Emile Benveniste-Problemes de Linguistique Generale, 1-Gallimard (1976)

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Benveniste

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    de linguistique gnrale,l

    agaJlimard

  • mile Benveniste

    Problmes de linguistique

    gnrale 1

    Gallimard

  • Ce liv,e a initialement paru dans la a Bibliothque des sciences humaines en aVTil 1966.

    Tous droits de traduction, de reproducti'rm et d'adaptation rservs pour tous pays.

    ditions Gallimard, 1966.

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    Lu tJlau Tllmia' datU cet ~"';age,ont lt' c~s ,;ntTe beaucoup d'autres, plus tecntiiqua, que l'auteur a publilei:au Ibng d~ ce~ tkm.ibes annIes~ Si on les a !'J,~mUes ici s0r4' l{J dnominaQJI de CI PTohlmes Il, c'est qu elleS apportent dtilu

    I~r ensemble 'et chacrme poUr soi une contribution la gr. PToblmtltique du langage, qui s'nonce dtmS, ,lu principau thme$ trait$ ; on JI 'envisag les rela#rms entre le biologique et le ~lturel, entre la mbjeetif)it et' ta socialit . entre le '~ et l'objet, entre le symhole et' la pense, et tmSn les prob{eir;l de l'analyse intralinciltique. CBW# qui diCOUfJUnt dtms dfautTt$ domaines l'imptwtance du langage fJeTTont ainsi' comment ,Vil lifli:te a1xwde queltpU!S-rmS des iplBStWns fJfI:'ih s,imt ,~ Se poser .et ifs, apercewont peut-Atre que la confiKur~tiqn du 'langage tlterilUne tow les syst(nessnniotiques. ' " "A ceru>-l certaines pages pOU1'Tont sembler difficiles. Qu'ih

    se ctmfJamqumt que le langage 'est bi(1J un objet dijJicilet. que l'analyse du donn 'linguistique se, fait' par du fHiies ,ardua. Comme les" autres sCJ'etices, la, lingutique 'progrse ~Tafson direCte de la complexit qu'elle recorinalt auz cI~s; lu tpes de $on dvelopp.ement sont ce&s de cette prise 't!e ,CQ1U-cience. Au reste, il faur/ra $e pntrer de cette fJiit qe la rforion mr le lmigaie n'est fructueuse que si .elle ~e .~' lio.!d sur les l~ re/lU. L'tude rk ces OTgatiisme$ 'empiriques, hist&riijuu, qUe sont les langUes 'demeure le s~1 Q&ch PO#r7J1e la comprhension du micnismes gnrilu:J#',; ,lu f~-nement du langage. '

    Du les PTemiers chapitres, nous uvons estpls un pano-rama des recherches rcentes mr la thorie du langage et du pmpechfJes qu'elles ouvrent. On passe ensuite au problhu central de la communicatm et ses modalitis : nature du ripe linguistJue, caractres diffrenlieh du langage hu1nain;

  • corrllltioru entr, la eatgmiu linguiJlJIII$ et cella de la jJetuie: r8k dl" langage tI.tw l' t~atima de l'incrnucimt. La 7Iot';1 de Itructure et ce/ de fOlldion I01Jt l'objet des eJtaU JUiwmtl gui Portmt IfI&cusirJemmt nu- la r;ariQtioJu de 1Wu&-tuTe daru 181 lonpel et sur lu manifestatiom ;ntra1itlp-tiquer de quelques fMU:tiotu; rrot6lllllletll l8t relatimu de la forme et du I~ sont mises en f'apprwt aVBe 181 niveaux de l' tmalyle. Une "rie distlcte ut anuaaie du pli4Mtnbles de synta:ce : 01J reclrerche id du COPU'Itmtu syn~es cl traVers des type$1inqutigues tril fXlriIr, et on pole da motlew rpti.s de -CertaIM typeJ de p/n"aJes cl f'ecOll1llJltre ctnII'If'II univeTs," : phrQle rromirrak, phrme ,.,latl"'. Il L'homme dtms /e l'!"lage li est le titre de la /Jfl'f'Ik I1ltJtmte; c'eU "emprei1lle de l'homm, dIln$ le langage, tlftnie pat ks famte$linguistiquu de la Il mbJ',ctivit JI et les JigMiu de la PersorrM, dei ~ et du temps. E" contrepartie, dmu ks demim chapitres, c'elt le 1'81, de la sigrlfftcat;(IfI et de 10 cultuTe qui eU mis en ,elief; on y tudie lu mtlwtles de III Teconstruditm Im.fm-tiquet ainsi que 14 gense de qrulguu tl!fl'1'nll impurllll'lts de la culture moderne.

    L'unit et la cohimlce de l'enremhk res$t1rliront de cet O/JeTfU, Nmu 1IOru sommes demJi" obstetnl de tQf4te inur-vention Ttro~tfJe dans la pr/sentation comme tlIlfIS lu amclwiom der difllrentJ chapitres. Autrement il ,dt fallu ajouter cl chacun d' /lW! un pmt-rtriptum SflUfJent tendu : soit au titre de la Joamterttahm, pour sigruJler PIZ! e#emple les p1w ,cents dkelopptlMnll tIa rICMTckes thmitJua,' soit en historien de 7Ultre propre recherche, pour Tendie compte de l'accueil fait chacun de ces tt:ttel, et intIJU8r que c Natrae dM signe ""raguistigue Il (p. 49) a jmJfJo~ de fJives contrrJtoersu et fait surg;, 1Jfte longue s/.rie d'articles, que nos pages lfI7 le te7llJ'! dmu k verbe francais (p. :137) ont lt /l'olongles et coiijirmes dtnu la statistiques de H. Yvon sur l'ernplci des tempr che. les crifJaitu modernes, etc. Mais c'e(Jt III chaque foiJ atnOl"cer une noII'IJlJlle recTurc1re. Vautrel occati01l$ se j1rlsenfeTont de Tewmr M' CeJ questions importantes et d'en trmur ci neuf.

    MM. P. VerltJ'aetm et N. RuflJt!t ont bien tIOIIlu ,ouIuzit".la publication du /'Tisent f'ecueil. Qu'i/S lOien' ,.""m:ii, ici tU mtaTJoir obligelDflPlUnt aidl Il ermstituer.

    E. B.

  • 1

    Transformations de la linguistique

  • CHAPITRB PREMIER

    Tendances rcentes en linguistique gnrale i

    Au cours des dernires dcennies, la linguistique a connu un dveloppement si rapide et tendu si loin son domaine qu'un bilan mme sommaire des problmes qu'elle aborde prendrait les proportions d'un ouvrage ou se desscherait en une numration de travaux. A vouloir seulement rsumer l'acquis, on remplirait des pages, o l'essentiel manquerait peut-tre. L'accroissement quantitatif de la production linguistique est tel qu'un gros volume de bibliographie annuelle ne suffit pas la recenser. Les principaux paya ont maintenant leurs organes propres, leurs collections et aussi leurs mthodes. L'effort descriptif a t poursuivi et tendu au monde entier : la rcente rdition des LangIUJ du monde donne une ide du travail accompli et de celui, bien plus considrable, qui reste faire. Les Atlas linguis-tiques, les dictionnaires se sont multiplis. Dans tous les secteurs l'accumulation des donnes produit des uvres de plus en plus massives: une description du langage enfan-tin en quatre volumes (W. F. Leopold), une description du franais en sept volumes (Damourette et Pichon) ne sont que des exemples. Une revue importante peut aUJourd'hui tre consacre exclusivement l'tude des langues mdiennes d'Amrique. On entreprend en Mrique, en Austl'81ie, en Ocanie des enqutes qui enrichissent considrablement l'inventaire des formes Iin~istiques. Paralllement le pass linguistique de l'humanite est explor systmatiquement. Tout un groupe d'anciennes langues d'Asie Mineure a t rattach au monde indo-europen et en modifie la thorie. La restitution progressive du proto-chinois, du malayo-polynsien commun, de certains prototypes amrindiens

    ~. JollNllll d, P~hologi" P.U.F., Parla, janvier-Juin ~9"'.

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    aucune fonne du prsent on n'atteint quoi que ce soit d'II ori-ginel . L'exploration des plus anciennes langues qui soient attestes les montre aUS8i compltes et non moins complexes que celles d'aujourd'hui; l'aDalyse des langues primi-ttves y rvle une organisation hautement diffrencie et systmatique. Loin de constituer une norme, le type indo-europen apparat plutt exceptionnel. A plus forte raison se dtoume-t-on des recherches portant sur une catgorie choisie dans l'ensemble des langues et cense illustrer une mme disposition de l'a esprit humain D, ~tli8 qu'on a vu la difficult de dcrire le systme complet dune BeUle langue et combien sont fallacieuses certaines analogies de structure dcrites au moyen des mmes termes. Il faut attacher une grande importance cette exprience toujours plus large des varits linguistiques du monde. On en a tir plusieurs leons. Il est apparu d'abord que les conditions d'volution ne diffrent pas foncirement selon les niveaux de culture, et Q.uon peut appliquer la comparaison des langues non crites les mthodes et les critres qui valent pour les langues de tradition crite. A un autre point de vue, on s'est aperu que la description de certains types linguistiques, des langues amrindiennes notamment, posait des problmes que les mthodes traditionnelles ne peuvent rsoudre. Il en est rsult un renouvellement des procds de description qui, par contre-coup, a t tendu aux langues qu'on croyait dcrites pour toujours et qui ont pris nouvelle ligure. Autre consquence encore, on commence voir que le rpertoire des catgories morphologiques, si vari qu'il semble, n'est pas illimit. On peut alors imaginer une sorte de classification logique de ces catgorie:s qui en montreit l'agencement et les lois de transfonnation. Enfin, et nous touchons ici des questions dont la porte dpasse la linguistique, on discerne que les Il catgories mentales D et les Il 10lS de la pense ne font dans une large mesure que reflter l'organisation et la distribution des catgories linguistiques. Nous peIlBOns un univers que notre langue a d'abOrd model. Les varits de l'exprience philosophique ou spirituelle sont 80US la dpendance incons-ciente d'une classification que la langue opre du seul fait qu'elle est langue et qu'elle symbolise. Ce sont l quel-quCS-uns des thmes que dcouvre une rflexion familiarise avec la diversit des types linguistiques, mais vrai dire aucun n'a encore t exploit fond.

    Dire que ]a linguisti'Jue tend se faire scientifique, ce n'est pas seulement DslSter sur un besoin de rigueur qui

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    est commun il touteS les disciplines. Il s'agit d'abord d'un changement d'attitude envers l'objet, qui se dfinirait par un effort pour le formaliser. A l'origine de cette tendance on peut reconnaiue une double influence: celle de Saussure en Europe, celle de Bloomfield en Amrique. Les voies de leur lDfluence respective sont d'ailleurs aussi diffrentes que les uvres dont elles procdent. li est difficile d'ima-giner contraste plus marqu que celui de ces deux ouvrages : le Cour, de liiiguim'qus ghtJra de Saussure (1916), livre posthume rdig d'aprs des notes d'lves, ensemble d'aperus gniaux dont chacun appelle une exgse et dont certains nourrissent encore la controverse, projetant la langue sur le plan d'une smiologie univeelle, ouvrarit des vues auxquelles la pense philosophique d'aujourd'hui s'veille il peine; le LfmIUtlle de Bloomfield (1933). devenu le vade-mecum des linguistes amricains, Il tcxtbook com-pltement achev et mm, remarquable autant par son parti pris de dnuement philosophique que r,ar sa rigueur tech-nique. Nanmoins Bloomfield, quoiqu il ne se rfre pas il Saussure, aur.t certainement souscrit au principe saU8-suri en que la linguistique a pour unique et vritable objet la langue envisage en elle-mme ct pour clIe-Il\me li. Ce principe ~lique les tendances que montre partout la lin-guistique, s il ne rend pas encore compte des raisons pour lesquelles clIe se veut autonome et des fins qu'elle poursuit par l.

    A travers les diffrences d'cole, chez ceux des linguistes qui essayent de systmatiser leurs dmarches, les mmes proccupations apparaissent qui peuvent se fonnuler en uois questions fondamentales : 10 Quelle est la tache du linguiste, il quoi accde-t-il et que dcrira-t-il sous le nom de langue? C'est l'objet mme de la linguistique qui est mis en question; 2 Comment dcrira+on cet objet? Il faut forger des instruments qui permettent d'apprhender l'ensemble des traits d'une langue dans l'ensemble des langues manifestes et de les dcrire en termes identiques. Qud sera alors le principe de cee procds et de ces dfi-nitions? Cela montre l'importance que prend la. technique linguistique; 3 Au sentiment naf du parlant comme pour le linguiste,rle langage a pour fonction de (J dire quelque chose 11. Qu'est exactement ce quelque chc~ D en vue de quoi le langage est articul, et comment le dlimiter {la! rapport au langage lui-mme? Le problme de la signficanon est pos. " ,

    Le seul nonc de ces questions montre que le linguiste

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    veut se dfaire des appuis ou des attaches gu'il trouvait dans des cadres tout faits ou dans des disciplines voisines. n repO\l8Be toute vue a prirJri de la langue pour oonstl"Uire lIe8 notions directement Sut l'obJet. Cette attitude doit mettre fin il la dpendance, conscIente ou non, o la lin-guiBtique se trouvait vis--vis de l'histoire d'une part, d'une certaine psychologie de l'autre. Si la science du lan~age doit se choisir des modles, ce sera dans les disciplines mathmatiques ou dductives qui rationaliacnt complte-ment leur objet en le ramenant un ensemble de proprits objectives munies de dfinitions COnstantes. C'est dire qu'eUe deviendra de plus en plus a formelle D, au moins en ce sens que le langage consistera en la totalit de ses Il {ormes li observables. Partant de l'expression linguistique native, on procde par voie d'analyse il une dmposition stricte de chaque nonc en ses lments, puis par analyses suc-cessives une dcompoltion de chaque lment en units toujours plus simples. Cette opration aura pour but de dgager les units distinctives de la langue, et il y a dj ici Un changement radical de la mthode. Alors qu'autrefois l'objectivit consistait dans l'acceptation intgrale du donn, ce qui entranait ilia fois l'admission de la norme graphique pour les langues crites et l'enregistrement minutieux de tous les dtails articulatoires pour les textes oraux, on s'attache aujourd'hui il identifier les lments en tant qu'ils SOnt distinctifs tous les niveaux de l'analyse. Pour les reconnatre, ce qui n'est en auCUn cas une tche aise, on s'claire de ce principe qu'il n'y a dans une langue que des diffrences, que la langue met en uvre un ensemble de procds discri minatoites. On ne dgage que les traits pourvus de valeur significative en cartant, aprs les avoir spcifis, ceux qui ne reprsentent que des variantes. Une grande simplifi-cation est opre dsormais, et il devient alOl8 possible de reconnaitre l'organisation interne et les lois d'agencement de ces traits formels. Chaque phonme ou morphme devient relatif chacun des auUes, en ce qu'il en est la fois diffrent et solidaire; chacun dlimite les autres qui le dlimitent leur tour, distinctivit et solidarit tant des ronditions oonnexes. Ces lments s'ordonnent en sries et montrent dans chaque langue des arrangements particuliers. C'est une structure, dont chaque pice reoit sa raison d'tre de l'ensemble qu'elle sert composer.

    Structure est un des termes essentiels de la linguistique moderne, un de ceux qui ont eacore valeur programmatique. Pour ceux qui l'emploienfl eD connaissance de cause, et

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    nOn simplement pour se mettre au goftt du jour, il peut signifier deux choses assez diffrentes. On entend par struc ture, particulirement en Ewope, l'arrangement d'un tOut en parties et la solidarit dmontre entre les parties du tout qui se conditionnent mutuellement; pour la plupart des linguistes amricains, ce sera la rpartition des lments telle qu'on la constate et leur capacit d'association ou de substitution. L'expression de linguistique structurale en reoit des interprtations diff~rentes, assez diffrentes en tout Ca9 pour que les oprations qui en dcoulent n'aient pas le mme sens. Sous le 'nom de structure, un 'a bloom fieldien 1) dcrira un agencement de fait, qu'il segmentera en lments constitutifs, et il dfinira chacun de ces lments par la place qu'il occupe dans le tout et par les variations et les substitutions pMSibles cette mme place. Il repous-sera comme entache de tlologie la notion d'quilibre et de tendance que Troubctzkoy ajoute celle de structre et qui s'est ,cependant rvle fconde. C'est mme le seul principe qui fasse comprendre l'volution des systmes linguistiques. Un tat de langue est avant tout le rsulrt d'un certain quilibre entre les parties d'une structure, quilibre qui n'aboutit cependant jamais une symtrie complte, probablement parce que la dissymtrie est inscrite dans le principe mme de la langue du fait de'l'asymtrie des organes phonateurs. La solidarit de tous les lments fait que chaque atteinte porte sur un point met en question l'ensemble des relations et produit tt ou tard W1 nouvel arrangement. Ds lors l'analyse diachronique oonsi!lte il poser deux: structures successives et dgager leurs relations, en montrant queUes parties du systme antrieur taient atteintes ou menaces et comment se prparait la solution ralise dans le systme ultrieur. Par l se trouve dnou le conflit si vivement affirm par Saussure entre diachronie et synchronie. Cette conceptIon de la structure organise n totalit se complte par la notion de hirarchie entre les lments de la structure. On en trouve une illustration remarquable dans l'analyse, donne par R. Jakobson, de l'acquisition et de la perte des sons du langage chez l'enfant et chez l'aphallique respectivement: les sons acquis en dernier par l'enfant sont les premiers iL disparatre chez l'aphasique, et-ceux que l'aphasique perd en dernier 80nt ceux que l'enfant articule en premier, l'ordre de disparition tant inverse de celui de l'ac,qwsition. ' ,

    En tout Cali, une analyse ainsi conue n'est possible que si le lingullte est en mesure d'observer intgralement, de

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    contrler ou de faire varier son gr le jeu de la langue dcrite. Seules les langues vivantes, crites ou non, offrent Wl champ assez vaste et des faits assez srs pour que l'inves-tigation soit conduite avec une rigueur exhaustive. La prpondrance est donne aux langues parles. Cette condi-tion s'est impose certains linguistes pour des raisons empiriques. Pour d'autres, en Amrique, c'est d'abord la ncessit de noter et d'analyser des langues indieJUles, difficiles et varies, qui a t justement le point de dpart d'une rvision dans les mthodes descriptives, puis dans la doctrine gnrale. Mais peu peu le renouvellement s'tend la description des langues ancieJUles. TI devient mme possible de rinterprter, la lumire des nouvelles tho-ries, les donnes fournies par la mthode comparative. Des travaux comme ceux de J. Kurylowicz sur la recons-truction des pbases indo-europeJUles montrent tout ce qu'on peut attendre d'une analyse ainsi oriente. Un matre de la linguistique historique, J. Vendryes, plaide aussi pour Wle linguistique q statique , qui serait un inventaire comparatif des ressources que les diverses langues offrent aux mmes besoins d'expression.

    On comprend que le type d'tude qui prdomine ces dernires annes soit la description systmatique, partielle ou totale, d'une langue particulire, avec un souci technique qui n'avait jamais t aussi minutieux. Car le linguiste se sent astreint justifier ses procds de bout en bout. TI met en avant un appareil de dfinitions qui doit lgitimer le statut qu'il confre chacun des lments dfinis, et les oprations sont prsentes explicitement de manire rester vrifiables toutes les tapes de la procdure. Il en rsulte Wle refonte de la terminologie. Les termes employs sont si spcifiques que le linguiste inform peut recon-natre ds les premires lignes l'inspiration d'une tude, et que certaines discussions ne sont intelligibles aux tenants d'une mthode que transposes dans leur propre nomencla-ture. On exige d'une description qu'elle SOIt explicite et cohrente et que l'analyse soit conduite sans gard la signification, mais seulement en vertu de critres formels. C'est surtout en Amrique que ces principes sont affirms, et ils y ont donn lieu de longues disewsions. Dans un livre rcent, Methods in dTuctural linguistict (I951), Z. S. Harris en a produit une sorte de codification. Son ouvrage dtaille pas pas les procds qui dgagent les phonmes et les morphmes d'aprs les conditions formelles de leur agenment : distribution, environnement. substi-

  • Il

    tution, complmentarit, segmentation, corrlation, etc., chacune des oprations illustre par dea problmes parti-culiers traits avec un appareil quasi mathmatique de symboles graphiques. Il parat difficile d'aller plus loin dans cette voie. Parvient-on au moins tablir une mthode unique et constante? L'auteur est le premier convenir que d'autres procds sont possibles, et que certains seraient mme plus conomiques, en particulier quand on fait inter-venir la signification, en sorte qu'on se demande la fin s'il n'y a pas quelque gratuit dans ce dploiement d'exi-gences mthodologiques. Mais surtout on observera que tout le travail du linguiste porte en fait sur le discours, assimil implicitement la langue. Ce point, fondamental, devrait tre discut de pair avec la conception particulire de la structure admise chez les partisans de cette mthode. Des schmes de distribution, si rigoureusement qu'ils soient tablis, ne constituent pas une structure, non plus que des inventaires de phonmes et de morphmes, dfus par segmentation dans des chanes de discours, ne repr-sentent la description d'une langue. Ce qu'on nous donne en fait est une mthode de transcription et de dcompo-sition matrielle applique une langue qui serait repr-sente par un ensemble de textes oraux et dont le linguiste serait cens ignorer la signification. . '

    Soulignons bien cette caractristique qui, plus encore que la technicit particulire des oprations, est propre la mthode : il y est admis par principe que l'analyse linguis-tique, pour tre scientifique, doit s'abstraire de la signifi-cation et s'attacher uniguement la dfution et la distri-bution des lments. Les conditions de rigueur imposes la procdure exigent qu'on limine cet lment insaisissable, subjectif, inclassable, qu'est la signification ou le sens. Tout ce qu'on pourra faire sera de s'assurer que tel nonc convient telle situation objective, et, si la rcurrence de la situation provoque le mme nonc, on les mettra en corrlation. Le rapport entre la forme et le sens est donc ramen au rapport entre l'expression linguistique et la situation, dans les termes de la doctrine, behavioriste, et l'expression pourra y tre la fois rponse et stimulus. La signification se ramne pratiquement un certain condition-nement linguistique. Quant au rapport entre l'expression et le monde, c'est un problme qu'on abandonne aux sp-cialistes de l'univers physique. G Le sens (meaning) d'une forme linguistique, dit Bloomfield, se dfinit comme 1. situation dans laquelle le parlant l'nonce et la rponse>quel1e

  • Prolilmes de linguistique gnrale

    voque chez l'auditeur D (Language, p. 139)' Et Harris insiste sur la difficult d'analyser les situations : ~ Il n'y a prsente-ment aucune mthode pour mesurer les situations sociales et pour identifier uniquement les situations sociales comm~ composes de parties constituantes, de telle manire que nous puissions diviser l'nonc linguistique survenant dans cette situation sociale, ou y .correspondant, en segmenta qui correspondront aux parties constituantes de la situation. D'une Inanire gnrale nous ne pouvons prsentement nous fier ' quelque subdivieion naturelle ou scientifique-ment contrlable du champ smantique de la culture locale. paree qu'il n'existe pas en Ce moment de technique pour une telle analyse complte de la culture en lments discrets; au contraire c'est le langage qui est une de nos sources principales de connaissance sur la culture (ou sur "le monde de la signification") d'un peuple et sur les distinctions ou divisions qui y sont pratiques D (op. cit., p. 188). Il est craindre que, si cette mthode doit se gnraliser, la lin-guistique ne puisse jamais rejoindre auCUne des autres sciences de l'nomme ni de la culture. La segmentation de l'nonc en lments discrets ne conduit pas plus une analyse de la langue que la segmentation de l'univers phy-sique ne mne une thorie du monde physique. Cette manire de formaliser les parties de l'nonc risque d'aboutir une nouvelle atomisation de la langue, car la langue empi-rique est le rsultat d'un procs de symbolisation plusieurs niveaux, dont l'analyse n'est mme pas encore tente; le a donn 1) linguistique n'est pas, sous cette considration, une donne premire dont il n'y aurait plus qu' dissocier les parties constitutives, c'est dj un complexe, dont les valeurs rsultent les unes des proprits particulires chaque lment, les autree des conditions de leur agence-ment, d'autres encore de la situation objective. On peut donc concevoir plusieurs types de description et plusieurs typee de formaliSation, mais toutes doivent ncessairement supposer que leur objet, la langue, eet inform de signifi-cation, que c'est par l~ qu'il est structur, et que cette condi-tion est essentielle au fonctionnement de la langue parmi les autres systmes de signes. n est difficile de concevoir ce que donnerait une segmentation de la culture en lments discrets. Dans une culture, comme dans une I~e, il y a un ensemble de symboles dont il s'agit de dfinir les rela-tions. Jusqu'ici la science des cultures re9te fortement et d&ibrment

  • 1'r~tJtmt".'Ia''~ 13 de clles que M. L'Vi"Sttausa: a inttodultes dlW les s:Yst~bls de parent? .c'est'Ie p'I'Ql>lthe de~I'llveIl'; On ;voir 'e1",t~1it eu' combien &erit, ncessaire, pout l'ehilemble des ssclel1s qui oprent avec des~ ful'lle88ymboliQues, tine- inve8ti'gati1il des profrits' du 8ymbol~~'Les :tedierches .ilmo~':;par Peirce n ont pas t' reprlses et c'~ 'gt'lthd 'dQnunag&. '(I:'est du progrs d~' l'a:ilalyae de!! ' symboles qu'on' 'pouliilit attendre nota:l'Dment Une' meilleure' o1bprhnao(l 1 ,des procs complexes de, li .. 'aignification
  • serait de r8chir aux moyens d'appliquer en linguistique certaines des oprations de la logique symbolique. Le l~cien scrute les conditions de vrit auxquelles doivent aabS-faire les noncs o la science prend corps. n rU8e le langage a ordinaire Il comme quivoque. incertain et flottant, et veut se forger une langue entirement symbolique. Mais l'objet du linguiste est prcisment ce li langage ordinaire Il qu'il prend comme donne et dont il explore la structure entire. Il aurait intrt utiliser tentativement, dans l'analyse des cluses linguistiques de toua ordres qu'il dtermine, les instruments labors par la logique des ensembles, pour voir si entre ces classes on peut poser des relations telles qu'elles soient justiciables de la 8!Dlbollia.tion logique. On aurait alors au moins quelque ide du type de logi~ue qui Bous-tend l'organisation d'une langue, on verrait s il y a une diffrence de nature entre les types de relations propres au langage ordinaire et ceux qui caractrisent le langage de la description scientifique, ou, en d'autres termes, comment le langage de l'action et celui de l'intelligence se comportent mutuellement. n ne suffit pas de constater que l'un se laisse transcrire dans une notation symbolique, l'autre non ou non immdiatement; le fait demeure que l'un et l'autre procdent de la mme source et qu'ils comportent exacte-ment les mmes lments de base. C'est la langue mme qui propose ce problme.

    Ces considrations nous loignent besucoup en apparence des thmes de recherche que la linguistique se donnait il y a quelques dcades. Mais ces problmes sont de toua les temps, si c'est aujourd'hui seulement qu'on les aborde. Par contre, dans les liaisons que les linguistes recherchaient alors avec d'autres domaines, nous trouvons aujourd'hui des difficults qu'ils ne souponnaient gure. Meillet cri-vait en 1906 : li TI faudra dterminer queue structure sociale rpond une structure linguistique donne et comment, d'une manire gnrale, les changements de structure sociale se traduisent par des changements de structure linguistique. Il En dpit de quelques tentatives (Sommerfelt), ce programme n'a pas t rempli, car, 4 mesure mme qu'on essayait de comparer syatmatiquement la langue et la socit, les discordances apparaissaient. On a appris que la correspondance de l'une l'autre tait constamment trouble par le fait majeur de la diffusion, aussi bien dans la langue que dans la structure sociale, de sorte que des aocits de mme culture peuvent avoir des langues ht-rognes, comme des langues trs voisines peuvent servir

  • l'expre88ion de culturcs entirement dissemblables. En poussant plus loin la rflexion, on a rencontr les problmes inhrents l'analyse de la langue d'une part, de la culture de l'autre, et ceux de la li signification D qui leur sont corn muns, bref ceu:x:l mmes qui ont t voqus cidessus. Cela ne veut pas dire que le plan d'tudes indiqu par Meillet soit irralisable. Le problme sera bien plutt de dcouvrir la base commune la langue et la socit, les principes qui commandent ces deux structures, en dfinissant d'abord les UDita qui, dans l'une et dans l'autre, se prteraient

    ~e compares, et d'en faire ressortir l'interdpendance. fi y a l}aturellement des manires plus faciles d'aborder

    la question, mala 'lui en ralit la transforment; par exemple l'tude de l'empremte culturelle dans la langue. En pratique, on se borne au lexique. Ce n'est plus alors de la langue qu'il s'agit, mais de la composition de son vocabulaire. C'est d'ailleurs l une matire trs riche et, malgr l'apparence, assez peu exploite. On dispose maintenant de rpertoires amples qui alimenteront de nombreux travaux, notamment le dictionnaire comparatif de J. Pokorny ou celui des notions par C. D. Buck sur le domaine indo.europen. L'tude des variations dans les significations historiques e~ un autre domaine aussi prometteur. D'importants ouvrages ont t consacrs la smantique D du vocabulaire dans ses aspects thoriques aussi bien que sociaux ou historiques (Stern, Ullmann). La difficult est de dgager d'une masse crois-sante de faits empiriques les COnstantes qui permettraient de construire une thorie de la signification lexicale. Ces faits semblent porter un dfi constant toute prvisibilit. A un autre point de vue, l'action des li croyances D sur l'expres-:lion soulve de nombreuses questions dont certaines ont t tudies: l'importance du tabou linguistique (Meillet, Havers), les modifications des formes linguistiques pour signaler l'attitude du parlant envers les choses dont il parle (Sapir), la hirarchie crmonielle des expressions, mettent en lumire l'action complexe des comportements sociaux et des conditionnements psychologiques dans l'usage de la langue.

    On touche par l aux problmes du li style D dans toutes ses acceptions. Au cours de ces dernires annes, des tudes de tendances trs diffrentes, mais galement notables (BaUy, Cressot, Marouzeau, Spitzer, Vossler), ont port sur les procdS du style. Dans la mesure o une recherche de cet ordre met en jeu, consciemment ou non, des critres Il la fois esthtiques. Iinguiatiques et psychologiques, elle

  • 16

    engage la fois la structure de la langue, son pouvoir de stimulation et les ractions qu'elle provoque. Si les critres sont encore trop souvent u impressifs D, du moins s'efforce-t-on de prciser la mthode applicable ces contenus affectifs, l'intention qui les suscite aussi bien qu' la langue qui en fournit l'instrument. On s'y achemine par des tudes sur l'ordre des mots, sur la qualit des sons, sur les rythmes et la prosodie comme sur les resources lexicales et grammati-cales de la langue. Ici aussi la psychologie est largement mise contribution, non seulement cause des valeurs de sentiment qui sont constamment impliques dans l'analyse, mais aussi pour les techniques destines les objectiver, tests d'vocation, recherches sur l'audition colore, sur les timbres vocaux, etc. C'est tout un symbolisme que lente-ment on apprend dchiffrer.

    Ainsi on constate de toutes parts un effort pour soumettre la linguistique des mthOdes rigoureuses, pour en bannir l' peu prs, les constructions subjectives, l'apriorisme philosophique. Les tudes linguistiques se font toujours plW! difficiles, du fait m!me de ces exigences et parce que les linguistes dcouvrent que la langue est un complexe de proprits spcifiques dcrire par des mthodes qu'il faut forger. Si particulires sont les ccnditions propres au langage qu'on peut poser en fait qu'il y a non pas une mais plusieurs structures de la langue, dont chacune donnerait lieu une linguistique complte. D'en prendre conscience aidera peut-tre voir clair dans les conflits actuels. Le langage a d'abord ceci d'minemment distinctif qu'il s'tablit toujours aur deux plans, signifiant et signifi. La seule tude de cette proprit constitutive du langage et des relations de rgu-larit ou de dysba.rmonie qu'elle entrane, des tensions et des transformations qui en rsultent en toute langue parti-culire, pourrait servir de fondement une linguistique. Mais le langage est aussi fait humain; il est, dans l'honune, le lieu d'interaction de la vie mentale et de la vie culturelle et en mme temps l'instrument de cette interaction. Une autre linguistique pourrait s'tablir sur les tennes de ce trintlme : langue, culture, personnalit. Le langage peut aussi tre considr comme tenant entirement dans un corps d'missions sonores articules qui constitueront la matire d'une tude strictement objectlve. La langue sera donc l'objet d'une description exhaustive qui procdera par segmentation du donn observable. On peut au contraire tenir ce langage ralis en nonciations enregistrables pour la manifestation contingente d'une infrastructure cache.

  • 17

    C'est alors la recherche et la mise au jour de ce mcanisme tlltent qui seront l'objet de la linguistique. Le langage admet aussi d'tre constitu en structure de CI jeu v, comme un ensemble de figures Il produites par les relations intrin-8ques d'lments constants. La linguistique deviendra alors la thorie des combinaisons possibles entre ces lments et des lois universelles qui les gouvernent. On voit encore comme possible une tude du langage en tant que branche d'une smiotique gnrale qui couvrirait la fois la vie mentale et la vie sociale. Le linguiste aura alors dfinir la nature propre des symboles linguistiques l'aide d'une fonnalisation rigoureuse et d'une mtalangue distincte.

    Cette numration n'est pas exhaustive et ne peut pas l'tre. D'autres conceptions verront peut-tre le jour. Nous voulons seulement montrer que, derrire les discussions et les affirmations de principe dont on vient de donner un aperu, il y a souvent, sans que tous les linguistes le voient clairement, une option pralable qui dtermine la position de l'objet et la nature de la mthode. Il est probable que ces diverses thories coexisteront, bien qu' un point ou un autre de leur dveloppement elles doivent ncessairement Be reneontrer, jusqu'au moment o le statut de la linguisti-que comme science s'imposera, non pas 8cience des faits empiriques, mais science des relations et des dductions, retrouvant l'unit du plan dans l'infinie diversit des phn()-mnes linguistiques.

  • ',' :'. j :, ; ',' "} .~ .. , J

    CHAPITRE 'II

    Coup d' (iil sur l develDpjMmeiit de la lingili.rtique t

    '" .Il.~t survenu au courS d~ ces denurea annes. dans les tu4$ 'portant sur f1igag-etl8 1aDgus' d~:~~t:s cQnsidrablea et. dont la ;rte dpasse mni l'horiZon PQ~t-ts vaa~-T iniistique. Ces changements ~ese comp~eht pas d'emble; ils se drobent dans leur IM,Ilf.~tatJ.on . mme; . la longue ila ont rendu beaucoup

    pl~s _ma1aia l'acs d~B travaux originaux, qUi se: hri88ent d'une terminologie de plUB en plUB technique. C'est un fait:

    ,>

  • n peut donc tre utile d'exposer, auasi simplement qu'on peut le faire dans ce sujet difficile, comment et pourquoi la linguistique s'est ainsi transforme, partir de &el dbuts.

    Commenons par observer que la linguis~que a un dOl,lble objet, c:ll~ es~ science du. lan~e 'f .~~e~~"A~~~,(ges. Cette distInctIon, qu'n' fif pas touJours, est necessaue ': le langage, facult humaine, caractristique universelle et immuable de l'homme, est autre chose que les langues, toujours particulires et variables, en lesquelles il se ralise. C'est des langues que s'occupe le linguiste, et la linguistique est d'abord la thorie des langues. Mais, dans la perapective o nous nous =ns ici, nous verrons que ces voies dif-frentes s'entr nt souvent et finalement se confondent, car les problmes infiniment divers des langues ont ceci de commun qu' un certain degr de gnralit ils mettent toujours en question le langage.

    Chacun sait que la linguistique occidentale prend nais-BBnc" -datllJ--lc philos()pJii'~-.ql,i.. -TOUt -piciCiame- ctte filiation. -Nti-tenirinologie linguistique est faite pour une large part de termes grecs adopts directement ou dans leur traduction latine. Mais l'intrt que les penseurs grecs ont pris trs tt au langage tait exclwivement philoso-phique. Ils raisonnaient sur sa condition originelle - le langage est-il naturel ou conventionnel? - bien plutt qu'ils n'en tudiaient le fonctionnement. Les, _~~gQ!iea qu'ils ont instaures (nom, verbe, genre grammal, etc.) reposent ~j6~ sur dc:s. ~lII!es IQgiq1,l~ 9~;p-bU~pW.!l1!~'

    Pendant des slt1, depUIS les Praocrati

  • d'un sicle est ample et belle. La mthode prouve sur le domaine indo-europen est devenue exemplaire. Rnove au~ourd'hui, elle connat de nouveaux succs. Mais il faut voU' que, jusqu'aux premires dcennies de notre 8icle, la linguistique consistait essentiellement en une gntique des langues. ~.Be ~t._pw1t.. ~~d.',tudier,J~~_tion des formes 1inguiS1qes. Elle se "posait comme science ~t;:;#nU~-8()n'objecbtnt prtoui et-- tJOUls un'phase de l'histoire des'tangus. - -

    Cependant, au milieu de ces 8uccs, quelques ttes s'inqui-taient : quelle est la nature du fait llilguistique? quelle est la ralit de la langue? est-il vrai qu'elle ne consiste que dans le changement? mais comment tout en changeant reete-t-elle la mme? comment alors fonctionne-t-elle et q,uelle est la relation des sons au sens? La linguistique histo-nque ne donnait aucune rponse li. ces questions, n'ayant jamais eu li. les poser. En mme temps se prparaient des difficults d'un ordre tout diffrent, mais galement redou-tables. Les linguistes commenaient li. s'intresser aux langues non crites et sans histoire, notamment aux langues indiennes d'Amrique, et ils dcouvraient que les cadres traditionnels employs pour les langues indo-europennes ne s'y appliquaient pas. On avait affaire des catgories absolument diffrentes qui, chappant une description historique, obligeaient k laborer un nouvel appareil de dfinitions et une nouvelle mthode d'analyse.

    Peu peu, li. travers maints dbats th&lriques et sous 1'~pqp.J:j.Qn ,du __ CQfl7'~ ,de l;'~ghIh'a1evtfe Ferdinand de ,~",U88Ure (19J6). se prcise une nptioJ;1 nouvelle de la langue. Les linguistes prennent conscience de la tch--qui leur inCombe : ~dier ~ ~~ P!1l".une techniq~ ~dquate la ralit linguistique acrufI',ne_Illler aucun prsuppos thoriqu~ ou historique li. la description;- qui -deVra tre

    ~ruque, et analyser la langue dail8 ses lments formels propres: .. . - .'. . ~ !!!t~~q,ue ~ntre alors dans s:' troisime p~. l!e

    d'l!:uJoUrd'hw .. Elle p~nd pour objet n~ l.a .pbilosop~e d'Il langage ru l'volutlon es formes lingwstlques, mlllS d'abord la_~LiD.~ue de la I~~. et eIle_ ~"_k se constituer 9mme. .. scien~,"faffiien; rigo:ure?Se, systma-tique. " - , ., - .... -. ,,---- .- --.

    DB loIS sont remis en question tout ft la fois la col)Sidra-tian historique et les cadrs instaurs pour les langues indo-europennes. Devenant descriptive, la linguistique accorde un intrt gal li. tous les types de langues, crites oU non

  • al

    ~crites, et die doit y adapter ses mthodes. Il s'agit en effet de savoir en quoi consiste une langue et comment elle fonc-tionne.

    Quand les linguistes ont commenc, l'instar de F. de Saussure, envisager la langue en elle:m~i c:1.~ elle-mme, ils ont reconnu c~erinci'pe qui allait evenir leJlrip-elpe (on~_'!!..

  • elle correspond il l'exprience linguistique la plus concrte. Les distinctions obtenues par l'analyse concordent aveC celles que pratique instinctivement le locuteur. 01:1 a pu montrer exprimentalement, que lC$ PllQ1!-SPes, c'est-~-dire les. Sf!p.9 _,t!irtimtif' de la langu~, sont des ralits psycho-

    logi!l!l~,dont on amne assez faalement le locuteur il prendre co'n8cience, car ent,~dant dea ..sons, il i.d,rrt:ifi.~ en ralit

    d~ ,phoomes; il reconnaitcomme ,variantes du mme phonme des sona parfois assez diffrents, et aU8si comme relevant de phonmes diffrents des soos qui sembleraient

    areils p Ds' ~ prsent on voit combien cette conception de la linguistique diffre de celle qui prvalait autrefois. ~ notion

    posi~V:Ste . du .!ai~. ~~spque, ,est, remplace. par cI1e. de rJii.QQa. Au fieu de conslCirer' chque lDient en 801 et d'en chercher la Il eause dans un tat plus ancien. on l'envi_ sage comme partie d'un ensemble synChrone; l'f( atomial'll~ a

    f~t place au f( stru~e . En isolant daru le donn I1grstaq"CfSsgments de nature et d'tendue variable, on recense des units de plusieurs types; on est amen ~ les caractriser par des niveaux distDcts dont chacun est ~ dcrire en termes adquats. De l un grand dveloppement de la technique et de la terminologie de l'analyse, car toutes les dmarches doivent tre explicites.

    ~,upits~~J~ langue J:~~ve1lt, ,en. ,effet, de deux p~ : IY!!!~ quand -on les envisage da.ns leur rapport de suc8Sion matrielle au sein de la chaine parle, if/{,Qdia.-~~~ quand elles sont l'oses en rapport de substitution passl le, chacune ~ son ni"eau et dans sa classe formelle. Dcrire ces rapports, dfinir ces plans, c'est se rfrer ~ la structure formelle de la langue; et fon:ruiliser ainsi la des-cription, c'est - sans paradoxe -la rendre de plus en plus concr~ en rduisant la langue aux lments signifiants dont elle se constitue uniquement et en dfinissant cee lments par leur relevance mutuelle. Au lieu d'une srie d'f( vnements a singul!ers, innombrables, contingents, nous obtenons un nombre fini d'units et nous pouvons carac-triser une structure linguistique par leur rpartition et leun combinaisons posaibles.

    On voit clairement en procdant ~ des analyses portant SUl des systmes diffrents qu'q~,!tfp"~guiatiquo ,consti-

    1 tue une stnJ.,~~ dfinie : 1 c'est une unit de globalit envdoppimt des parties; 20 ces parties sont dans un arrange-ment formel qui obit ~ certains principes constants j 3 ce qui donne ~ la forme le caractre d'une structure est que

  • les parties constituantes remplissent une jOfldion r 41! !enfin ces parties constitutives sont des units d'un' c:ertilin ta'l1e'fnl, de sorte' que chaque unit d'un niveau dfini dmentsOus-' unit du niveau suprieur. . " .... ,!

    Touslli moments essentils de la langue ont un'caractre discontinu et mettent" en jeu des unitsdiscrte8~ On . peut dire que la lan~e se carattrise moins par ce qu'eUe exprime que par ce qu elle distingue tous les niveaux : . ~'\

    - distinction des lexmes permettant de dresser-l'inven-taire des notions dsignes; .

    - distinction deS morphmes fournissant l'inventaire des classes et sous-classes formelles; '.

    - distinction des phonmes donnant l'inventaire des distinctions phonologiques non signifiantes; . . ..., .

    - distinction des mrismes 1) ou traits qui ordoMent les 0rimesenclaa&es," , '. . .... .".;:--"

    C ~t .1~~ c~, qut~~q~~" k.J~gH!1e.!~.J~,n.)lyat~e.o-.;~e~ n~ .!ignifie ~ ~~. Le.~"Q!lt. ,v.Q.c;ation..,naturelle~.nwa, .QIl,.tout Blgntfren""rnaion de ~~Q.J,e; la structure -confre leur" I-iJgJiiOn~-~o"Jei funtion aux parties: C'est'l aU88i ce qui permet la communication indfinie' ::JalangiJe tant organise systmatiquement et fonctionnant selon les rgles d'un code; celui qui parle' peut,' partir d'un trs petit nombre d'lments de osse, constituer des signes, puis des groupes de signes et finalement une varit, ind-finie d'noncs, tous identifiables pour celui qui les peroit puisque le mme systme est dpos en lui. . ' .. ' .

    On voit comme les notions de systme, de distinction, d'opposition se tiennent troitement et appeUent par ncessit logtque ceUes de dpendance' et de solidarit, Il y. a une solidarit des membres d'une opposition, de sorte 'que:"l!!i l'un d'eux est atteint, le statut de l'autre s'en ressent" et;par suite l'quilibre du systme en est affect, ce qui peutcond~ le rquilibrer en crant une opposition nouvelle' sur-un autre point. Chaque langue 'offre il' cet gardun~. situa~on particulire, il chaque moment de son histoire. CMte&c=anai:. dration rintroduit aujourd'hui. .. en .. linguiati~ ~AAticin d'volution, en spcifiant la diachnmi. 9!!!!!l~2.l!:~te1.1ioh entre des systmes successifS.- .... '..

    'V'approcn'-dSiiptiv; la conscience du systme. le souci de pousser l'analyse J'usqu1aux units lmentaires, le choix explicite des proc ures sont autant de traits qui carattrisent les travaux linguistiques m.odemeS'. " 'Crtes dans la pratique il y a de nombreuses di'V'ergencesl""dea conflits d'coles, mais nous nous en tenons ici aWi!;pnncips

  • les plus gnraux, et les principes sont toujoUI8 plus intres-sants que les coles.

    On dcouvre prsent que cette conception du langage a eu ses J?rcurseurs. Elle tait implicite chez celui que les descriptiv1stea modernes reconnaisaent comme leur premier anctre, le grammairien indien Pa~, qui, au 'nill- du Ivitcleviii'- 'fotre --re;- av:ait'- C(difi la lan~e vdique

    e~_ fOJ!Il~~. d'un~-.4.~it.exemplaiie--:-d~"Irip~jdQ.ciille. complte, ngoureuse, que n'entache aucune mterprtation spc1ve ou mystique. Mais il faut aussi rendre justice des prcurseurs qui n'taient pas grammairiens et dont l'uvre subsiste, gnralement anonyme, fondamentale et mconnue, si prsente tous les instants de notre vie qu'on ne la remar. que plus : je veux J?arleJ', ~s ".D,v:entelll'l! de nos

    a1P.ha1;l~,pl~~ea. Qu'Un lpliabet ait pu tre invent, qu'avec un petit nombre de signes graphiques on puisse mettre par krit tout ce qui est prononc, cela seul dmontre dj la structure articule du langage. L'alphabet latin, l'alphabet armnien sont des exemples admirables de nota-tion qu'on appellerait phonmatique. Un analyste moderne n'aurait presque rien y changer : les distinctions relles sont reconnues, chaque lettre correspond toujours et seule-ment un phonme, et chaque phonme est reproduit par une lettre toujours la mme. L'criture alphabtique diflre ainsi dans son principe de rcriture chinoise qui est morphmatique ou de l'criture cuniforme qui est syl-labique. Ceux qui ont combin de tels alphabets pour noter les sons de leur langue ont reconnu d'instinct - phonma-tistes avant la lettre - que les sons varis qu'on prononce se ramenaient un nombre lISsez limit d'units distinctives, qui devaient tre reprsentes par autant d'units gra-phiques. Les linguistes modernes n'oprent pas autrement quand ils ont noter les langues de tradition orale. Nous avons dans ces alphabets les plus anciens modles d'ana1yae : les units graphiques de l'alphabet, et leurs combinaisons en un grand nombre de groupements spcifiques, donnent l'image la plus approche de la structure des fonnes linguistiques qu'elles reproduisent.

    II

  • Le langage re"1roduitla.raUt. Cela est entendR de la manii'el-plus -IifftT: ]a""ialit est produite nouveau par le truchement du langage. Celui qUI parle fait rendtre par son discours l'vnement et son expmence de l'vme-ment. Celui qui l'entend saisit d'abord le discours et travers ce discours, l'vnement reproduit. Ainsi la situation Inhrente l'exercice du langage qui est celle de l'change lit du dialogue, confre l'acte de discours u~~ .. fo.nction ~~~~t:e~r ~ri:r~I,~!~~,[email protected]~~?~~~'-~~ po~ men! m~-del':~...m;iit~2DJJl_~~~~ ml\TU

    ICI surgiSSll-r" aussItt de graves pr~lmes que noua laisserons aux philosophes"Jlotamment celui de l'adquation de l'esprit la Cl ralit nJLe linguiste pour sa part estime qu'il ne pourrait exister de pense sans langage, et que par luite la connaissance du monde se trouve dtermine par l'expression qu'elle reoit. Le langage reproduit le monde, mais en le soumettant son organisation propre. Il est logos, discours et raison ensemble, comme l'ont vu les Grecs. 11 est cela du fait mme qu'il est langage articul, consistant en un arrangement organique de parties, en une clsssifica-tion formelle des objets et des procs. Le contenu trans-mettre (ou, si l'on veut, la (\ pense D) est ainsi dcompos selon un schma linguistique. La Cl forme 1) de la pense est configure par la structure de la langue. Et la laitgue son tour rvle dans le systme de ses catgories sa fonction mdiatrice. Chaque locuteur ne peut se ~oser comme sujet qu'en impliquant l'autre, le partenaire qw, dot de la mme langue, a en partage le mme rpertoire de formes, la mme Iyntaxe d'nonciation et la mme manire d'organiser le contenu. A partir de la fonction linguistique, et en vertu de la polarit e: hl, individu et socit ne 90nt plu9 termes contradictoires, mais termes complmentaires.

    C'est en effet dans et par la langue qu-'Wdividu et socit le dterminent mutuellement. L'homme a toujours senti - et les potes ont souvent chant - le pouvoir fondateur du langage, qui instaure une ralit imaginaire, anime les choses inertes, fait voir ce qui n'est pas encore, ramne ici ce qui a disparu. C'est pourquoi tant de mythologies, ayant Il expliquer qu'. l'aube des temps quelque chose ait pu natre de rien, ont pos comme principe crateur du monde cette es~~:.nc.c~at~~~e . ~~~l1y~~.~ ... ,.1&...P.!!91~. Il n'est paa en effet oe -POUVOIr plus haut, et tous les pOUV01r8 de l'homme, sans exception, qu'on veuille bien y songer, dcoulent de celui-l. ~~.~ocit n'est possible que par la langue; et par

  • la langue aussi l'individu. L'~eil de la conscience chez l'elmt concide toujotUS av(;~JjppiiiiiiSig' d langage, qui .1'~troduifpW:: p'etf'oomme individu. dans Ia,socit .

    , MalS queUe est donc la source de ce pouvoir mystneux qui rside dans la langue i Pourquoi l'inCfividu et la socit sont-ils, ensemble et de la mme nc:ess.it, fOlUMs dans la langue?

    Parce que le langage reprsente la fonne la plus haute d'une facult qui est inhrente A la condition humaine, la

    f\tcult~ ~~mer. 1 " - Entendons par l, trs largement, la facult de reJn'dsenter !' le rel par un Il signe D et de comprendre le signe Il comme ; rq>tsentant le rel, donc d'tablir ur. rapport de " signifi-\cation li entre quelque chose et quelque chose d'autre.

    Considrons-la d'abord sous ea ronne la plus gnrale et hOlll du langage. Employer un symbole est cette capacit de retenir d'un objet sa structure caractristique et de l'iden-tifier dans des ensembles diffrents. C'est cela qui est propre :\ l'homme et qui fait de l'homme un tre rationnel. La facult symbolisante permet en effet la formation du-eoncept C0tnme distinct 1e l~bjet, concret, qui n'en est qu'un exem-

    plaire~ U:-~~i le fonaement, de fab8tplct,i9~ en, ~em~ temps que lctprinc.!pe de l'jn.uginatjon,cr~trlce. Or cette capcit

    'reprsentative d'ssrie' 8y1nbolique qui est la base- des fonctions conceptuelles n'apparat que chez l'homme. Elle s'veille trs tt chez l'enfant, 8V3Ilt le langsge, l'aube de sa vie consciente. Mais elle fait dfaut chez l'imimal.

    Faisons toutefois une exception glorieuse en faVUr des abeilles. D'aprs les observations mmorables de K. von Frisch, quand une abeille claireuse a dcouvert au cours de son vol solitaire une source de nourriture, elle retourne la ruche annoncer sa trouvaille en dansant sur les alvoles WlC danse particulire, frtillante, et en dcrivant certaines figures qu'on a pu analyser; elle indique ainsi aux autres abeilles qui trottinent derrire elle la distance et la direction o se trouve la nourriture. Celles-ci s'envolent alora et vont sana erreur au but qui est parfois fort loign de la. ruche. Observation de la plus haute porte, qui semble suggrer que les abeilles communiquent entre en~, p!'! ~nllymboJimle particulier et se transmettent de ,vritables m,~ges. Devons-noimeftre ce BySt~e de cnm1Ulcation en rapport avec le fonctionnement si remarquable de la ruche ( La vie des insectes sociaux suppose-t-lle un certain niveau des rela-tions symboliques? C'est dj beaucoup de pouvoir seule-ment poser la question. Noua demeurons, hsitante et fascins,

  • :z8

    sur ces reprsentations. Elle est par essence symbolique 1. La transformation symbolique des lments de la ralit ou de l'exprience en cmu:eptr est le processus par lequel s'accomplit le pouvoir rationalisant de l'esprit. La pense n'est pas un simple reflet du monde; elle catgorise la ralit, et en cette fonction organisatrice elle est si troitement associe au langage qu'on peut tre tent d'identifier pense et 1an~ ce point de we. ' "

    E!?-__ ; .. ,~~,. ~~~tta~~QIt~~s>,~h~.J:~~~frJ'

  • t!onceptuel. Il enchalne les propositions dans le raisonnement ot devient l'outil de la pense disCUIBive.

    Enfin le langage est le symbolisme le plus conomique. A la diffrence d'autres systmes repr8entatifs, il ne demande IUcun effort musculaire, il n'entrame pas de dplacement corporel, il n'impose pas de manipulation laborieuse, Ima-linons ce que serait la tAche de reprsenter aux yeux une cration du monde s'il tait p088ible de 1a figurer en Images peintes, aculptes ou autres au prix d'un labeur jnaens; puis, voyons ce 9ue devient la mme histoire quand elle se ralise dans le rcit, suite de petits bruits vocaux qui l'vanouissent sitt mia, sitt perus, mais toute l'me .'en exalte, et les gnrations les rptent, et chaque fois que la parole dploie l'vnement, chaque fois le monde recommence. Aucun pouvoir n'galera jamais celui-l, qui fait tant avec si peu. .

    Qu'un pareil systme de symboles existe Mus dvoile une des donnes essentielles, la plUll profonde peut-tre. de la con~iti0D; ~umaine.: cs.t ~ n:t~,,~~~.,_de.~~Jj,~.n naturelle, 11lUJlediate. et directe entre 11!9.ron;t.

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    il baigne et qui faonnera peu peu son esprit par l'inter-mdiaire du langage.

    A mesure qu'il aevient capable d'oprations intellectuenes plus complexes, il est intgr la cultUl'e qui l'environne. j'appelle culture le milieu humain, tout ce qui, par-del l'accomplissement des fonctions biologiques, donne la vie et l'activit humaines forme, sens et contenu. La culture est inhrente la socit de9 hommes, quel que soit le niveau de civilisation. EUe consiate en une foule de notions et de prescriptions, aussi en des interdits spcifiques; ce qu'une culture intel dit la caractrise au moins autant que ce qu'ene prescrit. Le monde animal ne connait pas de prohibition. Or ce phnomne humain. la culture, est un phnomne entirement symbolique. La culture se dfinit comme un ensemble trs complexe de reprsentations, organises par un code de relations et de valeurs : traditions, religion, lois, politique, thique, am, tout cela dont l'homme, o qu'i) naisse, sera imprgn dans sa conscience la plus profonde et qui dirigera son comportement dans toutes les tonnes de lIOn activit, qu'est-ce donc ainon un univers de symboles intgrs en une structure spcifique et que le langage mani-feste et transmet 1 Par la langue, l'homme assimile la culture, la perptue ou la transforme. Or comme chaque langue, chaque culture met en uvre un appareil spcifig,ue de sym-boles en lequel s'jdentifie chaque socit. La diversit des langues, la diversit des cultures, leurs changements, font apparatre la nature conventionnelle du symbolisme qui les articule. C'est en dfinitive le symbole qui noue ce lien vivant entre l'homme, la langue et la culture.

    Voil grands traits la perspective qu'ouvre le dvelop~ pement rcent des tudes de linguistique. Approfondissant la nature du langage, dcelant ses relations avec l'intel-ligence comme avec le comportement humain ou les fonde-ments de la culture, cette investigation commence clairer le fonctionnement profond de l'esprit dans ses dmarches opratoires. Les 8ciences voisines 8uivent ce progrs et y cooprent pour leur compte en s'inspirant des mthodes et pinou de la terminologie de la linguistique. Tout laisse prvoir que ces recherches parallles engendreront de nouvelles disciplines, ct concourront Wle vritable science de la culture qui fondera la thorie des activits symboliques de l'homme. Par ailleurs on sait que les descriptions for-melles des langues ont une utilit directe pour la construc-tion des machines logiques aptes effectuer des traductions, et inversement on peut esprer des thories de l'information

  • 31

    quelque clart sur la manire dont la pense est code dans le langage, Dans le dveloppement de ces recherches et de ces techniques. qui marqueront notre poque, nous aper-cevons le rsultat de symbolisations successives, toujours plus abstraites, qui ont leur fondement premier et ncessaire dans le symbolisme linguistique. Cette fonnalisation crois-snnte de la pense nOU9 achemine peut-tre la la dcouverte d'une plus grande ralit. Mais noUS ne pourrions seule-ment concevoir de telles reprsentations si la structure du langage n'en contenait le modle initial et CQmme le lointain pressentiment.

  • CHAPITRE lU

    Saussure aprs un demi-sicle 1

    Ferdinand de Saussure est mort le 22 fvrier 1913. Nous voici runis cinquante ans aprs. la mme date, le 22 fvrier 1963, pour une commmoration solennelle, en sa ville. en son universit -. Cette figure prend maintenant ses traits authen-.tiques, elle nous apparat dans sa vraie grandeur. Il n'y a pas de linguiste aujourd'hui qui ne lui doive quelque chose. II n'y a pas de thorie gnrale qui ne mentionne son nom. Quelque mystre entoure sa vie humaine, qui s'est tt retire dans le silence. C'est de l'uvre que nous traiterons. A une

    . telle uvre, seul convient l'loge qui l'explique dans sa gense et en fait comprendre le rayonnement.

    Nous voyons aujourd'hui SaUBBure tout autrement que ses contemporains ne pouvaient le voir. Toute une part de lui-mme, la plus lffiportante sans doute, n'a t connue qu'aprs sa mort. La science du langage en a t peu II. peu

    , tIansfonne. Qu'est-ce que SaUBBure a apport la linguisti-que de son temps, et en quoi a-t-il agi sur la ntre ?

    Pour rpondre cette question, on pourrait aller d'un de ses crits au suivant, analyser, comparer, discuter. Un tel inventaire critique serait sans doute ncessaire. Le bel et important ouvrage de M. Godel a y contribue dj largement. Mais ce n'est pas notre propos. Laissant d'autres le soin de

    1. Cabiers Ferdinand de St1.Ul$1We, 20 (1963), Librairie Droz, Genve.

    2. Ces pages reproduisent l'easentiel d'une confrence dOQll&: Genve le 22 fvrier 196~, sur l'inntation de l'Univenit, pour commmore: le cmquanteDluI'C de la mort de Ferdinand de Sausaurc. Quelques phruea Iimin 1Il:8, toutes pemonneUes, ont t 8uP.!'rimes. Jl ne devra pas oublier que cet expos a t conu 1 intention d'un public plue large que celui dcsllilgujas, et que la circoDatance excluait tnute W8cusaion et Meme tout nonc tro~ technique.

    3. Les Sourca mamucrites , Cours de linguisaque gmrale de FertHrrmrd dB SflVmlr~, 1057.

  • TrarufomuztWtu de la linguistique 33 dcrire en dtail cette uvre, nous essaierons d'en ressaisit le principe dans une exigence qui l'anime et qui mme la constitue.

    Il y a chez tout crateur une certaine exigence, cache, pennanente, qui le soutient et le dvore, qui guide ses penses, lui dsigne la tche, stimule ses dfaillances et ne lui f4t pa trve quand parfois il tente de lui chapper. Il n'est pas tou-jours facile de la reconnatre dans les dmarchea diverses, parfois tto~~tes, o s'en8ag~ la rflexion de Saussure. MilB, une fOIS discerne, elle cllW'e le sens de son effort, et le situe vis--vis de ses devanciers comme par rapport nous.

    Saussure est d'abord et toujours l'homme des fondements ... Il va d'instinct aux caractres primordiaux, qui gouvernent la diversit du donn empirique. Dans ce qUi appartient ~ la langue il pressent certaines proprits qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. A quoi qu'on la compare, la langue appa-rat toujours comme quelque chose de diffrent. Mais en quoi est-elle diflrente? Considrant cette activit, le langage, o tant de facteurs sont associs, biologiques, physiques et psychiques, individuels et sociaux, historiques, esthtiques, pragmatiques, il se demande ~ ~~_ e.!,~ .cn propre la langue ?), ...

    On pourrait donner cette mterrogatlon uno forme plus prcise en la ramenant aux deux problmes suivants, que nous mettons au centre de la do~e saussurienne : .~ ,

    1 Quelles sont les donnees de base sur lesquelles la ' linguistique se fondera et comment pouvons-nous les atteindre?

    ZO De quelle nature sont les notions du langage et par quel mode de relation s'articulent-elles?

    Nous discernons cette prc!occupation chez Saussure ds son entre dans la science, dans son Mlmo,'Te SUT le systnne primitif de, voyelle, dans le, ~, i7ldo-europl.emzes, publi quandll avait Vingt t Uri-ans, et qui reSte un de ses titres de gloire. Le gnial dbutant attaque un des problmes les plus difficiles de la grammaire compare, une question qui vrai dire n'existait pas encore et qu'il a t le p'remier formuler dans ses tennes propres. pourquoi-1l-t-il ,choisi, dans un domaine si vaste et si prometteur, un objet aussi ardu? Relisons sa prface. Il y expose ~ue son intention tait d'tudier les formes multiples de 1 D. indo-europen, mais qu'il a t conduit envisager Il le systm..e des voyelles daJ:IB so.n ensemble li. Cela l'amne traitu li: une srie de problmes \ de phontique et de morphologie dont les lins attendent \ encore leur solution, dont plusieurs n'ont mme pas t6 \ poss . Et comme pour s'excuser d'avoir Il traverser les.

  • 34

    rgions les plus incultes de la linguiAtique indo-europenne D, il ajoute cette justification trs clairante:

    Si nanmoins nous nous y aventurons, bien convaincu d'avance que notre inexprience s'garera maintes fois dans le ddale, c'est que pour quiconque s'occupe de ce& tudes, s'attaquer de telles questions n'est pas une tmrit, comme on le dit souvent, c'est une nssit; c'est la premire cole o il faut passer; car il s'agit ici non de spculations d'un ordre transcendant, mais de la recherche de donnes lmen-taires, sans lesquelles tout flotte, tout est arbitraire et incer-titude. li

    Ces dernires lignes pourraient servir d'pigraphe son uvre entire. Elles contiennent le programme de 88 recher-che future, ~es P!~~_~~,~rien~atiQ!l.~~n but. Jusqu'au bout de sa VIe, et Q-plus en pIiiS mstammenT,(louloureuse-ment pourrait-on dire, mesure qu'il s'avance plus loin dans sa rflexion, il va la recherche des a donnes lmentaires li qui constituent le langage, se dtournant I?eu peu de la science de son temps, o il ne voit qU'II arbltraire et incerti-tude D, une poque pourtant o la linguistique indo-euro-penne, assure de ses mthodes, poursuivait avec un succs croissant l'entreprise comparative.

    Ce sont bien les donnes lmentaires qu'il s'aJrt de dcouvrir, et mme (on voudrait crire : surtout) !Ii, ,Ion se ~i~~~A~~~~~ t~t~i'~~f~~~~;'! deVenir' historique, car s'il y a histoire, de quoi est-ce l'his-toire? Qu'est-ce qui change et q~~~t .. .~"qui ,demeure? Comment' pouvons-nous dire d'une donne lliiguistique prise deux moments de l'volution 9ue c'est la mAme donne? En quoi rside cette identit, et pU18qu'elIe est 1?08e par le linguiste entre deux objets, comment la dfinirons-nous? n faut un corps de dfinitions. Il faut noncer les rapports logiques 9ue nous tablissons entre les donnes, les traits ou les pomts de vue sous lesquels nous les apprhendons. l~~_ ... i~_~er.'~~_'f~!.n,'~~li~e.!l~ ~t:i'~~ .. ~,~~,IJ),oyen. . -, ~ ,le [sur mo~ - ,~~,qu~ le. !iU~,~J.!.~;etcontinge!lt. Pour attemdre au concret histonque, pour replacer l contiil-gent dans sa ncessit propre, nous devons, aituer chaque lment dans le rseau de rell.tfM ~q1ir-le'''cJ6imIl, 'et poser explicitemeilt ~ue le fait n'existe elu'en vertu de la dfinition que nous IUl donnons. Telle est l'vidence qui ds le dbut s'IDf?08C SaU88ure et qu'il n'aura pas trop de sa vie entire pour mtrOduire dans la thorie linguisti~ue.

    Mais mme s'il avait pu alors formuler ce qu il ne devait

  • 3S enseigner que plus tard, il n'aurait fait qu'paissir l'incompr-hension ou l'hostilit que rencontrrent ses premiers essais. Les matres d'alors, assurs dans leur vrit, refusaient d'entendre cette sommation rigoureuse, et la difficult mme du MimoiTe suffisait rebuter la plupart. Saussure allait peut-tre se dcourager. Il fallut une nouvelle gnration pour que lentement ses ides fissent leur chemin. Ce fut un destin favomble qui le conduisit alors Paris. Il retrouva quelque confiance en lui-mme gdce -'i--tte conjoncture exceptionnelle qui lui fit rencontrer la fois un tuteur bien4 veillant, Br~, et un groUpe ~ic:.!ll1es Um~lliatcs ... tclaA,Meil-let et. M. Giammon"queson enseignement devait marquer profondemeiif."Unenouvelle phase de la grammaire compare (late de ces annes o Saussure inculque sa doctrine, en mme temps qu'il la mftrit, quelques-uns de ceux qui la dvelop-peront. C'est pourquoi nous rappelons, non seulement pour mesurer l'influence personnelle de Saussure, mais pour estimer le progrs des ides qu'ils annoncent, les termes de la ddicace que Melliet faisait son mattre Saussure en 1903 de son Introduction [' triM comparative des langues ind~ europennes l'occasion des vingt-cinq ans couls depuis la publication du Mbnoire ... (1878-1903) II. S'il n'avait tenu qu' Meillet, l~vnement eQt t plus nettement marqu encore : une lettre indite de Saussure nous aJ?prend que Meillet avait d'abord-voulu crire : pour l'anniversaire de la publication ... D, dont Saussure J'avait amicalement dis-suad.

    Mais mme en 193, c'est--dire vingt-cinq ans aprs, on ne pouvait encore savoir tout ce que contenait d'intuitions divinatrices le Mbnoire de 1878. En voici un exemple clatant. Saussure avaiL~~rn~JL~.le..-,!yate_YQcallque .. q.J:ID9--p-

    europ~-~~e~_t_ elu.~~~l!~s ~.' Au regard de la pure conn~sance, -les diffrents a de l'mdo-europen sont des objets aussi importants que les particules fondamentales en phY4 sique nuclaire. Or l'un de ces a avait la singulire proprit de se comporter autrement que ses deux congnres voca-liques. Bien des dcouvertes ont commenc par une obser-vation semblable, un dsaccord dans un systme, une penur-bat ion dans un champ, un mouvement anormal dans une orbite. Sau~ure caractrise c~ a par. deux traits ,spci:fi9ues. D'une part,"lTii'est parent ru (le e Dl de 0" de 1 autre II est co~el'.lt.J'9!iiIDU.ql~.~-eSt::,:aat-qtrIT est susceptible de jouer le mme rle ~ou.ble. vocali~ue et cOflSo~a.ntique, que les' nasales ou les liqUides, et qu il' se c'ofilbme avec des voyelles. Notons que Saussure en parle comme d'un pho-

  • .nme, et non comme d'un son .ou d'une. articulation. Il ne nous dit pas comment se prononait ce phonme, de qud son il poUVatt se rapprocher dans tel systme observable; ni mme si c'tait une voyelle ou une coll8Onne. La substance phonique n'est pas considre. N01J8 sommes en prsence d'une unit algbrique, un terme du systme; ce qu'il appel-lera pls tard une entit distinctive et oppositivc. On ne saurait dire que, mme vingt-cinq ans aprs avoir t pro-duite, cette observation ait veill beaucoup d'intrt. Il fallait vingt-cinq ans encore pour qu'elle s'imposAt, en des circonstances que l'imagination la plus audacieuse n'aurait pu conctry'oir .. En 1927, .~. ~1IDht1ri.~"!:!I~u.v~~ ~ une langue. piaj:9.nQu,e,. le, hittl~, ,nouvellement )l'lfft ,alors, souS l forme du son c.~tlf.l'ph~Ime dfini cinquante ans aupaiavant par 8auasUIe ,comme phonme 90nantique indo-europen. Cette belle observation faisait entrer dans la ralit l'entit thorique postule par le raisonnement en 1878.

    Naturellement, la ralisation phontique de cette entit comme lf en hittite apportait au dbat un lment nouveau, mais de nature diffrente. A partir de Ut

  • aise s'ouvre devant lui, et tout semble annoncer une longe suite de dcouvertes. L'attente n'est pas due. Rapplons! seulement ses articles fondamentaux sur l'intonation bal' tique, qui montrent la profondeur de son analyse et demeu rent des modles pour qui 's'essaie aux mmS rechercltes. , C'est un fait cependant, qui a t not -et dplor- par ceux qui ont eu parler de SaU99ure dans ces annes, que bie!ttt sa production s~ ralentit. ~1' ~e born " ,qu~lques artlcles de plus en plus 'espac~ 'et qu'il ne donne d'.ailtWs que pour cder des' sollicitations' d'amis. Rentr Genve pour occuper une c~aire l'Universi~, i1.cp9IIe .~.~p~.lrs compltement d'ctife. Et pourtant il, n'a Jamats cess de triiVilltr.' Qu1estC&_ donc CJ.1,lile, d~u~~!. de p,!b~c;.~f Noua commenons li le savolr~Ce silencecahe un Ifiile qui a dQ tre douIour~ qui s'est aggrav avec'leS annes, qui n'a mme jamais trouv d'issue. Il tient pour une' ,part des circonstances personnelles, sur lesquelles les tmoignages de ses proches et de ses amis ponnaient jeter quelque lumire. C'tait surtout un dnune de la pense. SaU89ure s'loignait d sii-Poque'ditlii'meaur~inme o il se rendait eu ~ peu matre de sa propre vrit, car cette vrit lui faisait j rejeter tout ce qui tait enseign alors au sujet du lari~ge. Mais, en mme temps qu'il hsitaif devant cettrevl8ion radicale qu'il sentait nCessaire, il ne pouvit se rsoudre' publier la moindre note qu'il n'eilt d'abord assur 'tes fonde-ments' de la thorie. A quelle profondeur ce trouble l'attei. gnait et combien parfois il tait prs 1 de se' d'courager, c'est ce que rvle un document singUlier, un passage d'une lettre Meillet (4 janvier 1891') o, propos de ses tudes sur l'intonation baltique, i1IUl confie: '

    ~ Mais je suis bien d~(kt de tout cela et de la difficult qu'il y a en gnral crire dix lignes ayant le sens commun en matire de faits de langage. Proccup surtout depuis longtemps de la c1ssification :logique de ces fajfs~ de la classification des points de'Vue sos 'leaquelll nous rls traitons, j vois'de plus en plus ta foiill'iriunenst du trvaih~u'il faudrait pour montrer ilu linguiste ce qllil fait:, n rduilfDt chaque opration ,'sa 'cat~rie' prvue; et en mmeteinps l'a99ez grande' vanit de' tout ce' qu'on 'peut &ire finalement en Iin~istique.

    D' C est en dernire analyse seulement le ct 'pittoresque d'une langue, celui qui fait qu'elle diffre de toutes autres comme appartenant ,tin, certain peuple ayant ce{tanes origines, c'est ce ct presque et:Jw...ograe~e, qui conserve pour moi un intrt: et prcisment jin'ai plus le plaisir de

  • pouvoir me livrer cette tude sans arrire-pense, et de jouir du fait particulier tenant il un milieu particulier.

    D Sans cesse l'ineptie absolue de la terminologie COUl'8Ilte' la. ncessit de la rformer, et de montrer pour cela quelle espce d'objet est la langue en gnral, vient gter mon plaisir historique, quoique je n'aie pas de plus cher vu que de n'avoir pas m'occuper de la langue en gnral.

    D Cela finira malgr moi par un livre, o, sans enthou-siasme ni passion, j'expliquerai pourJluoi il rtL a . .P...3!l ~ seul

    ~~,~P~9Yt_en..lip~~~,\,~corJ5f~'iffi~~~~ qu.~gngue. t ce n est qu aprQl c , Je avoue, que Je pouiTai reprendre mon travail au point o je l'avai8laiss.

    D Vo une disposition peut-tre stupide, qui expliquerait Duvau pourquoi par exemple j'ai fait trainer plus d'un an la publication d'un article qui n'offrait matriellement aucune difficult - sans arriver d'ailleurs viter les expressions logiquement odieuses, parce qu'il faudrait pour cela une rforme dcidment radicale 1. D

    On voit d~ qu~L d~t SaUS8ure. ~t ~erm., ]~lJlIL il 8Q!lde' la nature du langag, moiris il peut se sa~~,~~ 9~ notions reues. Il cherche alors une diversion dans des tudes de typologie ethno-linguistique, mais il est toujours ramen son obsession premire. Peut-tre est-ce encore pour y chapper qu'il se jettera plus tard dans cette qute immense d'anagrammes... Mais nous voyons aujourd'hui quel tait l'enjeu: le drame de Saussure allait transformer la linguisti-que. Les difficults o se heurte sa rflexion vont le contrain-dre forger les nouvelles dimensions qui ordonneront les faits de langage.

    Ds ce moment, en effet, Sauasure a vu qu,!ll.W~ lIne la~, conduit invitablement ~4i~ le:, langage. Nous croyons pouvoir atteindre directement l fait '~de langue comme une ralit objective. En vrit nous ne le saisissons que selon un certain point de vue, qu'il faut d'abord dfinir. Cessons de croire qu'on apprhende dans la langue un objet simple, existant par soi-mme, et susceptible d'une saisie totale. La premire tAche est de montrer au linguiste If ce qu'il fait D, quelle8 oprations pralables il se livre incons-ciemment quand il aborde les donnes linguistiques.

    1. Ce texte a t cit par M. Godel, op. cit., p. 31, mais d'aprs une copie dfectueuse qui eet corriger en pluaielU'll endroits. Le passage est reproduic ici d'aprs l'origioal.

    [1965]. Voir maintenanc E. Benveniste, c Lettres de Ferdinand de SaUBllUftl Antoine Meillec -, CaMW$ Fwdiftantl d, SaullIlrfl, al (1964), p. 92~135.

  • 39

    Rien n'tait plus loign de son temps que ces proccupa-tions logiques. Les linguistes taient alors absorbs dans un

    gran.c!~(l.rt d'in~~~g.a~J~!}JiiS@nque;

  • et qu'on puisae par wnaquent se permettre de considrer des "choees" datla plusieurs ordres, comme si elles taient donnes p~ elles--mmes 1.

    Cee rHexioDS expliquent pourquoi Saussure jugeait si .... important de Qlontrer au lingIliste u ce qu'il fait D. Il voulait

    faire comprendre l~~~ o' s'eSt ngagk' la linguistique depuis qu'elle tdie. lel~g~~_~Il},In~,U!l~ ~~ose, comme un organisme viVAnt ou' comme une matire analyser par une technique instrumentale, ou encore comme une libre et incessante cration de l'imagination humaine. II faut revenir i aux fondements. dcouvrir cet objet qu'est le langage, quoi rien ne saurait tre comparf .

    . Qu'est-ce donc que cet objet, que Saussure rige sur une table rase de toutes les notions reues? Nous touehOI18 ici ce qu'il y a de primordial dans la doctrine saussunenne, un principe. qui prsume une .intuition totale du Jan~~e, totale Ala fOlS parce qu'elle contient l'ensemble de sa theone, et parce qu'elle embrasse la totalit de 80n objet. e principe

    1 eII~ que 18 tmw,ag" sous ql,leIque point de vue qu'on,tudie, , ~ toujoW$ fii (}SM double, fotm de' deux ~es. ~~n!!'~ne . ne vaut que par f'autte. ' ". .,.,' .

    L est, mo semble-t-il, le centre de la doctrine, le principe d'o procde tout l'appareil de notions et de distinctions qui fonnera le Coum publi. Tout en effet dana le langage eat l dfinir en termes doubles; tout porte l'empreinte et le sceau de la dualit oppositive :

    - dualit articulatoire/acoustique; - dualit du son et du sens; - dualit de l'individu et de la socit j - dualit de la langue et de la parole; - dualit du matriel et de l'insubstantieJ; - dualit du mmoriel (paradigmatique) et du syntag-

    matique; - dualit de l'identit et de l'opposition; - dualit du 9)'llcbronique et du dischronique, etc. Et, encore une fois, aucun des termes ainsi opposs ne vaut

    pat lui-mme et ne renvoie li une ralit substantielle; c:hacun d'eux 9resa val~~.4~ fait qu'il s'oppose l'autre: '

    Il ~ l~Hoo.~ ;wt ~~~ du tmg&~_e~, ~ ce 'lU~~0U8080ns ~~@~il ~c~tdeu:e n~~qr!:p~b~~!d~~::t BIlD8 relation avec ce ~Ul~ doivent dsigner, donc que a est impuissant li. rien dslgner sans le secoum de b, celui-ci de

    1.liid., p. sB.

  • mme sans le secours de a, ou 'lue tous les deux .n v3lent que par leur rcip~qe diHrehce,' ou I\u'~ucun .'n , ~ltt~t mme par une partIe quelconque de SOI e' .suppoSe "]a racine", etC:) 'a~tremet1~ qu~par 'c:'rtm'plXtla- 'lIe dJE~ rences teirieUn~nt ngatives 1. li, . , : '". :

    u CQmme le' langage n'c;;ffre sous aucqne de ss 'maQife~ tations une 'substance, mais seulement des aetiotU cobiqine8 ou iSoles d'e' 'fo~ h~iQ.r~,;IM~~!::p chplogi"iIs;";mn~ tales; 'COriri'nalmoins ~;s noarrJ ditin~diis,'tbti:t notre terminologie, tputes nos faons de .parler sont ti1dtiIt~ sw: cette8upp~tiohihvo~ol~, d'Urie 'subtanc!'on,'n~ peut Se l'efi,lIit; avlui~ tout~". reoinaifre qu-e ta .. thf.>ne 'liai langage 'aura poui"'ph:($' ~tie1{e 't~di' de dmret~ ~~qu'Hl en csf d~ 'n/ii dttmmoiiia . teii~.:11'kou' est' im~lisj}ltl~ d'accordilf'qu'oi'( 8it;'l~ ~t'd'~,...;.er rin:' 'tUiie 'eri:~~se passan,t;'ie ce travail ~d iefinition;"~quoique "*~fl)U\i~re co~odCj lt 'paru jusqU' prSent stis1air le public llil~~" tique';" "'.f' ".':'" .' .. ,."" .: .. "":'. "":..'i'~,,,n :,.

    Certes' on peut 'ptetl~ comnte':o'bjf'd~ l~iD~'l:lta~tique ,Un !aH 'matriel~'Dat'~ple"1in!s~~nt'd'ilnc auquel 'iluclie' igm.nc:ati6n n' seiait amhe' h l 'L'OniJid-rant conl'le siiriPl~p~uction de rappilreil ~; 'outli\!'~ une .voyeU isOle.' Croire que' fiOUs ,tenop,S' l.~~'subs~~ est illusoire : ce 'n'est ,prci8inent'o, par' Une opMron d'ablJttacton et dgJ.ei.t1oii'":"l:1b'8-ifvi1r-alliriitl!I' un 'pai'ili~jet,(ffuQ. Sau~~ y' ~feti~iirl'!:1\itI~r cre vue te .. ~ette- suotne. Tous Jes aspeeta du lan~ge" que t nOUS tenons pOlI! do~&.80Jit,re .rsultitt 4'op~.ra~onBlogiCl:lles 1 que nU~, pratiCJ.UOD!l "mcoDSClemmebt, ,PrenollS"'ert donc coDSCnce.' Ouv,~lis les' yelix'~ vrit qll'i}i'il'ji~ P~J:iQ seul aspect, du tangage qui soit, donn' hors ds u~~ ~ qu'on' puisse mettre 'u-de&sulf ,ds autres conurie aiitrie~" et primordial De l cette conB~tatil?n:.. .,"', ,,; ,

    u. A mesure qu'on approfondit lanmre propose :-J'riide linguiBtiqu-, on se convainc davantage de cette, r~j~ qll~ donne, il ger~t inu~e de, l' dissimUler,. siirgUlirett1eiit ' rfl~ '; quelC lien q"on6tablit,entft'les chbsea' pte:iiste, dansce',doinaine,'QSlZ horu elk~$, et 'sert les dtet~ miners, . ,.j",: "_'.' .. ' .. ,' '1: ' Ths~ . d~;.n~re p~doxale, qui. ujoUl'd'hui endore' p~t surprendre. ,CertaiDs'lingu.ists~prochent Sau8sure d~~~

    comp~ soUligner des parooxes dans l&fonctiorinem~t ~:. ~,S.~ ~a (i9S4)~, p. 63- .. ' ; ,'" 2. IIiUI~~ 'p:' 55 et $6. .. ~.: 3 .. Ibid . p. 57. .', .'1 . ,!~

  • du langage. 1V!~_le~g,.,eat_bien ce qu'U y a .de plll8 patIId~JLU monae, et malheureux ceUI: qw ne le VOient pas. PlS-n ira, plus on sentira ce contraste entre l'unicit comme catgorie de notre aperception des objet.s et la dualit dont le langage impose le modle notre rflexion. Plus on pntrera dans le mcanisme de la signification, mieux on verra que les choses ne signifient pas en raison de leur tre-ce1a sub-stantiel, mais en vertu de traits formels ~ui les distinguent des autres ~09ee de mme claase et qu il noua incombe de dgager ..

    De ces vues procde la doctrine que les disci,Plee de Saus-sure ont mise en forme et publie. Aujourd'hUI des exgtes scrupuleux s'emploient Il la tche ncessaire de restaurer dans leur teneur exacte les leons de Sausmue en s'aidant de tous les matriaU% qu'ils ont :pu retrouver. Grice il leurs soina nous aurons une dition CI1tique du CQIII'I de ~ ghlbale, qui non eeulement nous rendra une image fidle de cet enseignement transmis BOUS sa forme orale, mais qui permettra de fixer avec rigueur la terminologie sa1lA81ll'enne.

    Cette doctrine informe en effet, d'une manire ou d'une autre, toute la linguistique thorique de notre temps. L'action qu'elle a exerce s'est trouve accrue par l'effet de convergen-ces entre les ides sausauriennea et celles d'autres thoriciens. Ainsi en Rpssie. Baudoin de Courtenay et son disciple KruS2ewski proposaient atOll, de manire indpendante, une nouvelle conception du ~nme. Ils ~~t la fonction 1inguistiqu~ du phon de.Sf, _raIisado~ articula-toire. Ct enseignement rejoignait en somme; SUr une plus petite chelle, I!!: ~~in~on 8a~f:QD~ .. ~treJ.aIl~e et p~!~, et ~ig:nait au ph9Dine J!~ ~~ellr dfntielle. '~lt le prermer germe de ce qw s'est dvelopp en une discipline nouvelle, la phonologie, thorie des fonctions distinctives des phones, thorie des structuree de leurs relations. Quand ils l'ont fonde, N. Troubetzkoyet R. Jakob-son ont expressment reconnu en Saussure comme en Bau-doin de Courtenay leun prcurseurs.

    ~!:' . ~~91",~ctwaliate qui s'aflirmc ds :1928, et qui devaitei:isUite tre mise au premier plan, prend, !lJl8i ses orig:les chez Saussure. Bien que celui-ci n'ait jiii.i. empl~ en un sens docUinaI le terme structure D (terme qui d'ail_ leurs, pour avou servi d'enseigne il des mouvemente trs d.fren.ts, a fini par se vider de tout contenu prcis), la filia!P'J;t~l.rtaine,de Sa,uasUI;'e ..tQ~ ceux qui.dl.erchent diDA. l!l ~tion des phonmeaen.tre ~ .e modle de la atructure.Rnzale des &yBtmea lingu.iatiquee. ., '.,.

  • Il peut tre utile de situer ce point de vue une des coles structuralistes, la plus caractrise nationalement, l'cole amricaine, en tant qu'eUe se rclame de Bloomfield. On ne sait pas assez que Bloomfield avait crit du CfJW'1 de linguisti-que ghlbalB un compte rendu trs logieux o, faisant mrite Saussure de la dist.nction entre lt}ngue et parole, il concluait : He- bas given us the theoretic1 buis for a science of human speech 1. D Si diffrente que soit devenue la linguiatique amricaine. elle n'en garde pas moil18 une attaChe avec Saussure.

    Comme toutes les penses fcondes, 18 conception sauaeu-rienne de la langue portait des consquences qu'on n'a pas aperues tout de suite. n est mme une part de son ensei-gnement qui est re8te peu pres inerte et improductive pendant 10n~mp8. C'~~ ~t;IJ.\U'elative la lang\l.e ,~~e systme de SIgnes, et )'anafjse du signe en signifiant_ ~t ~igni .. fi. Il"ysvait"fl'n 'principe nOuVA;celui-d l'hit l double fie. Ces demires8.Iiil,";,-'lf'11otion de signe a t' alsCute chez les Iinguiste8 : jusqu'il quel point, les deux faces se correspondent, comment l'unit se maintient ou sc diaaocie l travers la diachronie, etc. Bien des points de la thorie sont encore ~ examiner. Il y aura lieu notamment de se demander ai J~_nfeo.~~d~_8i~.f pe.ut valo~diC?mm e.principecflaiID8118C- toua es Dlveaux. l'lOUS avons 1tl qu ailleurs que phrase comme telle n'admet pas la segmentation cn unit~ du type du signe.

    Maie ce que nous voulons 'marquer ici es~ I!Lmme de ce principe du siane instaur comme unit de.. f!l,. h!ng; li en r8he"'- u la Qi~ . "devinfiil . tine smioti ue : 1 la tche d~,li.Jl&!ij8teJ8Jk 'S~SW; S"(#:a~e\~fait ~e la

    l~ue._un ~Y8tme sp~_ dans 1'~~I?~~1es, faits smwlo-glqu9... Four nous le problme Imgwsuque est avant tout smiologique 1. D Or n0118 vOyol18 maintenant ce principe se propager hors des disciplines linguistiques et pntrer dans les sciences de l'homme. qui prennent COnBC:Ience de leur propre smiotique. Loin que la langue' s'abolisse dans la soclt, c'est la socit qui co~ence se rec:onnaltre comme u ~gue D: Des anal}'l!tes de la socit se dmandent .si cer-taines structures SOClales ou, sur un autre plan, ces discours complexes que sont les mythes ne seraient pas ~ considrer comme des signifiants dont on aurait rechercher les signifis. Ces investigations novatrices donnent l penser que Je catac-

    J. Modem ~ Joumm, 8 (J9a4), p. 319. 2. CotW, de li,.,ufiqve gmlral",' 1" ~ p. 34 .c 311.

  • tre foncier de la langue, d'tre compose de signes, pourrait tre commun l'ensemble des phnomnes socia~ qui consti-tuent la culture.

    II nous semble qu'on devra tablir une distinction fonda-mentale entre deux ordres de phnomnes : d'une part les donnes physiques et biologiques, qui offrent une nature simple (quelle que. soit leur complexit) parce qu'elles tiennent entirement dans le champ o elles se manifestent, et que toutes leurs structures se forment et se diversifient des niveaux SUCCessivement atteints dans l'ordre des mmes relations; et d'autre part les phnomnes propres au milieu interhumain, qui ont cette caractristique de ne pouvoir jamais tre pria comme donnes simples ni se dfinir dans l'ordre de leur propre nature, mais doivent toujours tre reus comme doubles, du fait qu'ils se relient autre chose, quel que Boit leur (l rfrent D. Un fait de culture n'est tel qu'en tant qu'il renvoie quelque chose d'autre. Le jour o une science de la culture prendra fonne, elle se fondera probablement sur ce caractre primordial, et elle laborera ses dualits propres partir du modle qu'en a donn Saus-sure pour fa langue, sans s'y conformer ncessairement. Aucune science de l'homme n'chappera cette rflexion sur son objet et sur sa place au sein d'une science gnrale ~e 1: l~u~::i:~~I!!"I:~,()~e~~,,~~~Pas dans la natureL~

    aJl" .... _ .. ,,, .' Quel trange destin que celui des ides, et comme elles semblent parfois vivre de leur vie propre, rvlant ou dmen-tant ou recrant la figure de leur crateur. On peut rver longtemps sur ce contraste : la vie temporelle de Saussure compare la fortune de ses ides. Un homme seul dans sa pense pendant presque toute sa vie, ne pouvant consentir enseigner ce qu'il juge faux ou illusoire, sentant qu'il faut tout refondre, de moins en moins tent de le faire, et finale-ment, aprs maintes diversions qui ne peuvent l'arracher au tounnent de sa vrit personnelle, communiquant quelques auditeUl'S, sur la nature du langage, des ides qui ne lui paraissent jamais assez mres pour tre publies. Il meurt en 1913, peu connu hors du cercle restreint de ses lves et de quelques amis, dj presque oubli de ses contempo-rains. Mei1let, dans la belle notice qu'il lui consacre alors, dplore que cette vie s'achve sur une uvre incomplte : Aprs plus de trente ans, les ides qu'exprimait Ferdinand de Sausaure dans son travail de dbut n'ont pas puis leur fcondit. Et pourtant ses disciples ont le sentiment qu'il n'a pas, beaucoup prs, tenu dans 1a linguistique de son

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    temps la place que devaient lui valoir ses dons gniaux 1... D Et il terminait sur ce regret poignant : a Il avait produit le plus beau livre de grammaire compare qu'on ait crit, sem des ides et pos de Cermes thones, mis sa marque sur de nombreux lves, et pourtant il n'avait pas rempli toute sa destine Il. 1)

    Trois ans aprs la mort de Saussure paraissait le COUT$ de linguistique ~mlrale, rdig par BaUy et Schehaye d'aprs des notes d tudiants. En 1916, panni le fracas des armes, qui pouvait se soucier d'un ouvrage de linguistique? Jamais n'a t plus vraie la parole de Nietzsclle que les grands vne-ments arrivent sur des pattes de colombes.

    Aujourd'hui, cinquante ans ont paas depuis la mort de Saussure, deux gnrations nous sparent de lui, et que voyons-nous? La linguistique est devenue une science majeure entre celles qui s'occupent de l'homme et de la socit, une des plus actives dans la recherche thorique comme dans Bes dvel0rpements techniques. Or cette linguigtique renouvele, c est chez Saussure qu'elle prend Bon origine, c'est en Saussure qu'elle se reconnait et se rassemble. Dans tous les courants qui la traversent, dans toutes les coles o elle se partage, le rle initiateur de Saus-sure est proclam. Cette semence de clart, recueillie par quelques disciples, est devenue une grande lumire, qui dessine un paysage rempli de sa prsence.

    Nous disons ici que Saussure appartient dsormais l'histoire de la pense europenne. Prcurseur des doctrines qui ont depuis cinquante ans transCorm la thorie du lan-gage, il a jet des vues inoubliables sur la Cacult la plus haute et la plus mystrieuse de l'homme, et en mme temps, posant l'horizon de la science et de la philosophie la notion de u signe comme unit bilatrale, il a contribu l'avne-ment de la pense formelle dans les sciences de la socit et de la culture, et la constitution d'une smiologie gn-rale.

    Embrassant du regard ce demi-sicle coul, nous pouvons dire que Saussure a bien accompli S8 destine. Par-del sa vie terrestre, ses ides rayonnent plus loin qu'il n'aurait pu l'imaginer, et cette destine postliume est devenue comme une seconde vie, qui se conCond dsormais avec la ntre.

    1. Lingurique hirtorifJU4 et 1;1IlfUtiqu. llhriral., Il, p. 174. 2. Ibid., p. 18J.

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    La communication

  • CHAPITRE IV

    Nature du signe linguistilJlU t

    C'est de F. de Saussure que procde la thorie du signe linguistique actuellement affirme ou implique dans la plupart des travaux de linguistique gnrale. Et c'est comme une vrit vidente, non encoe explicite, mais cependant inconteste en fait, que Saussure a enseign que la nature du signe est arbitraire. La fonnule s'eet immdiatement impose. Tout propos sur l'essence du langage ou sur les modalits du discours COmmence par noncer le caractre arbitraire du signe linguistique. Le principe est d'une telle porte qu'une rflexion portant sur une partie quelconque de la linguistique le rencontre ncessairement. Qu'il soit partout invoqu et toujours donn pour vident, cela fait deux raisons pour que l'on cherche au moins comprendre en quel sens Saussure l'a pris et la nature des preuves qui le manifestent.

    Cette dfinition est, dans le Courl tk linguistique gmbale Il, motive par des noncs trs simples. On appelle n'gne le total rsultant de l'association d'un signifiant [= image acoustique] et d'un signifi [= concept] D ... Ainsi l'ide de "sur" n'est lie par aucun rapport intrieur avec la suite de sons s-a-r qui lui sert de signifiant; il pourrait tre aussi bien reprsent par n'importe quelle autre : preuve les diffrences entre les langues et l'existence mme de langues diffrentes: le signifi "buf" a pour signifiant b-o-j d'un ct de la frontire et o-k-s (Ochs) de l'autre D (p. 102). Ceci doit tablir que a le lien unissant le signifiant au signifi est arbitraire li, ou plus simplement que a le signe linguis-tique est arbitraire D. Par ((arbitraire, l'auteur entend qu'je il

    I. Acta LitrRuistica, 1 (1939), Copenhague. a. Cit ici c!'apdl la Ire d., Lawaanne-P is, 1916.

  • so

    est immotiv, c'est--dire arbitraire par rapport au signifi avec lequel il n'a aucune attache naturelle dans la ralit D (p. 103). Ce caractre doit donc expliquer le fait mme par o il se vrifie: savoir que, pour une notion) les expressions varient dans le temps et dans l'espace, et par suite n'ont avec elle aucune relation ncessaire.

    Nous ne songeons pas 11. di9cuter cette conclusion au nom d'autres principes o