Émile Durkheim - Sur La Définition Du Socialisme (1893)

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Émile Durkheim (1893) « Sur la définition du socialisme. » Un document produit en version numérique par Mme Marcelle Bergeron, Professeure à la retraite de l’École Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec et collaboratrice bénévole Courriel: mailto:[email protected] Site web: http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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Sur La Définition Du Socialisme (1893)

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  • mile Durkheim (1893)

    Sur la dfinitiondu socialisme.

    Un document produit en version numrique par Mme Marcelle Bergeron,Professeure la retraite de lcole Dominique-Racine de Chicoutimi, Qubec

    et collaboratrice bnvoleCourriel: mailto:[email protected]

    Site web: http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"dirige et fonde par Jean-Marie Tremblay,

    professeur de sociologie au Cgep de ChicoutimiSite web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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    Un document produit en version numrique par Mme Marcelle Bergeron, bnvole,professeure la retraie de lcole Dominique-Racine de Chicoutimi, Qubeccourriel: mailto:[email protected] web: http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin

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    mile Durkheim (1893)

    Sur la dfinition du socialisme.

    Une dition lectronique ralise partir de l'article dmile Durkheim Sur ladfinition du socialisme Note sur la dfinition du socialisme. Revuephilosophique, XXXVI, 1893, pp. 506-512.

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    Sur la dfinitiondu socialisme

    Par mile Durkheim (1893)La dfinition que rclame, non sans raison, un lecteur de la Revue philoso-

    phique, me parat n'avoir d'intrt que si elle exprime autre chose qu'une vuede l'esprit ; si elle est une dfinition de chose, non de concept. Ce qu'il importede savoir, ce n'est pas quelle est notre doctrine particulire ; c'est en quoi con-siste ce fait objectif qui se dveloppe sous nos yeux et qu'on appelle lesocialisme ; car c'est cette seule condition qu'il sera possible de le juger et deprvoir ce qu'il deviendra et doit devenir dans l'avenir. Pour que les discus-sions dont il est quotidiennement l'objet ne soient pas de simples conflits depassions et d'intrts, pour qu'elles prennent un caractre vraiment scientifi-que, il faut avant tout tablir quelle est la chose dont on parle ; c'est cettencessit logique que doit rpondre la dfinition demande.

    l. Pour rsoudre le problme ainsi pos, la mthode dialectique prconisepar M. Belot dans l'intressante note qu'il a publie ici mme sur le sujet(numro d'aot) 1 ne saurait videmment tre employe. Analyser, comme leveut cette mthode, lide du socialisme, c'est analyser l'ide qu'on s'en faitindividuellement, non le socialisme lui-mme. La matire de cette analyselogique est une conception de l'esprit dont la valeur objective n'est aucune-ment garantie. C'est ainsi que M. Belot part de cette ide que le socialisme est

    1 Revue philosophique, aot 1893.

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    l'oppos de l'individualisme (p. 183, in fine), alors que ce prtendu antago-nisme n'est rien moins que dmontr 1. Au reste il s'agit si bien d'exposer lesocialisme personnel de l'auteur que sa dfinition est taye sur toute sorte depropositions trs discutables, en tout cas trs discutes. On trouvera en cesquelques pages, rapidement esquisses et dmontres, une thorie sur la soci-t en gnral, une autre sur l'tat, une autre sur le contrat social, thories quisont les bases mmes de la formule propose et qui, pourtant, sont loin d'treuniversellement acceptes. Il est vrai qu'on prsente cette formule commeexprimant l'essence du socialisme, mais de quel droit ? Les proprits essen-tielles d'une chose sont celles que l'on observe partout o cette chose existe etqui n'appartiennent quelle. Si donc nous voulons savoir en quoi le socialismeconsiste essentiellement, il faut dgager les traits qui se retrouvent les mmesdans toutes les doctrines socialistes sans exception. Or, le socialisme particu-lier tel ou tel sociologue n'est jamais qu'une des innombrables varits dugenre ; ce n'est pas le genre lui-mme. Admettons mme qu'il soit le seul vrai,que toutes les autres formes du socialisme soient errones et, pour ainsi dire,morbides, on n'a pas le droit d'en faire abstraction dans la dfinition du phno-mne. Le socialisme erron est encore du socialisme ; en le ngligeant syst-matiquement, on risque de se faire de la ralit que l'on tudie une notiontronque, parce qu'elle repose sur une observation incomplte. Dans l'ordre dela vie, on ne peut savoir ce qui fait l'essence d'un fait que si l'on fait entrer enligne de compte les formes anormales et pathologiques qu'il prsente, aussibien que les formes normales ; c'est une vrit qui est la base des nouvellesmthodes psychologiques et qui s'impose avec non moins d'autorit ausociologue 2.

    Cependant, dit-on, puisque historiquement, on reconnat une doctrinecomme idaliste, panthiste, socialiste, etc., c'est qu'on a, indpendamment del'histoire, quelque ide gnrale des tendances que ces mots reprsentent,qu'elles sont classes in abstracto dans l'esprit avec plus ou moins de prci-sion 3. Il semble donc qu'il n'y ait qu' prendre conscience de cette ide et l'exprimer en termes clairs et dfinis. Mais c'est une erreur de croire quecette ide soit antrieure la connaissance des doctrines. Tout au contraire,elle en rsulte. Comment, en effet, pourrait-elle avoir une autre origine ? II n'ya pas, toutes faites dans l'esprit, autant de catgories spciales qu'il y a d'colesphilosophiques ou sociologiques. La vrit, c'est qu'elle s'est forme petit petit, au fur et mesure que nous tions initis aux diffrentes formes que pr-sente historiquement chaque systme, et elle en reproduit les traits les plusfrappants, ou plutt ceux qui nous ont le plus frapps. Elle en est commel'image gnrique. La mthode dialectique, si on la fait consister dans l'ana-lyse de ces ides, s'applique donc des notions formes empiriquement et, parsuite, les rsultats auxquels elle conduit n'ont d'autre valeur que celle de cesnotions elles-mmes. Or elles se sont formes de telle sorte qu'elles ne peu-vent avoir rien de scientifique. Elles se sont, en effet, constitues sans mtho-de, suivant le hasard des rencontres, sous l'empire de mille circonstances sans

    1 II parat d'ailleurs abandonn par l'auteur dans la conclusion de l'article.

    2 D'ailleurs on ne voit pas comment il est possible de qualifier derron et d'anormal tel ou

    tel socialisme, avant d'avoir constitu le type normal. Il faut savoir ce qu'il est en faitavant de chercher ce quil doit tre ou ne pas tre.

    3 Loc.cit., p.183

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    rapport avec la ralit intrinsque de l'objet auquel elles correspondent. Nousne savons pas, en effet, si les doctrines particulires que nous connaissonspuisent toutes les varits du systme ; surtout nous ne sommes pas assursque les traits qui nous ont le plus frapps sont vraiment les plus essentiels. Ilest invitable, au contraire, que des passions, des prjugs de toute sorte soientvenus altrer l'observation, mettre en relief tel caractre secondaire ou effacerartificiellement telle proprit fondamentale ; car nous n'avons pris, pour car-ter cette source d'erreurs, aucune de ces mesures prventives qui constituent lamthode mme de la science. C'est pourquoi on peut tre certain qu'une telleide du socialisme est la notion scientifique du phnomne ce que lareprsentation vulgaire du Soleil ou de la Terre est la conception qu'en a l'as-tronome. Ce n'est donc pas en analysant une telle notion que l'on pourra ja-mais arriver bien dfinir la chose qu'elle exprime aussi infidlement. Mais,pour obtenir cette dfinition, c'est la chose mme qu'il faut revenir, encherchant l'atteindre par des procds plus mthodiques.

    Il est vrai que M. Belot essaie ensuite de confirmer les conclusions de lamthode dialectique au moyen de la mthode historique et empirique. Mais,en ralit, cette vrification est conduite dans le mme esprit et d'aprs lesmmes principes que la preuve mme qu'elle est destine contrler. Elletend, en effet, tablir simplement que la dfinition donne rpond des doc-trines socialistes qui ont exist historiquement, non que toutes les manifesta-tions de l'esprit socialiste s'y conforment sans exception. C'est ainsi que l'au-teur est oblig de laisser en dehors de sa formule peu prs tout le socialismeallemand. Ce n'est pourtant pas un facteur ngligeable.

    2. On voit, par ce qui prcde, quelle mthode il faudrait suivre pour trai-ter scientifiquement la question.

    Il existe un certain nombre de doctrines qui sont qualifies et se qualifientde socialistes. Il est lgitime de les considrer comme des expressions variesde cette tendance gnrale qu'on appelle l'esprit socialiste. Si donc entre toutesces doctrines il existe des caractres communs et s'il est possible de lesdcouvrir, on aura le droit d'en faire la matire de la dfinition cherche.

    Pour y arriver, il faudrait comparer entre elles toutes ces doctrines depuisle socialisme de la chaire le plus timide jusqu'au collectivisme le plus rvolu-tionnaire, les classer en genres et en espces, comparer ensuite les types ainsiconstitus pour en dgager ce qu'ils ont de commun. L'nonc mme de cettemthode suffit montrer que nous ne saurions, dans cette courte note, la met-tre en pratique avec toute la suite et l'exactitude dsirables. Mais, sans proc-der avec rigueur cette analyse et cette classification, il n'est pas impossibled'apercevoir et d'indiquer les tendances qui se retrouvent dans toutes lesdoctrines socialistes que nous connaissons. C'est ce que nous allons essayer defaire.

    Un premier caractre qu'elles prsentent toutes sans exception, c'estqu'elles protestent contre l'tat conomique actuel dont elles rclament latransformation, soit brusque, soit progressive. Quoique, la rigueur et par d-rivation, le mot de socialisme puisse tre entendu dans un sens plus large, enfait, les thories qui portent le nom de socialistes sont essentiellement relatives

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    cette sphre spciale de la vie collective qu'on appelle la vie conomique. Cen'est pas dire d'ailleurs que la question sociale soit une question de salaires ;nous sommes, au contraire, de ceux qui pensent qu'elle est avant tout morale.Seulement les transformations morales auxquelles aspire le socialisme dpen-dent de transformations dans l'organisation conomique ; nous aurons plus basl'occasion d'indiquer comment les premires sont lies aux secondes.

    Voil dj le sens du mot qui se circonscrit et se dtermine. Mais mainte-nant, entre toutes les transformations rclames par les diverses sectes socia-listes, qu'y a-t-il de commun ?

    Ce qui caractrise l'tat actuel des fonctions conomiques, c'est leur diffu-sion. Cette diffusion est, pour ainsi dire, deux degrs.

    Tout d'abord, elles sont diffuses en ce sens qu'elles n'ont pour substrataucun organe dfini. En effet, les entreprises concurrentes, consacres unmme objet ou des objets similaires, ne sont pas groupes de manire former, l'intrieur de la socit, un tout ayant quelque unit. Il n'y a pas uneentreprise unique et collective, se ramifiant dans les diffrentes rgions, etcharge, pour le pays tout entier, de l'exploitation des mines de houille parexemple, ou de la production des crales, ou de la fabrication des tissus, etc.Mais chaque maison particulire est totalement indpendante des autres. Sansdoute elles peuvent avoir des rapports entre elles, agir et ragir les unes sur lesautres ; mais elles n'ont pas de fins qui leur soient communes. Chacunetravaille de son ct, poursuit de son ct ses intrts propres et n'en poursuitpas d'autres. Il peut bien se faire qu'elles soient toutes affectes de la mmefaon par un mme vnement, une disette, par exemple, ou une guerre. Maisde ce qu'elles ragissent toutes de la mme manire sous l'influence d'unemme cause, il ne suit pas que leur runion ait une vie qui lui soit propre.Chaque tablissement a son individualit, l'ensemble n'en a pas. Or, un orga-ne est une association entre un certain nombre d'units anatomiques, unies parun lien de solidarit tel que la socit ainsi constitue a une vritable person-nalit au sein de l'organisme soit individuel, soit social. Si donc il est permisde dire que ces entreprises disperses sont comme les fragments et la matired'un organe, cependant l'organe n'existe pas, non parce qu'elles ne sont pasmatriellement contigus, mais parce qu'elles ne forment aucune communautmorale.

    En second lieu, les fonctions conomiques sont aussi diffuses en cet autresens qu'elles ne sont pas rgulirement rattaches l'organe rgulateur central,c'est--dire l'tat. Sans doute, elles ne sont pas soustraites toute influencesociale ; nous avons montr nous-mme comment le droit exerait sur cessortes de relations une action modratrice 1. Mais cette action est elle-mmediffuse. Le lgislateur a dfini le type normal de l'change dans les principalescombinaisons de circonstances qui se prsentent au cours de l'exprienceusuelle. Ce type s'impose, en fait, aux changistes dans la grande moyenne descas ; cependant ils restent toujours libres de s'en carter d'un commun accordet l'tat n'intervient pas directement pour les contraindre s'y soumettre. Il n'ya pas un corps spcial de fonctionnaires prposs, avec une autorit plus oumoins tendue, l'administration de la vie conomique ; ou si, a et l, cette

    1 De la division du travail social, passim, mais surtout p. 230-239 (p. 189-197, d. 1960).

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    administration commence apparatre, elle n'est encore que rudimentaire, etc'est, d'ailleurs, sous l'influence des ides socialistes qu'elle a fait son appari-tion. En rgle gnrale, le jeu rgulier et normal des fonctions industrielles etcommerciales chappe la connaissance de l'tat et, par suite, n'est pas direc-tement actionn par lui. Or il est bien vident que, dans un organisme o letravail est divis, des fonctions ne peuvent cesser d'tre diffuses et tre ditesorganises que si elles sont troitement en relation avec l'organe central ; carc'est seulement par l'intermdiaire de ce dernier qu'il leur est possible departiciper la vie gnrale, puisqu'il en est spcialement charg. Nous n'avonspas discuter s'il est bon qu'il en soit ainsi ; nous n'avons qu' noncer le faitqui est incontestable.

    Cela pos, il est ais de constater que toutes les coles socialistes s'enten-dent unanimement pour protester contre cet tat de diffusion et rclamer qu'ilprenne fin. Toutes elles demandent que les fonctions conomiques soientorganises. Il est vrai que l'organisation, qu'elles dclarent ncessaire, n'est pasla mme dans les diffrentes doctrines. Pour les uns, il suffirait presque d'ac-crotre l'autorit de l'tat en matire conomique ; c'est le cas de certains so-cialistes de la chaire. Pour les autres, au contraire, il faudrait avant tout consti-tuer fortement ces organes spciaux de la vie conomique qui font dfaut,c'est--dire donner aux groupements professionnels l'individualit qui leurmanque, tout en les rattachant d'ailleurs l'organe gouvernemental. Parmi cesderniers penseurs, on constate de nouvelles divergences suivant que l'onaccorde aux organes secondaires, ainsi constitus, plus ou moins d'autonomieet l'tat des pouvoirs plus ou moins tendus ; suivant que chaque grouped'entreprises est conu comme une corporation indpendante ou comme unesorte d'administration publique ; suivant que l'on attend ces transformations demoyens violents ou pacifiques, etc. Mais ce ne sont l que des nuances et, parconsquent, on peut conclure en disant : Le socialisme est une tendance faire passer, brusquement ou progressivement, les fonctions conomiques del'tat diffus, o elles se trouvent, ltat organis. C'est encore, peut-on dire,une aspiration la socialisation, plus ou moins complte, des forces cono-miques.

    On comprend maintenant qu'une telle rvolution ne puisse se faire sans deprofondes transformations morales. Socialiser la vie conomique c'est, eneffet, subordonner les fins individuelles et gostes qui y sont encore prpon-drantes des fins vraiment sociales, partant morales. C'est, par consquent, yintroduire une moralit plus haute. Voil pourquoi on a pu dire, non sansraison, que le socialisme tendait raliser plus de justice dans les relationssociales. Mais si ces consquences morales sont comprises dans la dfinitiondu socialisme, elles ne peuvent servir le dfinir, car il s'tend bien au-del.

    3. Cette dfinition est, croyons-nous, de nature jeter quelque lumire surles questions que soulve le socialisme. En premier lieu, elle montre que,malgr les divergences trs relles qui sparent les coles, elles sont toutes,d'un mme esprit. Il y a un socialisme qui est commun tous les socialismesparticuliers et qui les enveloppe. L'observation a son importance. En effet, ona quelquefois argu de cette diversit des doctrines pour ter toute importance l'extension croissante de l'ide socialiste. Qu'importe le nombre des partisansqu'elle recrute, s'ils se rpartissent entre une multitude d'glises inconciliables

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    ? Le courant parat moins fort s'il consiste en un grand nombre de petitsruisseaux, indpendants les uns des autres, et qui ne confondent nulle partleurs eaux. Au contraire, les revendications socialistes gagnent en autorit,une fois qu'il est reconnu que ces dissidences ne commencent qu' partir d'uncertain point, en de duquel l'accord existe. On ne peut plus nier la porte dece mouvement, au moins pour ce qu'il a d'essentiel, une fois que rien n'endissimule plus la gnralit.

    En second lieu, la formule prcdente empche de confondre, comme onl'a fait tant de fois, le socialisme actuel avec le communisme primitif. De cetteprtendue identit les conomistes orthodoxes ont cru pouvoir conclure larfutation du socialisme ; car il est manifestement draisonnable de vouloirimposer aux socits les plus complexes et les plus avances une organisationconomique emprunte aux types les plus simples et les plus infrieurs. Maisl'objection repose sur une confusion. Bien loin d'tre une restauration du vieuxcommunisme, le socialisme en est plutt l'oppos. Le communisme n'est pos-sible que l o les fonctions sociales sont communes tous, o la masse so-ciale ne comprend pas, pour ainsi dire, de parties diffrencies. Dans ces con-ditions, en effet, la proprit est naturellement collective, parce que la person-nalit collective est la seule qui soit dveloppe. Ds que des organes spciauxse dtachent de la masse primitivement homogne, la vie communautairedevient impossible, parce que chacun d'eux a sa nature et ses intrts propres.Le socialisme, au contraire, implique que le travail est trs divis, puisqu'iltend rattacher des fonctions distinctes des organes distincts et ceux-ci lesuns aux autres. Le communisme correspond la phase historique o l'activitsociale atteint son maximum de diffusion et il consiste dans cette diffusionmme, tandis que le socialisme a pour objet de lui donner la plus haute organi-sation possible. Le communisme, nous en trouvons le modle dans ces soci-ts inorganises de mduses o un individu ne peut manger sans que les autresmangent en mme temps. Au contraire, les plus parfaits exemples de socialis-me nous sont offerts par les animaux suprieurs, avec leurs organes multiples,autonomes, mais solidaires les uns des autres et de l'organe central qui rsumeet assure la fois l'unit de l'organisme 1.

    Loin d'tre un retour en arrire, le socialisme, tel que nous l'avons dfini,parat bien plutt impliqu dans la nature mme des socits suprieures.Nous savons, en effet, que, plus on avance dans l'histoire, plus les fonctionssociales, primitivement diffuses, s'organisent et se socialisent. L'arme, l'du-cation, l'assistance, les voies de communication et de transport, etc., ont djsubi cette transformation et, dans le livre dj cit, nous avons essay de prou-ver qu'elle tait ncessite par les changements qui se sont paralllementproduits dans la constitution du milieu social. Si donc les conditions fonda-mentales dont dpend le dveloppement historique continuent voluer dansle mme sens, on peut prvoir que cette socialisation deviendra de plus en pluscomplte et qu'elle s'tendra peu peu aux fonctions qu'elle n'a pas encoreatteintes. On ne voit pas par suite de quel privilge les fonctions conomiquesseraient seules en tat de rsister victorieusement ce mouvement.

    1 Voil pourquoi on ne doit pas faire consister le socialisme dans l'action commune .

    C'est que cette dfinition est plutt celle du communisme.