Entretien avec Albert Marcœur

2
Entretien avec Albert Marcœur Dans les années 70, alors qu’il était à l’avant- garde de la scène musicale, le sobriquet de « Frank Zappa français » lui a été accolé. Mais l’appellation a fini par glisser. De « chanson », on ne peut guère parler en ce qui concerne ses pièces tant le traitement vocal et instrumental semble fuir les canons de la variété que l’on a coutume de consommer. Pour qui n’a pas encore écouté du Albert Marcœur, ça interloque au début et puis on s’attache à ces fignolages mi-savants, mi-populaires, qui ne ressemblent à rien d’autre. On prend goût à l’inouï. Dans le monde de la musique contemporaine, l’audace du Quatuor Béla est partout reconnue. Récemment, ils se sont notamment confrontés, avec un succès salué par la critique, aux com- positions ardues de György Ligeti. L’appétit du Quatuor pour les aventures musicales et la précision des compositions a trouvé avec Albert Marcœur de quoi se mettre sous la dent ! C’est peu dire qu’Albert Marcœur évolue hors des clous, considérant les mondes de la bureaucratie et de la musique comme irrémédiablement imperméables. C’est notamment ce qu’il raconte avec malice dans Mais monsieur Marcœur, comment se fait-il que vous ne soyez pas venu nous voir plus tôt ?!, ouvrage illustré par Plonk & Replonk – deux autres trublions, helvètes ceux-là – qui montre que l’homme sait aussi manier la plume avec adresse. Le livre illustré sera en vente dans le hall de la MC2 sur le stand de la librairie Le Square. Une dédicace est prévue à l’issue du concert. Dans vos différentes pièces, et à côté du Quatuor Béla plus précisément, peut-on dire que vous traitez votre voix comme un instrument à part entière ? Albert Marcœur Tout à fait. C’est même plus qu’un instrument puisqu’elle est capable d’émettre une ribambelle de sonorités aussi différentes qu’incongrues. Enveloppée de timbres, de voiles, d’enveloppes allant de la plus mordante à la plus doucereuse, elle est capable de se fondre dans le pupitre de cordes, de rivaliser avec un trombone, de participer à une conversation avec les bois. D’après vous, y a-t-il un état d’écoute particulier pour apprécier votre musique ? A. M. Pas du tout. La musique, ça titille, ça interpelle, ou ça laisse indifférent. Pas besoin de combinaison d’écoute ou d’exercices sensoriels préparatoires. Ou la musique émerveille, ou elle irrite. Il y a même des moments où on a l’impression qu’il y en a, mais il y n’y en a pas. Plus rarement, on a l’impression qu’il n’y en a pas mais en réalité, il y en a. À côté de votre foisonnante discographie, vous avez entre autres composé des musiques de film. Comment se sont décidées ces collaborations et notamment celle du dernier film de Jean-Pierre Darroussin, pour lequel vous vous êtes associé une fois de plus au Quatuor Béla ? Comment travaillez-vous dans ces circonstances ? A. M. Les réalisateurs et metteurs en scène qui font appel à moi connaissent mon travail et me font généralement confiance. Ils me confient leurs images sur lesquelles je travaille en toute liberté. Avec Jean-Pierre Darroussin, ça s’est passé un peu différemment. Son film, Le Pressentiment, est tiré du roman éponyme d’Emmanuel Bove. Or, je connaissais ce roman pour l’avoir jadis dévoré et j’ai tout de suite pensé à un quatuor à cordes, allez savoir pourquoi ! Je n’ai pas visionné le film ; j’ai commencé à écrire en pensant à ces ambiances si particulières qui m’étaient restées et que mon cerveau n’avait pas oubliées. Vous avez créé votre propre label (le Label Frères), votre propre société de droits d’auteur (la Société des Droits d’Albert Marcœur – SDAM) : pourquoi avoir voulu conquérir votre indépendance vis-à-vis de l’industrie du disque et de la SACEM ? A. M. La grande cavalerie en matière d’intermédiaires et nourrissons divers, de fructificateurs et profiteurs variés dans le monde musical, m’a très vite donné envie de ne pas laisser traîner mes albums n’importe où. Et a fortiori d’ignorer, sans aucune agressivité, sans aucune aigreur, les propositions et les suggestions des directeurs de marketing, chefs de produits et autres parachutés des grandes surfaces et des négociants de la musique. Claude Marcœur et moi-même avons donc fondé «Label Frères» afin de ne plus dépendre ni de Pierre, ni de Paul, ni des deux. Afin de ne plus être en situation d’éternelle attente. On est quand-même dans une situation plus que saugrenue : les compositeurs frappent à la porte des producteurs et des distributeurs, ça devrait être le contraire, non ? Pour en savoir plus sur Si oui, oui. Sinon non., vous pouvez écouter l’émission de radio suivante qui réunit Albert Marcœur et les membres du Quatuor Béla : http://www.rts.ch/espace-2/programmes/musique-d- avenir/5656069-marcoeur-dans-les-cordes-16-03-2014. html?f=player/popup © MC2: – Propos recueillis par Adèle Duminy Le 10 décembre 2014

description

SI OUI, OUI. SINON NON. ALBERT MARCŒUR — QUATUOR BÉLA Jeudi 22 janvier 2015 à la MC2

Transcript of Entretien avec Albert Marcœur

Page 1: Entretien avec Albert Marcœur

Entretien avec Albert Marcœur

Dans les années 70, alors qu’il était à l’avant-garde de la scène musicale, le sobriquet de « Frank Zappa français » lui a été accolé. Mais l’appellation a fini par glisser. De « chanson », on ne peut guère parler en ce qui concerne ses pièces tant le traitement vocal et instrumental semble fuir les canons de la variété que l’on a coutume de consommer. Pour qui n’a pas encore écouté du Albert Marcœur, ça interloque au début et puis on s’attache à ces fignolages mi-savants, mi-populaires, qui ne ressemblent à rien d’autre. On prend goût à l’inouï.

Dans le monde de la musique contemporaine, l’audace du Quatuor Béla est partout reconnue. Récemment, ils se sont notamment confrontés, avec un succès salué par la critique, aux com-positions ardues de György Ligeti. L’appétit du Quatuor pour les aventures musicales et la précision des compositions a trouvé avec Albert Marcœur de quoi se mettre sous la dent !

C’est peu dire qu’Albert Marcœur évolue hors des clous, considérant les mondes de la bureaucratie et de la musique comme irrémédiablement imperméables. C’est notamment ce qu’il raconte avec malice dans Mais monsieur Marcœur, comment se fait-il que vous ne soyez pas venu nous voir plus tôt ?!, ouvrage illustré par Plonk & Replonk – deux autres trublions, helvètes ceux-là – qui montre que l’homme sait aussi manier la plume avec adresse.

Le livre illustré sera en vente dans le hall de la MC2 sur le stand de la librairie Le Square. Une dédicace est prévue à l’issue du concert.

Dans vos différentes pièces, et à côté du Quatuor Béla plus précisément, peut-on dire que vous traitez votre voix comme un instrument à part entière ?Albert Marcœur Tout à fait. C’est même plus qu’un instrument puisqu’elle est capable d’émettre une ribambelle de sonorités aussi différentes qu’incongrues. Enveloppée de timbres, de voiles, d’enveloppes allant de

la plus mordante à la plus doucereuse, elle est capable de se fondre dans le pupitre de cordes, de rivaliser avec un trombone, de participer à une conversation avec les bois.

D’après vous, y a-t-il un état d’écoute particulier pour apprécier votre musique ?A. M. Pas du tout. La musique, ça titille, ça interpelle, ou ça laisse indifférent. Pas besoin de combinaison d’écoute ou d’exercices sensoriels préparatoires. Ou la musique émerveille, ou elle irrite. Il y a même des moments où on a l’impression qu’il y en a, mais il y n’y en a pas. Plus rarement, on a l’impression qu’il n’y en a pas mais en réalité, il y en a.

À côté de votre foisonnante discographie, vous avez entre autres composé des musiques de film. Comment se sont décidées ces collaborations et notamment celle du dernier film de Jean-Pierre Darroussin, pour lequel vous vous êtes associé une fois de plus au Quatuor Béla ? Comment travaillez-vous dans ces circonstances ? A. M. Les réalisateurs et metteurs en scène qui font appel à moi connaissent mon travail et me font généralement confiance. Ils me confient leurs images sur lesquelles je travaille en toute liberté. Avec Jean-Pierre Darroussin, ça s’est passé un peu différemment. Son film, Le Pressentiment, est tiré du roman éponyme d’Emmanuel Bove. Or, je connaissais ce roman pour l’avoir jadis dévoré et j’ai tout de suite pensé à un quatuor à cordes, allez savoir pourquoi ! Je n’ai pas visionné le film ; j’ai commencé à écrire en pensant à ces ambiances si particulières qui m’étaient restées et que mon cerveau n’avait pas oubliées.

Vous avez créé votre propre label (le Label Frères), votre propre société de droits d’auteur (la Société des Droits d’Albert Marcœur – SDAM) : pourquoi avoir voulu conquérir votre indépendance vis-à-vis de l’industrie du disque et de la SACEM ?A. M. La grande cavalerie en matière d’intermédiaires et nourrissons divers, de fructificateurs et profiteurs variés dans le monde musical, m’a très vite donné envie de ne pas laisser traîner mes albums n’importe où. Et a fortiori d’ignorer, sans aucune agressivité, sans aucune aigreur, les propositions et les suggestions des directeurs de marketing, chefs de produits et autres parachutés des grandes surfaces et des négociants de la musique. Claude Marcœur et moi-même avons donc fondé «Label Frères» afin de ne plus dépendre ni de Pierre, ni de Paul, ni des deux. Afin de ne plus être en situation d’éternelle attente.On est quand-même dans une situation plus que saugrenue : les compositeurs frappent à la porte des producteurs et des distributeurs, ça devrait être le contraire, non ?

Pour en savoir plus sur Si oui, oui. Sinon non., vous pouvez écouter l’émission de radio suivante qui réunit Albert Marcœur et les membres du Quatuor Béla : http://www.rts.ch/espace-2/programmes/musique-d-avenir/5656069-marcoeur-dans-les-cordes-16-03-2014.html?f=player/popup

© MC2: – Propos recueillis par Adèle Duminy Le 10 décembre 2014

Page 2: Entretien avec Albert Marcœur

Jeudi 22 janvier 19h30

SI OUI, OUI. SINON NON.ALBERT MARCŒUR — QUATUOR BÉLA