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DU CORPS DANS LE LANGAGE : Sémiotisation, grammaticalisation, lexicalisation de la relation au corps humain Colette Cortès Université Paris 7 C.I.E.L. Après la tentation systémique du structuralisme linguistique, le sujet avait été réintroduit dans le cadre de l'analyse du discours et de la pragmatique. Depuis une dizaine d'année, c'est le corps qui fait un retour en force sous l'impulsion des études de l'interaction verbale d'une part et de la lexicologie d'autre part. Le corps est le lieu de la production et de l'interprétation des phénomènes langagiers, il fixe l'origine des paramètres spatiaux et temporels ainsi que l'ancrage de la subjectivité. Avec la problématique du corps dans le langage, nous avons affaire à un domaine de recherche en pleine expansion. Cette observation a évidemment de nombreuses conséquences pour l'ensemble des disciplines qui travaillent sur le langage : non seulement le champ d'exploration des études empiriques s'élargit, mais encore des liens apparaissent qui permettent la proposition de nouveaux cadres théoriques. Le but de la journée d'étude du 15 Mai 1998, dans le cadre de CONSCILA, sur le thème : "Sémiotique, langage du corps et cognition" était de faire entrevoir, de façon certes partielle mais significative, qu'un travail de description et de réflexion colossal a déjà été accompli ou est en cours.

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DU CORPS DANS LE LANGAGE :Sémiotisation, grammaticalisation,

lexicalisation de la relation au corps humain

Colette CortèsUniversité Paris 7

C.I.E.L.

Après la tentation systémique du structuralisme linguistique, le sujetavait été réintroduit dans le cadre de l'analyse du discours et de lapragmatique. Depuis une dizaine d'année, c'est le corps qui fait un retouren force sous l'impulsion des études de l'interaction verbale d'une part etde la lexicologie d'autre part.

Le corps est le lieu de la production et de l'interprétation desphénomènes langagiers, il fixe l'origine des paramètres spatiaux ettemporels ainsi que l'ancrage de la subjectivité.

Avec la problématique du corps dans le langage, nous avons affaireà un domaine de recherche en pleine expansion. Cette observation aévidemment de nombreuses conséquences pour l'ensemble des disciplinesqui travaillent sur le langage : non seulement le champ d'exploration desétudes empiriques s'élargit, mais encore des liens apparaissent quipermettent la proposition de nouveaux cadres théoriques.

Le but de la journée d'étude du 15 Mai 1998, dans le cadre deCONSCILA, sur le thème : "Sémiotique, langage du corps et cognition"était de faire entrevoir, de façon certes partielle mais significative, qu'untravail de description et de réflexion colossal a déjà été accompli ou esten cours.

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Pour ma part, je vais essayer de tracer quelques directions derecherche qui ont en commun la préoccupation du corps et je préciserailorsque l'une de ces approches donnera lieu à des exposés plusapprofondis dans ce volume.

Je découpe le domaine de façon un peu artificielle en sémiotisation,grammaticalisation et lexicalisation de la relation au corps humain.

1. SÉMIOTISATION DE LA RELATION AU CORPSHUMAIN

Chacun connaît l'importance pour la communication de certainesinformations paraverbales ou non verbales qui ont bien valeur de signe,puisqu'ils peuvent être indice, icône ou symbole. Citons :

- la voix qui est indice d'un sexe, d'une émotion, d'une originesociale...

- le geste de la main gauche du chef d'orchestre qui mime la qualitédu son a une fonction icônique : par exemple sur la figure 1, la mainsemble soutenir le son qui doit être tenu (Figure 1).

- des gestes qui ont une valeur symbolique bien institutionnalisée,parfois liée à un rituel particulier, de la prière par exemple (Figure 2: Mains orantes de Dürer. Les petits livres d'art. Gibert Paris 197026).

Fig. 1 : Le chef d'orchestre :la main gauche semblesoutenir le son qui doit êtretenu. Fig. 2 : Mains orantes de Dürer

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Dans cette première partie, je parlerai tout d'abord de gestesconventionnalisés qui font l'objet à l'Université Technique de Berlin, sousla direction du Professeur Roland Posner, d'un traitement lexicographique,puis je citerai quelques exemples de gestes qui accompagnentl'expression linguistique et qui peuvent relever de l'indice, de l'icône oudu symbole. J'emprunterai bon nombre de mes exemples à un colloque quia eu lieu à Berlin du 24 au 26 Avril 1998 sur le thème : The Semanticsand Pragmatics of Everyday Gestures et qui avait été organisé parRoland Posner, qui propose par ailleurs dans cet ouvrage un articleintitulé : "L'homme comme signe ou la perception théâtrale".

1.1. Les gestes conventionnalisés

"Le dictionnaire des gestes quotidiens" de l'Université Technique deBerlin est en cours d'élaboration, mais un exemple de sa micro-structure adéjà pu être présentée lors du colloque d'Avril 1998.

Chaque entrée de dictionnaire contient des images de gestes décritspar le dictionnaire et de ses variantes. Nous prenons ici l'exemple de :eine Nase drehen/ eine lange Nase machen = faire la nique à qqun (Figure3). Il s'agit là d'un geste conventionnalisé, lié à une certaine culture etqui a nettement une fonction symbolique.

Une description numérisée du geste lui-même est obtenue grâce augant électronique élaboré à l'Université Technique de Berlin encollaboration avec des informaticiens. (Figure 4)

Fig. 3 : Faire la nique,faire un pied de nez àquelqu'un.

Fig. 4 : gant électronique.

Lorsque cela est possible, l'entrée de dictionnaire des gestescomprend aussi les éventuelles variantes de sens en fonction des

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utilisateurs, du domaine d'utilisation etc. ainsi que des remarquesétymologiques sur une éventuelle évolution du geste au cours des âges.Mais la recherche étymologique s'avère particulièrement délicate, car undessin retrouvé sur une poterie par exemple ne dit rien de soninterprétation exacte à l'époque et le risque de contre-sens est trèsimportant.

1.2. Les gestes accompagnant l'expressionlinguistique

Le cas des gestes accompagnant l'expression linguistique est pluscomplexe, car on parvient difficilement à distinguer la part de l'indiciel,du symbolique et celle de l'iconique.

Lorsque G. Calbris a décrit au colloque de Berlin, les phénomènesde deixis représentative dans le domaine de l'espace, nous avionsl'impression d'être plutôt dans le domaine de l'icônique; mais lorsqu'elle amontré le parallélisme avec le temps, nous avons vu apparaître desconventions culturelles, comme par exemple ceci : on observe unecorrélation entre l'orientation de la ligne du temps narratif et le sens del'écriture. Geneviève Calbris développe ces points dans son articleprésenté dans ce volume : "Espaces symboliques révélés par l'étude dugeste co-verbal".

Les travaux de Jeanne-Marie Barberis (1995) sur les indications decheminement dans l'espace, font apparaître également des préoccupationssimilaires.

Certains autres exposés du colloque de Berlin (The Semantics andPragmatics of Everyday Gestures, avril 1998) m'ont particulièrementfrappée car ils ouvrent des perspectives inattendues : celle d'une étude dela cognition à travers le geste et celle d'une étude pragmatique de lacomposante gestuelle.

Pour l'étude de la cognition à travers le geste, David Mc Neill amontré que certains gestes accompagnent et même anticipent la pensée(cognition) : geste de préhension pour une notion qui manque et qui n'estpas encore verbalisée.

En ce qui concerne l'étude pragmatique de la composante gestuelle,Mandana Seyfiddinipur a montré, sur le persan, que certains gestesaccompagnent la structure de l'information : elle distingue deux gestesassociés (ring gesture and pistol hand gesture en persan) qui renvoientrespectivement aux deux composantes de la structure thème-rhème.

L'étude sémiotique des gestes est donc un champ très ouvert etprometteur.

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Un des lieux où ces phénomènes sont exploités de manièreconsciente est le théâtre où la relation au corps est à la fois jouée etverbalisée (Cf l'article de Thierry Gallèpe : Joindre le corps à la parole.Quelle place pour le corps dans les textes de théâtre ?).

2 GRAMMATICALISATION DE LA RELATION AUCORPS HUMAIN

Le lieu de la grammaticalisation de la relation au corps humain leplus évident qu'il m'ait été donné de rencontrer est le domaine des verbesréfléchis.

2.1. Pronom réfléchi en fonction d'objet direct

Waltereit (1997, 170-171) écrit : “Pour certains verbes, il faut poser,au niveau conceptuel, une relation partie-tout entre l'actant sujet etl'actant objet dans son emploi réfléchi (Il se rase tous les jours/ Cet enfantse gratte trop). Malgré cette relation partie-tout le sujet et l'objetreçoivent un indice formel de coréférence. ” (Waltereit 1997, 170-171)

Dans tous les cas, c'est le sujet qui se présente comme tout et l'objetcomme partie.

Pour ce type d'exemples, il est nécessaire de présupposer l'existencedu corps comme un Frame au niveau conceptuel.

Avec le pronom se, la réflexivité de l'action est marquée ; le verbene pouvant concerner qu'une activité corporelle, l'action est interprétéecomme s'exerçant sur le corps du sujet. La partie du corps impliquée peutêtre laissée à l'appréciation du locuteur ou être nommée (Il se rase tousles jours la moustache/ Cet enfant se gratte trop le ventre). L'emploi duréfléchi permet de grammaticaliser une relation tout-partie, le sujetrenvoyant au tout et l'objet à la partie.

Au niveau de la sémantique des cas profonds, il n'est pas facile denoter cette relation : l'agent est toujours global, l'instrument toujourspartiel; mais si la sémantique de l'expression verbale nous dit que l'objetaffecté ne peut être qu'une partie du corps, elle n'impose aucunelimitation sur la partie du corps concernée : en effet, tout le corps peutêtre concerné par une sorte de distributivité du grattage. Le sujet est doncbien agent de l'action mais le corps qui s' investit dans le pronom réfléchiobjet désigne en même temps le lieu où s'exerce l'action. (cf Cortès(1998a)).

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2.2. Pronom réfléchi en fonction de bénéficiaire

Lorsque la partie du corps concernée est nommée, l'interprétation dela relation bénéficiaire/ partie du corps, qui suppose également le corpscomme Frame au niveau conceptuel, est soumise (en français du Nord) àune contrainte étroite sur la relation bénéficiaire/ partie du corps :

se laver les mains, les pieds, la tête, les dents, les oreilles ...* se laver le manteau* se laver le tee-shirtMais : se laver les bottesUne phrase comme : "Va te laver les bottes avant de rentrer dans la

maison" présuppose que la personne passe ses bottes sous le robinet avantde rentrer dans la maison. Le lavage a lieu au moment où les bottes sontchaussées, sont sur le corps, "font corps" avec la personne à laquelleréfère le pronom réfléchi.

Pour bien interpréter ces expressions, on a besoin ici encore que lecorps qui s' investit dans le pronom réfléchi objet désigne en même tempsle lieu où s'exerce l'action. C'est strictement la relation tout-partie, avecle présupposé de localisation de la partie dans le tout, qui estgrammaticalisée.

2.3. Expressions prépositionnelles avec verbessupports

Dans les expressions prépositionnelles avec les verbes supports setenir, se mettre et se retrouver, le Frame du corps est utilisé de façonsurprenante : la partie du corps nommée ne l'est pas en tant que telle,mais en relation avec l'ensemble du corps, car l'expressionprépositionnelle à verbe support désigne en fait une position du corps pourlaquelle la partie du corps désignée joue un rôle saillant de point d'appui.

positionse tenir à genouxse tenir sur la têtese tenir les poings sur les hanchesse tenir sur les/ ses piedsse tenir sur le dos

changement de positionse mettre à genouxse mettre sur la têtese mettre les poings sur les hanchesse mettre sur les/ ses pieds

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se mettre sur le dosrésultat d'un changement de position

se retrouver à genouxse retrouver sur la têtese retrouver sur les/ ses piedsse retrouver sur le dos

Le langage fige certaines images du corps dans des contextesparticuliers : avec des verbes de mouvement grammaticalisés en verbes-supports, c'est visiblement la position du corps qui est pertinente, bienque seule la partie du corps soit nommée. Là encore l'image d'un framegénéral du corps où la partie se localise dans un tout s'impose.

C'est sans doute cela qui est responsable d'une propriété particulièrede ces expressions à verbe-support, à savoir que leur causatif n'est pasmettre (comme dans : se mettre à l'abri > (causatif) mettre à l'abri), maisfaire mettre (se mettre à genoux > (causatif) le prêtre nous fit mettre àgenoux) : l'ntermédiaire du corps fait écran à l'action causative du sujet(cf Cortès (1998b)).

En conclusion, le corps impose ses limites (son Frame ) à lagrammaticalisation par le réfléchi, qu'elle passe par les verbes pleins oupar les expressions prépositionnelles à verbes supports. Nous ne sommespas très loin des langues créoles, qui utilisent explicitement le termedésignant le corps dans l'expression même du réfléchi.

3 LEXICALISATION DE LA RELATION AU CORPSHUMAIN

De très nombreuses études sont consacrées à la lexicalisation de larelation au corps. Je renvoie ici à l'article de Michel Martins-Baltar danscet ouvrage (Le champ lexical "le corps dans la langue" : un objetprivilégié pour l'onomasiologie et pour la rhétorique).

Les principaux mécanismes relevant du domaine de la lexicalisationde la relation au corps sont la métonymie et la métaphore.

3.1. Métonymie

Le domaine de la métonymie est celui de la contiguïté cotopiqueselon Marc Bonhomme. L'une des contiguïtés les plus évidentes est celledu corps et du vêtement. On la trouve à l'oeuvre aussi bien dans lamétonymie externe (à partir d'un nom propre) que dans la métonymie

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interne (à partir d'un nom commun).

3.1.1. Métonymie externe

Fontange une fontange : coiffure de mousseline ou de dentelletuyautée et apprêtée, retenue droite sur la tête par des laitons, parfoisgarnie d'un ruban, portée par les femmes à la fin du règne de Louis XIV.Du nom de Mlle de Fontange, maîtresse de Louis XIV.

3.1.2. Métonymie interne

- Transfert de l'humain à son vêtement : amazone :(1) femme qui monte à cheval(2) longue jupe que portent les femmes qui montent à cheval.

- chaperon (sorte de capuchon qui était la coiffure des deux sexes auMoyen-Age) prend une valeur métaphorique lorsqu'il désigne non plus uninanimé mais un humain (personne sérieuse ou âgée qui accompagne unejeune personne dans le monde). L'analyse de cet exemple est un peucomplexe, car nous avons ici une sorte de métaphore qui repose sur unerelation de contiguïté métonymique. G. Calbris et M Martins-Baltar 1997parlent (p.113) de "nombreuses figures complexes où le figurant apparaîtfiguré de telle sorte qu'une allotopie apparente n'est peut-être que lemasque d'une cotopie fondamentale".

3.1.3. Métonymie et phrasèmes (expressions poly-lexicalesfigées)

Les expressions polylexicales figées présentant une image du corpshumain sont majoritairement en rapport avec le physique ou le psychismede l'homme ou l'interaction entre les hommes. Le relation entre le figurantet le figuré semble être très largement de nature cotopique.

l'état physique de l'homme :être à bout de souffle : indice de la fatigueavoir l'estomac dans les talons : indice de la faimavoir un pied dans la tombe : icône d'une mort prochaine

l'état psychique/ moral de l'homme :avoir la chair de poule ou se ronger les ongles : indices de la peurmettre son nez dans qqch : indice de curiositéavoir un poids sur l'estomac : icône de l'inquiétudegarder la mainmise sur qqch : icône de l'autoritégarder la tête haute : indice du courage dans l'adversité

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fermer un oeil : indice de l'indulgencene pas lever le petit doigt : indice de paressecela me tient à coeur : indice du sens des responsabilités

l'état matériel de l'homme :vivre sur un grand pied (inanalysable aujourd'hui. Stéréotypé)

l'effet d'une action sur un autre individu sur le plan psychique :couper le souffle à qqun : indice de la surprisetenir pouce à qqun : indice de soutien moral (stéréotypé)ouvrir le yeux à qqun : icône de l'acte de montrer qqchse mettre qun à dos : icône de l'adversité.

Ces expressions véhiculent des images figées, qui peuvent serattacher à des indices ou icônes, plus ou moins fortement stéréotypés,qui peuvent être différents ou semblables dans diverses cultures.

Cette question sera abordée dans l'article de Colette Cortès :Phraséologie et corps humain. Étude comparative de la représentation ducorps humain dans les expressions phraséologiques en français et enallemand.

3.1.4. Métonymie et prédication

Aux études de la métonymie portant sur des substantifs succèdentdepuis 5 ou 6 ans des études sur les glissements métonymiques desrelations prédicat-arguments.

Citons G. Nunberg (1995) "I am parked out back""American Express is in Singapore now"«By 'transfers of meaning' I mean the ensemble of productive linguisticprocesses that enable us to use the same expression to refer to what areintuitively distinct sorts of categories of things.(...) Transfer is not intrisicallylexical» (119).«The principle here is that the name of a property that applies to something inone domain can sometimes be used as the name of a property that applies tothings in another domain, provided the two properties correspond in a certainway.»

Si nous adaptons les exemples de G. Nunberg (1995) au français,nous voyons que, dans le cas de "je suis garé derrière la maison" ( aumoment où le locuteur est sur le seuil , c'est-à-dire devant la maison) ou"Pierre est dans l'annuaire", le glissement cotopique consiste précisémentà lever l'identification attendue entre l'individu et son enveloppecorporelle.

Nunberg interprète cette propriété du glissement métonymique enfonction de la pertinence ou de la saillance des certaines caractéristiques

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de la prédication."Predicate transfer is only possible when the property contributed by the newpredicate is 'noteworthy', which can be reckoned in either of two ways. Thefirst type is exemplified in an utterance like "I'm parked out back' or I'm in thephone book'. The purposes of these utterances is to classify the members ofone set of things (e.g. garage customers) relative to the immediateconversational purposes (of discharging the attendant's responsibilities, say),in virtue of their relation to the identifying properties of some other groups ofthings (the cars). (...). The second type of noteworthiness is exemplified byutterances like 'I'm in the Witney' or American Express is in Singapore now'.In these Cases the derived property has a more abiding interest or consequencefor its bearer, beyond the immediate conversational purposes.The difference between the two may depend on fairly subtle features. Theutterance 'I am in the phone book' most likely serves the purposes ofimmediate classification ('You don't have to write down my number.').; theutterance 'Clinton is in the phone book' is more likely offered by way ofremarking Clinton's accessibility, or whatever.Noteworthiness can be thought of as a special case of relevance, depending onhow we understand the latter notion. (...) For the present we can just takenoteworthiness in an intuitive way : they are properties that matter." (114)

Pour notre propos, il importe de noter que, dans tous ces exemples,le corps du sujet n'est justement pas la propriété saillante permettantd'identifier l'individu.

Le sentiment métonymique ressenti à propos de ces exemples vientde ce que la matérialité du corps de l'individu, une propriété qui lecaractérise toujours dans le cas non marqué, est ici mise au second planau profit d'un autre type d'identification avec un véhicule ou avec unnuméro dans une liste.

3.2. Métaphore

Dans le champ de la métaphore, on trouve assez peu d'expressionspolylexicales figées qui reposent sur une image du corps humain. Oncitera quelques cas où le changement de domaine (la relationallotopique) est assez claire comme :

- payer rubis sur l'ongle- la politique de la main tendue

ou des exemples cités par M. Martins-Baltar et G. Calbris (1997), ouvrageauquel nous renvoyons :

- manger les pissenlits par la racine- mordre la poussière.

CONCLUSION

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Ce qui est pertinent pour l'étude du linguiste n'est pas le corps lui-même, mais sa représentation telle qu'elle se fige dans le lexique ou lagrammaire, dans les repères déictiques ou autres formes d'appropriationdu discours par le sujet parlant, dans le codage co-verbal ou para-verbal.

Nous rencontrons le corps à plusieurs niveaux de représentation parle langage, depuis la représentation de la présence physique dansl'interaction jusqu'à la réinterprétation par une langue donnée dans desexpressions figées d'images du corps retenues pour leur valeur indicielle,icônique ou symbolique. Notre rôle de linguistes descripteurs de larelation au corps humain est de nous donner les outils pour ne pasconfondre tous ces niveaux de représentation du corps.

Les travaux d'analyse du discours ont montré qu'il est possible decumuler les points de vue dans une même représentation de l'énoncé quiest à la fois produit fini de l'activité discursive et porteur des traces del'énonciation.

Ce que l'on sait de l'expression linguistique vaut certainement ausside l'utilisation du geste même parfaitement conventionnalisé. Il porte biensûr la trace de celui qui l'a produit et de l'acte même d'effectuation dugeste. Son interprétation tient compte du contexte dans lequel il apparaît.

De même qu'il existe des expressions linguistiques figées, lelangage conserve aussi la trace d'expressions gestuelles figées, signesrenvoyant à un autre plan sémantique.

Tout signe, qu'il soit verbal, co-verbal ou paraverbal, est à la fois unmoyen de transmission d'un contenu qui s'objective au-delà du texte lui-même et un objet matériel qui se réalise dans un intertexte dont il est enfait le sous-produit.

Cette capacité que l'homme a de projeter un regard sur son propretravail de création accompagne toute production du sens et s'exprime defaçon particulièrement nette dans certaines oeuvres d'art. Je voudraisterminer comme j'ai commencé, par un dessin de mains, les DrawingHands de Escher (Figure 5), qui est un excellent exemple de cetteréflexion , de ce retour sur l'activité de l'artiste à travers l'oeuvre : lesmains y sont présentées à la fois comme l'objet du tableau et commel'instrument de confection de l'oeuvre.

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Fig. 5 : Dessin de MCEscher : DrawingHands1998 Cordon Art B.V.Baarn Holland. in Larecherche 309 Mai1998.

C'est la meilleure image que l'on puisse imaginer du corps dansl'interaction verbale et co-verbale, corps qui est à la fois l'origine, lemoyen et souvent même l'objet de la construction langagière.

OUVRAGES UTILISÉS

Barberis, Jeanne- Marie (1995) : Ville et espace. Les chemins de la parole. Thèsede linguistique. 4 volumes. Montpellier III.

Bouvet, Danielle : Le corps et la métaphore dans les langues gestuelles. A larecherche de modes de productions des signes. in Sémantiques. L'Harmattan1997.

Cortès, Colette (1995) : Effets sur le lexique des mécanismes de la métaphore etde la métonymie. in Cahier du C.I.E.L. 1994-1995. Théories et pratiqueslexicales.. Notes du séminaire du Centre Interlangue d'études en Lexicologie(C.I.E.L.) de Paris 7. Contributions rassemblées par Colette CORTES. (109-154)

Cortès, Colette (1998a) : Zur Semantik von Reflexivkonstruktionen infranzösischen Fachtexten. Eine Korpusanalyse. in Grammatische Strukturenund grammatischer Wandel im Französischen. Festschift für Klaus Hunniuszum 65. Geburtstag. U. Figge, W. Klein, A. Martinez-Moreno (Hrgb)Romanistischer Verlag. Bonn 1998. (103-123)

Cortès, Colette (1998b) : Se mettre + groupe prépositionnel : trois classes deconstructions prédicatives. Participation à Eurosem 1998 : Lexicalisation destructures conceptuelles. Laboratoire CIRLEP. 2 au 4 Juin 1998 Université deReims.

Cosnier, Jacques, Vaysse, Jocelyne, Feyereisen, Pierre, Barrier, Guy (1997) :Geste, cognition et communication. PULIM Université de Limoges.

Lafleur, Bruno (1991) Dictionnaire des locutions idiomatiques françaises. Éditionsdu renouveau pédagogique. Ottawa. Duculot.

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Lafont, Robert (1993): Il y a quelqu'un. La parole et le corps. Praxiling. Universitéde Montpellier III.

Martins-Baltar, Michel, Calbris, Geneviève (1997) : Le corps dans la langue.Esquisse d'un dictionnaire onomasiologique. Notions et expressions dans lechamp de la "dent" et de "manger". in Lexicographica. Series Major 80.Niemeyer. Tübingen

Nunberg, Geoffrey (1995) : Transfers of meaning. in Journal of Semantics 12 (109-132)

Quintin, Hervé (1997) : Schweigende Gegenwart des Körpers. Einige (nicht nur)linguistische Überlegungen zum Gebrauch von verblosen Sätzen in einigenTextsorten. in Literalität und Körperlichkeit. Günter Krause (Hrsg)Stauffenburg Verlag Narr. Tübingen

Waltereit, Richard (1997) : Metonymie und Grammatik. Kontiguitätsphänomenein der französischen Satzsemantik. Inaugural-Dissertation zur Erlangung desGrades eines Doktors der Philosophie am Fachbereich NeuereFremdsprachliche Philologien der Freien Universität Berlin. Berlin 1997.