Écrire la loi. Un travail de bureau pour hauts fonctionnaires du ministère de l’Écologie

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Sociologie du travail 55 (2013) 475–494 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Écrire la loi. Un travail de bureau pour hauts fonctionnaires du ministère de l’Écologie Drafting the law. Civil servants at work in the Ministry of Ecology Laure Bonnaud a,, Emmanuel Martinais b a Risques, travail, marchés, état (RiTME), Inra, 65, boulevard de Brandebourg, 94205 Ivry-sur-Seine, France b Recherches interdisciplinaires ville, espace, société (RIVES), ENTPE, rue Maurice-Audin, 69518 Vaulx-en-Velin cedex, France Disponible sur Internet le 4 octobre 2013 Résumé Cet article analyse le travail d’écriture de la loi Bachelot sur les risques technologiques, votée le 30 juillet 2003, mais mise en chantier par le gouvernement de Lionel Jospin au lendemain de la catastrophe de l’usine AZF, en septembre 2001. Il se focalise sur le travail concret des fonctionnaires du ministère de l’Écologie chargés de définir les orientations de cette réforme, de les transcrire en dispositions d’articles de loi et de s’assurer que celles-ci seront soutenues et votées au cours du processus parlementaire. Le parti pris de l’analyse consiste à suivre les écrits, aussi bien les versions successives du projet de loi que les multiples documents mobilisés pour préparer ces rédactions. Cette immersion dans la fabrique administrative du droit permet alors de mieux appréhender les rapports de l’administration aux pouvoirs politiques et de constater que dans l’écriture, la frontière entre ces deux univers de pratiques est bien difficile à tracer. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Écriture de la loi ; Fabrication du droit ; Administration centrale ; Ministère de l’Écologie ; Risques industriels ; Politisation ; Technicisation Abstract This article analyses the process of the drafting of the Bachelot Bill on technological risks, passed on 30 July 2003 but initiated by Lionel Jospin’s government immediately following the AZF factory disaster in September 2001. It focuses on the practical work of the civil servants at the Ministry of Ecology responsible for setting the orientations of the reform, transcribing them into legal provisions and ensuring that they would be supported and passed in Parliament. The analysis approaches the task by tracking both the successive versions of the bill and the multiple documents used in the preparation of these versions. This immersion in the administrative production of law provides a better understanding of the relations between the civil Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (L. Bonnaud), [email protected] (E. Martinais). 0038-0296/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2013.09.003

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Sociologie du travail 55 (2013) 475–494

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Écrire la loi. Un travail de bureau pour hautsfonctionnaires du ministère de l’Écologie

Drafting the law. Civil servants at work in the Ministry of Ecology

Laure Bonnaud a,∗, Emmanuel Martinais b

a Risques, travail, marchés, état (RiTME), Inra, 65, boulevard de Brandebourg, 94205 Ivry-sur-Seine, Franceb Recherches interdisciplinaires ville, espace, société (RIVES), ENTPE, rue Maurice-Audin, 69518 Vaulx-en-Velin

cedex, France

Disponible sur Internet le 4 octobre 2013

Résumé

Cet article analyse le travail d’écriture de la loi Bachelot sur les risques technologiques, votée le 30 juillet2003, mais mise en chantier par le gouvernement de Lionel Jospin au lendemain de la catastrophe de l’usineAZF, en septembre 2001. Il se focalise sur le travail concret des fonctionnaires du ministère de l’Écologiechargés de définir les orientations de cette réforme, de les transcrire en dispositions d’articles de loi et des’assurer que celles-ci seront soutenues et votées au cours du processus parlementaire. Le parti pris del’analyse consiste à suivre les écrits, aussi bien les versions successives du projet de loi que les multiplesdocuments mobilisés pour préparer ces rédactions. Cette immersion dans la fabrique administrative du droitpermet alors de mieux appréhender les rapports de l’administration aux pouvoirs politiques et de constaterque dans l’écriture, la frontière entre ces deux univers de pratiques est bien difficile à tracer.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Écriture de la loi ; Fabrication du droit ; Administration centrale ; Ministère de l’Écologie ; Risques industriels ;Politisation ; Technicisation

Abstract

This article analyses the process of the drafting of the Bachelot Bill on technological risks, passed on 30July 2003 but initiated by Lionel Jospin’s government immediately following the AZF factory disaster inSeptember 2001. It focuses on the practical work of the civil servants at the Ministry of Ecology responsiblefor setting the orientations of the reform, transcribing them into legal provisions and ensuring that they wouldbe supported and passed in Parliament. The analysis approaches the task by tracking both the successiveversions of the bill and the multiple documents used in the preparation of these versions. This immersionin the administrative production of law provides a better understanding of the relations between the civil

∗ Auteur correspondant.Adresses e-mail : [email protected] (L. Bonnaud), [email protected] (E. Martinais).

0038-0296/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2013.09.003

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service and the political authorities, and shows how the boundary between these two worlds of practice isdifficult to draw in the legal drafting process.© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Bill drafting; Production of law; Central administration; Ministry of Ecology; Industrial risks; Politicization;Technicization

Pour les fonctionnaires d’administration centrale du ministère de l’Écologie1, produire dudroit s’inscrit dans l’ordinaire des activités de travail. Dans les directions sectorielles, les agentsde bureau transposent des directives européennes, mettent en forme des règlements, rédigentdes circulaires ou élaborent des instructions techniques (Lascoumes, 1994). Plus rarement, cesmêmes agents sont sollicités pour écrire la loi (Delarue, 2007). Dans les travaux académiques, laproduction législative est pourtant rarement envisagée comme un travail impliquant des fonction-naires (Hoekema, 1994). « L’art d’écrire la loi » semble plutôt le fait de quelques grands juristesaux belles formules ou d’anonymes rédacteurs réunis derrière la figure unificatrice du législateur(Cornu, 2003). Adoptant ce point de vue, André-Jean Arnaud considère même qu’« on ne peut querester vigilants quand ce sont les fonctionnaires qui créent du droit, car cela n’a rien de rassurant »(Arnaud, 1994 : 294). Il oppose ainsi la transparence et la légitimité de l’activité délibérativedes assemblées à l’opacité et à l’arbitraire de l’administration. La loi étant considérée commel’apanage du Parlement, l’observation sociologique de sa production a souvent porté sur l’activitéde l’Assemblée nationale et du Sénat (de Galembert et al., 2013), s’agissant des délibérationsdonnant forme aux textes de loi (Lascoumes, 2009 ; Milet, 2010) ou du travail des assistants desgroupes parlementaires qui contribuent à préparer les débats et les amendements (Abélès, 2000).Le travail des fonctionnaires d’administration centrale dans la production des normes, quant àlui, a fait l’objet de quelques recherches en histoire, sociologie du droit, science politique, les-quelles restent pour le moment peu nombreuses et surtout tournées vers l’activité réglementaire(Bodiguel et Le Crom, 2007 ; Martinais, 2010 ; Durand-Prinborgne, 2011 ; Torny, 2011). Toutesont pour point commun de réfuter la conception selon laquelle l’administration interviendrait enqualité d’exécutante subordonnée au pouvoir politique, dépourvue de toute emprise sur le contenudes normes produites, et mettent au contraire en évidence son pouvoir normatif. Dans un état del’art récent visant à rendre compte de ces travaux, Jacques Chevallier pointe deux modalités parlesquelles les fonctionnaires influencent la fabrication du droit : l’administration exerce une fonc-tion de cadrage, par laquelle elle contribue de facon relativement autonome à la formulation desproblèmes comme des solutions ; cependant, cette emprise bureaucratique est contrebalancée parle fait qu’elle n’est qu’un des acteurs du jeu d’interaction qui se noue au cours du processusd’écriture, les groupes d’intérêt et surtout les autorités politiques ayant également leur mot à dire(Chevallier, 2011).

Cet article vise à compléter ces travaux sur les fonctionnaires législateurs en envisageant laproduction de la loi comme un travail d’écriture. Dans la perspective de la sociologie du travailappliquée aux agents de l’État (Dubois, 1999 ; Jeannot, 2008), mais en considérant des hautsfonctionnaires plutôt que des « petits bureaucrates » (Weller, 2006), nous proposons de suivre

1 La loi dont il est question dans cet article a été déposée au Parlement par le ministère de l’Écologie, devenu depuisministère de l’Écologie et du Développement durable. Elle avait été préparée au cours de la mandature précédente parle ministère de l’Environnement. Seule l’appellation du ministère change, le secteur des risques industriels dépendanttoujours de la direction dédiée à la prévention des risques.

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cette activité de mise en forme du droit, depuis le moment où apparaissent les premières idéesde réforme jusqu’au vote de la loi. L’analyse porte sur la loi no 2003-699 du 30 juillet 2003, diteloi Bachelot, relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation desdommages2. Appartenant à la Direction de la prévention des pollutions et des risques (DPPR3)du ministère de l’Écologie, ainsi qu’aux cabinets des deux ministres qui portent successivementle texte (Yves Cochet pour le gouvernement socialiste de Lionel Jospin, puis Roselyne Bachelotpour le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin [Union pour un mouvement populaire, UMP]), lesrédacteurs de cette loi sont pour la plupart de jeunes ingénieurs du corps des Mines4 (moins de35 ans). Ils sont assistés de leur hiérarchie au sein de la DPPR, également composée d’ingénieursdes Mines, et ponctuellement des directeurs ou directeurs adjoints des deux cabinets, où l’ontrouve des énarques. Présents aux différentes étapes du processus d’écriture, ils contribuent àtoutes les décisions, depuis les premières réunions interministérielles de septembre 2001 jusqu’auvote final du texte le 30 juillet 2003 (Bonnaud et Martinais, 2008).

Notre analyse adopte deux partis pris principaux. En premier lieu, elle choisit de s’intéresser auxdossiers, aux documents, aux papiers et à toutes les traces rédigées qui permettent de rendre comptedes multiples activités des rédacteurs : mettre en forme des annonces ministérielles, négocier avecles autres ministères, consulter les futurs assujettis, procéder aux validations formelles, suivre letravail des parlementaires, préparer le ministre pour les débats en séance publique, etc. Le suivilongitudinal des versions successives de la loi (des premiers « brouillons » jusqu’au texte définitifadopté par le Parlement) et des documents de travail associés (notices explicatives, comptes rendusde réunion, annotations diverses et commentaires, etc.) incite ainsi à considérer la fabrique de la loicomme un processus dynamique, avec ses influences multiples, ses arbitrages, ses retournements,ses phases d’arrêt. En l’occurrence, il permet de repérer la facon dont les logiques partisanes àl’œuvre aux différents stades d’élaboration s’intègrent au travail d’écriture des fonctionnaires,pour donner forme et contenu à un texte qui a finalement valeur de loi. En second lieu, l’analyseporte une attention particulière aux rapports que les rédacteurs administratifs entretiennent avecles pouvoirs politiques (ministres et parlementaires), afin de comprendre comment une réformelégislative, engagée par un ministre Vert, se poursuit sous la responsabilité d’une ministre UMPet, plus largement, comment la production législative se coordonne avec l’alternance politique. Cefaisant, elle éclaire d’un jour nouveau les relations entre hauts fonctionnaires et professionnels dela politique réunis par un projet d’œuvre commune : écrire une loi qui portera le nom du ministreen charge d’un secteur d’activité donné.

L’enquête s’est déroulée entre l’automne 2004 et l’hiver 2005. Des entretiens approfondis etrenouvelés ont eu lieu avec les fonctionnaires, membres des cabinets ministériels, parlementaires,et ministres qui ont participé à l’écriture de ce projet de loi. Les archives du ministère de l’Écologieont également été consultées, ainsi qu’un grand nombre de documents qui n’étaient pas encore

2 La loi comporte trois parties distinctes : les risques technologiques, les risques naturels, la réparation des dommages.Notre analyse ne porte que sur la première partie qui traite des risques industriels.

3 Aujourd’hui Direction Générale de la Prévention des Risques (DGPR).4 Le corps des Mines est composé d’ingénieurs diplômés de l’École polytechnique ayant suivi, avant leur prise de poste

dans la fonction publique d’État, une formation complémentaire à l’École des Mines de Paris. Traditionnellement, le postede conseiller ministériel chargé des risques est réservé à un membre du corps des Mines, quel que soit le ministre. Celaconduit à une symétrie quasi-parfaite entre le chef du bureau des risques et le conseiller risque : ils ont sensiblement lemême âge, ont suivi la même formation et ont eu la même première socialisation professionnelle, comme chef de divisionchargé des risques industriels en service régional. Si les rédacteurs appartiennent à l’un des corps les plus prestigieuxde la fonction publique, on doit noter qu’ils n’ont pas de formation juridique poussée et qu’ils sont alors relativementinexpérimentés puisqu’il s’agit de leur deuxième poste seulement.

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versés mais qui étaient présents dans les bureaux et ordinateurs des personnes enquêtées. Enfin,nous avons eu accès à des notes personnelles, la catastrophe de l’usine AZF ayant poussé certainsde nos interlocuteurs à tenir un journal ou à rédiger des « points de situation », parce qu’ilspressentaient que cette explosion constituerait un élément marquant de leur vie professionnelleou parce qu’ils anticipaient qu’ils pourraient avoir à rendre des comptes devant la Justice5.

Notre article emprunte son organisation au travail fondateur qu’Edouard Page (2003) a menésur la Grande-Bretagne : il s’intéresse d’abord à l’émergence des idées formant les grandes lignesdu projet de loi (1), puis à la stabilisation du contenu et à la rédaction des dispositions du texte(2), et enfin à la facon dont les rédacteurs s’efforcent de maîtriser le processus parlementaire pourque la loi votée soit aussi proche que possible du texte qu’ils ont préparé (3).

1. Produire des fiches ou comment définir les grandes lignes d’un projet de loi

Le 28 septembre 2001, lors d’un discours à Toulouse, L. Jospin annonce la création, par voielégislative, de deux nouveaux instruments d’action publique : les Comités locaux d’information etde concertation (CLIC)6 et les Plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Contribuantà l’« émergence instantanée » d’un problème public (Favre, 1992), la catastrophe d’AZF conduiten moins d’une semaine à la décision de réformer la politique de prévention des risques industriels.Cette conjoncture particulière invite à focaliser l’observation sur le travail politico-administratif depréparation de cette annonce : comment sont inventés les dispositifs CLIC et PPRT qui constituentl’ossature de la nouvelle loi sur les risques industriels ? Sur quels référents, quelles théorisations,quelles expertises repose leur mise en forme en tant que futures dispositions législatives ? Dansquelle mesure les écrits produits dans cette courte période contribuent-ils à ce travail de productionnormative ?

1.1. Écrire pour maîtriser la crise et défendre des positions

Considérée comme le plus grave accident industriel en Europe depuis la Seconde Guerremondiale, l’explosion de l’usine AZF engendre une multitude d’écrits, d’origines diverses : lesassociations environnementales, les syndicats, les industriels de la chimie et du pétrole sont invitésà commenter l’événement dans la presse et à s’exprimer sur les mesures nouvelles qu’il convien-drait de promouvoir. Dès le premier jour, le gouvernement produit lui aussi une grande quantitéd’informations sur les risques industriels : le Premier ministre et le ministre de l’Environnementdonnent des interviews, prononcent des discours, tandis que leurs services diffusent des communi-qués de presse. Tout ce travail public repose sur une intense activité d’écriture de fiches. Supportsordinaires des échanges administratifs, ces écrits se présentent en général comme de courtessynthèses. En une page ou deux, ils font le tour d’un sujet ou exposent les grandes lignes d’un

5 Afin de préserver l’anonymat des personnes interrogées, nous avons choisi de nous référer aux entretiens de faconvague. « Entretien DPPR » renvoie à un entretien avec un fonctionnaire de la DPPR, quel que soit son niveau hiérarchique :directeur, chef de service, chef de bureau, etc. De même pour « entretien cabinet », sans précision sur le rôle exact : directeur,directeur adjoint, conseiller.

6 D’abord appelé Comité local de prévention des risques (CLPR), l’instrument prend successivement le nom de Comitélocal d’information sur les risques technologiques (CLIRT), puis de Comité local d’information et de prévention des risquestechnologiques (CLIPRT) dans le projet de loi Cochet, avant de devenir Comité local d’information et de concertation(CLIC) dans le texte présenté au Parlement par R. Bachelot.

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problème, en focalisant sur l’essentiel. Ainsi cette fiche utilisée pour mettre en forme le premiercommuniqué de presse du ministère, publié quelques heures à peine après l’explosion :

« Cette usine, la société chimique Grande Paroisse, est détenue à majorité par ATOFINA,branche chimique du groupe TotalFinaElf.Cette société est spécialisée dans la fabrication d’engrais et possède plusieurs sites deproduction en France, notamment les usines de Toulouse et du Grand Quevilly dans labanlieue de Rouen.Ces engrais de type ammonitrates sont préparés à partir d’acide nitrique issu de l’ammoniac.Dans le cas d’engrais complexes comportant également du phosphore et du potassium,d’autres produits sont ajoutés, par exemple de l’acide phosphorique.Il s’agit d’un processus de fabrication relativement classique mais qui mobilise, aussi bien enentrée qu’en cours de processus et au stade des produits finis, des substances ou préparationsdangereuses : toxiques, corrosives, oxydantes notamment.Dans le cas du site de Toulouse, sont présents dans l’établissement : jusqu’à 6300 tonnesd’ammoniac liquéfié, 100 tonnes de chlore liquéfié, 1500 tonnes de comburants, 6000 tonnesde nitrate d’ammonium solide, 30 000 tonnes d’engrais solides, 2500 tonnes de méthanolen particulier. »

Ces fiches ont plusieurs finalités : elles servent aux interventions publiques, assurent la diffu-sion d’informations techniques et réglementaires et favorisent la « mise à niveau » de l’ensembledu personnel politique et administratif, au-delà du cercle restreint des spécialistes du ministèrede l’Environnement. Elles contribuent également à renforcer la position d’une administrationaffaiblie par la nomination récente de son ministre : à peine installé dans la succession de Domi-nique Voynet, Yves Cochet n’a pas encore complètement constitué son cabinet lorsque survientla catastrophe. S’estimant peu soutenu par le gouvernement socialiste7, il est aussi fragilisé parla proposition du cabinet du Premier ministre de le dessaisir du dossier AZF au profit d’une mis-sion interministérielle qui pourrait être créée pour l’occasion8. Dans ces conditions, la productionde fiches techniques sur des sujets que les fonctionnaires de la DPPR sont les seuls à maîtriserest un moyen efficace d’éviter « de se faire couper la tête », c’est-à-dire de faire reconnaître lescompétences du ministère de l’Environnement et de légitimer son action auprès des concurrentspotentiels.

Les fiches ainsi rédigées ne se distinguent pas de celles ordinairement produites pour répondreaux demandes des cabinets ou des services de presse ministériels. En revanche, le contexte de lacatastrophe conduit à des sollicitations en continu sur des temps très courts, parfois du matin pourle soir, ce qui instaure un sentiment d’urgence typique des situations de crise (Fourès, 2011).

« Une semaine après l’explosion, Jospin est allé à Toulouse pour faire une déclaration. Pourpréparer cette intervention, on a travaillé sur un certain nombre de fiches types : sur la

7 Y. Cochet considère que la place des Verts au gouvernement n’est que le résultat d’un accord électoral visant à sous-traiter l’écologie et que ses interlocuteurs socialistes n’accordent finalement pas beaucoup d’importance à ce domained’intervention : « [Le directeur de cabinet] n’aimait pas les Verts. Il pensait qu’on était des rigolos. Que tout ca n’était pastrès sérieux », dit-il à propos de ses relations avec Matignon (entretien de février 2005).

8 Évoquée par le cabinet du Premier ministre lors d’une des premières réunions interministérielles post-AZF, cettepossibilité est considérée avec d’autant plus de sérieux qu’au sein des services du ministère plane encore l’ombre del’accident de Feyzin de 1966, qui avait conduit à une réorganisation complète de l’inspection des installations classées.C’est à ce moment-là que l’Inspection du travail fut dessaisie de cette mission régalienne au profit des services de l’industrieet des mines (Colliot et de Font-Réault, 1979).

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maîtrise de l’urbanisation, sur les SPPPI9, sur les scénarios d’accident, sur la remise desétudes de dangers, l’expertise en matière de risque, l’intérêt de mener une action coup depoing sur des établissements comparables, c’est-à-dire des inspections coup de poing surles sites de stockage d’ammonitrates, la dimension européenne, c’est-à-dire informer lescollègues Seveso, etc. Ca, c’est un exemple de commande » (Entretien DPPR).

Omniprésentes dans la gestion de crise, les fiches constituent également la ressource principaledes réunions interministérielles, qu’elles alimentent en idées de réforme. Les premières proposi-tions du ministère de l’Environnement pour l’après-crise visent ainsi à aménager la réglementation,en améliorant et en modernisant le système existant, mais sans envisager la création de disposi-tifs nouveaux. Assez naturellement, les représentants de la DPPR s’en tiennent aux contenus deleurs fiches. Concrètement, ils envisagent l’extension des servitudes d’utilité publique à toutes lesinstallations, la création d’un fonds d’indemnisation pour augmenter les surfaces inconstructiblesau voisinage des usines à risques ou le doublement des effectifs de l’inspection des installationsclassées. Les rédacteurs saisissent les opportunités nées de la crise, mais le cadre de leur action,dans ces premiers jours, ne change pas : ils cherchent à aller plus vite et plus loin dans des réformesqui s’inscrivent dans la continuité de l’action ordinaire.

Cependant, ces « schémas d’interprétation » (Jobert, 1992) de la réalité post-accidentelle etdes plans d’action à venir sont rendus obsolètes dès la première réunion interministérielle. Outrela mise en cause du ministère de l’Environnement au profit d’une mission interministérielle, lecabinet du Premier ministre cherche de nouvelles idées, saillantes, susceptibles d’alimenter lesdiscours d’annonce de Lionel Jospin alors en pleine cohabitation avec le président Jacques Chiracet en précampagne pour l’élection de 2002. Dès lors, même si le ministère de l’Environnement« y est favorable », il n’est pas l’initiateur des mesures CLIC et PPRT. Ce que relate un hautfonctionnaire dont le journal témoigne de l’effet de surprise :

« Mercredi 26 septembre 2001, il y a une réunion interministérielle au cours de laquelleMatignon demande une implication plus large de la société civile dans le contrôle desactivités à risques et suggère la création de commissions locales d’information sur le modèledes commissions locales des installations nucléaires de base. Les CLI existent autour decertaines INB comme Fessenheim, etc. [Vers la sociologue :] Ce sont les gens de Matignonqui en ont parlé. Et j’ai noté [il lit] : “Pris par surprise, [le conseiller] répond en deux temps :tierces expertises d’une part et SPPPI d’autre part”. C’est au cours de cette réunion du 26que l’idée a germé » (Entretien DPPR).

On reconnaît là les effets de ce que Michel Dobry appelle la « désectorisation » dans son analysedes crises politiques, c’est-à-dire un affaiblissement des frontières et des domaines de compétencequi, en situation ordinaire, maintiennent la séparation entre acteurs et ministères (Dobry, 1986).Dans cette situation post-accidentelle, le cabinet du Premier ministre fait des propositions plusnovatrices, parce qu’il ne se sent pas tenu par le fonctionnement ordinaire du secteur considéréet parce qu’il est sensible au caractère affichable et marquant des dispositifs envisagés. Cettedécision fait l’objet d’un communiqué du ministère de l’Environnement le 1er octobre 2001. Endix jours, les grandes lignes d’une nouvelle législation sur les risques industriels ont donc étédessinées.

9 Les Secrétariats permanents pour la prévention des pollutions industrielles (SPPPI) sont des lieux de discussion et deconcertation entre représentants locaux (des industriels, des associations, de l’État, parfois des syndicats), qui portent surles questions de pollution et de risques industriels.

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1.2. Pas d’écriture sans écrits préalables

Si elles surprennent les représentants du ministère de l’Environnement, les mesures proposéespar le cabinet du Premier ministre ne leur sont pas totalement inconnues : en effet, des commissionslocales d’information (CLI) existent autour des centrales nucléaires, tandis que les plans de pré-vention des risques (PPR) constituent un dispositif clé de la prévention des risques naturels (Bayetet Le Bourhis, 2002). CLI et PPR appartiennent déjà au répertoire administratif du ministère del’Environnement et, à ce titre, figurent parmi les écrits réglementaires à disposition des rédacteurs.Il n’est donc pas étonnant que les premières versions du projet de loi sur les PPRT se présententcomme un copié-collé des textes régissant la prévention des risques naturels. Le recyclage dansl’urgence de certaines dispositions du plan de prévention des risques naturels (PPRN) conduitd’ailleurs à quelques perles, comme celle qui interdit les exploitations forestières et agricolesautour des établissements à risques. Consulté au titre de l’Inspection générale de l’environnementsur une version intermédiaire du texte, l’ingénieur des Mines Francois Barthélémy doit alorsrappeler à l’ordre ses jeunes collègues10 :

« Certains articles du projet sont visiblement décalqués des articles 562-1 et suivants du Codede l’environnement qui concernent les plans de prévention des risques naturels prévisibles.Les interdictions relatives aux exploitations agricoles ou forestières se comprennent vis-à-vis du risque d’inondation mais pas pour les risques industriels. Ces activités peuvent jouerun rôle de protection autour d’installations industrielles dans la mesure où elles occupentle terrain avec très peu de personnes11. »

D’autres difficultés de rédaction apparaissent au moment de doter les nouveaux dispositifs, quine sont encore que des coquilles vides malgré leur acronyme vaguement familier, d’un contenulégislatif. Pour les propriétaires dont les logements sont situés en zone à risques, le PPRT ouvrira-t-il des droits de préemption, de délaissement, d’expropriation, ou les trois à la fois12 ? Toutesles options sont envisageables, à partir du moment où elles répondent à la volonté politique d’unPremier ministre en précampagne électorale, aux intentions d’un ministre de l’Environnement quientend faire valoir les compétences des Verts sur un sujet environnemental et aux perspectivesde l’administration, qui cherche depuis plusieurs années une solution pour « desserrer l’étau »,c’est-à-dire étendre ses moyens d’action au bâti existant et non simplement à l’encadrement del’urbanisation future. Pour Y. Cochet, la mise en place des PPRT est surtout l’occasion de marquersa différence politique, en cherchant à faire peser sur les industriels la prise en charge du risque,selon le principe pollueur/payeur cher aux écologistes :

« Il est évident qu’un ministre Vert, face à un tel événement, peut pousser ses pions. Avecmon cabinet, on s’est dit : “Profitons-en”, entre guillemets. Il faut renforcer la sécurité des

10 Comptant parmi les inspecteurs généraux de l’Environnement les plus expérimentés, F. Barthélémy est l’auteur denombreux rapports administratifs sur les risques industriels, dont celui sur AZF, commandé quelques jours à peine aprèsla catastrophe (Barthélémy, 2001).11 Archives MEDD 398 (1).12 Dans l’annonce du 28 septembre 2001, le PPRT est présenté comme une mesure visant à renforcer la sécurité

publique dans les situations de forte promiscuité entre usines et quartiers d’habitation. Ainsi défini, le PPRT doit permettred’intervenir sur le voisinage des installations à risques pour réduire sa vulnérabilité aux effets des accidents possibles(explosions, incendies, émanations de gaz toxiques). L’expropriation, le délaissement et la préemption servent cet objectif,dans la mesure où ils permettent à la collectivité d’acquérir des terrains et ensembles immobiliers pour recréer des « vides »entre les usines et la ville (par destruction, préservation ou réaffectation).

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sites industriels, et puis éventuellement fermer des entreprises. On s’est dit aussi que la loidevrait obliger, obliger [il insiste] l’industriel à acheter les logements des gens expropriéspour cause de danger » (Entretien avec Y. Cochet).

Cette orientation de réforme butte cependant sur l’opposition du ministère de l’Industrie,qui se fait le porte-parole des intérêts industriels lors des réunions interministérielles. Un deses représentants note ainsi que « le paiement par les industriels des surcoûts induits par lesprescriptions inscrites dans un PPRT ne peut être acquis tant que l’estimation de ces surcoûtsn’a pas été faite13 ». Le financement des PPRT constitue en fait le problème majeur sur lequelachoppent les discussions interministérielles de l’hiver 2001–2002, tandis que les représentantsdes ministères peinent à maîtriser les outils en question et qu’aucune donnée n’existe pour évaluerl’impact des instruments envisagés. Ce qu’explique ce fonctionnaire de la DPPR :

« Pour la maîtrise de l’urbanisation, rien n’était consensuel. Il faut dire qu’on n’avait pasles idées très claires. Le droit de préemption, le droit d’expropriation, ce sont des conceptset des outils du code de l’urbanisme. Seul le ministère de l’Équipement les maîtrisait. Ilsnous avaient expliqué un peu avant, mais on n’était pas très à l’aise. Ensuite, on n’avaitpas de chiffrage, on ne savait pas combien ca allait coûter, combien il y avait de maisonsdans les périmètres à risques sur la France entière. On n’avait pas de données. C’était audoigt mouillé. Quand quelqu’un estimait les mesures d’expropriation à 50 ou 100 millionsd’euros, on savait pertinemment qu’il n’avait pas d’argumentation solide, mais personnen’avait de contre-argumentation à proposer » (Entretien DPPR).

Que les rédacteurs-négociateurs du ministère de l’Environnement ne soient pas des expertsdes outils de maîtrise de l’urbanisation ne les conduit pas à afficher des positions fermes surtelle ou telle option en particulier. Par exemple, lors de la réunion interministérielle du 8 février2002 qui suit le passage du projet de loi au Conseil d’État, le ministère de l’Environnementfait savoir qu’il n’a finalement « pas de préférence entre les trois instruments envisageables, àsavoir expropriation, droit de délaissement ou droit de préemption ». Le ministère de l’Industrieplaide quant à lui pour le droit de préemption, c’est-à-dire la moins coûteuse des trois mesuresenvisagées, tandis que le ministère du Logement souhaite le délaissement, supposé plus avanta-geux pour les locataires et les propriétaires. Dans ces conditions, l’arbitrage de Matignon n’estpas favorable au ministre de l’Environnement : le projet Cochet ne retient finalement que lapréemption, c’est-à-dire l’option la moins novatrice parmi les trois possibilités envisagées audépart.

Cette première phase du travail d’écriture permet de mettre en évidence les incertitudes liéesà la définition des dispositions contenues dans la loi. Même s’ils ont été annoncés, les instru-ments d’action publique du projet restent complètement ouverts et c’est au cours des réunionsinterministérielles qu’ils sont dotés d’un contenu. Le travail est réalisé conjointement par leministre, son cabinet et les services du ministère de l’Environnement, dont le destin est liépar une menace commune : se voir dessaisi du dossier par Matignon ou une mission intermi-nistérielle. Dans ce contexte, il est donc difficile de distinguer d’un côté des écrits politiquesprogrammatiques et de l’autre des écrits administratifs d’application. Écrire des fiches ou desnotes permet de participer au processus de décision dans une position commune face aux autresministères.

13 Réunion interministérielle du 20 novembre 2001, archives MEDD 0705.

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2. Rédiger un projet de loi UMP ou comment recycler un texte Vert

Le 7 mai 2002, à la suite de la victoire de J. Chirac à l’élection présidentielle, R. Bachelot estnommée ministre de l’Écologie et du Développement durable. Rien ne garantit que le projet deloi sur les risques, déposé au Sénat par Y. Cochet, ait alors un avenir. Comment une ministre UMPpourrait-elle porter un projet de loi préparé par un ministre Vert ?

2.1. Écrire pour construire de la différenciation politique. . . tout en préservant ses intérêts

Lors du changement de gouvernement, les hauts fonctionnaires rédacteurs de la loi constatentla prudence de la nouvelle ministre, qui ne tient pas particulièrement à poursuivre les travaux deson prédécesseur. Le directeur de la DPPR se fait alors le promoteur du projet de loi sur lequelses services travaillent depuis des mois. Il propose de ne pas en reprendre la rédaction, maisde considérer favorablement certaines idées qu’il contient. Il insiste également sur l’importancehistorique de la catastrophe d’AZF et l’unanimité politique qui a suivi, faisant des risques indus-triels un sujet consensuel14. Ce travail de sensibilisation finit par payer et les fonctionnaires duservice de l’environnement industriel sont invités à reprendre leur travail, à condition de « trouverde nouvelles idées », pour démarquer le projet de celui qu’ils ont préparé avec Y. Cochet. À lamanière des secrétaires généraux de mairie étudiés par Olivier Roubieu (1999), les fonctionnairesde la DPPR sont pris dans la politique et les finalités que les ministres et les gouvernementsassignent à leurs activités. Si, après la catastrophe, les agents du ministère de l’Environnementse sont efforcés d’aider le Premier ministre pour son déplacement à Toulouse et ont fait allianceavec un ministre Vert pourtant affaibli afin de tenir les positions du ministère de l’Environnement,ils vont, de la même facon, aider à construire de la différenciation politique pour R. Bachelot.

Paradoxalement, trouver de nouvelles idées ne repose pas sur l’hypothèse qu’il existe unepolitique de prévention des risques industriels de droite, qui se distingue de l’approche des Vertset des socialistes. Ainsi ce membre du cabinet de R. Bachelot :

« Je crois que politiquement, les choses n’étaient pas très éloignées. Vous savez, c’est unsujet assez technique, ce n’est pas comme le nucléaire. Il n’y a pas de grandes divergencesentre les Verts, la Gauche, la Droite sur ce sujet-là. Tout le monde est pour renforcer lasécurité autour des industries, éviter qu’elles n’explosent. » (Entretien cabinet)

Cependant, il est politiquement impossible de le reconnaître et de faire voter par la majoritéparlementaire un texte préparé par le gouvernement précédent. Présenter la réforme comme unsujet avant tout technique constitue un premier pas dans la recherche de solutions permettant derendre un tel projet politiquement défendable. Adjoindre à ce projet dédié aux risques industrielsun volet sur la prévention des risques naturels, à la suite des inondations dans le Gard en septembre2002, permet également à la ministre et à son équipe de présenter un texte différent de celui deson prédécesseur.

Par ailleurs, si les grandes lignes du projet demeurent, le contenu des dispositions évoluesensiblement — ce que montre par exemple la nouvelle rédaction de l’article CLIC. En matièred’information des populations riveraines, le dispositif décrit lors du discours de L. Jospin proposed’associer « tous les acteurs », afin de jouer un rôle multiple « d’interpellation, d’information,

14 Le rapport de la commission d’enquête parlementaire formée au lendemain de la catastrophe a été voté à l’unanimité(Loos et Le Déaut, 2002).

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d’alerte et de mise en garde ». Il indique également que les comités seront « dotés de moyenspour pouvoir remplir pleinement leurs fonctions » et « susciter lorsque cela s’avère nécessairedes contre-expertises ». Pour Y. Cochet, ces instances pourraient être un premier pas vers la« démocratie du risque », que son parti défend pour renouveler la vie politique, au même titre quele référendum d’initiative locale.

« Et je n’ai cessé de dire que la démocratie est un facteur efficace [il insiste] de renforcementde la sécurité industrielle. Efficace, cela veut dire que ce ne sont pas uniquement les études dedanger de l’industriel, ou les ingénieurs magnifiques de la Direction régionale de l’Industrie,de la recherche et de l’environnement (DRIRE)15 (qui connaissent tout, parce qu’ils sontpointus du point de vue technologique) qui font les décisions. Non ! Non, non. La population,les riverains et les salariés ont aussi quelque chose à dire de manière efficace » (Entretienavec Y. Cochet).

De leur côté, les services du ministère sont opposés à la mention de « contre-expertise »,surtout qu’elle devra être financée par l’État. Ils craignent des dépenses incontrôlables et desdébats d’experts sans fin. Ils voient également cette disposition comme une remise en cause deleurs prérogatives. En effet, l’administration a déjà la possibilité, lors du processus d’autorisationd’une installation dangereuse, de demander à un tiers-expert (souvent un bureau d’étude indé-pendant) d’examiner l’étude de dangers remise par l’industriel. Cette expertise est alors financéepar l’exploitant pétitionnaire sans qu’il puisse s’y soustraire. En conséquence, la demande d’unecontre-expertise par le CLIC serait la remise en cause du travail d’encadrement et d’évaluationde la tierce-expertise demandée par la DRIRE, au profit d’une assemblée locale et collégiale. Leministère propose donc d’inscrire dans la loi le recours à un expert et non à une expertise.

« La possibilité pour les CLIC de demander des expertises est une disposition qui a ététrès débattue. Au départ, on n’était pas du tout favorable. Mais on a fini par trouver uneformulation acceptable, après moult débats. On essayait de vendre l’expert, pas l’expertise.On essayait à tout prix de vendre l’expert, parce qu’il nous paraissait normal qu’un CLICpuisse faire appel à un expert pour l’éclairer sur les dossiers d’expertise présentés par lesindustriels. Mais on voulait éviter les expertises, parce que ca coûte très cher. Parfois,les politiques avancent plus vite que les administrations ! Alors, on essaie d’expliquer lesconséquences potentielles (rires) des avancées malheureuses » (Entretien DPPR).

Si le débat se focalise sur le choix des mots (contre-expertise, tierce-expertise ou expert), ilreflète surtout des conceptions très différentes de ce que doit être la distribution des pouvoirs ausein de la nouvelle instance. Le dialogue habituel entre industriels et DRIRE qui définit le recoursà l’expertise pourrait être modifié par l’intervention des représentants syndicaux et associatifs, cequi ne va pas de soi pour le ministère qui est certes rédacteur de la loi, mais également protecteur desdomaines de compétences de ses services déconcentrés. La formulation retenue dans l’article 5 duprojet de loi présenté par Y. Cochet atteste de ces atermoiements : le texte indique que le CLICpeut « recourir à des experts » (ce qui satisfait la DPPR dans la mesure où le mot « expertise » estévité), mais qu’il peut « faire procéder à toute évaluation quant aux risques générés par le site » (cequi correspond à l’annonce du Premier ministre et au souhait du ministre de l’Environnement).

15 À l’époque, les DRIRE sont les services déconcentrés du ministère de l’Environnement en charge de la réglementationsur les installations classées. Depuis, elles ont fusionné avec d’autres administrations régionales pour former les Directionsrégionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL).

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Lorsque l’équipe de R. Bachelot reprend la rédaction du texte, la conception de l’instrumentest tout autre. La ministre considère en effet la mise en place de dispositifs d’information commele passage obligé du développement industriel :

« Je défends ca depuis le début : c’est la participation qui permettra l’industrialisation denotre pays. Je soutiens que c’est l’information, la connaissance, la participation, qui per-mettent de garder l’industrie lourde de notre pays et de ne pas en faire une sorte de grandvillage de vacances. J’ai le sentiment à travers ca de servir mon pays, d’être dans unestratégie gagnant-gagnant » (Entretien avec R. Bachelot).

Dans la nouvelle mouture du projet, le CLIC est redéfini comme un instrument à vocationpédagogique, qui conduit à l’acceptation du risque industriel. Il s’agit d’un dispositif descendantdans lequel un ensemble de responsables techniciens apportent de l’information à un ensemblechoisi de représentants. Dans ce schéma, doter le CLIC de droits spécifiques (par exemple lacontre-expertise) n’a pas de sens. Pour la nouvelle équipe, une instance créée pour instaurer ledialogue et pacifier les relations entre acteurs ne peut fonctionner selon des règles d’opposition etde conflit. Avec l’accord de la ministre, les rédacteurs décident donc de supprimer la mention durecours à l’expertise. Dans le projet Bachelot, la disposition de l’article 5 du projet Cochet devient :« Ce comité peut faire appel aux compétences d’experts reconnus ». Ainsi, l’administration profite-t-elle de l’alternance politique pour revenir sur une disposition qui ne lui convenait pas.

2.2. Nouveaux rédacteurs, nouvelle chance pour le PPRT

Dans la recherche de nouvelles idées pour se démarquer du projet de loi Cochet, le nouveaubinôme d’ingénieurs des Mines (le conseiller technique du cabinet de R. Bachelot et le chef dubureau des risques de la DPPR) reprend, une par une, chacune des propositions apparues depuisla catastrophe, pour les classer selon leur degré de cohérence avec les orientations possibles duprojet en cours d’élaboration.

« Une des méthodes de travail, pendant la période juillet–octobre 2002, a été de passeren revue le travail qu’avait commencé [le précédent chef de bureau] avec [le précédentconseiller technique]. On prend les propositions une par une, de Loos et Le Déaut, du débatnational16, on remet tout ca par ensembles un peu cohérents, en fonction de notre approchehistorique et de notre réglementation, et puis on regarde ce qui relève de la loi, du décret,des bonnes pratiques. On fait le tri là-dedans et en face de chaque proposition ou de chaquebloc, on écrit ce qu’on propose, ce que le gouvernement décide » (Entretien DPPR).

Ce travail de lecture, d’écriture et de mise en forme permet de recenser l’ensemble des pisteslégislatives, mais aussi de les réexaminer sous l’angle politique de facon à séparer ce qui estacceptable pour une ministre UMP de ce qui ne l’est pas. Ce travail d’inventaire montre égalementla primauté de la ressource constituée par les écrits disponibles, c’est-à-dire les différents rapportsproduits depuis AZF, le projet Cochet, les contributions des principaux intervenants au débatnational (en particulier celles des fédérations patronales et des associations comme France NatureEnvironnement) et tout ce que les agents ministériels peuvent exhumer des cartons archivés

16 Le débat national sur les risques industriels, organisé à l’initiative du gouvernement « pour répondre à l’émotionsuscitée par la catastrophe », réunit environ 7000 personnes entre novembre et décembre 2001 pour débattre des orientationsde la future loi (Essig, 2002).

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dans les services. Au cours de ces recherches, les rédacteurs retrouvent notamment la trace desarbitrages interministériels perdus par l’équipe précédente concernant les divers droits pouvantêtre accordés aux propriétaires dans le cadre des PPRT.

« Pour la partie “risques technologiques”, la question était de savoir si l’on en restait auprojet de loi Cochet ou si on voulait aller plus loin et ce qu’on voulait ajouter. Au final, ona sensiblement modifié le projet de loi. On peut dire que la modification principale, c’estl’introduction dans les PPRT de pas mal de droits supplémentaires. Dans le premier projet,on continuait à faire de la maîtrise de l’urbanisation future. La modification principale aété de permettre la résorption de l’urbanisation existante, ce qui n’existe pratiquement pasdans les autres pays. » (Entretien cabinet)

Sur le sujet des PPRT, la ministre UMP a la possibilité de présenter un projet plus novateur quele ministre Vert qui l’a précédé, une sorte de pied de nez politique qui l’encourage à poursuivre danscette voie. Néanmoins, cette décision ne gomme pas les problèmes de financement des PPRT etsuppose de gagner l’arbitrage interministériel qu’avait perdu Y. Cochet. Comme son prédécesseur,le ministère se heurte à la difficulté d’anticiper ce que l’expropriation et le délaissement impliquenten termes de financement pour les 662 installations donnant lieu à PPRT. La nouvelle équipedispose cependant de délais plus importants pour parvenir à une décision, ce qui lui laisse le tempsde produire certaines estimations et d’imaginer plus concrètement les conséquences des différentesoptions. Ainsi, le cabinet du ministère de l’Équipement peut-il apporter une contribution sur ledevenir des « zones délaissées » : comment peut-on les aménager ? Selon quelles procédures ? Àquel coût ?17 Une étude est également confiée au conseil général des Mines pour estimer les coûtsassociés à l’élaboration des PPRT. Fin octobre 2002, le financement des mesures de délaissementest estimé à une fourchette allant de 1200 à 3500 millions d’euros sur 30 ans. Aussi imparfaitesoit-elle, cette mesure permet néanmoins d’ouvrir les négociations interministérielles.

Pour lever les réticences des possibles opposants (les ministères de l’Industrie et du Budgetnotamment), les rédacteurs commencent par affirmer un principe, politiquement cohérent avec unprojet de droite : ils proposent que le financement des mesures n’incombe pas aux seuls industriels,considérant que ces derniers ne peuvent pas être considérés comme uniques responsables de lacohabitation des habitations et des établissements industriels. La nouvelle clé de répartition descoûts est tripartite, associant les industriels, l’État et les collectivités locales dans des proportionsvariables selon les situations locales. De cette facon, tout argumentaire consistant à rejeter lafaute sur une autre partie est d’emblée discrédité. Or, c’est bien cette voie qu’avait pris le débataprès la catastrophe, puisque les industriels accusaient les Communes d’avoir accordé les permisde construire en bordure des usines, lesquelles Communes invoquaient la responsabilité de l’État(seul compétent en matière d’urbanisme avant les lois de décentralisation des années 1980), tandisque les représentants de l’État renvoyaient dos à dos les deux interlocuteurs en faisant valoirl’intérêt pour une entreprise de voir ses salariés habiter à proximité de l’usine et l’intérêt desCommunes à voir s’installer des habitants sur leur territoire. Dans ce contexte, le financementtripartite apparaît comme l’expression de la solidarité des uns envers les autres ou comme unpartage de la responsabilité. Néanmoins, si le principe d’un financement tripartite fait consensus,le niveau de participation des uns et des autres continue de faire débat, sachant que les règles derépartition pourront être très différentes d’un cas à un autre :

17 Ces précisions sont données lors de la réunion interministérielle du 14 octobre 2002.

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« L’État est indigent. C’est connu. Il faut maîtriser la dépense publique, c’est certain. Enrevanche l’État doit contribuer, puisque le principe a été acté. Mais à quelle hauteur ? Onpourrait fixer une quote-part, dire qu’il y a trois grandes catégories de financeurs et quechacune paye un tiers. C’est l’option simplissime. Mais elle n’est simplissime que sur lepapier parce qu’il faut déjà que l’État puisse payer sa part, ce qui n’est pas toujours garanti.De plus, il n’est pas du tout certain que cette solution par tiers, même avec un tiers de l’Étatlaissant deux tiers, soit la plus efficace au cas par cas. Il existe peut-être des situations oùl’État devra payer 70 %, parce que les deux autres sont étranglés financièrement. Dans unautre endroit, au contraire, l’entreprise et la Commune sont richissimes et l’État pourrase contenter de l’euro symbolique. Toute règle générique nous paraissait non seulementarbitraire, mais surtout plus contre-productive qu’autre chose » (Entretien DPPR).

Ainsi se construit un dispositif juridique qui ne tranche pas, mais se contente d’organiser lecadre d’ajustement d’intérêts divergents, dans l’esprit de la plupart des législations environne-mentales. C’est ce qu’a montré Pierre Lascoumes à partir des exemples des lois « montagne »et « littoral » : la législation en matière d’environnement est souvent présentée, à tort, comme undroit de commandement à visée de préservation de la nature et du cadre de vie, alors qu’elle se pré-sente plus sûrement comme « un droit d’organisation d’intérêts » (Lascoumes, 1995). Les règlesprocessuelles, c’est-à-dire la mise en place de procédures, de démarches, de voies de règlement,l’emportent sur le contenu et la présentation d’objectifs précis, ici le niveau d’expropriation dansles zones de danger létal, par exemple. La résolution concrète de ces problèmes est ainsi renvoyéeà l’interaction des instances locales et au temps de la mise en œuvre. C’est d’ailleurs l’argumentdécisif : si la nouvelle équipe gagne l’arbitrage, c’est justement parce qu’elle réussit à imposerl’idée que les dépenses engagées pour le financement des PPRT seront déportées et étalées dansle temps, puisqu’elles supposent l’adoption préalable des PPRT.

Dans cette deuxième phase, moins pressés par le temps, l’ensemble des acteurs travaille enréfléchissant à la mise en œuvre des dispositions à rédiger et à leurs conséquences, notammentbudgétaires. Construire de la différenciation politique est une nécessité pour les rédacteurs, quianticipent qu’il convient de donner des signes à la majorité ainsi qu’aux groupes d’intérêtsproches, afin de s’assurer que le projet sera voté. Cette contrainte croise les enjeux propres àl’administration, comme la préservation des marges de manœuvre des fonctionnaires de terrain,avec les contraintes technico-juridiques : il s’agit d’écrire dans la loi des droits, de préemption, dedélaissement et d’expropriation, qui existent dans des formes déjà normalisées dont on ne peutpas s’affranchir (Coton et Proteau, 2012).

3. Faire voter la loi ou comment tenir la plume à distance

Une fois le projet de loi déposé au bureau du Sénat débute la phase parlementaire qui faitintervenir de nouveaux rédacteurs, supposés amender le texte, donc le réécrire, au moins enpartie : les deux rapporteurs du Sénat et de l’Assemblée nationale aidés de leurs administrateurs,ainsi que les groupes d’intérêt qui tentent à nouveau de faire aboutir leurs propositions. Cependant,pour le petit groupe des rédacteurs du ministère de l’Écologie, le travail n’est pas terminé. S’ilsn’ont plus la main sur le texte, ils s’efforcent de contrôler les modifications susceptibles de letransformer. L’enjeu est de défendre la version d’origine afin de ne pas compromettre les arbitrageset les compromis acquis, parfois avec beaucoup de difficultés, dans la séquence précédente, lorsdes accords interministériels. Trois types de tâches sont alors particulièrement saillantes : toutd’abord convaincre les parlementaires de soutenir le texte, en les rencontrant et en leur fournissant

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des argumentaires ; ensuite, cadrer les propositions d’amendements, qu’elles visent à modifier letexte ou à introduire de nouvelles propositions ; enfin, soutenir la ministre lors de ses interventionspubliques, en commission et en séance.

3.1. Mobiliser et cadrer les initiatives : l’enjeu des amendements

Le débat parlementaire, sur un texte qui suppose de bien connaître à la fois la réglementationsur les risques technologiques et la réalité du fonctionnement industriel, ne va pas de soi. Il est lerésultat d’un travail de mobilisation de députés et sénateurs réalisé par la ministre, qui consiste àcréer un noyau dur d’alliés prêts à soutenir son projet jusqu’au vote. La ministre et les membres ducabinet activent donc leurs réseaux parmi les parlementaires, les rencontrent et cherchent à gagnerleur appui : coups de téléphone, dîners, apartés, courriers s’enchaînent jusqu’à la constitution d’ungroupe de soutien suffisant en taille (Commaille, 1994). Les députés et sénateurs proches de laministre (politiquement ou parce qu’ils sont issus de la même région, les Pays-de-Loire) fontl’objet d’une sollicitation particulière, même s’ils ne sont pas spécialistes des risques industrielsou naturels.

« On a rencontré beaucoup de parlementaires, en tête-à-tête ou lors de déjeuners. Et passeulement le rapporteur. Pour leur expliquer la loi. Le but est d’avoir une phalange de 5 à10 députés ou sénateurs qui seront dans l’hémicycle, qui vous soutiendront, qui porterontvos amendements, qui voteront le texte. Vous savez, le débat parlementaire, c’est : qui estpour ? Huit mains qui se lèvent. Qui est contre ? Deux mains. L’essentiel, c’est d’avoirtoujours plus de députés que l’opposition. Il nous fallait donc absolument 5 à 10, voire15 députés ou sénateurs qui nous seraient acquis » (Entretien cabinet).

Les archives du ministère de l’Écologie montrent que l’administration participe à ce travaild’enrôlement à la mesure de ses capacités : elle se renseigne pour savoir si certains de ses membresont déjà eu, à l’occasion d’un autre projet de loi par exemple, des contacts avec les rapporteurs etles administrateurs désignés, au Sénat et à l’Assemblée nationale ; elle diffuse quelques notes surleur personnalité et fait remonter les propositions d’amendements dont ses services régionaux ontconnaissance (en l’occurrence, la DRIRE Midi-Pyrénées sonde les associations nées après AZFpour connaître leurs propositions). Se faire une idée des amendements qui seront déposés constituealors l’enjeu principal des rédacteurs. Pour cela, les administrateurs du Sénat et de l’Assembléesont des interlocuteurs précieux, au contact des parlementaires qui entendent procéder à desréécritures du texte. Comme l’indique ce conseiller de R. Bachelot, l’essentiel des reformulationspasse par eux :

« Il y a une phase dite rouge où pendant trois semaines, vous voyez les rapporteurs quoti-diennement, vous négociez les amendements, déposez les amendements. On travaillait aussibeaucoup avec les administrateurs du rapporteur. Toutes les heures, on faisait un point. Ilsnous renseignaient : “Attention, le député untel vous ne l’avez pas vu. Le sénateur machin,il n’est pas content. Vous devriez l’appeler”. Alors je l’appelais : “C a ne va pas, Monsieur lesénateur, on peut vous aider ?” “Non ca ne va pas, il faut assouplir la réglementation sur lessilos”. “Mais c’est pour prévenir des accidents comme celui de Blaye. Voulez-vous, Mon-sieur le sénateur, être celui dont le nom sera associé au démantèlement de la réglementationdes silos ?” » (Entretien cabinet).

En réalité, ce travail relationnel visant à anticiper les amendements qui pourraient sur-gir au cours du débat parlementaire commence bien avant la séquence parlementaire, dès les

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consultations. Ces sondages, effectués parmi les partenaires du ministère et les futurs assujet-tis, sont en effet concus comme un moyen d’identifier les propositions des groupes d’intérêts etd’évaluer la capacité de ces derniers à les faire valoir auprès des parlementaires. Ce qu’expliqueun des acteurs en charge de cette consultation :

« Reprendre un contact entre personnes était une nécessité absolue. Avant de se lancer dansles étapes de validation, du débat parlementaire ou autres, on voulait savoir où on mettaitles pieds. Et on pensait que les gens en face voulaient faire de même. On voulait vérifiers’il y avait de nouvelles idées, pour savoir en gros ce qu’ils allaient nous balancer commeamendements, via les parlementaires. Cet exercice-là, de chercher par la consultation àsavoir ce qui allait tomber comme amendements, on ne savait pas. Cette suggestion vientde la ministre. Ce ne sont pas des débutants comme le conseiller technique et moi-mêmequi allions avoir l’idée magique de se dire : “Tiens, il faut qu’on consulte”. C’était vraimentdans l’idée d’anticiper le débat parlementaire » (Entretien DPPR).

Les consultations répondent à deux finalités distinctes. Elles permettent tout d’abord de fairecirculer le texte pour vérifier l’acceptabilité des nouveaux articles, tester certaines modifications,caler les ajustements et anticiper les éventuelles oppositions, susceptibles de se traduire par desamendements « sauvages », qui ne passent pas par les rapporteurs avant de surgir dans le débatparlementaire. Auditionner et répondre très en amont aux lobbies constitue également un argumentde poids qui évite de s’enliser dans d’interminables négociations en bout de course. Cela permetde démontrer, le moment venu, que le groupe d’intérêt qui plaide sa cause au Parlement a bienété entendu et que sa demande a été examinée, qu’elle ait été ou non prise en compte. Lesparlementaires n’ont en général pas l’intention de relancer eux-mêmes une négociation, mais ilsveulent vérifier qu’elle a bien eu lieu et se satisfont d’une réponse qui apporte des garanties surce point. Ainsi cette lettre d’un sénateur à la ministre :

« Concernant plus précisément l’examen du volet “risques technologiques” sur lequel desdivergences sérieuses étaient apparues, je tenais par la présente à souligner la qualité etla franchise de notre discussion avec les membres de votre cabinet. Afin de soutenir votreaction et répondre aux nombreux industriels qui redoutent très fortement l’instauration denouvelles contraintes qui seraient insupportables pour leurs activités, j’ai demandé à [votreconseiller] s’il était possible de connaître les éléments de négociation que vous avez eus toutau long de l’élaboration de votre projet de loi avec les organisations professionnelles et lesreprésentants des industries concernées. Je pense qu’il serait également judicieux d’avoirles copies des mémorandums que ces derniers vous ont adressés18. »

Une fois le projet déposé et la « phalange » des soutiens constituée, le travail des rédac-teurs consiste à lire et évaluer l’ensemble des amendements qui sont déposés dans chacune deschambres. Les propositions qui semblent intéressantes sont encouragées, parfois en étant réécritespar le cabinet, tandis que s’engage une négociation pour faire retirer les plus déraisonnables, parexemple en échangeant un abandon contre le soutien d’un autre amendement ou en faisant éven-tuellement appel au Premier ministre ou au président de groupe pour faire des arbitrages. Ce jeuentre parlementaires et conseillers ministériels est bien cadré, au point que le cabinet peut prévoir,avant même les discussions, un ou deux amendements qu’il offrira aux députés et sénateurs qu’ilveut s’allier :

18 Archives MEDD 398(6).

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« Je prends deux exemples : [untel] à l’Assemblée nationale avec le domaine public flu-vial des collectivités territoriales, c’est quelque chose qui sort directement du cabinet, qu’ilva s’approprier, etc. ; [tel autre] au Sénat avec la reconnaissance des EPTB [Établisse-ments publics territoriaux de bassin], ce sont des trucs que l’on fait ensemble et qu’il vas’approprier. J’ai toujours travaillé comme ca dans les textes, c’est-à-dire que je donne dugrain à moudre à un certain nombre de parlementaires. C’est un échange de bons procédéspour ne pas avoir l’air que tout vienne du gouvernement » (Entretien avec R. Bachelot).

Au final, les compromis résultent du savoir-faire relationnel des conseillers, mais aussi desengagements mutuels et des contreparties avancées de part et d’autre afin d’assurer les bases d’unaccord suffisamment solide pour être maintenu jusqu’au vote.

3.2. Des fiches pour préparer les interventions publiques

Pendant toute la phase de préparation des débats, l’activité du cabinet est principalementtournée vers les acteurs extérieurs du ministère, les parlementaires qu’il s’agit de convaincre et lesreprésentants des groupes d’intérêts dont il importe de contenir les velléités d’amendements. Pourautant, le travail au sein du ministère ne s’arrête pas, qui consiste à préparer la ministre, pour sesauditions par les commissions d’abord, pour les débats en séance ensuite. Les rédacteurs s’attèlentà la rédaction de nouvelles fiches, de manière à couvrir l’ensemble des points qui pourraient fairel’objet de discussions, la question telle qu’elle sera sans doute abordée ou l’amendement déposé,et enfin, les éléments de réponse qui peuvent être apportés. À titre d’exemple, voici un extrait d’unefiche préparatoire pour l’audition de R. Bachelot devant la commission des Affaires économiques,le 14 janvier 2003 :

[Contexte de la question, qui reflète les inquiétudes du rapporteur du Sénat qui a adopté unpoint de vue libéral contre les « réglementaristes » de l’Assemblée nationale] : « Au coursdes auditions qu’il a menées, Joseph Kerguéris [sénateur centriste, rapporteur] a souhaiténe pas voir alourdir le dispositif législatif imposant des règles supplémentaires en matièred’information, tant du public que des salariés, ou encore en ce qui concerne les restrictionsd’urbanisation dans les périmètres délimités autour des sites Seveso II.[Éléments de réponse] :Le projet a été largement concerté avec les industriels. À quelques divergences près, on estarrivé à un texte assez bien accepté.Les mesures ont été concues comme pragmatiques, progressives (cf. délaissement), desmécanismes de financement complexes ont été élaborés, alors qu’il aurait été simple comptetenu des circonstances de désigner un coupable, et donc un payeur. L’industrie aurait bienmauvaise grâce à s’en plaindre.L’enjeu est bien de recréer les conditions de l’acceptation de l’industrie par la population,donc du développement futur de cette industrie. Voir ces dispositions comme des contraintes,c’est voir à court terme19. »

Cet extrait de fiche montre à la fois l’exposition de la question telle qu’elle est anticipée et lesindications données à la ministre quant au ton sur lequel elle peut répondre : le rappel que le projeta été concerté, une petite pique pour les groupes d’intérêt industriel qui « auraient bien mauvaisegrâce à (se) plaindre », montrant que le ministère n’est pas dupe des tentatives d’influence, et enfin,

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un argument raisonnable, qu’un sénateur peut reprendre s’il est interpellé : voir à long terme ! Ilrevient ensuite à la ministre de s’approprier ces fiches, afin de pouvoir participer au débat de faconsereine. R. Bachelot, qui se présente comme « une parlementaire de la vieille école », revendiquecomme une marque de professionnalisme le fait de parler sans note. Elle explique commencerpar lire les fiches fournies pas ses conseillers, qu’elle modifie ensuite dans la forme pour les fairecorrespondre à son vocabulaire et sa facon de parler, avant de les apprendre par cœur lors deséances d’entraînement avec ses collaborateurs :

« Je travaille d’une facon tout à fait particulière, c’est-à-dire que je m’approprie le texte. . .

euh. . . je travaille personnellement, j’écris beaucoup moi-même, c’est-à-dire que je fais mesdiscours, je fais mes notes. Je bâtis des choses. Et ensuite, quand je me suis approprié leschoses, je me mets avec deux ou quatre collaborateurs et je boxe. Je me mets en situation.Et puis il faut que ca aille vite, vite, vite. C a peut durer des heures. Et à la fin, je suis enacier » (Entretien avec R. Bachelot).

Ce travail préparatoire, qui mobilise l’équipe des rédacteurs pendant plusieurs mois, n’est passans faille. La comparaison entre le projet de loi déposé au Sénat au mois de janvier et la loi votéeau mois de juillet montre que le texte a été amendé : des articles ont été vidés de leur substance, desdispositions ont été ajoutées ou retranchées par le remaniement des rédactions initiales, des idéesnouvelles sont apparues (Bonnaud et Martinais, 2013). Néanmoins, les rédacteurs sont arrivés àleurs fins, au prix de modifications jugées sévèrement :

« Quand on écrit un texte et quand on le mature pendant plusieurs mois, on essaie d’ymettre le meilleur de ce qu’on pense et après, c’est très difficile de se mettre dans la peaude l’opposition. Par nature, on ne voit que des modifications idiotes. C’est peut-être pourca d’ailleurs que j’ai un jugement si négatif sur le travail parlementaire : c’est que je n’aitoujours pas réussi à accepter qu’on modifie le texte que j’avais écrit » (Entretien cabinet).

Dans cette dernière phase, les rédacteurs ne sont plus en première ligne, car le Parlement prendson tour dans l’écriture de la loi. Pour autant, le cabinet de la ministre et les fonctionnaires de laDPPR ne restent pas inactifs et cherchent à préserver le projet des interventions parlementairesinopportunes. Les écrits qu’ils produisent alors ont principalement pour but de préparer desdiscours au Parlement, de négocier ou d’acter des engagements protecteurs du texte initial.

4. Conclusion

Le suivi des rédacteurs de la loi Bachelot, depuis l’immédiat après-catastrophe jusqu’au votedu Parlement, conduit à rencontrer de très nombreux écrits, dont la stabilisation constitue unenjeu permanent. C’est le cas de tous les textes intermédiaires qui, passant dans les mains desdifférents contributeurs, sont très largement annotés, complétés, amendés, corrigés, reformulés,avant de trouver leur forme définitive. Recenser les versions successives du projet de loi devientalors impossible : toutes les dispositions ont été modifiées à maintes reprises, à toutes les étapes duprocessus. Cette caractéristique de réversibilité a des conséquences sur le travail des rédacteurs,qui consiste autant à convaincre les autres contributeurs des implications positives du texte enprojet qu’à produire des formulations ayant potentiellement valeur de loi. Il faut trouver desalliés pour travailler efficacement avec son administration quand on est ministre, pour convaincreles ministres quand on est un haut fonctionnaire, pour faire entendre son point de vue lors desréunions interministérielles et, enfin, pour gagner le vote des parlementaires quand on est rédacteurdu texte. Dans ce travail ininterrompu de mobilisation d’acteurs parfois éloignés du secteur des

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risques industriels, les écrits sont une ressource essentielle : ils servent à préparer des discours,construire des argumentaires, enregistrer des arbitrages et donner corps aux décisions. Prenantdes formes différentes, ils circulent sans cesse entre tous les protagonistes et permettent aussibien le partage de l’information que son ajustement aux contraintes de la production du droit.Ils témoignent par ailleurs de rédactions, de choix de mots ou de formules, qui engagent desconceptions parfois très différentes de ce que doit être la loi. On l’a vu à propos de l’articleCLIC, la référence à une tierce ou à une contre-expertise, à un expert ou à une expertise, estl’objet d’intenses négociations, au cours desquelles les acteurs tentent d’évaluer les modalitésd’application des textes qu’il produisent et les marges de manœuvre qu’ils peuvent se préserver.C’est ce travail d’articulation permanent (Strauss, 1988), entre les engagements passés (le discoursde L. Jospin n’est finalement jamais mis en cause publiquement durant tout le processus) et lesscénarios de mise en œuvre que chacun imagine, mais aussi entre les rédacteurs de la loi etl’ensemble de leurs interlocuteurs, qui fait l’essence même de l’écriture législative.

En révélant ce travail d’articulation, l’attention portée aux écrits éclaire d’un jour nouveau lesrelations entre l’administration et le pouvoir politique. Dans ses travaux sur les lawmakers admi-nistratifs, Edward Page met en évidence le degré d’autonomie assez élevé dont bénéficient lesfonctionnaires anglais, souvent jeunes et de grade moyen, pour procéder à l’élaboration des texteslégislatifs. Il indique toutefois que leur travail reste sous contrôle des autorités gouvernementales,selon deux mécanismes distincts : la nécessité d’obtenir une validation politique pour chaquedécision qui implique une modification significative des termes de la loi d’une part ; l’anticipationque font en permanence les rédacteurs des réactions ministérielles d’autre part (Page, 2003). Com-plétant cette analyse, Jacques Chevallier insiste sur la fonction de cadrage de l’administration, unpouvoir limité par les nombreuses interactions que nouent les fonctionnaires avec d’autres acteurs,groupes d’intérêt, ministres, parlementaires (Chevallier, 2011). Si l’approche par les écrits validelargement ces constats, elle conduit en revanche à brouiller davantage la frontière entre les mondesadministratif et politique. Se présentant comme des œuvres collectives et cumulatives, les écritsdu travail législatif se jouent de cette distinction : il n’existe pas d’un côté des écrits administra-tifs et de l’autre, des écrits politiques. Au contraire, les deux ordres de contrainte s’imprègnentprogressivement l’un de l’autre dans des rédactions qui finissent par devenir communes, sans quel’on puisse véritablement distinguer au bout du compte ce qui revient aux fonctionnaires et ce quiappartient aux acteurs politiques. Formés par reformulations et déplacements continus, les textesau fondement de la loi ne permettent donc pas d’identifier un registre technique, qui serait maî-trisé par l’administration, d’un registre politique, dans lequel inscrire les activités des ministres,cabinets ministériels et parlementaires. Et ce d’autant plus que les rédacteurs, quelle que soit leurorigine, procèdent en écrivant à des opérations simultanées de politisation et de technicisation.

Les débats que l’on peut retracer à partir des écrits montrent bien que la politisation n’estpas une catégorie uniforme, même si elle s’appuie systématiquement sur un discours du posi-tionnement politique. S’agissant de l’article PPRT, elle fait référence à des choix d’instrumentsqui s’affichent comme relevant d’une tradition partisane : ainsi le financement tripartite est-ilprésenté comme une mesure protectrice des intérêts industriels, contre les « réglementaristes »qui entendent taxer les entreprises. Dans d’autres situations, la politisation est liée aux relationsentre acteurs politiques et aux équilibres de la majorité gouvernementale. Ainsi, la place des Vertsdans le gouvernement Jospin constitue un critère de jugement qui justifie que soient écartées cer-taines options uniquement parce qu’elles sont présentées par des « rigolos ». On note égalementque la politisation des questions techniques n’est pas seulement le fait des hommes et femmespolitiques, mais que toutes les parties prenantes à l’élaboration de la loi peuvent y recourir. Lesversions successives de l’article PPRT montrent ainsi qu’une disposition comme l’instauration

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des droits d’expropriation et de délaissement peut être présentée comme une mesure de responsa-bilité partagée, dès lors qu’il s’agit de construire de la différenciation politique pour une ministreUMP qui va pourtant au-delà des propositions portées par son prédécesseur Vert. De la mêmefacon, la technicisation n’est pas seulement le fait des technocrates : dans le cas particulier del’article CLIC, c’est le cabinet du Premier ministre qui trouve dans le répertoire administratifun instrument lui paraissant correspondre au besoin d’information des populations riveraines. Lapolitisation et la technicisation peuvent donc s’envisager comme des modes particuliers de règle-ment des questions litigieuses et des problèmes non résolus par le compromis. Car techniciserou politiser un problème conduit toujours à réduire le champ de la négociation possible, voire àexclure de facon irrémédiable certains types d’arguments : par exemple, à partir du moment oùle projet de loi est présenté comme un texte technique qui nécessite un jugement raisonnable,plus rien ne justifie le clivage partisan. Parlementaires de droite et de gauche peuvent donc êtreamenés à s’entendre. A contrario, les dispositions qualifiées d’idéologiques (le fait d’exiger desindustriels qu’ils paient les travaux imposés aux propriétaires par l’adoption d’un PPRT) sontd’emblée discréditées, sans même que soit examinée leur faisabilité technique.

Au final, l’approche par les écrits permet de comprendre que la « volonté du législateur »,souvent évoquée lorsqu’il s’agit d’évaluer la portée ou le sens d’une disposition législative, estmoins le reflet d’un arbitrage politique décisif, d’une nécessité technique, ou l’expression d’unedemande sociale particulière, qu’un assemblage de compromis établis aux différentes étapes duprocessus d’écriture.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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