Émile Durkheim - Organisation Sociale Masai (1906)

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Organisation Sociale Masai (1906)

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  • mile DURKHEIM (1906)

    Organisation socialeMasai

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Courriel: [email protected] web: http://pages.infinit.net/sociojmt

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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    Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de :

    mile Durkheim (1906)

    Organisation sociale Masai

    Une dition lectronique ralise partir d'un texte dmile Durkheim(1906), Organisation sociale Masai. Texte extrait de la revue lAnnesociologique, n 9, 1906, pp. 331 337. Texte reproduit in mile Durkheim,Textes. 3. Fonctions sociales et institutions (pp. 276 282). Paris: Les ditionsde Minuit, 1975, 570 pages. Collection: Le sens commun.

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    Organisationsociale Masai par mile Durkheim (1906)

    Une dition lectronique ralise partir d'un texte dmile Durkheim (1906), Organi-sation sociale Masai. Texte extrait de la revue lAnne sociologique, n 9, 1906, pp. 331 337. Texte reproduit in mile Durkheim, Textes. 3. Fonctions sociales et institutions(pp. 276 282). Paris: Les ditions de Minuit, 1975, 570 pages. Collection: Le senscommun.

    On a vu plus haut 1 ce que sont ethniquement les Masai et en quoi consis-tent leurs croyances religieuses ; il nous reste faire connatre, d'aprs l'ou-vrage de Merker 2, leur systme juridique 3.

    Leur organisation sociale prsente un double aspect :

    1 Anne sociologique, 9. p. 184.

    2 Merker M., Die Masai. Ethnographische Monographie eines ost-afrikanischen

    Semitenvolkes. Berlin, 1904.3 L'ouvrage de Hollis, The Masai, etc., dont il a t dj parl plus haut, ne contient pres-

    que aucun renseignement sur leur systme juridique; c'est pourquoi nous n'y revenons pasici. Cependant on verra que nous lui empruntons, plus bas, une information.

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    Il y a tout d'abord une organisation base de clans. La socit, en effet,comprend, d'aprs Merker, trois grands groupements que l'auteur appelle desStmme et qui sont en ralit des clans (vraisemblablement primaires). Eneffet, jusqu' des temps rcents, le mariage tait prohib entre membres d'unmme Stamm. D'ailleurs, Hollis leur donne expressment cette qualification 1.Chacun de ces clans primaires comprend son tour un certain nombre declans secondaires. Mais ceux-ci ne sont pas tous au mme niveau ; il existeentre eux une certaine hirarchie. Il y a des clans principaux et d'autres quisont subordonns aux premiers (Untergeschlechter), sans qu'on nous disetoutefois avec prcision en quoi consiste cette subordination. Il nous paratassez vraisemblable qu'il s'agit simplement d'un nouveau sectionnement desclans secondaires, dont les Untergeschlechter ne seraient que des subdi-visions. C'est ce qui parat rsulter d'une note de Hollis 2.

    Entre ces diffrents clans il existe une certaine division du travail social, Ilen est un qui jouit d'une sorte de dignit minente par-dessus tous les autres :le chef suprme de la socit (appel el oiboni), est obligatoirement pris parmises membres, ainsi que les sorciers qui exercent leurs fonctions dans lesdiffrents districts. Ce chef, d'ailleurs, n'a rien d'un monarque ; C'est une sortede saint national, de patriarche dont l'autorit est exclusivement religieuse etmorale.

    Aux autres clans incombe le soin de conserver intactes les traditions reli-gieuses. A d'autres, au contraire, reviennent les fonctions mprises ; ce sontcelles qui concernent le travail du fer. Les clans de forgerons sont des clansparias ; ils forment une caste impure. La raison allgue pour expliquer cettemise en interdit, c'est que Dieu dfendu aux hommes de verser le sang. Lesforgerons, dont la principale occupation est de fabriquer les armes, semblent,par cela mme, s'insurger contre le prcepte divin et, pour cette raison, ils ontt maudits par la divinit. De l vient le mpris et l'loignement dont ils sontl'objet. Le sentiment est assez surprenant de la part d'un peuple qui, commenous allons le voir, est foncirement guerrier.

    1 D'aprs Hollis, il y aurait non pas trois, mais quatre de ces clans primaires, dont les noms

    sont les suivants : 'L-Aiser, Il-Megana, Il-Mokesen, Il-Moleleyan. La diffrence entreces deux observateurs vient de ce que le clan Il-Mokesen, que Hollis compte commeprimaire, ne serait suivant Merker qu'une subdivision du clan Il-Moleleyan. Hollis ajouteun dtail intressant et qui rend explicable l'erreur qu'a pu commente Merker. Quand desreprsentants des quatre clans se trouvent faire partie d'un raid, les membres des deuxpremiers sont considrs comme formant un tout et sont dsigns par un seul et mmenom (les bestiaux rouge sang) ; et les membres des deux derniers, de leur ct, sontrunis galement sous une mme appellation (les bestiaux noirs). Ce fait tendrait fairecroire que ces quatre clans sont drivs. par segmentation, de deux groupements primi-tifs, qui auraient t les vrais clans primaires de la tribu ; c'est--dire que les Masaiauraient t diviss, l'origine, en deux phratries, sur le mode australien.

    2 Op. cit., p. 260, n 1.

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    Par-dessus cette premire organisation, de nature politico-familiale, s'enest forme une autre, que l'auteur appelle organisation par classes d'ge, maisque l'on caractriserait beaucoup mieux en disant qu'elle est essentiellementmilitaire. Voici en quoi elle consiste :

    L'initiation, qui se fait par la circoncision, a lieu pour les jeunes garons aumoment o ils paraissent en tat de porter les armes, c'est--dire entre douzeet seize ans. Admettre un enfant la circoncision, c'est lui confrer la dignitde guerrier. Toutefois, celle-ci n'est acquise qu'au cours d'une crmoniepriodique qui a lieu environ tous les quatre ans et qui constitue la vraie ftede l'initiation : c'est l'el oiboni qui en fixe le moment. On initie donc d'un seulcoup tous les jeunes gens du district 1 qui sont parvenus la maturit et quiont t circoncis pendant la priode qui s'est coule depuis la crmonieprcdente. Tous les initis qui ont ainsi t promus guerriers au cours d'unemme crmonie forment un groupe dou d'une grande unit morale et quiporte le nom d'ol boror. Tous ceux qui en font partie portent un mme nomqui leur est impos le jour mme de la crmonie ; ils ont un chef qui leur estpropre ; ils participent une mme vie et sont unis les uns aux autres par desliens particulirement troits et qui durent jusqu' la mort. - Or c'est Pol bororqui forme la base de l'organisation militaire.

    L'ol boror le plus jeune, celui qui comprend les derniers initis, constitueune section spciale : c'est ce qu'on pourrait appeler le corps des recrues.Celui qui comprend les initis de la priode immdiatement antrieure formeun autre corps qui a des droits, des obligations diffrents : c'est celui desguerriers proprement dits.

    Si nous comprenons bien notre auteur, l'arme active, celle qui vit de lavie militaire mme en temps de paix, ne se compose gure que de deux olboror. En effet, elle ne comprend que des clibataires ; or l'homme se marievers vingt-huit ans ; on ne reste donc gure sous les armes qu'une dizaine ouune douzaine d'annes. Quand tous les hommes de l'ob boror le plus anciensont maris, ils cessent d'tre des guerriers au plein sens du mot ; ils quittentle camp et reviennent vivre dans leurs familles. Toutefois, en temps de guerre,ils se mobilisent ; ils forment une sorte de rserve. Quant aux groupes plusanciens, ils ne prennent les armes que pour dfendre leur village ou leurdistrict, s'il est menac. Pour donner au lecteur une ide plus exacte de cetteorganisation, il faut ajouter que chaque ol boror de l'arme active est lui-

    1 Le district est une division territoriale sur laquelle Merker ne nous donne aucun rensei-

    gnement; il y a un peu plus de renseignements dans le livre de Hollis (p. 260).

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    mme subdivis en un certain nombre de groupes lmentaires, qui eux aussiont leur unit et leur individualit. En effet, tous les co-initis d'un mmedistrict forment une compagnie de cent ou deux cents guerriers, qui a son chefpropre et dont les membres vivent troitement unis. Mais quand l'ol bororpasse dans la rserve, l'individualit de ces groupements s'efface ; ils cessentd'avoir un chef particulier et viennent se perdre dans la masse de la socit.

    Cette double organisation, politico-familiale d'un ct, militaire de l'autre,se reflte dans la morphologie de la socit.

    L'unit morphologique des Masai, c'est le kraal. Le kraal est un assem-blage de vingt cinquante cabanes, disposes en cercles et troitement serresles unes contre les autres ; l'intervalle entre chacune d'elles est tout au plus de50 centimtres. Les kraals sont le plus souvent isols les uns des autres ; maisil arrive aussi que plusieurs kraals sont agglomrs en un village. Or de mmequ'il y a deux sortes d'organisation sociale, il existe deux sortes de kraals dontla constitution est trs diffrente : les uns pour les gens maris et leur famille,c'est--dire en somme pour la population civile ; les autres pour les guerriers.

    Un kraal civil, c'est l'habitat ou d'une famille ou d'un agrgat de familles.jusqu' ces 12-14 dernires annes, chaque famille avait son kraal distinct ;c'est seulement sous l'influence de circonstances conomiques, rcentes etanormales, que plusieurs familles ont t amenes se runir et vivre dansun mme kraal. Le kraal civil correspond donc l'organisation base degroupements familiaux. Il est compos des hommes, de leurs femmes lgiti-mes et de leurs enfants non encore initis.

    Tout autre est le kraal militaire. Il y en a un par district, et qui comprendtous les jeunes gens du district (nous empruntons cette expression de district notre auteur sans savoir exactement quelle en est la signification, car il ne ladtermine lui-mme nulle part). Ainsi les jeunes hommes, une fois circoncis,quittent leur famille pour s'en aller vivre dans la compagnie de leurs contem-porains avec lesquels ils forment un tablissement spcial. Mais ce kraal n'estpas sans femmes. Les mres des jeunes gens qui s'y trouvent viennent aussi yhabiter. De plus, chaque guerrier a sa matresse. C'est une jeune fille qui n'estpas encore circoncise. Comme une grossesse avant la circoncision est consi-dre comme une chose honteuse, ces jeunes couples ont recours des proc-ds artificiels pour rendre leur union strile.

    Cette organisation militaire se trouve donc en contradiction avec la pre-mire, puisqu'elle oblige jeunes gens et jeunes filles quitter leur famille unmoment donn, et pendant une longue priode de temps, pour vivre ensemble

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    d'une vie toute spciale. Et comme cette organisation est prpondrante, parceque les Masai vivent dans un tat de guerre peu prs chronique, le liendomestique est naturellement assez faible. Non seulement pendant la priodemilitaire, mais mme auparavant, un enfant peut, avec sa mre, quitter le toitpaternel et s'tablir ailleurs. A un moment quelconque, tout membre de lafamille peut s'en retirer et se faire recevoir dans une autre famille du mmeclan, o il acquiert ses lettres de naturalisation en amenant avec lui quelquesttes de btail voles son pre. - Il en est de mme du lien conjugal. Le faitmme que la mre suit son fils au kraal militaire ou quand il s'tablit endehors de la maison paternelle, implique que la femme quitte facilement sonmari. D'autre part, la jalousie conjugale est un sentiment peu prs inconnu : La femme est la disposition de tout homme qui appartient la mmeclasse d'ge que son mari et qui la dsire.

    Tout comme le droit domestique, et peut-tre un plus haut degr, le droitde proprit est dans un grand tat d'indtermination. Les prairies d'un districtsont tous les habitants d'une manire indistincte. Le btail appartient au chefde la famille ; mais il semble bien que ses droits soient assez indfinis. Onnous dit que le fils vole les bestiaux de son pre et sans que, pourtant, le volsoit rprim. - Il est inutile d'ajouter que, dans de pareilles conditions, le droitcontractuel est galement des plus rudimentaires. Au contraire, l'change deprsents est une pratique trs dveloppe. Il y a mme un curieux usaged'aprs lequel on donne un parent des noms diffrents suivant le prsentqu'on en a reu ; ces prsents consistent en ttes de btail.

    En rsum, ce qui caractrise la conscience juridique de ce peuple, c'estson extrme indcision. Qu'il s'agisse de la famille, de la proprit ou du con-trat, les prescriptions ont quelque chose de flottant. Les droits et les devoirssont mal fixs ; on ne sait pas avec prcision o ils commencent et o ilsfinissent. Aussi, suivant une remarque que nous empruntons notre auteur,est-ce souvent la force qui tranche les questions litigieuses. Ce rsultat estvidemment d la place prise par la guerre et l'organisation militaire dans lavie gnrale de la socit. Le vieux systme social, qui avait pour base lesgroupements familiaux, a t branl ainsi que la discipline morale qu'il im-pliquait ; des groupements purement militaires sont passs au premier plan.Or, par leur nature, ils constituent un mauvais milieu pour le dveloppementde la vie juridique.

    L'ouvrage que nous venons d'analyser nous apporte une preuve nouvelledes inconvnients qu'il y a pour un observateur ne disposer ni d'un cadre oses observations viennent mthodiquement se ranger, ni d'ides directrices quiles orientent. M. Merker a vu de prs les choses dont il parle ; il a apport

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    dans ses recherches beaucoup de conscience ; il a recueilli ainsi, comme on apu s'en assurer, de nombreux et importants renseignements. Mais d'abord,parce qu'il n'a pas un sentiment suffisant des rapports que soutiennent entreeux les diffrents faits sociaux, l'ordre dans lequel il les expose est souventtrop extrieur ; des usages, des institutions qui sont particulirement propres s'clairer, sont parfois spars les uns des autres, dans son expos, par deschapitres tendus. Aussi, dans notre analyse, avons-nous d ne pas nousastreindre suivre l'ordre adopt par l'auteur. De plus, pour la mme raison, illui arrive de passer ct des questions les plus importantes sans les aperce-voir, autant du moins qu'il semble. Ainsi, il nous parle du clan (dasGeschlecht), sans nous dire quelles conditions on en fait partie, quelle en estl'tendue, l'organisation, quels sont ses rapports avec la famille stricto sensu :il en rsulte beaucoup de vague dans le tableau qu'il nous trace de l'organi-sation familiale. On trouve mme des propositions contradictoires et dont lacontradiction apparat aussitt pour quiconque est au courant des problmes.Ainsi, la page 30, il est dit que le pre est le chef de la famille et, quelqueslignes plus loin, que le chef de la famille peut tre dpos par ses frres pourmauvaise administration. Si le chef est le frre de ses administrs, c'est qu'iln'est pas le pre ; c'est que plusieurs souches collatrales vivent ensemble. Si,au contraire, c'est le pre qui est la tte de la socit domestique, c'est quecelle-ci est rduite une souche. De mme, la page 46, on nous dit que, lorsdu mariage, la fiance est achete et que, par cet achat, elle sort de sa famillenatale pour entrer tout entire dans celle de son mari ; la page 195, aucontraire, nous apprenons que la veuve, quand elle n'a pas de fils, revient,aprs la mort de son mari, dans sa famille originaire. C'est donc qu'elle n'taitpas devenue partie intgrante de la famille de son mari. Et, en effet, des faitsmmes rapports par l'auteur il rsulte que, chez les Masai comme chez nom-bre d'autres peuples, ce qui est achet par le fianc, ce n'est pas la personne desa femme, mais les enfants natre du mariage ; car ses droits sur ces enfantsvarient suivant que le prix d'achat a t rellement et totalement vers, ou non.- Nous pourrions relever un certain nombre d'obscurits ou de contradictionsdu mme genre qui prouvent combien une culture sociologique est indispen-sable aux explorateurs pour qu'ils voient bien les faits qu'ils ont sous les yeux.

    Fin de larticle.