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EN ATTENDANT GÖDEL ou Adieu, ma certitude

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EN ATTENDANT GÖDEL

ou

Adieu, ma certitude

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Le XIXe siècle voit la prolifération de

nombreuses théories mathématiques

nouvelles.

en fondant la théorie des ensembles,

Georges Cantor (1845 - 1918) espérait

retrouver l’unité perdue de la science

mathématique et en solidifier les

fondements logiques

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Pour Cantor, il semblait aller de soi que

l’on puisse associer à une propriété

quelconque un ensemble formé de tous

les objets qui possèdent cette propriété

(schéma de compréhension).

Étant donné la propriété P, il doit exister

un ensemble E qui contient tous les

éléments x tels que P(x) est vrai.

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Le paradoxe de Russell

Bertrand Russell (1872 - 1970), philosophe,

mathématicien et militant pacifiste, avait

conçu un paradoxe qui procédait comme

suit : tous les ensembles que l’on peut

concevoir se partagent en deux catégories :

1) les ensembles qui sont des éléments

d’eux-mêmes ;

2) les ensembles qui ne sont pas des

éléments d’eux-mêmes.

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Par exemple, l’ensemble A des concepts abstraits est un

concept abstrait,

on peut donc écrire

A est un élément de lui-même

l’ensemble C des Chinois n’est pas un

Chinois, on peut donc écrire

C n’est pas un élément de lui-même

AA

CC

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Soit M l’ensemble de tous les ensembles

qui ne sont pas des éléments d’eux-

mêmes.

Question :

Est-ce que ?

ou est-ce que ?

Si , alors .

Si , alors .

MM

MM

}|{ XXXM

MM

MM MM

MM

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Conclusion :

la relation est vraie

si et seulement si la relation

est vraie

Plus contradictoire que ça, tu meurs ou...

tu te lances dans la politique.

MM

MM

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Horreur !

le schéma de compréhension est un outil

empoisonné

cette faille se manifeste non pas dans une

province excentrique des mathématiques,

mais dans une discipline, la théorie des

ensembles, que l’on voulait fondamentale

et dont on avait rêvé de tirer

éventuellement la preuve de la cohérence

de la totalité des sciences mathématiques

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Ah ! la vache !

Henri Poincaré (1854 - 1912), qui n’a

jamais prisé les travaux de Cantor (un

Allemand !) rigole dans son coin :

« La Mengenlehre [la théorie des

ensembles] de Monsieur Cantor n’est plus

stérile : elle engendre des paradoxes. »

en 1908, il ajoutera : « Les générations à

venir regarderont la théorie des

ensembles comme une maladie dont on a

fini par se guérir ! »

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en 1902, Russell communique à Gottlob Frege

(1848 - 1925) la teneur de son paradoxe au

moment où celui-ci s’apprête à publier le

second tome de Grundgesetze der Arithmetik

(Les lois fondamentales de l’arithmétique)

Frege est le père du logicisme

son programme : montrer que toutes les

théories mathématiques sont réductibles à

l’arithmétique, et que l’arithmétique est

réductible à la logique, qui apparaît comme le

garant ultime de la vérité

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Frege faisait dépendre la définition des

entiers naturels du concept d’ensemble et du

schéma de compréhension

pour lui, 0 est l’ensemble vide

et N est l’ensemble des nombres ainsi

formés

}}{|{1 xx

}}{|{1 xx

}}}{,{|{2 xx

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Pauvre Frege

« Rien n’est aussi pénible pour un homme

de science que de voir s’effondrer les

fondements de ses travaux au moment

même où il y met la dernière main. C’est

la position dans laquelle je me suis

retrouvé en recevant une note de M.

Bertrand Russell alors que mon ouvrage

allait sous presse. »

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Y a-t-il un mathématicien dans la

salle ?

Le concept d’ensemble, se dit-on, est

essentiel, mais on l’a manié avec trop

d’imprudence.

Ces ensembles de tous les ensembles dotés

d’une propriété donnée engendrent des

collections d’objets mal précisées.

C’est là où se cachent les contradictions.

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Des écoles s’élaborent pour réparer les

brèches ouvertes par les paradoxes.

Groupons-les sous quatre enseignes :

le logicisme, dont la théorie des types de

Russell représente la plus importante

réalisation,

l’intuitionnisme de Brouwer,

le formalisme de Hilbert,

et enfin l’axiomatisation de la théorie des

ensembles (Zermelo et quelques autres)

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LE LOGICISME

Nous avons dit que le logicisme est une

tentative pour réduire les mathématiques

à la logique.

En poussant plus loin encore cette

ambition, on pourrait songer à réduire à

la logique toute la pensée réflexive.

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Les ancêtres du logicisme

Ramon Llull (1235 - 1315), philosophe et

théologien catalan

auteur d’un Ars magna

Wilhelm Gottfried Leibniz (1646 - 1716),

philosophe et mathématicien allemand,

conçoit la caractéristique universelle

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Russell et la théorie des types

Puisqu’il avait mis le feu aux poudres,

Russell se devait de réparer les pots cassés.

Il s’appuiera sur une réflexion fort juste de

Poincaré : « Ces paradoxes résultent du

fait qu’ils s’appuient sur une circularité

où, directement ou indirectement, sous

une forme soit positive soit négative, un

être mathématique fait appel à lui-même

dans sa définition. » (Bootstrap lifting)

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La théorie des types Principe : partager le monde des ensem-

bles en strates qui s’insèrent les unes

dans les autres sans se chevaucher.

objets initiaux (atomes) susceptibles d’ap-

partenir à des collections , mais ne peu-

vent être des collections (objets de type 0)

objets de type 1 : ensembles dont les

éléments sont de type 0

objets de type 2: ensembles dont les

élements sont de type 0 ou 1

Etc.

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On accepte d’écrire des relations comme

ou seulement si le type de

Y est supérieur au type de X.

Alors il n’est plus possible d’écrire de manière

légitime ou , et le paradoxe

de Russell ne peut plus se présenter.

Mais il existe bien d’autres types de paradoxes.

Appelons les paradoxes dont nous avons parlé

des paradoxes logiques.

Ceux que nous allons maintenant examiner

seront appelés des paradoxes sémantiques.

YX YX

XX XX

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Les paradoxes sémantiques

ils ne résultent pas d’un concept

mathématique plus ou moins bien défini,

celui d’ensemble,

mais semblent provenir de l’imprécision

intrinsèque du langage

ils étaient connus dès l’Antiquité,

mais il en existe des formes modernes

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Épiménide le Crétois, philosophe du VIe siècle

avant notre ère, aurait déclaré :

« Tout ce que disent les Crétois est un

mensonge ».

L’auteur de l’Épître à Tite se fait l’écho de cet

aphorisme quand il écrit (1, 12-13) :

« L’un d’entre eux, leur propre prophète, a

dit : “Crétois : perpétuels menteurs,

mauvaises bêtes, ventres paresseux.” Ce

témoignage est vrai. »

La maxime d’Épiménide est-elle aussi vraie

que l’affirme l’auteur de cette épître ?

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Deux siècles plus tard,

Eubulide formulait un paradoxe plus

simple, mais en même temps plus proche

du paradoxe de Russell, qui s’énonçait

comme suit :

« La présente phrase est fausse. »

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Théorie des types ramifiés exposée dans les Principia mathematica

de Russell et Whitehead (1910 - 1913)

utilise deux formes de stratification,

l’une se rapporte aux types des objets

considérés

l’autre se rapportant aux ordres

introduits au sein des énoncés d’une

théorie

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la seconde forme de stratification introduit

une hiérarchie entre les ordres d’énoncés

l’énoncé Tout ce que disent les Crétois est

un mensonge se situerait dans un ordre

différent de l’ordre où se situent les

mensonges habituels des Crétois,

y compris ceux d’Épiménide.

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Les paradoxes sémantiques sont évités. Mais à

quel prix ?

et l’histoire ne s’arrête pas là :

la théorie des types ramifiés entraîne une

stratification des objets logiques,

donc une stratification des êtres mathéma-

ques

des termes comme définition, proposition, entier

naturel et nombre cardinal, pour ne citer que

ceux-là, doivent être dissociés et répartis selon

des niveaux différents

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Les concepts de la logique et des

mathématiques se dissolvent pour

devenir des faisceaux de concepts.

Et ce n’est pas encore fini.

À la place de la notion intuitive de classe,

R&W introduisent un axiome de

réductibilité qui affirme « l’existence

d’une fonction prédicative qui serait

coextensive à toute fonction donnée ».

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ils ajoutent aussi

un axiome de l’infini (qui postule

l’existence d’au moins un ensemble infini)

et un axiome multiplicatif

sans jamais montrer que ces axiomes sont

réductibles à des propositions logiques

ainsi, le programme logiciste se traduit par

un échec :

il n’a jamais pu être mené à terme

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Bilan du logicisme

R&W avaient eu l’imprudence de ratisser

trop large en voulant s’attaquer en même

temps à des difficultés qui se rapportaient

aux mathématiques,

à la logique,

à la philosophie

à la linguistique.

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Bilan du logicisme (prise 2)

Leurs travaux n’ont pas été vains

cependant :

ils furent les premiers à formuler une

définition du concept d’entier naturel qui

ne soit pas contradictoire,

ils élaborèrent l’approche contempo-

raine de la théorie des relations et,

partant, celle des fonctions,

ils mirent en place de nombreux concepts

qui inspireront les recherches de Hilbert

et de Gödel

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L’INTUITIONNISME

On peut compter parmi les précurseurs de

l’intuitionnisme nuls autres que :

René Descartes (1596 - 1650)

Blaise Pascal (1623 - 1662)

Emmanuel Kant (1724 - 1804)

Leopold Kronecker (1823 - 1891)

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« Nous allons énumérer ici tous les actes de notre

entendement, par lesquels nous pouvons parvenir à la

connaissance des choses sans crainte d’erreur ; il n’y en a

que deux : l’intuition et la déduction. Par intuition

j’entends, non pas le témoignage changeant des sens ou le

jugement trompeur d’une imagination qui compose mal

son objet, mais la conception d’un esprit pur et attentif,

conception si facile et si distincte qu’aucun doute ne reste

sur ce que nous comprenons ; ou, ce qui est la même

chose, la conception d’un esprit ferme et attentif, qui naît

de la seule lumière de la raison et qui, étant plus simple,

est par la suite plus sûre que la déduction même, qui

pourtant elle aussi ne peut pas être mal faite par l’homme,

comme nous l’avons remarqué précédemment. »

Descartes, Règles pour la direction de l’esprit

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« Quelque mouvement, quelque nombre, quelque

espace, quelque temps que ce soit, il y a en a toujours

un plus grand et un moindre […]. Toutes ces vérités ne

se peuvent démontrer, et cependant ce sont les

fondements et les principes de la géométrie. Mais

comme la cause qui les rend incapables de

démonstration n’est pas leur obscurité mais au

contraire leur extrême évidence, ce manque de preuve

n’est pas un défaut, mais plutôt une perfection.

D’où l’on voit que la géométrie ne peut définir les

objets ni prouver les principes ; mais pour cette seule et

avantageuse raison, que les uns et les autres sont dans

une extrême clarté naturelle, qui convainc la raison

plus puissamment que le discours. »

Pascal, De l’esprit géométrique et de l’art de persuader

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Kant voyait dans notre conception de l’espace et du

temps des intuitions pures qui guidaient a priori

l’esprit humain dans l’organisation des perceptions

reçues par l’intermédiaire des sens

Kronecker : « Dieu a créé les entiers naturels,

alors que le reste est l’œuvre des hommes. »

il mettait en doute la validité des preuves

d’existence, quand elles étaient incapables de

fournir un moyen explicite soit pour construire les

êtres mathématiques dont on prétendait avoir

démontré l’existence, soit pour en déterminer la

valeur

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dans Science et méthode (1909), Poincaré

s’attaque à Giuseppe Peano (1858 - 1932) qui

avait élaboré une axiomatisation de

l’arithmétique qu’il juge obscure et inutile

« il écrit en péanien »

il se moque aussi de Burali-Forti qui avait

défini comme suit le nombre 1 :

1 = iT'{Ko (u, h) (u Un)}

« Voilà une définition du nombre 1 éminem-

ment propre à donner une idée de ce nombre

aux personnes qui n’en auraient jamais

entendu parler. »

)},(),({KoT' 1 Unuhu i

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Le père officiel de l’intuitionnisme :

L.E.J. Brouwer (1881 - 1966)

thèse de doctorat (1907) : Sur les fondements des

mathématiques

Carrière en trois étapes :

1.- 1908- 1919 : s’attaque au logicisme de R&W

et aux idées de Cantor et de Hilbert ;

2.- 1920 - 1940 : tente de reconstruire les théories

mathématiques en fonction des principes

intuitionnistes

3.- 1940 -1960 : théorie du sujet créatif

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Pour Brouwer les mathématiques sont une activité qui se situe dans

l’esprit humain, qui n’a d’existence qu’en lui, et qui est

donc tout à fait indépendante du monde réel

l’esprit est capable de percevoir de manière immédiate,

intuitive, certaines vérités, notamment à propos des

mathématiques, sans que n’intervienne l’expérience

sensible

la connaissance des entiers naturels et de leurs propriétés

appartient à ce type de vérité

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cette connaissance s’appuie sur une intuition

encore plus fondamentale, celle du temps à

l’intérieur duquel le moment présent crée une

dualité quand il sépare ce qui précède et ce qui suit

de cette intuition de la dualité naît par dissociation

celle d’unité

de la dualité associée à l’unité naît la trialité, et

ainsi de suite

c’est par un tel moyen que l’esprit humain

appréhende successivement de manière intuitive

chaque entier naturel

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Oui mais... selon Brouwer si chaque entier naturel peut être construit par un tel

processus mental,

cela n’entraîne pas qu’il en soit de même pour

l’ensemble N des entiers naturels

Brouwer n’admet l’infini que dans la mesure où il

apparaît sous une forme potentielle.

il refuse de considérer comme valide un infini qui serait

réalisé dans un hypothétique ensemble contenant la

totalité des entiers naturels

adieu les preuves par induction

de plus,

refus des preuves existentielles non constructives

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Construction des autres nombres

selon Brouwer

nombres rationnels (fractions) : quotients de

deux entiers naturels (pas de problèmes)

nombres réels : associés au continu

Brouwer no 1 : le continu (et les nombres

réels) sont immédiatement perçus par

l’esprit humain

Brouwer no 2 : concept vaporeux de suite

de formation libre (chaque suite génère un

nombre réel)

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La logique mise en péril

nous avons hérité de la philosophie grecque deux

principes logiques fort importants :

le principe du tiers exclu qui nous assure que tout énoncé

A est ou bien vrai ou bien faux (auquel cas la négation

de A est vraie), et qu’en dehors de ces deux-là il n’existe

pas de troisième possibilité

le principe de contradiction selon lequel un énoncé ne

peut pas être à la fois vrai et faux

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pour Brouwer,

l’acceptation du principe du tiers exclu sous sa

forme générale résulte d’une extrapolation

imprudente

qui repose sur le seul fait que ce principe n’a jamais

été mis en défaut dans la vie de tous les jours

parce que la vie de tous les jours ne manie que des

ensembles finis et discrets d’objets

il refuse donc d’admettre la validité du principe du

tiers exclu

quand on l’applique à des êtres mathématiques

infinis

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Adieu les preuves par l’absurde

David Hilbert :

« Faire des mathématiques en se privant du

principe du tiers exclu, c’est comme, pour un

boxeur, se présenter dans l’arène avec les bras

attachés derrière le dos ou, pour un astronome, se

priver de son télescope. »

« Les intuitionnistes cherchent à détruire et

défigurer les mathématiques. »

c’était pour lui, les ennemis publics numéro un

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Brouwer :

« Les paradoxes de Cantor et Russell sont

apparus parce qu’on a voulu appliquer les

principe du tiers exclu à des ensembles

infinis. »

c’est vrai, mais le remède proposé par

Brouwer est encore plus détestable que le

mal

c’est le coup du pavé de l’ours

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par ses critiques, Brouwer a :

ébranlé la logique millénaire

fait sombrer des pans entiers de disciplines aussi

importante que l’analyse

il avait le devoir de reconstruire l’édifice qu’il avait

en partie détruit

il s’y attaquera d’abord avec enthousiasme,

puis avec de plus en plus de lassitude

les restrictions radicales qu’il s’est imposées

l’obligent à chercher des preuves tirées par les

cheveux

et à déformer des notions consacrées et des résultats

bien établis

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Exemple de théorème intuitionniste Toute fonction réelle est

continue.

Et les fonctions en escalier

alors ?

Brouwer définit les

concepts de nombre réel,

de fonction réelle et de

fonction continue de telle

sorte que le théorème

devienne vrai pour de tels

concepts

mais ces définitions

ressemblent fort peu à

celles que l’on rencontre en

analyse classique

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Bilan de l’intuitionnisme

Points négatifs : radicalisme agressif

caractère obscur et discutable

Concédons :

il est préférable, quand c’est possible, de donner des

preuves constructives

mais il vaut mieux posséder une preuve existentielle non

constructive que pas de preuve du tout

et les preuves constructives ne doivent pas être

recherchées au prix d’un chambardement radical des

concepts et des méthodes des disciplines établies

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LE FORMALISME

Leçon tirée des géométries non

euclidiennes :

les axiomes et les postulats d’une théorie

ne sont pas forcément des vérités

évidentes

un système d’axiomes doit être jugé en

fonction de la cohérence (non-contradic-

tion) et de la complétude de la théorie

qu’il engendre

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une théorie est cohérente (non contradictoire)

s’il est impossible d’y démontrer à la fois un

énoncé et la négation de cet énoncé (concept

apparenté au principe de contradiction)

une théorie est complète si, pour tout énoncé A

fermé (c’est-à-dire sans variables libres) de

cette théorie, il est possible d’y démontrer soit

A, soit la négation de A (concept apparenté au

principe du tiers exclu)

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David Hilbert (1862 - 1943),

père de l’école formaliste

en 1900, il énumérait un catalogue de 23

problèmes qu’il serait important de résoudre

L’un de ces problèmes état le suivant :

démontrer la cohérence de

l’arithmétique.

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Programme de Hilbert

considérer les théories mathématiques

comme des systèmes de signes dépourvus de

signification

et

soumis à des règles qui ressemblent aux règles

d’un jeu et aux lois syntaxiques d’un langage

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Preuve :

ensemble ordonné de formules (suites de

symboles) qui s’enchaînent les unes aux autres

conformément à des règles d’inférence

cet enchaînement de formules constitue la

preuve de la dernière formule de l’ensemble

dans une théorie mathématique, une formule

est vraie si et seulement si ou bien elle est un

axiome ou bien elle est obtenue à partir des

axiomes au moyen d’une preuve

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Comment s’assurer qu’une théorie

est cohérente ?

on possédait à cette époque des preuves de la

cohérence relative de certaines théories

par exemple, si on admet la cohérence de

l’arithmétique, il est possible de démontrer

que la géométrie euclidienne est cohérente

(Hilbert)

oui, mais . . . il faudrait à la base avoir des

preuves de cohérence absolue

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Supposons que l’arithmétique ne soit pas une

théorie cohérente.

il existe donc une proposition P telle qu’on

peut démontrer P et non-P

mais une de ces deux propositions est

sûrement fausse

or, la logique nous enseigne qu’à partir d’une

proposition fausse on peut démontrer

n’importe quoi

si l’arithmétique n’est pas cohérente, on peut

donc y démontrer que 1 = 0

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selon Hibert, pour s’assurer que l’arithmétique est

une théorie cohérente,

il suffirait donc de prouver qu’il est impossible de

démontrer à partir des axiomes de l’arithmétique

que 1 = 0

« Ce que nous avons éprouvé à deux reprises,

d’abord les paradoxes du calcul infinitésimal, puis

les paradoxes de la théorie des ensembles, ne peut

plus se manifester une troisième fois, et ne se

manifestera jamais plus. » Hilbert en 1926

mériterait de se retrouver dans le catalogue des

famous last words

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La métamathématique

discipline dont la tâche est de faire l’étude

des théories mathématiques

on distingue entre

une théorie objet, celle qui est étudiée

et

une métathéorie, qui est l’instrument avec

lequel la théorie objet est analysée

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Caractéristiques de la

métamathématique

restriction à des procédés finitistes :

les preuves d’existence doivent être de nature

constructive

on laisse de côté les preuves par l’absurde,

l’induction transfinie et les ensembles infinis

ou si on traite d’ ensembles infinis,

ce n’est que sous la forme de symboles

apparaissant comme tous les autres à l’intérieur de

formules quelconques

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Reproches des écoles rivales

Russell reprochera à Hilbert de vider les

mathématiques de leur signification, en voulant

n’y voir que des jeux abstraits de manipulations

de symboles.

Brouwer : « À la question de savoir où doit se

situer la rigueur mathématique, l’intuitionniste

répond : dans l’esprit humain, tandis que le

formaliste répond : sur une feuille de papier. »

reproches injustes

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Bilan du formalisme

ni le logicisme, ni l’intuitionnisme n’avaient

réussi à fournir des solutions véritables aux

problèmes de la complétude et de la

cohérence des théories mathématiques

le formalisme s’est attaqué de plein front à

la résolution de ces questions

à la veille des années 30, on avait obtenu

des résultats pour des théories infra-

arithmétiques

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L’axiomatisation de la

théorie des ensembles

la valeur d’un développement axiomatique a

fait ses preuves depuis les Éléments d’Euclide

premier artisan : Ernst Zermelo (1871 - 1953),

ancien étudiant de Hilbert

son but : opérer un tri entre des collections

vagues et des ensembles de bon aloi générés à

partir d’ensembles à la qualité reconnue par

des processus éprouvés

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Exemples d’axiomes dans la

théorie ZF (Zermelo-Fraenkel)

axiomes d’extensionalité, de l’ensemble vide, de la paire

ordonnée, de la réunion d’ensembles, de l’ensemble de

tous les sous-ensembles d’un ensemble, de l’ensemble

infini

schéma de compréhension revisité

axiome du choix :

étant donné un ensemble A d’ensembles non vides, il existe

un ensemble C formé en choisissant un élément dans

chacun des ensembles qui appartiennent à A.

c’est un axiome de type existentiel et non constructif

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ZF, qu’ossa donne ?

ZF permet d’étudier l’arithmétique des

entiers naturels et les opérations effectuées

avec des nombres transfinis

par ailleurs, à partir des entiers naturels

il est possible de définir et d’étudier les

divers types de nombres que l’histoire des

mathématiques nous a légués :

entiers relatifs, nombres rationnels,

nombres réels et complexes

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Conclusion :

l’arithmétique et l’analyse s’appuient

sur la théorie des ensembles

par l’intermédiaire de la géométrie

analytique, la géométrie repose sur

l’analyse

la plus grande partie des mathématiques

dépend de la théorie des ensembles

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d’où l’importance de trouver une

réponse aux deux questions suivantes :

(a) la théorie des ensembles est-elle

cohérente ?

(b) la théorie des ensembles est-elle

complète ?

tout se ramène alors à des questions de

cohérence relative

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Pleins feux sur Kurt Gödel

(1906 - 1978)

il publie en 1931 deux théorèmes d’une

extrême importance

(à proprement parler, il faudrait parler de

métathéorèmes, puisqu’ils appartiennent à

une métathéorie chargée d’étudier

l’arithmétique en tant que théorie objet)

ces théorèmes viennent bouleverser le

programme conçu par Hilbert

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Théorèmes de Gödel

1.- Quel que soit l'ensemble d'axiomes que l'on

conçoive pour construire une théorie ayant au

moins la complexité de l'arithmétique des entiers

naturels, il existera toujours au moins un énoncé

vrai qu'il sera impossible de démontrer à partir de

ces axiomes.

2.- Il est impossible de démontrer à l'intérieur

d'une théorie ayant au moins la complexité de

l'arithmétique des entiers naturels la non-

contradiction de cette théorie.

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Autrement dit :

(1) nous apprend que l’arithmétique est une théorie

incomplète

(2) nous fait savoir que pour établir la cohérence d’une

théorie A, il faut concevoir une métathéorie B dont l’un

des métathéorèmes se rapportera à la cohérence de A

mais alors se posera le problème d’établir la cohérence

de B sans laquelle on ne peut être assuré de la validité du

résultat qui établissait la cohérence de A

pour établir la cohérence de B, il faudra recourir à une

métathéorie C dans laquelle on établira la cohérence de

B. Et ainsi de suite.

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Dilemme cornélien ou shakespearien ?

est-on menacé de devoir recourir a une série

infinie de métathéories dont chacune permet

d’établir la cohérence de celle qui la précède,

mais dont la cohérence propre dépend de celle

qui la suit ?

ou

y a-t-il quelque part une métathéorie ultime

dont la cohérence va de soi et sur laquelle

puisse se fonder la cohérence de toutes les

autres théories et métathéories ?

voilà la question

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Comment Gödel s’y est-il pris pour démontrer

ces théorèmes ?

Vous rappelez-vous le paradoxe d’Eubulide, qui

disait : « La présente phrase est fausse. » ?

Gödel eut l’idée de reprendre cet énoncé et d’y

remplacer le mot fausse par le mot indémontrable.

Il obtenait ainsi l’énoncé :

« La présente phrase est indémontrable. »

toute l’astuce de Gödel vient de ce qu’il est

parvenu, par une technique que l’on appelle une

arithmétisation de l’arithmétique, à construire à

l’intérieur de l’arithmétique une proposition qui

affirme sa propre indémontrabilité

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supposons que dans une théorie on

rencontre une proposition qui s’énonce

comme suit :

« je suis indémontrable »

de deux choses l’une :

ou bien cet énoncé est effectivement

démontrable ou il ne l’est pas

s’il n’est pas démontrable, on en conclut

que l’énoncé est vrai

mais c’est un énoncé vrai qu’il n’est pas

possible de démontrer,

donc, dans ce cas, la théorie est incomplète

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en revanche, si cet énoncé était démontrable, il

s’ensuivrait qu’il est faux.

donc il serait possible de démontrer dans cette

théorie un énoncé faux, autrement dit la théorie

serait incohérente.

c’est le mal ultime pour une théorie qui se prétend

logique.

donc, si on tient à ce que l’arithmétique soit

cohérente, (puisque c’est d’elle qu’il s’agit), il faut

se résigner à admettre qu’elle est incomplète

il existe en arithmétique des énoncés vrais qu’il

impossible de démontrer à partir des axiomes de

cette théorie

l’incomplétude est le prix qu’il faut payer pour

échapper aux tribulations de l’incohérence

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Ainsi, en remplaçant le mot fausse dans le

paradoxe d’Eubulide par le mot indémontrable,

Gödel a transformé un paradoxe en un énoncé

subtil, mais fécond, puisqu’il est capable d’éclaircir

les rapports adverses et complémentaires qui

existent entre les concepts de cohérence et de

complétude.

Mais il nous a en même temps appris qu’il semble

que nous soyons irrémédiablement condamnés à

accepter une insondable zone floue cachée au plus

profond des sources de notre connaissance.

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Le mathématicien allemand Hermann Weyl,

compagnon de route des intuitionnistes, déclarera

avec un sourire en coin :

« Dieu existe, puisque nous savons intuitivement

que les mathématiques sont cohérentes, mais le

diable aussi existe, puisque nous sommes

incapables de le démontrer. »

J’ajouterais que si cela constitue une preuve de

l’existence de Dieu et du diable, elle est de nature

existentielle et non constructive.

Pour être intuitionniste, on n’en est pas moins

homme, et l’on ne peut pas toujours être cohérent

avec ses principes.

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Gödel, qui n’était pas un intuitionniste, nous oblige

pourtant à nous rendre compte que tout n’était pas

faux dans les principes de cette école, puisqu’il faut

sans doute nous résigner à faire la part de

l’intuition, fût-elle réduite à des doses minimales,

pour soutenir en dernier recours la tâche des

mathématiciens. Nous admettrons que les

mathématiques sont cohérentes, tout simplement,

comme le dit Weyl, parce que nous sentons au fond

de nous-mêmes qu’elles le sont, et parce que nous

sentons aussi que s’il arrivait dans l’avenir

qu’apparaissent de nouveaux paradoxes, nous

aurions assez d’ingéniosité pour surmonter les

crises qu’ils auraient suscitées, comme nous avons

toujours su le faire tout au long de l’histoire des

mathématiques.

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Mais personne n’échappe à la

malédiction du pharaon

Dans sa thèse de doctorat intitulée Les limitations

internes des formalismes, le philosophe belge Jean

Ladrière montrait que les limitations imposées par

les théorèmes de Gödel aux théories mathéma-

tiques s’appliquent à toute discipline où l’on fait

appel à un symbolisme quelconque. Or, tout

langage est un symbolisme, et toute pensée

s’exprime par l’intermédiaire d’un langage.

Que vous pratiquiez la philosophie, la physique ou

la sociologie, n’oubliez jamais que l’épée de

Gödel est suspendue sur vos têtes.

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« Nous flottons dans un milieu d’une immense étendue,

toujours dérivant de manière incertaine, comme

entraînés par le souffle du vent. Dès que nous croyons

posséder une assise immobile à laquelle nous pensons

nous attacher pour enfin nous fixer, elle se déplace et

nous laisse en arrière. Si nous la poursuivons, elle se

dérobe à notre emprise, s’éloigne et fuit éternellement

devant nous. Pour nous, rien ne s’arrête. C’est notre état

naturel et c’est pourtant un état tout à fait opposé à nos

inclinations. Nous brûlons du désir de nous appuyer sur

des bases solides, ultimes, éternelles, sur lesquelles nous

puissions édifier une tour qui s’élèverait jusqu'à l’infini,

mais soudain la fondation tout entière se lézarde, et la

terre s’entrouve. »

Virginia Woolf, Pensées