DUPANLOUP, Anne - Le succès médical et social d’une psychopathologie - l’hyperactivité...

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 dossier 23 Le succ ès m édic al et social d’u ne p sychop ath o- l og i e:l’h yp eractivitéi nf an til e. S’appuyant sur une recherche menée dans le cadre d’une thèse sur La prise en charge médicamenteuse  des enfants diagnostiqués hyperactifs, le présent article se propose de dégager quelques-unes des hypothèses - provisoires - qui émergent au fur et à mesure de cette investigation 1 dans le but de discu- ter quelques aspects de la sociologie de la psychia- trie et du brouillage de la classique frontière entre santé et maladie mentale et son corollaire social : normalité et pathologie. Si l’hyperactivité touche une frange marginale de la population infantile ( estimée entre 3 et 5 % dans les pays occidentaux) , le problème n’en reste pas moins fortement médiatisé et suscite une controverse publique qu’il est nécessaire d’interroger sociologi- quement. L’accroissement d’intérêt pour ce trouble mental n’est t outefois pas uniquement lié à une sur- enchère médiatique : dans les milieux spécialisés, il constitue le trouble infantile le plus étudié. Par ailleurs, malgré toutes les nuances qu’il faut appor- ter aux données épidémiologiques, on assiste à une augmentation effective des prescriptions de psycho- tropes aux enfants déclarés hyperactifs. Dans cet article, après avoir brièvement discuté le point de vue sociologique mis en œuvre dans cette étude, nous procéderons en deux temps : tout d’abord une interrogation sur les critères diagnos- tiques (leur construction socio-historique) et sur le traitement médicamenteux associé à cette patholo- gie infantile nous permettra d’expliquer en partie son succès médical  , puis nous nous pencherons sur les enjeux de la constitution d’un problème de santé publique de manière à comprendre les raisons de son succès social et médiatique. Problème psychiatrique et problématique sociolo-  gique  Précisons en préambule que l e regard sociologique posé ici sur les théories et les actions psycho-médi- cales qui se mettent en place autour de ces enfants insta bles ne cherche pas à évaluer, d’un point de vue clinique, leur validité et leur ef ficacité, mais vise bel et bien à dégager des indicateurs sociologiques au- delà des critères inhérents au champ de la psycho- pathologie qui examine habituellement la question de l’hyperactivité infantile. S’intéresser au Trouble du Déficit de l’Attention  avec ou sans Hyperactivité  (TDA/H, appellation offi- ciellement adm ise à ce jour), c’est se t rouver au car- refour de multiples problématiques : expertise psy- chiatrique, usage des psychotropes, inadaptation scolaire, normes de comportements, mode de régu- lation des multiplicités individuelles, représenta- tions de l ’Enfance, configuration éducative, relations familles-écoles, politiques de prévention, construc- tion des savoirs médicaux et production de tech- niques thérapeutiques, développement des «métiers de l’humain». S’il est évidemment impossible de couvrir de manière exhaustive ces différentes pro- blématiques et de présenter ici les outils concep- tuels qui servent leur analyse, il peut être utile de préciser le point de vue théorique global que nous considérons comme pertinent pour l’ analyse sociolo- gique d’une pathologie psychiatrique. Partant d’un point de vue qualifié de constructiviste  , nous considérons les pratiques diagnostiques et les traitements qui sont associés à l’hyperactivité comme des donnés historiquement construits. Cette perspec- tive conduit à penser une entité psychiatrique comme le produit de logiques et phénomènes par lesquels une société traduit des réali tés sociales en termes de pathologie. Néanmoins, pour éviter l’écueil dépolitisé  toutes l es réalités se valent ») et le ri sque ultra rela- tiviste ( qui poserait le problème comme une réalité sans substrat) auxquels peut conduire une perspecti- ve purement constructiviste, il est essentiel de com- pléter cett e approche par une lecture réaliste  permet- tant de dégager les conditions d’émergence et de légitimation des discours ou des pratiques psychia- triques et de saisir leur impact social. Parler de construction sociale appelle une approche diachronique de la question visant à saisir sa dyna- mique (processus de constitution d’un problème  ). Si le constat sur la polémique qui bat son plein autour des enfants hyperactifs est facile à établir, celui de l’émergence d’une nouvelle pathologie mentale ou carnets de bord n 2  .  2001  .  23-37 1 À l’inst ar de la grounded the ory, c’est dans un travail de  va et vient constant entre le matériel empirique et le  bagage théorique que se définit plus précisément la pro-  blématique et que s’élabore l’analyse. Ce travail étant en  cours, les réflexions présentées ici ne sont pas abouties. Cette note me donne l’occasion d’exprimer toute ma  reconnaissance à A. Ehrenberg, D. Fassin, R. Rechtman dont les travaux et les séminaires - dispensés à l’EHESS en 2000-2001 - ont fortement inspiré l’analyse proposée  ici, ainsi que mes remerciements à tous ceux qui ont  encouragé et soutenu la rédaction de cet article. anne dupanloup  

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    Le succs mdical et social dune psychopatho-logie : lhyperactivit infantile.

    Sappuyant sur une recherche mene dans le cadredune thse sur La prise en charge mdicamenteusedes enfants diagnostiqus hyperactifs, le prsentarticle se propose de dgager quelques-unes deshypothses - provisoires - qui mergent au fur et mesure de cette investigation1 dans le but de discu-ter quelques aspects de la sociologie de la psychia-trie et du brouillage de la classique frontire entresant et maladie mentale et son corollaire social :normalit et pathologie.

    Si lhyperactivit touche une frange marginale de lapopulation infantile (estime entre 3 et 5 % dans lespays occidentaux), le problme nen reste pas moinsfortement mdiatis et suscite une controversepublique quil est ncessaire dinterroger sociologi-quement. Laccroissement dintrt pour ce troublemental nest toutefois pas uniquement li une sur-enchre mdiatique : dans les milieux spcialiss, ilconstitue le trouble infantile le plus tudi. Parailleurs, malgr toutes les nuances quil faut appor-ter aux donnes pidmiologiques, on assiste uneaugmentation effective des prescriptions de psycho-tropes aux enfants dclars hyperactifs.

    Dans cet article, aprs avoir brivement discut lepoint de vue sociologique mis en uvre dans cettetude, nous procderons en deux temps : toutdabord une interrogation sur les critres diagnos-tiques (leur construction socio-historique) et sur letraitement mdicamenteux associ cette patholo-gie infantile nous permettra dexpliquer en partieson succs mdical, puis nous nous pencherons surles enjeux de la constitution dun problme de santpublique de manire comprendre les raisons deson succs social et mdiatique.

    Problme psychiatrique et problmatique sociolo-gique

    Prcisons en prambule que le regard sociologiquepos ici sur les thories et les actions psycho-mdi-cales qui se mettent en place autour de ces enfantsinstables ne cherche pas valuer, dun point de vueclinique, leur validit et leur efficacit, mais vise belet bien dgager des indicateurs sociologiques au-del des critres inhrents au champ de la psycho-pathologie qui examine habituellement la questionde lhyperactivit infantile.

    Sintresser au Trouble du Dficit de lAttentionavec ou sans Hyperactivit (TDA/H, appellation offi-ciellement admise ce jour), cest se trouver au car-refour de multiples problmatiques : expertise psy-chiatrique, usage des psychotropes, inadaptationscolaire, normes de comportements, mode de rgu-lation des multiplicits individuelles, reprsenta-tions de lEnfance, configuration ducative, relationsfamilles-coles, politiques de prvention, construc-tion des savoirs mdicaux et production de tech-niques thrapeutiques, dveloppement des mtiersde lhumain. Sil est videmment impossible decouvrir de manire exhaustive ces diffrentes pro-blmatiques et de prsenter ici les outils concep-tuels qui servent leur analyse, il peut tre utile deprciser le point de vue thorique global que nousconsidrons comme pertinent pour lanalyse sociolo-gique dune pathologie psychiatrique.

    Partant dun point de vue qualifi de constructiviste,nous considrons les pratiques diagnostiques et lestraitements qui sont associs lhyperactivit commedes donns historiquement construits. Cette perspec-tive conduit penser une entit psychiatrique commele produit de logiques et phnomnes par lesquelsune socit traduit des ralits sociales en termes depathologie. Nanmoins, pour viter lcueil dpolitis(toutes les ralits se valent) et le risque ultra rela-tiviste (qui poserait le problme comme une ralitsans substrat) auxquels peut conduire une perspecti-ve purement constructiviste, il est essentiel de com-plter cette approche par une lecture raliste permet-tant de dgager les conditions dmergence et delgitimation des discours ou des pratiques psychia-triques et de saisir leur impact social.Parler de construction sociale appelle une approchediachronique de la question visant saisir sa dyna-mique (processus de constitution dun problme). Sile constat sur la polmique qui bat son plein autourdes enfants hyperactifs est facile tablir, celui delmergence dune nouvelle pathologie mentale ou

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    1 linstar de la grounded theory, cest dans un travail deva et vient constant entre le matriel empirique et lebagage thorique que se dfinit plus prcisment la pro-blmatique et que slabore lanalyse. Ce travail tant encours, les rflexions prsentes ici ne sont pas abouties.Cette note me donne loccasion dexprimer toute mareconnaissance A. Ehrenberg, D. Fassin, R. Rechtmandont les travaux et les sminaires - dispenss lEHESSen 2000-2001 - ont fortement inspir lanalyse proposeici, ainsi que mes remerciements tous ceux qui ontencourag et soutenu la rdaction de cet article.

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    de laugmentation des enfants hyperactifs est autre-ment ambigu, car la dmonstration dune telle nou-veaut ou progression supposerait quil y ait - unmoment donn - un lieu objectivable de la maladiementale. Les limites dune approche historique de lavie subjective nimpliquent cependant pas quil faillerenoncer au regard socio-historique sur les discourset les pratiques qui sinstituent autour de cet objetaux contours insaisissables. Elles obligent toutefois rester vigilant sur les risques dinterprtation ana-chronique et garder lesprit le fait que ltudeeffectue un moment prcis est un arrt sur imagedune problmatique en mouvement, dont il faut pr-cisment prendre la mesure et saisir le moteur. Cesconsidrations posent donc un certain nombre debalises (thoriques et mthodologiques) notre pro-blmatique : plus que le syndrome lui-mme et lef-ficacit thrapeutique, cest lensemble des noncset des pratiques (leur production et leur rceptionsociale) qui constitue lobjet de cette tude. Pour cesdiffrentes raisons, notre analyse ne porte pas uni-quement sur les discours des spcialistes en mati-re dhyperactivit infantile, mais galement sur lesnoncs profanes, publics ou mdiatiques. Lanalysede ces informations disparates ne vise pas distin-guer, en les opposant, les discours scientifiques et lesens commun, mais cherche plutt comprendrecomment sarticulent le contexte social (en termesde demande et de rception) et le champ psychia-trique (ses dispositifs cliniques et thrapeutiques).Ainsi la question nest pas tant dexaminer la vracitdes noncs, mais bien de prendre la mesure des repr-sentations et des arguments que mettent en scne lestmoignages publics et les dbats scientifiques.

    Cest pourquoi, sans nier leffectivit psychosoma-tique du problme et la souffrance quun tel tatengendre, dun point de vue sociologique, la patho-logie mentale est avant tout aborde comme undonn social qui existe objectivement (plus ou moinsformellement institu et lgitim) et subjectivement(reconnu, intrioris, valoris, vcu, ressenti) et quiest fonction : de llaboration dun vocabulaire per-mettant de dsigner un trouble mental, dunenomenclature classificatoire qui le dlimite et le dis-tingue dautres entits morbides, de procdureslgitimes de reconnaissance diagnostique, dinstru-ments de mesure et dvaluation, de dispositifsdcoute des plaintes ou des souffrances exprimes,de structures de prise en charge des cas, ainsi quede tout un univers normatif, symbolique et pratiquequi dpasse le seul champ de la clinique.

    Postulant, linstar dEhrenberg (1998), que lesmanires de raisonner et de dfinir les maladiesmentales sont le reflet des mutations sociales encours, nous verrons que lhyperactivit infantile, nousplonge au cur de larticulation dialectique duchamp psychiatrique (ses modles thoriques et sesdmarches thrapeutiques) et du champ social pluslarge (scolaire, familial, mdical). Nous laurons com-pris, il ne suffit pas de limiter lanalyse la seuleconfiguration des spcialistes de la maladie mentalepour comprendre la dynamique de la construction dessavoirs et des techniques pdopsychiatriques, leursraisons et leur diffusion sociale. Nanmoins, pour laclart de lexpos, nous commencerons par discuterles dispositifs psychiatriques (diagnostics et thra-peutiques) concernant lhyperactivit infantile, dansle but de les mettre en perspective - dans un deuxi-me temps - avec le contexte sociopolitique de leurproduction et diffusion.

    I. Succs mdical dun trouble psychiatriqueinfantile

    Ce qui frappe, tout dabord, lorsquon se penche surle sujet, cest le manque de consensus sur la dfini-tion mme de la pathologie ainsi que limprcisiondes donnes pidmiologiques et tiologiques.Ainsi, le premier constat est celui dun flou concep-tuel qui, non seulement dtonne avec les argumentsplutt arrts de la polmique, mais qui contrastegalement avec le caractre pour le moins dtermi-n de la dcision thrapeutique qui consiste dansnombre de cas prescrire des enfants parfois trsjeunes un driv damphtamine2 dont les effets long terme sont mal connus.

    La psychiatrie infantile dans ses grandes lignes

    Puisquil est impossible de dtailler la mouvance decette entit pathologique, nous nous contenteronsde mettre en regard de manire quelque peu abrup-te deux dfinitions spares par un peu plus dunsicle. Cette mise en perspective nous obligera constater la fois que le problme nest pas nou-veau et en mme temps que la manire de laborderet de le traiter fait lobjet de diffrences notables.Partant de la description de linstable que proposent

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    2 Le mthylphnidate, connu sous le nom de Ritaline etclass comme stupfiant dans le Compendium Suisse desmdicaments, est soumis un certain nombre de prcau-tions dusage. Il semble que lapplication effective de cesrgles de prescription soit autrement plus ambigu queles dcrets thoriques ne le postulent.

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    Binet et Simon (ci-dessous), nous retracerons dansses grandes lignes lmergence dune psychiatrieinfantile et ses principales orientations, de manire discuter la rcente sdimentation de ce troubledans un manuel psychiatrique qui sert aujourdhui derfrence : le DSM-IV.

    Ils ont le caractre irritable, le corps toujours enmouvement, ils sont rfractaires la discipline ordi-naire [...] Ils sont turbulents, bavards, incapables dat-tention... ils tmoignent de mchancet vis--vis deleurs camarades et dindiscipline vis--vis du matre...Le principal ressort de linstable, cest la gamme despenchants gostes (Binet et Simon, 1907, 8).

    Il est videmment ncessaire de situer cette des-cription dans son contexte psycho-mdical dumoment. Relevons tout dabord que Binet, qui diri-geait alors une commission dtude sur lenfanceanormale, cherchait remanier les classificationsnosologiques des alinistes (qui distinguaient cette poque trois types darriration : lidiot, lim-bcile et le dbile) de manire dvelopper une psy-chologie au service de la pdagogie, instaurant dumme coup lide dune ducabilit de ces enfantsanormaux (jusque-l considrs comme incurables).Bien que cela napparaisse pas dans lextrait cit ci-dessus, ce pdagogue - connu aujourdhui pour sestravaux de psychomtrie, prmisses des clbreschelles de QI - a plac, au cur de son ordinationdes dficiences mentales, lintelligence. Cette der-nire va ds lors oprer comme le matre duvredes diffrentes facults dont dispose lesprit (atten-tion, mmoire, imagination, jugement) pour parvenir la ralisation des buts. Dans cette opration, elleleur donne une direction dont la finalit est ladap-tation (Pinell et Zafiropoulos, 1983, 50). Ainsi sedploie une rorganisation des thories sur la dfi-cience mentale qui, instaurant une continuit tho-rique entre normalit et anormalit, donne un carac-tre central aux notions dadaptation et dcart lanorme (conue comme une moyenne). Lexpertisepsychomtrique se voit ds lors assigner lobjectifpratique de distinguer le simple ignorant et le dbi-le, objectif qui carte le danger symbolique que sus-cite leur proximit thorique. Cette expertise quiopre par discrimination autour du concept dintelli-gence, saccompagnera assez rapidement de la mise lcart de linadapt scolaire dans le but de luioffrir des structures dencadrement pdagogiqueparticulires. Cette nouvelle conceptualisation delanormal - inintelligent mais ducable - donne une

    impulsion au dveloppement de lEducation spcia-le, et aboutit la mise en place de dispositifs insti-tutionnels de prise en charge : les classes de per-fectionnement et les classes dadaptations (loi de1909 en France), les classes spcialises ( Genve,ainsi qu lmergence de nouveaux acteurs : lespsychopdagogues.

    Pinell et Zafiropoulos (1983), dans Un sicle dchecsscolaires 1882-1982, relvent avec justesse quelmergence du problme de linadaptation infantileet linstitutionnalisation dune psychologie cliniqueet exprimentale sont troitement lies la mise enpratique de lobligation scolaire. Sinstaure ds lorsun phnomne qui ne cessera de saccentuer au fildu sicle de superposition des prceptes ducatifs etdes critres de catgorisation psychiatriques, phno-mne qui non seulement brouille la frontire entrenormalit et pathologie, mais contribue galement donner une caution psycho-mdicale aux normessociales (nous aurons loccasion dy revenir).

    De manire schmatique, le mouvement dit dhygi-ne mentale qui se dveloppe depuis les annes 50,dont le projet est non seulement pdagogique maisaussi prventif, est tiraill entre des influencesdiverses, parfois opposes : dun ct, sous lin-fluence de la neuropsychiatrie et des dcouvertespsychopharmaceutiques, on assiste une fortemdicalisation des dficiences mentales ; dun autrect, la psychologie gntique (J. Piaget) et lmer-gence de la psychanalyse de lenfant et de ladoles-cent (A. Freud, M. Klein, F. Dolto, D.W. Winnicott,etc.) dynamisent les conceptions de la pathologiementale. Aujourdhui encore, contrairement auxapparences et aux affirmations de certains de sesreprsentants, les connaissances en matire de psy-chiatrie infantile ne se sont pas stabilises et lechamp reste polaris autour de ces deux grandesperspectives (qui vhiculent des thories de lhumainet des modles tiologiques diffrents) : la psycha-nalyse et ses filiations (les approches psychodyna-miques), et la psychiatrie dite scientifique (dorienta-tion cognitivo-comportementale) qui trouve son prin-cipal reprsentant dans lAmerican PsychiatricAssociation (APA)3. Ainsi, les psychopathologies - etlhyperactivit en particulier - continuent dtreapprhendes de manire passablement divergenteselon que les spcialistes se rclament dun courantde pense ou dun autre (en cela, et parce quil sagitde divergences fondamentales, la controverse sur le

  • sujet risque de ne pas spuiser de sitt). La compo-sition de ces courants thoriques distincts est unenjeu primordial de la structuration du champ psy-chiatrique et un des moteurs majeurs de sa dyna-mique. cela sajoutent des traditions institution-nelles et des politiques de sant publique qui diver-gent fortement selon les contextes nationaux4.

    Le DSM dans le champ de la psychiatrie

    Nanmoins, dans ce paysage thorique complexe,trois grandes classifications des troubles mentauxdominent aujourdhui la scne de la psychiatrie mon-diale : la Classification Internationale des Troublesmentaux et des Troubles du Comportement de lOMS(CIM / ICD), le Manuel Diagnostique et Statistiquedes Troubles mentaux (DSM, produit parlAssociation de Psychiatrie Amricaine), LaClassification Officielle Franaise des TroublesMentaux. Force est de constater toutefois que,depuis une vingtaine dannes, la classification am-ricaine sest impose comme base thorique mi-nemment reconnue en matire dhyperactivit infan-tile et quelle sert actuellement de rfrence majeu-re aux prescripteurs de Ritaline (psychiatres, mde-cins gnralistes, pdiatres). Ainsi, sans nier lesdivergences susmentionnes, notre analyse se pen-chera plus particulirement sur la construction de cemanuel diagnostique et statistique des troubles men-taux, le DSM, qui a massivement contribu lobjec-tivation du syndrome, sa dfinition symptomatique, sa lgitimation scientifique, ltablissement dedonnes pidmiologiques sur le sujet. Kirk et Kutchin (1998) proposent une brillante analy-se du triomphe de cette entreprise de classificationdes troubles mentaux mene par lAPA qui a beau-coup uvr ds le milieu des annes 70 pour larefonte complte et la diffusion massive du DSM-III(1980) et ses versions suivantes (DSM-III-R, 1987,DSM-IV, 1994). A cette poque-l, le projet de lAPAvisait rhabiliter limage de la psychiatrie commediscipline scientifique, image alors passablementdiscrdite par le courant antipsychiatrique quidnonait avec vigueur lenfermement asilaire etmettait de srieux doutes sur la validit des critresdiagnostiques alors en usage. Lenjeu tait de taillepuisquil sagissait de faire reconnatre sa pratiquecomme spcialit mdicale part entire, dtreconsigne dans le systme de protection sociale quise mettait en place et de sassurer une position lgi-time dans la mouvance des structures institution-nelles du moment. Il faut dire que llaboration dun

    tel manuel de classification a fortement t stimulepar la politique de sant publique, telle quelle sesttablie aux Etats-Unis (qui a abouti aujourdhui auManagement Care) : en effet, parce quil oblige lesmdecins assigner un diagnostic justifiant touteordonnance, ce systme assurantiel a fortementencourag llaboration de ces nomenclatures noso-logiques, susceptibles de fournir une lgitimit lasouffrance psychique et sa prise en charge.

    Dans ces conditions, la souffrance psychique simpo-se de plus en plus comme llment discriminant (etbrouillant) le pathologique du non pathologique, etfonctionne comme lhorizon de justification desdcrets diagnostiques et des interventions thrapeu-tiques. Limportant nest plus tant de savoir si lindi-vidu consultant est rellement malade, voire dedbattre la validit des catgories nosologiques uti-lises pour dsigner son mal-tre, limportant est deprendre en compte sa plainte et tenter de soulager sasouffrance. Si lon pense que Magendie5, au milieu

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    3 Si la psychanalyse a rvoqu la conception ontologiquede la maladie au profit dune vision globale du malade eta contribu gommer la frontire franche entre le normalet le pathologique, la psychiatrie amricaine, elle, sattle classifier, catgoriser, discriminer les troubles mentaux.De manire extrmement grossire, lapproche psychana-lytique et la perspective physiopathologique se distin-guent sur les points suivants (qui sont des tendances) :alors que la premire met laccent sur lacquis (lappren-tissage, le processus de construction de soi, les interac-tions), la seconde se focalise plutt sur linn (le supportbiogntique et physio-chimique dun phnomne psy-chique) ; alors que la premire tente, de manire plusincertaine, de cerner les processus, la seconde met enlumire des tats ; alors que la premire sintresse las-pect subjectif du problme (lments symboliques etinconscients), la seconde recherche sa dimension objecti-ve ; alors que la premire - discrdite par le scientisme etlempressement vis--vis du changement qui caractrisentnos socits contemporaines - connat un dclin, la secon-de bnficie dune lgitimation scientifique renforce.Malgr une volont proclame darticulation de ces deuxples, cette dichotomie sculaire (base sur le dualismecorps-esprit) persiste structurer les logiques de pense. 4 Lancrage institutionnel et linfluence thorique de lapsychanalyse (qui ne constitue dailleurs pas une colehomogne) nont pas du tout connu un dveloppementanalogue en France et aux USA, par exemple. 5 F. Magendie (1783 -1855) est un mdecin franais, pion-nier de la physiologie exprimentale. Sintressant lac-tion des substances chimiques sur la mlle pinire, ilsera le promoteur de ltude exprimentale des mdica-ments (entre autres les toxiques et lanesthsie), lorigi-ne de la pharmacologie.

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    du XIXe, affirmait que la souffrance des gens nin-tresse pas la science, on ralise lampleur du chan-gement qui sopre : llargissement indit du champdinvestigation de la psychiatrie, qui lon assignedornavant le rle de soccuper de ce que Rechtmanappelle les avatars de la normalit souffrante. En fait, cette nouvelle psychiatrie qui sinstitue dansle dernier quart du XXe reprend en quelque sorte son compte les critiques de lantipsychiatrie,arguant sa volont de dstigmatiser la maladie men-tale, dviter le prjudice social dune interventionpsychiatrique et de dfendre les dmunis ou les mar-ginaux en les faisant reconnatre par le systmeassurantiel en vigueur. Dun point de vue thorique,leffort men pour se dbarrasser des conceptionspjoratives de la psychopathologie aboutit parexemple la disparition - dans le DSM-III (1980) - dela notion de maladie, au profit de celle de troublemental, moins connote et moins stigmatisante.Cette illusoire tentative de neutralisation de lti-quetage psychiatrique sappuie galement sur unargument pistmologique majeur - tout aussi illu-soire - avanc par les auteurs du DSM-III : lempiris-me pur de leur approche et un soi-disant consensusgnralis6 qui suffirait se dbarrasser de toutsoubassement thorique (souvent dnonc commeidologique dans les sciences humaines). Ainsi, lescatgories nosologiques qui mergent ou se redes-sinent au fur et mesure des nouvelles versions duDSM, sont considres par les auteurs, et bonnombre de ses lecteurs, comme tant le produitdune dmarche purement descriptive (lobservationneutre de symptmes), dbarrasse de considra-tions tiologiques. Cette apparente objectivit prag-matique, panache de progressisme, vient justifierla multiplication et la modification des entits noso-logiques (Kirk et Kutchin parlent dune obsolescenceprogramme des catgories diagnostiques). La mou-vance de ces catgories ne serait quun pur refletdes plaintes enregistres et des souffrances expri-mes, qui elles-mmes se modifient dans le tempset en fonction des contextes sociaux. Ainsi, lpin-glage des normes sociales (par dfinition chan-geantes) et leur objectivation dans des catgoriespsychiatriques flexibles, tant considrs comme lersultat dun recensement pragmatique des pro-blmes socialement noncs, dsamorce la critiquedu caractre normatif des critres nosologiques. Parailleurs, dans le but dassurer la fiabilit des dia-gnostics psychiatriques (ce que les pidmiologistes

    appellent la fidlit interjuges) les critres dereconnaissance des troubles se limitent, dans cemanuel, des symptmes comportementaux, facile-ment observables, voire mesurables grce aux outilspsychomtriques (tests, questionnaires standardi-ss, chelles dvaluation) que les chercheurs - sou-vent membres de lAPA - dveloppent paralllement.Cest donc dans un esprit positiviste et selon uneperspective essentiellement behavioriste (contraire-ment lathorisme revendiqu par les auteurs) quese trame cette nomenclature classificatoire destroubles mentaux qui simpose comme rfrencemajeure sur la scne psycho-mdicale internationale.

    Car en effet, cette entreprise de lAPA nest pas res-te confine outre-atlantique : ses innombrablesproductions, qui ont acquis la primaut thoriquedans le domaine de la psychiatrie scientifique, sim-posent de manire hgmonique sur la scne inter-nationale (lAPA est aujourdhui dtentrice de lamajorit des revues de psychiatrie mondialementreconnues), tel point que le DSM tend prendre laplace de la classification des troubles mentaux delOMS7. Si la validit du DSM ne fait pas lobjet dunconsensus, celui-ci nen demeure pas moins de nosjours, un talon de rfrence incontournable ( par-tir duquel les praticiens se positionnent : pour oucontre). Bien que les opposants et autres critiquesde cette nomenclature nosologique sont nombreuxet quils occupent parfois dminentes positions,nous ne pouvons que constater - nen dplaise cer-

    6 Lanalyse effectue par Kirk et Kutchin dans Aimez-vousle DSM, le triomphe de la psychiatrie amricaine, ainsique celle propose par R. Rechtman dans son sminaireEthnicisation de la psychiatrie (EHESS 2000-2001) mon-trent par exemple que la capacit de lAPA intgrer sesopposants dans les groupes de travail du DSM vise plus dsamorcer la critique dune orientation thorique partia-le qu leur offrir la possibilit effective de faire valoir leurpoint de vue critique.7 Depuis la parution du DSM-III, au dbut des annes 80,qui tmoignait dj dun effort darticulation avec la CIM-9 (classification de lOMS, 1977), les liens entre ces deuxrfrences semblent stre resserrs et le sens de lin-fluence invers, du moins dans le domaine des troublesmentaux. En effet, la dernire nosographie de lOMS(CIM-10, 1992) cherche explicitement se rapprocher dela classification amricaine (le DSM-III-R, paru en 1987) et rendre compatibles ses critres de classification. Ilserait mme prvu que la 11e rvision de la CIM deviennepurement et simplement la version ratifie par lOMS duDSM-V en cours dlaboration.

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    tains - que le DSM est la source thorique de lgiti-mation la plus voque par ceux qui usent aujour-dhui de la notion dhyperactivit infantile et parceux qui prescrivent de la Ritaline8.

    Le Trouble du Dficit dAttention / Hyperactivit(TDA/H) dans le DSM-IV

    Cette brve prsentation des caractristiques duDSM permet de mieux comprendre la logique socialeet les principes pistmiques qui ont prsid lauto-nomisation de la catgorie Trouble du DficitdAttention / Hyperactivit (TDA/H) et sa dfinitioncritrise dans le DSM-IV. La symptomatologie dutrouble fait tat de 3 types dinstabilit : le dficitdattention (instabilit mentale ou cognitive), lhyper-activit (instabilit motrice), limpulsivit (instabilitmotionnelle). Sans entrer dans le dtail des change-ments qui ont affect le regroupement de ces symp-tmes, nous relverons nanmoins que le problmede lattention sest progressivement impos commecentral, au dtriment de linstabilit motrice relgue la priphrie dans le DSM-IV9. Le lecteur trouveraen annexe de ce texte, la liste des critres diagnos-tiques retenus dans la dernire version du DSM.

    Par rapport la description propose par Binet audbut du sicle, ce qui frappe dans celle du DSM-IV(cf. annexe), cest la fois laffinement des critresdiagnostiques (le dtail des situations voques),leur largissement (dans le sens o ils peuventconcerner la plupart des jeunes enfants) et surtout lefait de consigner les normes scolaires ou les fac-teurs contextuels comme faisant partie des symp-tmes psychologiques. Si lcart la norme estomniprsent du fait de la constante comparaison auniveau de dveloppement pour un ge donn, celui-ci est suppos tabli et connu, sans tre pourtantjamais explicit. En mme temps, cette rfrence la norme est nonce dans un langage - en appa-rence - moins moraliste que les termes utiliss parBinet (dont certains : rfractaires, mchancet,gosme, supposent lintentionnalit de lenfant).Par ailleurs, ladverbe souvent qui apparat quasi-ment dans chacune des descriptions symptoma-tiques tmoigne de lambigut de lvaluation qua-litative et de la difficult pondrer la gravit de ladiffrence comportementale (pour les ducateurs etles spcialistes qui remplissent des questionnairesdvaluation diagnostique). En fait, lide dinadap-tation, donc dinadquation entre un comportementindividuel et des attentes contextuelles - temporel-

    lement scande par sa correspondance avec desstades de dveloppement (implicitement admis) -opre comme objectivation du concept de fonction-nement social normal. Le DSM fonde dailleurs toutesa classification sur cette ide quune souffrance, untrouble ou un problme sont reconnus comme clini-quement significatifs lorsquil y a altration dufonctionnement social ou professionnel (DSM-IV,1996, 8), ce qui contribue brouiller les frontiresentre handicap social et handicap psychiatrique.Dans ce processus, sinstaure un rapport dvidenceentre linadaptation sociale - conceptualise commegne fonctionnelle -, la souffrance psychique et letrouble psychiatrique. Comme nous aurons locca-sion de le voir plus loin, ce lien direct et systma-tique est notre avis troitement li un ordremoral et une politique de la responsabilit (cristal-liss dans la figure du malade ou du normal neuro-psychologiquement troubl), propres aux socitsdmocratiques contemporaines.

    Lanalyse de ce processus de rification del(in)adaptation sociale montre quen intgrant dansses catgories nosologiques des lments ext-rieurs (des normes sociales, un ordre moral, des pro-blmes lis aux conditions scolaires et la vie urbai-ne), le champ de la psychiatrie infantile rpond unedemande sociale qui dpasse de loin la questionmdicale. Lentit psychiatrique apparat donccomme un indicateur sociologique double titre(correspondant deux moments de sa constitution) :lors de llaboration des nomenclatures psychia-triques, on assiste un processus dintgration etdobjectivation dun ensemble de normes produites

    8 Il faut dire que les psychanalystes (et les approches psy-chodynamiques) ont longtemps ignor lhyperactivitcomme entit autonome, la considrant plutt comme unsymptme parmi dautres dune pathologie plus large(dpression, nvrose, tats limites...). Face lindniablepublicit du DSM et au succs mdiatique de cette cat-gorie nosologique, il semble que les reprsentants de cescoles, enjoints de rhabiliter leur conceptualisation,commencent se pencher sur la question. Ainsi, nousinterprterons la rcente publication dun ouvrage franaissur le sujet (Lhyperactivit infantile : dbat et enjeux, ss.Dir. de J. Mnchal, Dunod, Paris, 2001 - prfac par R.Miss, professeur mrite de la psychiatrie de lenfant etde ladolescent), qui apparat comme une sorte de contre-pied thorique oblig.9 Dans la version prcdente : le DSM-III-R (1987), cetrouble porte le nom de : Trouble de lhyperactivit avecdficit de lattention.

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    lextrieur de ce champ psychiatrique (en cela, uneanalyse smiologique des symptmes peut nousinformer sur le seuil mouvant et arbitraire de la(la)normalit; puis dans un deuxime temps, cesnormes ds lors subjectives et naturalises, que lechamp clinique a dot dun label mdical et scienti-fique, sont rintroduites dans le monde social (ilsagit de voir comment, et quel escient).

    La consquence majeure de cette superposition desnormes psychiatriques et des donnes contextuellesest que la teinte sociale des normes de comporte-ment sestompe au profit de leur psychologisation,ce qui nest pas sans effets sur le type de prise encharge mis en place ; car une traduction mdicaledun dysfonctionnement social engendre une inter-vention tout fait diffrente quune conceptionsociale (et/ou psychodynamique). Comme nousallons le voir, il semblerait que le raisonnement parla pathologie offre, de nos jours, une marge dactionplus grande quune vision sociologique de linadap-tation (apparemment embourbe dans un profondfatalisme).

    Il est donc temps de se pencher sur la prise en char-ge thrapeutique des enfants diagnostiqus hyper-actifs. Suivant une voie initie par Ehrenberg dansson tude sur la dpression (1998), cest par la mol-cule prescrite que nous allons maintenant aborderce trouble aux contours flous. Dans le cadre de cetarticle, nous nous intresserons essentiellement ladtermination progressive de lindication de laRitaline pour le traitement du TDA/H. Sans ignorer lefait que lenfant hyperactif est gnralement pris encharge de manire multimodale10, cette focalisationsur la chimiothrapie se justifie dune part, parceque lefficacit de la Ritaline parat tre un facteurexplicatif important de lvolution rcente de cettecatgorie nosologique, de son succs mdical maisaussi social, et dautre part, parce que ce produit estau cur de la controverse mdiatique sur le sujet.

    Un produit tonnamment efficace

    La prescription du mthylphnidate (terme gn-rique de la Ritaline, driv damphtamine) auxenfants prsentant des problmes de comporte-ments (Behavior Disorder) nest pas nouvelle : lafin des annes 50, un certain nombre darticles am-ricains en font dj tat. Nanmoins, cettepoque, lusage dun tel produit auprs des enfantstait exceptionnel, dordre exprimental et rserv

    aux cas graves (les enfants en institution). Le syn-drome hyperkintique tait alors dj voqu, maisil ne constituait pas encore lindication par excellen-ce de ce mdicament. Cette molcule, dcouverte aumilieu des annes 40, a connu une extension nonlinaire de son indication et de fortes diffrencesinternationales. Quoi quil en soit, compte tenu delobsolescence des critres diagnostiques qui limitela comparaison diachronique des donnes pidmio-logiques sur le sujet, nous partirons du simpleconstat dune augmentation effective de la prescrip-tion de Ritaline ds les annes 60 et dun largisse-ment de la population concerne, que lon estimeaujourdhui slever - selon les sources - entre 5 et20 % des enfants amricains scolariss (donc int-grs dans un cursus dit normal). Notons, ce propos,que lAmrique a une exprience bien plus tablieque lEurope en matire de consommation infantilede psychostimulants. Depuis la dcouverte, par lelaboratoire Suisse Ciba-Geigy (aujourdhui Novartis),du mthylphnidate dans les annes 40, la grandemajorit de sa production est dailleurs coule surle march outre-atlantique11 . Or, lvolution de saposologie semble dnoter certains anachronismes,si lon considre la construction tardive des catgo-ries diagnostiques pour lesquelles il est aujourdhuiprescrit et leur mouvance.

    Sans entrer dans les dtails de lanalyse, il est pos-sible de dgager, depuis une trentaine dannes,deux mouvements thoriques distincts : dun ct,une explication de plus en plus fine de leffet decette molcule chez les enfants ; de lautre, lauto-nomisation dune entit nosologique par un regrou-

    10 Les types de prises en charge psychothrapeutiques deces enfants sont multiples et diversifis : thrapies com-portementales, psychomotricit, orthophonie, aide psy-chologique familiale, conseils ducatifs lentourage(scolaire et familial), relaxation, exercices dattention, bio-feedback, techniques dauto-instruction et de renforce-ment. Certains estiment par ailleurs quun rgime alimen-taire visant liminer les phosphates aurait fait sespreuves dans le traitement de lhyperactivit. 11 Ainsi, les Etats-Unis constituent un terrain privilgipour qui cherche expliquer la sociogense de cette psy-chopathologie et son traitement mdicamenteux. Pourmesurer lampleur de cette diffrence internationale, ilfaut savoir quen France le produit na obtenu son autori-sation de mise sur le march quen 1996 (si les Amricainsont un rapport presque traditionnel aux stimulants, lesFranais, eux, ont une consommation beaucoup plus le-ve de neuroleptiques).

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    pement de symptmes caractristiques de plus enplus prcis. Le consensus aujourdhui tabli autourde la posologie du mthylphnidate - actuellementreconnu comme tant le mdicament par excellencesusceptible de traiter lhyperactivit infantile -tmoigne dune adquation quasi parfaite de cesprocessus explicatifs. Les essais thrapeutiquestant antrieurs la construction de lentit patho-logique (et ses critres diagnostics) qui sest impo-se depuis comme indication premire du mdica-ment, nous posons lhypothse que lusage de laRitaline, son efficacit thrapeutique et lexplicationde son mode daction a particip la gense decette pathologie infantile ou, pour tre plus exact, lvolution rcente de sa dfinition diagnostique etsa cristallisation dans le DSM-IV (1994).

    Dans le registre de la sociologie des sciences, cetteassertion nous autorise penser que les dcou-vertes mdicales, tant nosologiques que thrapeu-tiques, ne suivent pas la logique gnralement(peut-tre navement ?) admise qui voudrait que lonrecherche, conformment au principe dexprimen-tation, un traitement pour soigner une pathologiedonne. Lhypothse inverse, selon laquelle lentitnosologique TDA/H a t remanie pour rpondre leffet thrapeutique dun psychotrope, parat tre laplus pertinente dans le cas de lhyperactivit infanti-le12. Sans avoir lespace ici pour justifier cesrflexions, nombreux sont les lments qui permet-tent daffirmer que lusage clinique de ce psychosti-mulant a jou - et joue encore - un rle non ngli-geable dans : lorganisation thorique du TDA/H(dont les dfinitions saffinent chaque nouvelleversion du DSM), son autonomisation par rapport dautres troubles (condition dun diagnostic diffren-tiel, donc dune prescription mdicamenteusecible), llaboration des pronostics (qui tendent chroniciser le trouble) et lorientation des interprta-tions tiologiques.

    Parce que la Ritaline amliore (chez les 3/4 dessujets traits), quelques heures aprs la premireprise, les symptmes jugs problmatiques (favori-sant la concentration, le contrle de limpulsivit etdiminuant lagitation motrice), son efficacit, rapide-ment visible et massivement reconnue, est bien sou-vent voque comme argument de validit de lenti-t nosologique et comme preuve de la prsence dusyndrome13.

    Alors que la plupart des spcialistes admettent que

    les causes du TDA/H ne sont pas connues et que lonne peut dissocier les lments biogntiques et lesfacteurs psychosociaux (conception de la maladiequAronowitz (1999) qualifie dholiste) lefficacit decette substance et la connaissance que nous avonsde son action sur les neurotransmetteurs sembleentriner limputation dune cause essentiellementneurobiologique ce trouble infantile (conceptionontologique de la maladie, chez Aronowitz). Leffetquasi miraculeux de la Ritaline et la confiance accor-de aux prescripteurs - car le milieu mdical bnfi-cie dune solide lgitimit scientifique - donne unecaution forte aux hypothses tiologiques qui met-tent laccent sur la structure chimique des cellulesnerveuses ou sur les fonctions excutives crbralesresponsables de lorganisation et du contrle com-portemental (vinant du mme coup la dimensioncontextuelle du problme).

    Ainsi nous soutenons lhypothse que larrive despsychotropes sur le march, et surtout leur efficaci-t, a non seulement contribu sceller la validitdiagnostique de lentit TDA/H, mais a galementfavoris lancrage dune vision neurophysiologique -pourtant admise comme rductrice - des comporte-ments socialement inadapts. Cette naturalisationdu problme vient certifier, en retour, la lgitimitdes chimiothrapies qui se gnralisent en dpit delincertitude concernant leurs effets secondaires, aupoint de supplanter parfois les approches psychoth-rapeutiques ou ducatives (cest du moins la tendan-ce qui se profile aux USA14), dont les effets courtterme sont moins notables et le cot plus lev.

    Dans ce dbat autour de la lgitimation dune patho-logie et de son traitement, lindustrie pharmaceu-tique est videmment partie prenante. Notons aupassage que cette dernire finance non seulement

    12 A. Giami, dans un colloque sur le gouvernement descorps (Paris, fvrier 2001), propose une analyse sur lesmdicaments et la sexualit (en loccurrence le Viagra)qui soutient galement lhypothse quune dfinition nou-velle de limpuissance masculine a merg dans le but delgitimer lusage dun mdicament et son remboursement.13 Dun point de vue scientifique pourtant, on a montrdune part, que cette molcule avait galement un effetchez les sujets normaux, et on admet dautre part, que larelation entre le mcanisme par lequelle le mthylphni-date agit au niveau mental et comportemental de lenfantet ltat du systme nerveux central nest de loin pas lu-cide. (voir Compendium des mdicaments 1999 :www.kompendium.ch).

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    lAPA mais galement certaines associations passa-blement actives dans la diffusion de linformationconcernant ce trouble infantile et dans la publicitdu traitement qui laccompagne. Relevons gale-ment que la vente de Ritaline ramne Novartisplus de 240 millions de francs suisses par an et quily a tout lieu de penser que ce march a un bel ave-nir devant lui15. Ainsi, sans tomber dans une concep-tion machiavlique qui postulerait de manire sch-matique que cette entit diagnostique a t inven-te pour vendre un produit, nous ne pouvons nier lerle fondamental jou par lindustrie pharmaceu-tique dans la diffusion de cette pathologie et sapublicit. Le facteur pharmaceutique nest toutefoispas suffisant pour comprendre laugmentation desprescriptions de Ritaline aux enfants diagnostiqushyperactifs, dautant que dans le mme temps uneforte mfiance lgard des amphtamines sestdveloppe, suite la dnonciation alarmante durisque de dpendance (physiologique et/ou psycho-logique) que leur consommation peut entraner.

    II. Succs social dune pathologie et de son trai-tement

    Si lanalyse jusquici propose visait comprendrele processus de mdicalisation de linadaptationinfantile, il convient maintenant de considrer lim-pact social de cette naturalisation du problme,dans le but de dgager les enjeux politico-sociaux decette clinique des inadaptations infantiles (pourreprendre un concept de Pinell et Zarifopoulos,1983). Car si la thrapie chimique est mdicalementefficace, elle lest aussi socialement, dans la mesu-re o elle rpond de multiples attentes sociales,comme le montrera lanalyse succincte de la contro-verse - largement mdiatise - sur le sujet.

    Plaintes sociales et souffrance psychique

    Comprendre le succs social de lhyperactivitimplique de faire un dtour par lanalyse desplaintes qui amnent les parents consulter pourleur enfant. La plainte des adultes qui entourent len-fant tant lorigine de la prise en charge thrapeu-tique, il est intressant de voir de qui elle maneconcrtement, quels en sont les motifs, dans quellescirconstances et dans quel but elle sexprime. Pource faire, nous nous appuierons sur quelques entre-tiens effectus auprs de personnes concernes(parents, enseignants, psychologues), la participation diverses confrences sur le sujet et la lecture dedocuments mdiatiques (presse, sites Internet,

    forums de discussions). Cette analyse des argumentsde la ngociation nous permettra de questionner,dune part, le regard des ducateurs (leur seuil detolrance) qui conduit au dcret dhyperactivit et,dautre part, les motivations dun traitement mdica-menteux dont on connat mal les effets long terme.

    Lcole est un acteur central dans le reprage et lesignalement des enfants hyperactifs. Ce sont biensouvent les enseignants qui suggrent (de manireplus ou moins imposante et menaante) aux parentsla ncessit dune intervention psycho-mdicale,arguant le caractre ingrable de ces enfants ausein du groupe-classe. Pour convaincre les parentsrticents, la menace dexclusion de lenfant du cur-sus scolaire normal est gnralement brandie et ce,pas tant pour des questions de potentiel intellectuel,que pour des raisons dordre comportemental. Laquestion de lintelligence, dont nous avons vu quel-le tait au cur de la conceptualisation de Binet,sest fortement dplace dans la clinique de lin-adaptation qui se dessine autour du TDA/H : eneffet, les discours actuels sur les enfants hyperactifsmettent prcisment laccent sur le fait que leurinadaptation na rien voir avec leur intelligence -parfois au-dessus de la moyenne16 - mais est essen-

    14 Nous avons vu plus haut que la polmique autour dutraitement mdicamenteux de lhyperactivit qui envahitdepuis quelques annes seulement la scne mdiatiqueeuropenne, a merg il y a plus de vingt ans outre-atlan-tique. Analyser les enjeux de son dnouement est un rv-lateur intressant mais limit de ce qui pourrait se profi-ler ici dans les annes venir. En effet, cette exprienceamricaine, qui est constamment mise en scne dans lacontroverse qui anime actuellement lEurope, sert deuxargumentations opposes : dun ct lidal amricainprocure une solide confiance (la consommation de psy-chostimulant tant une pratique courante, les Amricainspossderaient des connaissances solides et un recul suf-fisant pour dsamorcer la rsistance au produit taxe ducoup de conservatrice), de lautre la rfrence outre-atlan-tique sert de repoussoir (dans ce cas, le progressismeamricain est prsent comme une drive dangereusedont il faut se mfier).15 Sans entrer dans les dtails, mentionnons la tendance prenniser le trouble au-del de ladolescence (qui vaprobablement de paire avec labandon de lexplication delaction de la Ritaline en termes deffet paradoxal chez lesenfants) et le dbat, lanc aux Etats-Unis, sur lhyperacti-vit des adultes qui pourraient galement bnficier duntel produit. 16 Il arrive mme que des figures de gnie (Mozart,Einstein...) soient associes ce trouble (voir site Hypsos- Hyperactivit SOS - par exemple : www.hypsos.ch).

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    tiellement la consquence de leur instabilit (cogni-tive, affective et motrice). Ainsi, si la question delintelligence na pas disparu de la rhtorique surlinadaptation scolaire, elle est aujourdhui voquedans un but distinctif : lgitimer la recension des dif-ficults comportementales de ces enfants commecliniquement significatives, tout en leur attribuantun potentiel intellectuel normal.

    Lanalyse smiologique des caractristiques de cettepsychopathologie infantile montre quelle est unemanire de mettre en jeu - sur la scne mdicale etle ton de lvidence - des comportements sociale-ment perus comme inacceptables et intolrables17.Il est clair que les difficults de concentration, lagi-tation physique, limpulsivit apparaissent commeparticulirement handicapantes dans un contextequi valorise la pense scolastique, le travail intellec-tuel, la matrise de soi, lharmonie (le non-conflit) etla sdentarit. Que linstabilit infantile fasse pro-blme aujourdhui est non seulement fonction ducorpus culturel (lensemble des prceptes ducatifs,des normes, des exigences sociales, le seuil de tol-rance et lconomie psychique des adultes) qui sim-pose lenfant ds son jeune ge, mais est gale-ment rvlateur dun rapport au temps marqu parune impatience certaine. Nous pensons que linqui-tude vis--vis de la stabilit psychique (individuelle)se pose avec plus dacuit dans un contexte devenuinstable du fait de lacclration du changementsocial (qui creuse le foss intergnrationnel), dellargissement du champ des possibles et de las-souplissement (apparent) des modes de rgula-tion18. Or une culture aussi flexible, qui par ailleursadmet la continuit entre pathologie et normalit,incite un souci de prvention prcoce accru.

    Si lon considre que dans le cas de lhyperactivit laplupart des pronostics admettent que les symp-tmes sattnuent avec le temps et ne se prolonge-raient lge adulte que dans un tiers des cas, onpeut stonner de la prcocit des chimiothrapiesqui simposent parfois ds lge de 6 ans et se pro-longent sur plusieurs annes, en dpit des effetsincertains dune consommation long terme de psy-chostimulants sur des cerveaux en plein dveloppe-ment. Ce hiatus dans lapplication du principe deprcaution relve notre avis de cette attentionomnisciente, perptuelle mise en examen, arme duregard et du savoir qui, parce quelle contrle dansles moindres dtails de leur vie, ces tres en devenirpour sassurer de leur bonne intgration, finit par

    rendre extrmement pointus, suspicieux, intransi-geants, impatients peut-tre, mais aussi prvoyants,les regards ducatifs (scolaires et familiaux) et leslogiques daction (dispositifs de contrle) qui lesaccompagnent. Ainsi, au-del des discours sur la libert individuelle,lautonomie, le bien-tre et lpanouissement, nouspensons que les nouvelles pdagogies, le dveloppe-ment de la psychiatrie infantile (et les sciencessociales en gnral) contribuent faire de la viesociale un grand laboratoire o lobservation vigilan-te de chaque individu, sa catgorisation permanente,son volution contrle cherchent prvoir lavenirincertain de la vie collective (par la connaissance dela vie individuelle). Laccumulation de ces savoirsfournit des lunettes nouvelles et lgitimes qui modi-fient les reprsentations de lhumain en devenir et lapossibilit dagir sur son dveloppement (construc-tion identitaire). Il est notre avis indniable que lapublicit faite lhyperactivit (et la mdiatisationdes psychopathologies en gnral), vient affter lesregards des ducateurs en leur offrant de nouvellesgrilles de lecture de la normalit comportementale eten multipliant les figures de vulnrabilit.

    Ce reprage prcoce implique de multiples ngocia-tions entre les diffrentes instances ducatives gra-vitant autour de lenfant scolaris, dont les relationssont complexes, plus ou moins orientes, teintesdopposition ou de collaboration, de concurrence oude partenariat. Comme nous lavons montr dansune tude sur La place du psychologue dans le sys-tme scolaire (1998), la problmatique du partagedes actions ducatives intervient de manire centra-le dans la dfinition, la dsignation et la gestion desenfants problmatiques. Lanalyse de la configura-tion des agents ducatifs, la ngociation de leur

    17 Ce constat ne peut que nous ramener aux travauxdElias, qui a prcisment ouvert la voie ltude des liensentre sociogense et psychogense, pour montrer ladimension sociale et historique de lconomie psychique,des seuils de tolrance, de la subjectivit.18 Quon ne sy trompe pas : ces assertions, sur la flexibi-lit des institutions traditionnelles ou le desserrement desstructures dappartenance et des modalits de pouvoir,rfutent la conclusion trop souvent avance dune dsins-titutionnalisation massive de nos socits, car la libra-tion de lindividu ne le dispense pas des contraintessociales (et il ny a pas lieu de penser que leur niveaudexigence ait baiss) et parce que - comme le montre A.Ehrenberg dans lindividu incertain (1995) - cest lindivi-dualit qui sest institue en lieu et place de lapparentedcontraction du conditionnement social.

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    position respective et de leur pouvoir de dcision -que nous ne pouvons dvelopper ici - nous amne soutenir lhypothse quun rseau de plus en pluslarge de gens forms professionnellement et spcia-liss dans certains domaines (pdopsychiatres,mdecins, psychologues, assistants sociaux, duca-teurs, etc.) vient agrandir le banc des agents duca-tifs officiellement dsigns pour soccuper desenfants19. Dans cette nouvelle configuration, lesexperts de lhumain se multiplient et sinstituent,arguant que leur action vient soutenir ou combler leslacunes des agents ducatifs traditionnels (lcole etla famille) ; ce qui nest pas sans affecter les rap-ports entre sphre prive et sphre publique.

    Lanalyse des arguments de la ngociation qui se joueentre ces diffrents acteurs (lcole, les familles, lespdopsychiatres, les associations de reprsentantsdes patients) au sujet des enfants hyperactifs est unrvlateur particulirement prolixe des enjeux decette clinique de linadaptation. Nous lavons dit, lesenseignants sont enjoints au dpistage des enfantsqui prsentent prcocement des signes dinadapta-tion et leur regard, dot doutils psychomtriques, estde plus en plus pointu en matire de psychopatholo-gie. Il nest pas anodin de constater que les associa-tions de dfense de parents denfants hyperactifs, quisont particulirement actives dans la diffusion decette notion, revendiquent une meilleure formationdes agents scolaires sur le sujet, dans le but de favo-riser un reprage prcoce20. Si les enseignants nesont pas habilits poser un diagnostic, ils sontnanmoins susceptibles dorienter les parents versune prise en charge psycho-mdicale ou dexiger auminimum un bilan psychologique, voire de suggrerlexistence de ce syndrome psychiatrique21.Nombreux sont les tmoignages qui montrent que lesagents scolaires sont bien souvent lorigine de laplainte conduisant au signalement de ces enfants etquils ont un rle central dans la diffusion et lusagede cette catgorie psychiatrique, dont nous avons vudailleurs que ltablissement des symptmes esttroitement li aux normes scolaires. Lchec scolaire (effectif ou anticip) - qui a pris denos jours une couleur majeure sur la palette desrisques dexclusion sociale encourus par les individusen devenir - est la raison premire qui conduit audcret dhyperactivit et sa prise en charge thra-peutique. La plupart du temps la rhtorique autour delexclusion scolaire est taye dun autre argumentimportant, puisquil fonctionne, nous lavons vu,comme horizon de lgitimation de lintervention psy-

    chiatrique : la souffrance de ces jeunes patients ; etplus prcisment celle encourue par leur diffrence(cest du moins les sentiments qui leur sont attribus,puisque leur point de vue est gnralement mdiati-s par la parole des adultes). Dans le cas de lhyper-activit, la souffrance soulage par la prise en char-ge thrapeutique nest donc pas celle cause par lesyndrome lui-mme, mais celle engendre par lesconsquences sociales des symptmes : en loccur-rence, un ensemble de comportements inadapts.

    Lautorit dsincarne et la souverainet du corps

    Lautre argument qui apparat de manire rcurrentepour rendre raison dune consultation pdo-psychia-trique ou dune prescription mdicamenteuse, cestcelui de la souffrance des parents qui se disent lit-tralement puiss par leur enfant, dsaronnsface la situation, impuissants et rongs par la cul-pabilit. Ainsi, sans nier le dsarroi quengendre lediagnostic dhyperactivit, familles et psychiatresracontent le soulagement que peut reprsenter, pourcertains parents, un tel dcret. Lannonce de la mala-die viendrait dsamorcer la peur ou laccusationdtre de mauvais parents. Ces ractions rvlentune reprsentation tiologique sous-jacente parta-ge - dont nous avons vu quelle ntait pas dmon-tre scientifiquement - savoir lorigine neurophy-siologique de ce trouble mental. En effet, alors quede nombreux bilans psychologiques mettent enquestion le contexte familial et raisonnent les symp-

    19 Cette division du travail ducatif donne une certaine invi-sibilit et inconsistance au pouvoir et permet aux agents dese dgager de la responsabilit - culpabilisante - de cetexercice coercitif, fortement dnonc dans notre socitpuisquantinomique de lidologie de la libert du sujet.20 Genve, par exemple, le Service Mdico-Pdagogique(instance du Dpartement de lInstruction Publique, char-ge deffectuer, entre autres, les bilans psychologiquesdes lves inadapts) dobdience psychodynamique tenteplutt de freiner la vulgarisation de cette notion, par crain-te dun usage abusif, arguant que le diagnostic clinique nepeut tre pos par des non-spcialistes. Ces diffrends ontconduit lassociation Hypsos dposer une ptition contreles pratiques du SMP, devant le Conseil dEtat, ptition quina pas abouti, mais partir de laquelle il a t formelle-ment admis que les enseignants se devaient dtre mieuxinforms sur cette pathologie.21 Pour avoir interrog quelques tudiants en formation sedestinant lenseignement primaire Genve, sur leurconception de lhyperactivit, on peut stonner de leurrponse pour le moins radicale : lhyperactivit infantileest une maladie qui se soigne avec un mdicament appe-l Ritaline.

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    tmes de lenfant comme des ractions symboliquesen lien avec une situation affective et relationnellesingulire, lhyperactivit infantile voque plutt untat neurobiologique donn, quasi-indpendant deces donnes contextuelles. Cette dculpabilisationdes parents est la preuve que le processus de natu-ralisation de linadaptation sociale et son codagepathologique sont enracins dans les mentalits etquils fonctionnent efficacement.

    Lancrage de cette reprsentation sexplique gale-ment par le fait quelle saccorde avec lidal de lin-nocence infantile qui a cours dans notre socit.Nombreux sont les discours (profanes et spcialiss)sur les enfants hyperactifs qui tentent explicitementdamender lide dune conduite dlibre de len-fant et de rectifier, par exemple, linterprtation deson manque dapplication comme tant de la pares-se ou le rsultat dun refus volontaire. Ainsi, lusagede la pathologie comme cause de comportementsintolrables vhicule une figure singulire dudviant : non pas coupable dune action conscienteou intentionnelle (il ne sagit plus de mchancet,comme chez Binet, ni de raction inconsciente etsymbolique, comme pour la psychanalyse), mais vic-time ; un type particulier de victime : celle qui est enproie ses gnes et son fonctionnement neuro-psychologique, et non pas celle qui subit un prjudi-ce ou une injustice sociale. Cette focalisation sur lecorps (dficitaire ou instinctif) jette un voile de silen-ce sur lauteur de laction : lenfant qui nobit pasnest plus peru comme sujet agissant, ses actes nesont plus interprts comme lexpression duneraction contextualise ; elle dsamorce du couplinterrogation sur lintentionnalit de celui qui nefait pas lien. Cette conception organiciste de lindi-vidu souverain, propritaire de lui-mme (quin-carne la figure de lenfant roi, ou lide de lautono-mie infantile), viendrait en quelque sorte allger,lorsque lchec ou lexclusion menace, le poids de saresponsabilit personnelle. Par ailleurs, cette repr-sentation permet la reconnaissance dune transmis-sion intergnrationnelle et dun lien de filiationentre parents et enfants galement dnus dinten-tionnalit, puisque dans le dbat sur lhyperactivit,laccent est mis sur un apport gntique (fonction-nement inn) et non sur lhritage culturel et symbo-lique (comportements acquis).

    Ainsi, la mdicalisation des difficults scolaires(contrairement la psychologisation, qui contient en

    filigrane lnonciation de la responsabilit familiale,voire celle de lenfant comme agent m par uneintentionnalit symbolique) favorise lentente entreles diffrents acteurs concerns par le problme, quisallient autour dun noble combat : aider lenfant sintgrer, tout en respectant son autonomie. Endsamorant le jeu dimputation de la responsabili-t, la pathologie permet de reconnatre le problmeet de le prendre en charge, tout en mnageant lessusceptibilits interpersonnelles et en vitant lesconflits. Mais plus encore, cette traduction mdica-le des comportements inadquats non seulementpargne le systme normatif luvre et la gestiondes contraintes ducatives dune quelconque remiseen question (concernant par exemple son degrdexigence et ses modalits daction) mais en plus lerifie en le crditant dun label scientifique quasiintouchable pour les non-spcialistes.

    Il serait toutefois limit de ne voir dans le processusde mdicalisation du social que le renforcement dusystme normatif, car ce codage psychiatrique de lin-adaptation semble galement permettre une ngocia-tion plus flexible des consquences encourues parlenfant non conforme (en loccurrence, le risque dex-clusion scolaire). En effet, la justification des compor-tements atypiques de lenfant par la pathologie, auto-rise les parents revendiquer un espace de tolranceplus grand auprs des agents scolaires. Ltiquettepsychiatrique serait donc une manire de fournir unebiolgitimit aux comportements perturbateurs et la diffrenciation ngative (stigmatisante). Dans cettengociation cole-famille, la pathologie servirait demonnaie dchange entre dun ct, la volont desparents de prserver lintgration de leur enfant encursus scolaire normal et, dun autre ct, lincitationqui leur est faite dune prise en charge mdicale deson inadaptation scolaire. Cette hypothse permet decomprendre pourquoi malgr leurs apprhensions eten dpit des pronostics plutt optimistes concernantlvolution de ce trouble, certains parents optent fina-lement pour un traitement mdicamenteux dont onvalue mal les risques long terme et que lon saitpalliatif et non curatif.

    De la biolgitimit au biopouvoir

    Ainsi, opter pour la modification chimique des com-portements drangeants a lavantage de sdimentersous une chape dvidence lordre scolaire et la nor-mativit luvre, de dsamorcer les conflits entreles instances ducatives, de prserver une certaine

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    reprsentation de lenfance idale et dorienter lasocialisation de ces cas insupportables tout en mas-quant (ou dpersonnalisant) le pouvoir dautoritconstitutif de toute action ducative. La mise souspsychotropes de ces enfants pour raison dinstabili-t est nos yeux un rvlateur intressant dunemicrotechnologie diffuse et discrte du pouvoir, queFoucault appelle biopouvoir22. Les progrs dans ledomaine des neurosciences et des dcouvertes psy-chopharmacologiques, dont nous avons vu quils ontconsidrablement modifi le champ dinvestigationde la psychiatrie en louvrant sur la question de lanormalit souffrante et en lui donnant une assisemdicale dote de scientificit, ont en effet encou-rag une modalit singulire de rgulation deshumains, que nous pensons de plus en plus rpan-due dans les socits dmocratiques. En cela, lana-lyse propose ici du succs mdical et social de lhy-peractivit infantile dpasse de loin cette seule pro-blmatique et touche de manire gnrale laug-mentation massive de la consommation de psycho-tropes. Dans un contexte comme le ntre, marqupar une doxa individualiste, un souci de prventionaccru et une rationalit conomique profondmentancre, disposant par ailleurs defficaces produitspsychopharmaceutiques, il est fort probable que lasocialisation des inadapts passe de plus en pluspar une sorte de normalisation dope (certains par-lent de conformisme biochimique), permettant lafois dviter leur exclusion, de dsamorcer lpineu-se question de la responsabilit, de diminuer lescots sociaux dun encadrement relationnel, tout enprservant lillusion libertaire et galitariste.

    Rsumons nos propos : au carrefour de la rhtoriqueargumentaire sur le dcret diagnostic du TDA/H,deux dynamiques sociologiques apparemmentinverses viennent se croiser. Dun ct, nous venonsde le voir, de manire quelque peu paradoxale, lusa-ge de la pathologie ne fonctionne pas seulementcomme le revers stigmatisant de la normalit, maisconstitue galement un moyen de faire valoir sa dif-frence et douvrir un espace de tolrance face lintransigeance de lvaluation scolaire, par lacqui-sition dune biolgitimit ou dun label mdical. Dunautre ct, le traitement mdicamenteux que peutengendrer un tel tiquetage (en termes de troublemental) rpond une logique contraignante du pou-voir de normalisation, qui impose de manire prco-ce aux enfants des exigences leves en matire dematrise de soi dans le but dassurer leur confor-mit et leur intgration sociale.

    En rfutant lide de lautonomie du champ psychia-trique et en montrant que le diagnostic psychiatriquepeut servir une certaine intgration, la thse dfen-due ici pointe linsuffisance des analyses issues ducourant antipsychiatrique qui insistent uniquementsur le fait que la psychiatrie trace la frontire entresant mentale et pathologie en imposant sa proprenormativit et opre par exclusion ou mise lcartde lanormal. Cette lecture disciplinaire et contrai-gnante de linstitution psychiatrique - que Foucault abrillamment conceptualise - est notre avis par-tiellement applicable la situation actuelle, puisquele rle aujourdhui assign la psychiatrie nest plustant dexclure que dintgrer (ce qui rejoint les tra-vaux de Gauchet et Swain) comme en tmoigne lex-tension de son champ dinvestigation qui ne se limi-te plus la maladie mentale mais la sant menta-le des normaux souffrants. Cette assertion nenlverien au fait que le cadre thorique foucaldien resteoprationnalisable lorsquon rflchit aux processusde normalisation, aux mutations de la subjectivit, la biolgitimit et lexercice du biopouvoir.

    De manire sommaire, nous avons montr que lhis-toire des catgories psychiatriques est troitementlie celle de leurs prises en charge, cest--dire lensemble des structures qui sorganisent autourdes individus inadapts, aux enjeux de positionne-ment des professionnels qui les encadrent, leurreconnaissance par les pouvoirs publics ou le syst-me de sant en place, ainsi quau potentiel dactionet de contrle qui leur est imparti, que les progrspsychopharmaceutiques ont contribu largir. Leboom des troubles de la normalit et plus encore ledbat sur leur chronicit tmoigne dun certain glis-sement du rle assign aux professions psycho-mdicales dont lobjectif nest plus tant de gurirque daccompagner (Ehrenberg et Lovell 2001).

    Ces considrations conduisent galement au postu-lat suivant : lnonciation des normes et des orienta-tions morales, pour avoir t dnonce commecontraignante, sest dilue dans un magma de dis-cours scientifiques qui se cristallisent autour ducorps physiologique (comme ultime structure structu-rante) et de la sant (la pathologie devenant le mal combattre et la gestion de soi, le symbole de lactionmorale). La consquence de ce phnomne est une

    22 Nous pourrions parler de pouvoir de violence physiolo-gique, pour reprendre et complter la typologie bourdieu-sienne qui distingue pouvoir de violence physique et pou-voir de violence symbolique.

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    dsocialisation symbolique (non effective) de la vie,et la difficult qui sensuit de raisonner la dimensionsociale de linadaptation ou de problmatiser les rap-ports de force, lhtrocontrainte et lingalit.

    Do linsistance avec laquelle nous cherchons rhabiliter le regard sociologique (qui a perdu enlgitimit dans ce dbat), permettant de remettre lordre du jour le caractre social (interactionnel) dece qui fait problme et de proposer une lecture(re)contextualise des troubles mentaux et de leurprise en charge. Ainsi, en nous penchant sur les cri-tres de lgitimit des savoirs et des pratiques psy-chiatriques, nous avons fait ntre lhypothse selonlaquelle lvolution nosologique et les dcouvertesmdicales ne sont pas tant conduites par unelogique cognitive ou pistmique pure (une sorte deprogressisme naturel des connaissances scienti-fiques) que par un jeu complexe de rapports de forceconfigurationnels23 faisant intervenir - en amont eten aval de leur production - un ensemble dargu-ments sociaux, politiques et moraux.

    La rflexion dveloppe partir dune psychopatho-logie infantile montre que, si le corps physiologiquea toujours eu un rle central dans la mise en scnede la (ou la)normalit, sa version dmocratiquecontemporaine linvestit de manire indite, enbrouillant notamment les frontires entre sant etmaladie, normal et pathologique, normalisation etdiffrentiation.

    Anne [email protected]

    Annexe Critres diagnostiques du Trouble : Dficit de lAttention /Hyperactivit, selon le DSM-IV.

    A. Prsence soit de (1), soit de (2):(1) six des symptmes suivants dinattention (ou plus) ontpersist pendant au moins 6 mois, un degr qui estinadapt ou ne correspond pas au niveau de dveloppe-ment de lenfant :Inattention(a) souvent, ne parvient pas prter attention aux dtails,ou fait des fautes dtourderie dans les devoirs scolaires, letravail ou dautres activits ; (b) a souvent du mal soute-nir son attention au travail ou dans les jeux ; (c) semble sou-vent ne pas couter quand on lui parle personnellement ; (d)souvent, ne se conforme pas aux consignes et ne parvientpas mener terme ses devoirs scolaires, ses tchesdomestiques ou ses obligations professionnelles (cela nestpas d un comportement dopposition, ni une incapaci-t comprendre les consignes) ; (e) a souvent du mal organiser ses travaux ou ses activits ; (f) souvent, vite, aen aversion, ou fait contrecur les tches qui ncessitentun effort mental soutenu (comme le travail scolaire ou lesdevoirs la maison) ; (g) perd souvent les objets nces-saires son travail ou ses activits (p.ex., jouets, cahiersde devoirs, crayons, livres ou outils) ; (h) souvent, se laissefacilement distraire par des stimulus externes ; (i) a desoublis frquents dans la vie quotidienne.(2) six des symptmes suivants dhyperactivit-impulsi-vit (ou plus) ont persist pendant au moins 6 mois, undegr qui est inadapt et ne correspond pas au niveau dedveloppement de lenfant :

    23 En regard de cette thorie gnrale du changementsocial (thorie fortement inspire par les travaux dEliasmens sur les mutations de lconomie psychique), nouspostulons que linterdpendance structurelle - le partagede laction ducative, ainsi que la proximit sans prc-dent des spcialistes et des patients (ou leurs reprsen-tants) - constitue le moteur de la production acclre desavoirs nouveaux, des techniques qui en dcoulent et deleur hirarchisation dans le champ des possibles.

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    Hyperactivit(a) remue souvent les mains ou les pieds, ou se tortille surson sige ; (b) se lve souvent en classe ou dans dautressituations o il est suppos rester assis ; (c) souvent, courtou grimpe partout, dans des situations o cela est inap-propri (chez les adolescents ou les adultes, ce symptmepeut se limiter un sentiment subjectif dimpatiencemotrice) ; (d) a souvent du mal se tenir tranquille dans lesjeux ou les activits de loisir ; (e) est souvent sur labrche ou agit souvent comme sil tait mont sur res-sorts ; (f) parle souvent trop.

    Impulsivit(g) laisse souvent chapper la rponse une question quinest pas encore entirement pose ; (h) a souvent du mal attendre son tour ; (i) interrompt souvent les autres ouimpose sa prsence (p. ex., fait irruption dans les conver-sations ou dans les jeux).

    B. Certains des symptmes dhyperactivit-impulsivit oudinattention ayant provoqu une gne fonctionnelletaient prsents avant lge de 7 ans.C. Prsence dun certain degr de gne fonctionnelle lieaux symptmes dans deux, ou plus de deux types denvi-ronnements diffrents (p. ex., lcole - ou au travail - et la maison).D. On doit mettre clairement en vidence une altrationcliniquement significative du fonctionnement social, sco-laire ou professionnel.E. Les symptmes ne surviennent pas exclusivement aucours dun trouble envahissant du dveloppement, duneschizophrnie ou dun autre trouble psychotique, et ils nesont pas mieux expliqus par un autre trouble mental (p.ex., Trouble thymique, Trouble anxieux, Trouble dissociatifou Trouble de la personnalit).

    (American Psychiatric association, DSM-IV, Manuel dia-gnostique et statistique des troubles mentaux. Traductionfranaise, Paris, Masson, 1996, 100-101).

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