens a se declarer plutot du cote des chal-cedoniens. La faiblesse du clerge alexandrin explique son attitude passive

22 Le texte de Yentolikon de Theodose est publie dans les Documenta (edition citee ci-dessus, note 20), p. 93-94. Sur la situation en Egypte, voir E. Honigmann, Eveques et eveches monophysites d'Asie Anterieure au Vie siecle, Louvain 1951, 225-226, 233-235.

23 Nos connaissances en cette matiere viennent principalement des ecrits de Jean d'Ephese h.e. IV 10-13 (189-198 Brooks) et de Michel le Syrien, Chron. t. II, 319-325 Chabot.

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apres la mort de Theodose, l'absence de sa part dune reaction immediate qui aurait permis d'elire un nouveau patriarche d'Alexandrie.

Les procedures du choix des patriarches d'Alexandrie, telles qu'elles etaient appliquees jusqu'au milieu du Ve siecle, etaient proches de celles qui constituaient la norme dans le reste du monde chretien. Le choix du futur pasteur dependait avant tout de l'attitude du clerge alexandrin et de l'importante et omnipotente curie d'Alexandrie, mais aussi, dans une moindre mesure, des eveques (je vais y revenir dans la suite de mes pro-pos), de l'aristocratie alexandrine et des hauts fonctionnaires imperiaux qui consultaient l'empereur si seulement ils en avaient le temps.24

Selon la coutume, il fallait proceder a l'election du nouveau patriarche dans le plus bref delai. On craignait surtout la possibilite de conflits qui risquaient d'engager un grand nombre de laiques et de moines des envi­rons d'Alexandrie. Pour se rendre compte du danger qu'une telle situation pouvait representee il suffit de prendre en consideration les facheux eve-nements qui eurent lieu apres la mort du monophysite Timothee IV en 535, lorsque la foule, dans laquelle se trouvaient de nombreux moines, fit irruption dans l'eglise pendant la ceremonie d'ordination de Theodose et l'interrompit, en ouvrant la voie au siege patriarcal a Gaianos, representant d'une autre option dogmatique, celle des aphthartodocetes (c'est-a-dire de ceux qui soutenaient la doctrine de l'incorruptibilite du corps du Christ).25

Ni le soutien de l'imperatrice Theodora, ni la presence de son cubicularius charge de veiller a la bonne marche de l'ordination episcopale, ni meme la presence de forces armees a proximite de la ville ne purent assurer la vic-toire de Theodose. D'ailleurs personne n'osa faire appel aux soldats sans ordre explicite de l'empereur; ni le dux, ni le praefectus augustalis ne pou­vait prendre cette decision, car, en regie generale, le recours a la force en-trainait des victimes et ne faisait qu'envenimer la situation. L'election de Theodose rendit finalement inevitable une intervention armee, mais les troupes vinrent de Constantinople.26 Pourquoi ne fit-on pas fait appel aux

24 Dans cette partie de mon etude, ('utilise trois ouvrages de base qui presentent dans les details l'histoire evenementielle de l'Eglise alexandrine: J. Maspero, Histoire des pa­triarches d'Alexandrie (518-616), Paris 1923; W.H.C. Frend, The Rise of the Mono­physite Movement, Cambridge 1972; Ph. Blaudeau, Alexandrie et Constantinople (451-491). De l'histoire a la geo-ecclesiologie, Rome 2006. L'ouvrage de Maspero, bien qu'ancien et inacheve, est toujours utile, meme s'il exige une lecture critique.

25 Sur Gai'anos, voir A. Lajtar, E. Wipszycka, L'epitaphe de Duhela (SB III 6249) et les moines gai'anites dans des monasteres alexandrins, JJP 28, 1998, 55-69. Je signale a l'occasion une erreur deplorable que nous avons commise dans cet article: nous avons ecrit plus d'une fois "Timothee Ailouros" au lieu de "Timothee III".

26 Liberatus brev. 20 (ACO II.5, 135 Schwartz), Michel le Syrien, Chron. t. II, 194 Chabot.

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Les elections episcopales en Egypte aux VIe-VIIe siecles 2 7 3

unites stationnees dans les alentours de la ville? Nous ne le savons pas. Peut-etre ces unites n'inspiraient-elles pas confiance.

II y avait encore une autre raison pour agir vite. C'est justement a pro-pos de l'election de Theodose qu'un de nos meilleurs informateurs sur les evenements du VP siecle a Alexandrie, un diacre de Carthage, Liberatus, decrit le rituel propre a l'Eglise de cette ville.

"Apres la mort de Timotkee, eveque d'Alexandrie, fut consacre Theodose par les soins et avec l'autorisation {studio et permission) de Kalotyckios, cubicukrius faisant partie de hpars de l'Augusta Theodora. Bien qu'il [Theodose] cut pour lui la decision (de-cretum) du clerge ... [a cet endroit le texte est endommage] car on empecka ceux qui vou-laient s'y opposer ... revoke de la plebe... des moines qui ne le [Theodose] soutenaient pas... les moines se rangerent du cote de Gai'anos.

II existe a Alexandrie une coutume selon laquelle celui qui succede au defunt veille toute la nuit sur sa depouille, en imposant la main droite du mort sur sa tete. Puis, apres qu'il l'a enseveli de ses propres mains, on lui met autour du cou le pallium du bienheureux Marc, apres quoi, en toute legitimite, il peut prendre place [sur le trone episcopal]. La nuit, quand Theodose celebrait ce rituel, la plebe et les moines appri-rent ce qui s'etait passe ce soir-la dans Yepiskopeion par les soins de Kalotychios et des juges {indices), c'est-a-dire du dux Aristomachos et de Yaugustalis Dioskoros, [la plebe et les moines] se saisirent de Theodose et le jeterent dehors, aim qu'il ne puisse pas en-sevelir Timothee. lis etablirent sur le trone episcopal Gai'anos qui devint arckeveque de l a^desapk tka r todoce te s . " 2 7

Ainsi, la scene se deroule dans Yepiskopeion, le siege de Feveque, et non pas dans une des eglises d'Alexandrie. Il ne semble pas quelle ait reuni de nombreux spectateurs. L'intervention de la foule a lieu pendant la cere-monie funeraire du patriarche defunt. L'obligation d'ensevelir personnel-lenient le predecesseur, comme condition de la reconnaissance canonique de la consecration du nouveau patriarche, n'avait aucun fondement theo-logique ni normatif (aucun concile n'a etabli une telle regie), il s'agit d u n usage local.

Le recit de la ceremonie de consecration du nouveau patriarche par la main du defunt, qui peut aujourd'hui choquer plus dun historien, est confirme par deux autres textes, apparentes entre eux. Il s'agit de deux versions de la Vie de Pierre F , martyr du temps des persecutions de l'an 311. Toutes deux derivent d'un ouvrage aujourd'hui disparu, une histoire du patriarcat d'Alexandrie, ecrite a la fin du IVe ou au debut du Ve siecle et

27 Liberatus brev. 20 (ACO II.5, 135 Sckwartz). j 'ai propose une interpretation de ce passage dans mon article „Tke Origins of tke Monarckic Episcopate in Egypt", Ada-mantius 12, 2006, 77-78.

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que A. Camplani a essaye de reconstituer.28 Les deux versions ont trait a la consecration d'Achillas, le successeur de Pierre. La premiere d'entre dies, redigee en grec et publiee par P. Devos, raconte comment, apres le martyre de Pierre, sa depouille fut placee sur le trone episcopal.29 Le pallium du defunt fut alors enleve de son cou et pose sur les epaules d'Achillas. La seconde version, qui nous est parvenue en ethiopien, contient une infor­mation d'ou il ressort que la tradition alexandrine considerait la presence du patriarche defunt a la ceremonie de l'ordination de son successeur comme une regie.30

Ce rituel n'etait cependant pas un element ordinaire de la ceremonie d'ordination; nous savons que, malgre le souci de rapidite, certains pa-triarches alexandrins furent elus quelque temps apres le deces du predeces-seur, au moment ou il n'etait bien evidemment plus possible d'installer la depouille sur le trone. Peut-etre les hierarques n'avaient-ils recours a cet usage que dans des situations particulierement tendues, lorsqu'ils s'attendaient a des reactions violentes de la part des opposants et cher-chaient un argument majeur en faveur du candidat qu'ils proposaient. Peut-etre imposaient-ils la main du defunt sur la tete du futur eveque seu-lement lorsque le patriarche n'avait pas reussi a faire ce geste de son vivant et que la ceremonie de consecration avait lieu suffisamment tot pour que le processus de la decomposition du corps ne soit pas encore intervene

La necessite d'agir vite determinait la composition du cercle des eveques qui participaient a l'election. De tous les eveches situes aux envi­rons d'Alexandrie, seul l'eveque de Schediai, localite qui se trouvait a env. 25 km, pouvait arriver a temps. Les autres eveches, Metelis et Hermoupo-lis Parva, tous deux situes a 50 km, se trouvaient deja trop loin. Certes, il y avait toujours a Alexandrie des eveques convoques par l'administration de la curie ou venus pour regler des affaires. Alexandrie avait sans doute sa synodos endemousa (synode des eveques presents dans la ville au moment donne), d'apres le modele constantinopolitain. Les sources ne la mention-

28 A. Camplani, "L'autorappresentazione dell'episcopato di Alessandria tra IVe Vsecolo: questioni di metodo", Annali di storia dell'esegesi 21, 2004, 147-183. Camplani donne a cet ouvrage le titre "Storia dell'episcopato alessandrino" (en abrege SEpA).

29 P. Devos, Une Passion grecque inedite de S. Pierre d'Alexandrie et sa traduction par Anastase le Bibliothecaire AB 83, 1965, 157-187 (paragraphs 18).

30 Martyrdom of St. Peter Archbishop of Alexandria, ed. Getachew Haile, AB 98, 1980, 85-92. "...Mark the Evangelist came to Alexandria on the seventh year of the reign of Nero and appointed Anianus bishop, twelve priests and seven deacons, and gave them this order: 'When the bishop of Alexandria dies, the priests shall come together, and, in the faith of Our Lord Jesus Christ, lay their hands on one they have unanimously elected from among themselves. They shall appoint a bishop like this while the corpse of the deceased bishop is still here.'"

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nent pas, mais son existence est tres vraisemblable. Pour certaines affaires, le patriarche devait avoir interet a de connaitre l'opinion de quelques-uns de ses eveques. Dans des cas ou le deces du patriarche de l'Eglise d'Egypte survenait apres une longue et grave maladie, les hierarques capables physi-quement et financierement d'entreprendre suffisamment tot le voyage parvenaient a temps a Alexandrie. Les autres venaient s'incliner devant le nouveau pasteur a un autre moment, au cours dune grande ceremonie organiseebeaucoupplustard.

Outre les laiques et les moines venus des monasteres periurbains, dans la foule presente a l'election du patriarche d'Alexandrie il y avait proba-blement aussi les confreries, nombreuses dans la ville, et les groupes d'infirmiers a p p e l e s ^ n z ^ W 1 . Ceux-ci formaient un corps de 500 a 600 hommes au service du patriarche. Utilises dans differentes situations, en pratique ils jouaient le role dune milice soumise aux ordres du patriarche.

La lecture des biographies contenues dans YHistoire des patriarches coptes d'Alexandrie permet de conclure que le resultat de l'election depen­d s en grande partie du patriarche defunt qui, avant de s'eteindre, indi-quait la personne qui devait etre investie de la dignite patriarcale (ce qui ne veut pas dire que la volonte du defunt etait toujours respectee). Il est frap-pant de constater que tres souvent le choix portait sur l'ancien secretaire personnel du predecesseur, plus rarement sur un haut dignitaire de la cu­rie. Nous ne savons rien des preparatifs des elections. On peut imaginer qu'une sorte de campagne electorale commencait avant meme la mort du patriarche. Les personnes suffisamment influentes pour participer au jeu politique s'y engagement a l'avance, essayant de forcer la candidature d u n des leurs. Il s'agissait souvent d u n moine dun des grands monasteres, soutenu par un puissant archimandrite. Le candidat pouvait ne pas etre connu de la majorite des electeurs. La question de savoir qui serait le fu-tur patriarche etait tres certainement a l'ordre du jours dans routes les eglises et tous les monasteres aux quatre coins de l'Egypte.

Lorsque, par la decision du concile de Chalcedoine, le patriarche d'Alexandrie Dioscore fut destitue de sa charge et exile a Gangra, des re-presentants de l'empereur et un groupe d'eveques qui comptaient parmi ses adversaires, entreprirent des demarches visant l'investiture du trone vacant.32 Dans leur initiative, ils se heurterent a toutes sortes de difficult, a commencer par l'attitude du clerge alexandrin qui, a cette epoque, etait

31 E. Wipszycka, Les gens du patriarche alexandrin, Alexandrie medievale 3, ed. J.-Y. Empereur, Ch. Decobert, Le Caire 2008, 107-112.

32 Le lecteur trouvera un expose competent des evenements de la seconde moitie du Ve s. dans louvrage de Blaudeau cite dans la note 24. LWvrage contient une bibliographic exhaustive de la question.

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loin d'etre unanime. Le nouveau pasteur se vit aussitot reprocher d'avoir recu le sacre du vivant de son predecesseur, ce qui etait une grave enfreinte aux regies canoniques. Certains parlaient meme de parricide. Pourtant, de telles accusations manquaient de fondement; en effet, l'histoire de l'Eglise a connu plusieurs cas de destitution d'eveques, ce qui n'a jamais empeche d'en ordonner d'autres, et, bien que cela entrainat parfois de vives protes­tations, de telles situations n'ont pas toujours ete suivies de troubles. De-puis longtemps, l'Eglise disposait de procedures permettant d'ecarter les hierarques considers comme indignes du poste ou particulierement em-barrassants.

Les partisans du concile de Chalcedoine elirent Proterios, un archi-presbytre ordonne par Dioscore et a qui celui-ci avait confie la direction des affaires ecclesiastiques au moment de son depart pour Chalcedoine. Proterios n'etait done pas hostile a Dioscore, e'est le sacre qui le placa dans une telle position. D'ailleurs, ce n'est qu'apres un certain delai qu'il signa l'un des documents les plus importants du concile, a savoir le Tome a Fla-vien, ouvrage dogmatique du pape Leon I".

Dioscore deceda le 4 septembre 454, ce qui, dans l'opinion des mono-physites, autorisait a proceder a l'election d'un nouveau patriarche. Pour­tant, il n'en fut rien, et il fallut attendre la mort de l'empereur Marcien, qui eut lieu le 27 Janvier 457. En effet, e'etait ce souverain qui avait con-voque le concile et legitime ses decisions par sa constitution, e'etait lui qui menacait les rebelles de peines graves, et e'etait sa reaction que Ton crai-gnait le plus. Profitant de l'absence du dux Dionysios dans la ville, le 16 mars 457, les monophysites firent consacrer Timothee Ailouros ("Be-lette"), un moine celebre pour son ascese et son grand savoir, et, comme cela s'avera plus tard, un pasteur tres efficace,33 Deux eveques par t ic ipant a la ceremonie d'ordination: Eusebe de Peluse et Pierre l'lberien, eveque de Gaza. Du point de vue de l'usage, cela n'etait pas tout a fait normal. D'abord, Pierre l'lberien vivait, certes, en Egypte, mais il ne faisait pas partie du clerge egyptien; ensuite, la presence de deux eveques au lieu de trois, tout en etant admissible, n'etait pas bien vue. Tout porte a croire que les monophysites etaient presses d'organiser la ceremonie. Je suppose qu'ils voulaient le faire avant le retour du dux. L'irregularite la plus grave, celle qui allait causer de veritables problemes aux monophysites hors de l'Egypte, consistait en ce qu'ils avaient procede a cette ordination du vi­vant du patriarche Proterios. La situation de Timothee Ailouros s'aggrava

33 Pour les informations de base sur l'activite et l'ceuvre dogmatique de Timothee Ailou­ros, voir l'article encyclopedique de M. Simonetti dans: Nuovo Dizionario Patristico e di Antichita Cristiane, diretto da A. di Berardino, vol. Ill, Roma 2008, s.v. Timoteo II di Alexandria. Plus largement dans louvrage de Blaudeau cite ci-dessus, n. 24.

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encore plus lorsque, le 28 mars 457, un Jeudi Saint, pendant la ceremonie traditionnelle du bapteme au baptistere, Proterios fut assassine, et que Ton ne put jamais etablir le veritable instigateur de ce crime. II ne fait pas de doute que Timothee n'y etait pour rien (bien qu'il en fut violemment accuse), mais il est tout aussi certain que son sacre avait ete a l'origine des tensions qui provoquerent la catastrophe. Timothee Ailouros prit d'emblee ses fonctions et commenca a baptiser et a ordonner des eveques. Et c'est seulement en mars 460 que le dux en poste, Stilas, sur l'ordre explicite de l'empereur, le chassa de la ville et le condamna a l'exil a Gangra d'abord, puis a Chersonesos (d'ou il retournera a Alexandrie en 476, pour y mourir en 477). Le meme Stilas, muni dune procuration ecrite de l'empereur, supervisa l'election du nouveau patriarche. C'est Timothee Salophakiolos qui, vers le milieu de 460, fut elu. Il avait ete lie a Proterios et avait exerce la fonction d'econome de l'eglise alexandrine. Timothee Salophakiolos, homme pondere, oppose au fanatisme et a la violence, mena une intense activite philanthropique qui lui valut la faveur du peuple, mais ne lui suffit pas pour maintenir le trone. Liberatus affirmait que "les Alexandrins etaient bien disposes a son egard et clamaient leurs opinions sur les places publiques: 'Bien que nous ne soyons pas en communion avec toi, nous t'aimons.'" Confronte au succes de Timothee Ailouros en 476, il se retira dans le monastere pro-chalcedonien de Kanopos; en 477, on l'obligea encore une fois d'en sortir, sur l'ordre de l'empereur.

Timothee Ailouros mourut le 31 juillet 477. Les monophysites elurent immediatement a sa place un homme qui lui avait ete tres proche, Pierre Mongos, dont l'activite se deroulera en partie dans la clandestine, mais aussi au grand jour, jusqu'a sa mort survenue le 29 octobre 490. Il fut consacre par deux eveques,34

Du cote catholique, a Timothee Salophakiolos succeda, entre fevrier et avril 382, Jean Talaia, moine du monastere pachomien de Kanopos.35

L'ordination eut lieu tres rapidement. Son sacre avait ete precede de toute une serie de demarches entreprises a Constantinople a initiative de Timo­thee Salophakiolos qui, en 481, y avait envoye Jean Talaia en personne avec un message adresse a l'empereur Zenon: Timothee souhaitait qu'apres sa mort, le patriarcat d'Alexandrie se trouve entre les mains d'un catho­lique. La reponse de l'empereur fut positive; Jean Talaia retourna avec le

34 Ph. Blaudeau (louvrage cite ci-dessus n. 24), 192, note 511. Blaudeau mentionne aussi les accusations formulees (a tort) a son encontre, selon lesquelles n'aurait partici-pe a la ceremonie q u u n seul eveque.

35 Ch. Pietri a consacre a cet episode une etude approfondie: D'Alexandrie a Rome: Jean Talai'a, emule d'Athanase au Ve siecle, dans: Alexandria. Melanges ofFerts a Claude Mondesert, Paris 1987, 285-295.

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rescrit imperial garantissant qu'au moment opportun le trone d'Alexandrie passerait a un catholique,36 Pierre Mongos representait toujours un grand danger; il etait impossible (peut-etre ne faisait-on pas suffisamment d'efforts) de l'arreter et de le deporter. Dans les lettres echangees entre l'empereur et le pape Felix, le souverain louait Jean Talaia, affirmant qu'il etait digne des plus hautes dignites de l'Eglise. Il pouvait le faire, car Jean Talaia lui avait jure, en presence du senat et du patriarche, qu'il n'aspirerait pas a la dignite patriarcale. Zacharie de Mytilene et Evagre le Scholastique ecrivent que l'empereur, qui s'etait apercu des ambitions, pas assez bien cachees, de Jean Talaia et qui ne voulait pas de lui sur le trone d'Alexandrie (peut-etre pensait-il que Pierre Mongos serait un collabora­t e s plus souple), lui avait tendu un piege. Aux propos de l'empereur assu-rant Jean Talaia qu'il serait bon qu'il devint patriarche, celui-ci avait reagi c o n f o r m a n t a la convention obligatoire, en disant: "je n'en suis pas digne", mais il avait eu l'imprudence d'ajouter a cela un serment. Ce ser-ment devait lui couter cher par la suite. Ce qui est pire, a Constantinople, le comportement de Jean commenca a soulever des suspicions. Pour son malheur, il s'etait lie d'amitie avec Illos, le plus haut fonctionnaire de la cour imperiale (magister officiorum), qui participa plus tard a la revoke contre l'empereur Zenon; il le comblait de precieux cadeaux et promettait encore plus dans ses lettres. L'affaire vit le jour tout a fait par hasard et fit scandale, ce qui enrageait l'empereur. Celui-ci se prononca ouvertement pour Pierre Mongos (sous certaines conditions indiquees dans le docu­ment appele Henotikon) et donna l'ordre a son representant a Alexandrie de chasser Jean Talaia.37 Celui-ci n'attendit pas l'execution de l'ordre et quitta la ville de son propre gre. Il n'y retourna plus jamais. Il se rendit a Rome (483) ou il lutta pour sa cause ; le pape lui confia l'eveche de Nola.

Un simple coup d'oeil sur la liste des patriarches nous permet de cons­t a t s que, pendant longtemps, de 482 jusqu'a 538 (date de l'ordination de Paul le Tabennesiote), l'Eglise d'Alexandrie fut entre les mains d'elus mo-nophysites. Cette situation resultait sans doute d'une configuration parti-culiere des forces a l'interieur de l'Empire: dans la capitale, le trone impe­rial appartenait a Zenon et a Anastase, qui etaient prets a collaborer avec lesmonophysites.

Divers textes, surtout des textes liturgiques, font ressortir le caractere public et hautement ceremonial de la consecration patriarcale.38 A ce grand

36 Zach. Rh. h.c. V 5 et 7 (CSCO 87, 153-157 Brooks); Evagr. h. e. Ill 12 (ed. J. Bi-dez/L. Parmentier, The Ecclesiastical History of Evagrius with the Scholia, London 1898, 109-110); Liberatus brev. 17 (ACO II.5, 126-132 Schwartz).

37 Le meilleur recit de ces evenements se trouve dans: Zach. rh. h.e. V 6 (154 Brooks). 38 Voir The Rites of Consecration of the Patriarch of Alexandria (cit. note 5).

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et long spectacle participaient les representants de tous les milieux: eveques, clerge d'Alexandrie, notables et dignitaires, groupes organises de fideles et une foule de petites gens qui restaient a l'arriere-plan d'ou, a des moments opportuns, se faisaient entendre des acclamations. Apres la ce­remonie a l'eglise,39 le patriarche se rendait dans son siege a la tete dune procession, accompagne de nombreux dignitaires; on portait des croix, l'icone de saint Marc et une banniere (?). Arrive devant le tetrapyle au centre de la ville, le cortege s'arretait et Farchidiacre recitait des prieres prevues a cette occasion. Dans les trois jours qui suivaient le sacre, le nou-veau patriarche celebrait trois messes dans les trois eglises principals d'Alexandrie: l'eglise dite Angellion, celle de Saint-Michel et celle de Saint-Marc. Pendant le dernier office, il tenait sur ses genoux le crane de saint Marc, devenant ainsi "son successeur pret a suivre ses pas."40 Il est interes-sant de noter que, dans le recit de la ceremonie, on insiste sur le role de l'eveque celebrant principal, la presence du "second" eveque n'est signalee qu'une fois, a d'autres endroits, il est question des eveques, au pluriel. Le troisieme hierarque (des trois qui participent a l'ordination, selon les regies canoniques) n'est point mentionne.

Quel tour prenait la ceremonie de consecration lorsqu'elle n'avait pas l'approbation de l'empereur ou avait ete formellement interdite? Dans le cas de Timothee Ailouros et dans celui de Pierre Mongos - deux person-nages qui etaient populaires, a une epoque ou la position des monophy-sites etait forte aussi bien dans la ville que dans les monasteres voisins - , on ne se soucia pas de l'opposition des autorites laiques: les deux pa-triarches furent consacres dans une des eglises alexandrines qui etaient entre les mains des monophysites. Il en etait autrement a l'epoque des querelles internes au sein de l'Eglise monophysite et des persecutions ou-vertes de la part de l'empereur: les hierarques renoncaient a l'ostentation, en choisissant des monasteres monophysites comme lieu de l'ordination patriarcale. (Cependant, meme dans cette periode-la, un candidat issu d'une famille influente, comme Andronikos, non seulement fut consacre dans l'eglise monophysite dite Angellion, mais y exerca ses fonctions pen­dant toute la duree de sa charge).41 Les autorites n'intervenaient pas, sans doutedepeurdesouleverdesemeutes.

39 II est impossible de savoir de quel edifice il s'agit. Dans le texte, cette eglise est nom-mee katholike, terme qui designe generalement l'eglise cathedrale, lieu ou le patriarche celebre loffice. Nous ne savons pas laquelle des eglises d'Alexandrie tenait lieu de ka­tholike auVIP s.

40 Voir The Rites of Consecration of the Patriarch of Alexandria (cit. note 5), 83. 41 History of the Patriarchs of the Coptic Church of Alexandria, PO 1-4, 484.

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Les chalcedoniens, eux, avaient d'autres raisons d'avoir peur. A Alexandrie, aux VP et VIP siecles, l'organisation dune ceremonie pour le sacre dun patriarche chalcedonien, avec la participation de milliers de personnes, risquait de provoquer une emeute, et le candidat designe par l'empereur se trouvait personnellement en danger. II fut done necessaire de renoncer a ces fastueux spectacles a Alexandrie. Le premier patriarche or-donne a Constantinople, sur le conseil de Pelagios, apocrisiaire du pape, fut Paul le Tabennesiote (538), le superieur du monastere de Kanopos. Lorsqu'il fallut le destituer - pour violences et peut-etre pour meurtre -e'est le synode des eveques palestiniens reunis a Gaza qui le fit. Ce meme synode ordonna son successeur Zoilos (540-551). A partir de ce moment-la, les candidats chalcedoniens recevaient la charge episcopale d'Alexandrie a Constantinople: l'empereur designait le candidat, tandis que Fordination relevait de la competence du patriarche de Constantinople, accompagne de deux eveques qui se trouvaient a ce moment-la a sa disposition. Ainsi, manquant a toutes les regies et traditions, les chalcedoniens ont reussi a assurer la continuite du patriarcat d'Alexandrie jusqu'a Cyrus (630-643).

Du cote des monophysites, Fordination de Timothee III fut la der-niere qui se fit selon l'ancien usage. Apres cette date, les difficult liees au choix des patriarches etaient en partie occasionnees par les persecutions systematiques de la part de ceux parmi les empereurs qui s'etaient pronon-ces decidement pour le concile de Chalcedoine. Mais la part decisive de la responsabilite revenait aux luttes internes entre differents groupes de mo­nophysites qui rivalisaient entre eux. A l'origine de ces rivalites se trou­vaient rarement des questions theologiques, dans la plupart des cas il s'agissait d'animosites personnels, les tensions se faisant le plus sentir au moment des elections. Les perdants avaient du mal a admettre leur echec et tentaient d'eliminer le concurrent plus chanceux.

Un cas classique, ce sont les affrontements autour de l'investiture du trone patriarcal apres la mort de Theodose. La premiere tentative fut en-treprise par un groupe domine par l'eveque Longinos, rappele a cet effet de Nubie. II apporta une lettre de Theodore, monophysite, eveque de Philae, laquelle l'autorisait a agir en son nom, car lui-meme etait trop age pour pouvoir entreprendre un si long voyage. Outre Longinos, dans le groupe des hierarques qui debattaient alors en cachette aMareotis se trouvaient deux eveques monophysites syriens et le patriarche d'Antioche Paul (celui dont les Alexandras ne voulaient pas). L'assemblee clandestine elut Theo­dore. C'etait un Syrien, certes, mais archimandrite d'un des monasteres de Scete; il accepta la fonction a contrecoeur. La consecration de Theodore eut lieu a Abu Mena, un sanctuaire de pelerinage celebre situe dans le desert, a env. 46 km a l'ouest d'Alexandrie. Tout se deroula dans le secret

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le plus total. Lorsque le clerge monophysite alexandrin eut appris la nou-velle, il reagit energiquement, en procedant a une rapide ordination de Pierre IV, diacre, homme age, ancien compagnon d'exil de Theodose. Les membres de la curie patriarcale, qui avaient soutenu sa candidature, pen-saient tres vraisemblablement qu'il se laisserait manipuler assez facilement. Compte tenu de la presence du clerge alexandrin a la ceremonie de conse­cration, c'est Pierre qui avait droit au trone, mais, par malheur, l'entourage de Theodore poussa celui-ci a poursuivre la lutte, complement insensee dans ces conditions.

En definitive, Pierre remporta une victoire posthume: lorsque, au bout de trois ans, un nouveau patriarche devait etre choisi, c'est Damien, le secretaire de Pierre, qui futelu.

Apres cette periode mouvementee, pendant longtemps, les elections des patriarches des deux options dogmatiques se sont deroulees sans com­plications. A une exception pres, a savoir: l'election de Dioscore II, qui etait, parait-il, un parent de Timothee Ailouros. Il convient de lui consa-crer un peu d'attention. Les temoignages qui le concernent sont confus et different entreeux.

Liberatus brev. 18 (ACO 2.5, 132-133 Schwartz): Apres la mort de Jean, fut ordonne a Alexandrie Dioscore le Jeune, pendant l'episcopat duquel fut tue par le peuple Theodose, augustalis, fils de Kalliopios. Ce Dioscore en effet - sur Initiative de Socrate, scholastic*, qui avait propose qu'il fasse, en presence du defensor civitatis, une declaration, comme quoi il acceptait Yhenotikon en rejetant le concile [de Chalcedoine] - accepta l'edit de reunification en rejetant le concile, comme le prouve le document qui fut redige chez le defensor civitatis, en pre­sence de celui-ci, et dans lequel il declara qu'il acceptait l'edit en rejetant le concile .

Jean Malalas chron. 16,15 (CSHB Berlin 35, 328-329 Thurn): En cette annee de son regne [du regne d'Anastase], le peuple d'Alexandrie se revolta, pour manque d'huile, et tua Yaugustalis du nom de Theodose, originaire d'Antioche, fils du patricien Kalliopios. Ce fut l'annee 564 de l'ere d'Antioche, indiction 9 [AD 515/516]. L'empereur fut pris de colere et punit de nombreux Alexandrins pour la re-volte contre k praefectus augustalis.

Theodore Lecteur,42 Excerpt. 522, note seulement que Dioscore, neveu de Timothee Ailouros, essaya de defendre les Alexandrins a Constantinople, mais qu'il se heurta a l'hostilite des Constantinopolitains.

Theophane, sous la date Anno mundi 6009 - Anno Domini 516/517: Dans cette annee, apres la mort de Jean Nikaiotes, l'eveque heretique d'Alexandrie, fut elu eveque Dioscore le Jeune, un neveu de Timothee Ailouros. Etant alle a Byzance pour plaider devant l'empereur en faveur des Alexandrins a cause du meurtre du fils de

42 Theod. lect. h.e. E 522 (GCS N.F. Ill 151 Hansen).

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Yaugustalis Kalliopios, il etait injurie publiquemem dans la rue par les orthodoxes qui croyaient qu'il etait venu pour combattre les dogmes orthodoxes. Aussi, des qu'il eut accompli sa mission concernant le meurtre, se hita-t-il de retourner chez lui. Et void la raison du meurtre. Lorsque Dioscore fut ordonne, la multitude des gens du lieu (taplethe ton chorikon) se separa (anechoresan) en disant: Teveque ne peut pas etre install* autrement que selon les regies canoniques etablies par les saints apotres'; en ef-fet, c'etait par les fonctionnaires (archontes) qu'il [Dioscore] avait ete intronise. Dios­core se rendit alors a Saint Marc et les membres du clerge arriverent, le revetirent a nouveau [des habitspontificaux] et l'ordonnerent une deuxieme fois. Apres quoi il alia a Saint Jean [Baptist*] et y celebra la messe. Comme il y avait la Theodose, fils de Kal­liopios, augustalis, et Akakios, magister militum, la foule se souleva et commenca a in-jurier Yaugustalis parce qu'il avait loue l'empereur Anastase. S'etant debarasses de toute crainte, quelques-uns sauterent dessus, arracherent le fils de Yaugustalis de son siege et le tuerent. Le magister militum Akakios donna la mort a autant d'individus qu'il put attraper. Quand l'empereur apprit la nouvelle, il fut pris de colere contre eux, mais Dioscore alia chez lui en amba'ade et reussit a l'adoucir."43

Tout porte a croire que la foule venue assister a la ceremonie, incitee par les monophysites fanatiques presents parmi le clerge et les moines, n'a pas ete satisfaite par les declarations de Dioscore qui avait accepte Yhenotikon comme credo orthodoxe, car ce texte ne condamnait pas ouvertement les decisions du concile de Chalcedoine. Les protestations de la foule force-rent Dioscore a renouveler Facte d'acceptation de Vhenotikon, en ajou-tant au texte une formule de condamnation du concile. La fureur de la foule eclata apres le rituel, quand le patriarche n'etait pas encore vetu de ses habits ceremoniaux (les pretres de sa suite etaient en train de l'habiller).

II est interessant de noter que la nouvelle declaration fut prononcee devant un haut fonctionnaire laique, le defensor civitatis, qui paraissait plus fiable aux contestataires que les dignitaires de la curie patriarcale. Une information analogue est contenue dans la biographie de Mongos que les fideles soupconnaient (a raison) de tricherie:44 lui aussi fut oblige de faire

43 Je traduis le texte de l'edition de J. Classen, Theophanis Chronographia, t. I, Bonn 1839, 250-252, et non pas celui de l'edition de C. de Boor, Theophanis Chronogra­phia, t. 1, Leipzig 1883. A un endroit important, la tradition manuscrite presente deux lecons divergentes: taplethe ton chorikon et taplethe ton klerikon. J. Classen a choisi la premiere variante, C. de Boor la seconde. C. Mango et R. Hall, qui ont tra-duit et commente le texte en 1997, ont adopte le choix fait par C. de Boor, a tort, se­lon moi. L'emploi du mot: ta plethe, "les multitudes", "la foule", serait innaturel, s'il s'agissaitde la majorite du clerge.

44 Ch. Haas, Patriarch and People: Peter Mongus of Alexandria and Episcopal Leader­ship in Late Fifth Century, JECS 1, 1993, 297-316.

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une declaration supplemental condamnant ouvertement l'oeuvre du conciledeChalcedoine.

Le passage de Theophane parlant dune nouvelle ordination de Dios-core est plus qu'etonnant. Dans l'Antiquite tardive, un tel acte etait abso-lument inacceptable du point de vue liturgique. De tels cas sont en re­vanche attestes a l'epoque medievale.

Pourquoi la foule, au lieu de s'apaiser (sa demande ayant ete satisfaite), s'infuria-t-elle a tel point que quelques individus tuerent le prefer de la ville? Est-ce que, comme le dit Theophane, le dignitaire avait provoque la foule, en louant l'empereur? Ceci parait peu probable. En effet, Anastase etait bien dispose a l'egard des monophysites, et tout le monde a Alexan-drie le savait. Prononcer un discours panegyrique en l'honneur de l'empereur faisait partie des devoirs ordinaires des fonctionnaires de ce rang. Theodose aurait-il formule une remarque desobligeante a l'egard de la foule? II est vraiment difficile de l'admettre: en regie generale, les repre-sentants de l'empereur savaient tres bien a quel point les Alexandras etaientdangereux.

Le temoignage de Jean Malalas peut nous aider a comprendre la situa­tion.45 La penurie d'huile dans la ville a sans doute ete une raison suffi-samment importante pour susciter la colere des citoyens.

Dans son commentaire de ces textes, Ernst Stein,46 eminent historien du milieu du XX' siecle, inegale dans ses recherches sur l'histoire politique, se dit convaincu que les monophysites etaient indignes par un soutien trop evident des autorites laiques pour le candidat et qu'ils souhaitaient que le rituel soit repete (sans la presence des dignitaires civils? Ceci aurait ete une offense pour l'Eglise alexandrine). Selon l'avis de Stein, l'incident se serait produit pendant la premiere messe pontificale a laquelle participaient le praefectus augustalis et le chef des troupes. C'est alors que la foule se jeta sur le prefer et l'assomma, et que le magister militum donna l'ordre de tuer les attaquants. II me semble que la presence des autorites civiles a l'office n'aurait pas en elle-meme suffi pour susciter une telle colere, car en regie generale, les dignitaires laiques participaient a toutes les ceremonies ecclesias-

45 Sur le temoignage de Malalas, voir Ph. Blaudeau, Ordre religieux et ordre public: observations sur l'histoire de l'Eglise post-chalcedonienne d'apres le temoignage de Jean Malalas, dans: Recherches sur la Chronique de Jean Malalas, t. II, ed. S. Augusta-Boularot, J. Beaucamp, A.-M. Bernardie, E. Caire, Paris 2006, 243-256. L'auteur se demande pourquoi Malalas, qui connait bien les evenements, ne mentionne pas dans son recit la situation religieuse existant a Alexandrie a cette epoque et dans laquelle il faut aussi chercher les causes de l'emeute.

46 Histoire du Bas Empire de la disparition de l'Empire d'Occident a la mort de Justi-nien.t. 2, Paris 1949, 164.

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tiques. Les historiens d'aujourd'hui, qui ont tendance a surestimer l'intensite de la haine des Egyptiens a l'egard de l'empereur et de ses repre-sentants, sont enclins a exagerer le role du facteur politique dans toute cette affaire.47

La conquete de l'Egypte par les Perses (juin 619) eut pour conse­quence la fuite du chalcedonien Jean l'Aumonier a Chypre dont il etait originaire et ou il mourut en novembre 619. La hierarchie chalcedonienne ne sera retablie qu'au debut des annees 30, apres le depart des Perses. Le monophysite Andronikos, elu en 616, resta, quant a lui, a Alexandrie, mais nous n'avons aucun temoignage concernant son activite sous la do­mination perse. Il en est de meme pour son successeur, Benjamin, ordon-ne en 622, dont l'activite sera visible apres la conquete arabe. Il est pro­bable que les deux ont vecu dans la clandestine, ou peut-etre sans aller jusque la sont-ils restes inactifs pendant toutes ces annees, les Perses mani-festant une attitude peu favorable a l'egard des monophysites. Les occu­pants interdisaient l'ordination de nouveaux eveques en Egypte (alors que les anciens restaient en poste sans problemes), sans que Ton puisse expli-quer pourquoi.48 Il existe trop peu de sources relatives a cette periode pour qu'on puisse comprendre les motifs de la politique perse.

Deux ans apres le depart des Perses (631-632), Cyrus, homme de l'empereur Heraclius et eveque de Phasis dans le Caucase, arriva a Alexan­drie avec la mission de mettre fin aux querelles entre monophysites et chalcedoniens.49 Le concile d'unification eut lieu en juin 633. Les actes de ce synode ne nous sont pas connus; l'unique document parvenu jusqu'a nos jours est une lettre adressee au patriarche de Constantinople, Serge, dans laquelle Cyrus fait part de son succes. A la fin du document se trouve la titulature de Cyrus: "eveque par la grace de Dieu, topoterete {topoteretes) du trone apostolique de cette ville tant aimee du Christ, Alexandrie, sur ordre de nos bons et victorieux Seigneurs."50 Marek Jankowiak, dans son excellente these de doctorat51 consacree aux evenements du VIP siecle,

47 Je pense surtout a l'attitude de Blaudeau dans son livre cite dans la note 24. 48 Synaxaire arabe Jacobite (redaction copte), PO 3, 491. 49 Les plus importants travaux sur l'activite de Cyrus en Egypte: F. Winkelmann, Agyp-

ten und Byzanz vor der arabischen Eroberung, Byzantinoslavica 40, 1979, 161-182 ; idem, Die Stellung Agyptens im ostromisch-byzantinischen Reich dans: Graeco-Coptica. Griechen und Kopten im byzantinischen Agypten, Halle 1984, 11-35; idem, Der monoenergetisch-monotheletische Streit, Frankfurt a.M. 2001.

50 G.D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, vol.11, Florentiae 1765, 559-668.

51 Essai d'histoire politique du monothelisme a partir de la correspondance entre les empereurs byzantins, les patriarches de Constantinople et les papes de Rome, Paris,

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propose une interpretation de ce passage differente de celles qui sont commandment admises. Selon lui - et je me range a son avis - l'eveche dont il est question est celui de Phasis; en 633, a Alexandria Cyrus ne fut que topoteretes (litteralement "lieutenant"), done envoye de l'empereur, charge de mission et muni de procurations speckles. Dans ses pourparlers avec les eveques des deux camps, Cyrus representait l'empereur et non pas l'Eglise. Le titre que lui avait donne Heraclius refletait bien la tactique adoptee par l'empereur, en fait, son principal objectif etait d'eliminer les divisions au sein de la chretiente d'Orient et, pour realiser ce but, tout moyen etait bon. Quand les trones patriarcaux (Alexandrie, Antioche, Jerusalem) restaient vacants, l'empereur n'etait point presse de mettre fin a cette situation inhabituelle. Afin d'assurer le fonctionnement normal du patriarcat, il preferait nommer des topoteretes qui n'allaient pas rester sur place apres avoir accompli leur mission. C'est a peu pres a l'epoque ou Cyrus fut envoye a Alexandrie que, sur l'ordre de l'empereur, Stephanos de Joppe fut nomme topoterete a Jerusalem. Heraclius voulait garder en main une carte forte, esperant pouvoir la jouer et gagner quelques figures ecclesiastiques importantes du camp oppose au sien.

Heraclius dota le topoterete d'Alexandrie de tres vastes competences ex-tra-ecclesiastiques. D'apres YHistoire des Patriarches, qui est, pour cette epoque, une source d'informations assez bonne, Cyrus devint le plus haut fonctionnaire d'Egypte: dux etpraefectus augustalis* Je doute que Cyrus ait recu formellement ce titre et qu'il ait effectivement exerce les fonctions liees a celui-ci. Certes, il devait disposer de vastes pouvoirs, mais ceux-ci n'etaient probablement pas definis selon la nomenclature administrative en vigueur. Les responsabilites du prefer et du dux etaient tellement nombreuses, qu'elles ne lui auraient cree que des ennuis, en l'empechant de se concentrer sur des affaires de l'Eglise. La question est sans aucun doute interessante, die pourrait bien faire l'objet d'un autre debat. Nous ignorons quand exacte-ment Cyrus a obtenu la dignite de patriarche. C'est probablement le succes du concile d'unification qui poussa Heraclius a le recompenser de cette facon.

Je n'ai point souleve jusque la le probleme des interventions de l'empereur dans les elections patriarcales. Il est temps a present de nous pencher sur notre dossier pour y puiser quelques informations a ce sujet.

Ecole Pratique des Hautes Etudes - Universite de Varsovie, these soutenue le 30 juin2009.

52 History of the Patriarchs, PO 1-4, 489. Deja auparavant Justinien avait dote Paul le Tabenn&iote de certains pouvoirs civils, mais il est difficile de dire comment ils etaient definis dans Facte de nomination.

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Aux VP et VIP siecles, le souverain decidait des nominations des pa-triarches pro-chalcedoniens, tandis que sous le regne de Zenon et d'Anastase, cette pratique concernait le patriarcat monophysite. Les jeux politiques tres complexes des Ve-VP siecles ont souvent conduit a des si­tuations dans lesquelles l'attitude de l'empereur ne pouvait pas etre definie dune maniere aussi simple (ainsi, Zenon soutint Pierre Mongos, tandis que Justinien accepta l'election de Theodose). Heraclius, apres sa victoire sur les Perses et la reprise des reliques de la Sainte Croix, se sentit en droit (et dans l'obligation) d'intervenir ouvertement dans les elections et ceci pour nommer non seulement les patriarches, mais aussi les archeveques et meme les eveques.

Dans ce contexte, il vaut la peine d'examiner la procedure qui fut adoptee pour transmettre le pouvoir patriarcal a Theodose. Pa revoke des partisans des aphthartodocetes contre le candidat elu et la consecration de Gaianos obligea Justinien a intervenir directement dans les affaires de l'Eglise alexandrine. Son representant, Narses, reunit les cent vingt per-sonnes qui avaient participe a la ceremonie de l'ordination de Theodose (les eveques y etaient en minorite) afin d'obtenir des depositions sur le deroulement des evenements. Sa mission consistait principalement a eta-blir lequel des patriarches, Theodose ou Gaianos, avait ete consacre le premier. C'est du moins ce qui ressort du recit de cet evenement contenu dans YHistoire des Patriarches* Furent alors apportes a l'eglise ou devait se tenir l'interrogatoire l'evangile et le decret de l'empereur muni de son sceau et de son effigie, puis on interrogea Theodose, ensuite tous les eveques presents a la consecration, l'un apres l'autre, et ces temoignages furent mis par ecrit (peut-etre se trouvaient-ils dans les archives du patriar­cat au moment de la redaction du texte utilise dans YHistoire des pa­triarches). Pa description de la maniere - extremement solennelle - dont le decret imperial fut presente, est, que je sache, absolument unique. Pes nombreuses lettres adressees par l'empereur au prefer d'Alexandrie au sujet des elections se presentment probablement sous la forme de la correspon-dance imperiale ordinaire, assez solennelle bien evidemment, comme tout ce qui etait signee par l'empereur, mais n'etaient pas destinees a etre expo-sees d'une facon ceremoniale a la vue du public, comme ce document qui devait symboliser la presence du souverain.

Que contenait la lettre imperiale? P'ordre de proceder a une investiga­tion? Une autorisation speciale permettant de reconnaitre la legalite cano-nique de l'election de Theodose, au cas ou sa priorite aurait ete prouvee? Nous sommes dans l'impossibilite de repondre a ces questions.

53 History of the Patriarchs, PO 1-4, 460-461.

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Les elections episcopales en Egypte aux VIe-VIIe siecles 2 8 7

II est a noter que la priorite revenait de droit a Gaianos, car c'est lui qui avait passe par routes les etapes de la procedure rituelle, alors que 1'ordination de Theodose avait ete interrompue et que done, du point de vue canonique, elle etait nulle et non advenue. Toutefois l'empereur ne voulait pas voir l'Eglise alexandrine dirigee par Gaianos, qui d'ailleurs etait alors en exil, en Sardaigne, d'ou il ne revint jamais.

Les autorites arabes reprirent tous les pouvoirs de l'empereur envers l'Eglise, dans les limites defmies par Heraclius. Apres le choix du pa­triarchy le gouverneur validait par ecrit le resultat de l'election (ou il tran-chait, s'il y avait plus d'un candidat). Le sacre avait traditionnellement lieu apres.54 Les sources ne fournissent aucun temoignage d'eventuelles contro-verses resultant de telle procedure.

Appendicel: Les plus importantes sources historiographiques

utilisees dans la presente etude

Zacharie de Mytilene

Vs.- Zachariah of Mitylene, Historia Ecclesiastics ed. tr. E.W. Brooks, CSCO 87, 1924.

Ne vers 465 aux environs de Gaza, Zacharie de Mytilene compte parmi les hommes les plus instruits de son epoque. Tres proche des dirigeants de l'Eglise monophysite, il passa quelque temps en Egypte. Au debut du regne d'Anastase, il s'installa a Constantinople ou il pratiqua comme ju-riste. Vers 492-495 il redigea une Histoire ecclesiastique, puis, vers 515, la Vie de Severe, patriarche monophysite d'Antioche - une source precieuse egalement pour l'etude de l'histoire de l'Eglise egyptienne. Zacharie de Mytilene est considere comme un auteur bien informe. Sa partialite se traduit surtout par l'omission de certaines questions delicates pour les monophysites. Sous Justin, il se convertit a la doctrine chalcedonienne; il participa au concile de Constantinople comme eveque chalcedonien de Mytilene. Son Histoire ecclesiastique, qui concerne la periode 450-491, etait basee sur son experience. Le texte original ayant disparu, nous ne disposons que d'un resume en syriaque redige par un moine d'Amida. La version syriaque est citee d'habitude par les savants comme: Pseudo-Zachane, Historia ecclesiastica.

54 Cette information est fournie par la Vie d'Isaac, patriarche d'Alexandrie (689-692), de la plume de Menas, eveque de Nikiou, qui la redigea une dizaine d'annees plus tard. Texte publie par E. Porcher, PO 9, 1915, 350-354.

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Liberatus

Breviarium causae Nestorianorum et Eutychianorum, ed. E. Schwartz [dans:] Acta Con­c i l i u m Oecumenicorum, t. 2 (Concilium Chalcedonense), vol. 5, p. 98-141.

Archidiacre de Carthage, Liberatus prit une part active dans la bataille occidentale pour la defense des Trois Chapitres centre l'empereur Justi-nien. Dans les annees 560-565, il redigea une histoire des controverses christologiques de Nestorius a Justinien. Il se basa sur de nombreux do­cuments (qu'il cite heureusement dans son texte) ainsi que sur des infor­mations recueillies pendant ses voyages. Liberatus fournit des informations fiables sur les evenements qui eurent lieu a Alexandrie. Nous savons qu'il y sejourna, mais nous ignorons a quelle date exactement.

Jean d'Ephese

Iohannis Ephesini Historiae ecclesiasticae pars III, tr. E.W.Brooks, CSCO 106, 1936.

Originaire de Mesopotamia Jean naquit vers 507 aux environs d'Amida. Moine monophysite, il faisait partie du milieu des dirigeants monophy-sites. II voyagea beaucoup, entre autres en Palestine, Syrie et Egypte. Des 534 il vecut a Constantinople, protege par Theodora. En 558 il fut or-donne eveque monophysite d'Ephese. Persecute en tant que dirigeant monophysite, il subit plusieurs emprisonnements. Il mourut apres 588.

De son Histoire ecclesiastique il ne subsiste que la troisieme partie por-tant sur les annees 571-588. Pour beaucoup de faits, Jean a pu se fonder sur son experience personnel , et il savait beaucoup, ayant participe aux evenements au niveau le plus haut. Il ecrit dune facon competente, mais non impartiale. Il combat avec passion les chalcedoniens ainsi que ceux parmi les representants du camp monophysite qui etaient ses adversaires. Le defaut principal de son recit consiste en ce qu'il passe sous silence les episodes qui pourraient profiter aux chalcedoniens.

Un autre ouvrage important de Jean d'Ephese, e'est une Vie des saints de l'Orient (e'est-a-dire de la prefecture d'Orient), surtout de ceux qui ont vecu a son epoque. Ces Vies ont un but apologetique: Jean y decrit en detail les persecutions subies par les monophysites sous Justinien.

JeanMalalas

Ioannis Malalae Chronographia, ed. J. Thurn, Berlin 2000 (Corpus Fontium Historiae Byzantinae).

Ne vers 491, Jean quitta a un certain moment Antioche (535? 540?) pour s'installer a Constantinople, ou il travailla dans l'administration imperiale. II est l'auteur d'une immense chronique relatant les evenements de la crea­tion du monde jusqu'a 526 (?) (et peut-etre meme jusqu'a 565, soit jus-

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Les elections episcopales en Egypte aux VIe-VIIe siecles 289

qua la mort de Justinien). La derniere partie du livre XVIII a sans doute ete redigee par quelqu'un d'autre. Cet ouvrage ne s'est pas conserve en entier; il n'en subsiste qu'un abrege (nous ignorons qui l'a fait: peut-etre Jean lui-meme?) et des fragments. Jean Malalas s'interessait principalement aux evenements qui avaient eu lieu a Antioche. Sa culture etait fort limi­ne, sa chronique n'est pas exempte d'erreurs grossieres, ce qui ne l'a pas empechee d'etre populaire.

Evagre leScolastique Evagrius, Ecclesiastical History, ed. J.Bidez, L. Parmentier, London 1898.

Ne vers 536 a Epiphaneia en Syrie, Evagre avait une bonne formation juridique (d'ou le surnom de scholastics). Install* a Antioche, il devint conseiller juridique du patriarche chalcedonien de cette ville. Il ecrivit une Histoire ecclesiastique qui couvre la periode de 431 a 594. Dans les passages concernant les annees qui nous interessent dans cette etude, Evagre utilisa largement l'ouvrage de Zacharie de Mytilene (bien que celui-ci fut mono-physite), en pratiquant des coupures et adaptant le texte a ses besoins. Il profita egalement des ouvrages de bons historiens: Eustathios d'Epiphaneia, Procope de Cesaree, Jean d'Epiphaneia. Malheureusement, Evagre n'etait pas assez intelligent pour maitriser toute cette masse d'informations qui etaient a sa disposition. Tout comme ses collegues monophysites, il donnait rarement des informations fausses, il lui arrivait plutot d'omettre celles qui lui paraissaient malcommodes. Il s'interessait principalement a Antioche, l'Egypte restait en dehors de ses preoccupa­tions.

Theophane

Theophanes Confessor, Chronographia, ed. C. de Boor, Leipzig 1883. Traduction ac-compagnee d'un vaste commentaire et d'une introduction C. Mango, R. Scott, The Chronicle of Theophanes Confessor. Byzantine and Near Eastern History AD 284-813, Oxford 1997.

Theophane est l'auteur d'une Chronique - continuation de l'ouvrage de Georges le Syncelle, qui allait de la creation du monde jusqu'a Diocletien. Nous savons qu'il fut moine en Palestine et synkellos du patriarche de Constantinople, Tarasios (784-806). Il mourut en 818. Le titre de confes­sor ("confesseur") se rapporte aux persecutions qu'il subit aux temps de l'iconoclasme.

La Chronique est un ouvrage ambitieux, rapportant non seulement les evenements du monde chretien, mais aussi ceux du Proche Orient. Elk est nettement influence par la chronographie syriaque. L'auteur inscrit toutes

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les informations dans une grille chronologique, en tenant compte des re-peres suivants: Annus Mundi (annee de la creation du monde), annee de l'lncarnation, nom et annee de regne de l'empereur, nom et annee de regne du souverain perse ainsi que ceux des califes arabes, noms des pa-triarches et annees d'exercice de leurs fonctions. Malheureusement, l'ouvrage n'est pas exempt de repetitions et d'erreurs; certains groupes d'informations sont deplaces sur l'axe du temps (comme il arrive souvent dans les chroniques). Theopahne a puise dans plusieurs auteurs. Pour les annees AM 5786-6009, il a utilise une chronique alexandrine, ce qui re-presente pour ma recherche un fait de grande importance.

Michel leSyrien

Chronique, ed. tr. j.B.Chabot, Paris 1899-1910.

Ne a Melitene en 1126, Michel le Syrien devint moine. Elu patriarche Jacobite d'Antioche en 1157, il mourut en 1195. Outre le syriaque, il connaissait le grec et l'armenien. Il ecrivit en syriaque une vaste Chro­nique, allant de la creation du monde jusqu'a 1195. Il utilisa un grand nombre de documents et les ouvrages de plusieurs historiens, dont certains etaient des auteurs bien informes (Jean d'Ephese et, ce qui est important, Theophile d'Edesse dont l'ouvrage, qui a du etre fort interessant, ne nous est pas parvenu). Pour les questions faisant l'objet de la presente etude, la Chronique de Michel le Syrien est une bonne source.

L'Histoire des Patriarches de l'Eglise Copte d'Alexandrie

History of the Patriarchs of the Coptic Church of Alexandria, ed. tr. B. Evens, PO 1-4, 1904-1910.

Redige en plusieurs etapes, l'ouvrage est complexe. Le titre fut donne par le premier editeur B. Evetts. La partie concernant la periode 477-700 fut redigee au XT siecle par Mawhub ibn Mansur sur la base d'une histoire copte du patriarcat d'Alexandrie, ecrite par l'archidiacre Gregoire, secre­taire du patriarche Simon I" (692-700). Les passages concernant la periode qui fait l'objet de mon etude sont de qualite inegale; lorsqu'il ne trouvait pas d'informations sur certains patriarches, le redacteur inventait tout simplement leur biographie. Des lacunes dans le texte, l'absence d'esprit critique, la partialite philo-jacobite nuisent a la valeur de l'ouvrage. Celui-ci necessite une approche tres prudente.

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Les elections episcopales en Egypte aux VIe-VIIe siecles 291

Appendicell.

Listedespatriarchesd'Alexandrie

Patriarcheschalcedoniens

depuisle milieu du V= siecle

Proterios 451-457

Sdophakiolos 460-482

Jean II Talaia 482

Patriarchesmonophysites

Timothee II Ailouros 457-477"

Pierre III Mangos 477-490

Paul 538-542

Zoilos 542-551 Apollinaire 551-570

Jean II 570-580

Euloge 580-607

Theodore Skribon 607-609

Jean III l'Aumonier 609-619

Georges 620-630

Cyrus ?-643

Atanase II 490-496

Jean V Htmula 496-505 Jean II Nikaiotes 505-516

Dioscore II 516-517

Timothee III 517-535 TheodoseF 535-566

Gaianos 535 (partisan de Julien) exile d'Egypte

apres 103 jours

Theodore 575-577 [pratiquement non accepte

parlesmonophysites]

Pierre IV 576-577

Damien 578-607

Anastase 607-619

Andronikos 619-626

Benjamin 626-665 Agathon 662-680

Jean III 680-689

Isaac 690-693

55 A partir de Timothee II Ailouros, la n u m e r a t i o n des patriarches portant le meme nom suit deux lignes separees: chalcedonienne et monophysite. Dans les etudes con-cernant l'Eglise egyptienne, apparaissent parfois des divergences dans la datation du debut et de la fin des patriarcats successifs, mais cela n'a guere d'importance pour mes considerations sur les elections episcopales.

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