Emile Fabrol, Le PCF et Trotsky, ou les premières années du communisme en France (1914-1927)

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Le PCF et Trotsky, ou les premières années du communisme en France (1914-1927)Par Emile FabrolPublié en mai 2007 (numéro 68 de la revue Prométhée)Cet article est une nouvelle version, revue et augmentée, de l’article publié dans Prométhée (numéro 1, 2e trimestre 1989), puis dans Les Cahiers Léon Trotsky (numéro 41, mars 1990) et traduit en anglais dans Trotsky and the origins of trotskyism (Francis Boutle Publishers, 2002)

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  • PromtheJournal communiste militant Numro 68 mai 2007

    Le PCF et Trotsky ou

    les premires annes du communisme en France(1914 1927)

    En cette anne du 90e anniversaire de la Rvolution doctobre, il nous a paru utile de regrouper dans un seul numro les diverses tudes effectues par Promthe depuis sa fondation en 1989. Ces tudes, revues et

    augmentes, mettent en vidence le rle trop souvent ignor ou occult de ces militants syndicalistes rvolutionnaires et socialistes qui refusrent la capitulation des directions ouvrires un certain aot 1914.Leur combat, qui les menrent la cration du PCF Tours en 1920, rencontra Trotsky puis la Rvolution

    doctobre. Ce dernier joua tout au long de cette priode un rle dterminant. La prise en main du PCF par les bolchvisateurs puis par les staliniens se fit en liminant les militants du Comit de la 3e Internationale qui ne

    renirent pas leur convictions. Enfin, nous portons un attention toute particulire lun dentre eux : Alfred Rosmer.

    N FEVRIER 1922, Lnine soulignait que La transformation dun parti europen ancien, parlementaire, rformiste dans les faits et peine

    teint de couleur rvolutionnaire, en parti de type nouveau, rellement rvolutionnaire, rellement communiste, est une chose extrmement ardue. Lexemple de la France est sans doute celui qui montre le plus nettement cette difficult. [1] Cette opinion rsume parfaitement la crise que traverse alors la Section franaise de lInternationale communiste. Le 4e congrs de lIC, en novembre-dcembre 1922, en adoptant un programme de travail et daction pour la SFIC et en tranchant la composition de sa direction avait mis un terme une crise qui aurait pu emporter dfinitivement le tout jeune PCF.

    E

    Depuis le congrs de Tours, le PCF tournait sur lquilibre entre le centre et la gauche. Les reprsentants du centre, Frossard et Cachin, avaient, leur retour de Russie, fait pencher la balance vers ladhsion la 3e Internationale ; mais le centre nen ntait pas devenu pour autant communiste. La gauche, ou lancien Comit de la 3e Internationale, regroupait les militants du Parti socialiste et de la CGT qui navaient pas sombr dans lunion sacre au dbut de la 1re guerre mondiale, qui avaient fait corps avec la Rvolution russe et adhr lInternationale communiste ds sa cration en 1919.

    Au 2e congrs du PCF, Paris en 1922, le centre avait vot les rsolutions politiques de la gauche tout en cherchant carter totalement la gauche du Comit directeur. A ce congrs, Cachin navait pas dissimul les intentions du centre : Au nom du centre, je dclare que nous prendrons seuls la direction du parti. [2] Cela se traduit en autres

    manuvres bureaucratique par lviction de Souvarine, membre de lexcutif de lIC, de la direction du Bulletin communiste [3] et son remplacement par Paul Louis, journaliste de profession qui collaborait divers journaux bourgeois. En signe de protestation Loriot, Dunois, Treint et Vaillant-Couturier dmissionnent du Comit directeur.

    Alors la gauche entreprend la sortie du Bulletin communiste international. Dans le numro du 26 octobre 1922, Souvarine rsume trs bien ltat desprit du centre : La grande majorit du Parti, reconnaissant la valeur des conceptions de lInternationale, sorientait selon la direction que la gauche avait toujours cherch lui donner. Le centre, qui ne manque pas dun certain flair politique, sen aperut temps et fit sien le programme de la gauche. () Lunion du centre et de la gauche, prconise par lInternationale, se ralisait donc en apparence. Mais en ralit, le centre ne songeait qu sa revanche. Dans le mme numro Dunois crivait ce passage prmonitoire : Lesprance de la gauche a vcu. Son optimisme gnreux a reu le dmenti des faits. Lunion du centre et de la gauche, qui pouvait sauver le Parti du confusionnisme mortel o se dbattait sa faiblesse, ne sest pas accomplie au congrs national. Jai maintenant la ferme certitude qu aucun moment, les chefs du centre nont sincrement voulu lunion avec la gauche, et que cest dlibrment quils ont, en vue du port, fait chouer lesquif qui portait le communisme et sa fortune.

    Le 4e congrs de lIC tranchera, sous limpulsion de Trotsky, la crise qui secoue le PCF. Le nouveau comit directeur est compose de 10 reprsentants du centre, 9 de la gauche et 4 pour la tendance Renoult, et rtablit Souvarine

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  • comme directeur du Bulletin communiste. Aprs la dmission de Frossard, le bureau politique est compos de Cachin, Sellier et Marrane pour le centre, de Rosmer, Souvarine et Treint pour la gauche et de Werth pour la tendance Renoult. Le PCF est donc remis sur les rails du congrs de Tours et dbut 1923 voit adhrer Barbusse et les syndicalistes rvolutionnaires Monatte et Monmousseau. Souvarine, enregistrant cet important apport de forces rvolutionnaires restes ce jour en dehors du PCF, crit : Enfin, la condition capitale assurant la continuit du dveloppement du Parti dans le sens rvolutionnaire et proltarien se ralise progressivement ; cest la fusion des syndicalistes rvolutionnaires et des communistes. Nous navions cess de dire et de rpter, avant et aprs Tours : le Parti ne sera communiste quavec ladhsion des syndicalistes vraiment rvolutionnaires, cest--dire des communistes qui restent en dehors du Parti. Maintenant, la prsence des fondateurs de La Vie ouvrire parmi nous donne la classe ouvrire, lInternationale, la certitude de lexistence dun vrai Parti communiste en France. [4]

    Sous le drapeau de lanti-trotskysme A la mort de Lnine, la lutte qui oppose dun ct Zinoviev,

    Kamenev et Staline et de lautre ct Trotsky et lOpposition de gauche dans le Parti communiste russe atteindra lIC et plus particulirement sa section franaise. La lutte contre le trotskysme devenait le cheval de bataille contre tous ceux qui sopposaient la politique de Zinoviev la tte de lIC et de Treint la direction du PCF. Cette question, comme on va sen rendre progressivement compte, nest pas seulement une question dhistoire. Elle est une question politique.

    En juillet 1924, Souvarine est exclu pour indiscipline . En dcembre de la mme anne cest le tour de Monatte, Rosmer et Delagarde. Les procureurs inaugurent largumentation massue qui fera flors lpoque du stalinisme flambloyant. La motion dexclusion stipule : les armes ramasses par Monatte, Rosmer et Delagarde dans larsenal de Pioch et de Frossard sont lheure actuelle reprise par toute la bourgeoisie et dirige contre le Parti et lInternationale. Ainsi, Monatte, Rosmer et Delagarde participent loffensive antiproltarienne et anticommuniste mene par les forces combines du fascisme dmagogique et du bloc des gauches fascis. [5] Et pour lironie de lhistoire, Doriot assna la sentence dans LHumanit du 7 dcembre 1924 : Choisir le moment o le fascisme sorganise puissamment en France pour lancer un libelle tendant dnigrer la direction du Parti cest trahir la classe ouvrire. Mme si lartisan de ce verdict injuste et politiquement sans fondement nest autre que Treint, exclu en 1926 pour trotskysme , cest de la pure phrasologie stalinienne.

    Loffensive contre ces militants du Comit de la 3e Internationale et, sauf Souvarine, issus du syndicalisme rvolutionnaire, ayant particip la prparation de la confrence de Zimmerwald une poque o le Parti socialiste se vautrait dans lunion sacre, ayant t membres (comme Rosmer) de lIC avant le congrs de Tours ne pouvait que remplir daise le centre qui avait dj tent de les liminer de la direction du Parti en 1922. Cette offensive avait t lanc par Treint dans le Bulletin communiste, repris en main depuis lexclusion de Souvarine, avec larticle intitul Contre la droite internationale. Cet article rquisitoire, long de sept pages, est un chef duvre de

    confusionnisme, de suivisme et dabsence danalyse politique. Les murs de la bolchvisation se mettent en place : la dformation des faits voir leur falsification, laccusation sans preuves, largument dautorit prennent le pas sur la confrontation dides et le dbat politique. Dans cet article, on relve les perles suivantes : Ce qui trouble quelques camarades, qui sont parmi les meilleurs, cest que notre droite actuelle est issue de lancienne gauche. On stait habitu dans le Parti voir en des hommes comme Souvarie, Rosmer et Monatte des guides prouvs et srs. ; Lhistoire nous montre que le mouvement ouvrier doit employer beaucoup de ses nergies liminer les erreurs prsentes de quelques-uns qui, dans le pass, lont le mieux servi. Et puis, nous ne sommes pas un tribunal de moralit charg de juger si les intentions de Rosmer, de Monatte, de Souvarine ou de Trotsky sont pures. [6]

    Dans le mme article, Treint sonne la charge contre Monatte accus dtre un reflet attnu de lanarcho-syndicalisme. en rduisant le rle des cellules dusines et surtout en voulant constituer un rseau de commissions syndicales indpendantes de la direction du Parti. A lpoque il est encore possible, parfois, de rpondre quand on est mis en cause. Monatte obtiendra ce droit. Il conteste lassertion de Treint sur les commissions syndicales, note que Smard en a vaguement souvenir, que le dlgu de lInternationale syndicale rouge nen a, lui, aucun souvenir et que, surtout, le procs-verbal de la runion a disparu ; puis il rtablit les faits : En ralit, il na jamais t question de constituer un rseau de commissions syndicales indpendantes de la direction du Parti. Il a t uniquement question de faire vivre ces commissions dune vie relle. Cela maurait suffi, car je sais bien que la prsence et laction des ouvriers auraient tonifi le Parti, lauraient non seulement proltaris mais auraient fait dans son sein un contre-poids ncessaire lesprit parlementaire et lesprit blanquiste ou putschiste. [7]

    Dans sa rponse Treint, Monatte posait politiquement les vrais problmes ; ceux que les zinovivistes ne voulaient pas voir soulever. Ils se sentaient plus puissants sur le terrain de linvective, car on limine pas aussi facilement que a du Parti ses lments rvolutionnaires. De plus Treint se devait daller vite en besogne, mettre lIC devant le fait accompli en exploitant Paris le conflit qui commenait Moscou pour prouver en France lexistence dune fraction de la prtendue droite internationale qui aurait sa tte Trotsky. En effet, dans une lettre Zinoviev, date du 10 septembre 1923, Humbert-Droz, dlgu de lIC auprs du PCF, crivait : Rosmer me parat le seul qui ait lautorit ncessaire et en mme temps le doigt indispensable pour tre secrtaire gnral du Parti. [8] Mais, il ntait pas question pour Zinoviev, en lutte contre Trotsky, de voir la direction du parti franais un homme li ce dernier depuis la 1re guerre mondiale.

    Treint sattaqua ensuite LHumanit qui ferait perdre au Parti sa claire figure communiste. Rien que a ! Responsables de plusieurs rubriques du quotidien du PCF, Monatte, Rosmer, Charbit, Antonini, Godonnche et Chambelland dmissionnent courant avril 1924. Le Bulletin communiste du 23 mai 1924 publie leurs lettres dexplication. Voici leurs principaux arguments : Nous le faisons avec le sentiment quun travail urgent de redressement du Parti simpose. Puis ils expliquent le sens politique de leur geste : Nous rentrons dans le rang. Nous y serons plus laise

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  • pour dfendre notre point de vue : celui dun Parti communiste o les ouvriers ne seraient pas des figurants, mais le vrai moteur de lorganisme tout entier. Dun Parti communiste qui comprendrait la nature et limportance exactes du travail syndical. Dun Parti communiste o le centralisme mcanique cderait la place au centralisme animateur. Dun Parti communiste do seraient bannies les crises artificielles de direction qui dmoralisent et dtournent de leur travail les militants du rang. Dun Parti communiste qui aurait cur dtre une vraie section de lInternationale.

    Mme si la campagne pour les lections lgislatives de 1924 se droule sous le mot dordre du bloc ouvrier et paysan contre le bloc national (droite bourgeoise) et contre le bloc des gauches (Parti socialiste allie au Parti radical) [9] ; il existe des relents non ngligeables de parlementarisme dans le PCF. Les dmissionnaires constatent que A lheure o la campagne lectorale bat son plein et o le Parti donne limpression quil y participe surtout dans lintention de conqurir des siges, il est normal que des membres du Parti issus du syndicalisme rvolutionnaire soient traits en pestifrs et mme menacs dexclusion.

    Dj en juillet 1924, au 5e congrs de lIC, celui dit de la bolchvisation , Souvarine avait t exclu pour des conceptions et des pratiques personnelles compltement inadmissibles et incompatibles avec le mouvement communiste. [10] Derrire ces propos moralistes se cachent lnervement de Zinoviev et de Treint parce que les positions de lopposition russe taient publies dans le Bulletin communiste [11] Mais surtout, Treint et Zinoviev ne pardonnent pas Souvarine davoir fait voter le 24 mars 1924 au comit directeur une motion condamnant les attaques contre Trotsky sans pour autant se dclarer solidaire de lopposition russe ; seuls Treint et Suzanne Girault votrent contre cette motion. Dans son article Contre la droite internationale, Treint prsente ainsi les vnements : Souvarine a fait voter notre comit directeur, qui sest laiss surprendre [soulign par la rdaction de Promthe] une rsolution sur la question russe qui, sous des dehors dimpartialit, constituaient une vritable dclaration de guerre au Comit central russe. Quand Souvarine, si bien inform des choses de lInternationale, a-t-il dnonc lopportunisme de la direction du Parti polonais ? Il est vrai que le Comit central polonais a vot une rsolution analogue celle de Souvarine. [12] Alors, lacte qualifi dindiscipline que constitua la publication, aprs une souscription militante, du Cours nouveau de Trotsky ntait plus que la dernire priptie.

    Comme on peut sen rendre compte la lutte contre le trotskysme prit trs rapidement en France un tour extrme, voire mme lallure dun acharnement. Il faut aller chercher les raisons de cet acharnement dans la popularit dont jouissait Trotsky dans le PCF lpoque. Dans leur marche au communisme les premiers rsistants lunion sacre, le noyau de La Vie ouvrire, rencontrrent Trotsky Paris et prparent avec lui les confrences de Zimmerwald et de Kienthal. [13] De plus, Trotsky, prsident de la commission franaise de lIC, avait jou un rle moteur dans les conclusions du 4e congrs de lIC en solutionnant la crise ouverte dans le PCF. Fait remarquable, en janvier 1924, lors de la mort de Lnine LHumanit associe Lnine et Trotsky ; le 23 sous le titre Lnine est mort, deux photos une de Lnine seul et une avec Kamenev et Trotsky ; le 25 un ditorial

    intitul Adieu Illitch ! Adieu chef ! sign Lon Trotsky ; le 27 une photo avec la lgende suivante : Lnine parlant aux volontaires partant pour le front polonais Moscou, place du Thtre en 1920. Au pied de lestrade un certain Lev Davinovitch Bronstein (il disparatra dans la version stalinienne de cette photo) A cela, ajoutons que Rosmer fut membre de lIC avant le congrs de Tours, quil est signataire du Manifeste adopt par son 2e congrs, en juillet 1920, et quil est galement signataire avec Lnine, Trotsky, Zinoviev entre autres du tlgramme de lExcutif de lIC au congrs de Tours (plus connu sous le nom de tlgramme Zinoviev) ; tlgramme qui, avec lintervention de Clara Ztekin, conduira finalement la majorit du 18e congrs du Parti socialiste adhrer la 3e Internationale. En excluant ces camarades du PCF, en 1924, ce sont ses vritables fondateurs qui sont expulss. Les zinovivistes font, peut-tre sans le savoir ni le vouloir, le jeu du centre qui pour le moment les soutient.

    Le Comit de la 3e Internationalevritable fondateur du PCF

    C'est dans ce contexte qu'clate la rvolution russe. Alors que Cachin, en tant que reprsentant de la France imprialiste, part Petrograd pour convaincre Krensky de poursuivre l'effort de guerre aux cts de l'Entente; les militants du CRRI (Comit pour la reprise des relations internationales) deviennent les militants de la rvolution russe. Non comme ces catgories d'extra-terrestres que l'on peut parfois encore voir sur les trottoirs des manifestations parisiennes mais comme des militants participants au mme mouvement rvolutionnaire.

    Le 8 mai 1919, le CRRI dcide de se transformer en Comit de la IIIe Internationale et donne son adhsion celle-ci. Selon ses statuts, le Comit se donne pour objectif d'amener l'ensemble des organisations ouvrires, socialistes, communistes et rvolutionnaires rejoindre la IIIe Internationale et de propager parmi les masses et les organisations proltariennes les principes communistes. Dans leur action, ils peuvent faire leur ce qu'crivait Monatte dans la circulaire de lancement de la Vie ouvrire en avril 1919 : Il s'agit d'abord de voir bien clair et de faire voir clair autour de nous. Etude, propagande, travail constructif doivent marcher de pair avec le coup de balai dans la maison du peuple et par tout le pays. [14]

    De mai 1919 mars 1920, le Comit de la IIIe Internationale n'a pas de moyen d'expression propre, c'est la Vie ouvrire qui prend en charge l'information sur l'action pour l'adhsion au communisme. C'est ainsi qu'au fil des numros on apprend que se constitue des groupes dans tel ou tel dpartement, que telle ou telle section de la SFIO adhre au Comit. Si certains de nos lecteurs se mettaient rver en s'imaginant ces annes de luttes comme une progression continue, il faudrait les en dtromper. Les difficults sont nombreuses tant sur le plan du combat politique que sur les questions d'organisation et en particulier celle des finances et de la diffusion du journal. Dans une runion Monatte voquera plus d'une fois ces problmes. A titre indicatif la Vie ouvrire tire chaque mois 25 000 exemplaires et possde un peu plus de 2 000 abonns. C'est partir du 1er mars 1920 que le Comit ditera un bimensuel qui deviendra un hebdomadaire : le Bulletin communiste dirig par Souvarine.

    Tout comme aujourd'hui, l'intrieur du parti il n'est facile de convaincre les zimmerwaldiens de cur de ne pas faire

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  • bloc, au nom de l'unit, avec le centre dit "reconstructeur" (de la IIe Internationale) dirig par Longuet. Loriot critiquera cette attitude qui finalement ne fait que conforter la direction de la SFIO : La majorit reste sur son terrain. La minorit longutiste et certains zimmerwaldiens paraissent dcids commettre la funeste erreur de faire au prochain congrs bloc avec elle. Je lutte de toute mon nergie contre cette dfaillance qui enlve toute signification l'opposition. [15] Confront une ralit assez difficile, le Comit fonctionne comme une fraction. Il agit avec une extrme rigueur car il pense que c'est une ncessit pour affronter les rformistes, les dirigeants de la SFIO et faire basculer les organisations ouvrires dans le communisme. Le camp des rformistes est fortement organis, il dispose de la direction du parti, des dputs et de l'Humanit laquelle est quasiment ferme aux rvolutionnaires. Le Comit sait qu'il n'y aura pas de ralliement spontan que tout dpend la fois de la lutte de classe et de l'action de ses militants et sympathisants. Les ides ne peuvent se rpandre, ne peuvent devenir forces matrielles que si elles sont portes par une structure politique organise, alors le Comit se structure : ses membres ont une carte, payent des cotisations rgulires, participent aux runions. Les statuts de 1921 [16] instaure un bureau de quatre camarades nomms par la commission excutive de 20 membres, elle-mme lue par une assemble plnire. Il existe, en outre, des sections locales.

    En t 1920, ce sont trois reprsentants de ce Comit qui participeront au 2e congrs de l'Internationale communiste en 1920 : Lefebvre, Vergeat et Lepetit, lesquels priront en mer sur le chemin du retour. A ce congrs il y avait galement Rosmer qui fut lu au Comit excutif de l'IC. Il y avait aussi Cachin et Frossard mandats par le congrs de Strasbourg de la SFIO pour prendre contact avec les bolcheviks. Il faut dire qu' ce congrs, tenu en fvrier 1920, le Comit de la IIIe Internationale avait obtenu 1621 mandats pour l'adhsion contre 3031.

    Les rencontres des deux dlgus du centre avec la direction de l'IC et le congrs montreront l'ampleur de la tche accomplir pour que la vieille SFIO, ou sa plus grande majorit possible, devienne membre de la IIIe Internationale. Lors d'une rencontre, Cachin et Frossard durent affronter des questions sans complaisance. Radek leur demande Vous avez reconnu la ncessit de la dictature du proltariat, mais en termes gnraux. Comment l'entendez-vous en fait ? Zinoviev s'interroge sur le devenir de la confrence des reconstructeurs inspirs par Longuet. Boukharine pose la question qui fait mal : Condamnez-vous l'attitude de trahison du parti pendant la guerre ? . Sadoul s'inquite sur leur attitude vis--vis des marins de la Mer Noire (Marty et Tillon entre autres). Lozovsky pose cette question, que je soumets galement tous ceux qui ne jurent que par l'Organisation internationale du travail : Que pense le parti de la nomination d'Albert Thomas au Bureau international du Travail ? [17] Et pour se faire plaisir nous finirons avec la question de Chabline : Quelle sera votre attitude vis--vis de votre gauche communiste ? {18] Dans son compte rendu Frossard dit qu'avec Cachin ils ont rpondu toutes les questions sauf celle de Boukharine car elle portait atteinte la dignit de leur parti. En ralit les deux compres n'avaient peut-tre pas compltement tir toutes les leons de leurs erreurs passes.

    La discussion sur l'ventuelle adhsion de la SFIO fut assez dure au congrs de l'IC. Parmi les reprsentants franais

    prsents, Raymond Lefebvre insista sur le rle nfaste des dirigeants de la SFIO dans la grve des cheminots de mai 1920, il dclare seul le dfectionisme des chefs caus la dfaite et il conclut en se prononant pour la cration d'un parti communiste totalement tranger la politique suivie jusqu' ce jour par la direction de la SFIO. Guilbeaux, qui vivait ce moment Moscou renchrit sur ces propos, pour lui Le PS franais est en gnral un parti parlementaire qu'il est impossible d'accepter ici malgr les dclarations de ses reprsentants. La scission qui s'impose n'est malheureusement pas accomplie et ce n'est que lorsqu'elle sera faite, qu'il y aura en France un PC auquel adhreront les partisans du camarade Loriot et les syndicalistes de la nuance Rosmer-Monatte. [19] Le rsultat final du congrs fut propos par Zinoviev : l'adhsion de la SFIO sera possible si elle fait sienne les 21 conditions d'adhsion l'Internationale communiste.

    C'est sur ces bases que se prpare le congrs de Tours. Dans leur tour de France Cachin et Frossard feront effectivement campagne pour l'adhsion, mais sur la question de la modification de la politique du parti et la situation en France ils ne se distinguent gure de la fraction Longuet. Pour aller plus loin que les positions defendues par ceux qui revenaient de Moscou, le Comit de la IIIe fut mis en difficult par la bourgeoisie franaise. En effet, depuis mai 1920 ses principaux animateurs sont en prison prventive sous le motif de complot. Monatte, Loriot, Souvarine et Monmousseau ne seront librs qu'au dbut de 1921. Cela ne les empcha pas de faire parvenir leurs opinion depuis leur cellules, mais les membres du Comit se devaient d'assurer l'action pour leur libration, chose que ne faisait pas les dirigeants de la SFIO, y compris les rallis l'adhsion l'IC. Dans la Vie ouvrire du 26 juin 1920, Raymond Lefebvre crivait : Le complot aura eu ce mrite norme de rvler aux socialistes, l'immense majorit des militants que leur parti n'tait ni rvolutionnaire, ni pur de toute compromission bourgeoise, puisque la bourgeoisie se met en 1920 poursuivre un Comit coupable de pratiquer ce que le parti transgresse.

    La bolchvisation ou la premire mutation du PCF

    LExcutif largi de lIC dclarait en 1925 que La bolchvisation consiste savoir appliquer les principes gnraux du lninisme chaque situation concrte dans chaque pays et ajoutait que La bolchvisation des sections de lInternationale communiste consiste tudier et appliquer dans laction lexprience acquise par le Parti Communiste russe. [20] Comprenne qui pourra !

    Une chose est certaine, les Zinoviev, Treint et autres Ruth Fischer en Allemagne dvelopprent une pratique identique : craser toute forme dopposition, striliser tout dbat politique, raliser le monolithisme idologique pour atteindre les 100 % de lninisme comme lcrivait un certain AL (srement Gulaski, reprsentant de lIC Paris) dans Les Cahiers du bolchevisme (publis en remplacement du Bulletin communiste) du 24 novembre 1924. Pour atteindre ce but, une seule solution : Les camarades comprennent que seules la thorie, la pratique et la politique donnes par Lnine et appliques par ses lves, sont vraiment justes et toutes les autres mthodes et thories dveloppes mme par les meilleurs rvolutionnaires (comme Trotsky et Rosa Luxemburg) sont fausses et ne sont que survivances des anciennes mthodes et thories de la gauche social-

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  • dmocrate. Ce ne devait pas tre facile pour un militant de base dans sa

    cellule dusine de demander son secrtaire comment on pouvait tre la fois un des meilleurs rvolutionnaires et tre un social-dmocrate de gauche. Le corps Lnine emprisonn dans son mausole comme une divinit, la pense et laction taient figes dans les canons dicts par les grands prtres du lninisme , mme si ces canons pouvaient varier brusquement et sans explication alors les opposants devenaient des lments de droite anticommuniste. Le fond politique cdait la place la caporalisation, la bureaucratisation et la castration politique.

    Dans leur lettre aux membres du PCF, date du 22 novembre 1924 quils rendent publique aprs le refus de la direction de la publier dans la presse du Parti et qui sonnera le glas de leur appartenance au PCF, Monatte, Rosmer et Delagarde dnoncent ce processus : Il est beaucoup question dhomognit, dalignement, de discipline. Du haut en bas du Parti, on tablit une cascade de mots dordre auxquels on doit obir sans comprendre et surtout sans murmurer autre chose que le sacramental : Capitaine vous avez raison ! [21] Une mentalit de chambre se cre et des murs de sous-offs sinstallent. Il nest question que de lappareil faire fonctionner, de permanents installer. Bientt la bureaucratie du Parti fera la pige celle de ltat franais. Nous nous permettons de demander nos lecteurs, membre dune organisation du mouvement ouvrier et qui auraient des doutes sur lefficacit de leur parti de mditer cette citation.

    Lappareil devient la prunelle des yeux du Parti. Dans les thses sur la tactique du PCF et sur les problmes poss devant lIC, adoptes lunanimit du Comit directeur moins deux contre (Monatte et Souvarine) et une abstention (Rosmer) [22] on remarque, propos de la lutte dans le Parti russe, cette sentence valable universellement et depuis credo de tous les bureaucrates et apprentis bureaucrates : Cest le rle de lappareil du Parti, sous limpulsion de la vieille garde bolchvique forme lcole de Lnine et lcole de deux rvolutions (1905 et 1917) de sopposer activement toute dviation. Ceci sera confirm par Ferrat qui, dans son Histoire du PCF, soulignera quune des tches essentielles que le 5e congrs de lIC a fix au PCF est la fondation dun vritable appareil du Parti. Loin de nous lide de contester le besoin dun appareil pour un parti rvolutionnaire mais celui-ci doit rester sa place ; cest--dire au service de la politique du parti. Cette politique tant labore par les militants du parti. Avec le recul du temps et les expriences historiques qui ont suivies, ici et l, qui aujourdhui ne partagerait pas linquitude exprime par Marguerite Rosmer dans une lettre du 11 avril 1924 Humbert-Droz : Nous sommes mal engags et dvors par les fonctionnaires qui sortent de tous les cts, qui sont dans la grande majorit incapables, dpourvus de sens politique et qui se rangent toujours du ct du plus fort pour ne pas lcher le fromage.

    Les origines de cette phase de construction du PCF sont rechercher dune part dans la lutte qui se droule alors la direction du Parti russe [23] et dautre part dans le compromis de Tours. La bolchvisation est une des principales consquences de lchec de lOctobre allemand de 1923. Ce nest qutre fidle lhistoire que de dire que Lnine considrait lOctobre russe de 1917 comme le prlude de la rvolution mondiale et plus particulirement de la rvolution en Europe. Le dernier congrs de lIC du vivant de

    Lnine dclare : Le 4e congrs mondial rappelle aux travailleurs de tous les pays que la rvolution proltarienne ne pourra jamais vaincre lintrieur dun seul pays, mais dans le cadre international, en tant que rvolution proltarienne mondiale. [24] Or, la fin de lanne 1923 sera marque par lchec de la rvolution bulgare et surtout par celui de la rvolution allemande.

    Loccupation de la Ruhr par larme franaise ne pouvait pas ne pas avoir de consquences rvolutionnaires. Lchec de la rsistance passive prne par le gouvernement allemand laissait la bourgeoisie dans un cul-de-sac, moins que le Parti communiste allemand ne tire pas toutes les conclusions que la situation imposait. Cest ce qui se produisit. Lchec de lOctobre allemand est avant tout celui de la direction de lIC. Ainsi Staline, dans une lettre du 7 aot 1923 Zinoviev et Boukharine, osait crire : Selon moi, on doit retenir les Allemands et non pas les stimuler. Mais, la Pravda du 25 mai 1924 tirait une conclusion plus proche de la situation relle de 1923 : Il est clair qualors le Parti communiste [allemand] avait avec lui la majorit de la population ; il aurait pu combattre avec toutes les chances de russir. Mais cela arrive trop tard ; par contre cela illustre les variations brusques dont le stalinisme sera coutumier du fait par la suite.

    La principale consquence de cet chec sera ce que lon pourrait appeler la fin des possibilits concrtes de dveloppement de la rvolution europenne. Ce sera lacte de naissance du dogme du socialisme dans un seul pays . Qui dit socialisme dans un seul pays, dit pas besoin de parti mondial de la rvolution. La transformation de la 3e Internationale sera le fait de la bolchvisation . Zinoviev commencera le travail, il fera le plus difficile et Staline achvera la besogne jusqu dissoudre, en 1943, sur lautel de la coexistence pacifique, une organisation internationale devenue inutile.

    La construction du parti rvolutionnairecompromise

    Si dans le jargon du mouvement ouvrier militant il existe un mot dont le sens est particulirement ambigu, cest bien celui de bolchvisation . Avant tout, nous ne rsistons pas au plaisir de rappeler ce que Lnine pensait du terme bolchevik : Ce nom est absurde et barbare qui nexprime absolument rien, sinon ce fait accidentel quau congrs de Bruxelles-Londres, en 1903, nous emes la majorit. Ironique, il ajoutait peut-tre proposerais-je aux camarades un compromis : celui de nous appeler Parti communiste tout en gardant, entre parenthse, le mot bolchevik. [25] Voil une parenthse qui aura fait parler delle aprs la mort de Lnine.

    Lanne 1923 sera pour la section franaise de lIC le dbut de son vritable dgagement du rformisme social-dmocrate. Si le congrs de Tours avait sanctionn la rupture organisationnelle avec les sociaux-dmocrates, il navait pas pour autant cr un authentique parti communiste. La SFIC napparaissait pas totalement dgage de la SFIO, au point que des militants ouvriers comme Monatte ou Monmousseau restaient volontairement lextrieur. Lanne 1923 sera marque par lpreuve du feu pour la SFIC : la lutte contre loccupation de la Ruhr par les troupes de limprialisme franais. Cette lutte fut conduite de faon rvolutionnaire et internationaliste qui valut aux militants du PCF et des JC de subir une terrible rpression. 1923, ce sera galement le

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  • dpart de Frossard et surtout larrive des syndicalistes rvolutionnaires qui restaient encore hors du PCF. Sans exagration on peut considrer, avec Trotsky, cette anne comme la vritable naissance du Parti communiste en France : Les plus grandes difficults lattendent encore, mais on peut dire avec confiance, en toute certitude quun parti communiste authentique existe, vit et grandit en France. [26]

    Cet lan fut bris par les dbuts de la bolchvisation . Aux pratiques, dj dcrites, il faut ajouter le dnigrement des luttes menes par le PCF en 1923-24. Dans Les Cahiers du bolchvisme du 15 juin 1925, sous la signature dAlfred Lepetit (pseudonyme du reprsentant de lIC Guralski) on peut lire : Il ny a jamais eu en France de Parti communiste actif et travailleur. Dans le numro du 1er juillet 1925 de la mme revue ; Andr Marty, sans dire un mot sur laction contre loccupation de la Ruhr, crit : La guerre nous a surpris sans que nous possdions une littrature claire lusage des soldats et des marins. En 1929, Smard confirme dans une brochure cette version dforme : Les chefs de la gauche (Souvarine, Treint et autres) et ses cadres dcids lutter contre lopportunisme de Frossard et de ses amis ntaient aucunement aptes par ailleurs se lier au mouvement ouvrier franais et le diriger. () Au Conseil national de Boulogne (janvier 1923) on pouvait croire que, guid par une direction o les lments de gauche dominaient, le Parti tait devenu un bon parti communiste. Une anne allait suffire pour dmontrer quon nen tait pas encore l. [27]

    Dernire observation sur la mutation de lpoque, elle concerne la composition du PCF et surtout de sa direction. Fait remarquable, Ferrat note que dans cette priode le taux de renouvellement des effectifs du PCF fut de 70 %. Au niveau de la direction, cest le mme phnomne qui se produit. Le poids des fondateurs va en diminuant. Au congrs de Clichy en 1925, les nouveaux membres du Comit directeur reprsentent 57 % de cette instance et ceux davant 1923 seulement 24 %. A celui de Lille, en 1926, les nouveaux reprsentent 61 % du Comit directeur et les anciens seulement 14 % et on ne compte plus quun membre du Comit de la 3e Internationale : Vaillant-Couturier [28]. Par contre Cachin, lhomme du centre, le social-patriote de 1914, est toujours l et passera toutes les phases dvolution du PCF jusqu sa mort en 1958.

    Tel est ltat organisationnel et idologique du PCF. Le Manuel dhistoire du PCF, publi par la direction en 1964, considre qu cette priode le PCF commence se forger une direction collective vraiment ouvrire et se dbarrasser des fractions organises lintrieur de ses rangs. dans les faits, cest relativement exact. Mais quel prix ? Le prix cest llimination de la gauche communiste et la prise du pouvoir par le vieux centre rformiste lequel entrera le plus naturellement du monde en communion avec les centristes de Moscou. Le prix cest, galement, linterruption du processus de construction dun parti rvolutionnaire. Le parti qui sort de cette priode entre dans la phase du rformisme de type stalinien. Sil ne change pas de nom, il nest plus tout fait cette section de lIC laquelle aspiraient les militants du Comit de la 3e Internationale, comme Raymond Lefebvre, Jules Lepetit et Marcel Viegeat dlgus part entire au 2e congrs de lIC en juillet 1920. [29]

    Cela vient confirmer lopinion de Rosmer, Monatte et Delagarde aprs leurs exclusions : Nous avons donn notre

    adhsion lInternationale communiste ; nous ne connaissons pas de lninisme ou de trotskysme . Lnine vivant, lInternationale a t assez vaste pour embrasser Trotsky et le soit-disant trotskysme, ainsi que lopposition ouvrire russe et de par le monde de nombreux lments venus du syndicalisme rvolutionnaire.

    Le lninisme sans Lnine nous fait peur. Sous le couvert dun nom que nous vnrons certainement autant et peut-tre davantage que ceux qui se rclament de lui tout en pitinant ses dernires recommandations on travaille dfaire, dlier le faisceau rvolutionnaire international que Lnine stait employ lier.

    Dans tous les pays, des symptmes de malaise et de dissociation se manifestent. Si lon y prend garde, sous la bannire du lninisme on marchera une rgression de lInternationale, un affaiblissement de ses forces, un triquement de sa pense. [30]

    La prise du pouvoir par le centreLe parti n Tours n'est pas encore tout fait un parti

    communiste. Il est le produit d'un compromis, d'un double pari sur l'avenir; celui de la gauche qui pense pouvoir construire ce parti en s'appuyant comme elle l'avait fait jusque l sur la lutte de classe et celui du centre qui, surfant sur l'immense impact de la rvolution russe, restait la direction du parti. Point de vue a posteriori ? Pas si sur. coutons un des membres de la gauche communiste de l'poque. Dans le numro du 1er mars 1922 de la revue Clart, Vaillant-Couturier crit : "Une machination sans porte, chafaude par les lments opportunistes du parti, avait rassembl, sous le nom de Comit pour la reconstruction de l'Internationale, tous ceux qui, habitus davantage aux manuvres politiciennes qu' la nettet dans les ides, s'efforaient de croire qu'une paix boiteuse tait possible entre les lments irrductiblement antagonistes du Parti et de l'Internationale. C'est avec eux ou, du moins, avec leur gauche que le Comit de la IIIe Internationale, dont les principaux leaders taient emprisonns sous l'inculpation de complot eut ngocier. Participant la fois de la droite et de la gauche, ces lments mixtes, rallis la IIIe Internationale au retour de Russie de Cachin et de Frossard, devaient fatalement apporter dans le futur parti communiste en mme temps que leur stock de popularit tout leur bagage de traditions opportunistes et dmocratiques. La gauche communiste n'ignorait pas cela. Elle acceptait ses allis nouveaux avec le ferme espoir de les convertir. Au surplus, ces allis lui apportaient les avantages d'un personnel politique exerc. La gauche et l'Internationale leur firent de nombreuses, ncessaires et dangereuses concessions. Ce furent donc les opportunistes de la veille, ceux qui appartenaient par toute leur formation l'ancien monde socialiste qui entreprirent la tche principale de propager en vue du congrs de Tours l'idologie des lments nouveaux."

    L'opinion exprime par Vaillant-Couturier est celle du Comit de la IIIe Internationale. Dans un premier temps celui-ci dcide de maintenir son activit et que sa disparition sera possible ds que "le parti sera devenu un parti communiste." (15 BC 20 janvier 1921). Le Comit mettra fin son activit le 31 octobre 1921, la demande de lExcutif de lInternationale, mme si son but n'tait pas encore compltement atteint.

    Avec le recul du temps on peut dire que cette dcision fut une erreur. Le centre prend sa revanche aprs lexclusion des

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  • zinovivistes qui, eux, ont russi l o il avait chou en 1922 : liminer du PCF la gauche issue du Comit de la 3e Internationale. Le centre tait dsormais libr du compromis quil avait d passer au congrs de Tours. Ralli en paroles, le centre na jamais vraiment chang politiquement, le communisme ntait quun bon slogan pour conserver la direction du Parti et plus si possible. Cela sera assez bien illustr sur la mutation du front unique auquel le centre rechignait en union de la gauche au sommet partir de 1934. Voici comment, dans la prparation du congrs de 1922, sexprime Cachin : Est-ce la discussion sur le front unique qui va nous scinder en deux groupes irrductibles ? Je veux rappeler ici une formule dcisive de Trotsky Il sagit de conqurir lme du proltariat de toutes les manires. La conqute de cette me des proltaires, cest le but et il importe seul ; quant aux formes que nous emploierons pour cette conqute, le front unique en est une au sujet de laquelle nous avons lev en France des rserves. [31] Il ny aura plus de rserve, et srement une relle satisfaction quand, lors de la runion du 14 juin 1934 de lexcutif de lIC Manouilski dclara : Nous devons avoir un programme de lutte concret : ni la dictature du proltariat, ni le socialisme mais un programme qui amne les masses lutter pour la dictature du proltariat et le socialisme. [32] Voici instaurer la notion dtapes pour parvenir un but dsormais considr contre quasiment inatteignable.

    Pour prciser les convergences idologiques entre le centre et celui qui est en train de prendre le pouvoir Moscou, rappelons les positions dfendues par Staline en mars 1917. Sur le gouvernement provisoire issu de la rvolution de fvrier il adopte une position quon pourrait qualifier de centriste : Dans la mesure o le gouvernement provisoire consolide les progrs de la rvolution, il faut le soutenir ; dans la mesure o ce gouvernement est contre-rvolutionnaire, il est inadmissible quon le soutienne. [33] Quels ravages fera dans lhistoire du mouvement ouvrier ce pseudo-dialectique dans la mesure o . Sur la question de la guerre, que le gouvernement provisoire veut continuer, Staline propose de faire pression sur le gouvernement provisoire en exigeant quil se dclare daccord pour louverture immdiate de pourparlers de paix. [34] Enfin il limite les objectifs de la rvolution llection sans tarder de lAssemble constituante qui dit-il est la seule institution faisant autorit pour toutes les couches de la socit et susceptible de couronner luvre de la rvolution. [35]

    En France, la bolchvisation aura poursuivi et atteint deux objectifs : discrditer Trotsky et craser dans le PCF les syndicalistes rvolutionnaires. Courant 1923-24, les faits viennent attester que le PCF dveloppa une pratique rvolutionnaire comme lillustre la lutte contre loccupation de la Ruhr par limprialisme franais et qui restera une de ses actions les plus glorieuses. Quant la question de savoir pourquoi les ouvriers se sont encore tourns vers le PCF aprs la bolchvisation cest, comme le soulignait Souvarine en 1922, que le centre ne manque pas dun certain flair politique. Il prouvera quavec une phrasologie consonance rvolutionnaire il nest pas impossible de ne jamais prparer la classe ouvrire la rvolution.

    Pour tout communiste, membre ou non dune organisation se rclamant du communisme, qui refuse de se rsigner labsence de parti communiste, dmocratique et rvolutionnaire il ny a pas dautre tche que de reprendre le processus de Tours avant que le centre ne lenterre. Pour cela

    mme si elle napportera pas de solutions prte lemploi, la connaissance de notre histoire est indispensable.

    Emile Fabrol

    Cet article est une nouvelle version, revue etaugmente, de larticle publi dans Promthe (numro 1, 2e trimestre 1989), puis dans Les

    Cahiers Lon Trotsky (numro 41, mars 1990) et traduit en anglais dans Trotskt and the origins of

    trotskyism (Francis Boutle Publishers, 2002)

    1.- Lnine, Note dun publiciste, uvres, tome 33, page 211.2.- Cit par Louise Bodin dans Le Drame politique du congrs de Paris, ditions des cahiers communistes, 1922.3.- Le Bulletin communiste fut fond le 1er mars 1920 comme organe du Comit de la 3e Internationale et devint lorgane du PCF le 10 novembre 1921.4.- Bulletin communiste du 5 avril 1923.5.- La Rvolution proltarienne, numro 1, janvier 1925.6.- Bulletin communiste du 18 avril 1924.7.- Bulletin communiste du 9 mai 1924. Quand Monatte crit la prsence et laction des ouvriers auraient tonifi le Parti nous rtablissons ses propos exacts suite une rectification du Bulletin communiste du 16 mai 1924. La premire version indiquait terrifi le Parti (sic).8.- Archives Humbert-Droz.9.- Nous avons publi le programme du PCF pour ces lections dans Promthe, 1er trimestre 2002, juste avant les lections prsidentielles et lgislatives de lan pass. Envoi du numro pour 4 .10.- Cit par Andr Ferrat dans Histoire du PCF, 1931.11.- Dans un article intitul Nos crimes (Bulletin communiste du 7 mars 1924) Souvarine rtablit les faits : 22 reproductions de textes de la majorit du Parti russe contre 5 pour lopposition.12.- On sait ce quil advint du Parti polonais, il fut intgralement dcim par le stalinisme.13.- Voir larticle La fondation du PCF publi dans Promthe du 2e trimestre 2000. Envoi contre 4 .14.- La Vie ouvrire reparatra le 30 avril 1919 aprs cinq ans d'interruption. Dans la Lutte syndicale. Maspro, 1976, page 16015.- Cite par Rosmer dans le Mouvement ouvrier pendant la premire guerre mondiale. Tome 2, page 20116.- Archives nationales, F7- 13-09117.- Albert Thomas est un dirigeant de la SFIO) 18.- La totalit des questions est reproduite par Annie Kriegel dans son livre Aux origines du communisme franais. Flammarion, 1969, page 26319.- Cit par Annie Kriegel dans son livre Aux origines du communisme franais. Flammarion, 1969, pages 178 et 17920.- Cit par Andr Ferrat dans Histoire du PCF, 1931.21.- Allusion au fait que Treint tait sous-officier de rserve.22.- Thses publies dans le Bulletin communiste du 28 mars 1924.23.- Dans son livre Autour de la bolchvisation du PCF dans la classe ouvrire franaise et la politique (1980) Danile Tartakovsky note que la bolchvisation est linstrument dans la lutte que mne le triumvirat (Zinoviev-Kamenev-Staline) contre Trotsky. .24.- Les quatre premiers congrs mondiaux de lInternationale communiste, rdition Maspro, 1969, page 166.25.- Lnine, uvres, tome 25, page 492.26.- En date du 25 mars 1923, introduction de Trotsky son livre Le Mouvement communiste en France. ditions de Minuit, 1967, page 275.

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  • 27.- Pierre Smard, Dix ans de luttes pour la rvolution mondiale, 1929. Rappelons que Smard sera lu au Comit central au 3e congrs en 1924.28.- Pourcentages tablis daprs les chiffres donns par Le PCF tapes et problmes, ditions sociales, 1981.29.- Ils prirent en mer lors de leur retour en France.30. La Rvolution proltarienne numro 1, janvier 1925. Quand les auteurs voquent les dernires recommandations de Lnine, il sagit de son testament dont Rosmer avait eu connaissance Moscou et dont la direction du PCF ne soufflait mot

    31.- Bulletin communiste du 12 octobre 1922.32.- Prface de LInternationale communiste et la lutte contre le fascisme et la guerre, ditions du progrs, 1980, page 11.33.- Cit par Trotsky, La Rvolution russe (fvrier).34.- La Pravda du 16 mars 1917. Cit dans le tome 3 des uvres choisies publies en 1976 par Norman Bthume diteur.35.- La Pravda du 18 mars 1917. Cit dans le tome 3 des uvres choisies publies en 1976 par Norman Bthume diteur.

    Alfred Rosmeritinraire d'un rvolutionnaire

    A LA VEILLE de la dclaration de la premire guerre mondiale, trois jours aprs l'assassinat de Jaurs, le 2 aot 1914 la salle Wagram, Cachin dclarait il faut accomplir maintenant, comme le proclamait Jaurs, tout notre devoir envers la patrie (...) Nous promettons dfaire la fois tous nos devoirs de Franais et de socialistes fidles l'Internationale. Les choses taient on ne peu plus claires. L'Internationale venait de sombrer, dans le chauvinisme, chaque section prenant le parti de sa propre bourgeoisie en guerre. Cachin promettait d'envoyer les ouvriers franais la boucherie imprialiste. Jouhaux, secrtaire gnral de la CGT, acceptait une mission de commissaire de la nation, les dputs socialistes votaient les crdits de guerre, Sembat et Guesde - Guesde le "marxiste" de la SFIO - devenaient ministres, Herv malgr son violent antimilitarisme se faisait crieur chauvin sur la place publique selon l'expression de Zinoviev.

    C'tait l'aboutissement logique de longues annes d'opportunisme. Lnine crira, en 1915, le social-chauvinisme et l'opportunisme ont le mme contenu politique : la collaboration de classe, le reniement de la dictature du proltariat, la renonciation aux actions rvolutionnaires, la servilit devant la lgalit bourgeoise, le manque de confiance dans le proltariat, la confiance dans la bourgeoisie (...) Le social-chauvinisme est l'opportunisme achev. [1]

    En France, ils ne furent pas nombreux les militants ouvriers qui rsistrent l'ouragan du chauvinisme dtruisant tout sur son passage de l'indpendance politique de la classe ouvrire l'internationalisme en passant par les rsolutions des congrs socialistes mondiaux de Stuttgart, Copenhague et Bale. Ces derniers avaient pourtant appel le proltariat empcher la guerre imprialiste, et si elle devait nanmoins clater la faire cesser en utilisant de toutes leurs forces la crise conomique et politique cre par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et prcipiter le chute de la domination capitaliste. [2]

    C'est autour de la Vie ouvrire (VO), journal fond par Monatte en 1909, au 96 quai de Jemmapes Paris, que se retrouvaient ceux qui refusaient d'entrer dans l'union sacre. Monatte, Rosmer et leurs camarades taient des syndicalistes rvolutionnaires. Ils n'avaient jamais cach leur aversion pour le parlementarisme de la social-dmocratie officielle. Ils taient convaincus, dans la continuit de la Commune de Paris et la 1re Internationale que l'mancipation des travailleurs sera luvre des travailleurs eux-mmes. Mais ils n'taient ni de vulgaires spontanistes ni des anarcho-syndicalistes. Dans sa thse, Aux origines du communisme franais, Annie Kriegel dit que la VO tait une

    formation originale d'un secteur du mouvement ouvrier (...) socialement, c'est un alliage spcifique d'intellectuels et d'ouvriers; nationalement, c'est une centrale d'information largement ouvertes aux exprience trangres; idologiquement, c'est l'incubateur du syndicalisme rvolutionnaire.

    Ceci est correct, mais incomplet. Nous ajouterons que le groupe de la VO reprsentait cette tradition de lutte directe de la classe ouvrire. Il reprsentait cette avant-garde qui refuse les compromissions et autres contorsions qui conduisent un jour ou l'autre l'abandon du terrain de classe. Ecoutons ce sujet Rosmer: Syndicalistes rvolutionnaires et socialistes des partis de la Ile Internationale suivaient deux voies diffrentes. Mme les dmonstrations communes organises contre le danger de guerre quand la menace sen prcisait ne pouvaient faire disparatre les divergences qui les opposaient ; elles les attnuaient peine. Les syndicalistes rvolutionnaires poursuivaient leur activit et la ralisation de leurs objectifs immdiats ou lointains, par l'action directe de leurs organisations; ils ignoraient ou dnonaient les oprations parlementaires du parti socialiste dont les dirigeants ne leur inspiraient nulle confiance. Sans doute les socialistes russes chappaient cette condamnation globale et dfinitive, on les savait d'une autre trempe ; on ne pouvait nier quils fussent rvolutionnaires, et avec eux les divergences ne pouvaient tre que de mthodes ; ce nest pas eux quon aurait pu reprocher de se servir du socialisme pour fair carrire [3].

    En ralit, la VO fut lincubateur du communisme en France, c'est ce qu'avaient compris Lnine et les bolcheviks qui tenaient, tout prix, les voir adhrer l'IC.

    C'est ce groupe que devait rencontrer Trotsky lors de son sjour Paris, o il tait officiellement correspondant de guerre du journal libral Kievskaa Misl et o il animait, dans un premier temps avec Martov, un quotidien socialiste en langue russe Nach Slovo qui devait subir rgulirement les effets de la censure gouvernementale. De la rencontre entre Nach Slovo et la Vie ouvrire naqut une collaboration politique troite. L'horizon du petit groupe d'internationalistes franais s'largissait comme lexprime Rosmer voquant la rencontre avec Trotsky : Nous emes tous limpression que notre groupe venait de faire une recrue remarquable ; notre horizon slargissait ; nos runions allaient prendre une nouvelle vie ; nous prouvions un grand contentement. [4]. Les deux groupes prparrent ensemble la confrence de Zimmerwald, o les reprsentants franais furent Merrheim et Bourderon. Rosmer ne put y participer comme c'tait prvu car il fut mobilis ce moment-l.

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  • Les effets de la mobilisation, qui pargnrent passablement les dirigeants majoritaires de la CGT, entranrent la suspension de la VO. Avant d'tre mobilis, Monatte dmissionna du comit confdral de la CGT. Dans sa lettre de dmission il met l'accent sur deux point fondamentaux : l'indpendance politique de la classe ouvrire et l'internationalisme. Sur le premier point, Monatte dclare : Les travailleurs conscients des nations belligrantes ne peuvent accepter dans cette guerre la moindre responsabilit ; elle pse, entire, sur les paules des dirigeants de leurs pays. Et loin dy dcouvrir des raisons de se rapprocher deux, ils ne peuvent quy retremper leur haine du capitalisme et des Etats. Il faut aujourdhui, il faudrait plus que jamais conserver jalousement notre indpendance, tenir rsolument aux conceptions qui sont les ntres, qui sont notre raison dtre. Sur le second point, Monatte prcise : Si l'humanit doit connatre un jour la paix et la libert, au sein des Etats-Unis du monde, seul un socialisme plus rel et plus ardent, surgissant des dsillusions prsentes, tremp dans les fleuves de sangs d'aujourd'hui, peut l'y mener. Ce n'est pas, en tout cas, les armes des allis, non plus que les vieilles organisations dshonores qui le peuvent. Ces paroles retentissent encore aujourd'hui mme si les situations historiques et politiques sont loin d'tre rigoureusement les mmes.

    Le tournant de ZimmerwaldMais que fut cette confrence de Zimmerwald, tenue en

    Suisse du 5 au 8 septembre 1915 ? Rosmer crira [5] Zimmerwald devient un de ces mots chargs de sens qu'il suffit de prononcer pour provoquer les diffrenciations fondamentales. En effet, un an aprs le dclenchement de la guerre et dans une priode o toute victoire rapide relevait de la propagande guerrire, Zimmerwald est la premire manifestation du courant international contre cette guerre. 38 dlgus de 12 pays (Allemagne, Angleterre, Bulgarie, France, Hollande, Italie, Norvge, Pologne, Roumanie, Russie, Sude et Suisse) se rassemblrent suite aux dmarches des socialistes italiens et suisses. Aprs une discussion parfois vive, comme il se doit entre militants ouvriers qui ont vraiment un point de vue dfendre et qui ont horreur des rsolutions restes lettres mortes, un manifeste fut adopt l'unanimit. Les bolcheviks ayant vu leur projet mis en minorit votrent le texte rdig par Trotsky. Lnine crira : Le manifeste adopt marque un pas en avant vers la rupture idologique et pratique avec l'opportunisme et le social-chauvinisme. Mais en mme temps, comme l'indiquera notre analyse, il pche par inconsquence et insuffisance [6]

    Certes, le manifeste dclare que la guerre qui a provoqu tout ce chaos est le produit de l'imprialisme, il dsigne clairement les responsables : les gouvernements - monarchiques ou rpublicains - , la diplomatie secrte, les puissantes organisations patronales, les partis bourgeois, la presse capitaliste, l'Eglise. Il fltrit les socialistes sombrs dans l'union sacre ayant accept, devant la classe ouvrire, de partager avec les classes dirigeantes les responsabilits. S'il souligne que la ncessaire lutte pour la paix est aussi la lutte pour le socialisme, il reste vague sur ce sujet. Et surtout il ne s'engage pas nettement pour la mise en chantier d'une 3e Internationale dgage de l'opportunisme. Il se contente - si l'on peut dire - d'affirmer nous nous sommes runis pour renouer les liens briss des relations internationales dans le mouvement ouvrier. Mais, dans le contexte de 1915, c'est dj norme. Rosmer crira plus tard [7] La premire tape, celle du travail ingrat et difficile est acheve. La censure bourgeoise et les sociaux-chauvins ne se tromprent pas sur le sens profond de la confrence de

    Zimmerwald. Un exemple, lHumanit, du 9 novembre 1915, sur le ton de la calomnie, d'une calomnie que l'on rentendra maintes reprises, condamne en ces termes les runions tenues par Merrheim et Bourderon ils s'taient rendus sans aucun mandat du parti, pour y confrencier sur la question de la paix avec d'autres socialistes de pays neutres ou belligrants pour la plupart eux-mmes sans mandat. En d'autres termes, ceux de Zimmerwald n'auraient reprsenter qu'eux-mmes. Mais l'histoire leur a donn raison et l'actualit remet leur dmarche politique l'ordre du jour.

    Le travail commenc Zimmerwald se dveloppa et se concrtisa politiquement la confrence de Kienthal, tenue toujours en Suisse du 24 au 30 mai 1916. Le manifeste de Kienthal appellera les proltaires exiger la fin immdiate de la collaboration socialiste aux gouvernements capitalistes en guerre et exiger galement des parlementaires socialistes qu'ils votent dsormais contre les crdits demands pour prolonger la guerre Ces revendications taient contenues dans le projet des bolcheviks Zimmerwald. Quant la rsolution intitule l'attitude du proltariat en face des problmes de la paix, elle jette les bases du programme de la future Internationale communiste sur cette question. Elle met en garde contre l'illusion tendant supprimer les dangers de guerre par la limitation gnrale des armements, par larbitrage obligatoire. Elle affirme un principe toujours d'actualit : En abolissant la proprit prive des moyens de production, le socialisme limine en mme temps que lexploitation des masses par les classes dominantes loppression des peuples et, par le fait mme, les causes de la guerre. C'est pourquoi la lutte pour une paix durable n'est en somme que la lutte pour la ralisation du socialisme. La question d'une nouvelle Internationale tait finalement pose. Le projet commun de Nach Slovo et de la Vie ouvrire dit : Une nouvelle internationale ne pourra tre difie que sur la base des principes inbranlables du socialisme rvolutionnaire; sa cration, ne pourront prendre part les allis des gouvernants, les ministres, les dputs domestiqus, les avocats [8]

    Aprs la confrence de Zimmerwald, le travail politique des minoritaires internationalistes se structura. Rosmer entreprit la publication de la Lettre aux abonns de la Vie ouvrire [9], dont le premier numro paratra le 1er novembre 1915; II marque la naissance du mouvement zimmerwaldien franais. Cette lettre avait une format original, elle tenait dans une enveloppe afin de contourner la censure. Dans la premire lettre, Rosmer crit Si nous avions accept dfaire notre partie dans le chur de ceux qui, subitement trouvrent a la guerre des vertus, ces obstacles [il sagit de la non-parution de la VO] eussent t facilement surmonts. Mais c'eut t pour vivre perdre toute raison de vivre. Puis il dcrit la puissance de la propagande de la classe dominante en labsence de toute forme dindpendance de classe : Guerre libratrice, guerre de la civilisation contre la barbarie, guerre de races, guerre du droit, ncessit dabattre le militarisme ennemi, guerre pour tuer la guerre, guerre pour le principe des nationalits, pour lindpendance des petites nations, nous ne voyions rien de tout cela dans lnorme conflit qui se dclenchait. Nous reconnaissions les clichs que les gouvernements ressortent au dbut de chaque tuerie et dont ils se servent les uns contre les autres. Georg Brands rappelait, il y a quelques mois, dans une lettre Clemenceau, quen 1870 on disait que cette guerre serait la dernire. Mais dans le dsarroi o les plongrent leffondrement du socialisme et du syndicalisme, beaucoup de travailleur se raccrochrent lune ou lautre de ces explications, qui leur apparaissaient comme une planche de salut. On leur offrait une contrefaon didal. Ils lacceptrent. Une presse unanime faussa insensiblement les

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  • jugements. Depuis, beaucoup dentre eux se sont ressaisis : le simple dveloppement des vnements a suffi leur ouvrir les yeux, les mettre en face du vrai problme.

    Dans la troisime lettre (dcembre 1916), Rosmer proteste en ces termes contre l'expulsion de Trotsky : Les gouvernements de pays belligrants, ceux de lEntente comme ceux des Empires centraux, ont un mme ennemi le zimmerwaldien, un mme ami le socialiste domestiqu. Il pingle le ministre Sembat qui, le 7 aot 1916 devant le Conseil national du Parti socialiste, avait interpell les zimmerwaldiens en ces termes : Il mapparat qu mesure que notre position saccentue, par une psychologie dont vous ne vous rendez peut-tre pas compte, les vnements se dforment grossirement vos yeux. Iil y a l une dviation mentale sur laquelle jappelle votre attention. Vous tes dune svrit outre pour la France et dune complaisance singulire pour lennemi. () Jestime, pour mon compte, que la majorit a le devoir de ragir contre la propagande que la minorit organise avec une inlassable activit. Il ne faut pas laisser se prolonger cette sorte de corruption de l'esprit public en gnral et de l'esprit socialiste en particulier.

    II y avait l une sorte d'hommage du vice la vertu. Au del de la reconnaissance de l'action de la gauche zimmerwaldienne en France, nous retrouvons l'essence ternelle des arguments de ceux qui ont abandonn le terrain de lutte de la classe ouvrire contre ceux qui sy maintiennent contre vents et mares. Aujourd'hui vous tes des anormaux, demain vous faites le jeu de la bourgeoisie (Rosmer rplique ainsi Sembat et Renaudel Aprs cela, il ne restait plus qu' traiter les adversaires de boches ), aprs-demain on vous fait fusiller ou assassiner.

    Au retour en France de Merrheim et de Bourderon, partir du groupe de la VO se constitua le Comit d'action internationale, qui se transforma, dbut 1916, en Comit pour la reprise des relations internationales (CRRI) o progressivement, se retrouvrent la minorit de la SFIO autour de Loriot, le Comit de dfense syndicaliste d'inspiration anarchisante et anim par Pricat qui, en 1919, devait crer un phmre parti communiste, les lments radicaliss de 1Association rpublicaine des anciens combattants (ARAC) et les intellectuels rvolutionnaires regroups autour du journal Clart. En mai 1919, le CRRI se transforme en Comit de la Troisime Internationale. Le CRRI travaillait la fois en direction de la CGT avec sa section "syndicale" et en direction de la SFIO avec sa section "socialiste".

    Certes, il n'tait pas politiquement homogne, Merrheim et Bourderon le quittrent pour le marais centriste, Pricat pour l'ultra-gauche. Mais il sera le terreau de la rgnration du socialisme en France, lorganisation qui dfendra la Rvolution russe, 1organisation qui sera invite au congrs constitutif de lInternationale communiste. Face la trahison des Cachin, Jouhaux Guesde et consorts il aura sauv l'honneur rvolutionnaire de la classe ouvrire de France. Ceci n'aurait pas t possible sans l'existence et la constance de militants comme Rosmer qui n'avaient jamais tremp dans les magouilles de l'opportunisme.

    Au moment o clate la Rvolution russe, les zimmerwaldiens franais se portent immdiatement ses cts. Le CRRI diffuse un tract o l'on relve le passage suivant : Camarades et amis, il ne suffit pas de glorifier le proltariat russe. Il est de notre devoir et de notre intrt de se ranger ct de lui en bataille pour assurer sa victoire et pour transformer la Rvolution russe en Rvolution internationale. Ce tract sachve sur lappel suivant : Partout les peuples rvolts doivent se dbarrasser de leurs gouvernements de classe pour mettre leur place les dlgus et ouvriers et des soldats passs au peuple. La Rvolution russe est le signal de la Rvolution universelle. Et la

    Rvolution universelle assurera le succs dfinitif de la Rvolution russe, et la guerre mondiale doit rpondre la Rvolution mondiale. Redoublons dnergie et de zle. Travaillons pour la Paix, pour la Rvolution sociale ! Que partout, dans les usines, dans les faubourgs et dans les campagnes retentissent les cris : A bas la guerre ! A bas le capitalisme ! Vive la Rvolution universelle !

    La raction d'un Cachin est tout autre. Celui qui avait dj jou le rle de commis voyageur de l'imprialisme franais en Italie (aprs Zimmerwald), se rend en Russie pour obtenir du gouvernement de Kerensky 1engagement de poursuivre la guerre aux cts de lEntente.

    Pour Rosmer, la Rvolution russe c'est la rencontre avec le marxisme, pas le marxisme avili par les opportunistes d'avant 1914, mais le marxisme rvolutionnaire grce auquel les masses ouvrires ne montent plus seulement l'assaut du ciel, mais prenant en main directement leurs affaires, dtruisent la vieille machine de l'Etat bourgeois et instaurent leur Etat. Ceci le conduira naturellement la ncessit du parti d'avant-garde. C'tait l'aboutissement de toute son action jusqu'alors.

    En 1919, la Vie ouvrire reconstitue sera l'organe, en France, de la dfense consquente de la Rvolution russe, et de l'extension de la rvolution en Europe, seule issue pour mettre fin au danger de guerre imprialiste. Elle sera, de fait, l'organe cl l'adhsion lIC. Dans le numro du 30 avril 1919, Rosmer crit la Vie ouvrire est alle Zimmerwald et Kienthal. Elle adhre de grand cur la Troisime Internationale. Cet engagement lui vaudra maintes fois de subir les coupes sombres de la censure gouvernementale. En mai 1920, Monatte, puis Loriot et d'autres dont Souvarine seront incarcrs et accuss du traditionnel complot contre la scurit de l'Etat. La SFIO ne lvera pas le petit doigt pour les dfendre, ce que lui reprochera le bureau du 2e congrs de lIC dans une lettre, du 26 juillet 1920, signe par Zinoviev, Lnine, Serati, Levi et... Rosmer.

    Pour Rosmer, l'internationalisme ne sera jamais un mot creux, une conclusion pour les discours du dimanche, mais une constante. Face l'intervention imprialiste contre la Russie des soviets il crit dans la VO du 21 mai 1919 en s'adressant aux travailleurs de France : Penses-tu ce que serait pour le Russie et pour le monde la victoire de tous ces ractionnaires ? (...) Tous ces gnraux de raction n'ont de commun que la haine de la rvolution. Triomphants, ils se battraient entre-eux. Au risque d'insister, l'on peut, aujourd'hui, paraphraser Rosmer et dire aux travailleurs des choses fort semblables. Des choses que Monatte explicite dans le numro du 28 mai 1919 : des travailleurs de Petrograg et de Budapest en se battant pour eux se battent pour nous, pour toute la classe ouvrire. Laissons les abattre et nous verrons ce que nous pserons ici. Laissons nos gnraux dmolir les soviets de Russie, de Hongrie et d'Allemagne et revenir triomphants de cette deuxime guerre contre les peuples et nous verrons quel sort sera fait nos syndicats. [10]

    La Rvolution d'Octobre avait ouvert ce chemin. Rien ne devait le stopper. Tel tait le sens de l'adhsion de Rosmer lIC, dont il fut le digne reprsentant de la classe ouvrire de France son 2e congrs. Avec Zinoviev, Lnine, Trotsky et l'ensemble du comit excutif il tait signataire du tlgramme au congrs de Tours, le fameux "tlgramme de Zinoviev", dans lequel on lit : Nous sommes profondment convaincus , chers camarades, que la majorit des ouvriers conscients de France n'admettra pas un compromis aussi ruineux avec les rformistes [11] et qu'elle crera enfin Tours le vrai parti communiste un et puissant, libr des lments rformistes et semi-rformistes.

    Ce parti, le parti de la rvolution reprsentait pour Rosmer

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  • lachvement de son engagement Zimmerwald, de sa lutte contre la guerre imprialiste. Ce parti n'avait rien de commun avec celui qui l'exclura en 1924 parce qu'il n'admettait pas la bureaucratisation et la sclrose politique. En quelque sorte, ce moment-l les Cachin et autres rformistes, qui n'taient pas partis aprs le 4e congrs de lIC, prenaient leur revanche grce aux "bolchvisateurs". Ce parti, section d'une Internationale dgage des rformistes et des bureaucrates, est toujours une ncessit. L'heure de la revanche de militants comme Rosmer va-t-elle enfin sonner?

    EF

    Cet article est une reprise revue et augmente de larticle publi dans le numro 5 (2e trimestre 1990) de

    Promthe.

    1.- Oeuvres tome 21, pages 460 et 4612.- Congrs de Stuttgart de la Ile Internationale, 1907, amendement de Lnine, Rosa Luxembourg et Martov3.- La Rvolution proltarienne, octobre 1950 et Les Cahiers Lon Trotsky, dcembre 19824.- Mmes rfrences que la note 35.- Rosmer, le Mouvement ouvrier pendant la guerre mondiale, 1936

    6.- Oeuvres tome 21, page 3987.- Mme rfrence que la note 58.- Texte rdig par Trotsky en collaboration avec Rosmer. In Rosmer le Mouvement ouvrier...9.- Et ce contrairement ce qu'affirme le Manuel d'histoire du PCF en 1964, qui fait de la VO l'organe de la Fdration CGT des Mtaux. D'autre part, ce n'est pas la France dans son ensemble que Merrheim et Bourderon reprsentaient Zimmerwald mais... la classe ouvrire de ce pays. Enfin, une phrase nous laisse interloqus. Parlant des dirigeants de la SFIO et de la CGT le Manuel crit: Trahissant la classe ouvrire, ils trahissaient du mme coup le vritable intrt national. Cette petite phrase d'apparence anodine laisse transpirer le ralliement des rformistes staliniens la "dfense nationale" aprs la signature du pacte Lavai-Staline en 1935.10.- Au dbut de son article, Notre plus grande proccupation, Monatte polmiquait avec les dirigeants de la CGT plus prompts s'occuper de la rforme du logement et l'organisation des loisirs et ce au dtriment de leur devoir internationaliste au moment o les imprialistes franais intervenaient aux cts des armes blanches et que la manifestation au Mur des Fdrs fut une manifestation de solidarit avec les rvolutions russe et hongroise.11.- Il sagit dun compromis avec le centre reconstructeur reprsent par Longuet qui soutenait en paroles la Rvo lution doctobre mais qui rechignait devant les 21 conditions dadhsion lIC.

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