Enseignements sur des Citations de Gampopa (2) II... · RAPPEL DU SENS DES TROIS PRIÈRES ......

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Lama Lhundroup Enseignements sur des Citations de Gampopa (2) Deuxième Stage Croizet, 28 juillet au 9 août 2003

Transcript of Enseignements sur des Citations de Gampopa (2) II... · RAPPEL DU SENS DES TROIS PRIÈRES ......

L ama L hund roup

Enseignements sur des

Citations de Gampopa (2)

D eu x ième St age

C ro iz e t , 28 j u i l l e t au 9 aoû t 2003

T ab le d e s M at i è r e s

PREMIER ENSEIGNEMENT.............................................................................................................................. 3

RAPPEL DU SENS DES TROIS PRIÈRES.............................................................................................................................3Les quatre dharmas de Gampopa................................................................................................................... 4

LES QUATRE DHARMAS SONT :.................................................................................................................................... 4EXPLICATION DES QUATRE DHARMAS............................................................................................................................5PREMIER DHARMA.....................................................................................................................................................5

Réflexion sur l’impermanence et sur les conditions souhaitables pour notre pratique................................................. 5

DEUXIÈME ENSEIGNEMENT........................................................................................................................... 8Réflexion sur la mort.....................................................................................................................................................8Réflexion sur le karma...................................................................................................................................................9Questions - Réponses.................................................................................................................................................. 12

TROISIÈME ENSEIGNEMENT........................................................................................................................ 14

PREMIER DHARMA...................................................................................................................................................14R : La réponse est oui. Il y a dans ce monde, deux façons d’enseigner la méditation. L’une qui vise au calme mental et l’autre qui vise à la sagesse. Au temps du Bouddha, les meilleurs maîtres existant en Inde ne connaissaient que l’approche du calme mental. A l’époque, ils ne savaient pas comment méditer pour aller au-delà dans la sagesse ultime, la non-dualité. Le Bouddha a trouvé ce chemin et depuis il existe quelques maîtres qui enseignent cette approche visant à développer la sagesse, et ce sont là les caractéristiques par excellence du chemin bouddhiste de la méditation. Nous, nous enseignons toujours la méditation du calme mental comme une base, pour pouvoir développer la sagesse. Nous faisons en sorte que les disciples ne restent pas dans une stagnation, mais qu’ils stimulent toujours leur esprit avec des petites questions soulevant un regard intelligent sur ce qui se passe dans la méditation, afin d’en apprendre davantage sur la nature de l’esprit, de comprendre comment fonctionne l’esprit, qui est moi, qui est l’autre, le sujet et l’objet. Nous perturbons l’esprit avec les questions de lhakthong, les questions de vipassana, le regard intelligent. Il faut donc connaître ces deux moyens de pratiquer pour en faire la différence. Le résultat n’est pas le même. Le résultat du chemin dans le calme mental mène dans le royaume des dieux et le che­min de la méditation de sagesse mène à la libération. Il faut connaître les différences, puis choisir......................... 18Réflexion sur les défauts du samsara...........................................................................................................................18

QUATRIÈME ENSEIGNEMENT...................................................................................................................... 19

DEUXIÈME DHARMA................................................................................................................................................ 20TROISIÈME DHARMA................................................................................................................................................ 22

Questions - Réponses :................................................................................................................................................ 24

CINQUIÈME ENSEIGNEMENT....................................................................................................................... 25

QUATRIÈME DHARMA...............................................................................................................................................25Mots clés pour les quatre dharmas.............................................................................................................................. 26

SIXIÈME ENSEIGNEMENT..............................................................................................................................30

Un chant vadjra de Gampopa : La réponse à Zangri Répa..........................................................................30

SEPTIÈME ENSEIGNEMENT...........................................................................................................................35

HUITIÈME ENSEIGNEMENT : APPRENDRE LA CONTEMPLATION...................................................40

QUELQUES POINTS CLÉS DE L’ENSEIGNEMENT

DE GAMPOPA......................................................................................................................................................... 40

NEUVIÈME ENSEIGNEMENT......................................................................................................................... 45

DIXIÈME ENSEIGNEMENT : APPROFONDIR LA CONTEMPLATION PAR LA MÉDITATION..... 49

CONTEMPLATION DE LA QUESTION DE PAMO DROUPA...................................................................................................50

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LES DERNIERS ENSEIGNEMENTS DE GAMPOPA

(CHAP. 31 – P. 5)...................................................................................................................................................52

ONZIÈME ENSEIGNEMENT (REPRISE ET SUITE DU TESTAMENT SPIRITUEL DE GAMPOPA).................................................................................................................................................................................53

DOUZIÈME ENSEIGNEMENT......................................................................................................................... 57

TREIZIÈME ENSEIGNEMENT........................................................................................................................ 61

CONCLUSION ET REMERCIEMENTS.............................................................................................................................. 61DÉDICACE..............................................................................................................................................................64

Dédicace relative......................................................................................................................................................... 64Dédicace ultime........................................................................................................................................................... 64

Premier enseignement

Rappel du sens des trois prières

Nous venons de réciter ensemble les trois prières qui résument l'essentiel de l'enseignement du Bouddha ainsi que l'essentiel de l'enseignement de ce stage.

La première prière (Pelden tsa-oueï lama rinpotché…) s’adresse à tous les lamas de la lignée, parce que grâce à l’engagement qu’ils ont pris de suivre le chemin du dharma et de le transmettre à leurs disciples, la situation présente est possible. C’est grâce à eux que le dharma existe encore aujourd'hui.

La deuxième prière (Sangyé tcheu tang…), c'est la prise de refuge : nous nous adressons aux Bouddha, Dharma, Sangha, comme sources d'inspiration sur notre chemin, mais aussi pour être guidés jusqu'à la bouddhéité. Ensuite, avec la prise des voeux de bodhisattva, nous nous engageons à réaliser vraiment la bouddhéité, l'éveil, pour le bien de tous les êtres et à œuvrer pour le bien des êtres jusqu'à ce que le dernier soit libéré.

Avec la troisième prière : « Les Quatre pensées Illimitées » (Semtchen tamtché déoua tang…), nous avons émis les souhaits que tous les êtres puissent obtenir le bonheur, être libres de la souffrance, partager la joie ultime et rester dans l'équanimité libre de tout préjugé.

Nous commençons chaque enseignement avec ces trois prières parce que tout l’enseignement du Bouddha y est contenu et qu'elles nous rappellent pourquoi nous sommes ici aujourd'hui.

Le stage aura été bénéfique si, après lui, nous avons progressé quelque peu dans ces qualités, dans les points qui sont énoncés par ces prières-là. Si nous avons pu développer un peu plus de dévotion, de confiance, une prise de refuge plus profonde, une bodhicitta plus sincère, la compassion, l'amour, la joie, l'équanimité, un peu plus profondément qu'avant le stage, alors nous serons très contents d'avoir fait ces quelques pas, d'avoir effectué cette retraite.

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Les quatre dharmas de Gampopa

Pour commencer cette retraite ou ces vacances – cela dépend de la façon dont vous envisagez le stage – j'aimerais faire avec vous un tour des quatre étapes clés de ce chemin, décrites comme les quatre dharmas de Gampopa. Ce sont quatre enseignements, quatre phrases clés, que Gampopa a utilisés pour décrire le chemin. Dans l'œuvre complète de Gampopa, se trouve une petite page expli­cative écrite par lui-même. Nous allons la prendre comme base de compréhension afin d’étudier ces quatre dharmas très connus et récités dans la poudja de Milarépa par exemple et dans d’autres prati­ques. Ces enseignements sont souvent donnés, mais jusqu'à maintenant la traduction de ce petit texte écrit par Gampopa n'existait pas dans les langues occidentales. Lama Tendzin a réécrit le tibétain sur ordinateur, c’est donc grâce à lui que j’ai pu le traduire en allemand et en français.

Le texte commence avec ce titre : « Un résumé utile des quatre dharmas ». Les quatre dharmas, tcheu chi en tibétain, peut être traduit par : « quatre enseignements » ou « quatre points clés » et quand Gampopa parle d’un « résumé », cela veut dire que c'est vraiment très bref. C'est une explication extrêmement condensée : lek-so en tibétain, qui signifie : « qui est bien », « qui est utile », « qu’il est bien d'avoir ». Gampopa a dû écrire ce texte lui-même, rapidement, à la manière d’un maître éveillé qui, un crayon en main, s’exprime naturellement, de manière parfaite sur le papier, sans qu’il soit nécessaire d’y revenir. Nous savons que Gampopa l’a écrit lui-même, parce que le texte se trouve dans une petite collection rassemblant des textes dont il est l’auteur.

Gampopa commence avec NAMO GURU en sanscrit, ce qui veut dire « Hommage au Maître ». Il se réfère à Milarépa et à ses maîtres Kadampa comme Nyougroumpa, Tchagriva, d'autres et bien sûr aussi aux maîtres de ses maîtres : Marpa, Naropa, Tilopa, toute la lignée, également à Atisha et toute la lignée des Kadampa.

Les quatre dharmas sont :« Il est dit qu'il est nécessaire que le dharma devienne le dharma, que le dharma suive le

chemin, que le chemin dissipe la confusion et que la confusion s'élève comme sagesse. »

Il semble (mais c’est une interprétation personnelle) que ces quatre points clés, ces quatre dharmas n’aient pas été créés, formulés, par Gampopa mais qu’il les ait trouvés comme phrases clés dans les enseignements qu’il a reçus et qu’il les ait seulement regroupés ainsi comme « Les quatre dharmas ». C’est sans doute pour cela qu’il termine sa petite phrase en tibétain avec soung : « il est dit », « on dit que ». Par cette expression, il cite une source que nous ne connaissons pas pour le moment. Cependant, c’est grâce à lui que ces quatre phrases sont devenues aussi célèbres. Il a écrit ce petit texte d’explications et a dû l’enseigner à ses disciples.

Premier dharma : « Il est dit qu’il est nécessaire que le dharma devienne le dharma. »

« Nécessaire », cela veut dire : obligatoire, inévitable. Pour arriver à la bouddhéité, il faut passer par ces quatre étapes, il ne peut en être autrement. « Il est nécessaire que le dharma devienne le dharma ». Ceux qui connaissent les quatre dharmas de Gampopa récitent habituellement, lo tcheu sou dro-oua et non tcheu tcheu sou dro-oua. Cela veut dire : « que l’esprit suive (ou devienne) le chemin ». Normalement, le premier mot tcheu « dharma », est remplacé par le mot « esprit » ou « intellect », « compréhension », mais il semble que ce petit changement a été opéré afin de rendre la phrase plus compréhensible pour les pratiquants. Il ne semble pas que ce soit la phrase originale utili­sée par Gampopa. Il utilise ici deux fois le mot « dharma » : « que le dharma devienne le dharma (ou : suive le dharma) ». « Dharma », mot sanscrit que les Indiens utilisaient dans le passé et utilisent en­core aujourd’hui, veut dire : mon dharma, ma pratique, le sens de ma vie, ce que je fais dans la vie. C’est une signification que l’on trouve parmi d’autres. Gampopa voulait alors dire « que le dharma », c’est-à-dire : ce que je fais comme pratique dans ma vie, devienne le dharma authentique, le dharma qui est vraiment le dharma. Que mon dharma, mon petit dharma à moi devienne véritablement le grand dharma qui mène à la libération.

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Deuxième dharma : « Que le dharma suive le chemin. »

Nous pouvons nous dire : « Le dharma suit toujours le chemin, le dharma c’est le chemin. » Ici, il s’agit toujours de la première connotation du dharma : que ma pratique, mon dharma, ma façon d’appliquer le dharma dans ma vie, suive le chemin, le chemin indiqué par les maîtres.

Troisième dharma : « Que le chemin dissipe la confusion. »

On parle du chemin que nous allons parcourir, le chemin de notre pratique formelle durant les sessions et de la pratique informelle dans la vie quotidienne. Que ce chemin dans sa totalité, qui dure vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dissipe la confusion qui est la saisie du moi, une fixation, l’identification avec un ‘je’, un ‘moi’.

Quatrième dharma : « Que la confusion s’élève comme sagesse. »

Comment la confusion peut-elle s’élever comme sagesse ? Cela semble être une contradiction en soi. Mais cela veut dire que notre compréhension est devenue tellement profonde que nous pouvons voir la nature de la confusion, et qu’elle s’élève naturellement comme sagesse, sans qu’il y ait quelque chose à faire. Sagesse veut dire non-dualité. La bouddhéité, c’est quand il n’y a plus de confusion parce que tout est la sagesse transcendante, la conscience primordiale. C’est ce que « sagesse » veut dire ici (yéshé en tibétain). Vous pouvez peut-être aussi noter que : « la confusion s’élève comme conscience primordiale ».

En allemand et en anglais, je commence à utiliser un terme qui vient de lama Henrik (à Dédreul Ling – Marfond), qui n’emploie plus l’expression « conscience primordiale » mais « timeless consciousness » en anglais. Timeless, signifie : « au-delà de tout temps », « au-delà du temps ». C’est le sens du mot « primordial ». Il ne faut pas comprendre « primordial » comme un terme donnant l’idée de quelque chose qui existe depuis toujours, parce que le tibétain yéné shépa, (qui veut dire yéshé), a pour définition « au-delà du temps ». On peut donc continuer à utiliser « primordial », mais dans le sens de « au-delà du temps » et non dans le sens de quelque chose qui existe vraiment et qui est éternel. Ce terme prête à confusion. Je ne sais pas si nous allons changer cette traduction en français, mais j’ai commencé à le faire en allemand et en anglais. Khenpo Tcheudrak nous l’a demandé il y a deux, trois ans, nous allons donc le faire.

– Faisons une pause méditative. –

Explication des quatre dharmas

Premier dharmaRéflexion sur l’impermanence et sur les conditions souhaitables pour notre pratique

Maintenant, écoutons les explications de Gampopa sur le premier dharma. Il dit : « Pour que le dharma devienne le dharma, nous devons contempler maintes fois l’impermanence du monde exté­rieur et des êtres, afin de laisser derrière nous tous nos liens aux choses matérielles, biens et relations. Par la suite, nous devons nous rendre dans un lieu retiré, quel qu’il soit. »

C’est assez puissant. Il ne nous épargne pas, il va tout de suite au centre de l’enseignement du Bouddha : l’impermanence. Tout commence par là. Vous souvenez-vous du dernier stage dans lequel nous avons parlé de l’impermanence ? Tout l’enseignement du Bouddha est basé là-dessus. Parce que l’impermanence ne nous enseigne pas seulement qu’il faut nous détacher ; elle nous enseigne surtout à ne plus donner d’importance aux choses afin de ne plus s’y attacher ou créer une aversion. Elle nous enseigne carrément la vacuité. Le point clé ici, c’est : contempler l’impermanence pour pouvoir avoir

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vraiment envie de sortir du samsara ; sinon nous n’aurons pas la motivation pour traverser tous les obstacles, pour pratiquer et faire face à nous-mêmes.

Gampopa parle de méditer, de contempler l’impermanence maintes fois, c’est-à-dire très souvent. Je dirai que ce n’est jamais assez. Il ne faut pas le faire seulement une fois par jour, mais tout au long de la journée. Alors l’impermanence va commencer à développer sa force de lama. L’impermanence, c’est notre lama. Elle nous enseigne, il faut regarder, avoir les yeux ouverts sur elle, ne pas fermer les yeux sur ce que nous voyons. Nous voyons que tout change autour de nous, que nous aussi nous changeons, qu’il y a des gens qui meurent très tôt ou plus tard, que la mort s’approche pour tout le monde, nous ne savons pas quand, etc. Tout cela, l’impermanence nous l’enseigne. Et elle nous enseigne peut-être aussi, si nous regardons bien, ce qui est au-delà de l’impermanence. Il faut bien regarder, il faut vraiment avoir cette conscience pour pouvoir en tirer les leçons qui sont nécessaires. Quand nous contemplons l’impermanence, nous voyons que tous les objets et tous les êtres auxquels nous tenons tellement, auxquels nous sommes tellement attachés, ne vont pas rester avec nous, ils vont changer. Même la meilleure des relations va changer, va se terminer. Ceci va nous guérir de notre soif, de notre faim pour les joies du samsara. Ce sont des joies, certes, mais elles sont impermanentes. Et comment une chose impermanente pourrait-elle être la source d’une joie qui dure, qui nous accompa­gne, qui soit vraiment au-delà du changement ? Cela ne peut pas être le cas. Cette contemplation-là est donc nécessaire pour abandonner ce que le Bouddha appelait la ‘soif’. La soif, c’est ce qui nous ramène toujours à vouloir rester dans le samsara, dans la saisie et qui crée finalement la souffrance. Sans la conscience de l’impermanence nous n’allons jamais abandonner cette souffrance.

Mais « laisser derrière nous tous liens aux choses matérielles, biens et relations » ne veut pas dire, devenir irresponsable ni se couper de l’amour que nous portons à nos proches. Cela veut dire : couper la saisie, l’attachement. C’est très difficile pour quelqu’un qui vient pour la première fois écouter les enseignements, de comprendre la différence qui existe entre attachement et amour. Cette différence ne veut pas rentrer dans la tête parce que ces deux mots semblent être identiques. Quand nous disons à quelqu’un : « Je suis vraiment attaché à toi », nous pensons que c’est un compliment, une expression d’amour, mais il n’y a pas pire que cela ! Parce qu’il y a l’attachement, il y aura la souffrance. L’amour c’est différent. Amour, cela veut dire : je t’aime pour ce que tu es et tu es libre, je te soutiens dans ce que tu es, dans ce que tu veux faire. Il n’y aura pas de souffrance, parce que l’amour est cet état d’ouverture de l’esprit. Là où il n’y a qu’amour il n’y a pas de souffrance, mais c’est un état idéal que nous ne connaissons pas. Il y a toujours plus ou moins d’amour avec plus ou moins d’attachement. Notre pratique du dharma doit nous amener à réduire l’attachement pour qu’il y ait plus d’amour. D’ailleurs, en réduisant l’attachement nous n’avons pas à créer l’amour, il se manifestera tout seul parce que c’est l’attachement qui empêche l’amour de se manifester. Il n’y a rien à faire pour créer plus d’amour, il faut simplement réduire l’attachement. Nous pouvons encourager l’amour à se manifester, cependant il est déjà en nous.

Gampopa reste égal à lui-même. Il a passé pratiquement toute sa vie en retraite. Même quand il enseignait, il vivait dans une grotte au-dessus du monastère avec ses disciples tout autour. Entre les sessions il les recevait et leur donnait l’enseignement. On dit qu’il y avait plusieurs centaines de grottes alentour, en contrebas se trouvait le monastère avec plusieurs milliers de moines qui prati­quaient. Même au temps de son activité la plus vaste, Gampopa est toujours resté en retraite. Aussi, quand il dit que « Par la suite, on doit se rendre dans un lieu retiré quel qu’il soit », il parle de son expérience de vie. Pour aller vraiment loin dans la pratique, nous devons nous donner les moyens de pratiquer profondément. Ce n’est pas possible pour ceux qui ont une famille, mais de temps en temps nous pouvons aller en retraite, nous pouvons faire de brèves retraites ou nous pouvons nous dire : « Les enfants sont à l’école, je fais ma retraite d’une heure ; j’ai une heure pour être dans un lieu retiré. C’est chez moi, à la maison, et il n’y a personne autour ». Et nous pratiquons comme cela. Nous nous appliquons à une pratique pour laquelle nous avons assez de temps pour pouvoir nous concentrer. Gampopa a passé semble-t-il, à peu près seize ans en retraite après avoir quitté Milarépa. Il enseignait donc à ses disciples entre les sessions. C’est seulement au bout de ces seize ans que sa très vaste activité a commencé.

Faisons une pause méditative pour contempler nos possibilités à pratiquer dans un lieu retiré. Quand avons-nous dans notre vie les moyens de trouver des moments privilégiés pour la pratique ?

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– Méditation –

Imaginons que nous allions en retraite. Quand nous y arrivons, Gampopa dit : « Puis, nous pensons que nous ne devrions pas être accompagnés par une personne qui ne pratique pas le dharma. Si par la suite nous ne développons pas l’esprit du non-faire, notre pratique du dharma ne deviendra jamais le dharma. »

Ce n’est pas pour exclure nos proches qui partagent notre vie – mais ils ne pratiquent peut-être pas le dharma. Lorsque je vais quelque part pour pratiquer, j’y vais pour cela ; je me joins à d’autres pratiquants ou bien je reste seul. En effet, ce n’est pas la peine d’alourdir un moment de retraite, par les tensions qui peuvent se créer entre des personnes n’allant pas dans la même direction. Là, il est mieux de dire à l’autre : « J’accepte ta façon de faire, pars en vacances ou fais ce que tu souhaites, moi je vais faire une petite retraite. Après, nous nous retrouverons et nous continuerons ensemble ». Il faut être clair. Si nous voulons nous mettre en retraite et si nous sommes avec quelqu’un qui veut regarder la télévision tout le temps, cela ne va pas bien marcher ! C’est ce que Gampopa voulait dire.

Un esprit mondain ne va pas aller en retraite. Aller en retraite, ce n’est pas attirant pour quelqu’un qui veut rester dans le samsara. Et même si cette personne se met en retraite,.ce sera peut-être pour dormir ou pour ne rien faire, mais ce ne sera pas pour pratiquer et regarder dans ce miroir qui nous montre tous nos défauts. Pourtant cela ne suffit pas non plus d’y aller seul ou avec d’autres pratiquants du dharma, si nous ne développons pas l’esprit du ‘non-faire’. Cela ne servira à rien. Le non-faire, c’est sortir de toutes les préoccupations et de la volonté, mais c’est aussi abandonner l’ambition spirituelle de vouloir atteindre un but qui est de toujours faire, de toujours s’occuper : lire des textes, faire la pratique, réciter, faire encore des étude, etc. Nous pensons que nous sommes dans le dharma, mais nous sommes toujours dans l’activité, nous ne nous abandonnons pas, et quand cela nous arrive, notre esprit est toujours agité. En retraite, il (l’esprit) est toujours en train de ‘faire’, au lieu de s’ouvrir et laisser venir la pratique.

En plus de ce que je viens de décrire, il ne faut pas penser non plus à écrire des cartes postales depuis notre retraite à nos vingt amis, puis se dire : « Ah, c’est le moment de cirer mes chaussures, de coudre les boutons qui manquent, de tenir mon journal, de m’occuper de toutes ces petites choses, etc. » Ça n’a rien à voir avec une retraite car à cause de cela, nous n’allons pas pouvoir toucher l’essentiel. L’esprit du non-faire, l’esprit qui est libre de volonté personnelle et qui se dirige vers l’essentiel, c’est cela le point clé pour que notre dharma, c’est-à-dire notre vie, devienne vraiment une vie du dharma.

Dans le texte de Tchenrézi, quand on décrit le monde des humains, c’est cet esprit affairé appelé « pauvreté » et « préoccupation » en tibétain, qui le caractérise véritablement. Ce sont les caractéristiques de notre souffrance : ne jamais être content, toujours avoir quelque chose à faire, toujours vouloir embellir la maison, le jardin, s’occuper des choses impermanentes qui sont déjà suffi­samment belles. Nous voulons toujours en faire plus et c’est vraiment un obstacle pour la pratique du dharma. Le dharma ne va pas vraiment pouvoir entrer dans notre esprit s’il n’y a pas cet abandon, parce que cela signifie que nos priorités n’ont pas changé. Pour que le dharma devienne le dharma, pour que notre esprit se tourne vers le dharma, il faut que nos priorités changent. Nous le voyons par rapport à ce point-là : quand nous nous occupons de préférence des choses mondaines, notre vie n’est pas encore devenue une vie du dharma. La différence, ce n’est pas nécessairement d’abandonner toute chose et de devenir moine par exemple. Ce n’est pas de cela dont nous parlons. Nous avons des responsabilités et un pratiquant qui a changé de priorités, va respecter ces priorités tout en continuant avec ses responsabilités. Il va dire : « Je m’occupe de ma famille, mais je le fais pour que ce soit une pratique qui mène à l’éveil, qui soit utile à tous les autres ». S’il construit une maison, ce sera une maison du dharma, qui servira à la pratique. S’il a un peu de temps, il va utiliser ce temps pour méditer. S’il n’a pas de temps, il va toujours au moins garder présente la notion de bodhichitta.

– Faisons une petite méditation pour regarder si le dharma est déjà devenu le dharma. –

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Deuxième enseignement

Je vous relis le texte que nous avons vu hier : « Un résumé utile des quatre dharmas. »

« NAMO GURU.

Il est dit qu’il est nécessaire que le dharma devienne le dharma, que le dharma suive le chemin, que le chemin dissipe la confusion et que la confusion s’élève comme la conscience non temporelle.

Pour que le dharma devienne le dharma, nous devons contempler maintes fois l’impermanence du monde extérieur et des êtres, afin de laisser derrière nous tous nos liens aux choses matérielles, biens et relations. Par la suite, nous devons nous rendre dans un lieu retiré quel qu’il soit.

Ceci, en nous rappelant que nous ne devrions pas être accompagnés par une personne qui ne pratique pas le dharma. Si par la suite nous ne développons pas l’esprit du non-faire, notre pratique du dharma ne deviendra jamais le dharma. »

Dans le texte d’hier nous avons vu que le point clé était la réflexion sur l’impermanence. Cette réflexion nous incite à changer nos priorités et à désirer vraiment sortir du samsara. Ceci nous conduit ensuite au souhait de vouloir pratiquer intensivement. Pour cela, il ne faut pas se laisser distraire par des personnes n’allant pas dans cette même direction. Puis, en retraite, nous devons travailler sur notre propre tendance qui est d’être toujours préoccupé et vouloir faire beaucoup de choses, c’est-à–dire tout autre chose que s’abandonner.

Réflexion sur la mort

Ensuite Gampopa continue : « Pour nous libérer de l’occupation (plus exactement de la pré­occupation), pensons à la complète incertitude du moment de la mort. Nous n’avons aucun contrôle sur la mort : elle peut arriver dans un an ou bien même le mois prochain – cela ne dépend pas de nous. »

Pour se libérer de cet esprit agité et toujours préoccupé, Gampopa revient sur la contemplation de l’impermanence en nous focalisant sur la mort, l’imminence de la mort. C’est un point que nous avons entendu maintes fois, mais qui n’a pas encore fait son chemin en nous. Encore et encore nous sommes surpris quand un cancer nous touche ou touche un de nos proches. Ce cancer est peut-être déjà assez avancé. Nous sommes surpris d’entendre qu’une personne ne se réveille plus le matin. Récemment, nous avons eu le décès d’une amie de 52 ans. Elle était en pleine forme le soir et le matin elle était morte.

Ceci nous surprend toujours car nous ne pensons pas que cela puisse nous arriver. Même quand je vous en parle maintenant, vous n’êtes pas convaincus qu’il soit possible que nous ne nous revoyions plus ce soir, pourtant cela peut arriver, nous ne le savons pas. C’est seulement en vivant avec cette possibilité que vont vraiment se clarifier les priorités. Alors nous prendrons conscience que, même à 20 ans, nous n’avons aucun contrôle sur le temps que nous allons vivre. Les accidents extérieurs, comme un accident de voiture, cela arrive très vite ; un accident intérieur, comme un accident vasculaire, peut arriver très vite aussi. Nous pensons toujours que nous allons faire partie de ce groupe qui, statistiquement, va vivre jusqu’à 75 ou 80 ans. Mais il y a aussi ceux qui meurent avant. Nous ne voulons pas faire partie de ceux là ; nous pensons que puisque nous pratiquons déjà le dharma, cela ne va pas nous atteindre. Et si les risques de mort nous frappent déjà – le diagnostic d’un cancer par exemple –, nous sommes conscients que la mort est possible tant que le cancer n’est pas encore soi­gné. Mais dès que nous avons eu l’opération et le traitement chimiothérapique par exemple et que les médecins disent : « Oui cela a bien marché », nous oublions ! Puis, si trois ou quatre ans après, nous découvrons des métastases, une récidive, nous sommes très étonnés. Cet étonnement est dû à notre voile d’ignorance : nous ne voulons pas savoir. Nous avions pris conscience du danger, puis avec beaucoup de chance, nous avons évité de justesse l’accident grave et à ce moment-là nous nous sommes dit : « Là, j’aurais pu mourir ». Seulement, les jours suivants nous avons déjà oublié, et c’est ainsi que nous vivons, comme si nous pouvions atteindre un âge avancé.

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Si nous pouvons véritablement mettre la contemplation de l’impermanence dans notre cœur, le chemin s’accélèrera car nous clarifierons nos priorités et allègerons notre vie en abandonnant tout ce qui n’est pas nécessaire, prioritaire, face à la mort. C’est ainsi que nous vivrons un jour, pleinement conscients de la mort. Au début, nous allons vivre deux ou trois jours dans cette conscience et ces trois jours seront différents de tous ceux que nous avons vécus auparavant. Ainsi, en continuant cette contemplation, nous changerons en peu de temps. C’est seulement avec ce genre de contemplation qu’aller en retraite prend tout son sens. Nous pouvons aller en retraite pour contempler l’impermanence et la mort si nous n’avons pas encore compris cela, mais c’est lorsque cette contemplation prend racine que la pratique développe toute sa force.

Réflexion sur le karma

Regardons le prochain paragraphe : « Quand nous mourrons, la sagesse auto-connaissante sera accompagnée par le karma des actions bénéfiques et nuisibles. Concernant ceci, il sera impossible de rencontrer un karma que nous n’ayons pas créé nous-mêmes ou que des actions restent sans conséquences. »

Quand nous mourons, ce n’est pas le moi qui continue, ce n’est pas ce corps, bien évidemment. Nos facultés sensorielles ne nous accompagnent pas d’une manière extérieure. Ce qui va nous accompagner, c’est juste la capacité qu’a l’esprit de percevoir. Dans la mort, nous perdons aussi beaucoup de connaissances acquises dans cette vie : les connaissances intellectuelles. Ce qui nous accompagne, c’est la capacité d’apprendre des choses, ainsi que les traces émotionnelles créées par nos actes émotionnels ; non pas les émotions elles-mêmes, mais les traces qu’elles ont laissées. Ce ne sont pas les actes qui nous accompagnent, mais ce sont les traces qu’ils ont laissées. Et ces traces sont comme une mémoire comprimée. Je suis désolé d’utiliser encore une fois l’exemple d’un ordinateur, mais ces traces sont vraiment comme des fichiers extrêmement comprimés dans notre alaya, dans notre conscience profonde, dotée d’un côté dualiste et d’un côté non dualiste.

Dans cette conscience, il y a les traces qui, dans le bardo et dans les vies futures, peuvent être activées et vont s’activer d’elles-mêmes lorsque les conditions karmiques rencontreront les situations idéales pour un certain groupe d’entre elles. Quand ces traces reviennent à la surface, c’est comme un fichier comprimé qui s’ouvre, permettant à ces informations de redevenir accessibles. Mais pour l’esprit ordinaire, là aussi, il y a une grande perte, car seul le contenu essentiel va redevenir accessible ; c’est celui qui nous dominera en quelque sorte parmi les tendances émotionnelles qui se redéploieront. Par exemple, dans la vie future nous aurons oublié qui étaient nos parents de cette vie, nous aurons perdu cette information importante. Nous irons à l’école car nous aurons tout à réapprendre. Mais ceux qui ont beaucoup appris dans les vies antérieures auront plus de facilités pour apprendre dans leur nouvelle vie ; ceux qui ont été très généreux, auront une tendance naturelle à pratiquer la générosité, etc. Il restera en nous de telles traces. Ceci n’est pas un phénomène personnel, il n’y a pas un centre d’être qui est l’âme, le moi, le ‘je’, qui est le propriétaire de toutes ces traces. C’est la sagesse auto-connaissante, c’est la conscience non temporelle auto-connaissante de l’esprit, qui elle, a la capacité de connaître, qui a toutes les qualités de la nature de bouddha. Mais cette conscience de bouddha est accompagnée par des voiles, elle demeure toujours pure, mais elle est voilée. Ce sont les traces, le karma, qui ont voilé cette conscience non temporelle et feront qu’une fois de plus, dans la prochaine vie, nous saisirons l’idée d’un ‘moi’, d’un ‘je’.

Quand nous passons d’une vie à l’autre ce n’est donc pas une âme qui est propriétaire de toutes ces traces. Ces traces sont des forces, des forces entre causes et effets, qui se regroupent autour de la saisie égoïste. Tant que la saisie égoïste subsiste, ces forces seront opérationnelles, actives. Quand nous passons d’une vie à l’autre, nous laissons donc derrière nous les six aspects de l’esprit sensoriel : les cinq sens et le sens mental. Seul l’esprit fondamental continue. C’est ce qu’on appelle la conscience de stockage, l’alaya, la conscience de base. Mais les traces de notre vie présente ne constituent qu’une infime partie de toutes celles qui ont déjà été créées, c’est-à-dire dans des vies antérieures. Toutes ces traces, après la mort, sont de valeur égale et leur mélange, qui conditionnera notre prochaine vie, dépendra de certaines conditions qui domineront dans cette existence. Seules les traces convenant à cette existence pourront se manifester.

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Le reste, encore une fois, passera inaperçu. Il est également non perceptible pour celui qui regarde, on peut s’imaginer : « Je te connais dans cette vie-là et si j’avais des yeux pour te voir dans la vie prochaine, je ne te reconnaîtrais même pas, parce que le mélange a beaucoup changé ». Une personne avec de l’humour, drôle, etc., peut devenir quelqu’un de triste, sérieux, ou méchant. Le mélange peut être différent, cela dépend beaucoup des actes que nous avons accomplis. Mais il peut y avoir une continuité, si d’une vie à l’autre il y a eu une continuité dans l’action. A ce moment-là, il peut y avoir une continuité aussi dans le développement de la personnalité. Cependant, si quelqu’un qui a fait beaucoup de bien dans ses vies antérieures fait beaucoup de bêtises dans cette vie-là, cela génèrera d’autres traces et le mélange qui en sortira sera différent.

Ce qui est très intéressant ici dans le texte de Gampopa, c’est qu’il dit que la sagesse auto-connaissante, la conscience non temporelle auto-connaissante est accompagnée par le karma des ac­tions bénéfiques et nuisibles. Habituellement, dans les textes, nous trouvons des formulations comme « Je vais être accompagné par mon karma ». Ces formulations simplistes ne sont pas entièrement correctes. Comme Gampopa l’explique, il n’y a pas de ‘je’, il n’y a pas de ‘moi’ qui va renaître, cela n’existe pas. C’est ce même esprit auto-connaissant que nous n’avons pas pu réaliser dans cette vie, qui continue. Il est encore voilé par les émotions et change d’une vie à l’autre, d’instant en instant. C’est seulement quand le karma ne voile plus cet esprit auto-connaissant que la bouddhéité peut se manifester. Tous les karmas empêchent la pleine manifestation de notre nature de bouddha. Donc ici, Gampopa montre – sans insister – la différence qui existe entre un bouddha et un être ordinaire. Ce qui est aussi le point de départ pour une pratique spirituelle.

Il faut avoir compris que, depuis toujours, cette conscience auto-connaissante, non temporelle, nature de bouddha, est notre héritage : elle possède toutes les qualités de la bouddhéité mais elle est accompagnée par des voiles karmiques. Il faut comprendre que les résultats des actes opèrent seulement au niveau relatif, car tant qu’il y a encore l’idée d’un ‘je’, d’un ‘moi’ investi d’une saisie, d’une croyance, ces voiles-là sont actifs. Au moment même où il n’y a plus de saisie, les voiles sont inactifs, ils ne peuvent pas atteindre cet esprit auto-connaissant. Mais dès qu’il y a la saisie, les voiles se remanifestent. C’est quelque chose que nous découvrons dans la méditation. Le Bouddha a découvert que, lorsqu’il n’y a plus de saisie sur un ‘moi’, un ‘je’ existant, nous sommes hors de la loi de causes à effets, nous sommes hors du karma. Du fait que cet esprit ouvert retombe dans la saisie d’un ‘moi’, d’un ‘je’ nous avons besoin de poursuivre un chemin pour purifier ces tendances. Et quand ce chemin de purification est poursuivi jusqu’au bout, cela s’appelle la bouddhéité.

Quand nous sommes dans l’ouverture d’esprit, de cet esprit qui est le même pour nous tous, cet état mental n’est pas inerte, n’est pas mort, mais est très dynamique ; il se passe toujours quelque chose dans l’esprit : la manifestation des pensées. Et ces pensées, manifestations, mouvements, s’élèvent et passent, changent, c’est une activité spontanée. Là, deux possibilités se présentent tou­jours : soit nous pouvons rester dans le flot dynamique sans postuler sur un ‘moi’ sujet, et l’autre objet, (c’est-à-dire sans faire la différence entre la conscience qui perçoit ces manifestations et les manifestations elles-mêmes) ; soit nous pouvons dire : « Oui, moi j’existe, l’autre existe », et nous créons ce schisme. Et tant que nous continuons à recréer toujours : moi qui aperçois, et ce qui est aperçu, nous retombons dans la dualité et c’est à ce niveau-là que tous les voiles réapparaissent. Quand nous avons purifié la tendance à saisir sujet et objet, l’esprit reste de plus en plus naturellement dans l’ouverture. Il n’est plus nécessaire de définir un sujet et un autre, de fonctionner de cette façon.

Lorsque les maîtres expliquent cette erreur fondamentale (de la saisie égocentrique), ils prennent souvent l’exemple de l’océan et de ses vagues. C’est très facile : il y a l’océan avec sa pro­fondeur et au-dessus les vagues qui bougent. Nous pourrions avoir l’idée que les vagues sont autre chose que les profondeurs de l’océan. Nous pourrions aussi dire que les rayons du soleil sont quelque chose de différent du soleil. Mais les vagues et l’océan ont la même nature d’eau, le soleil et les rayons ont la même nature de lumière. Donc nous avons le choix : nous pouvons différencier, mais nous pouvons aussi ne pas donner d’importance à cette petite différence qui est finalement minime : il y a l’eau mouvante et l’eau immobile. Le plus important, c’est que ce soit de l’eau. C’est pareil pour le soleil : nous n’avons pas de soleil sans rayons et nous pouvons parler d’un rayon sans soleil. Un bouddha, c’est quelqu’un qui est conscient des deux niveaux de la réalité à la fois : il a la capacité de voir la manifestation, de voir la nature différenciée de chaque mouvement, il est conscient de chaque

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vague, mais il ne tombe jamais dans l’erreur de penser que la vague est différente de l’océan. Il voit les mouvements de l’esprit sans jamais penser que l’observateur n’est autre chose que la pensée observée. De ce fait, il n’a pas besoin d’installer un observateur séparé de ce qui est observé. S’il y a une pensée qui s’élève dans l’observateur, c’est juste une pensée, ce n’est pas un ‘moi’, un ‘moi’ qui est à défendre, qui est à nourrir.

– Faisons une pause méditative. –

Gampopa dit : « Dans les vies futures, il sera impossible de rencontrer un karma que nous n’avons pas créé nous-mêmes ».

Encore une fois, c’est une façon de parler au niveau relatif des caractéristiques de notre mélange karmique, de notre make up karmique. Ce make up karmique va faire en sorte que les forces créées par une personne vont rester groupées autour de ce mélange, de cet aimant de la saisie égoïste, ayant ses caractéristiques et ressemblant un peu (ou beaucoup d’ailleurs) à celui qui a créé les actes. Il semble qu’il y ait comme des réseaux de forces interdépendantes qui font que le karma d’un acte créé dans le champ de la saisie égoïste, caractéristique de notre être – et pas d’un autre – va rester lié avec les forces créées par ce champ, par cette caractéristique personnelle et que cela ne puisse pas être transféré à une autre personne, celle-ci n’ayant pas les mêmes caractéristiques, les mêmes traces.

Donc, nous allons expérimenter nos propres actes et non ceux des autres. Pour l’expliquer, reprenons l’exemple des fichiers comprimés. Il y en a qui ne peuvent être ouverts que par un mot de passe. Ce mot de passe provient des caractéristiques de la personne qui veut ouvrir ses mémoires. Ainsi, de la même manière, puisque les caractéristiques doivent correspondre à la personne qui a agi dans les vies précédentes, c’est seulement dans ces champs-là que ces forces vont être réactivées.

Une personne ne va pas pouvoir rencontrer les actes accomplis par ses enfants, par exemple, car il y a une différence entre leurs courants d’être, le « mot de passe » n’est pas pareil. Les actes de nos enfants donc ne créeront pas notre propre bienfait ou souffrance. Le karma est très spécifique et c’est impossible que nous ressentions les conséquences karmiques de quelqu’un d’autre, même entre frères et sœurs, jumeaux ou jumelles.

Il semble que la spécificité de ce champ, attirant et manifestant les rétributions karmiques, ait donné naissance à toutes ces croyances en l’existence d’une âme, d’un ‘je’, d’un ‘moi’. Pour l’homme normal, ordinaire, il est difficile de s’imaginer une si grande spécificité sans qu’il y ait un ‘moi’, un ‘je’, au centre, qui serait un genre de propriétaire permanent de ses actes.

Soyons conscients de la spécificité, sans tomber dans l’erreur de penser qu’au centre de tout cela il y a un ‘je’, un ‘moi’. Essayez de trouver ce ‘je’, ce ‘moi’, vous n’y arriverez pas. Dès que vous regardez l’observateur – ce qui semble être l’observateur – vous tombez dans la nature de l’esprit. Dès que vous regardez ce qui se manifeste dans l’esprit, vous retombez encore une fois dans la nature de l’esprit. Voilà pourquoi, ce ‘moi’, ce ‘je’, en tant que quelque chose de définissable, n’existe pas ; cela existe au niveau des concepts, au niveau d’une expérience personnelle assez spécifique, mais rien au-delà de cela. Il ne faut donc pas postuler plus que ce que notre expérience nous permet de vérifier ; il ne faut pas aller plus loin dans nos concepts sur ce qui est, que ce que nous pouvons vérifier avec la méditation. La méditation montre seulement qu’il y a une spécificité d’expériences, mais non un ‘moi’, un ‘je’ qui génère, qui supervise tout cela ou qui est propriétaire de cette expérience. Il est important de bien comprendre cela.

Dans la méditation, nous pouvons voir que la susceptibilité provoquée par certains effets karmiques change avec le temps. Quand nous travaillons sur nos propres tendances, nous pouvons voir que certaines pensées qui auraient soulevé de grandes vagues émotionnelles dans notre esprit il y a encore dix ans, n’ont plus cet effet. Elles apparaissent encore comme une pensée, mais il n’y a plus de réactions, nous ne réagissons plus à ce niveau-là. Nous ne sommes plus susceptibles même lorsqu’une très grande vague arrive. Ceci fait partie de la compréhension du karma. Un bouddha est quelqu’un de non susceptible parce qu’il ne réagit pas émotionnellement à ce qui se manifeste dans son esprit. C’est parce qu’il ne réagissait plus dans un sens émotionnel, que les tendances karmiques du Bouddha se

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sont purifiées de plus en plus vite, jusqu’à l’épuisement du karma, jusqu’à la non-expérience du karma. C’est ainsi qu’il est devenu un bouddha.

Ce qui nous reste comme traces karmiques se manifestera quand les conditions seront présentes, mais quelqu’un sur le chemin de la bouddhéité ne réagit plus émotionnellement à la plupart des situations qui se présentent. Du fait qu’il n’est plus donné d’importance aux manifestations, aux émotions, elles se purifient et l’état positif de l’esprit continue, se répand partout. L’amour, la compassion, la conscience et la non-dualité, purifient tout ce qui se manifeste. Finalement, un bouddha c’est quelqu’un qui, s’il avait encore un karma personnel, ne subirait plus les effets de ce karma. Donc, des deux côtés nous pouvons dire : un bouddha a déjà purifié son karma personnel, il a purifié toutes ses tendances, mais si toutefois il restait encore quelques traces, du fait qu’il ne tombe jamais dans l’illusion du ‘moi’, du ‘je’, elles n’auraient aucun effet sur son esprit.

Nous pouvons donc dire que nous vivons avec les « mots de passe » de nos vies antérieures et chaque fois qu’une information karmique se manifeste dans notre esprit, qui convient à un mot de passe de chez nous, nous réagissons émotionnellement, nous tombons en plein dedans, nous saisissons. Un bouddha est quelqu’un qui a épuisé tous ses mots de passe, qui les a annulés, effacés et donc qui ne réagit plus. Un bouddha ne s’identifie plus avec telle vie, telle tendance, telle émotion, telle situation, il est donc libre du karma.

La dernière phrase de Gampopa dit qu’il est impossible que les actions que nous avons accomplies nous-mêmes restent sans conséquences. Cela signifie que, si nous avons créé un acte avec une identification, il est certain qu’à cause de cette identification, quand les résultats de cet acte vont se manifester dans notre esprit, il y aura un effet. A ce moment-là il faudra travailler sur l’identification qui reste. Dès que nous lâchons cette identification, nous purifions notre karma. Si nous réagissons et en ajoutons encore, l’identification et le karma deviennent plus lourds, plus grands, plus graves. C’est le choix du pratiquant. Quand nous nous asseyons pour méditer et qu’un souvenir, une pensée, une colère par exemple s’élèvent, il y a identification. Or, nous savons que si nous lâchons, une petite purification s’effectue ; si nous nous énervons et si nous en rajoutons, le mot de passe se grave de plus en plus.

Questions - Réponses

Q : D’un côté le ‘moi’ n’existe pas et d’un autre côté il existe un sujet auquel les conséquences du karma vont être rétribuées. Alors, si j’ai bien compris, ce sujet n’existe que s’il se saisit lui-même. Est-ce exact ?

R : Non, c’est faux. A aucun moment je n’ai parlé d’un sujet qui existe. J’ai parlé d’une spé­cificité de causes et effets et d’un champ karmique créé par les tendances d’identification.

Suite de la question : Il y a un autre point avec lequel j’ai des difficultés de compréhension : c’est lorsqu’on dit que l’on va faire l’investigation dans la méditation de ce qu’est le ‘moi’ et qu’on ne le trouve pas. Sur la base de cette constatation, on dit donc : le ‘moi’ n’existe pas. Mais si je vous dis : lama Lhundroup, avec votre main gauche attrapez votre main gauche, vous n’y arriverez pas. Mais cela ne prouve pas que votre main gauche n’existe pas.

R : Je dirai que ce n’est pas dans le même ordre de logique. Concernant la première question, il est, en effet, très difficile de comprendre qu’il y ait une spécificité sans formuler un ‘je’, un ‘moi’. Mais cela ne veut pas dire qu’il soit nécessaire un seul instant de formuler un sujet existant. Ensuite, si l’observateur se regarde lui-même, il peut y avoir deux possibilités : que c’est impossible, ou que c’est possible. Pourquoi l’observateur ne pourrait-il pas se regarder lui-même, s’il existait ? Cela pourrait être une possibilité. Puis, quand ton esprit cherche à se regarder, plus tu cherches, plus tu vas être dans l’idée : oui je cherche vraiment, je fais vraiment des efforts. C’est le fait de chercher qui va renforcer la pensée d’une véritable existence d’un ‘moi’. C’est seulement au moment où la recherche devient une recherche détendue, mais très pointue, dans la présence de l’esprit, que tu réalises que ce ne sont que des pensées qui s’élèvent, des mouvements, un mouvement d’esprit qui prétend en chasser un autre. Et c’est vrai, cela prend beaucoup de temps et nécessite beaucoup de détente aussi, de lâcher-prise, d’abandon. Ce qu’on appelle le ‘je’ dans le dharma, c’est le ‘moi’ conventionnel.

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Le Bouddha aussi parlait du ‘moi’, du ‘je’. Ce ‘moi’ conventionnel, il n’est pas nécessaire de l’effacer. Tu peux parler de moi, de je, de toi, cela ne gêne pas du tout si tu ne tombes pas dans l’illusion que c’est une réalité ultime.

Q : Concernant le terme rang rik en tibétain : auto-connaissant ou conscient de soi-même, est-ce que de soi-même cela veut dire qu’il y a un ‘moi’, un ‘je’ qui est connaissant ?

R : Bien sûr que non. Là, le « soi-même », veut dire « spontanément » connaissant.

Q : Puisque les karmas sont si spécifiques qu’ils nous séparent fortement de l’autre, comment peut-on avoir une véritable perception de ce que l’autre ressent, comment peut-on comprendre l’autre personne ?

R : Si la saisie égoïste est très forte, cela veut dire que de très nombreuses interprétations karmiques se font à ce moment-là et de ce fait, nous sommes séparés de l’autre personne. Une personne complètement immergée dans son monde karmique personnel, ayant donc des voiles épais de saisies égoïstes, a énormément de difficultés à ressentir l’autre. On pourrait dire qu’elle vit dans un monde isolé. Mais quand, par amour et compassion, par ouverture d’esprit, les voiles s’affinent un peu, elle peut s’ouvrir aux autres, commencer à mieux les ressentir. Ceci est possible parce que la nature de l’esprit est la même pour nous tous. Nous partageons le même esprit, nous n’avons pas une nature d’esprit différente. Donc, si les voiles sont purifiés, nous pouvons aller jusqu’à la compréhension complète de l’autre grâce au fait que nous partageons le même esprit. Mais tant que les voiles sont très épais, il est extrêmement difficile de comprendre l’autre ; souvent même à cause de notre interprétation personnelle, nous allons comprendre le contraire de ce que l’autre veut dire, de ce qu’il vit et nous sommes alors vraiment dans un monde séparé.

Q : Quelle est la différence entre la purification et le refoulement des émotions ? Parce que, du fait que nous voulons être un bon pratiquant, nous refoulons nos émotions négatives et nous n’en sommes même pas conscients.

R : À cause des émotions refoulées, les voiles sont les plus forts. Ce sont ces voiles-là qui nous dominent, sans que nous nous en apercevions. Il est donc absolument nécessaire de ne pas refouler, mais de donner de l’espace dans la méditation pour que les émotions refoulées puissent se manifester pour être lâchées, être reconnues sans jugement. Le jugement fait que nous avons tendance à refouler encore une fois ces émotions.

Q : Pourquoi le fait de briser ses vœux, peut avoir des conséquences sur le lama, alors que ce n’est pas lui qui a accompli l’acte négatif ?

R : La réponse n’est pas facile. Cela pourrait être dû au fait que deux personnes sont concernées par la prise de vœux : celui qui pratique le rituel et celui qui demande le vœu. Il s’agit d’un acte commun avec un engagement des deux côtés : le lama s’engage à aider la personne et la personne s’engage à garder ses vœux, maintenant ainsi que dans le futur. Le lien établi fait qu’il y a une relation d’interdépendance entre les deux. Les actes de l’un influencent l’autre, parce qu’ils sont liés, peut-être un peu comme par un mot de passe commun.

Suite de la question : Mais de grands lamas comme le Karmapa, qui restent dans la non–dualité, ne devraient pas être affectés par les conséquences de la rupture des vœux, puisqu’ils n’ont pas de saisie égoïste.

R : C’est vrai, il semble que les grands maîtres peuvent prendre beaucoup plus de risques en donnant des vœux à un très grand nombre de personnes et il semble qu’ils sont moins affectés par les effets de la rupture des vœux que des lamas ordinaires comme nous, qui donnons aussi des vœux. Pourtant, il faut savoir que dans le passé, il y a eu des Karmapas et des Shamarpas, etc. qui ont eu des vies courtes à cause des problèmes de samaya. Je vais réfléchir encore plus profondément à cette question.

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Troisième enseignement

Premier dharmaHier, en vous parlant du karma, je vous ai expliqué longuement la manière dont la conscience

non temporelle est accompagnée par le karma et comment on peut comprendre ce processus. Mais je ne vous ai pas encore parlé du point clé de ce premier dharma de Gampopa (comment tourner notre esprit vers le dharma pour que notre pratique devienne vraiment une pratique du dharma), qui est de veiller à ses actes. Tout d’abord il ne faut plus accomplir d’actes nuisibles, puis accomplir des actes bénéfiques. Ceci est le point clé permettant de maîtriser sa vie. Quand nous maîtrisons nos actes, nous maîtrisons notre destin. Si nous ne maîtrisons pas nos actes, nous ne pouvons pas maîtriser notre destin. Les conséquences de nos actes déterminent les situations que nous allons rencontrer. Si maintenant nous ne faisons pas attention à nos actes, ne nous étonnons pas si le retour n’est pas comme nous le souhaiterions. Si nous désirons vivre le bonheur, la joie, il faut poser des actes cause du bonheur, cause de la joie. Ce sont des actes effectués avec peu de saisie égoïste, dirigés vers les autres, des actes qui créent le bonheur et la joie pour tout le monde.

Ces actes, en plus de leur effet immédiat, vont avoir un effet à long terme qui sera de même nature. Si nous plantons une petite graine de pommier, nous obtiendrons des pommes et non des pêches. C’est la même chose avec les graines des actes que nous semons. Ce que nous récolterons sera le résultat du contenu et de la motivation de nos actes. Il nous faut donc maîtriser les actes sur trois niveaux : corps, parole, esprit. Nous devons veiller sur nos actes physiques : notre comportement, nos mouvements, nos gestes ; mais aussi sur notre langage : notre manière de nous adresser aux autres, de communiquer ; et sur nos pensées. Lorsque ces trois niveaux de notre expression sont orientés positivement, au bout d’un certain temps, les effets bénéfiques vont se manifester, tels que le bonheur, la joie et ainsi la vie deviendra plus facile. Vous pouvez déjà le vérifier dans votre vie, l’observer, le remarquer. Il ne faut pas confondre ce que nous vivons actuellement, qui est l’effet du passé sur lequel nous ne pouvons plus intervenir – nous sommes un peu « victimes » actuellement de ce que nous avons fait dans le passé – et les effets des actes bénéfiques que nous allons poser maintenant, qui ne seront pas toujours palpables et ressentis immédiatement. Il va falloir un peu de temps et en accomplir de plus en plus. L’effet se ressent quand nous avons pratiqué pendant des années dans cette direction : nous voyons bien que l’esprit a changé, que les situations qui se manifestent changent, que c’est tout un karma qui change.

Le point clé est d’accomplir des actes bénéfiques, si nous voulons nous diriger vers une vie future, après la mort, qui nous permettra de pratiquer le dharma et d’aider les autres. Il faut nous en donner les moyens maintenant. Il faut développer cette maîtrise de nos actes maintenant pour être sûrs que les conséquences seront bénéfiques dans le futur. Si, grâce aux actes bénéfiques que nous accomplissons actuellement, nous réussissons à maîtriser notre esprit après la mort, de manière à être sûrs de le garder dans un état d’ouverture, avec une intention bénéfique tournée vers les autres, et le dharma, nous pouvons être certains de retrouver de bonnes conditions pour pouvoir pratiquer. Avec un tel esprit bénéfique, des karmas de vies antérieures peut-être très lourds, qui empêcheraient une renaissance dans une situation favorable à la pratique du dharma, ne se manifesteront plus. Nous aurons des difficultés dans cette existence-là, mais nous renaîtrons quand même dans un lieu où nous rencontrerons le dharma. Si dans le bardo, notre état d’esprit reste positif et lié avec le dharma, cela empêchera qu’un karma lourd se manifeste et soit la cause d’une renaissance inférieure ou vraiment difficile.

Quand je dis « dharma », ce n’est pas nécessairement l’enseignement bouddhiste. L’enseignement bouddhiste existe pour une certaine durée. Cela fait maintenant deux mille cinq cents ans et cela va continuer peut-être encore quelques siècles, qui sait ? Mais un esprit dharmique est un esprit tourné vers l’amour, la compassion et la sagesse. C’est de cela dont je parle quand j’utilise le mot « dharma ». Un esprit tourné vers le dharma va trouver des situations pour cultiver l’amour et la sagesse.

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Dans le paragraphe suivant Gampopa dit : « Si le karma des actions négatives conduit à une renaissance dans les trois royaumes inférieurs, alors quelle souffrance n’allons-nous pas ren­contrer ! »

Des trois royaumes inférieurs, nous ne connaissons que celui des animaux. Nous pouvons témoigner un peu, de l’extérieur, du monde animal. Mais le monde des esprits et le monde des êtres qui vivent dans les royaumes qu’on appelle les enfers, sont hors de notre perception directe. Pour nous approcher d’une première compréhension de ce que cela pourrait être, essayons de nous souvenir de l’état le plus infernal, le plus terrifiant, que nous ayons pu vivre dans notre propre vie : un moment de paranoïa et de très forte agression, jusqu’au point de vouloir abattre quelqu’un… Peut-être avons-nous vu quelqu’un dans la folie, dans une confusion énorme et avons-nous été témoin de cette souffrance qui n’a probablement duré qu’un laps de temps assez bref. Puis imaginons-nous qu’un tel état d’esprit se manifeste dans le bardo, après la mort, là où il est très difficile d’avoir le contrôle sur son propre esprit. Imaginons que cet esprit plein de paranoïa et d’agressivité projette son propre monde dans lequel ses tendances exercent leur suprématie, dominent l’expérience complètement, cela peut aller jusqu’au point de créer un cercle vicieux duquel on ne peut presque plus sortir. Plus on a peur, plus on est dans l’aversion et dans la haine, et plus on est dans la haine, plus on a peur. C’est un cercle sans fin. Les souffrances sont incroyables et nous ne savons plus comment en sortir parce que nous sommes complètement pris par la chaîne des causes à effets. C’est comme cela que nous pouvons nous imaginer un peu la force de la souffrance dans ces royaumes ; c’est comme si nous vivions dans un cauchemar tout au long d’une vie. Vous savez bien que les cauchemars, la nuit, ne durent que quelques secondes, peut-être une minute. Nous les vivons comme si c’était une éternité. C’est ce que l’on veut dire quand on parle des enfers. Le sentiment de souffrance est tellement puissant que l’intensité dépasse la comparaison avec d’autres expériences humaines que nous appelons habituellement des expériences normales.

Nous pouvons donc concevoir les enfers comme cela : en choisissant une expérience de cette vie et en imaginant que cette expérience se manifeste comme un cauchemar qui commence à s’installer au moment du bardo. La différence avec notre vie actuelle c’est que, dans le bardo, il n’y a pas de pauses, il n’y a pas d’interruptions. Dans le monde humain nous avons des petits moments de répit : nous pouvons nous évanouir, ou même ceux qui nous torturent ont besoin de dormir, d’aller manger et ne peuvent pas nous torturer tout le temps. Même dans la pire des guerres, il y a toujours un moment de calme après les bombardements. Mais dans le cauchemar de nos enfers projetés dans l’esprit, personne ne peut s’évanouir, personne n’a besoin de prendre de repos pour nous torturer. Nos projections continuent à nous tourmenter sans cesse. Aussi, si vous avez déjà eu des contacts avec des gens qui sont dans un tel cauchemar, par exemple dans une psychose, un état psychiatrique difficile, vous avez pu remarquer que leur cauchemar a tendance à être sans répit, sans interruption. Mais ce qu’on appelle les enfers, c’est encore plus grave. Ce sont des projections, mais ces projections sont vécues de manière aussi réelle que les cauchemars la nuit quand on se réveille complètement en sueur. Nous les vivons d’une manière complètement réelle, comme nous vivons le rêve de maintenant, parce que nous pensons aussi qu’il est très réel. C’est pour cela qu’il est dit, dans des textes parlant d’une manière un peu simplifiée, que les enfers « existent » parce qu’ils existent de la même façon que notre cauchemar de la nuit et notre rêve de maintenant. Cela ne signifie pas qu’ils existent véritablement, pas plus que notre vie actuelle n’existe réellement. Mais ils existent aussi réellement que notre vie présente existe aussi, au même niveau que celui de quelqu’un qui saisit un ‘je’, un ‘moi’. A ce stade, le cauchemar est complètement réel et les royaumes des enfers et des esprits avides sont aussi réels que cela. Au moment où nous remarquons que c’est un rêve, le rêve est terminé, idem pour les enfers ; au moment où il y a une seule pensée de sagesse qui dit : « Ce ne sont que des projections ! », c’est terminé ; au moment où nous avons une pensée compassionnée envers les êtres, l’enfer et ses projections sont terminés. Le cercle est brisé, cela ne peut plus continuer. C’est comme le cauchemar la nuit, dès que nous avons une pensée bénéfique ou une pensée de sagesse, cela s’arrête. Il en va de même pour les projections qu’on appelle les enfers.

Q : Est-ce que l’amour et la compassion sont bien une protection ?

R : C’est correct, l’amour, la compassion et la sagesse sont la protection contre la chute dans ce cercle vicieux d’agression, de paranoïa, basé sur la saisie égoïste. Tout ce qui est un remède à la saisie

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égoïste va être un remède à ce genre d’existence, à une vie de projections quasi automatiques qui nous font tourner en rond.

– Faisons une pause méditative. –

Après cette petite explication sur ce qu’on appelle les royaumes inférieurs, nous allons regarder ce qui se passe dans les royaumes dits supérieurs, dans le sens où, dans ces royaumes, il y a moins de souffrance.

Gampopa écrit : « Dans le meilleur des cas, nous renaissons parmi les dieux et les hommes. »

« Le meilleur des cas », cela veut dire que nous sommes vraiment fortunés. Si nous avons posé beaucoup d’actes bénéfiques, avec peu de saisie égoïste, nous pouvons alors renaître parmi les humains ou les dieux. Le processus qui mène à une soi-disant renaissance chez les dieux est identique à celui des enfers dont nous venons de parler. Dans le bardo se manifestent des tendances, à cause des actes que nous avons posés auparavant, empreintes d’une forte stabilisation de l’esprit. Nous entrons dans un état de shiné, de calme mental. Et cet état de calme s’approfondit encore et mène à une chaîne de causes à effets qui va aussi fonctionner comme le cercle vicieux que nous avons vu auparavant, mais là c’est un cercle de dieux qui s’installe. Plus c’est agréable, plus nous nous détendons et plus nous nous détendons, plus c’est agréable. Nous allons maintenir cet état, nous allons fonctionner là-dedans et si un karma désagréable se manifeste, nous ne réagissons pas avec une forte saisie, nous nous détendons davantage. C’est comme cela que commence une existence en tant que dieu. A cause de notre entraînement passé, nous pouvons fonctionner très longtemps ainsi. Nous faisons aussi l’expérience que le temps est vaste (on en perd la notion), comme vous pouvez parfois l’avoir ressenti dans votre méditation : un moment de vrai calme mental, peut paraître très long. Et ceci est comparable à l’expérience de ces esprits plongés dans les états supérieurs des dieux, qui est aussi décrite comme étant très longue. Et ce sont des mondes de projections. Mais dans ces projections il y a aussi un épuisement du karma, un épuisement de ces effets karmiques produisant la capacité de rester dans le calme, comme vous le ressentez aussi dans la méditation : si vous êtes bien entraînés vous pouvez rester calmes pendant une heure. Mais rester calme une heure de plus, cela devient plus difficile, parce que le corps commence à être douloureux et l’esprit s’agite! Or, eux n’ont pas de corps, mais des impressions karmiques vont se réveiller et un jour ce samadhi-là sera aussi terminé. Ceci est décrit comme la « vieillesse » des dieux, mais il n’y a pas vraiment de vieillesse, ce sont seulement des signes précurseurs de leur fin de vie qui s’installent. Pareil dans la méditation, quand nous ressentons qu’une certaine forme d’agitation s’installe. A ce point nous pouvons faire tout ce que nous voulons, la méditation est terminée, on se dit : « Je ne peux plus me rattraper, je me suis déjà rattrapé(e) quatre ou cinq fois, mais là maintenant, c’est bon, j’accepte ». Chez les dieux, c’est la même chose : à un moment donné, il est impossible de persister plus longtemps, c’est épuisé, ce karma est terminé, on rechute et on se réveille, pris par des pensées beaucoup plus grossières que celles que nous avions eues auparavant dans l’état de samadhi. C’est la chute.

Comme nous étions dans des samadhi, dans des états de méditation profonde presque sans concepts ou même sans concepts, le contraste avec ce qui s’installe ensuite est énorme. Imaginons une mère plongée dans un samadhi profond et qui est réveillée par toute une agitation autour d’elle : les enfants entrent dans la chambre, ils ont joué dehors et sont couverts de boue, ils se disputent, il faut être avec eux ; et c’est complètement différent. Ici, c’est le contraste que je veux vous montrer. Après une telle absorption, le contraste ne peut être que désagréable et c’est cela qu’on appelle la chute des royaumes divins.

Les dieux ayant demeuré très longtemps dans ces samadhi, ont épuisé leurs stocks de graines karmiques positives, sans en produire de nouvelles. Et dans ce qui reste, ce qui va mûrir ensuite est plus grossier, beaucoup plus émotionnel, c’est ce qui contribue à la chute. C’est pour cela que nous pouvons lire dans les textes que, normalement les dieux chutent dans les enfers et ne chutent pas dans les royaumes humains. Parce qu’ils ont épuisé tout ce karma positif, ils chutent carrément dans une souffrance totale. Et que ce soit vrai ou pas, cela n’a pas tant d’importance, nous pouvons le comprendre quand nous comprenons le contraste : une mère qui se réveille comme je vous l’ai décrit, à cause d’une situation environnante très prenante, va vivre cette situation comme un enfer et se dire :

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« Pourquoi est-ce qu’on ne me laisse pas tranquille ? J’étais dans un tel état de paix ! » Même une situation, qui pour d’autres n’est pas un enfer, va être vécue dans ce cas comme un enfer. Donc, peu importe si c’est vraiment un enfer ou pas, c’est vécu comme un enfer et c’est cela qui est important, c’est ce que le texte veut décrire. Il y a un vécu d’expérience d’enfer qui suit l’expérience de bien-être.

S’il n’y avait pas cet énorme attachement à l’état de calme mental, la perturbation ne serait pas ressentie comme un enfer. Elle est ressentie comme un enfer seulement parce qu’il y a un fort attachement à avoir un esprit calme, complètement posé, sans concepts, avec une aversion contre les concepts, les bruits, les perturbations, les actions, etc. Si nous ne tombons pas dans l’attachement d’un côté, nous ne tomberons pas non plus dans l’aversion infernale de l’autre côté. C’est pour cela que le Bouddha a bien dit que ces états divins ne sont pas la libération, parce qu’il y a toujours cet attachement à vouloir faire continuer cette expérience. Un esprit ouvert ne cherche pas à prolonger un état de bonheur, il s’ouvre à tout ce qui se manifeste, sans jugement.

Q : Est-ce qu’on se retrouve dans le royaume des dieux parce qu’il y a encore une identification due à l’ignorance ?

R : C’est bien cela. Les dieux sont dans une identification et dans la croyance à un ‘je’. Mais il ne faut pas penser que leur identification soit la même que la nôtre. Ils ne s’identifient plus tellement à un corps. Dans le royaume du désir il y a encore un corps de lumière, mais quand on passe dans le royaume de la forme et de la non-forme, les identifications sont beaucoup plus vastes. Par exemple, c’est l’identification à l’espace : « l’espace et moi sommes un seul » ; ou, « mon esprit est comme l’univers », « l’univers et moi sommes un seul » ; ou, « je suis l’esprit au-delà de tout attachement », au-delà des perceptions et non-perceptions. Ce ne sont même pas des concepts, des mots, des paroles concrètes qui apparaissent à ce moment-là, c’est plutôt un sentiment d’extension incluant tous les phénomènes, qui est ressenti comme le sentiment d’union avec tout ce qui est. Seulement, c’est très trompeur, c’est cela l’identification des dieux. Et cette identification est aussi dure et stable qu’elle est vaste. Elle est très difficile à casser et à lâcher, parce que là on ne sait plus quoi lâcher. On est dans une ouverture et on pense être dans ‘l’ouverture’ ultime car il n’y a pas de concepts qui se manifestent, qu’on puisse regarder. Il n’y a même pas le concept de ‘moi’ qui se manifeste comme une parole intérieure, donc on ne peut même pas examiner ce ‘moi’ semblable ; il faut aller dans un état mental beaucoup plus dynamique pour pouvoir percer l’illusion.

Q : Est-ce qu’en Déwatchen on ne risque pas de tomber dans les mêmes samadhi et illusions ?

R : Non. Heureusement pas. Déwatchen, est un royaume où règne la sagesse. Ce royaume est aussi une projection, bien sûr, mais la projection dynamique d’un bouddha qui nous inclut dans sa propre projection. Il ne nous laisse pas tranquilles. Il nous encourage tout le temps à nous ouvrir au flot de l'esprit, à la dynamique de notre propre esprit, à être sans fixations dans ce flot, dans cette dynamique, à devenir fluides au lieu de rigides. On retrouve cela dans les symboles décrivant Déwatchen, par exemple on parle beaucoup de ruisseaux, de rivières qui coulent. Quand on parle de ponts, d’étangs, de lacs, en Déwatchen, c’est toujours en mouvement, il n’y a pas de stagnation, il y a toujours du vent, des vents apportant des fleurs, des fleurs qui tombent, il y a des sons toujours audibles, une dynamique toujours présente et qui est le miroir de l’activité de l’esprit. Toute la description de Déwatchen est un miroir pour notre propre esprit.

Q : Qu’est-ce qu’on est en train de vendre ici ? Est-ce que cet enseignement moraliste veut me faire agir pour le bien des autres ? Est-ce que je suis tombée là-dedans ? Il y a toute une méprise qui s’installe dans mon esprit. Que faire de cela ?

R : C’est à soi-même de vérifier. Il s’agit d’un enseignement sur les relations de causes à effets des actes. Nous pouvons bien vérifier par nous-mêmes le retour pour les autres et pour soi, des actes que nous posons avec un cœur ouvert ou au contraire, que nous accomplissons avec beaucoup d’égocentrisme, d’égoïsme. Nous pouvons vérifier cela nous-mêmes, sans avoir besoin d’acheter le produit !

Q : Est-ce qu’il y a vraiment deux formes de méditation qui sont enseignées : le calme mental où on va se ‘planter’, c’est une voie sans issue, et la méditation dynamique, comme cela vient d’être expliqué pour Déwatchen ?

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R : La réponse est oui. Il y a dans ce monde, deux façons d’enseigner la méditation. L’une qui vise au calme mental et l’autre qui vise à la sagesse. Au temps du Bouddha, les meilleurs maîtres existant en Inde ne connaissaient que l’approche du calme mental. A l’époque, ils ne savaient pas comment méditer pour aller au-delà dans la sagesse ultime, la non-dualité. Le Bouddha a trouvé ce chemin et depuis il existe quelques maîtres qui enseignent cette approche visant à développer la sagesse, et ce sont là les caractéristiques par excellence du chemin bouddhiste de la méditation. Nous, nous enseignons toujours la méditation du calme mental comme une base, pour pouvoir développer la sagesse. Nous faisons en sorte que les disciples ne restent pas dans une stagnation, mais qu’ils stimulent toujours leur esprit avec des petites questions soulevant un regard intelligent sur ce qui se passe dans la méditation, afin d’en apprendre davantage sur la nature de l’esprit, de comprendre comment fonctionne l’esprit, qui est moi, qui est l’autre, le sujet et l’objet. Nous perturbons l’esprit avec les questions de lhakthong, les questions de vipassana, le regard intelligent. Il faut donc connaître ces deux moyens de pratiquer pour en faire la différence. Le résultat n’est pas le même. Le résultat du chemin dans le calme mental mène dans le royaume des dieux et le chemin de la méditation de sagesse mène à la libération. Il faut connaître les différences, puis choisir.

Réflexion sur les défauts du samsara

Gampopa écrit : « Même si nous renaissons parmi les dieux et les hommes, même là nous rencontrerons les souffrances de la naissance, de la vieillesse et de la mort. Nous rechercherons ce que nous n’avons pas et nous protègerons ce qui nous appartient. Nous rencontrerons des ennemis en colère et nous serons séparés de ceux que nous aimons. »

Gampopa veut nous montrer que le véritable bonheur ne se trouve dans aucun des six royaumes, quels qu’ils soient. Même si nous renaissons comme le plus riche des êtres humains, ce ne sera pas uniquement du bonheur, nous connaîtrons la souffrance de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort. Nous rencontrerons des gens qui nous aiment et que nous allons perdre, d’autres qui ne nous aiment pas et qui nous causeront beaucoup de problèmes. Cela fait partie de l’expérience de la vie. Même les dieux connaissent la fin de leur méditation et la chute, ils connaissent la dualité et la souffrance qui en résulte. Il faut que nous en soyons vraiment conscients.

C’est seulement par la contemplation sur les trois types de souffrance que nous allons vraiment faire le point sur cet enseignement-là. La première forme de souffrance, tout le monde la connaît : c’est la souffrance de la souffrance, qui est désagréable, ce sont les sensations physiques de douleurs et les sensations mentales de mal être. Personne ne veut avoir de telles expériences. Nous avons envie de les laisser derrière nous pour expérimenter des situations de bonheur. Et dans ces situations de bonheur, nous pouvons voir trois éléments qui font que nous expérimentons quand même de la souffrance. Du fait que cette expérience change, nous avons peur de la fin de cette expérience. Nous aimerions que cela dure et se répète. Nous avons le souhait de recréer cette même situation qui est déjà une tension au niveau de l’esprit et la peur qu’elle s’arrête trop rapidement. De plus, nous ne sommes pas capables de nous détendre complètement dans l’expérience, nous avons comme une incapacité à être vraiment dans le présent et à nous réjouir pleinement. Une tension subsiste et cette tension est le miroir de la troisième forme de souffrance appelée la souffrance de tout ce qui est conditionné : c’est la souffrance de la dualité, d’être dans la dualité. Tant que nous sommes encore dans une perception sujet-objet, nous sommes dans la tension, c’est ce qui empêche la détente complète. Il y a ce petit observateur. Alors qu’on est devant le plus beau coucher de soleil, on vient juste de nager, on est avec sa copine ou son copain, tout va bien, on est bien détendu… et on regarde ; il y a toujours cet observateur qui dit : « Qu’est-ce que tu veux faire maintenant ? Es-tu bien détendu ? Comment pourrait-on rendre cette situation encore plus agréable ? » C’est bête, mais c’est tout le temps là si nous n’arrivons pas à nous détendre complètement. Et c’est cela la souffrance de tout état conditionné, elle s’arrête seulement au moment où nous lâchons l’observateur. C’est alors la fin de cette troisième forme de souffrance. Tant que nous ne lâchons pas, tant que nous ne nous oublions pas dans l’expérience, nous n’aurons pas une expérience libre de souffrance. Tant que nous ne sommes pas dans le mahamoudra, dans l’état naturel, nous ne sommes pas dans la non-souffrance.

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Quatrième enseignement

Nous allons relire le texte de Gampopa jusqu’à l’endroit où nous en sommes restés dans les explications. Ce sera un résumé de tout ce qui a déjà été dit.

« NAMO GURU.

Il est dit qu’il est nécessaire que le dharma devienne le dharma, que le dharma suive le chemin, que le chemin dissipe la confusion et que la confusion s’élève comme conscience non temporelle.

Pour que le dharma devienne le dharma, nous devons contempler maintes fois l’impermanence du monde extérieur et des êtres, afin de laisser derrière nous tous nos liens aux choses matérielles, biens et relations. Par la suite, nous devons nous rendre dans un lieu retiré quel qu’il soit.

Ceci en nous rappelant qu’il ne faut pas être accompagné par une personne ne pratiquant pas le dharma. Si, par la suite, nous ne développons pas l’esprit du non-faire, notre pratique du dharma ne deviendra jamais le dharma.

Pour nous libérer de la préoccupation, pensons à la complète incertitude du moment de la mort. Nous n’avons aucun contrôle sur la mort : elle peut arriver dans un an ou bien même le mois prochain – cela ne dépend pas de nous.

Quand nous mourrons, la conscience non temporelle, auto-connaissante sera accompagnée par le karma des actions bénéfiques et nuisibles. Concernant ceci, il sera impossible de rencontrer un karma que nous n’avons pas créé nous-mêmes ou que les actes restent sans conséquences.

Si le karma des actions négatives conduit à une renaissance dans les trois royaumes inférieurs, alors quelle souffrance n’allons-nous pas rencontrer ! Dans le meilleur des cas, nous renaissons parmi les dieux et les hommes.

Mais même là, nous rencontrerons les souffrances de la naissance, de la vieillesse et de la mort. Nous rechercherons ce que nous n’avons pas et nous protégerons ce que nous avons. Nous ren­contrerons des ennemis en colère et nous serons séparés de ceux que nous aimons.

Les dieux rencontrent aussi la souffrance de la mort et de la transition lors de la déchéance extrême vers les seize royaumes infernaux comme ‘la Souffrance Indescriptible’ etc. »

Hier, nous n’avons pas lu ce dernier paragraphe, mais vous en avez quand même reçu les ex­plications, ce qui est écrit devient maintenant une évidence. Je vous précise simplement que l’enfer appelé « la Souffrance Indescriptible », se dit «Avichi » en sanscrit. Celui-ci est le pire des enfers. Il y en a dix-huit autres : les chauds, les froids, etc. Nous avons également vu hier pourquoi les dieux chutent aussi bas, ainsi que la logique qui est derrière. Nous avons vu qu’ils ont épuisé leur karma positif jusqu’à la dernière goutte, que chaque changement vers un état inférieur est vécu comme une chute dans un enfer et c’est insupportable.

Continuons avec Gampopa : « Réfléchis : quels que soient les six royaumes où nous prendrons naissance nous rencontrerons uniquement de la souffrance. Tant que nous ne sommes pas portés par un très profond renoncement, notre dharma n’est pas du dharma. »

Etes-vous convaincus que dans les six royaumes nous ne rencontrerons que de la souffrance ? Là, maintenant, sommes-nous dans la souffrance ou pas ?

Quelqu’un vient de dire : « On ne s’en rend pas vraiment compte ». En effet, nous sommes dans un bonheur relatif caractérisé par une souffrance qui l’accompagne : une dualité, une tension. Si on parle de la souffrance, c’est parce qu’il reste toujours une petite inquiétude. Cette constatation ne nie pas les expériences de joie et de bonheur. Quand on demande aux gens s’ils vont bien, d’habitude ils répondent : « Oui, je vais bien », parce qu’il vont mieux que dans la situation où ils allaient mal ; ils avaient un problème et la différence fait qu’ils se sentent mieux maintenant et disent : « En ce moment, c’est quand même du bien-être ».

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Le Bouddha n’était pas quelqu’un de déprimé avec un message pessimiste à transmettre. Ce n’était pas une personne voulant que l’on ne puisse plus se réjouir de la vie. Il voulait simplement nous dire de rester sobre, même dans notre bien-être, parce que ce n’est pas encore le bien-être ultime, la véritable joie : parce qu’il y a l’attachement, la souffrance est programmée.

Si nous ne sommes pas décidés à sortir de ce cycle de renaissances dans les six mondes de souffrance, notre dharma n’est pas du dharma. Avons-nous avons déjà suivi cette première étape ? Est-ce que notre pratique se base sur cette compréhension ? Si on nous fait la promesse de pouvoir vivre dans le royaume des dieux, est-ce que nous y irons ?

Non ? Mais c’est beaucoup mieux qu’ici ! Quelqu’un a dit : « On va voir ! » Oui. Il faut regarder ! Quelqu’un d’autre ajoute : « Il faut savoir comment c’est… la chute ! » Nous ne connaissons ni la libération, ni le royaume des dieux. Que pouvons-nous faire alors ? Avoir la foi, la confiance en ce que je viens de vous dire ? Ce serait peut-être une bonne solution. Pratiquer, s’entraîner, essayer peut-être de voir si nous ne pouvons pas développer un aperçu, une certaine saveur de cette expérience, tout en restant dans cette vie ?

La solution (la mienne) serait de dire : « Bon, j’ai bien compris que toute saisie mène à la souffrance, j’ai bien compris cela, aussi c’est ce que je vais prendre comme guide. Donc, si dans un état d’esprit je remarque encore une petite saisie, ce n’est pas la libération et je ne vais pas aller dans cette direction-là, encourager de tels états. » Il faut toujours aller vers moins de saisie, de désir, d’attachement et d’aversion.

Avec cette ligne de référence pour notre pratique, nous allons savoir faire la différence entre les divers états : nous regarderons s’il y a plus ou moins de tensions, s’il y a encore des saisies, si la saisie dualiste est encore là et tant qu’elle sera là nous chercherons plus loin. Cela va nous protéger de l’attachement aux états pleins de joie, pleins de bonheur, mais encore dualistes. Il faut dire que renoncer aux six royaumes, c’est facile pour ce qui est des trois royaumes inférieurs ; mais renoncer au royaume des dieux, ce n’est pas facile du tout, parce que dès que nous allons ressentir un peu de félicité dans la méditation, nous aurons envie de rester dedans. C’est cela le royaume des dieux, là réside la séduction. Il faut que la sagesse soit plus forte que notre attachement à la joie qui se manifeste dans la méditation. C’est à chacun de regarder et de travailler cette dimension-là.

Deuxième dharma« Le dharma suit le chemin au moyen de l’amour et de la compassion : l’attitude d’esprit où les

autres sont plus importants que nous-mêmes – l’esprit d’éveil relatif. »

Cela semble facile. Pour que le dharma suive le chemin, il faut alors pratiquer l’amour et la compassion où les autres sont plus importants que nous-mêmes. Mais sommes-nous capables de céder à une autre personne un avantage que nous souhaitons pour nous-mêmes ? Et pas seulement à une autre, mais à deux, à trois, à une multitude d’autres personnes, d’autres êtres. Allons-nous leur accorder un avantage que nous attendons peut-être déjà depuis longtemps ? Et en plus, allons-nous le faire dans la joie ? Sans le regretter ?

Réflexion : Si on est conscient, si on est dans l’équanimité et dans la joie, on ne va pas chercher un avantage personnel.

R : Est-ce que tu es capable de le pratiquer ?

Suite de la réflexion : Non, mais ceci c’est l’enseignement.

J’aimerais vraiment que pendant ce stage vous n’avaliez pas l’enseignement tel quel, mais que vous développiez une réflexion profonde sur le dharma qui nous met en contact avec nous-mêmes et nos limites. C’est seulement comme cela que nous pourrons transformer notre vie et non en apprenant des phrases du dharma ou une maxime à sortir quand les autres font des bêtises – là, ce n’est pas du dharma. Le dharma c’est voir à quel niveau notre compréhension intellectuelle est en complète

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contradiction avec ce que nous faisons : nous avons compris une chose et nous en faisons une autre. C’est à ce niveau que la pratique doit se faire.

Si la compréhension devient une véritable sagesse, elle nous transforme. Une compréhension qui reste intellectuelle n’a pas cette force qui transforme notre vie : nous pouvons en discuter, mais ce n’est pas pour autant que nous réagirons comme un pratiquant du dharma si quelqu’un nous engueule le lendemain. C’est ce qu’il faut voir.

Nous n’allons pas vivre dans l’illusion d’avoir pris l’étape du premier dharma de Gampopa, car il y a des moments où nous sommes très tentés par une joie transitoire, impermanente, parce que cela nous fait plaisir ! Ne croyez pas que je vous demande de dire : « Oui, je vous crois ! Je vous suis ! » Ce n’est pas du tout cela. Il faut être conscient que même cette première étape, du fait qu’elle est si profonde et si entière, nous ne devons pas prétendre l’avoir déjà franchie ; par moments, oui, et à d’autres moments, non, du moins pas encore.

A chaque instant de notre pratique il faut appliquer ces quatre dharmas de Gampopa. Ce n’est pas quelque chose que nous faisons une fois pour toutes. Lorsque nous avons un attachement, nous devons pratiquer le premier dharma. Quand nous sommes sortis de l’attachement, nous pouvons appliquer le deuxième dharma : la contemplation sur l’amour et la compassion. Et nous devons re­commencer chaque fois que nous n’y arrivons pas. Il faut voir pourquoi la petite chose que nous dési­rons tellement, nous semble si attirante. Qu’est-ce qui, en nous, nous fait croire en l’existence véritable de ce petit bonheur temporaire ? Nous retravaillons en permanence le karma, nous regardons les défauts du samsara, nous prenons refuge et nous développons la bodhicitta. Et cela, chaque fois qu’un attachement s’élève dans l’esprit.

Imaginons que notre renoncement soit aussi total que celui écrit dans le premier dharma de Gampopa, alors c’est vrai, la base pour un véritable amour et compassion est alors présente. Mais ce n’est pas assez d’avoir un amour et une compassion relatifs vis-à-vis des êtres, un autre élément est nécessaire : il faut que nous comprenions que tous les phénomènes intérieurs et extérieurs, c’est-à-dire que toutes les apparences, dans leur interdépendance, ressemblent à un rêve, à une illusion ; alors le dharma suit le chemin. C’est cela la bodhicitta ultime. Il faut les deux : amour et sagesse. Quand nous aimons, pour que cela devienne de l’amour véritable, il ne faut pas que celui qui aime soit dans la saisie égoïste et pense : « Moi, je t’aime », mais il faut qu’il soit lui, que nous soyons nous-mêmes, dans cette ouverture totale de l’amour où il n’y a personne qui aime ; il faut que nous soyons conscients de l’absence de l’existence de nous-mêmes. Il faut aussi que nous soyons conscients que l’autre que nous aimons, n’existe pas non plus comme une personne fixe, une identité ; qu’à travers cette personne nous pouvons aimer tous les êtres et que tous ces êtres n’ont pas de véritable existence. C’est là où l’esprit s’ouvre vraiment.

Il y a donc trois étapes : Première étape : voir l’absence du moi ; Deuxième étape : voir l’absence de l’autre et que le fait de pouvoir s’aimer entre deux personnes soit juste une possibilité pour s’ouvrir à tous les êtres ; Troisième étape : voir que tous ces êtres n’ont pas de véritable existence.

– Faisons une petite méditation. –

Gampopa est très bref sur le deuxième dharma, parce que si le premier dharma est bien intégré, le reste va suivre automatiquement. Quelqu’un qui renonce véritablement au samsara, il est sur le chemin. Le chemin est là, il va se faire tout naturellement. L’enseignement sur la bodhicitta est vaste. Cependant, si nous pratiquons : amour, compassion et sagesse, tout est inclus. L’amour et la sagesse suffisent pour décrire le chemin. Le renoncement, c’est abandonner son propre bienfait, alors l’amour est déjà là. Parce que l’amour et la compassion sont là, la sagesse va se développer aussi. Quand il y a un amour et une compassion véritables, nous cherchons par tous les moyens de notre être comment pouvoir être utiles à l’autre, et ce sont ces recherches motivées par l’amour et la compassion qui génèrent toute la compréhension. Tout vient de là. C’est pour cela que nous allons méditer, assister à l’enseignement, écouter les autres. Nous allons nous réjouir d’entendre leurs expériences, nous allons en apprendre le maximum, parce que nous sommes motivés pour vraiment aider les autres. La sagesse va donc se développer. La méditation sera facile, parce que nous ne méditons pas pour nous-mêmes.

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Toutes les expériences vont se manifester d’elles-mêmes, toutes les compréhensions vont s’élever, nous serons contents de rencontrer des maîtres qui peuvent nous montrer le chemin. L’abandon au maître deviendra aisé, la dévotion s’installera naturellement, parce que nous ne cherchons qu’une seule chose : être utiles aux êtres. C’est cela l’amour et la compassion. Gampopa n’a pas besoin de s’attarder longuement là-dessus, c’est la base qui est le plus important.

Pendant le dernier stage, je vous avais déjà parlé du renoncement comme synonyme de la joie. Renoncement et joie sont identiques. Le renoncement n’a rien de lourd, ce n’est pas un fardeau, ce n’est pas une tâche difficile à accomplir, ce n’est pas l’attribut d’un martyr, de quelqu’un qu’on devrait prendre en pitié pour son renoncement. Le renoncement, c’est le fait d’avoir lâché ce qui nous empri­sonne, d’avoir coupé les chaînes. Nous sommes libres et dans cette joie nous rencontrons des dimen­sions de légèreté que nous n’avons jamais connues auparavant. Renoncement et joie vont ensemble. Là où il n’y a pas de renoncement, il y a saisie, et là où il y a saisie, il n’y a pas de joie. Donc, il faut vraiment comprendre cela profondément. Il faut complètement changer notre idée de ce qu’est le re­noncement, parce que ce qui est imprégné dans notre esprit en raison de notre culture est complète­ment erroné. Cependant, les véritables renonçants, dans la tradition chrétienne, connaissent la joie, connaissent cette même expérience de renoncement. Ce n’est pas une joie qui doit nécessairement se remarquer sur le visage par un sourire. Cela peut être une joie intérieure très paisible qui n’a pas besoin de s’afficher, d’être manifestée, d’être très visible à l’extérieur. C’est un état libre de soucis.

Q : Dans la joie, y a-t-il encore un centre, un ‘je’ qui ressent la joie ?

R : Il y a une joie où l’on n’a plus ce centre et c’est exactement de celle-là dont parle le Bouddha. Il parle de cette joie où plus personne ne dit : « Je suis dans la joie, je ressens la joie ». C’est une joie au-delà de toute identification. C’est cela la joie suprême. Dans les autres formes de joie, il y a toujours quelqu’un qui remarque un état de légèreté. Dans la joie suprême, même cela disparaît.

Troisième dharma« Si nous comprenons cela, le chemin dissipe la confusion. »

« Si nous comprenons cela », c’est-à-dire si nous comprenons ce que sont l’amour, la compassion et la sagesse, si nous commençons à les ressentir vraiment et à réaliser ce que cela signifie – si nous comprenons ce que signifie la bodhicitta ultime, l’absence d’un moi, d’un ‘je’ dont la personne est un phénomène, alors « le chemin dissipe la confusion ». Le chemin dissipe la confusion de base, l’ignorance de base, qui est la saisie d’un ‘moi’ existant.

La confusion, c’est prendre comme existant ce qui ne l’est pas et prendre comme non existant ce qui l’est. Ce sont deux erreurs fondamentales : prendre un ‘je’ comme existant et penser qu’au niveau relatif, la relation entre causes et effets n’existe pas, par exemple. Quand on parle de confusion, c’est la confusion entre les deux niveaux de réalité : relative et ultime. Au niveau relatif, c’est de ne pas croire que le chemin existe pour se libérer de la souffrance et nier l’existence d’une relation entre un acte que j’accomplis aujourd’hui et les résultats de cet acte plus tard. Cette relation de causes à effets et le chemin qui libère, existent au niveau relatif. Au niveau ultime, rien n’a de véritable existence. Mais dire : « Du fait que rien n’a de véritable existence, au niveau relatif je n’ai pas besoin de faire attention à mes actes », c’est nier une réalité, et c’est cela la confusion.

Maintenant, nous arrivons au passage de ce petit texte de Gampopa, où il prend tous les élé­ments que nous avons vus dans le premier dharma pour expliquer le troisième dharma :

« Contempler d’abord l’impermanence, dissipe la confusion de l’attachement à cette vie. »

Il définit la confusion de différentes manières. La première confusion, c’est d’être attaché à cette vie. C’est croire que cette vie est unique, qu’elle va être la source de toutes nos joies et lui donner une importance qu’elle n’a pas. Voilà pourquoi, contempler l’impermanence et la mort va nous montrer que ce n’est pas du tout le cas. Cela crée une sagesse, une compréhension qui dissipe une confusion importante, ce qui nous permet de couper avec l’attachement à cette vie.

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« Contempler les conséquences des actes, dissipe la confusion des vues nuisibles. »

« Des vues nuisibles » sont des vues qui mènent à des actes nuisibles. « Contempler les conséquences des actes », c’est contempler les fruits d’un acte accompli avec un attachement, une saisie, la motivation de nuire à d’autres et voir que les résultats sont la souffrance pour les autres et pour nous. Ceci dissipe l’ignorance, la confusion de croire que les actes n’auront pas de conséquences, qu’ils n’engendreront pas de souffrance. Grâce à une sagesse, à une compréhension installée en relation avec la loi du karma, une forme de confusion a disparu, est purifiée. Le résultat sera de ne plus reprendre naissance dans les royaumes inférieurs. Ne plus accomplir d’actes nuisibles, veut dire ne plus accumuler les causes pour une renaissance dans les royaumes inférieurs. Mais nous allons peut-être encore accumuler des actes positifs, bénéfiques, qui peuvent mener à une renaissance dans le samsara des trois étages supérieurs. C’est pour cela qu’il dit :

« Contempler les inconvénients du samsara dissipe la confusion de l’attachement au cycle de l’existence. »

C’est la réponse à ce que nous devons faire maintenant pour contrer notre attachement aux trois royaumes supérieurs. Dans la contemplation nous réalisons que, tant que nous sommes dans le samsara – même aux trois étages supérieurs – nous sommes encore dans l’illusion qui fait que nous nous attachons à des joies, des plaisirs impermanents, temporaires. Nous avons un esprit étroit, tendu, dualiste et lorsque nous allons voir que tout cela c’est encore la souffrance, nous allons abandonner notre fascination pour les côtés agréables du samsara. L’autre contemplation sur les causes et effets nous a fait lâcher la fascination pour les actes désagréables, nuisibles. Cette contemplation-là nous fait lâcher l’autre côté, celui de vouloir se créer un petit plaisir ou un plaisir le plus grand possible, mais dans le samsara. La confusion qui est tranchée par la réflexion sur le karma, est celle de croire que les actes nuisibles nous donnent de la joie, du bonheur. En effet, lorsque nous accomplissons des actes nuisibles, nous croyons que cela va nous procurer un avantage, une joie, un bonheur en quelque sorte. En contemplant les résultats de ces actes, nous nous rendons compte que seule la souffrance en résulte. Maintenant nous allons faire la même chose avec les actes agréables, qui ne sont pas dédiés à l’éveil et nous dire que cela prolonge notre séjour dans le monde dualiste.

La prochaine étape est de : « Contempler l’amour et la compassion, ce qui va dissiper la confusion des véhicules inférieurs. »

Être vraiment motivé par l’amour et la compassion, veut dire que nous n’allons pas vouloir nous libérer du samsara, juste pour nous-mêmes. Nous renonçons à la libération personnelle grâce à l’amour et à la compassion. Parce que nous avons un cœur ouvert – nous développons un cœur ouvert pour tous les êtres – nous ne supportons plus l’idée d’être libérés nous-mêmes et pas les autres. Nous allons alors nous consacrer à œuvrer pour les autres. Ainsi nous quittons le véhicule inférieur de la libération individuelle et nous montons dans le grand véhicule, le véhicule supérieur, pour libérer tous les êtres. Gampopa utilise donc le deuxième dharma : l’amour et la compassion, pour expliquer le troisième dharma, et voir que ces éléments-là amènent encore une sagesse qui dissipe à chaque fois une confusion : la confusion de croire que nous pouvons trouver un bonheur tout seuls. Vous avez remarqué, peut-être dans votre famille, que vous pouvez être heureux en méditant dans votre petite chambre, mais si une autre personne dans la maison n’est pas contente, ce n’est pas le véritable bonheur, il faut aller la voir et s’en occuper. Ce n’est que lorsque tout le monde va bien qu’un bonheur plus profond peut s’installer. Ceci, c’est la description pour le grand véhicule. Pouvoir croire que l’on peut être vraiment dans le bonheur alors que les autres sont encore dans la souffrance, est une illusion de bonheur. C’est un bonheur dépendant, parce que l’on pose encore des limites. C’est donc un esprit limité. Si nous avons conscience de la souffrance des autres, nous devons faire quelque chose, nous ne pouvons pas rester indifférents.

« Tout contempler comme une illusion et un rêve, pratiquer alors la sagesse, la bodhicitta ultime, dissipe l’attachement à une réalité apparente. »

La sagesse générée par ce regard sur la nature des choses, le lhakthong (le regard, la vision pénétrante), dissipe la confusion de croire que le ‘moi’ et les autres existent véritablement. Encore une confusion qui part, une grande montagne de confusion. C’est ce qui va installer en nous un état libre de confusion. Nous sommes alors dans la véritable réalisation de la nature d’esprit d’un bodhisattva.

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Ainsi, de cette manière, nous avons tranché ce qui est la racine de la dualité, cette confusion profonde qui nous enchaîne dans la saisie. Finalement, pour que le chemin dissipe la confusion, nous devons pratiquer encore et encore les enseignements du premier dharma et du deuxième dharma. Nous devons repasser les mêmes pensées, les mêmes contemplations, développer toujours les mêmes attitudes ; le chemin se fait de cette manière. Nous avons simplement besoin de voir que nous restons sur le chemin – c’est le premier dharma – et qu’en étant sur le chemin, nous développons amour, compassion et sagesse – c’est le deuxième dharma. La purification des voiles se fera grâce à cela, il est inutile de faire autre chose. A ce moment-là, il n’y a pas de nouvelles pratiques qui entrent en jeu.

« Ainsi, en s’entraînant progressivement depuis les pratiques initiales jusqu’aux plus avancées, il est dit que la confusion est dissipée. »

Ceci était le troisième dharma de Gampopa.

Questions - Réponses :

Q : Est-ce une erreur de lire les enseignements du véhicule inférieur et ne pourrait-on pas considérer ces enseignements comme étant identiques aux enseignements du mahayana, du véhicule supérieur ?

R : Non, ce n’est pas une erreur de lire les enseignements du véhicule inférieur, il faut sim­plement être conscient des limitations de cet enseignement. Il y a des parties de cet enseignement que je ne vous conseillerai pas, par exemple certains enseignements de l’Abhidharma du véhicule inférieur, si vous n’avez pas en même temps un enseignement sur l’approche supérieure ou plus vaste, sinon s’établira en vous la croyance de saisir les skandha, le temps, les atomes, les dernières petites particules, comme étant véritablement existants.

Les enseignements du petit véhicule sur le renoncement peuvent aussi générer une approche un peu étroite, un peu limitée au monde de la manifestation. Vous y trouverez des enseignements où les émotions et les expériences sensorielles sont appelées mara : démons qui nous font dévier de notre chemin vers l’éveil. Il faut éviter alors les sensations agréables, il faut éviter les émotions, il faut les abattre. C’est une autre approche qui est bien pour certaines personnes, mais qui est limitée et qui doit s’ouvrir davantage si nous voulons aider les autres puisque nous rencontrerons toujours des problèmes et des émotions. Nous devons être dans le monde, nous ne pouvons pas fuir le monde, ce ne serait pas une solution. C’est pour cela que l’approche du mahayana aux émotions, aux expériences sensorielles, aux plaisirs des sens, est différente. Oui, c’est une séduction, c’est le mara. Mais ce n’est pas la chose elle-même qui est dangereuse, c’est notre attitude envers les événements, envers les émotions, envers les objets sensoriels qui fait toute la différence. Il faut donc comprendre que les enseignements du Bouddha sont donnés progressivement. Les enseignements qui aujourd’hui appartiennent au Théravada, sont une première approche, ensuite il y a une deuxième et même une troisième approche, chaque fois un peu plus subtile et plus vaste en même temps. Donc, une telle lecture se fera normalement guidée par un lama qui peut nous éclairer sur une compréhension englobant tous les différents niveaux.

En ce qui concerne la deuxième partie de la question, j’y ai déjà répondu : les enseignements ne sont pas les mêmes, mais la motivation est identique. La motivation est d’aider les êtres ; et quand nous parlons à une personne qui n’a pas la capacité de comprendre l’approche vaste, il faut utiliser l’approche plus limitée, parce cette approche aura déjà l’effet de sortir la personne du samsara. C’est cela le plus important. Tous ces enseignements sont issus de la compréhension de la nature ultime des choses dont la source et la motivation de l’enseignant sont les mêmes, mais comme le public en face était différent, l’enseignement était différent.

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Cinquième enseignement

Avant d’expliquer le quatrième dharma de Gampopa, remémorons-nous le sens des trois premiers avec leurs mots clés.

Le premier dharma, la première étape est que le dharma, c’est-à-dire notre pratique, devienne le dharma. Pour cela, le mot clé est : renoncement. Renoncer, se détacher de tout ce qui est samsara, de tout ce qui est intérêt personnel.

Le deuxième dharma, la deuxième étape sur le chemin est que le dharma suive vraiment le chemin, afin que notre pratique suive vraiment le chemin authentique parcouru par tous les bouddhas pour aller à l’éveil, le mot clé est : la bodhicitta, relative et ultime.

Le troisième dharma, la troisième étape, c’est tout simplement persister dans cette démarche et appliquer encore et encore les quatre pensées fondamentales, puis l’amour, la compassion et la réflexion sur la nature véritable des choses. On s’applique encore et encore à contempler ces sept points : 1) la précieuse existence humaine, 2) l’impermanence, 3) la loi de causes à effets, 4) les défauts du samsara (la caractéristique du samsara étant la souffrance), 5) l’amour, 6) la compassion, 7) la sagesse. Ces sept points-là résument toute la voie et en s’y appliquant encore et encore, on va faire que le chemin dissipe la confusion parce que chaque élément produit une certaine forme de compréhension, de sagesse, qui elle, dissipe la confusion. Là où il y avait une incertitude, un doute, un manque de connaissance, une ignorance, une méprise vont s’installer la sagesse, un savoir, une profondeur. Le mot clé est donc : persévérance.

Quatrième dharmaDans son quatrième dharma, Gampopa écrit : « Puis, la confusion s’élève comme conscience

non temporelle. Ceci signifie que par la force de méditer tous les phénomènes comme ultimement li­bres de naissance et de cessation, tout ce qui apparaît, toute pensée, est tranché dans sa propre nature – c’est ce que l’on appelle ‘la confusion qui s’élève comme sagesse’. »

Ceci est juste la prolongation de ce que nous venons déjà de pratiquer. Quand le moment de cette quatrième étape sera venu, que cela s’élèvera dans notre esprit, ce sera un peu hors de notre vo­lonté, de notre contrôle, parce que c’est un processus spontané. Au niveau du troisième dharma de Gampopa, il y a encore quelqu’un qui pratique, qui remarque que la confusion s’élève et qui applique la méthode, qui se souvient de la nature illusoire des choses et qui applique cette conscience à ce qui s’élève. Il y a quelqu’un qui se dit : « Ah, tiens ! Je ne suis pas conscient de l’impermanence, je dois méditer sur l’impermanence » ou « Oh ! Regarde, ton cœur est fermé, il faut que tu médites plus sur l’amour et la compassion ». C’est donc le pratiquant qui aide le processus pour que la nature de bouddha puisse se manifester, il y a encore quelque chose à faire.

Au niveau du quatrième dharma, par le fait d’être immergé, d’être imprégné par la pratique, la nature de bouddha s’élève spontanément, sans que quelqu’un ait encore quelque chose à faire. Au début de cette étape, une pensée dualiste, une petite confusion s’élève encore, suivie par un instant de reconnaissance de la nature profonde de cette confusion qui est alors corrigée et on retrouve la conscience non temporelle. Puis à la fin de cette étape, il n’y a même plus un deuxième moment : la confusion ou ce qui pourrait être une perception dualiste, s’élève avec la compréhension de sa nature profonde, de sa nature illusoire, le non-soi du ‘moi’ et des phénomènes.

Pour un bouddha, la confusion ne s’élève même plus. On ne peut même plus parler d’une coémergence d’ignorance et de sagesse, parce que les tendances à se méprendre sur la nature des phénomènes comme étant séparée de celui qui perçoit, cette confusion est complètement purifiée. Ceci est la fin de la quatrième étape, la bouddhéité.

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On pourrait dire que les quatre étapes du chemin décrivent un rapprochement progressif dans le temps : la pratique s’approche de plus en plus de l’instant où s’élève la confusion. Au début du chemin, quand la confusion se manifeste, elle commence à déployer toute forme d’autres confusions et produit toute une montagne de confusions et de méprises, de malentendus de ce qu’est la vérité et c’est seulement beaucoup plus tard que nous nous disons : « Oh non ! Regarde et détends-toi ! » Beaucoup de temps est passé avant que nous commencions à dissiper peu à peu la confusion qui s’est déjà largement installée dans l’esprit.

Grâce à la pratique du chemin, ces rappels de la nature véritable des choses et des remèdes palliant des états émotionnels, vont se faire de plus en plus vite, jusqu’à ce que nous puissions dire que l’instant où la confusion apparaît, est suivi immédiatement par l’instant du rappel, et cela se fait presque automatiquement.

Ensuite on peut parler d’une quasi-simultanéité, la coémergence de ma-rigpa et rigpa : l’ignorance et le savoir, puis l’état de bouddha où seule reste la perception pure, directe, de la nature des choses. La confusion ne s’élève plus.

Au début, le chemin est assez difficile, parce qu’il faut s’entraîner et cela nous demande beaucoup d’efforts. Mais avec le temps, le chemin devient de plus en plus aisé dans le sens où les bak-tchak, les tendances habituelles samsariques, régressent et des tendances du dharma vont s’installer et vont nous aider. Nous aurons une tendance habituelle à voir les choses à la manière du dharma, à nous détendre au lieu de nous tendre, etc. Il y a comme un automatisme qui s’installe et qui va nous aider. Mais pour y arriver, au début il faut contrecarrer tous les automatismes du samsara, il faut vraiment changer de direction. Gendune Rinpoché disait : « On est comme sur des rails. Et changer de direction quand on est sur des rails est extrêmement difficile. Il faut d’abord s’arrêter et ensuite faire marche arrière ; il est très difficile de sortir des rails. » C’est toute cette pratique-là, du débutant, qui est extrêmement difficile.

Nous allons faire une petite méditation. Regardez si vous avez maintenant une compréhension claire des quatre dharmas de Gampopa. Regardez déjà si vous pouvez énumérer les quatre dharmas (sans consulter la feuille), sinon relisez le premier paragraphe. Après ces quelques jours d’enseignement, il faut pouvoir se rappeler ce que sont les quatre dharmas. Il faut vraiment imprimer dans nos mémoires l’essentiel, les mots clés de l’enseignement. Alors, quels sont les mots clés : pour le premier dharma, pour le deuxième, pour le troisième et pour le quatrième ? Je ne vous ai pas donné le quatrième, mais vous allez peut-être les trouver vous-mêmes.

– Méditation Contemplation –

Quand Guendune Rinpoché nous bénissait, il utilisait chaque fois trois prières. La première était : « Kyé-oua kun-tou yang-dak lama tang… » : Toujours être uni avec le lama dans toutes ses existences. La deuxième était : « Les quatre dharmas de Gampopa », et la troisième était : « Djang-tchoup sem-ni rinpotché… » : Que la bodhicitta se révèle là où elle ne s’est pas encore établie, etc. C’était donc avec ces trois prières que Guendune Rinpoché bénissait chacun de nous. Les quatre dharmas de Gampopa, pour lui, c’était vraiment tellement central, qu’en les disant il bénissait avec cette prière. Et j’ai entendu Khenpo Tcheudrak réciter aussi les quatre dharmas de Gampopa en se prosternant devant l’autel. Lui aussi utilise chaque fois cette prière.

Mots clés pour les quatre dharmas

Quels sont alors les mots clés pour les quatre dharmas ?

Pour le premier dharma, c’est le mot : renoncement.

Pour le deuxième dharma, c’est : bodhichitta.

Quel est le mot clé pour le troisième dharma ? Propositions : « sagesse », « couper la saisie dualiste », « le chemin amène à dissiper la confusion ». Quelqu’un propose : « persévérance », « dévotion », mais on n’a même pas parlé de dévotion ! C’est bien la persévérance. C’est l’application continue. C’est cela le mot clé : application continue ou persévérance. Ce qui est génial avec ce

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troisième dharma, c’est qu’aucun élément nouveau n’entre en jeu, c’est l’application continue de ce que nous avons vu auparavant.

Je prends vos suggestions pour le quatrième dharma. Propositions : « la sagesse », « la nature des phénomènes et du soi ». Mais, qu’est-ce qu’on doit faire là ? « Contemplation » - « Méditation » - « Sagesse ». « Pratiquer spontanément » Oui, c’est bien cela, c’est la pratique spontanée. Le mot clé c’est : spontané. Et bien sûr, la pratique spontanée est une pratique qui développe davantage la compréhension de la nature des phénomènes et du soi, la sagesse, etc. Mais à ce niveau-là, il n’y a plus de contemplation, c’est terminé. La contemplation est un processus beaucoup trop lent. Ici, c’est rapide, c’est instantané donc spontané.

Réponse à un intervenant : Oui, contemplation-méditation, c’est le troisième dharma ; mais de quelqu’un qui est déjà bien avancé sur le chemin.

Intervention de lama Tashi : Pour ce qui est de la contemplation comme nous l’entendons, c’est plutôt le premier point, et le troisième point c’est plutôt dren-pa, se rappeler ce qu’on a déjà compris, réalisé.

Lama Lhundroup : On s’entraîne à la contemplation au premier dharma de Gampopa. On l’applique plus profondément au deuxième. Et le troisième, c’est déjà quelqu’un qui a juste besoin de ce rappel, c’est la pratique entre le premier et le septième bhoumi. Ce sont donc des pratiquants bien avancés sur le chemin, qui ont déjà développé une certitude de la nature de l’esprit. Puis, le quatrième dharma, c’est du huitième au dixième bhoumi, jusqu’à la bouddhéité.

Q : Mais le renoncement, c’est difficile.

R : Pourquoi dis-tu « Mais » ? Le renoncement difficile au début, est plus facile au milieu, et devient spontané à la fin.

– Méditation –

L’ego et le développement d’une personnalité saine.

J’aimerais voir avec vous une question qui a été évoquée dans un atelier. Je vais la formuler complètement :

N’y a-t-il pas une contradiction entre le fait que normalement on devrait d’abord s’accepter déjà soi-même complètement et développer un ‘je’, un ego stable, pour pouvoir ensuite lâcher et peut-être démanteler, déstabiliser cette saisie égoïste pour se défaire de cet ego ? N’y a-t-il peut-être pas une contradiction entre l’approche nécessaire pour développer une personnalité saine et l’approche du dharma qui nous sort de toute saisie égoïste ?

Cette question, on l’entend très souvent, et même avec un ton, un air de dire que c’est une évidence : « Mais c’est évident, d’abord il faut construire l’ego pour pouvoir l’abandonner », comme si c’était certain. Je suis étonné, parce que cela montre qu’il y a un gros malentendu sur le dharma. C’est donc pour cela que je vais en parler.

Je vous demande de réfléchir : Est-ce qu’on est mentalement en bonne santé, psychiquement sain, si on a un ego fort ?

Le point essentiel est exactement là. Parlons du développement d’un enfant, par exemple. Un enfant doit apprendre à trouver son chemin dans ce monde, à s’orienter, à affirmer : « moi, c’est moi » ; « vous, vous n’êtes pas moi » ; « ma mère, c’est une autre personne que moi » ; « je trouve mon chemin » ; « j’apprends des choses », et nous pensons que tout ce processus-là, c’est la construction d’un ego. Et là, le dharma dit : « Non ! Ce que vous appelez la construction d’un ego, c’est juste le renforcement des facteurs mentaux nécessaires : la discrimination, la vigilance, la mémoire, l’attention, la capacité de clarifier des doutes, l’amour, la compassion, la générosité, la patience, etc. » Si tous ces facteurs-là sont développés, l’enfant va bien évoluer. Si vous appelez ces facteurs-là un ego, d’accord. Mais ce n’est pas cela qu’on appelle un ‘je’, dans le dharma, dans le sens d’une saisie égoïste.

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La saisie égoïste dans le dharma, c’est penser qu’à l’intérieur de tout ce processus-là, il existe véritablement une entité réelle. Et plus nous le pensons, plus nous aurons des émotions, plus nous aurons de la saisie et de l’aversion, attachement-aversion ; ce qui est fortement déstabilisant pour l’enfant comme pour l’adolescent et l’adulte. Un enfant qui saisit un ‘je’, un ‘moi’, très fortement, va rencontrer beaucoup de difficultés. Ce qui manque à cet enfant, ce n’est pas un ego fort, mais un lâcher-prise sur ce malentendu, sur cette confusion, à l’intérieur de lui-même. Et si la confiance, cette confiance en soi-même dont on parle, est basée sur une illusion, elle est toujours un danger. Si la confiance de l’enfant, comme de l’adolescent et de l’adulte plus tard, est basée sur la capacité de pouvoir comprendre des choses, pouvoir faire des choses, pouvoir apprendre, pouvoir s’ouvrir à une relation, on appelle cela avoir bien développé les facteurs mentaux nécessaires pour un individu sain. Ce n’est pas un ego, ce n’est pas l’illusion d’un ‘je’ qui gère tout cela.

Pour stabiliser une personne, un être humain, dès le début et jusqu’à la fin de la voie, il faut développer les mêmes facteurs mentaux que ceux décrits par le Bouddha : les six paramitas et les facteurs mentaux dits omniprésents et bénéfiques parmi les cinquante et un facteurs mentaux nommés dans l’Abhidharma. Je viens d’en énumérer quelques-uns. Si nous faisons ce travail avec l’enfant et si l’enfant arrive à le faire, il y aura moins d’illusions sur le ‘moi’, le ‘je’. L’enfant pourra commencer à fonctionner avec un ‘moi’ conventionnel. Les parents, les professeurs autour qui pratiquent le dharma vont essayer de ne pas renforcer la saisie sur un ‘moi’ véritablement existant. L’enfant va pouvoir fonctionner avec un ‘moi’ conventionnel et dire : « J’ai faim », « J’ai besoin de dormir », « Je ne veux pas », « Je veux ». Mais il n’entendra pas de la part de ses parents et professeurs des affirmations erronées du genre : « Toi, tu es comme cela, et tu le seras pour toujours, etc. … ! » Là, c’est le renforcement d’une entité qui se cristallise comme étant vraiment là.

Maintenant, regardons quelqu’un qui, à l’âge adulte, est dans une forte saisie émotionnelle, par exemple quelqu’un qui déprime beaucoup. On dit souvent que les gens qui sont dans des dépressions prolongées n’ont pas un ego assez fort, une acceptation de soi-même assez forte, qu’ils ont un manque de confiance ; ou pour d’autres, que leur manque de confiance se manifeste par des formes de névroses, etc. On leur prescrit de développer un ego plus fort, une affirmation de soi-même. Du point de vue du dharma, c’est mal dit. On devrait leur conseiller de développer les facteurs mentaux qui permettent de mieux gérer leur vie : développer plus de vigilance, développer un peu plus d’ouverture du cœur, un peu plus de compassion, un peu plus de patience, ne pas se croire si important parce que la source de la dépression c’est l’orgueil. La dépression est l’état par excellence où l’on tourne constamment autour de soi-même ; il n’y a que moi qui est important dans le monde dépressif. Pour en sortir, il ne faut certainement pas encourager plus de saisie égoïste.

Je propose donc qu'on parle d'une « personnalité saine » qui est à encourager, la personnalité la plus saine étant celle d’un bouddha, celle d’un être complètement éveillé. Il n’existe pas d’image de personnalité plus stable que celle du Bouddha, car c’est parce qu’il n’a plus de saisies qu’il est stable ! Si je saisis ce bâton et que quelqu’un d’autre veut le prendre, parce que je le saisis l’autre va me déstabiliser. Si je saisis un ‘moi’ et que l’autre attaque ce ‘moi’, du fait que je le saisis, je vais réagir ; je ne peux pas être stable, je suis obligé de réagir parce que je souffre. Quand quelqu’un veut ce bâton, si je ne le saisis pas – mais il le prend ! – il n’y a pas de déstabilisation. Vous voyez ce qu’est stable et non stable, la non saisie et la saisie. Donc, si nous souhaitons que quelqu’un développe une personnalité stable, faisons en sorte que ces facteurs mentaux se développent en lui ou en elle, qu’il y ait moins de saisie égoïste et moins d’orgueil, moins de facteurs qui créent des perturbations.

– Faisons une pause méditative –

Si nous comprenons bien ce qu’est le dharma, le dharma va stabiliser la personne dès le début et jusqu’à la fin. Le dharma ne sert jamais à déstabiliser quelqu’un, le croire est une erreur complète. Ce­pendant, une personne qui fonctionne sur la base d’une grande confusion, va mal interpréter le dharma, va mal digérer l’enseignement, va réagir par exemple avec des sentiments de culpabilité lorsqu’on enseigne le karma, va réagir avec de la peur lorsqu’on enseigne certains risques du chemin, etc. Il y aura une mauvaise interprétation.

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Il y a aussi l’orgueil qui saisit, qui veut être comme cela, qui se projette, qui s’identifie ; et il y a un risque. Le dharma est très clair et sûr et normalement il nous stabilise, mais s’il est avalé, pourrait-on dire, avec un esprit rempli de saisies, il y aura un travail à faire. Et peut-être qu’avant de trop écouter le dharma et de trop pratiquer, il faut d’abord effectuer un travail de base et de préparation pour pouvoir bien assimiler le dharma. Pour cela il faut un contact direct avec des personnes déjà plus stables qui nous guident. Elles peuvent être des thérapeutes, mais aussi des lamas, tout dépend où le problème se situe.

Q : Je n’ai pas du tout de problèmes pour suivre les explications, je suis tout à fait d’accord, mais que fait-on avec cette ombre qui est en nous ? On nous parle de cette ombre qui évoque les côtés refoulés de notre personnalité. Si je n’accentue que les facteurs bénéfiques, comment le chemin va-t-il pouvoir se faire si je ne regarde pas cette ombre ? »

R : Là aussi il y a un grand malentendu du fait que les facteurs bénéfiques ne sont pas du tout des facteurs permettant de se construire un monde idéal. Ce sont des facteurs qui nous permettent de voir la réalité des choses. Quand on parle de la capacité de l’attention, combinée avec la capacité de prajna (sagesse), c’est la capacité de cerner les choses exactement comme elles sont. Tout ombre en nous est le produit d’un refoulement. Nous avons refoulé des émotions à cause d’une peur, à cause des sentiments de culpabilité, etc. C’est l’ignorance qui refoule, qui ne veut pas voir, c’est le souhait d’être aveugle, de ne pas voir, de ne pas être conscient de quelque chose. Du fait de méditer, de s’asseoir, de faire face, d’écouter les enseignements, nous commençons à voir et nous commençons à ne plus refouler, à regarder clairement. Prajna, c’est la capacité, la sagesse de savoir que faire maintenant, comment dissoudre l’ombre, ne pas la refouler. Prajna c’est la capacité de la voir, l’accepter, et la laisser retomber sans lui donner plus d’importance, sans l’encourager à se manifester d’avantage, mais sans la refouler non plus. Tout le dharma c’est le processus de travailler nos ombres. Quand on parle de karma négatif, personne ne veut le voir, personne ne veut voir ses voiles karmiques. Et la pratique fait que nous commençons à voir nos voiles, nous avons alors des moyens pour travailler dessus.

Ce qu’on appelle les facteurs bénéfiques, sont vraiment des facteurs bénéfiques dans le sens le plus profond ; ce ne sont pas des artifices pour se construire un monde à part, ce n’est pas un soutien pour les tendances habituelles, pour échapper à la réalité. Ces facteurs sont bénéfiques parce qu’ils nous aident à être pleinement en contact avec tout ce qui est, à voir comment le monde fonctionne et comment notre propre esprit fonctionne. Donc, bénéfique veut dire pleinement bénéfique et non partiellement bénéfique. Les facteurs mentaux ne sont pas bénéfiques pour l’ego, pour la saisie égoïste. Les facteurs mentaux tendent vers la destruction de la saisie égoïste, donc ils sont finalement très stabilisateurs car c’est la saisie égoïste qui nous déstabilise.

Nous ressentons des moments de panique quand nous entendons que le dharma détruit la saisie égoïste. « Mais c’est moi ça ! Alors le dharma me détruit ! » C’est ce que l’on entend. Mais non, le dharma nous rend de plus en plus aptes à la vie, parce qu’il nous ouvre au flot des événements, il nous rend fluide. La stabilité ne se trouve pas dans la fixation, mais dans la fluidité. Quand nous saisissons quelque chose d’impermanent ou carrément une illusion, c’est la cause d’échecs. Nous ne pouvons pas nous penser stables quand nous saisissons quelque chose d’impermanent ou quelque chose qui n’existe pas carrément. Le dharma enlève cette fausse notion de stabilité, ces fixations, qui donnent lieu à beaucoup de souffrances.

L’approche du dharma est une approche de compassion du début jusqu’à la fin, ce n’est pas l’attaque d’un ego sur un autre ego. Il ne faut pas avoir peur. Nous n’avons donc pas besoin de dire à une personne : « pratiquer le dharma, c’est trop tôt pour toi ». Cela n’existe pas. Il faut juste trouver les moyens justes pour aider cette personne à bien comprendre le prochain pas, le pas qui va la mener vers plus de stabilisation. Ce n’est jamais trop tôt et il n’y a jamais de situation où l’on ne peut pas pratiquer le dharma. Même dans la psychose, même dans la plus grande dépression, on peut toujours pratiquer le dharma, il faut savoir seulement quel est le prochain pas à prendre et savoir éviter des pratiques qui ne sont pas adaptés à la situation.

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Sixième enseignement

Un chant vadjra de Gampopa : La réponse à Zangri Répa

Ces derniers jours, nous avons étudié les quatre dharmas de Gampopa et c’était bien. Mais pour tout absorber, j’ai pensé que c’était un défi à notre digestion spirituelle. Alors, j’ai pris un ensei­gnement un peu plus varié. II s’agit de la réponse spontanée de Gampopa à Zangri Répa qui veut faire un voyage.

Zangri Répa est donc un yogi qui, après avoir longuement médité dans les grottes, veut maintenant partir un peu à la découverte du monde. Et la réponse que Gampopa lui donne devrait sti­muler le renoncement et une meilleure compréhension chez le pratiquant.

« Un jour Zangri Répa demanda au maître la permission d’effectuer un voyage. Pour réponse celui-ci lui chanta : (il faut s’imaginer qu’à ce moment-là, Gampopa se lève, chante, et accompagne son chant avec des gestes, tout en se moquant un peu !)

Le cycle des existences qui n’est pas encore vidé,La préoccupation sans finEt le bavardage inépuisable,Ces trois choses ne vont pas avec le dharma.Même moi je les ai abandonnéesEt ce serait bien si toi aussi tu leur tournais le dos. »

Ce sont quelques phrases clés. Dans d’autres mots Gampopa dit « Tu veux voyager, mais tu n’as pas assez réfléchi sur le cycle des existences, le samsara, qui n’est pas encore vidé ». Ce qui veut dire : « Tu penses te distraire avec un petit voyage, alors que tu n’es pas encore libéré toi-même et que tant d’êtres sont encore à libérer… Réfléchis bien ! » Au cours d’un voyage, il n’y a pas beaucoup de temps pour pratiquer parce qu’on est toujours préoccupé par le voyage lui-même et on bavarde sans fin ! On parle, on voit des choses, on échange. On est dans la distraction. Quand Gampopa exprime : « Ces trois choses ne vont pas avec le dharma », c’est bien clair. Mais en même temps il dit : « Regarde, même moi je les ai abandonnées. Même moi, un être qui connaît les mêmes désirs que toi, maintenant je ne voyage plus. Pourquoi ne ferais-tu pas pareil ? » Au cours de cet échange, Gampopa ne veut pas dire : « Regardez, moi je suis parfait », il veut dire : « Même moi j’ai dû travailler ces points-là, mais quand même maintenant j’ai compris, et donc, fais comme moi. »

Ensuite il continue et saisit cette opportunité pour enseigner un peu plus le dharma. Ce n’est pas toujours en lien direct avec le voyage :

« Des ermitages en possession des maîtres des lieux,Les bienfaiteurs qui ont besoin de flatterie etFaire des accumulations en espérant des remerciements,Ces trois choses ne vont pas avec le dharma.Même moi je les ai abandonnéesEt ce serait bien si toi aussi tu leur tournais le dos. »

Un yogi voyageant au Tibet cherchait des endroits pour dormir. La plupart du temps, il s’agissait d’ermitages dans lesquels il demandait asile : soit des ermitages abandonnés par les humains mais habités par des êtres invisibles appelés « les maîtres des lieux », soit des ermitages dirigés par des gens qui s’y étaient installés et imposaient leur propre façon de faire. Dans tous les cas, le yogi arrivant n’était pas libre. Il était soumis à l’influence des êtres humains ou invisibles. Alors, la pratique ne pouvait pas se développer comme dans un lieu où il se serait installé depuis longtemps, un lieu purifié, clair, lui appartenant personnellement, où il n’aurait pas besoin de faire ce que d’autres voudraient lui imposer.

Ces ermitages ne proposaient donc pas les conditions idéales pour la pratique. De plus, de quoi un yogi allait-il vivre sur le chemin ? De petits rituels faits pour les personnes rencontrées : « Ce serait bien que vous veniez, j’ai un malade à la maison, ne pourriez-vous pas faire une pratique de Sangyé Menla, le Bouddha de Médecine, pour lui ? », ou : « Ne pourriez-vous pas réciter quelques mantras

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pour ma tante qui vient de décéder ? », etc. Le yogi, acceptant alors de faire une pratique, recevait en retour un petit don et de la nourriture. C’est de cette façon qu’il finançait son voyage. Mais ce n’était pas non plus une pratique idéale ; comme il arrivait sans prévenir, il ne pouvait pas vraiment enseigner le dharma aux gens, parce qu’il dépendait de leur générosité et de ce qu’il allait recevoir pour pouvoir manger et continuer le voyage. S’il voyait des tendances égocentriques chez eux, des tendances allant à l’encontre d’une pratique authentique, il n’allait pas vraiment pouvoir le leur dire, aussi il allait dans leur sens, bavardait avec eux, entrait dans leur jeu. Il n’allait pas les confronter à leurs défauts, ne leur montrait pas les points à regarder et il entrait donc souvent dans le jeu de la flatterie. Pour recevoir des dons, il était tenté de les louer ou au tout au moins de les laisser tranquilles dans leurs tendances habituelles. Et ceci, du point de vue du yogi, c’est aussi une flatterie. C’est comme s’il disait : « Tout va bien, il n’y a rien à changer, c’est super ». Comme cela tout le monde était content et il recevait beaucoup de dons. Ces combines, entre un bienfaiteur qui a besoin de flatteries, qui ne tolère pas de critiques, de retour, de miroir montrant les faiblesses, et un pratiquant qui dépend des offrandes qu’il reçoit, sont vraiment néfastes pour la pratique.

« Faire des accumulations en espérant des remerciements », c’est faire des offrandes, des prières, des mantras, en espérant avoir de la nourriture, des remerciements et des cadeaux. Tout espoir de bienfait personnel diminue l’accumulation de mérite. Le mérite n’est pas zéro, mais plus les attentes sont grandes, moins il y a d’accumulations véritables. Cela devient donc une pratique peu utile du point de vue du chemin vers l’éveil. Voilà pourquoi Gampopa dit : « Ces trois choses ne vont pas avec le dharma ».

Gampopa lui-même, après être revenu de chez Milarépa, a médité dans différents endroits, mais n’a pas voyagé. Il s’est juste déplacé pour s’installer ensuite quelque part. Il y restait trois, six ou sept ans, avant de changer une nouvelle fois. Il a donc médité comme cela dans trois ou quatre endroits. Mais vingt ans plus tard, c’était devenu pour lui une façon d’enseigner. Il voyageait avec ses disciples, allant d’un endroit à l’autre parce qu’il y avait été invité pour enseigner. Là, il pouvait donner le dharma librement. Ses disciples étaient de bons réceptacles pour recevoir l’enseignement. Donc, quand on voyage, quand on veut partir un peu dans le monde, il faut bien réfléchir à ce que l’on va faire de son temps.

Ces derniers jours, j’ai moi-même beaucoup apprécié les petites pauses pendant l’enseignement, aussi je vous propose de faire de même aujourd’hui.

– Pause méditative –

Ensuite, Gampopa continue, dans un sens plus large. Il chante :

« Des maîtres sans qualités,Des disciples sans dévotion Et des compagnons de pratique qui râlent et se disputent,Ces trois choses ne vont pas avec le dharma.Même moi je les ai abandonnées etCe serait bien si toi aussi tu leur tournais le dos. »

« Des maîtres sans qualités », ce pourrait être le point de départ pour un long enseignement sur les maîtres sans qualités ou bien sûr avec qualités. Qu’est-ce qu’un maître sans qualités ? C’est quelqu’un qui ne pratique pas ce qu’il enseigne. C’est le premier critère. Si tels maîtres, hommes ou femmes, enseignent les mots et les paroles du dharma pour impressionner les gens, sans suivre leurs propres enseignements dans leur vie privée, alors ces enseignements seront creux, même si ces maîtres paraissent bons et inspirants On peut douter que ces maîtres parlent par expérience. C’est pour cette raison-là que Gendune Rinpoché nous a toujours dit : « Enseignez par expérience. Enseignez ce que vous avez expérimenté, ressenti et éprouvé vous-mêmes, si vous êtes clairs et sûrs du contenu ». Et pour le reste, il faut dire : « Ceci est l’enseignement que j’ai reçu. Je vous le donne, mais je n’ai pas encore une certitude là-dessus ». Il faut éviter le piège de donner des enseignements creux. On peut citer le Bouddha, on peut citer les maîtres, c’est d’ailleurs très bien, mais il ne faut pas prétendre être déjà réalisé si on ne l’est pas.

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La qualité principale d’un maître, c’est d’avoir la bodhichitta, d’avoir un esprit imprégné d’amour et de compassion en premier lieu et d’avoir cette aspiration forte à vouloir libérer tous les êtres de la souffrance. Mais il doit aussi avoir développé la sagesse, une certaine réalisation du dharma. Les deux doivent aller de pair. Quand un maître, homme ou femme, a de véritables qualités, à ce moment-là la bodhichitta est vraiment présente. Et même s’il n’a pas une réalisation complète, il donnera quand même un enseignement authentique parce que la motivation sera juste, qu’elle partira d’un élan du cœur tourné vers l’autre et non d’une saisie, d’une motivation égoïste. Par cette motivation, l’enseignement sera authentique. Grâce à la pratique de l’enseignant, grâce à ses études et à sa motivation juste, l’enseignement va se développer de manière juste, de manière authentique. Et parmi tous les enseignements possibles, sera enseigné ce qui est vraiment utile pour ceux qui écoutent, parce que l’amour et la compassion motivent l’enseignant et non le souhait de vouloir être quelqu’un de grand ou de spécial. Le maître aura une attitude humble.

« Des disciples sans dévotion ». Sans dévotion, cela veut dire sans cette ouverture pour se laisser guider par le dharma et par le maître. Cela signifie aussi qu’il y a trop d’orgueil : « Je sais déjà. Je n’ai pas besoin d’être guidé… ». Il n’y a pas assez de compassion non plus. Quand la dévotion manque, la compassion manque en même temps, les deux vont ensemble. Si nous avons vraiment de la compassion pour les êtres, nous verrons la nécessité de nous laisser guider par les maîtres pour être très rapidement capables d’aider les autres. Une véritable compassion nous montre la grandeur des maîtres et le besoin d’être guidé.

Quand il n’y a pas vraiment la compassion, il n’y a pas non plus la dévotion, parce que nous ne voyons pas le but pour lequel nous allons nous laisser guider. Il y aura peut-être le désir, l’adoration pour le maître, mais ce n’est pas la dévotion. Nous vénérons le maître et nous appelons cela de la dévotion, mais le maître est là seulement pour aider les êtres. Si nous ne comprenons pas ce point-là, nous nous trompons complètement dans la relation avec un lama. Nous le vénérons, mais lui n’est pas là pour être vénéré, ce n’est pas sa fonction. Il est là pour nous montrer comment être plus utiles aux êtres.

C’est la compassion qui motive le maître. Il faut donc partager cette compassion pour pouvoir entrer dans l’esprit du maître. Et quand nous réalisons que toute sa vie est vraiment dédiée à servir les autres, à ce moment-là, la véritable dévotion s’installe en nous, parce que cela nous motive, nous inspire, nous ouvre. Nous voulons vraiment devenir comme lui, avec cette même motivation-là, dans cette ouverture d’esprit. Donc, lorsque nous voyons la compassion dans le lama, lorsque nous ressentons que le lama se donne complètement aux êtres avec compassion, nous sommes inspirés. Alors la véritable dévotion s’installe en nous et le maître peut nous montrer le chemin.

Ce n’est pas émotionnel, nous n’avons pas besoin de mettre ce lama sur de grands trônes, de le vénérer… C’est une relation entre deux adultes : un qui veut apprendre comment servir les êtres et un autre qui sait un peu mieux comment faire et qui peut nous le montrer. C’est une relation d’apprentissage à deux, dans le même état d’esprit et avec les mêmes motivations. Les autres aspects de la dévotion que sont le respect, la vénération, etc., peuvent y être, mais doivent être basés sur la compassion. Si ce n’est pas le cas, ces qualités ressemblant à de la vénération, du respect, peuvent carrément devenir des obstacles. Elles peuvent nous faire entrer dans une relation émotionnelle, personnelle, et égoïste avec le lama et devenir un obstacle sur le chemin. Cela peut faire que les pratiquants se bloquent dans une relation très dualiste avec le lama ; ils ne sont pas réceptifs pour la bodhicitta que le lama veut nous montrer et qu’il aimerait encourager dans notre esprit. Dans la mesure où les deux s’ouvrent à tous les êtres, cette relation devient très fructueuse parce qu’il n’y a pas de saisie mutuelle ; nous ne nous identifions pas comme étant « moi, ton disciple », et « moi, ton lama » et « nous, nous allons toujours ensemble ». A ce moment-là, ce serait une relation samsarique qui se créerait, relation très limitée et qui ne va pas vraiment mener à la libération.

Quand la situation s’ouvre, nous nous disons : « Super, nous nous sommes rencontrés, alors que faisons-nous pour les êtres ? » Chaque fois qu’il y a cette ouverture, l’élan venant du disciple est dirigé par le lama vers tous les êtres. Et le lama, dans la relation avec le disciple, voit seulement sa responsabilité pour rendre le disciple utile à tous et non pas pour lui-même.

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Le lama n’a pas besoin de quelqu’un qui lui sert le thé, qui lui lave le linge, etc ! Non. C’est vraiment ouvrir le disciple pour qu’il devienne un être disponible pour tous. La relation devient ouverte parce que la motivation est d’apprendre tout ce qui pourrait être utile pour les autres. On peut vivre une multitude de situations, d’autres peuvent entrer dans le jeu, c’est toujours ouvert. Il n’y a jamais une situation créant de la jalousie parce que les autres sont naturellement inclus. Même quand lama et disciple sont ensemble, les autres sont toujours présents, parce que la bodhichitta anime la relation. Et quand d’autres entrent dans cette situation ils se sentent tout de suite accueillis. Il n’y a donc pas de relations qui créent de la jalousie chez les autres, c’est ouvert. De cette manière, on évite les phénomènes de groupies, de souhaits d’un lama qui prend un petit groupe autour de lui alors que d’autres se sentent exclus. C’est la bodhicitta qui permet d’éviter cette situation.

De cette manière, nous évitons aussi que « les compagnons de pratique râlent et se disputent ». Pourquoi râlent-ils ? Parce qu’ils sont motivés par la saisie égoïste, parce que leur orgueil ne trouve pas la récompense recherchée, parce qu’ils ne sont pas contents ; pas contents, parce que « Moi, je n’ai pas ce que je veux ». De la jalousie s’installe entre les compagnons de pratique : l’un veut faire plus, l’autre veut avoir la même place, etc. Il y a des luttes de pouvoir, des luttes de proximité : « Je veux être ami avec toi, mais tu es trop ami avec l’autre », etc. Nous nous disputons pour rien. Nous nous disputons seulement parce que nous n’avons pas la bodhichitta au cœur. Si nous avions la bodhichitta au cœur, nous pourrions discuter, mais ne pas nous disputer. Nous regarderions si nous pouvons trouver des solutions et si nous ne les trouvons pas, alors il est inutile de se disputer parce que cela ne servira pas à grand chose. Toutes ces disputes, ces conflits, ont toujours lieu parce qu’il y a des petits ego qui ne sont pas contents, qui ont des désirs, des aversions. Et ces désirs-aversions sont finalement : orgueil-jalousie, jalousie-orgueil, jalousie-orgueil, orgueil-jalousie, partout.

Toutes les difficultés dans la sangha sont dues à la jalousie et à l’orgueil. C’est toujours comme cela : « Je veux être important, aussi important que l’autre » ou « Je ne veux pas qu’on me dérange, parce que je sais déjà tout ». Toutes les différentes facettes de ce jeu de pouvoir, de ce jeu d’individus qui ne veulent pas être seuls, qui veulent être aimés par les autres, qui ne se sentent pas aimés (surtout cela), c’est finalement de la jalousie et de l’orgueil. Si nous restons à ce niveau-là, si nous ne trouvons pas l’autre niveau, ce jeu ne s’arrêtera jamais. La direction à prendre pour en sortir, c’est la bodhichitta. Si tout le monde se dirige vers la bodhichitta, c’est-à-dire vers l’éveil de tous les êtres, par cette attitude nous pourrons en sortir. C’est là où les petits tiraillements deviennent juste les manifestations de notre karma, le miroir de notre esprit, nous ne leur donnons pas une grande impor­tance. Ce qui est important c’est de toujours trouver les meilleures solutions pour pouvoir travailler ensemble, dans l’intérêt de tous. Ainsi les choses deviennent faciles. Le petit ego qui coince, là, c’est juste la situation dont nous devons nous sortir, c’est la base de notre motivation. Plus il y aura des tiraillements plus nous serons motivés pour nous diriger vers la bodhichitta. Cela servira au renforce­ment de la motivation juste.

– Une petite pause méditative. –

Regardons comment Gampopa continue son chant.

« Le pays natal, cette prison démoniaque,Des possessions gagnées au prix de nombreuses souffrancesEt l’hypocrisie qui ne donne pas de joie,Ces trois choses ne vont pas avec le dharma.Même moi je les ai abandonnées Et ce serait bien si toi aussi tu leur tournais le dos. »

« Le pays natal », c’est là que nous avons tous nos repères : nous connaissons bien un tel, une telle, notre tante, notre oncle, nos parents, nos amis. Nous sommes dans un réseau, un système qui fonctionne bien mais dans lequel nous sommes figés dans un rôle. Nous sommes pris par les pro­jections des autres et nous devons toujours combler leurs désirs. Nous sommes pris par les souhaits de nos parents de devenir un tel, une telle, d’être comme ceci, comme cela et nous ne sommes pas libres. C’est dans ce pays natal auquel nous tenons tellement, que nous sommes bien souvent les moins libres. Il y a cependant des exceptions. Mais la plupart du temps, nous sommes tellement pris par les

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habitudes, les tendances, les coutumes de notre famille, de notre religion, de notre pays, de nos amis, etc., que nous ne pouvons pas vraiment changer.

Il y a beaucoup de forces qui nous ramènent toujours, qui souhaitent que nous restions la personne que les autres ont bien connue auparavant : « Mais, tu es toujours sorti(e) au ciné, pourquoi ne viens-tu plus ? Qu’est-ce que tu fais le soir ? Tchenrézi ? C’est quoi ça ? Mais tu n’es plus avec tes amis ? C’est grave ! Tu ne veux plus boire un petit coup ? Mais qu’est-ce qui se passe chez toi ? Allez, viens, viens boire un petit coup, on va faire la fête ! » C’est ce qu’exprime cette petite phrase.

Donc on parle plutôt d’une époque, d’une situation où les relations familiales étaient bien plus étroites qu’aujourd’hui. On parle d’une situation au Tibet où la famille, le clan, dominait tout. L’individu était figé à l’intérieur, comme il y a quelques siècles ici, quand on était dans une famille, on y était complètement dedans ! Les membres de la famille décidaient pratiquement tout pour l’autre. On n’avait aucune liberté. Cela a bien changé aujourd’hui et c’est un avantage pour la pratique du dharma parce qu’il y a plus d’espace. Cependant, les mêmes schémas continuent. Si nous le pouvions, nous voudrions bien influencer l’autre pour qu’il reste comme nous le connaissons ou qu’il devienne comme nous le souhaitons.

D’une manière générale, ce n’est pas la famille qui nous encourage à faire de grands pas dans le dharma et à lâcher nos tendances et nos schémas, car c’est souvent elle qui n’aime pas que nous changions. Et surtout pas que nous changions dans le but de développer des priorités différentes de celles de nos conjoints, de nos parents et de nos enfants. Parce que le dharma nous conduit à changer de priorités, il est considéré par les autres comme très dangereux. On ne peut plus contrôler une personne qui change de priorités, elle échappe à la possibilité d’être manipulée parce qu’elle ne fonctionne plus de la même façon. Elle ne va plus donner autant d’importance aux fêtes de famille, aux anniversaires, à Noël, à Pâques, etc. ; l’appât du gain et faire carrière l’intéresseront moins. Toutes ces priorités, qui sont normalement celles autour desquelles fonctionne la famille, ne seront plus aussi importantes. C’est comme si ce contrat silencieux, établi dans la famille, n’était plus respecté : « Fais ce qu’on te dit, ne crée pas de perturbations et respecte les mêmes priorités qui ont été respectées chez nous depuis toujours ».

Depuis toujours, cela veut dire depuis que les parents existent. Celui qui s’éloigne de ces priorités et en développe d’autres, crée des tensions dans la famille, jusqu’à provoquer des disputes fortes. Des clashs se produisent à cause d’un changement de priorités. Le dharma est là pour que nous changions de priorités et que nous ne donnions plus d’importance à cette vie-là et ses petits bonheurs, mais que nous nous préparions pour la mort et pour ce qui est après. Du point de vue du dharma, la mort (si notre esprit y est bien préparé) est beaucoup plus importante qu’avoir vécu une vie aisée à l’issue de laquelle nous mourrons avec de nombreux attachements, des chagrins, des regrets, etc. Cela nous met en contradiction avec la famille, avec le pays natal, notre environnement naturel.

Ce pays natal est décrit comme « une prison démoniaque ». Les démons (du en tibétain, mara en sanscrit), sont des forces qui obstruent l’éveil, qui font barrage au développement de la pratique. Donc, tout ce qui s’oppose à l’éveil (les mara) est extrêmement actif dans notre pays (ou région) natal. Il faut en être conscient. Bien sûr, on parle d’une situation où ces obstacles étaient typiquement présents, il y a un siècle ou deux. Aujourd’hui, surtout si vos conjoints pratiquent aussi le dharma ou si la famille est très ouverte, cela peut être différent, voire être le contraire, nous pouvons même être encouragés à changer. Mais ici, on parle de la situation typique et dans celle-ci, on doit gagner des possessions, etc.

« Des possessions gagnées au prix de nombreuses souffrances et l’hypocrisie qui ne donne pas de joie ». Nous faisons tout pour acheter encore une maison, une voiture, pour accroître le patrimoine, avoir des comptes en banque bien remplis ou des crédits bien sages qui font que nous ne payons ja­mais d’impôts ! Nous faisons tout pour gagner, gagner, gagner et devenir plus riches. Évidemment, il y a ceux qui n’y arrivent pas, mais tous essaient quand même. Le prix à payer pour ces possessions, pour ces richesses, est d’avoir beaucoup de soucis. Ce sont des heures et des heures, des jours et des jours, des mois et des mois passés dans la recherche de biens, à vouloir gagner plus, à faire du profit. Du point de vue du dharma, c’est du temps perdu parce que c’est du temps investi dans la saisie égoïste, il n’y a pas la motivation de la bodhicitta là-dedans. Cette attitude-là (passer tout son temps à la recher­

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che du profit), va donc à l’encontre de la pratique du dharma parce qu’elle augmente la saisie égoïste, les identifications. De plus, il faut être hypocrite pour y arriver ; il faut toujours prétendre être gentil, intéressé par le bienfait des autres, tout faire pour notre famille et notre pays, etc., mais finalement nous ne sommes motivés que par notre propre bienfait. Cela est hypocrite.

L’hypocrisie se rencontre aussi dans la pratique du dharma : nous pouvons prétendre être un pratiquant du dharma et être encore motivés par notre bienfait personnel. Cela aussi c’est de l’hypocrisie. En effet, cette hypocrisie se manifeste souvent au travers d’une attitude qui essaie de vendre nos défauts comme des qualités. Nous disons carrément à nos enfants : « Écoute mon fils, il faut faire comme cela. Moi je te donne l’héritage, tu auras un bon héritage, mais tu dois tout faire pour l’agrandir ! Tu feras comme moi, il faut être un homme fort dans la vie, il faut avoir du succès ! » Et nous commençons à lui vendre nos ambitions, notre orgueil, nos peurs, les peurs de ne pas posséder assez de biens. Nous commençons à vendre cela comme des qualités, mais finalement c’est juste notre incapacité à nous satisfaire de ce que nous avons. Nous commençons à vendre cette incapacité, nos défauts moraux et éthiques à nos enfants et à tout notre entourage. Et dès que nous entrons dans le dharma, si nous persistons dans ce même genre d’attitudes, c’est-à-dire à vendre le dharma comme de la compassion, des actes bénéfiques pour les autres, cela aussi c’est de l’hypocrisie.

Donc, « ces trois choses ne vont pas avec le dharma ». Il faut quitter la recherche de plaire à ses proches. Nous nous occuperons bien de nos responsabilités en tout amour, mais ce n’est pas pour plaire aux autres. Nous n’allons pas fonctionner dans les mêmes schémas qu’eux, nous allons quitter la recherche des possessions parce que cela « bouffe » notre temps et augmente la saisie égoïste ; nous allons tout faire pour ne pas être hypocrite, pour parler vrai, pour parler de nos peurs et de notre orgueil au lieu de les vendre comme des qualités.

Si nous faisons ces trois-là :

• sortir de nos obligations envers la famille tout en respectant nos responsabilités,• sortir de cet esprit profiteur,• sortir de cette hypocrisie qui ne donne de la joie à personne, qui ne nous réjouit pas et ne

réjouit pas les autres parce qu’elle est creuse,

à ce moment-là nous aurons déjà fait un grand voyage. Si nous pouvons sortir de ces trois-là, nous aurons fait un grand pas dans le dharma, parce que nous nous créerons une situation d’authenticité dans laquelle nous développerons le contentement. Nous serons libres pour la pratique.

Septième enseignement

Il nous reste à examiner les derniers vers qui vont conclure ce chant et les quelques conseils supplémentaires destinés à Zangri Répa (après ceux-ci, Zangri Répa ne devrait plus partir en voyage !)

« Soupirer après des conjoints qui n’arriveront jamais,Donner son cœur aux enfants qui deviennent des ennemis Et vagabonder sans but jusqu’au bout du monde,Ces trois choses ne vont pas avec le dharma.Même moi je les ai abandonnées Et ce serait bien si toi aussi tu leur tournais le dos. »

« Soupirer après des conjoints qui n’arriveront jamais ». Bien sûr, des conjoints arrivent et nous faisons beaucoup de souhaits pour en trouver. Aussi, nous les trouvons. Seulement, nous nous imaginons qu’avec l’arrivée de notre conjoint, tout va changer en mieux. Pourtant, cela ne se passera jamais ainsi parce que notre karma n’a pas changé du fait que nous avons rencontré un partenaire. Si nous n’étions pas heureux auparavant, trouver un conjoint nous rendra heureux quelque temps, mais le karma toujours présent causera des difficultés. Même avec le meilleur des conjoints il y aura encore des problèmes du fait que nous projetons nos propres émotions à l’extérieur. Donc, nous ne pouvons même pas voir qui est en face. Nous sommes dans ce jeu de notre propre vision karmique. Voilà

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pourquoi Gampopa parle de manière condensée et dit : « Ces conjoints (idéals) que tu désires tellement n’arriveront jamais ». Il faut comprendre cette petite phrase dans le sens : « Ton rêve ne sera jamais comblé ». Zangri Répa était probablement un homme laïc, qui n’avait pas pris les vœux de chasteté et peut-être souhaitait-il faire un petit voyage pour trouver une compagne. Ceci nous ne le savons pas, mais il pourrait bien en être ainsi.

Imaginons que nous trouvions un conjoint qui soit un bouddha – ou une femme bouddha. Même avec ce conjoint-là, qui est au-delà de toute saisie dualiste, la vie pourrait être l’enfer pour nous, parce que nos projections vont continuer comme auparavant : le désir, l’attachement ou l’aversion seront très forts, nous aurons le sentiment de ne pas nous sentir compris ou entendus, l’autre n’aura pas assez de temps à nous consacrer… Tout cela continue. Seulement, à côté d’un être éveillé qui ne va pas ajouter de l’huile sur le feu, le feu de notre karma va continuer à brûler et nous aurons une pratique à faire. Nous avons entendu des femmes qui vivaient avec des grands maîtres et ce n’est pas toujours facile pour elles. Le miroir de la présence éveillée est là, tellement clair que nous ne pouvons pas nous cacher, dès qu’il y a un petit attachement, nous sommes renvoyés à nous-mêmes. Cela ne doit pas être facile d’être la femme ou l’homme d’un être éveillé. Donc, arrêtons ce rêve de penser trouver le conjoint idéal qui nous rendra heureux.

Nous sommes encore dans l’illusion en pensant trouver le bonheur à l’extérieur, en pensant que le monde pourrait nous rendre heureux ; c’est l’illusion de base de tout samsara. Tant que je cherche le bonheur à l’extérieur et non pas dans mon propre esprit, je suis un être qui n’a rien compris de la ma­nière dont fonctionne le samsara. Ce souhait de trouver le bonheur à l’extérieur est un rêve qui ne va jamais s’accomplir ou s’exaucer, car la seule possibilité pour trouver le bonheur à l’extérieur, c’est que nous l’ayons déjà à l’intérieur ! Nous avons d’abord besoin de faire ce travail sur nous-mêmes, sur nos tendances, de développer un lâcher-prise profond, une détente, une ouverture du cœur, de l’amour et de la compassion et ensuite nous verrons qu’à l’extérieur, les gens deviennent de plus en plus faciles. Nous nous disons : « Mais qu’est-ce qu’ils changent ! » Par la suite, nous nous rendons compte que c’est notre propre changement qui est reflété à l’extérieur. Nous commençons à voir les qualités des autres au lieu de nous fixer sur leurs défauts, leurs manquements ou leurs faiblesses. Et parce que nous avons une vision positive des autres, ils nous renvoient aussi beaucoup de positivité et cela devient beaucoup plus facile de vivre avec les gens, même ceux avec lesquels nous avons eu des problèmes auparavant.

Q : Comment s’imaginer cette situation, quand quelqu’un est un miroir parfait pour nous ? (Je souhaite encore rencontrer un bouddha comme conjoint !) Qu’est-ce qui est tellement dangereux dans cette relation ?

R : Nous avons évidemment beaucoup appris de Guendune Rinpoché. Quand nous entrions dans sa chambre, nous étions remplis de dévotion, nous voulions montrer notre dévotion, nous nous prosternions. Puis nous regardions… et nous constations : « Encore une fois je suis artificiel ». Parfois, il faisait juste un petit geste et il nous imitait un instant ; ou bien nous arrivions avec nos grands pro­blèmes, une grande question et c’était lourd ! Il nous regardait et disait : « Mais, où est le problème ? » Et là, – c’était naturel pour lui – il ne faisait rien, mais il ne comprenait pas pourquoi nous dévelop­pions une telle saisie. C’est cela le miroir constamment présent. Nous pouvons bien souhaiter être dans la présence continuelle d’un tel miroir, mais cela veut dire que nous aurons chaud et froid, froid et chaud, que nous devrons lâcher constamment. C’est comme lorsque nous nous rapprochons d’un feu, d’une source de chaleur : il faut savoir combien de degrés nous pouvons supporter. Au début, après une demi-heure passée avec Guendune Rinpoché en échange direct, nous avions bien envie de prendre un peu de recul et (longue expiration) de pouvoir respirer calmement avant que la prochaine situation se reproduise. Puis, avec le temps, nous pouvions bien sûr rester près de lui, parce que l’artificialité était partie et que nous nous sentions à l’aise, cependant certains moments n’étaient pas confortables.

Q : (inaudible). Il est connu que les cuisiniers des grands maîtres avancent vraiment très vite. Si notre souhait était dirigé vers l’éveil.

R : C’est exact. Si nous acceptons l’autre comme étant vraiment un maître éveillé, nos aspirations iront dans la direction de l’éveil. C’est déjà une bonne base pour cette relation. Si en plus nous acceptons, pour tout ce qui se manifeste, de ne jamais blâmer l’autre, de ne jamais chercher la

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faute de l’autre, mais de toujours regarder en nous, de toujours voir de notre côté, notre saisie, c’est très bien. Troisièmement : parmi les cuisiniers des êtres éveillés, peu ont atteint l’éveil, il y en a quelques-uns ! Quatrièmement : être cuisinier, ce n’est pas la même chose qu’être le conjoint ! Donc, il faut bien savoir à quelle proximité on prend le feu !

Nous allons contempler la question suivante : « Regarder, voir le partenaire, le conjoint, comme un bouddha, qu’est-ce que cela va changer dans notre relation ? »

– Méditation –

Alors, qu’est-ce que cela change ? Est-ce que c’est faisable ?

(Participant) : « Je suis resté sur cette contemplation : si mon partenaire était un véritable bouddha, alors ce ne serait pas une relation conjugale habituelle, parce que ce bouddha serait constamment dans son activité pour le bien des autres et n’aurait pas cette vision de se concentrer sur une personne, unique, spéciale, dans la vie. Et bien sûr, ce serait aussi tout un encouragement à pratiquer constamment. Il ne faut pas rester dans l’idée qu’il s’agirait d’une relation habituelle. »

Ma proposition n’était peut-être pas très claire. Il fallait imaginer que notre conjoint de maintenant est un bouddha. Cela veut dire le regarder comme Tchenrézi par exemple, toujours penser à sa nature profonde comme étant plus importante que tout le reste et regarder ce que cela pourrait changer.

(Participant) : « Ce qui m’est venu, c’est juste une pensée : servir, servir le maître, servir l’autre par une forme d’écoute, d’ouverture. Effectivement, même si le partenaire n’est pas encore un bouddha, quand il y a un problème, voir le côté par lequel il est le lama – miroir pour nos projections – et ce n’est pas facile. »

Tu as touché deux points très importants : 1) Avoir l’attitude de rendre service, de servir l’autre, d’être disponible pour l’autre et de travailler avec tout ce qui s’élève comme étant son propre travail et non pas avoir une attitude où l’on considèrerait que l’autre devrait changer. Là, le miroir commence à devenir plus clair aussi. 2) Regarder les qualités chez l’autre et les problèmes chez soi, sans penser que quelque chose doit changer dans la relation.

(Participant) : « Cela voudrait dire qu’il faut voir aussi en même temps le bouddha en soi-même. On ne peut pas seulement regarder le bouddha dans l’autre, il faut aussi pratiquer Tchenrézi par exemple en soi-même, sinon cette relation deviendrait impraticable. »

(Participante) : « Quand j’ai contemplé cette vision de regarder l’autre comme un bouddha, j’ai touché une grande ouverture. Je me sentais très ouverte, cela donnait une toute autre dimension à la relation et j’ai aussi touché une bienveillance qui s’est élevée en moi grâce à cette vision. »

Nous allons arrêter là. Ce sont juste quelques indications, mais ce serait très utile d’essayer dans cette direction.

Gampopa continue son chant et ce n’est pas non plus un sujet facile : « Donner son cœur aux enfants qui deviennent des ennemis ». Il est assez réaliste. Il ne rêve pas. On dit : « Oh, mon petit bébé, mon chéri ! » Et ce petit bébé, dix-huit ans plus tard, comment parle-t-il de sa mère ? Comment parle-t-il de son père ? Quelles sont nos propres projections sur nos parents ? Comment étaient-ils peut-être à l’âge de seize ou vingt ans ? Qu’avons-nous pensé de nos parents ? Très souvent, les enfants dont les parents se sont occupés pendant longtemps, se retournent contre leurs parents. Il y a beaucoup de cassures dans les familles.

Il arrive souvent aussi que ce ne soit pas seulement les parents qui figent les enfants dans un rôle, mais que les enfants projettent un rôle sur les parents et ne veulent pas qu’ils changent. Là aussi il y un empêchement à la pratique du dharma. Souvent, les enfants ne veulent pas que les parents pratiquent le dharma. Ils sont devenus des ennemis au niveau émotionnel et ennemis au niveau du dharma (ennemis de la pratique). Il est possible que cet être cher, notre propre enfant, se transforme en toute autre chose. Donc, Gampopa veut nous dire : ne sois pas naïf ; ne cherche pas à fonder une famille avec des enfants, en toute naïveté. Sois conscient que la manière dont ton enfant va se

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développer ne dépend pas seulement de ton amour. Cela dépend de ses tendances karmiques, de son karma ; tu n’as pas toutes les possibilités de faire de ton enfant ce que tu veux, c’est un être indépendant, avec son propre karma. Ne surestime pas l’influence que tu pourrais avoir sur lui. Donc, respecter que les enfants aient leur propre karma et que l’on ne puisse pas les modeler comme de la terre pour en faire un modèle de notre idéal, est la base d’une relation saine avec les enfants.

Quand les enfants et les parents ont un karma proche, c’est-à-dire semblable, la relation pourra continuer longtemps assez harmonieusement. Mais si l’enfant et les parents ont des karmas très disparates, très différents, là les tensions sont programmées, parce que la compréhension sera très difficile entre eux. Il faut bien prendre cela en compte quand on a le souhait de mettre des enfants au monde, parce que ce n’est pas toujours évident, même pendant les premières années.

Au cours des premières années, certains parents rencontrent déjà beaucoup de difficultés avec des enfants un peu spéciaux, qui ont un karma particulier. Ils ont beaucoup de travail de lâcher-prise à faire, ils doivent se motiver pour être là encore et encore, avec cet enfant qui est complètement différent d’eux, qu’ils ne comprennent même pas. J’ai entendu des mères me dire : « Je ne comprends pas mon enfant, il est tellement différent de la façon dont moi je fonctionne. » Il faut donc prendre tout cela en compte. Avec le développement, avec l’âge, bien sûr la différence peut devenir encore plus grande.

On constate aujourd’hui que la plus grande difficulté survient souvent à la fin de vie des parents. Quand ils deviennent âgés, les parents ont normalement besoin du soutien de leurs enfants et là, s’occuper d’eux, n’intéresse plus les enfants. Au niveau émotionnel, ils ne sont plus disponibles, ils n’ont pas l’attitude de vouloir rendre par gratitude ce qu’ils ont reçu de leurs parents. Les parents disent : « J’ai l’impression que je suis juste là comme une bourse pour mes enfants, ils ne s’intéressent qu’à mon argent, qu’à l’héritage, mais ils ne s’intéressent pas à moi. » C’est très courant et c’était déjà le cas au Tibet, au XIIIe siècle, dans une toute autre culture. On peut donc en parler comme d’un phénomène assez courant dans le monde.

Afin de sortir ses disciples de ce rêve, de cette naïveté sur ce que pourrait être une relation entre parents et enfants, Gampopa leur parle ainsi : « Oui, avoir des enfants, très bien, mais pas de manière naïve. » Ce sera une pratique, ce sera un don de nous-mêmes : nous recevons un être dans ce monde et nous ne savons pas quel cadeau nous recevons. Nous allons déballer ce cadeau au fil des ans et nous ferons avec ! Donc, il leur enlève cette naïveté de croire que c’est, par exemple, comme les deux heures que l’on passe à jouer avec ses neveux et nièces. Quand nous jouons avec les enfants, il y a des moments d’ouverture, mais ce n’est pas cela la relation entre parents et enfants ; par moments peut-être, mais à d’autres moments, non. Et donc, si jamais Zangri Répa, avait envie de fonder une famille, il serait averti de quelques difficultés.

Q : Que veut dire : ‘recevoir un enfant en cadeau’ ?

R : Recevoir ce cadeau, c’est juste une façon de parler.

Q : J’ai entendu dire que les enfants choisissent leurs parents. Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce qui est vrai ?

R : Je crois que les deux façons de parler sont un peu symboliques et un peu erronées. Les enfants ne choisissent pas vraiment leurs parents. Ce sont des êtres, dans le bardo, agités par ce qui s’y passe et qui cherchent un ancrage, une bouée de sauvetage. C’est la première bouée de sauvetage ap­paraissant dans leur vision qu’ils saisissent, bien sûr en correspondance avec leur propre karma. Ils ne voient pas les autres bouées de sauvetage, ils voient juste celles qui correspondent à leur karma. Mais ils n’ont pas le temps de vérifier si ce sont de bons parents, d’en regarder d’autres, si d’autres leur plaisent mieux, pas du tout. C’est comme si nous, nous entrions dans une salle en ayant un grand problème, que nous ayons été pourchassés, poursuivis par ce grand problème, ce grand trouble, et que nous soyons émotionnellement dans tous nos états. Nous entrons donc dans cette salle, et notre regard tombe sur une personne. En la voyant nous éprouvons le sentiment : « Ah ! Je vais pouvoir parler, je vais pouvoir m’accrocher. » Nous n’avons pas bien regardé les autres, nous nous faisons juste cette réflexion : « D’accord, c’est par là que je vais aller. » Et à ce moment-là, nous nous sentons sauvés, mais nous ne connaissons pas encore la personne, nous n’avons pas tout vérifié… ». Donc, même s’il

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y a un choix, ce n’est pas vraiment ‘choisir’. Il n’y a pas non plus de cadeau. C’est juste une façon de parler, parce que c’est bénéfique de regarder l’enfant comme un cadeau, mais personne ne nous fait un cadeau et normalement nous n’avons pas demandé ce cadeau. C’est juste une façon de voir cela avec un esprit plus ouvert. Mais il est aussi erroné de parler de cadeau que de croire que l’on choisit ses parents.

– Méditons un peu. –

La troisième phrase c’est : « Vagabonder sans but jusqu’au bout du monde, cela non plus ne va pas avec le dharma. » Vagabonder, c’est se promener sans but, d’une ville à l’autre, d’une région à l’autre, suivre les inclinations, les impulsions du moment, accepter les invitations qui se présentent sur le chemin. Pour un pratiquant ce n’est pas une grande aide. Nous pouvons considérer cette situation pendant quelque temps comme un miroir de notre karma un peu diversifié, mais finalement nous échappons toujours à l’opportunité de nous regarder vraiment en face.

Au début, quand nous arrivons quelque part, nous n’avons pas encore créé de relations de causes à effets avec les gens. Généralement, tout le monde essaie d’être gentil et avant que cela ne devienne trop difficile, nous continuons notre voyage. Comme cela nous pouvons flotter sur un nuage, dans une vie semble-t-il assez agréable, avec des contacts très intéressants. Cependant, ces contacts ne demeureront pas aussi intéressants et agréables si nous restons au même endroit tout le temps. Quand nous restons au même endroit longtemps, nous avons le retour de nos actes, de nos paroles. Et là, la pratique commence à devenir intéressante, parce qu’il va y avoir des malentendus, des jalousies, des problèmes avec le pouvoir, etc. Il faut assumer le retour de ses actes. Voilà pourquoi, afin de développer et approfondir sa pratique, il est conseillé de s’installer durablement dans un seul endroit et de ne pas bouger, ne pas chercher à éviter le retour de ses actes.

Nous pourrions penser qu’être un yogi qui se promène dans le monde de cette manière, sans saisie, c’est cela la pratique ultime. Ce pourrait être la pratique ultime, mais ce n’est pas la pratique au début et au milieu du chemin ; cela pourrait être la pratique à la fin du chemin. Si, plongés dans l’illusion d’être sans saisie, sans attachement (tout en profitant des autres), nous nous promenons sans jamais prendre de responsabilités, sans jamais vraiment vivre le retour à long terme de nos actes, nous pouvons rapidement tomber dans l’illusion d’être un grand yogi de mahamoudra. Car en effet, nous fuyons nos propres difficultés et n’avons pas développé la capacité de faire face à nous-mêmes.

Gampopa dit : « sans but ». Il ne faut pas oublier ces deux mots, parce que nous pouvons faire des voyages, nous pouvons aller quelque part ; ce n’est pas le fait de se déplacer qui est en cause, mais il faut avoir un but assez important et qui ait du sens. Nous pouvons, par exemple, nous rendre quelque part pour rencontrer un maître et rester avec ce maître ou faire un pèlerinage à un moment donné dans notre vie. Mais ne faire que cela serait une erreur. Se promener ainsi sans but, est juste le reflet d’une vie sans but. Il vaut mieux rester sur place et se donner un but dans la pratique, dans le dharma, dans la vie, et travailler jusqu’à l’atteindre.

Pour un pratiquant, rester dans un endroit, ce n’est pas nécessairement vivre dans un hameau, dans un village ou une ville, en relation avec les autres ; cela pourrait bien être aussi s’asseoir sur son coussin, pratiquer et avoir quelques relations avec les pratiquants des environs. Cela suffit en soi, c’est une situation stable. Et parce que c’est une situation stable, le miroir va être assez clair. Nous retournons encore et encore sur le même coussin, au même endroit, nous pouvons voir la différence de notre propre état d’esprit en comparaison avec la session précédente, le jour précédent, l’année dernière. Le miroir devient très, très clair. C’est cela l’idée d’une pratique stable, parce qu’il n’y a pas une dispersion, une distraction de l’esprit causée par un environnement trop changeant. Quand l’environnement change beaucoup, nous ne percevons pas assez clairement les changements de l’esprit parce que nous pensons que l’esprit a changé à cause de l’environnement. Nous ne voyons pas que l’esprit change aussi de lui-même à cause de son propre karma.

Dans la pratique du zen par exemple, il existe une école où l’on s’assoit devant un mur blanc sur un zafou noir. Rien n’est plus ennuyeux. On est devant rien, on ne peut se fixer sur rien, il n’y a rien qui change. Et là nous découvrons que l’esprit produit néanmoins continuellement des expériences, à chaque session. Il n’y a pas une seule session qui soit identique à l’autre. Nous voyons bien le cirque

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de notre esprit et de nos tendances karmiques produisant le film d’aujourd’hui, de cette session-là. Et nous ne pouvons pas projeter la responsabilité sur l’environnement qui aurait changé, sur des gens qui auraient changé. Nous sommes sur notre zafou, devant le mur, toujours le même. Ce changement se produit évidemment dans notre esprit. Maintenant, nous n’avons pas vraiment besoin d’un mur blanc pour faire cette expérience. Il suffit de nous asseoir toujours au même endroit. Même chez les Tibétains qui ont un superbe autel avec beaucoup de figurines, de thangka, des offrandes, etc., c’est jour après jour le même décor, ce n’est pas très intéressant ! Au bout de quelques jours nous ne le regardons plus. Finalement, que nous soyons devant un mur blanc ou devant un autel, ne change pas grand chose. Mais quand nous avons besoin d’inspiration pour retrouver le fil, nous regardons peut-être une photo, une thangka, nous voyons peut-être une offrande qui nous rappelle le sens de notre pratique. C’est pour cela que nous sommes assis devant un autel et non devant un mur blanc : il y a une aide. Mais rien ne change à l’extérieur, que ce soit un autel ou un mur blanc. C’est donc l’avantage de ne pas vagabonder dans le monde, de rester au même endroit et de cette manière bien pouvoir regarder nos propres tendances.

Q : Rester dans un même village, avoir des contacts avec des gens qui sont dans ce village et voir nos tendances avec les jalousies, les émotions, cela peut-il résoudre ce qui est passé ou est-ce qu’il faut retourner dans des villages où l’on a vécu, dans les endroits où l’on est passé?

R : Si tu restes au même endroit tout va se manifester, il n’y a pas besoin de retourner en arrière, tout va se manifester de nouveau avec les gens qui sont là maintenant. Les mêmes tendances se manifesteront, tout va revenir.

– Méditation –

Ceci termine le chant vadjra de Gampopa situé à la fin du trentième chapitre de sa biographie. Dans ce chapitre on voit plusieurs enseignements de différents niveaux, différents styles. L’auteur Katcheu Wangpo – probablement le IIe Shamarpa –, conclut le chapitre en disant :

« C’est ainsi que Gampopa donnait de nombreuses instructions générales et spécifiques en proses et en vers. Il tournait la roue du dharma en d’innombrables manières, toujours en accord avec les capacités et inclinations des disciples. »

Huitième enseignement : Apprendre la contemplation

Quelques points clés de l’enseignementde Gampopa

Aujourd’hui, nous allons procéder différemment par rapport aux jours précédents. Nous allons méditer et contempler ensemble des phrases clés de Gampopa. (Citations du chapitre 30).

Regardons tout d’abord la première phrase : « Par la méditation sur la mort, détourne l’esprit de cette vie. »

Vous connaissez déjà bien cet enseignement. Par un processus intellectuel de réflexion, on laisse revenir la compréhension déjà établie et on contemple son application sur soi-même. Quand on en ressent la signification pour soi-même aujourd’hui, alors on lâche l’intellect, on lâche les pensées, on se laisse glisser dans la méditation. On reste dans la compréhension calme de ce que cette phrase veut dire.

Nous procèderons de cette manière-là pour toute une succession de phrases qui sont les sommaires des quatre dharmas de Gampopa que nous venons de voir. Ensuite, nous nous attellerons à des phrases que vous ne connaissez pas encore. Là, nous verrons comment faire ce même travail avec

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un nouvel enseignement, comment découvrir le sens pour soi-même et donc ainsi faire un processus actif, créatif, sans avoir autant besoin d’un lama pour toujours tout nous expliquer.

Chaque fois je lis la phrase, puis je sonne le gong. Nous réfléchissons dessus, nous contemplons l’application sur nous-mêmes, sur cette vie même et nous nous détendons dans la méditation.

« Par la méditation sur la mort, détourne l’esprit de cette vie. »

– Méditation –

« Par la méditation sur l’impermanence, détourne l’esprit de tous les aspects du samsara. »

– Méditation –

« Par la méditation sur les défauts du samsara et des liens de causes à effets karmiques, dé­tourne l’esprit de tous les défauts. » Vous ne connaissez peut-être pas le sens du mot « défauts » ici : ce sont les tendances égoïstes, les tendances émotionnelles.

– Méditation –

« Par la méditation sur l’esprit d’éveil, l’amour et la compassion, détourne l’esprit de l’aspiration vers une paix et un bien-être personnel. » « Bien-être personnel », cela veut aussi dire : nirvana personnel.

– Méditation –

« Par la méditation sur la vacuité de tous les phénomènes, détourne l’esprit de la fixation sur une réalité imaginée et sur des caractéristiques. » « Les caractéristiques », c’est le côté superficiel des choses, leurs caractéristiques extérieures sur lesquelles on peut se fixer comme étant réelles.

– Méditation –

C’était donc un sommaire de ce que nous avons vu sur les quatre dharmas de Gampopa, les premiers jours. Est-ce que votre compréhension intellectuelle a pu suivre ? Est-ce que vous avez eu un souvenir de ce qui a été expliqué ?

Question : Par : « Détourne l’esprit » qu’est-ce que Gampopa a voulu dire ?

C’est la question à se poser quand nous ne comprenons pas. Il faut se demander : « Pourquoi parle-t-il comme cela ? » « Qu’a voulu dire Gampopa à cet endroit-là avec lo dog gueu ? » – Chaque phrase se termine en tibétain avec lo dog gueu : « il est nécessaire de détourner son esprit. » ‘Détourner’ signifie : tourner dans une autre direction. Que veut-il dire exactement ?

Si nous sommes coincés, que pouvons-nous faire dans la méditation, dans la contemplation ? Que pouvons-nous faire pour ouvrir la porte de la compréhension ? Se détendre ? Prier le lama ? Personnellement, ce que je fais, ce qui marche très bien, c’est de prier l’auteur même de cette phrase : « Gampopa, qu’est-ce que tu veux dire avec cela ? Pourquoi le dis-tu de cette manière ? » Après cette prière, la deuxième attitude est de se détendre et lâcher prise. Nous pouvons aussi attendre qu’une réponse arrive, mais peut-être ne viendra-t-elle pas tout de suite, peut-être viendra-t-elle le lendemain matin ou plus tard. Il faut d’abord adresser la prière qui stimule notre sagesse, notre lien avec la lignée pour trouver ensuite la réponse.

Nous allons contempler tous ensemble la question : Pourquoi Gampopa nous dit-il de « détourner l’esprit » ?

– Méditation –

Alors que pensez-vous maintenant ? Est-ce que quelque chose s’est élevé ?

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Réflexion : Ce qui s’est élevé, c’est l’impression que c’était un langage, une parole de com­passion par laquelle Gampopa aimerait nous toucher.

Quand nous déchiffrons une telle phrase dans notre pratique, nous examinons chaque mot. Ici le mot « esprit » pourrait poser des problèmes. Parce que là, on ne parle pas de cet esprit qui ne peut pas être défini, qui est au-delà des descriptions. On parle d’une attitude d’esprit. « Détourner l’esprit » veut dire : « donner une nouvelle direction à l’attitude de notre esprit ». Ainsi, grâce à un processus de réflexion, cette partie de la phrase est devenue claire. C’est la manière de procéder dès que nous tombons sur une phrase qui nous intéresse dans le dharma : nous prenons chaque mot et mâchons la phrase jusqu’à ce qu’elle rende tout son « jus » ; alors cela devient clair et nous commençons à sentir le goût de ce que Gampopa voulait exprimer. Si nous n’en sommes pas complètement sûrs, s’il reste encore un doute, nous pouvons continuer la méditation-contemplation, mais il nous faudra peut-être aussi vérifier avec le lama si notre compréhension est juste. Nous avons déjà fait le travail, mais ce travail permet que le dharma trouve son chemin à l’intérieur, qu’il ne reste pas à l’extérieur sur le papier et qu’une compréhension s’élève.

– Méditation –

Est-ce que votre compréhension intellectuelle, la compréhension que nous avons développée les jours précédents, vous a servis pendant cette contemplation ?

Quelques réponses :

• R : Le temps pour rentrer vraiment dedans était beaucoup trop court.

• R : Grâce au fait que dans les pudja, surtout le matin, nous faisons ces mêmes contemplations pendant quelques minutes, nous nous habituons et nous trouvons plus rapidement l’entrée dans la pensée.

D’ailleurs, je vous conseille de garder ces phrases-là, de les recopier et de les mettre dans votre texte de pratique, parce que de cette façon vous pouvez, en commençant la pudja de Gampopa, méditer les points clés avec ses propres paroles.

Katcheu Wangpo dit : « Dans les enseignements tels que ceux-ci, Gampopa a rassemblé les points clés de la pratique qui unissent la méthode et la sagesse pour les pratiquants ordinaires. » Par méthode, il faut toujours comprendre la compassion, les méthodes pour aider les êtres.

Maintenant nous allons essayer un processus de réflexion, contemplation et méditation, avec des phrases plus difficiles dont Katcheu Wangpo dit : « Dans les enseignements tels que ceux-ci, il enseignait l’union de la méthode et de la sagesse pour les pratiquants extraordinaires. »

Q : Que veut dire « extraordinaires » ?

R : Il utilise cet adjectif parce que ces conseils sont donnés pour des êtres qui ont déjà réalisé la nature de l’esprit, ce qui les rend un peu extraordinaires. Ils ne sont plus ordinaires. Si nous regardons, nous verrons que ce n’est pas si évident de se mettre dans cet état d’esprit, parce que cela veut dire que nous aurons la capacité d’avoir un aperçu de ce que cela pourrait être d’avoir un esprit déjà libéré. « Ordinaire » désigne ceux qui ont encore besoin de se sauver eux-mêmes du samsara et « extraordinaire », ceux qui se sont déjà sauvés eux-mêmes et qui peuvent véritablement aider les autres. « Ordinaire », veut aussi souvent dire dans les textes : le véhicule inférieur, dans le sens de la libération personnelle ; et « extraordinaire » : les bodhisattvas, ceux qui ont la bodhichitta. Mais on devient un véritable bodhisattva à partir du moment où l’on est libre déjà soi-même du cycle des renaissances. Il ne faut pas maintenant entrer dans un jeu d’une projection communiste : « Mais qu’est-ce qu’ils font ? Ils parlent de deux classes d’êtres, etc. » C’est simplement pour toucher notre orgueil. Personne ne veut être ordinaire et nous nous retrouvons chaque fois dans la catégorie ordinaire et chaque fois notre orgueil prend une petite claque.

Alors, nous allons nous jeter à l’eau, nous allons plonger et regarder ce que sera notre compréhension spontanée de la phrase suivante. N’oubliez pas : peut-être qu’avec une petite prière à Gampopa, la compréhension pourrait devenir plus facile !

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« Même quand tu réalises ton propre esprit comme Bouddha, n’abandonne jamais le lama maître vadjra. »

– Méditation –

Il y aura toujours parmi nous quelques personnes pour lesquelles le temps ne sera pas assez long et d’autres qui seront soulagées par le son du gong, parce que leur esprit commence déjà à vagabonder. Il faut faire un compromis. Si une compréhension assez spontanée, assez rapide s’élève, il faut aller plus profondément dedans. Nous devons méditer la phrase encore et encore, et cela prend du temps. Mais je suis presque sûr que dans cette salle il y a une compréhension de cette phrase. Donc, dites-moi ce que vous avez pu comprendre ? Qui veut commencer ?

• Ne pas abandonner le lama, c’est un engagement envers tous les êtres, n’est-ce pas ?

Oui, c’est comme si le maître vadjra était le garant de cet engagement envers tous les êtres.

• Je me souviens de cette instruction que Milarépa a répétée à Gampopa lors d’un rêve : « N’abandonne jamais le maître vadjra, même si tu es déjà très loin sur le chemin, très avancé », et je retrouve ce même enseignement ici.

Pourquoi Milarépa a-t-il tellement insisté sur le fait que Gampopa inscrive cet enseignement dans son cœur ?

• Même quand on est aussi réalisé que cela, il y a toujours le risque de développer de l’orgueil.

D’autres remarques ?

• A partir du moment où l’on réalise la nature de l’esprit, le lama intérieur se manifeste pleinement, aussi, l’on aura tendance à se comparer avec le maître vadjra. Par orgueil, on peut se croire au même niveau que le maître vadjra et quand on fait cela on se crée des obstacles parce qu’on oublie le lama.

Tout ce qui a été dit est correct, il n’y a rien à commenter. Nous allons contempler encore une fois avec cette compréhension. Nous allons nous nourrir de ce qui a été dit pour comprendre encore mieux la phrase :

« Même quand tu réalises ton propre esprit comme Bouddha, n’abandonne jamais le lama maître vadjra. »

– Méditation –

Maintenant, nous allons regarder notre prochain « koan ». Un koan, dans le zen, est une phrase ou question dite par un maître éveillé. Ce maître nous la donne à contempler, méditer, jusqu’à ce qu’une compréhension s’élève. Nous pourrions dire que toutes les phrases du dharma que nous ne comprenons pas tout de suite sont comme des koan, il faut pratiquer avec. Il faut bien les mâcher jusqu’à ce qu’elles donnent leur jus. C’est ce que nous allons faire avec la prochaine phrase.

• Dans le zen il y a un koan, qui est : « Si tu rencontres le Bouddha, tue-le ». Cela m’empêche de comprendre ce que le lama, finalement, peut être pour moi. Je ne comprends pas bien.

Médite alors là-dessus. Tu as une question, tu la contemples. Tu as deux instructions qui semblent être paradoxales ou contradictoires. Pose-toi avec ces deux instructions jusqu’à ce que tu arrives à une compréhension. Aujourd’hui je ne vais pas donner la réponse, parce que nous sommes en train d’apprendre comment gérer nous-mêmes les points difficiles dans l’enseignement. Tu as bien raison, ce que dit le koan d’une part et Gampopa d’autre part, semble contradictoire. Tu verras par ta contemplation, que les deux vont très bien ensemble, mais je ne vais pas les expliquer. C’est à toi de méditer là-dessus jusqu’à ce que tu comprennes. Je donnerai peut-être la solution un autre jour.

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Continuons notre exercice de contemplation avec la prochaine phrase : « Même quand tu réalises les apparences comme ton propre esprit, n’arrête jamais d’accumuler les racines de vertu conditionnée. »

– Méditation –

Qu’est-ce que cela veut dire ?

• Pour moi, c’est dépasser la séparation entre les deux bodhicitta (qui sont de précieux outils pour arriver à la bouddhéité). Le fait de méditer uniquement sur la sagesse lorsqu’on n’est pas encore un bouddha, c’est comme si on prenait un risque, celui d’être coupé de la manifestation. Donc, continuer de regarder la souffrance du samsara et accumuler des racines de vertu conditionnée, c’est rester en contact avec l’engagement du bodhisattva. Les deux types de vertu (ultime et relative) étant non séparés.

• Je suis tombée sur cette phrase : « les racines de vertu conditionnée ». Au début je ne comprenais pas, puis je me suis dit : on commence par cela, on accumule de la vertu conditionnée et après, peut-être s’ouvre une dimension illimitée. Il y avait donc l’intuition que, du fait de rencontrer cette dimension illimitée, peut-être notre attitude vis-à-vis de l’accumulation conditionnée, limitée, pourrait changer et qu’il y avait quelque chose à regarder là-dedans.

• La vertu conditionnée m’a beaucoup inspirée. Il y a quelque chose là-dedans qui est communicatif, qui est touchable et qui nous permet de faire des expériences. Et l’autre niveau, la bodhichitta ultime, n’est pas si facile à communiquer et à toucher. Cela m’a touchée au niveau d’une compassion concrète. Je me souvenais d’une petite situation un soir où Guendune Rinpoché vidait les bols, jetait l’eau dehors, comme c’était beau, j’ai expérimenté quelque chose comme une joie. C’était pour moi une communication, une possibilité de faire une expérience avec un maître.

• Je vois le danger d’abandonner le relatif et aussi la dualité importante que je faisais entre le relatif et l’ultime.

D’autres compréhensions ?

• Je me souviens d’un enseignement, sur les prières de souhaits, où il est dit que même les bouddhas continuaient à faire des offrandes, des accumulations extraordinaires pour le bien de tous les êtres. Donc cela continue, même après avoir réalisé la nature de l’esprit, il n’y a pas l’abandon d’une accumulation vaste pour le bien de tous.

• J’ai découvert que du fait que le bodhisattva sur son chemin, c’est-à-dire sur le plan relatif, accomplit beaucoup d’actes relatifs en relation avec les êtres, il crée des liens, des contacts qui lui permettront le jour où il atteindra la bouddhéité, de pouvoir œuvrer pour ces êtres et les stimuler pour développer la compassion et la sagesse.

Ces conseils-là, qui sont normalement destinés à des pratiquants avancés, il faut les donner assez tôt, parce que déjà, tout au début de notre chemin, quand nous ne sommes pas des pratiquants réalisés, nous commençons à créer des petites idées erronées dans notre esprit, par exemple privilégier l’ultime par rapport au relatif et dire : « Oui, je dois suivre le lama et le maître tant que je n’ai pas réalisé mon esprit, mais quand je l’aurai réalisé, là je serai libre. » Ces pensées sont déjà là aujourd’hui. Voilà pourquoi dès maintenant, il faut donner ces instructions sur l’union de la méthode et de la sagesse, de la compassion et de la sagesse. Il faut donner les instructions pour les pratiquants avancés dès maintenant, afin d’unifier notre esprit et pour que plus tard sur notre chemin, nous n’ayons pas de grandes erreurs à corriger. Il y aura seulement à corriger ces tendances qui se manifestent actuellement et nous y arriverons assez rapidement, parce que l’enseignement aura été donné assez tôt.

Encore une petite remarque pour qu’il n’y ait pas de malentendus : ces enseignements sont donnés par Gampopa à des pratiquants qui ont réalisé la nature de l’esprit, mais qui ont encore un long

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chemin à faire jusqu’à la bouddhéité. Ils ne sont pas pour les bouddhas. Eux, ont corrigé toutes ces erreurs, c’est pour cela qu’ils sont des bouddhas.

Neuvième enseignement

J’aimerais commencer aujourd’hui par une petite contemplation-méditation avec vous où chacun réfléchira sur la motivation qui l’a amené ici. Pourquoi suis-je ici et pourquoi est-ce que je souhaite recevoir ces enseignements ? Utilisons ce moment-là pour développer la motivation la plus profonde, la plus juste pour cet enseignement, qui sera peut-être une motivation de bodhichitta.

– Méditation –

Êtes vous prêts à continuer le travail que nous avons commencé hier ? C’est du travail pour vous ! Ce n’est plus le lama qui donne tout alors que, nous absorbons tout simplement la nourriture. Maintenant nous apprenons à préparer la nourriture nous-mêmes.

J’ai souvent l’impression qu’il y a une attitude de consommateur dans le public qui vient aux enseignements et même un manque d’appréciation pour l’enseignement. Ou pire : on vit à côté d’un centre et on ne vient même pas. On y va seulement quand on a envie de passer un petit moment sympathique. Mais on n’a pas vraiment cette soif pour les enseignements, cette soif basée sur la compréhension de la véritable nécessité de recevoir ces enseignements pour sortir du samsara. On agit comme si on avait du temps devant soi. Les mois, les années passent et on est encore dans cette attitude de consommateur : quand j’ai envie, j’allume la télévision ; quand je n’ai pas envie, j’éteins et idem pour les enseignements. Par cette attitude, il n’y a pas de véritable engagement à vraiment vouloir tout comprendre, à aller jusqu’au bout du chemin et à se sortir de ses difficultés. Il y a toujours cette illusion qu’on a encore du temps : « Si je n’y vais pas ce dimanche-là, je vais y aller la semaine prochaine ou plus tard, de toute façon les enseignements se répètent toujours ». Mais cela ne se répète jamais ! C’est toujours un autre enseignement, même si c’est le même thème. Ceci est une attitude vraiment paresseuse qui est un grand obstacle pour le chemin. De cette façon, on peut vivre près du dharma et ne pas faire son chemin. Si l’on vient avec cette attitude à l’enseignement, il ne va pas vraiment faire son chemin à l’intérieur parce que la motivation n’est pas juste, on n’a pas vraiment soif. On prend, on consomme comme on consomme un film à la télévision.

Dans cette attitude, il y a aussi un manque de générosité : on donne souvent moins pour venir à l’enseignement que ce qu’on paierait pour aller au cinéma ou au restaurant avec des amis. Ceci montre déjà que quelque chose n’est pas correct dans l’attitude et c’est pour cela que j’aimerais vous stimuler vers un travail plus actif dans le dharma.

Si vous êtes face à l’enseignement et que vous ne comprenez pas ou que vous n’en comprenez que la moitié, c’est parce que vous n’avez pas pratiqué, vous n’avez pas assez étudié, réfléchi, pas assez contemplé, pas assez médité. Il y a des manques. Quand on vient aux enseignements c’est souvent par fascination. On aime bien l’enseignant, sa façon d’enseigner le dharma nous fascine, puis quand on sort et que quelqu’un d’autre nous demande : « Qu’est-ce qu’il a enseigné ? » « De quoi a-t-il parlé ? », on n’est pas capable de dire, même brièvement, quelque chose de cohérent sur ce qui a été enseigné. On n’était pas vraiment là, on n’a pas vraiment pris l’enseignement dans son cœur. On était là, en admiration devant le lama ou peut-être même pire en se disant simplement : « Oui, c’était assez intéressant et c’était mieux que rester à la maison à regarder la télévision ». Et après on sort, on revoit ses copains et la vie ne change pas. Cela ne changera qu’avec un travail personnel, une application personnelle de l’enseignement.

Nous allons encore une fois contempler la phrase : « Même quand tu réalises ton propre esprit comme Bouddha, n’abandonne jamais le lama maître vadjra. » Qu’est-ce qui, en moi, ferait que je pourrais peut-être abandonner le lama ? Que veut dire « abandonner le lama ? » C’est notre tâche de trouver la clé pour cette compréhension. Quelles tendances en moi puis-je voir pour qu’il soit nécessaire de me donner un tel enseignement ?

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– Méditation –

Cette phrase pourrait signifier beaucoup de choses. Pour moi, cela voudrait dire entre autres, de continuer à appliquer les conseils, les enseignements donnés par mon lama, tout au long de ma vie, même s’il n’est plus là ; de toujours me rappeler chaque mot qu’il a prononcé et voir ce que cela veut dire maintenant, dans ma situation. Même si beaucoup de gens font notre éloge, sont convaincus que nous sommes super – et si nous aussi nous sommes convaincus que nous avons bien compris, que nous sommes super – il faut garder le maître vadjra au cœur, s’endormir avec, se réveiller avec et dans tous nos actes être en accord avec les indications que nous avons reçues de notre lama. C’est grâce à une telle attitude, qu’une lignée de transmission peut fonctionner, parce que le lama qui donne ses conseils à un disciple qui les garde vraiment dans le cœur, peut être sûr que ce disciple va continuer de la bonne façon, va transmettre correctement les enseignements à ses propres disciples. Et ensuite, après avoir vraiment suivi toute sa vie les instructions de son lama, on donne aussi les instructions à suivre pour toujours, à ses propres disciples. De cette manière, l’authenticité est préservée dans la lignée. Chacun abandonne la saisie de vouloir agir comme il le veut, comme il le souhaite, mais agit comme le maître éveillé, comme le maître authentique a conseillé de le faire. Là, on est sûr de rester sur le bon chemin.

Pour garantir l’avenir de la lignée, Gampopa a dit ces phrases et a souhaité que ses disciples les inscrivent dans leur cœur et les gardent en eux pour toujours. Et ses disciples ont écrit ces phrases pour que ces conseils se transmettent aussi dans le futur, à d’autres disciples. Donc nous, quand nous les lisons, nous les prenons comme si c’était notre propre lama qui nous les aurait dites. Nous les comparons bien sûr avec ce que nous avons reçu directement. Ces instructions-là sont devenues des instructions clés de la lignée Kagyu, elles garantissent qu’il n’y aura pas d’erreurs, pas de déviations. De telles instructions écrites, nous n’en n’avons pas des milliers, là c’est un choix des instructions les plus importantes.

Méditons la prochaine phrase, encore une fois : « Même quand tu réalises les apparences comme ton propre esprit, n’arrête jamais d’accumuler les racines de vertu conditionnée. » Qu’est-ce qui pourrait faire que j’abandonne l’accumulation d’actes bénéfiques ? Qu’est-ce qui pourrait faire que je réduise mon activité bénéfique ? Pourquoi ce conseil est-il nécessaire ?

– Méditation –

Je crois que le problème ne se posera pas seulement quand nous aurons réalisé les apparences comme notre propre esprit. Je crois que nous connaissons bien cette attitude de sous-estimer les actes conditionnés. Nous sommes déjà dedans. Nous n’avons pas besoin d’attendre d’avoir réalisé la nature de l’esprit pour tomber dans la paresse. Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, il y a beaucoup d’instants dans une journée où nous préférons rester tranquilles au lieu de faire un petit quelque chose pour les autres ou de pratiquer formellement. Nous préférons nous distraire plutôt que de faire ce qui est bénéfique. Si nous regardons bien, hier il y a eu de nombreux instants où nous avons préféré notre propre bien-être à l’accumulation d’actes de pratique en aidant les autres ; et à d’autres moments nous nous sommes motivés et nous avons vraiment appliqué le dharma. Mais notre attachement au confort est encore très fort. Notre petit confort ! Cette attitude-là ne va pas nous mener à l’éveil. Ici, l’instruction de Gampopa est donnée pour des méditants très motivés pour se donner aux autres et grâce à cette accumulation de mérites, ils ont pu voir la nature de l’esprit. De ce fait, ils pourraient peut-être relâcher leurs efforts d’accumulation conditionnée dans le monde relatif, parce qu’ils ont touché l’ultime ; ils pourraient peut-être se dire : « Maintenant je veux rester dans l’ultime, je vais préférer cela et le reste n’est plus important. » Comme ces instructions sont données pour des êtres déjà loin dans leur accumulation de mérites, ce conseil est d’autant plus nécessaire pour nous.

Q : Pour être utile aux autres, est-ce que j’attends que les situations se présentent à moi ou est-ce que je dois aller les chercher ?

R : Nous n’allons pas chercher des situations, nous allons rester ouverts à ce qui se présente et dès qu’une situation se termine et que nous n’avons plus rien d’autre à faire, nous reprenons notre mala et nous continuons OM MANI PADME HOUNG, toute la journée (ou un autre mantra) ou bien nous

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méditons, nous lisons un peu du dharma, nous nous occupons de notre autel, etc., mais nous conti­nuons les actions bénéfiques, toute la journée. Et après, si nous remarquons que nous avons tendance à être trop en recul et que peu de situations pour lesquelles nous pourrions être utiles viennent vers nous, nous pouvons nous avancer un petit peu, aller au centre des choses et là nous sommes sûrs que les situations vont se présenter.

Regardons la prochaine phrase : « Même quand tu n’as plus peur des enfers, retiens-toi de commettre des actes nuisibles. » Nous allons contempler cette phrase. Posez-vous des questions telles que : Est-ce que j’ai peur des enfers ? Pourquoi avoir peur ? Est-ce que c’est quelque chose de souhaitable ici, dans cette phrase ? Quand n’aurons-nous plus peur des enfers et pourquoi pourrions-nous être motivés pour commettre des actes nuisibles, sous quel angle ? Qu’est-ce qui pourrait nous faire commettre de tels actes ?

– Méditation –

Quelle est votre compréhension ?

• Il me semble que les êtres qui ont déjà vu la nature des phénomènes, peuvent penser qu’ils n’ont plus besoin de faire attention au karma. Ils se trompent dans le sens où si l’on fait du mal à quelqu’un, la personne souffre et il y a un karma pour eux aussi, car seulement quand ils sont dans l’absolu ils sont au-delà du karma.

• Si je ne fais pas attention aux petits actes qui sont nuisibles, qui vont faire du mal, il y a un grand risque que je commette aussi des actes plus graves, plus nuisibles encore, qui auront bien sûr leurs effets karmiques, même si j’ai déjà eu des réalisations comme celles décrites.

• Si j’ai peur des enfers, c’est parce que j’ai peur de la souffrance.

Il me semble que vous êtes plusieurs à avoir touché le point essentiel : même si je n’ai plus peur pour moi-même, par compassion et sagesse, je devrai éviter les actes nuisibles, parce qu’il en résulte toujours de la souffrance pour d’autres et même peut-être pour moi, même si je ne donne pas d’importance à la situation que je dois expérimenter. Par compassion et sagesse, il est toujours mieux d’éviter de tels actes. Aussi faut-il se rappeler l’exemple qu’on donne aux autres : si quelqu’un, avancé sur le chemin, commet des actes nuisibles et en donne l’exemple à d’autres, leur responsabilité (c’est un aspect de la compassion) doit être de s’abstenir complètement de commettre le même acte.

Même si on peut discuter pour déterminer si un acte est vraiment nuisible ou pas, il faut s’abstenir tant que les autres le perçoivent comme étant nuisible, ou s’en abstenir si on n’a pas vraiment de raisons de le commettre. Regardons la phrase suivante qui prend les choses sous un autre angle :

« Même quand la bouddhéité n’est plus un espoir pour toi, ne dénigre jamais un dharma quel qu’il soit. » Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est un bon koan. Alors, posez-vous la question : Quand, la bouddhéité n’est-elle plus un espoir ? Pourquoi pourrait-on peut-être dénigrer un dharma ?

– Méditation –

Vos réflexions ?

• Déjà, de quel dharma s’agit-il ? Je pensais que c’était probablement le dharma bouddhiste. De dénigrer un tel dharma, c’est peut-être une situation où on a touché à quelque chose de très profond, de très vaste dans sa pratique. Et parmi tous les ensei­gnements qui existent, pour différents types de pratiquants, on pourrait penser : « Bon un tel enseignement, un tel dharma est un peu trop limité, un peu trop étroit », et parler mal de cette forme d’enseignement. De plus, on pourrait peut-être parler mal d’un enseigne­ment autre que le bouddha-dharma, par exemple, de l’approche chrétienne où il est sou­vent dit que c’est encore une approche qui reste dans la dualité.

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• « Quand la bouddhéité n’est plus un espoir ». Pourquoi réfléchir là-dessus puisque pour moi ce n’est pas encore le cas ? Cela semble un peu philosophique. Mais si je prends la deuxième partie de la phrase : « Oui, je suis encore en train de commettre des actes nuisibles, et je suis encore en train de dénigrer le dharma, des aspects du dharma ». Là, la réflexion devient plus fructueuse.

• Quand je viens à un stage du dharma, j’ai le sentiment que par moments je comprends tout et qu’à d’autres moments je me sens très loin de ces maîtres très avancés sur le chemin qui donnent ces enseignements-là. C’est la même chose avec la pratique : parfois je me sens très motivé, parfois j’ai du mal à m’asseoir, mais je le fais quand même. Et cette réflexion sur l’espoir a généré en moi une prise de conscience.

La bouddhéité n’est plus un espoir et les enfers ne sont plus une crainte pour ceux qui ont réa­lisé que les enfers, comme l’éveil, sont illusoires, qu’il n’y a pas d’existence véritable de l’un ou de l’autre. Quand on l’a réalisé, mais que des voiles se mêlent encore à cette réalisation, on n’a pas de vue vraiment panoramique. Il reste une identification avec la réalisation qui fait qu’on tombe dans un extrême : on va privilégier un aspect du dharma à d’autres aspects du dharma. Gampopa a donné ces enseignements pour éviter que des extrêmes s’installent dans la pratique.

Certains grands maîtres ont préféré, par exemple, parler plus de l’ultime que du relatif. Et pour les disciples, l’approche n’est plus une approche vraiment globale, mais une approche qui penche un peu sur un côté. Gampopa enseigne cela pour éviter que notre approche soit mal équilibrée et pour enlever aussi les derniers voiles de ceux qui, n’étant pas encore complètement éveillés, mais ayant une réalisation, pourraient préférer l’un ou l’autre. Il y a des maîtres qui ont une forte tendance vers l’approche ultime. Mais il manque l’enseignement sur le relatif. Du fait qu’eux voient la nature non différenciée entre actes nuisibles et actes bénéfiques, ils n’attachent pas une grande importance à enseigner l’abstention des actes nuisibles. Ceci peut avoir pour conséquences que les disciples commencent à boire, à fumer, à avoir des relations sexuelles incorrectes, à faire beaucoup de bêtises dans leur vie entraînant de nombreux problèmes et beaucoup de souffrances. L’enseignement ultime reste valide, c’est un enseignement correct, mais les disciples ne sont pas au même niveau que le maître. Voilà pourquoi il faut garder et développer cette compassion afin de donner un enseignement convenant à tous les disciples. Bien sûr, il y a toujours eu de grands maîtres Zen, de grands maîtres Dzogchen ainsi que du Mahamoudra, qui ont rééquilibré l’enseignement, qui ont beaucoup enseigné sur le relatif et ont réintégré le Dzogchen et le Zen dans l’environnement d’un enseignement sur le relatif. Vous n’avez qu’à regarder les enseignements de Patrul Rinpotché : c’est un maître Dzogchen complètement conscient qu’il faut avoir une approche graduelle, progressive, en commençant avec les bases qui établissent une bonne éthique, une bonne compréhension, pour pouvoir ensuite pratiquer l’ultime.

« Même quand de nombreux signes de la méditation profonde se manifestent, ne deviens pas orgueilleux. »

– Méditation –

« Même si tu réalises samsara et nirvana comme étant non duels, continue de pratiquer en so­litude. »

– Méditation –

Quand nous réalisons que le samsara n’est pas vraiment un problème parce que sa nature est la même que celle du nirvana, mais que cette réalisation n’est pas encore complète, nous pouvons toujours nous perdre dans le samsara. Nous voyons que la dualité n’est pas vraiment un problème quand nous voyons sa nature de vacuité. Mais l’avoir vue une fois, deux fois, dix fois, une centaine de fois, ne veut pas dire que nous ne pourrions pas encore une nouvelle fois nous perdre dans la dualité. C’est le risque pour les pratiquants qui l’ont vue, qui l’ont comprise, qui pensent que maintenant c’est sans danger pour eux. Ceci est dû au fait de ne pas appliquer sa réalisation. Si nous n’appliquons pas notre réalisation sur l’orgueil et sur les autres émotions qui se manifestent, nous allons encore une fois nous mêler à des situations samsariques.

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Q : Je comprends bien que dans une situation où je n’ai qu’une compréhension intellectuelle, je commette quand même des actes erronés. Mais après avoir eu une véritable expérience et réalisation, une compréhension juste des choses, pourquoi est-ce que je ferais encore des bêtises ?

R : Pour celui qui a fait une véritable expérience authentique de la nature de l’esprit, une réa­lisation, ce n’est pas la réalisation qui est en cause, c’est l’intellectualisation qui commence après. On récupère l’expérience, on réfléchit dessus, on arrive à des conclusions et ces conclusions mènent par fois à l’erreur. On n’a pas encore la stabilité dans la réalisation, c’est cela qui provoque l’erreur.

« Même quand tu réalises la non-différenciation de toi et des autres, ne laisse jamais s’interrompre la grande compassion tournée vers autrui. »

Nous allons méditer là-dessus. C’est encore une phrase difficile. Il faut regarder, réfléchir et tout ce que vous comprenez intellectuellement va permettre d’éviter des obstacles. Déjà maintenant cela va nous sortir des obstacles, ce n’est pas pour plus tard. Même si la situation est la même que pour des pratiquants avancés, nous sommes déjà dedans.

– Méditation –

On dit toujours dans le lodjong : donne tout aux autres, ta force, ton bonheur, ta joie. Comme si les autres étaient plus importants que moi. C’est un enseignement relatif, les autres ne sont pas plus importants que moi. Personne n’est important. Les autres sont aussi illusoires que moi-même. Quand on réalise que nous sommes tous pareils dans la nature d’esprit, on réalise la non-différenciation de soi-même et des autres. Ceci veut dire qu’on ne croit plus à l’existence de soi-même ni des autres. Mais les autres ne l’ont pas compris ! Eux sont encore dans la souffrance, dans la saisie et moi je suis peut-être simplement dans une compréhension intellectuelle. Il vaut mieux continuer avec la compassion illimitée, qui est dite grande, parce qu’elle inclut tous les êtres, moi-même inclus, comme un parmi des billions d’êtres. Mais je suis aussi important ou aussi peu important que les autres. Et c’est cette ouverture du cœur qui va faire que ma réalisation de la non-différenciation de tous les êtres dans la nature de l’esprit va encore s’approfondir et que je vais vraiment pouvoir être utile aux autres.

« Dans les enseignements tels que ceux-ci, Gampopa enseignait l’union de la méthode et de la sagesse – compassion et sagesse, réalité relative et réalité ultime – pour les pratiquants extraordi­naires. Pendant tous ces enseignements, il ne faisait aucune différence entre les moines et les laïcs, les hommes et les femmes, les vieux et les jeunes, les érudits et les ignares. Il donnait à chacun de ses disciples les instructions parfaitement adaptées, car il connaissait clairement la nature de chaque personne, son aspiration spécifique, son karma, ses qualifications et son évolution spirituelle. »

C’est comme cela que nous avons connu Guendune Rinpoché aussi. Chaque mot dans ce pa­ragraphe est une description sur la façon dont il a enseigné et dont Karmapa et Shamar Rinpoché enseignent, c’est ainsi qu’il faut faire.

Dixième enseignement : Approfondir la contemplation par la méditation

Au début du stage nous avons écouté et étudié le dharma et nous avons réfléchi. Au milieu du stage, nous avons commencé à contempler, à réfléchir plus profondément et à appliquer le dharma sur nous-mêmes. Ces deux derniers jours, nous avons fait un apprentissage de la contemplation qui s’est poursuivi spontanément dans les ateliers. Et maintenant, nous allons faire la transition, pour qu’il y ait plus de méditation dans les derniers jours de stage. Aujourd’hui, nous commencerons par une contemplation de la question de Pamo Droupa.

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Contemplation de la question de Pamo DroupaPamo Droupa, le grand maître dont les principaux disciples ont fondé les huit lignées Kagyu

- dites petites – demande : « Quand le moment d’œuvrer pour le bien des autres est-il venu ? » Gampopa avait également posé cette question à Milarépa. Quand sera-t-il le moment d’œuvrer pour le bien des autres ? Chacun va lire le texte tranquillement afin de s’en imprégner. Regardez si vous comprenez à peu près ce qui y est dit.

(Insérer le texte.)

– Méditation –

Quand nous avons lu le texte, nous le posons devant nous, nous levons les yeux et nous restons avec la compréhension, avec les questions présentes, nous ne faisons plus rien, nous demeurons juste dans un état de détente. Puis, après ce moment de détente, nous regardons à nouveau, nous lisons une deuxième fois, tranquillement, et nous remarquons là où il y a une petite hésitation sur le sens. Ensuite nous regardons bien la phrase que nous ne comprenons pas vraiment. Nous nous imprégnons de la question que nous voulons résoudre. Puis nous levons les yeux et nous restons encore une fois dans une méditation, dans une contemplation naturelle, sans vraiment nous poser la question. Cette question travaille en nous sans que nous la posions véritablement.

– Méditation –

Après un moment de méditation, de contemplation, même si nous n’avons pas eu d’éclaircissement sur la phrase que nous venons juste de lire, nous continuons le texte. Nous regardons une deuxième, une troisième fois ; nous pouvons prendre refuge intérieurement et prier Gampopa, l’auteur de cette phrase, pour lui demander qu’il y ait une bénédiction, une ouverture, que nous puissions nous connecter avec la sagesse qui est derrière ses mots. Nous faisons cette prière, nous regardons encore une fois, et nous posons notre esprit.

– Méditation –

Le plus grand problème pour comprendre, c’est le fait de vouloir comprendre : c’est notre volonté qui veut absolument, maintenant comprendre et cela empêche une véritable contemplation. Une véritable contemplation se fait dans la patience, dans l’acceptation de ses limites et dans la confiance que tout est déjà là. S’il y a quelques mots que je ne connais pas ou un savoir qui me man­que, je peux demander le sens de ces quelques mots, je peux essayer de trouver des explications dans les livres du dharma, mais je me détends dans cette non-compréhension et je suis lucide sur ce que je ne comprends pas. Ce qui pénètre déjà, c’est un aperçu du sens de ce paragraphe et cet aperçu est por­teur d’une bénédiction. Je médite dans cette bénédiction qui s’installe dans l’esprit. Je reste là-dedans. Et plus je reste là-dedans, plus une compréhension s’élève, j’en oublie même la question. Et la com­préhension peut s’élever encore demain matin ou plus tard. Le travail se fait en moi sans que je m’en aperçoive et les réponses vont se manifester. Je n’aurai pas à attendre très longtemps. Il suffit d’avoir quelques connaissances et le reste peut se faire grâce à mon ouverture. Je peux savoir à quel moment j’arrive à une véritable compréhension grâce à mon propre esprit, parce qu’un lâcher-prise et une ou­verture s’installent et cela signifie que j’ai vraiment touché le dharma. Le dharma a vraiment trouvé sa place dans mon esprit et je reste détendu dans cette petite reconnaissance du moment. Et même si je me dis : « Cela ne vaut pas la peine de réfléchir là-dessus » et que ce soit cela ma compréhension, je lâche. C’est bien, c’est authentique.

– Méditation –

Nous sommes passés par la lecture et la contemplation et nous nous sommes laissés porter par la méditation non conceptuelle. Maintenant, revenons à la lecture, mais cette fois-ci avec un crayon afin de souligner les mots pour lesquels nous aimerions avoir plus d’informations, peut-être même un échange avec un lama qui peut nous aider à trouver l’explication de ce mot dans un livre du dharma.

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Donc, nous soulignons seulement ce que nous ne comprenons pas ou ce que nous aimerions compren­dre davantage.

– Méditation –

Maintenant je regarde les mots que j’ai soulignés. Il y en a quelques-uns que je pourrai peut-être trouver dans des glossaires ou dans des livres du dharma, peut-être même dans un dictionnaire, certains sont expliqués quelque part dans le texte, d’autres pour lesquels je devrai demander à quelqu’un. Il y aura même des passages où il me sera difficile de trouver quelqu’un qui pourra me répondre. Donc, je connais le travail à faire. Je vais m’occuper de clarifier les points intéressants et seulement ceux qui m’intéressent.

Quand un lama enseigne, il connaît exactement ce processus que nous venons d’exécuter ensemble. Il réfléchit, contemple et médite le texte, simultanément en enseignant. Il est en relation avec cette dimension de bénédiction, de sagesse, qui inspire ses explications. Il n’a pas de difficultés à deviner les mots que vous avez soulignés ; il va les expliquer les uns après les autres et clarifier tous les points. Vous sortez de la salle, remplis, comblés, tout est clair, tout va bien. Mais vous oubliez 95 % de ce qui a été dit et vous n’avez pas appris à faire le travail par vous-mêmes. C’est pour cela qu’aujourd’hui, il n’y aura pas de réponses !

– Méditation –

Guendune Rinpoché disait toujours : « Je n’ai pas beaucoup lu, je n’ai lu que quelques textes, juste l’essentiel pour ma pratique, je ne suis pas un érudit. » Mais il a lu tous ses textes de cette manière-là – peut-être sans crayon à la main – il les a profondément contemplés et il s’est relié à la dimension de sagesse pour avoir les réponses. Il a bien regardé dans les textes pour trouver les définitions justes des mots et des paroles et quand nous l’écoutions, chaque mot était parfait, chaque parole était à sa place, il n’y avait pas d’erreurs. Et pourtant ce n’était pas un érudit. Il avait juste pris ses textes, de bons textes, les mêmes que nous étudions. A notre tour, nous les avons lus, contemplés et médités.

Aujourd’hui, nous avons peut-être eu un goût de ce qu’est une méditation intelligente, une méditation où les capacités de notre esprit à comprendre les choses ne sont pas mises de côté. Nous n’étions pas tout le temps dans la contemplation ou en train de remuer des questions. Par moments elles partaient, nous étions loin des questions, mais l’esprit était vif, présent, il y avait une ouverture. La méditation bouddhiste c’est cela, c’est cet esprit ouvert à la compréhension, qui n’est pas dans la recherche, qui est détendu mais complètement clair. Il faut amener l’intellect sur le chemin. On se pose des questions, on se détend avec et on s’ouvre à cette dimension plus profonde pour comprendre. C’est une capacité de l’esprit lui-même de n’avoir pas besoin de se référer à quelque chose pour comprendre.

Rester dans cette dimension ouverte de conscience, auto-connaissante c’est ce qu’on appelle lhakthong (tib.), vipasyana (sct) : méditation de la vision directe ou pénétrante. C’est cette ouverture et clarté, libre de somnolence. Maintenant vous êtes un peu épuisés par l’exercice. On ne peut pas aller à l’infini avec ce type de méditation. La fraîcheur s’installe pour une demi-heure, peut-être trois-quarts d’heure, mais après on a besoin de ne plus rien faire. Alors ne faites plus rien. Là maintenant, ne faites plus rien, soyez détendus, n’essayez pas de méditer… surtout pas ! Il ne faut pas méditer ! Laissez l’esprit naturel ! Vous n’êtes pas là pour méditer ! Vous êtes là pour laisser l’esprit naturel. Regardez si, même avec le gong, vous arrivez à ne pas méditer !

- Gong -

Quelques instants après

Non, je vous ai dit de ne pas méditer !

- Gong -

Quelques instants après

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Si je vous laisse trop longtemps dans cette situation, vous allez recommencer à méditer. Vous voyez, vous avez ressenti que la fraîcheur revenait tout de suite, parce que vous vous êtes donné la permission de ne pas méditer. Ensuite, c’est comme une chape qui se pose encore une fois. Elle est plus légère qu’avant, mais quand même ! Il faut rester dans cette ouverture, très détendus. Vous avez constaté : un moment de lâcher-prise et la fraîcheur revient. On en oublie même la chaleur… dans ce moment de fraîcheur !

Bougez votre tête si vous êtes un peu raides au niveau de la nuque. Il faut lâcher. Vous pouvez faire de tout petits mouvements de tête, personne ne s’en apercevra ; juste des petits mouvements de lâcher-prise.

Les derniers enseignements de Gampopa(chap. 31 – p. 5)

« Lorsque Gampopa séjournait à Byakog, il dit : ‘Je ne vais plus rester longtemps dans ce monde. Ceux qui souhaitent recevoir plus de dharma ou clarifier des questions, devraient venir rapidement et les demander. Mais ceux qui sont intéressés par la pratique n’auront pas besoin de beaucoup de mots. Gardez dans votre esprit tout simplement les instructions clés suivantes’ :

Personnification des bouddhas des trois temps, avec les rayons de lumière de la compassion, vous pénétrez les dix directions (c’est-à-dire tout l’univers) et dissipez l’obscurité de mon cœur. (De mon esprit. Il s’adresse à son lama qui est la personnification des bouddhas). Devant les lamas des trois temps, je me prosterne. (Devant toute la lignée).

Quelle merveille ! Si tu souhaites préserver la conscience non temporelle auto-connaissante, laisse ta conscience détendue comme du coton. »

Le coton, non encore traité, travaillé, mais seulement lavé, est vraiment doux ; il peut être comprimé, détendu, on peut tout faire avec. C’est une image illustrant la flexibilité de notre esprit.

« Abandonne toute fabrication, ne fixe pas ton esprit. »

– Méditation –

Q : Quand, un karma est-il complètement purifié ?

R : Derrière cette question il y en a une autre: Comment se purifie un karma ? Il faut savoir qu’il y a le karma d’une situation (par exemple une émotion qui s’élève) et la tendance karmique. Il y a par exemple, un moment de colère, un moment d’aversion qui s’élève et la tendance karmique à réagir avec la colère quand un tel stimulus se présente. Donc, il faut faire la différence entre le karma et les tendances karmiques.

Quand une émotion de colère se manifeste, on remarque : « Colère » et on se dit : « Mais lâche, détends-toi ! » et on laisse retomber la colère, on ne lui attribue pas d’importance et c’est terminé. Ce karma-là est purifié. Si l’émotion se manifeste et qu’on se fait tout un cinéma dans l’esprit : « Oui, j’ai raison et l’autre a tort, il me fait toujours ça, etc. » là on ajoute du karma, on crée du nouveau karma. Mais si on lâche avant de passer à l’acte, à la parole, ce qu’on vient juste de créer est également purifié ou, si le lâcher-prise est profond, on peut même tout purifier. Mais si on ne lâche pas prise on ajoute du karma, et on renforce la tendance karmique existante de toujours réagir comme cela. Si j’ai réagi avec les mêmes tendances, je renforce la tendance karmique. Pour purifier la tendance à réagir (par exemple lorsqu’on a une attitude de défense et de colère envers une critique, à cause de ce que nous avons fait ou des manquements de notre part), il nous faut purifier l’orgueil et la peur qui vont avec, la tendance à donner autant d’importance à ces critiques, le malentendu de ne pas voir que l’autre personne veut notre bien, etc. Il faut purifier tout un ensemble d’émotions pour qu’une telle tendance

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soit purifiée. Et pour cela il faut être confronté à des milliers de situations, grâce auxquelles nous trouverons des occasions de purification.

Quand un karma est complètement purifié, ça signifie qu’il n’y a plus de traces dans l’esprit. On peut avoir une montée émotionnelle dans la méditation, on lâche et après il n’y a plus rien, c’est fini. Pour qu’une tendance karmique soit purifiée, la même chose s’applique : même quand il y a des stimuli très forts qui provoquent normalement cette réaction, on voit que plus rien ne provoque de réactions. Là, la tendance karmique est purifiée. Un bouddha, est quelqu’un qui a purifié toutes les tendances habituelles.

Q : Les douleurs du corps qui apparaissent dans la posture, sont-elles aussi du karma ?

R : Quand on est détendu dans sa posture, quand on ne la force pas (c’est la base) et que des sensations apparaissent dans le corps, c’est du karma. Si on ne réagit pas, ces douleurs vont passer et à ce moment-là ce karma est purifié. Mais c’est seulement lorsqu’on ne force pas son corps.

Onzième enseignement (reprise et suite du testament spirituel de Gampopa)

« Personnification des bouddhas des trois temps,avec des rayons de lumière de la compassion,vous pénétrez les dix directionset dissipez l’obscurité de mon cœur.Devant les lamas des trois temps, je me prosterne.

Quelle merveille ! Si tu souhaites préserver la conscience non temporelle auto-connaissante, laisse ta conscience détendue comme du coton. »

– Méditation –

« Abandonne toute fabrication, ne fixe pas ton esprit. »

– Méditation –

« Ne contrôle pas la conscience, laisse-la libre et regarde. »

Que regarde-t-on ? Les pensées qui apparaissent et les pensées qui disparaissent. On regarde le va-et-vient des pensées, sans s’y attacher, sans en faire quelque chose, sans commentaires. On peut aussi regarder les trous, les espaces entre les pensées. Il y a comme des petits moments de rien, on n’a pas besoin de toujours penser.

– Méditation –

En regardant, ne fixez pas l’esprit, laissez l’esprit naturel, personne ne regarde. Ce n’est pas un regard par la volonté.

– Méditation –

Il n’y a rien à lâcher, ça lâche tout seul. Les pensées s’en vont d’elles-mêmes. On n’a pas besoin de les lâcher, ni de les saisir non plus. Quand on ne les saisit pas, on n’a pas besoin de les lâcher. On reste comme cela, on n’a pas besoin de méditer.

– Méditation –

« Quand apparaissent la torpeur ou l’agitation, regarde directement en elles. »

Qu’est-ce que cela veut dire ?

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Réflexion : On peut regarder dans cet état d’esprit, dans cet état mental.

Que découvre-t-on quand on le regarde ?

– Méditation –

Qu’est-ce qu’on trouve ?

Réponses :

• Pour moi, l’agitation est une tendance à ne pas vouloir regarder, même s’il y a beaucoup de choses qui se manifestent ; c’est fuir la multitude de choses qui se manifestent. Et la torpeur, c’est la tendance à ne pas vouloir regarder, même s’il y a peu de choses qui se manifestent.

• La torpeur, pour moi, c’est souvent la résistance à un effort.

• La torpeur, pour moi, c’est plutôt une fuite, le « je » qui ne veut pas pratiquer, qui veut lâcher au lieu de faire des efforts.

• Quand je suis dans la torpeur, j’ai peur de perdre du temps, de gaspiller mon temps et c’est difficile à accepter. Mais quand je regarde, je trouve un trésor. C’est nouveau, c’est une découverte de trouver ce trésor et de pouvoir peut-être accepter cette torpeur.

• Quand je suis agitée, j’ai l’impression que c’est une peur qui veut éviter de regarder et peut-être de trouver qu’il n’y a rien à trouver. Je prétends ne pas avoir le temps, être pressée, avoir des choses à faire, mais je crois que c’est plutôt cette fuite, cette peur, de ne pas vouloir regarder, faire face.

– Méditation –

« Évite immédiatement tous les actes qui voilent l’esprit. »

Quels sont les actes qui voilent l’esprit, qui nuisent à l’esprit ?

– Méditation –

Réponses :

• Tout ce qui est en rapport avec la saisie, l’attachement, va nuire à l’esprit, le voiler.

• Quand je fais quelque chose qui me rend mécontent, insatisfait.

• Intoxicants et excès.

• Contrôle, et souhaiter très fort quelque chose.

Ce sont tous les actes qui ne sont pas motivés par l’esprit d’éveil.

Massez-vous tout le visage, énergiquement !

– Méditation –

« Quand l’attachement apparaît, reconnais la tentation. »

Je cherche un autre mot pour « attachement ». En tibétain, c’est chen-deu. C’est une saisie ayant un élément de fascination, un élément de soif, penser « je ne peux pas faire sans cette chose ». Languir, oui, voilà. Je crois que c’est ça. Et en plus c’est la même racine que le mot en allemand. Le nom c’est « langueur ». Cela vous a-t-il réveillés un petit peu ? Vous voyez, quand on fait travailler l’intellect, tout de suite la clarté revient. Méditons et utilisons la fraîcheur pour rester encore une fois, détendus dans l’ouverture d’esprit.

– Méditation –

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« Quand la langueur apparaît, reconnais la tentation. » Il s’agit aussi surtout de la langueur de vouloir penser, d’avoir une fascination, un souhait fort pour la prochaine pensée, qui invite la prochaine pensée, la prochaine distraction. « Reconnais la tentation. »

– Méditation –

Il s’agit de laisser l’impermanence se manifester sur la pensée présente. Si on ne fait rien avec cette pensée – on ne la chasse pas, on ne la lâche pas – elle ne dure pas plus d’un instant. Simplement, une pensée se manifeste et elle est impermanente ! Cela veut dire qu’elle n’est plus là l’instant d’après. La nature de toutes les pensées est ainsi, les pensées ne se manifestent que pendant un instant. Si on permet à l’impermanence de faire son travail, il n’y a pas de problème avec les pensées. Chaque pensée disparaît aussi rapidement qu’elle est apparue. Il n’y a rien à faire pour cela. Cette instruction-là signifie : ne pas inviter la prochaine pensée à cause d’un manque, parce que ne plus penser crée un espace, une ouverture qu’il m’est difficile de supporter. Je me sens tellement plus à l’aise, tellement mieux dans ma peau quand je pense, que lorsque je ne pense pas. C’est cet état d’esprit qui invite la prochaine pensée et qui va certainement faire aussi que cette pensée ne va pas disparaître instantanément, mais que je vais en faire une petite chaîne, me distraire avec. Quand on est dans la détente, dans le lâcher prise, si l’on ne donne pas d’importance à ce qui s’élève, l’esprit ne sera pas sans pensées (cela arrive mais c’est rare, et ce n’est pas à souhaiter de toute façon), mais c’est comme s’il était sans pensées, parce que les pensées qui s’élèvent n’ont aucune importance, on ne s’occupe pas d’elles. Il n’y a donc pas d’effets karmiques ; l’esprit est stable, même avec ces instants de manifestations karmiques de quelques pensées.

L’identification avec la pensée est aussi forte en Orient qu’ici. En Occident, l’identification est basée sur cette assertion « Je pense, donc je suis ». Mais il n’y a pas de différence fondamentale entre les Occidentaux et les Orientaux, la saisie est la même.

Q : Pourquoi ne peut-on pas se réjouir de la stabilité de ses pensées ? Est-ce par peur ?

R : Oui, parce que nous ne sommes pas habitués à cet état, mais plus tard nous nous ‘régalons’ beaucoup plus de la stabilité de l’esprit que de l’agitation et de la distraction. Car quand nous connaissons le goût d’un esprit stable, l’esprit agité n’est plus une tentation.

Q : Comment puis-je faire la différence entre : avoir un moment sans pensées, refouler mes pensées ou n’avoir aucune pensée qui se manifeste ?

R : Une pensée s’élève qui dit : « Il n’y a pas de pensées, et pourquoi, et comment ? », cette pensée-là, accueillie dans l’ouverture, dans la détente, retombe aussi vite. A ce moment là, je sais que je ne suis pas dans l’aversion envers les pensées.

Q : Pourquoi fait-on la différence entre niveau relatif et niveau absolu ? Pourquoi distingue-t-on la bodhichitta relative de la bodhichitta ultime ? Est-ce que ce n’est pas l’enseignement qui crée la confusion ? Parce qu’ils ne font qu’un après tout !

R : Une question : « Est-ce que vous connaissez l’esprit ultime ? La bodhichitta ultime ? » Si vous êtes honnêtes, vous avouerez ne pas les connaître. Voilà pourquoi on en parle, on dit : « Il y a encore autre chose ». Ce n’est pas seulement l’amour, la compassion (bodhichitta relative) que l’on ressent maintenant, ce n’est pas ça la fin de la voie. Il y a encore autre chose, une dimension libre de fixation, de saisie dualiste. On parle donc de quelque chose d’autre qui n’est pas l’expérience habituelle.

Et quand on a une compréhension de l’autre, il faut quand même montrer que ce n’est pas l’autre en étant séparé, mais juste la nature plus profonde de ce qui est déjà ; donc, l’union des deux (la bodhichitta relative et ultime). Vous voyez, c’est naturel. On doit enseigner comme cela, il n’y a pas d’autres choix. Si je vous disais maintenant : « Vous êtes des bouddhas, tout va bien, il n’y a rien à faire, il n’y a rien à atteindre, votre état de confusion, c’est le Bouddha ». Alors, au revoir ! C’est fini ! Plus de commentaires et bonne chance !

J’ai l’impression que la question a été posée par une personne qui ne veut pas ‘bouger’, qui ne veut pas prendre un chemin. Cette question se pose parce qu’on ressent l’enseignement comme étant

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dérangeant et on dit : « Pourquoi l’enseignement me dérange-t-il ? Est-ce qu’il ne peut pas être donné de meilleure manière ? »

Q : A quel niveau se situent les pensées ? Au niveau absolu ou relatif ?

R : Quand on est dans la confusion, les pensées font partie du niveau relatif et quand on est dans la réalisation elles sont ultimes ; elles montrent leur niveau ultime. Toutes ces questions tournent autour de : « Si la forme est la vacuité et la vacuité la forme », alors : « Si la forme existe, les pensées existent aussi. Et pour les bouddhas, qu’en est-il de leurs pensées ? » Très souvent, on s’arrête à cette pensée : « La forme est la vacuité, la vacuité est la forme », mais l’enseignement ne s’arrête pas là : « Le son est la vacuité et la vacuité est le son », « Le goût est la vacuité et la vacuité est le goût », « L’odeur est la vacuité et la vacuité est l’odeur ». Et ainsi de suite pour les cinq sens. Puis, il y a les cinq skandha, encore une fois : la forme, la perception, la sensation, les facteurs mentaux et la conscience, sont la vacuité et la vacuité est tout cela. Parce qu’on cite toujours la phrase du début de cette partie de la Prajnaparamita, pour beaucoup de gens cela s’arrête là.

Tout ce qui se manifeste, tout ce qui existe est l’union de la vacuité et de la manifestation. Les deux ne sont pas séparés. Il est très important de le prendre dans ce contexte large. Ce que l’on pense exister, n’existe pas vraiment. Mais dire : « Cela n’existe pas vraiment », ne nie pas le fait que cela existe en quelque sorte : on peut ressentir, on peut voir, on peut écouter, etc. Ne pas vraiment exister, ne veut pas dire ne pas exister du tout. Il faut bien faire la différence. Il y a une existence relative qui n’est pas une existence absolue. Les bouddhas ont des pensées sans croire que ce sont des pensées vraiment existantes. Pour eux, les pensées ne sont pas un problème.

Ce jeu du lama nous agace : relatif – absolu, absolu – relatif. C’est vraiment trop ! On aimerait se positionner. Les choses existent-elles ou n’existent-elles pas ? C’est l’un ou l’autre ; ce ne sont pas les deux. Non, ce ne sont pas les deux. Ce n’est pas non plus ni l’un ni l’autre ! Il faut vivre avec le paradoxe. Hélas, c’est cela : vivre avec le paradoxe en acceptant les choses comme elles sont. C’est cela qui coupe la racine de la saisie égoïste. On ne peut pas faire autrement. Si on se positionne quelque part, la saisie égoïste s’enracine encore une fois. Avec un paradoxe, on trouve la paix: accepter les choses comme elles sont. L’esprit ne cherche plus à se positionner. Quand on est dans cette ouverture tout devient vraiment évident, il ne peut pas en être autrement, les choses ne peuvent pas être exprimées différemment.

Si une pensée avait une réalité véritable, est-ce que la prochaine pensée pourrait se manifester ? Peut-être ! On pourrait peut-être la pousser à côté et faire la place pour une autre pensée. Après, c’est juste une question de stockage ! Combien de pensées peut-on stocker dans un esprit ? Est-ce que l’univers est rempli de pensées stockées ?

Il y a des gens qui perdent la mémoire récente et qui ont la mémoire ancienne. Est-ce que c’est un problème de leur esprit ?

Le problème que tu te crées c’est une identité entre cerveau et esprit. Le cerveau, c’est une machine en quelque sorte, dans le sens où il y a des limites, on peut détruire quelque chose, mais l’esprit lui, est indestructible. Il y a ‘l’après-mort’ et ‘l’avant-mort’. On veut nous faire croire que le cerveau est tout. Mais le cerveau c’est seulement un outil de l’esprit jusqu’à la mort. Et cet outil sert toute la vie, il s’use et se régénère aussi. Il faut mener une réflexion là-dessus.

Il y a un enseignement très détaillé dans les textes bouddhistes, sur l’inséparabilité du corps et de l’esprit pendant la vie et sur la dimension ultime de l’esprit, qui n’a rien à voir avec ce corps, qui est complètement indépendant. C’est seulement pendant la vie même, que cet aspect relatif de l’esprit est complètement lié avec le corps et donc avec le cerveau.

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Douzième enseignement

Pour commencer, méditons un petit peu sur notre motivation. Développons la motivation profonde de recevoir cet enseignement pour le bien de tous les êtres.

– Méditation –

« Personnification des bouddhas des trois temps,avec les rayons de lumière de la compassion, vous pénétrez les dix directionset dissipez l’obscurité de mon cœur,Devant les lamas des trois temps, je me prosterne.Quelle merveille ! Si tu souhaites préserver la conscience non temporelle auto-connaissante,laisse ta conscience détendue comme du coton.Abandonne toute fabrication, ne fixe pas ton esprit.Ne contrôle pas la conscience, laisse-la libre et regarde.Quand apparaissent la torpeur ou l’agitation, regarde directement en elles.Évite immédiatement tous les actes qui voilent l’esprit.Quand l’attachement fasciné apparaît, reconnais la tentation.Cet esprit laissé sans artifice est Bouddha. »

– Méditation –

« Cet esprit laissé sans artifice est Bouddha. » Vous avez peut-être remarqué que j’ai changé la traduction. Elle était : « Cet esprit non artificiel est Bouddha. » Mais en tibétain, cela se dit : ma tcheu chak-peï sèm di et signifie : l’esprit qui est posé, ou qui est laissé de manière non artificielle. Chak-pa, c’est ce mouvement-là : on prend une chose et on la pose, on ne la tient plus, on la repose. On pourrait aussi traduire : « Cet esprit laissé non artificiel est Bouddha » si cela convient en français, c’est peut-être même mieux. L’esprit est non artificiel, est sans artifice dans son état naturel. Il n’y a pas de volonté, il n’y a pas de fabrication. Tcheu-pa en tibétain, c’est toute forme de fabrication, de création de quelque chose, de vouloir et de faire, comme bâtir quelque chose. Donc on n’a rien à créer, rien à fabriquer.

« Un esprit artificiel n’est pas l’attitude mentale des victorieux. » L’esprit d’un victorieux c’est l’esprit des bouddhas, ceux qui sont victorieux sur toute confusion. L’esprit d’un bouddha est sans confusion. Il est libre de toute volonté, de tout ‘je veux, je ne veux pas’.

« Reste jour et nuit détendu dans tous les mouvements (dans toute activité). » « Détendu », cela veut dire relâché, sans artifice, dans tout ce que je fais : quand je marche, quand je m’assois, quand je parle, peu importe les situations, je reste sans artifice. Méditons maintenant avec la pensée : Qu’est-ce que je devrais changer dans ma vie si je mettais cette instruction en application ? Comment je me promène, je m’assois, je bouge, je parle etc. ? Est-ce que je ne pourrais pas déjà me détendre un peu plus dans tout ce que je fais ? »

– Méditation –

Je peux essayer déjà de respirer de manière détendue toute la journée. Si je suis un peu attentif à ma respiration, je verrai tout de suite à quel moment je commence à entrer dans l’artifice, je serai tout de suite conscient qu’il y a quelque chose qui se crispe. Et si à ce moment-là je peux me détendre et respirer calmement, tout le reste va suivre. Nous avons, à l’intérieur de nous-mêmes, une méthode très subtile pour connaître notre tension, l’état de notre esprit : il faut simplement regarder la respiration. Parfois elle s’accélère. Pourquoi s’accélère-t-elle ? « Tiens, encore une tension dans l’esprit. » « Pourquoi est-ce que je ne me sens plus connecté avec la respiration ? » « Ah, tiens, je suis tendu au niveau de l’esprit ». Donc, retrouver son souffle, c’est retrouver la détente. Il ne faut pas essayer de le ralentir ou de le faire pénétrer partout. Il faut laisser la respiration telle quelle, mais rester en contact avec celle-ci. Ce contact, cette conscience qui s’établit, nous permettra de retrouver la détente.

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– Méditation –

« Reste jour et nuit détendu dans tous les mouvements.L’esprit laissé ainsiclair et sans saisie comme le cielest la vue qui ne tombe pas dans les préférenceset l’intrépidité apparaît d’elle-même. »

Ce passage-là se prête à la contemplation. Essayez de sentir ce que cela veut dire.

– Méditation –

« L’esprit laissé ainsi », c’est-à-dire sans artifice, naturel, détendu. « Cet esprit est clair », veut dire pleinement conscient, lucide, tous les mouvements mentaux sont perçus sans la moindre obscurité. Cet esprit non artificiel est sans saisie, comme le ciel, le ciel bleu, ouvert. Le ciel ne saisit pas les mouvements, les nuages peuvent passer à travers le ciel et cela ne fait rien au ciel. Le ciel, c’est une métaphore pour ‘espace’. L’espace ne saisit pas les phénomènes. Cet espace ouvert, clairement conscient, c’est la vue de mahamoudra. C’est cela qu’on appelle l’esprit naturel. La vue sur l’esprit c’est cela : l’esprit est naturel, détendu, clair, sans saisie. C’est l’esprit qui est depuis toujours en nous, notre héritage naturel. Cet esprit n’est pas fabriqué.

La vue, c’est la base pour notre pratique. Nous commençons avec la vue que l’esprit lui-même, si nous ne l’altérons pas, est l’esprit du Bouddha, est l’esprit éveillé. C’est le point de départ. Il faut d’abord établir la vue dans notre esprit pour ensuite pouvoir méditer correctement. Donc la vue, c’est comprendre que notre esprit est comme le ciel, c’est l’image la plus proche que nous puissions donner comme métaphore pour notre esprit. L’espace – le ciel – ne tombe pas dans des préférences : je veux, je ne veux pas. Il n’y a pas d’attachement et d’aversion dans l’esprit laissé naturel.

Si l’esprit est comme l’espace, sans saisie et sans attachement, il impossible qu’une peur s’élève dans cet esprit. La peur s’élève seulement dans un esprit qui saisit. S’il n’y a pas de saisie, alors l’intrépidité s’élève. C’est l’état sans peur qui va naturellement être présent. Un esprit libre de saisie, ne connaît pas la peur. Il faut saisir pour avoir peur. Nous entendons l’enseignement sur l’intrépidité naturelle de l’esprit ouvert, cet esprit qui est comme l’espace, mais nous savons bien que nous ressentons quand même la peur. Pourtant c’est une évidence que la peur s’élève seulement quand il y a la saisie et que l’esprit sans saisie est sans peur. Nous avons établi la vue. Et maintenant, puisque nous avons encore de la peur, nous allons nous donner les moyens de sortir de cette peur, de trouver cet esprit sans saisie. Ce sera la prochaine étape : la méditation, (le prochain paragraphe). Mais avant d’y aller, méditons dans la compréhension de ces quelques vers que nous avons déjà contemplés.

– Méditation –

« Pure et immaculée comme un bol de cristal,claire et sans saisie, c’est la méditationapparaissant d’elle-même, sans interruption. »

– Méditation –

« Un bol de cristal », c’est une image souvent utilisée pour illustrer la nature de l’esprit. Du fait de voir la transparence, il y a une clarté, pourtant il n’y a rien, on peut voir au travers. De plus, un bol de cristal peut avoir une multitude de reflets, de couleurs différentes ; ce sont les reflets des lumières réfléchies à l’intérieur du cristal. Les couleurs différentes sont l’image de toute cette manifestation multiple apparaissant dans notre esprit, de tous ces phénomènes et de toutes ces pensées s’y manifestant. Vous voyez que les mots pour décrire la méditation sont presque les mêmes que pour la vue : « claire et sans saisie », comme pour la description du ciel. On reste clair, c’est-à-dire complète­ment conscient, et sans saisie. Si les deux se joignent : la présence et la non-saisie, à ce moment-là on est dans la méditation. Et cette méditation-là apparaît d’elle-même. Ce n’est pas une méditation créée par l’effort : c’est l’aboutissement d’une pratique qui s’est faite avec effort, pendant le temps néces­

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saire pour sortir de ses tendances. Mais il faut savoir que le but n’est pas de rester dans l’effort. Le but est d’arriver au non-effort, grâce à l’effort. Il faut se diriger vers une détente de plus en plus grande et vers de plus en plus de clarté. Donc, nos efforts vont tendre vers davantage de présence et de non saisie. Ce n’est pas évident au début. Pour cela il faut faire des efforts. Mais on ne va pas s’efforcer tout le temps parce que la présence lucide va devenir naturelle.

Habituellement, nous sommes tendus, très actifs et sans cesse plongés dans les préoccupations. Ce sont les schémas, les tendances qui nous emprisonnent. L’effort qui est à fournir par chacun de nous c’est de couper avec ces tendances pour pouvoir arriver sur notre coussin. Quand nous sommes arrivés sur le coussin, nous continuons l’effort, c’est-à-dire nous allons surveiller la réapparition des tendances qui crispent notre esprit et appliquer les méthodes qui vont nous permettre de le détendre et de l’ouvrir. Et dès qu’un moment de détente et d’ouverture s’installe, nous nous détendons davantage dedans. Nous allons vers le non-effort. Ainsi, nous nous habituerons au non-effort, à l’état naturel. Nous nous habituerons aussi à voir et connaître la différence entre l’esprit naturel et l’esprit voilé.

Cet esprit voilé est notre état naturel actuel, ce n’est pas l’état naturel dont parlent les bouddhas. L’état naturel que nous pensons avoir, c’est l’obscurité, la tension, c’est la détente que nous ressentons lorsque nous sommes sur le point de nous endormir. Il manque donc cet élément de clarté, de présence. L’esprit naturel de Bouddha, est un esprit vaste comme l’espace, comme le ciel et sans centre. Cet esprit-là ne tombe pas dans des fixations, n’a pas besoin d’établir un centre, un ‘je’. Et c’est cela qui le rend parfaitement détendu.

Quand la méditation est naturelle, elle apparaît sans interruption. Il n’y a rien qui empêche la méditation de durer, dans le sens où elle se manifeste d’un instant à l’autre, naturellement, parce que c’est la nature de l’esprit. Elle n’est pas créée et tant qu’il n’y a pas d’obstacles, de saisies qui inter­rompent cette manifestation naturelle de la méditation, elle ne cessera jamais. Si cet état d’esprit dé­pendait d’une fabrication, du fait de faire les choses, de créer la méditation, alors cette méditation pourrait être interrompue, parce que nous nous fatiguerions à toujours la créer. Il serait donc alors possible que la fabrication soit détruite. Mais étant donné que cet état d’esprit naturel n’est pas une fabrication, cela peut durer toujours.

– Méditation –

« Non artificielle et détendue comme un petit enfant,libre d’attachement, est la conduitequi apparaît d’elle-même, libre d’entraves ou de productions. »

– Méditation –

Il semble que vous fatiguez un peu ! Donc, bougez un peu, massez votre visage !

La conduite est « libre ». La conduite, c’est « comme un enfant ». On joue avec les situations, sans soucis et pleins de confiance. Ici on parle d’un enfant plein de confiance, qui n’hésite pas et qui est sans saisie égoïste : un enfant de rêve ! Les bouddhas sont des enfants de rêve. (Si c’est joli, il faut le noter ! Rires). Il n’y a rien à perdre. On perd tout quand on retombe dans la saisie, quand on perd cet état d’enfant où on ne peut plus rire de soi-même. Si on perd l’état d’esprit d’un enfant – dans le meilleur sens du terme – tout devient lourd, on n’arrive plus à jouer avec les situations. Le dharma devient une tâche lourde, extrêmement lourde, un fardeau impossible ! (Lama Tashi verse à boire à lama Lhundroup qui dit : « Oui, il m’aide toujours à ne pas perdre l’esprit d’enfant ! » Rires). La vue est légère, la méditation est légère et la conduite est légère. Ce qui est dur, c’est le samsara !

« La conduite du mahamoudra est libre d’entraves ou de productions ». Ça coule, c’est le fleuve, c’est la fluidité, c’est la conduite qui danse avec les situations, qui échange, qui n’est pas rigide, qui s’adapte. Mais cette fluidité, ce fleuve, a une direction. Ce n’est pas n’importe quelle danse, c’est la danse qui mène à l’éveil. On danse avec les situations, on danse autour des êtres, et, sans qu’ils s’en aperçoivent, on les amène à l’éveil. C’est la danse. Et c’est vrai qu’il y a aussi une séduction dans cette danse, on est séduit par la liberté, on est séduit par cet état simple, la simplicité de cet esprit d’enfant. On se réjouit et elle s’approche, la liberté. On se réjouit encore plus et elle se manifeste encore plus.

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La danse nous laisse libre, on peut faire deux pas en arrière, on va faire trois pas en avant. C’est la danse. Le yogi à la conduite de mahamoudra sait bien danser cette danse, le yogi sait bien danser cette danse, elle donne de l’espace à ceux en qui elle se manifeste. On peut dire que cette danse-là nous amène quelque part, mais elle ne nous amène pas ailleurs, elle nous amène vers nous-mêmes, vers la découverte de ce qui est là depuis toujours : cette légèreté, cette ouverture. C’est donc une danse qui a une direction, mais une direction vers une découverte. Quel est le sens de ce jeu ?

– Méditation –

« Le nectar de la simultanéité de la cause et du fruit,libre d’espoir et de crainte est le fruitqui apparaît de lui-même spontanément. »

« Le nectar », c’est la grande joie, la grande félicité, l’expérience d’un bouddha. Il n’y a per­sonne qui se réjouit, qui est dans la joie.

« La simultanéité de la cause et du fruit » : la cause ici c’est la nature de bouddha, elle-même cause de l’éveil. Le fruit, c’est la bouddhéité. Les deux sont simultanés dans la réalisation qu’il n’y a jamais eu de chemin à faire. Réaliser la simultanéité de la cause et du fruit, du résultat, c’est réaliser que la cause, la nature de bouddha, qui nous permet d’atteindre l’éveil, et l’obtention de cet éveil, la bouddhéité, sont présents simultanément : lorsqu’on est dans la cause, on est dans le fruit. Les deux sont simultanés. Le chemin entre les deux est un chemin illusoire ; il sert seulement à enlever les voiles nous empêchant de toucher la cause qui est le fruit. C’est le résultat d’un travail qui nous ramène au point de départ.

Le point de départ, c’est le fait que chacun a un esprit. Grâce à cet esprit nous pouvons nous éveiller. Le fait que cet éveil se manifeste sans être produit par quoi que ce soit, nous montre qu’il est en nous depuis toujours. De cette manière, on parle de la nature de bouddha comme potentiel. C’est le potentiel qui produira ou deviendra le fruit. Quand nous sommes dans le fruit, dans la bouddhéité, le potentiel est pleinement manifeste. Un potentiel qui était caché, voilé, est maintenant manifeste, visible, n’est plus voilé. Et ce fruit est « libre d’espoir et de crainte », nous sommes sortis de l’espoir et de la crainte qui sont les moteurs du samsara. Il n’y a rien à atteindre, rien à perdre. Comme la conduite qui est libre d’espoir et de crainte, comme la méditation qui est libre d’espoir et de crainte, et la vue qui est libre d’espoir et de crainte, la description du fruit n’est pas essentiellement différente de la description de la vue, de la méditation et de la conduite.

« Ainsi notre esprit est vraiment Bouddha.Où que tu cherches, à l’extérieur, dans les dix directions et les trois temps,le Bouddha – tu ne vas pas le trouver.Alors maîtrise la vue de ton propre esprit ! »

– Méditation –

Nous avons tendance à chercher le Bouddha à l’extérieur. Nous avons tendance à le chercher dans le lama, dans nos proches, dans la méditation, dans le plaisir, dans la souffrance, mais c’est tou­jours chercher. Il faut arrêter de chercher le Bouddha. Le Bouddha est là, maintenant il faut le trouver, ne plus le chercher.

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Treizième enseignement

Conclusion et remerciementsCes deux semaines ont été très riches en expériences. Pour conclure ce stage, je vous propose

une méditation dans laquelle nous allons passer en revue les différents moments que nous avons vécus pendant ces douze derniers jours. Nous allons regarder, en nous souvenant du début jusqu’à la fin, quelle compréhension, quelle inspiration nous avons reçues et ce qui va peut-être nous accompagner maintenant, en rentrant chez nous, dans notre famille, dans notre situation de travail ou dans la poursuite de notre pratique quotidienne. Nous développerons de la reconnaissance, de la gratitude pour ce que nous avons partagé pendant ces journées : la vie en groupe, les échanges, les partages entre pratiquants. C’est donc une méditation où nous regarderons les compréhensions qui se sont installées, peut-être les prises de conscience, le développement de la gratitude.

– Méditation –

Pour moi, chaque stage est une surprise. Et c’est vraiment incroyable de voir comment les choses se font, comment les conditions se mettent en place pour que de tels partages puissent avoir lieu. Quand j’ai préparé le stage, quand j’ai traduit les textes, j’ai souvent eu les larmes aux yeux, pour la transmission elle-même, pour ce que Gampopa a donné, pour cette bénédiction du Bouddha qui transpire dans les enseignements de Gampopa ; ces enseignements sont imprégnés de la bénédiction du Bouddha et cela m’a touché profondément. Je dis merci pour cette inspiration qui est là tout au début, ensuite d’autres se sont joints dans cette inspiration pour créer une situation où tout cela peut être partagé.

Ce que je souhaiterais faire maintenant avec vous, c’est avoir encore une autre forme de partage. J’ai parlé pendant douze jours et j’aimerais que ce soit vous qui parliez maintenant ; ceux qui le désirent peuvent dire une phrase sur une compréhension qui s’est installée, une difficulté rencontrée, exprimer une gratitude, quelque chose qu’il vous tient à cœur de partager avec tout le monde, avec l’espace. Nous autres nous allons écouter, nous allons nous ouvrir à ce qui est dit. Nous marquerons un petit moment de silence puis une autre personne prendra la parole.

Ce n’est pas facile de parler devant tout le monde, mais je crois qu’il y a une telle confiance maintenant dans le groupe, que cela ne risque rien. N’hésitez pas à dire simplement un petit mot, c’est un cadeau que vous faites aux autres.

• Alors que j’habite à côté, parce que je ne savais plus où était le chemin, j’étais à l’extérieur. Heureusement, j’ai rencontré sur ma route lama Lhundroup qui m’a dit « Tu es assoiffée, et le ruisseau est juste à côté, alors, viens boire au ruisseau ». Je suis venue boire au ruisseau et je suis très, très heureuse d’être venue ici cette semaine. Merci à lama Lhundroup, aux drouplas, merci à toutes les personnes qui ont organisé, ce stage. Il a été très riche cet enseignement. Je me suis dit qu’on est programmé, conditionné et si on enlève les programmations, les conditionnements, cela doit être plus clair. Et le ciel, l’esprit qui est comme le ciel cela m’a beaucoup aidée ; le ciel qui ne retient rien, qui est là.

– Pause –

• Je peux transformer la méfiance en confiance, c’est très beau.

– Pause –

• Je suis un peu émue. Ce que je voudrais dire c’est que j’ai ressenti vraiment très fort la préciosité de cet enseignement, pour moi c’est vraiment un cadeau et je souhaite pouvoir continuer assez régulièrement le mettre en pratique Ce qui m’a touché aussi c’est la simplicité, cette authenticité.

– Pause –

61

• Merci à lama Lhundroup, aux lamas et drouplas. Pour la première fois pendant ce stage, j’ai ressenti quelque chose d’immense.

– Pause –

• Je remercie les lamas et drouplas pour la profonde bénédiction que j’ai pu ressentir ici ces jours-là.

– Pause –

• La joie qui m’habite ici, je voudrais pouvoir la conserver dans toutes les situations de la vie et je souhaite cela à tous.

– Pause –

• J’ai expérimenté une grande multiplicité pendant tous ces jours et j’ai aussi ressenti que tous les textes avaient été préparés d’une manière vraiment excellente et quand j’ai étudié et posé des questions aux lamas et drouplas ils ont eu les réponses. Aussi j’avais du mal à comprendre, ce qu’est la compassion, j’ai posé cette question à lama Lhundroup et je pense maintenant avoir compris. Merci beaucoup à tous les lamas et drouplas, qui ont toujours très bien répondu à toutes mes questions et j’espère pouvoir intégrer au quotidien toutes les réponses.

– Pause –

• Je remercie pour la richesse et la simplicité.

– Pause –

• Je comprends maintenant la phrase qui dit : « Il est si rare pour un être humain de rencontrer un vrai maître qui nous transmette le dharma … ». Je compare cela à la vison qu’il est aussi rare de pouvoir voir une étoile en plein jour. J’exprime ma gratitude envers les lamas et drouplas.

– Pause –

• Je suis pleine de gratitude pour avoir rencontré ici un chemin que je peux prendre et pour me sentir bien guidée, en confiance. Et aussi je sors de ce stage avec une grande force, une force de faire face aux choses qui m’ont semblé très difficiles et qui me faisaient peur avant. Merci.

– Pause –

• Nous n’avons pas participé à ce stage comme nous l’aurions voulu. Quand nous étions à l’hôpital avec des gens, on vous a amenés avec nous et j’ai beaucoup parlé à lama Lhundroup. Je voulais vous remercier et dire que ça ne se passe pas toujours comme on le veut. Et je n’ai pas douté que la sangha est toujours dans mon cœur, les lamas sont toujours en nous, le Bouddha aussi et là je n’ai pas douté. J’ai emmené tout le monde avec moi et je voulais remercier pour ça.

– Pause –

• Je tiens à remercier la sangha et aussi leurs enseignements qui nous ont nourris vraiment et en même temps il y a un autre aspect qui est très important, c’est qu’il n’y a pas d’enseignements s’il n’y a pas de souhaits pour recevoir ces enseignements. Alors, j’aimerais vraiment remercier tout le monde et toutes les personnes qui on vraiment ex­primé le souhait de recevoir les enseignements. Voilà. Toute ma gratitude.

– Pause –

• Je voudrais remercier tous les lamas et les drouplas d’avoir rendu le lama plus proche.

– Pause –

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• Je suis pleine de gratitude pour ce lieu qui est en train de se développer, ce lieu où on peut écouter, réfléchir sur les enseignements et méditer et aussi méditer dehors. J’ai reçu juste les enseignements dont j’avais besoin et je suis pleine de gratitude pour ce lieu prévu aussi pour les enfants et toutes les rencontres.

– Pause –

• Lama Lhundroup, au début, tu as dit qu’on allait passer douze jours ensemble, j’ai eu l’impression d’avoir passé deux, trois jours seulement. Je remercie vos enseignements à tous et la présence de cette sangha. Merci.

– Pause –

• Au début du stage, j’ai décidé de ne pas y participer pour avoir du temps pour les enfants, alors j’ai observé le stage plutôt de l’extérieur et je veux exprimer mon étonne­ment, ma surprise de voir à quel point un stage a un effet vers l’extérieur. Je veux exprimer tous mes remerciements à tout le monde.

– Pause –

• Ce stage a été pour moi une grande inspiration pour ma pratique et aussi, c’était très ins­pirant de voir à quel point on peut être créatif avec les poudjas, faire les différentes parties et faire des pauses. Le stage était très enrichissant. Alors merci. Mais je voudrais aussi exprimer mon remerciement par rapport à l’arbre. Je voudrais remercier l’arbre sous lequel j’ai trouvé une place pour faire ma pratique. Parce que je voulais d’abord la faire au petit temple, mais il y avait un groupe, je voulais aller ailleurs mais il y avait un autre groupe et à la fin j’ai trouvé cet arbre où j’ai pu faire ma pratique et aussi dormir. Merci lama pour ces enseignements.

– Pause –

• Un soir pendant le stage, je me suis promenée sur la colline des environs et j’ai été émerveillée par la beauté du ciel, des nuages. Puis à un moment donné, il s’est mis à pleuvoir. C’était une belle pluie, puis j’ai vu apparaître le ciel, très intense, mais j’ai continué mon chemin et puis j’ai vu tout à coup un arc-en-ciel et les collines qui étaient derrière, puis je me suis dit : tiens, il monte bien à Croizet cet arc-en-ciel, il reste toujours au même endroit. Il me semble avoir trouvé en lama Lhundroup une vraie maman.

– Pause –

• Mes remerciements à Gampopa, Karmapa et lama Guendune. J’ai pu expérimenter et ressentir que les enseignements de Gampopa viennent vraiment du bouddha Shakyamouni.

– Pause –

• Je remercie du fond du cœur Gampopa pour avoir ouvert un peu plus mon cœur à travers les paroles de lama Lhundroup. J’ai toujours eu l’impression que Gampopa était présent. Je remercie aussi lamas et drouplas pour leur grande disponibilité. Et je remercie aussi tous ceux qui ont préparé ce stage.

– Pause –

• Pour moi, c’est toujours une joie, une surprise dans l’échange avec les autres, de voir ce qui peut s’élever, dans l’abandon de soi-même et j’ai une profonde gratitude envers les Trois Joyaux, envers les autres, et grâce aux autres, j’ai pu voir qu’il y a un véritable échange et que des expériences peuvent s’élever aussi à ce niveau-là. A vous tous et tous ceux que j’ai réussi à rencontrer, merci.

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Dédicace

Maintenant nous avons pu partager un petit peu ce que nous avons vécu dans ce stage. Nous passons maintenant à la dédicace.

Dédicace relative

A la fin d’un stage, d’une retraite ou de toute pratique, il est important de faire une dédicace profonde. Et pour que la dédicace soit vraiment profonde, il faut tout d’abord se souvenir de tous les êtres, en visualisant avec notre regard intérieur les différents royaumes d’existence ; il faut se souvenir de la souffrance des êtres dans chaque royaume, dans chaque état d’existence et voir que la plupart n’ont pas accès au dharma. Il faut se rappeler ce moment de gratitude et dire : « Que tout ce que je viens d’écouter, d’entendre, partager, soit disponible pour ceux qui n’ont pas pu venir ».

Quand on fait une dédicace, on ne la fait pas seulement pour soi-même. Maintenant on va faire la dédicace pour tous les autres dans la salle en même temps ; on ne fait pas une dédicace personnelle, on inclut tout le bien qui a été produit pendant ce stage, dans la pratique. Puis, on va étendre encore davantage la conscience pour inclure tout le bien, tous les actes bénéfiques qui ont déjà été produits dans ce monde, dans tous les mondes, dans tous les univers, par tous ceux qui ont pratiqué le dharma. Donc, on inclut tous les êtres du passé qui ont pratiqué le dharma et en plus, tous les actes bénéfiques qui ont déjà été accomplis par ceux qui n’ont pas spécifiquement pratiqué le dharma. Tout ce qui est bénéfique dans l’univers est dédié à l’éveil de tous les êtres. Mais on ne s’arrête pas là non plus. On dédie tout ce qui est accompli maintenant et tout ce qui sera bénéfique dans le futur. On imagine prendre tout cela dans son cœur, tout le bien qui sera encore accompli par tous les êtres dans le futur. Ceci aussi est dédié à la libération et à l’éveil de tous les êtres qui ont vraiment besoin d’aide. On fait des souhaits très puissants pour que chaque être puisse rencontrer le dharma et se libérer grâce à la force du bien.

Quand nous sommes profondément convaincus et que le souhait devient un souhait puissant qui inclut toute notre capacité à faire que chaque être humain soit libéré et réalisé dans l’amour et la sagesse – que chaque animal soit libéré dans l’amour et la sagesse – que chaque esprit avide soit libéré dans l’amour et la sagesse – que chaque être dans les enfers soit libéré dans l’amour et la sagesse, et que les demi-dieux et dieux soient libérés complètement dans l’amour et la sagesse. Quand ces souhaits commencent à inclure tous les êtres, sans aucune exception, notre dédicace devient complète, elle devient universelle. Que tous les êtres réalisent l’éveil, leur propre nature, ce qui est déjà leur héritage depuis toujours et pourtant qu’ils ne connaissent pas.

Dédicace ultime

Ensuite on se détend, il n’y a plus rien à faire. On a développé la force de l’aspiration totale pour libérer tous les êtres, après on lâche, on reste dans l’état d’ouverture tout naturel et on scelle de cette manière la dédicace relative par une dédicace ultime. On se dit à l’intérieur : « Comme tous les bouddhas et bodhisattvas ont fait leur dédicace en demeurant ensuite dans la nature ultime des choses, qu’il en soit ainsi ». Quand on a exprimé cette dernière pensée, « qu’il en soit ainsi », on ne se fait plus de souci. On reste dans ce qui se manifeste à ce moment-là.

FIN

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