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André du Bouchet et ses autres, Philippe Met (dir.), Les Lettres Modernes-Minard, 2003
D. Guillaume
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DISTANCE ET SENSATION
Du Bouchet, Wittgenstein, Hocquard
Comment dire ce que je vois? Pour André du Bouchet, "un peu
d'eau illumine comme […] / voir" (ASE. 11)1 mais c'est "sur une disparition
/ du sens, [que] l'opaque lui aussi scintille" (107). Emmanuel Hocquard
énonce simplement, face aux fragments colorés disposés devant lui: "Bruns,
verts & noirs". Il précise aussitôt: "Ne dis pas les éclats de verre sont […]
comme les mots du poème" (TT. 1), car "ta langue n'est pas à toi" (3).
Dans la visée d'un réel immédiat, qui a caractérisé largement la
poésie française après le surréalisme, un recueil comme Dans la chaleur
vacante marqua en 1961 un moment important. Accompagnant le reflux
d'une modernité plus triomphante, l'interrogation expressive passe pour
certains, depuis, par une réflexion sur l'idée de littéralité: les choses, le désir
de réalité comme l'expression de soi, sont mis à distance, à mesure que l'on
se défie des représentations. Emmanuel Hocquard médite et précise ce
travail. À ses débuts, ce que publiait L'Éphémère le rebuta plutôt: "Trop
hermétique" (PR, 50), trop essentialiste aussi, sans doute, dans la
configuration d'une absence (BT, 27, 31). Hocquard entama pourtant une
ascèse linguistique où le côtoyèrent Claude Royet-Journoud, Jean Daive,
Anne-Marie Albiach. Leur structure éditoriale commune, Orange Export
Ltd, publia d'ailleurs une plaquette d'André du Bouchet en 1977: Le Révolu.
Il en arriva par la suite à redéfinir sa pratique, au fil d'une recherche
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qu'infléchit profondément la lecture de Wittgenstein, mais aussi de la poésie
américaine, celle des objectivistes notamment (PR, 56, 54).
Écrire articula dès lors chez lui un matériau composé de
représentations usuelles, grammaticales ou photographiques, perturbantes à
force d'évidence. Leur reprise "littérale" ne va pas sans de subtiles
dérèglements. Une telle entreprise éclaire aujourd'hui un assez large champ
poétique en France2. André du Bouchet, pour sa part, approfondit toujours
davantage son rapport personnel à la langue, et continue de penser sa poésie
à travers une méditation sur la peinture. Or, comme il a bien voulu l'indiquer
au cours de nos conversations, il connut les textes des objectivistes et la
philosophie du Tractatus dès les années de la guerre, qu'il passa aux États-
Unis. Comment donc lire son œuvre en relation avec les questionnements
contemporains?
Objets, matière
Redécouverts dans les années soixante, les poètes objectivistes —
Zukofsky, Reznikoff, Oppen… — apparurent comme groupe autour de
19303. Leurs textes se caractérisent par dénudation, pour une saisie du réel:
rejet de la métaphore, ton neutre ou empruntant à la conversation, élection
de sujets pris au quotidien des villes. Du Bouchet vécut aux États-Unis de
1940 à 1948. Il y fit donc toutes ses études, au lycée puis à l'Université où il
enseigna même un moment, à Harvard4. S'il lut alors quelques poèmes des
objectiviste, il ne les a guère appréciées, y percevant surtout, selon ses mots,
une certaine platitude. Interrogé sur ces lectures de ces années, il évoque
une poésie américaine antérieure: Marianne Moore, Wallace Stevens,
William Carlos Williams.
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Malgré leurs considérables différences, les œuvres de ces trois
poètes présentent des caractéristiques communes que l'on peut rapprocher
de la poésie d'André du Bouchet, dans sa formation vers elle-même. Elles
demeurent attachées au mouvement par lequel la littérature américaine
condensa d'abord les successives avant-gardes européennes dans les années
dix et vingt: l'imagisme. Les poèmes brefs aux rythmes libres, très
découpés, qui relèvent de cette esthétique, cherchent avant tout à fixer
intensément un instant du visible, centré sur un motif précis.5 Une telle
approche a pu frapper celui pour qui chaque phrase sera "cillement qui […]
recadre" (ASE, 11), chaque "coup d'oeil: / une incise" (EMP, 68)
déterminant le discours.
Ces œuvres présentent en outre un souci formelle suggérant une
consistance propre de la langue: sa matière importe autant voire plus que
son objet. L'objectivisme imposa au contraire un dépouillement prosaïque et
photographique6. Le jeune André du Bouchet put être frappé davantage par
une certaine préciosité lexicale de Marianne Moore — composante qui
caractérise quelques poèmes de son premier recueil, Air , et reparaît de loin
en loin, concrétion de l'effort à dire. Il dut relever la singulière virtuosité
rythmique de cette poétesse, mais aussi la rigueur d'une métrique souple
chez Stevens, ou la recherche, par Williams, d'un "pied variable" plus
rigoureux que le vers libre7. L'exigence formelle conduisit d'ailleurs
Williams, ainsi que Moore — sans aller certes jusqu'à la décomposition
quasi lettriste vers laquelle évoluait Cummings — à travailler la mise en
place typographique de la parole dans la page, comme du Bouchet le fit plus
tard. Enfin, si Stevens demeura très proche d'une inspiration française, les
préoccupations rythmiques et linguistiques de Williams se voulaient
spécifiquement américaines, en amont de la dimension épique autant que
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moderniste atteinte à force de collages et mélanges avec son long poème en
cinq livres, Paterson.
Trouver pour soi la forme propre d'une langue qui aura quelque
chose d'une terre, fût-elle à gravir ou modeler: André du Bouchet en admira
bientôt l'exigence chez Pierre Reverdy, dont il découvrit en effet l'œuvre
vers la même époque (ENT ). Ici, la singularité du poème montre ce que
peut au mieux la langue en sa "substance" propre (MAT, 45), et dès lors
offre une matière de monde. Une telle "terre" de parole (32) permet le plus
intensément d'être à celui qui l'articule. Cet aspect de sa poétique, André du
Bouchet le formule très clairement à propos de la peinture de Pierre Tal-
Coat, qui lui a si souvent permis de figurer sa propre poésie. Il pose que
dans ses toiles, "sur toute représentation, son support, comme terre,
l'emporte" (EMP, 45). Mais "sous les couches successives" (48), ce support
est aussi celui "d'une peinture à son tour devenue support" (50). Un tel fond
substantiel actif "accueil[le]" (53) ou découvre donc un sujet qui peut être
en l'occurrence l'ami peintre mort, le poète face au tableau, aussi bien que
tout lecteur du poème. Car, grâce au travail propre à cet art, "une injonction
de la couleur […] te renvoie à ta matière à broyer" (51). Cette "tenue du
matériau", ainsi que "la singularité de sa structure" sur la toile (49),
révèlent mieux qu'une signature le pouvoir propre, "l'autonomie de la
langue peinture" (51).
Lire de la sorte une œuvre — fait ou acte irréductible à tout autre
— renvoie au moment moderniste de l'art, culminant après guerre par
l'expressionnisme abstrait aux États-Unis et l'abstraction lyrique
européenne. De ce mouvement, on peut rapprocher bien des peintres au
sujet desquels André du Bouchet a écrit ou avec qui il a travaillé pour
certains de ses livres: Tal-Coat mais aussi Nicolas de Staël, Bram Van
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Velde, ou même Tapiès. Tandis que les américains puisaient dans
l'expressionnisme et aux sources de l'abstraction, comme en poésie c'est la
question du réel qui fut première, après la catastrophe nationale de la guerre,
pour une peinture cherchant en France à redéfinir ses rapports à la tradition,
et plus marquée par le cubisme que par l'art non figuratif à proprement
parler. Toutefois, le heurt même à une réalité sensible comme violemment
dénudée par l'époque — et qui apparaît chez des artistes comme Hélion ou
Giacometti — conduisit certains peintres au recentrement de la figuration
sur ses propres moyens, matière et acte. C'est dans l'exploration
conflictuelle d'un visible qui ne paraissait plus représentable, voire dicible,
qu'ils ont trouvé de nouvelles formes d'"abstraction", visant simplement à
l'affirmation d'une existence. Ainsi s'affirmaient aussi les œuvres, très
gestuelles, de Hans Hartung, de Georges Mathieu ou, plus méditée dans leur
matérialité, celles de Pierre Soulages, d'Olivier Debré. Signe possible de
convergences, les réalisations de Jackson Pollock furent montrée pour la
première fois à Paris en 1951, l'année même où paraissait Air — et où
mourait Wittgenstein. Comme le montre bien le parcours de Tal-Coat, à
partir de 1947, l'époque était donc au tracé cinétique ou à l'exploration
nuancée d'une matière en travail. La poétique d'André du Bouchet
accompagne ces esthétiques8.
L'action painting peut se caractériser comme recherche par l'acte
picturale d'une "révélation" globale qui "fait de sa toile son monde", selon
une "métaphysique des choses" voire de "la nature"9. Et si de tels artistes
"s'éloign[ent] de l'individuel" par l'assomption du matériau — " Es ist:
c'est-à-dire: je suis" (DES, 90) —, ce dernier n'en permet pas moins "la
création de mythes privés "10. Ainsi du Bouchet raconte-t-il comment Tal-
Coat revint deux jours avant sa mort "sur une source qu'il avait, enfant,
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découverte à quelques kilomètres de chez lui, sur la côte bretonne" (EMP,
52): sans doute faut-il déceler la présence symbolique de cette source
personnelle toujours vive, à travers le "surgissement de réalité" constituant
spécifiquement dans le tableau "l'accueil de ce qui, oublié, n'en est pas
moins là, comme à sa source l'eau" (53).
Modernes, contemporains
Arthur Danto distingue ce moment moderniste des problématiques
proprement contemporaines. Après plusieurs siècles de représentation
mimétique, les arts se sont définis par ce que Clement Greenberg valorisait
comme "pureté du médium" — et que Reverdy exprimait en termes de
"moyens", propres à la peinture ou à la poésie11. À partir de
l'impressionnisme, le tableau s'est peu à peu restreint à ses coordonnées
essentielles12. L'artiste vaut dès lors par ce qu'il fait, comme tels, avec la
"face / du papier" (EMP, 58), "le support muet debout" (61), "une touche"
(40), une "tache" (70) ou les "empâtements d'une matière à peindre" (64).
Or, à force de s'épurer sur soi contre toute signification reconnaissable, la
peinture se distingue moins d'un simple "morcea[u]" du réel (ASE, 108):
"chose" ou "rien" (DES, 90). La pratique du monochrome en est un signe
fort: chez Tal-Coat par exemple, "dans le vert le surcroît vert" (EMP,
79).Sans "un acte de foi", à l'extrême "comment une peinture monochrome
rouge pourrait-elle exhiber sa différence avec une surface plane couverte de
rouge?"13. Que sont ces "[d]eux traces vertes" (75)? Il ne suffit peut-être
plus de découvrir simplement un tableau pour y trouver l'art, et qu'il nous
touche. L'immédiateté perceptive approche une limite: comment voir ce que
je vois?
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L'œuvre ne parviendrait plus à se singulariser par le seul traitement
d'un médium spécifique. Et le moment fort de cette mutation, réalisant au
fond le dépassement de l'art dans sa propre réflexivité — la fin hégélienne
de l'art comme tel —, serait pour Danto l'apparition du pop'art dans les
années soixante: Warhol élargissant aux dimension du quotidien la
provocation duchampienne14. Puisque désormais l'œuvre ne peut plus de
façon évidente signifier par ses seules particularités, tout peut être de l'art —
y compris la citation littérale d'objets de consommation — dès lors que cela
produit du sens et tend à le réaliser15.
Emmanuel Hocquard, dont la poésie a commencé de se construire
après le développement en France d'un "nouveau réalisme" parent du
pop'art, paraît bien élire de préférence des pratiques de l'art "posthistorique"
telles que les situe Danto16. Dans Un test de solitude, il se réfère
explicitement à une œuvre de l'artiste conceptuel Joseph Kosuth (TS, 2.17).
Il y revient en outre sur le canale construit dans son jardin. Cette série de
trois bassins donnant sur un "trapèze de craie" tracé dans l'herbe, par
anamorphose donne, "[p]our les yeux, exactement un rectangle clair si on
se [tient] debout sur la pierre plate à fleur d'eau faisant une île dans le
bassin trois" (1.10) — ce que l'on peut rapprocher d'un dispositif de Land
Art 17. Et avant même le cliché pornographique qui ouvre Le Cap de Bonne
Espérance, le choix d'une photographie au début de l'Album d'images de la
villa Harris, en 1978, montre chez lui la faveur d'une pratique où, à la
subjectivation d'un matériau propre, se trouve préférée l'exposition claire de
ce qui est — leçon de l'objectivisme18.
Comment comprendre ces pratiques? La philosophie analytique
issue de Wittgenstein a constitué, selon Danto, un "air du temps" propice à
l'avènement du pop'art. Le positivisme logique, en effet, aspire à un langage
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net de tout présupposé métaphysique, et la pragmatique, à l'élucidation de
nos usages verbaux. Parallèlement, l'art contemporain se caractérise par une
remise en cause des fondements confus, "surréalistes", de l'expressionnisme
abstrait, et par le recyclage médité des objets quotidiens, ou, plus largement,
de divers éléments du réel19. Pour la poésie française, une cohérence
comparable semble bien lier, aujourd'hui, critique du lyrisme — dont les
œuvres d'André du Bouchet pourrait proposer un exemple épuré — et
diverses néo-avant-gardes distanciées, adeptes de la reprise littérale, du
découpage et du montage20.
Le médium spécifique — la langue — n'est plus alors travaillé
selon les ressources propres à la syntaxe commune. Contre toute
fétichisation de la langue et de l'écriture, un certain désinvestissement
stylistique se retourne en analytique de l'énonciation. C'est en tout cas une
préoccupation dominante des Language poets américains, qu'Emmanuel
Hocquard traduit et dont il se sent manifestement proche21. Se trouve de la
sorte remis en cause le paradigme expressif qui demeure assez largement
notre évidence, et selon lequel un sujet lyrique au fond "dictatorial"
transmet une expérience, une émotion, à un lecteur globalement passif, par
le relais d'un langage transparent. Le poème cherche à contourner ce
dispositif frontal et, si possible, à rendre le lecteur agent d'une construction
ouverte: sur le modèle, par exemple, d'une sculpture minimaliste proposant
un espace, où s'engager afin que prennent forme pour chacun des
significations22.
Interroger la parole, défaire la présupposition de quelque
"processus […] occulte" (IP. 38, 133), d'une "profondeur" (111, 165)
nécessaire à la production de sens — y déceler des actes bien différenciés et
pour cela imaginer des "prototype[s]" énonciatifs inédits (131, 169): on
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reconnaît là le travail des Investigations philosophiques de Wittgenstein.
L'ayant découvert après guerre, du Bouchet le relit dans les années quatre-
vingt23. Préciser la relation de sa poésie avec cette pensée revient à montrer
en quoi ses textes ne laissent pas inertes nos modèles discursifs. Située
ainsi, en même temps que celle de Hocquard, dans le champ contemporain,
cette œuvre complique le paradigme dominant, dans sa relation distante à
l'écriture: au poème comme voix. Chez Wittgenstein même, la création d'un
lien de parole se fait à partir d'un donné empirique dont une proposition doit
restituer la qualité propre dans un "substratum" (IP. XI, 341) continu
d'"atmosphère" (VI. 317), de "ton" (XI. 339). L'écriture peut apparaître
alors non pas comme ce dont se défait une intelligence émancipée des
obscures façons de l'art, mais moyen disponible par temps de pluralité non
orientée24.
Tableaux, atomes
Les textes envisagés remettent en cause la représentation en ses
usages — entendue comme articulation d'un discours visant à dégager la
cohérence de "ce qui arrive" (TLP. 1, 29)25. Pour du Bouchet, "la
représentation est sans cesse à traverser" (REM, 138), et Hocquard a
entrepris de dompter "le petit singe aristotélicien qui sommeillait en [lui]"
(BT,15). Or Wittgenstein, dans son exposé d'une "forme de la réalité" (TLP.
2.18, 35), "tableau" du "monde" (2.19, 35), passe du Traité aux
Investigations, de l'agencement logique à l'exploration des coutumes
verbales. La pratique du fragment chez André du Bouchet, l'apparition, à
partir de Rapides, en 1980, de recueil sans aucune subdivision interne
marquée, semblent bien aller dans le sens d'une telle composition
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empirique. Les livres d'Emmanuel Hocquard présentent à ce titre les dehors
d'un ordre plus traditionnel. Ironiquement certes, mais de plus en plus, cette
œuvre tend au récit26. Les recueils de poèmes comportent des textes et des
parties, numérotés. Le chiffrage par séries propose même un clin d'œil
wittgensteinien dans la fiction spéculative du Commanditaire, lorsqu'il
aligne en prose des moments narratifs avec des passages d'allure théorique,
dénudant l'armature du récit: "6. Au mois d'août, j'achetai un ventilateur"
(LC, 56) et "16. La rencontre de deux énoncés produit de l'émotion." (63)
Enchaînement simple et clair, un usage raisonné. La probité du
"poète-philologue" (BT, 37), "nettoy[eur]" de langue (33), visant à une
"élucidation" (10) par l'offre d'énoncés limpides, s'opposerait ainsi à la
position d'un poète comme André du Bouchet, qui ne cherche pas à rendre
raison de ce qu'il avance — et récuse de ce fait tout ordre narratif ou
démonstratif. La liaison pour lui ne relève pas d'un plan méta-discursif —
pas de muthos — mais tient à l'articulation de l'expérience dans la langue.
Comme Tal-Coat, toujours "il [lui] reste à trouver un dessin" (EMP, 57): à
déterminer un tracé personnel dans son médium propre. Sans doute, une
valorisation du "mot" s'oppose alors à toute rhétorique héritée qui
conduirait à faire des phrases. Cela n'empêche pas la configuration de
périodes amples, complexes. Mais surtout, le mot demeure "composante
élémentaire de la langue" (DES, 57) telle qu'on la parle. Certains mots sont
des phrases. Il y a des phrases nominales — et, plus largement, à un seul
terme, en français27. À bien lire, comme celle du discours dans la langue,
l'unité constitutive des pages reste ici la phrase: c'est son "rapport"
spécifique (MAT, 10) qui chaque fois accueille un "destinataire" (12) et elle
définit même "le vers dans un poème" (EMP, 110). Au contraire, comme au
geste du dessinateur peut s'opposer, libre de toute inertie matérielle,
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l'"intention" du photographe (LC, 37), Hocquard rejette la "phrase" au profit
de "l'énoncé" qui la subvertit insensiblement en y ménageant la distance
d'un acte: "Un énoncé n'est pas une phrase" (TS. 1.31), "Il peut seulement
[l']habiter" (LC, 105). Ce rejet de la phrase, comme puissance de liaison
aliénante (TS. 1.21), prolonge celle de la "période" classique (2.15) et d'une
langue littéraire assujettie à des "structures rigides" (BT, 35-36).
L'exigence de vérité fonde cette critique des modes d'exposition
traditionnels. À cet égard, l'atomisme logique de Wittgenstein ne doit pas
s'entendre en un sens ontologique. Il vise à déterminer les conditions
d'articulation d'une parole, et conduit finalement à un atomisme énonciatif:
"la forme de la proposition élémentaire ne peut être prévue""28 . Cette
recherche d'un élément premier — insécable — du langage caractérise les
deux œuvres poétiques étudiées. La tentation d'une physique qui soutînt la
représentation apparaît ainsi dans le premier recueil de Hocquard. Les
"images" de la Villa Harris s'étayent en effet de "simulacres" (AI, 15)
empruntés à Lucrèce, cité aussi lorsqu'il pose que "les éléments de la
matière n'ont aucune couleur" (89). Se trouve ainsi rappelé le caractère
idéaliste de l'atomisme antique, déjà chez Démocrite29. De cette recherche,
reste surtout une méthode. Elle compose l'élégie autobiographique à partir
de "fragments" (CHM, 281), "anecdote[s]" (275) et autres "unités
décontextualisées" qui formeront des "séries discrètes" (281) entre les
termes desquelles le poète établit les "connexions imprévisibles" (283), à ses
yeux pertinentes.
Une "bonne" connexion selon Hocquard doit être "courageuse"
(CHM, 283), ce qui renvoie l'acte du poème à une éthique. De même
Wittgenstein fait-il du courage "l'unité de compte pour les pensées" (RM,
70), "la graine d'où sortira un grand arbre" (54). Une telle vertu implique
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un danger, une peur ou du moins une difficulté surmontée, qui caractérise
aussi l'expérience, discontinue, par laquelle du Bouchet entend traverser la
"représentation": "ce point d'être, de présence, on ne le soutient que par
intermittence: il est trop fort pour être soutenu continûment" (REM, 138).
Le mot d'"être" le dit bien: par son intensité, un certain atomisme expressif
manifeste chaque fois dans cette œuvre la vérité, épurée, d'un processus
sous-jacent. Une liaison est ici présupposée, à retrouver, alors qu'elle
demeure à composer toujours à partir d'une abstraction éthique et
linguistique chez Hocquard.
La nécessaire atomisation passe bien dans les deux cas par une
expérience de langage, et l'on peut être frappé par le fait que, de plus en
plus, partie de la sensation l'œuvre d'André du Bouchet médite des
phénomènes verbaux, en autant d'investigations d'être: "mot comme chose"
(DES, 82). Il peut s'agir d'une remarque de Celan (75), du mot "tache" chez
Leiris (EMP, 86 sq.) — mais aussi, dans les livres récents, de paroles
anonymes voire d'une simple situation de communication présentée dans sa
singularité. Des particularités de diction, amalgamées aux circonstances
détaillées qu'un simple mot évoque, entrent ainsi dans l'ensemble de
connexions composant une proposition de sens: "Ca — va — lari — a — a
— a — na appel, / à l'arrêt, du conducteur / qui a cultivé l'élongation
démesurée de l'ongle de son / petit doigt lieu-dit, / un cri // […]
mot espacé, emportant avec soi / […] quelques parcelles de la durée du
trajet pour / ouvrir soudain sur la mer du golfe" (ASE, 15). Lié à d'autres un
mot est montré, afin qu'un acte y soit lu: "appel" mais aussi désignation,
signe et geste, mémoire personnelle d'un lieu.
Montrer le langage
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Si, selon la pensée de Wittgenstein, les propositions communes ont
un sens et parlent du monde, leur forme propre, qui détermine la possibilité
même du langage et les contours de l'expérience, ne peut se dire mais
seulement se montrer. Cette possibilité s'envisage à partir de la position
limite, transcendantale, du sujet du discours, laquelle ne relève d'aucune
connaissance positive mais d'une l'éthique et d'une esthétique. Hors des
belles paroles, un homme réalise une vie bonne et parfois offre très
concrètement aux autres ce qui peut emporter leur assentiment, ce qu'ils
peuvent juger beau. Le courage de la pensée passe par un acte, par la
monstration lucide des formes du langage. Cela implique une mise à
distance des configurations linguistiques usuelles, lesquelles diffèrent d'une
simple logique et imposent des catégories à examiner — ainsi la distinction
du thème et du propos, ou celle du nom et du verbe, insuffisantes pour
rendre compte des complexités énonciatives réelles. Néanmoins, parce qu'ils
consistent à se créer et proposer comme formes à partir d'un donné
empirique, les arts et en particulier la poésie suggèrent une utopie de la
pensée: "La philosophie, on devrait, pour bien, ne l'écrire qu' en poèmes."
(RM, 38)30. Cette composante démonstrative, et créative parce que
rigoureusement critique, Hocquard et du Bouchet l'explorent chacun à leur
manière.
Une page peut montrer le langage. Les blancs d'André du Bouchet
travaillent cette étrangeté, au moins autant qu'ils signifient un accueil
phénoménologique ou ontologique du monde. Et un "théâtre" inquiétant de
la "distance" dénude les énoncés d'Emmanuel Hocquard (BT, 34), jusqu'à
réduire, dans son premier recueil, le verbal au typographique pas simple
exposition de mots, raréfiés, qui apparaissent ponctuellement comme
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essaims de lettres, recombinées sur une page déserte: "une. nue" (AI, 59).
Ce vide où tourne la parole, Hocquard l'active aussi en relayant la réflexion
de Wittgenstein sur les tautologies. Manifestant par excellence la pure
abstraction logique qui réside au fond de tout langage, elles ne "disent rien"
(TLP. 6.1, 89) puisqu'elles sont "inconditionnellement vraie" (4.461, 62).
Dans Un test de solitude, Hocquard confronte la tautologie avec la
singularité d'une personne, à partir d'un énoncé portant sur la dédicataire du
livre: "Viviane est Viviane. / C'est-à-dire je construis une solitude." (TS.
1.2) Coupée de la référence comme postulat d'un monde commun, la
tautologie devient "l'énoncé par excellence" (1.21) car elle ne renvoie qu'à
l'unicité de sa propre énonciation: "Si je pose en règle que tout énoncé est
une tautologie, il s'ensuit que toute proposition […] dit ce qu'elle dit et ne
dit pas autre chose" (1.21) si ce n'est, en poésie "comment je dis ce que je
dis ici" (1.22). Dès lors, rien hors de l'acte constitué par le livre ne porte
d'un "poin[t]" énonciatif à l'autre (2.1): seul vrai verbe d'action, "[ê]tre" est
le "centre vide de la tautologie" (1.17). Tel n'est pas exactement le cas pour
du Bouchet qui, prolongeant en cela l'inspiration héraclitéenne de Char, crée
plus volontiers un point critique en s'attelant à l'autre cas-limite évoqué par
Wittgenstein: la contradiction (TLP. 4.461, 62). Comme par la métaphore31,
il s'agit ainsi de forcer dans la langue une prédication vive afin de mieux
dire ce qui advient: "rafales de / l'immobile" (AJO, 151).
La contradiction, récurrente chez du Bouchet, entre une apparence
fixe et un mouvement latent qu'elle condense ou qui l'emporte, rend compte
de ce qui s'apparente dans son œuvre à la tautologie. Cela consiste plus
précisément à coordonner ou subordonner le même au même, le pluralisant:
"chambre inoccupée compacte / après / chambre" (AJO, 169). Ces phrases
qui "patinent" (INF, 949) suggèrent un dehors "inhumain" (IED, 95) à partir
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duquel une parole se réarticule. Mais elles signifient surtout qu'il n'y a pas
plus de permanence sémantique qu'ontologique. La récurrence, même en
deux points d'un seul énoncé, n'en est pas vraiment une. Elle ne se réduit pas
à son apparence de mots. La forme, le contexte, nuancent. Inflexions de
phrases, ces retours montrent des mouvements de singularités, jamais une
vérité mais la recherche d'une justesse. La solitude se déplace: "… je redis
pour déloger." (RAP, 137) Objectivité toujours à constituer, chaque fois
l'évidence se scinde et disparaît: " je vois ce que je vois, propos sans objet
une nouvelle fois" (ASE, 23). Ce présupposé majeur, d'une permanente
différenciation en acte, éclaire le travail proprement linguistique de cette
poésie.
La distance critique d'Emmanuel Hocquard vis à vis de sa langue
est en effet plus grande, plus univoque peut-être. Elle motive la très
fréquente non pertinence syntagmatique et accentuelle des fins de lignes —
ni prose ni vers — dans les "sonnets" d'Un test de solitude. Une page peut
ainsi faire se télescoper des segments de phrases autonomes connectés:
"[…] La / mais comment faire additionner des pains aucune / Vous dire
que je l' ai vue […]" (1.29). Ligne après ligne, l'énoncé ne s'entend ni ne se
reconnaît dans la langue: il tend à se composer en silence. "Grammaire et
fiction sont un." (2.25) Un tacite contrat de clarté passe donc par la création
de règles et l'instauration de catégories. Il s'agit de fixer ainsi des
différences: "nous nommions les choses pour / montrer ce qui les sépare."
(2.18) On propose un paradigme: "je dis que voir est un verbe / d'état (ou
de changement d'état)" (1.15)32. Certes l'étrangeté, stylistique, peut être un
archaïsme momentané — "pour l'auteur de ces pages, la philosophie se
peut aussi montrer par des images" (1.7) — ou une modalisation paradoxale
qui fait douter de l'évidence: "Il a plu, c'est clair, dimanche toute la
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André du Bouchet et ses autres, Philippe Met (dir.), Les Lettres Modernes-Minard, 2003
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journée." (1.3) Par rapport à un parti pris de simplicité, frappe davantage,
néanmoins, la récurrence de phrases où un syntagme propositionnel acquiert
statut nominal: "[s]a voix de Viviane est Viviane" (1.7), "La cinquième
façade serait / en forme de s'écoule" (2.21), "Deux restent n'a pas de fin"
(2.25). Dans la case élémentaire du nom s'esquisse ainsi un jugement, un
devenir. Mais la forme globale du groupe ou de la proposition demeure
usuelle: limpide, indifférente.
Plus expressionniste apparaît sans conteste, en comparaison,
l'investissement stylistique d'André du Bouchet. La critique ici opère de
façon plus immanente. Moins conceptuelle, plus syntaxique, elle pousse à
leurs limites des structures de la langues parlée. Plutôt que de nominaliser
des propositions, elle recourt volontiers aux prédications substantives: le
nom tend au verbe, et la substance au procès. Cela permet sans doute que
s'esquisse, si le thème passé sous silence est le monde, en une sorte de
rhétorique ontologique une présupposition d'évidence. Mais la construction
des pages rend difficile d'y voir simplement la recherche de quelque pure
profération antéprédicative, monstration de présence, souffle et voix de
l'être à peine faits phrase33. Le travail se situe à cet égard dans la lignée de
l'impressionnisme phrastique mallarméen, indissociable de son idéalisme
typographique — pour une conversation de haut vol. Appositions et incises
ramifient l'assertion: "Vêtu / de sa déchirure // air et montagne // le jour."
(AJO, 21) Retardant souvent le noyau prédicatif d'une phrase, elles
configurent celle-ci comme expérience irréductiblement temporelle —
sensible? —, dont le paradigme propre se construit selon un mouvement que
la mise en page, en général, laisse deviner en ses articulations majeures34. À
travers les accidents d'un discours qui cherche ses formes, ressaisir la langue
implique ainsi de s'y donner.
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André du Bouchet et ses autres, Philippe Met (dir.), Les Lettres Modernes-Minard, 2003
D. Guillaume
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Dire, vivre
Pour un sujet-limite tel que le pose d'abord Wittgenstein, un tel
ressaisissement relève de l'éthique. Car "[l]es mots sont aussi des actes" (IP.
546, 278), et "[l]a solution du problème que tu vois dans la vie, c'est une
manière de vivre qui fasse disparaître le problème" (RM, 41). Le poème se
travaille donc comme acte, intervenant pour autrui. Cela apparaît nettement
chez Hocquard, qui pose en idéal d'écriture la "lettre d'ami" lisible par
quiconque (MVP, 229), en un dispositif relationnel libre de toute
"intimidation" ou "narcissisme" poétique (PR, 49), de tout "ressentiment"
élégiaque (CHM, 277). Il s'agit notamment de convertir les "métaphores"
personnelles que chacun trouve dans sa vie privée, et qui relèvent un peu du
"coffre à jouets" enfantin, en "concepts" plus adultes, à usage civil (MVP,
232). C'est pourtant à un vrai jeu de devinette que peut se livrer le lecteur de
la correspondance publique proposée par certains recueils, connivence
lettrée au travers de prénoms qui laissent apparaître des amitiés littéraires,
tout un petit club de poètes et d'artistes au lieu du seul mage romantique:
"Salut Olivier, où veux-tu en venir?" (TT. 57) "Olivier" Cadiot, "Claude"
Royet-Journoud (9), "Alexandre" Delay (TS. 1.4), "Juliette" Valéry,
"Oscarine" Bosquet, "Pierre" Alfiéri (1.30) permettent ainsi d'entrevoir une
"[c]arte des voix" (2.6), à lire entre anonymat et clôture. La "grammaire" du
"pronom" plutôt que celle du "prénom" (TT. 57) ouvre pourtant bien le livre
à chacun, puisque les "sonnets" adressés "À Viviane" nous disent aussi:
"C'est à vous que je pense." (1.2)
Il semble que dans le désert assourdi, neigeux, de la
communication contemporaine, les sources d'énonciation puissent pour
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André du Bouchet et ses autres, Philippe Met (dir.), Les Lettres Modernes-Minard, 2003
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Hocquard se concevoir comme des "points" autour desquels "[d]es loups
[…] chantent" (TS. 2.1), mais "pas en chœur" (2.3). La mise en place, dans
le jardin du poète, de perspectives qui sont autant de moments d'écriture,
figure de tels points. Dans cet espace "[i]l manque un mot", "entre la
souche brûlée et le canale" (1.10) — "objets" ou "repères grammaticaux"
(1.33) que sépare "une liste" (2.21), opposée à toute phrase ou histoire qui
réunirait artificiellement (1.23). Dans son évidence singulière, au fil de ce
livre dédiée à une femme, en dernière instance un amour permet le lien. Car
faire une liste personnelle y est "[u]ne façon de dire comme ça " (2.12):
"Viviane je vous aime" (2.22). Surtout, le développement de la réflexion en
vient à découvrir que "Oui / pourrait être le mot manquant" (2.2). Aux
énoncés informatifs, à des tautologies qu'il modalise désormais d'une
évidence plus pleine, se substitue ainsi, par cet assentiment un acte de
langage qui n'a d'autre support et contenu que l'existence de l'autre, aimée:
"Oui, Viviane. / Ne répondant à aucune question / […] oui et être sont un."
(ibid.)
En dépit d'une présupposition d'être à même la langue, la relation
dans les œuvres d'André du Bouchet apparaît plus conflictuelle. L'amour
même s'y affirme comme atomisation contenue: "cela / n'est pas peu aimer /
comme / répondre // jusqu'à la poussière qui ne fractionne / pas" (AJO,
121). Cette difficulté fait-elle retrouver les "échasses" lyriques dont se défie
Emmanuel Hocquard (PR, 55)? "J'aime / la hauteur qu'en te parlant / j'ai
prise / sans avoir // pied" (AJO, 70): transcendantal peut-être, le sujet de
parole agit pourtant sans support positif. Tout appui dans l'être est labile, à
refaire toujours par l'avancée du texte: "perpétuel a eu consistance de pas"
(ASE, 112). La hauteur, le dégagement, tendent donc de plus en plus à
signifier une liberté momentanément trouvée dans la "lutte avec la langue"
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André du Bouchet et ses autres, Philippe Met (dir.), Les Lettres Modernes-Minard, 2003
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(RM, 24) et proposée entre égaux: "traitons-nous, veux-tu, en mots" (ASE,
106). L'abrupt de l'adresse à l'autre relève bien sûr d'une fidélité au "fait
obtus d'être soi" (INC, 145). Mais celle-ci est assumée comme limite de son
propre pouvoir, et initiative — matière — laissée à l'interlocuteur.
Wittgenstein avance de même: "Ce que ton lecteur peut faire lui-même,
laisse-le lui." (RM, 97)
Dans ces livres que ne contraint aucun dispositif et que chacun lit
donc, feuillette comme il l'entend, on remarque, avec le temps, une présence
plus grande de la seconde personne — que rappelle bien le titre Ici en deux.
Cette instance désigne bien l'autre, corrélatif de la première personne: "que
tu te retires, / moi-même / deux aussitôt." (IED, 65) Le plus souvent,
toutefois, elle pose un point critique pour une définition, ou mieux, un
aperçu de soi dans lequel Wittgenstein perçoit une visée de l'art et de la
poésie: "Il ne saurait y avoir rien de plus merveilleux que de voir un homme
[…] du dehors, comme nous ne pouvons jamais nous voir nous-mêmes. […]
cela devrait être à la fois effrayant et magnifique." (RM, 15-16) Chez du
Bouchet, l'effort de langage crée cette distance. Se tutoyer revient alors à se
poser en lecteur, hors de la simple adhésion à soi: "j'ai lu dehors" (ASE,
110, 113), "dehors le lecteur que tu as été" (112). L'acte de langage où
l'autre prend place devient désir d'un anonymat — "tel ou tel comme soi"
(110) — qui soit saisie d'une identité vivante: "tu ne t'imagines pas /
respirant." (AXI, 84)
André du Bouchet cite le philosophe luthérien Hamann pour
méditer l'obstacle inhérent à toute communication: "ce qu'on écrit sera
pareil, quelquefois, à un poing fermé. mais […] selon le sacrement de
la langue, libre à chacun de faire de ce poing fermé une main ouverte."
(DES, 55-56)35 Cette compacité, opacité, du point-sujet qui pour apparaître
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André du Bouchet et ses autres, Philippe Met (dir.), Les Lettres Modernes-Minard, 2003
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dans la langue doit être pleinement soi, un autre texte la précise en reprenant
le motif de la main — récurrent chez Wittgenstein lorsqu'il s'agit de saisir
une vérité élémentaire (TLP. 6.3611, 101; IP. XI, 354) — et prolongeant
cette fois une phrase de Montesquieu: "si j'avais la main pleine de vérité, je
me garderais bien de l'ouvrir." (EMP, 113) En effet, "main ou mot, la vérité
de la main, c'est déjà […] d'avoir pour une part été ce qu'elle-même
proposera." (120) Le corps fait retrouver une "matière", fût-elle "de
rencontre" et propre au poème (132), à son rythme, son "timbre" (134). Ne
passe vertigineusement dehors, et vers autrui, qu'une parole qui consent à
être, à articuler une appartenance au monde — pour dire et montrer.
L'exigence critique doit parvenir à "[p]lacer un mot" comme "acte de
confiance irréfléchie" (MAT, 11). Elle ne peut espérer en retour, du lecteur,
qu'une même détermination de soi. Un tel travail d'écriture recoupe les
configurations grammaticales d'Emmanuel Hocquard, au point où la relation
de langage se fait libre assentiment: "oui, libre à chacun, est-il écrit." (DES,
56)
Voir comme
L’adhésion se constitue dans le partage d'un complexe de sens et
de sensations qui seront rapport, parole commune un moment. Ainsi la
"grammaire" du verbe "comprendre" passe-t-elle chez Wittgenstein par
une réflexion sur l'interprétation musicale (IP. 527, 274; RM, 68, 89). Celle-
ci est un acte qui, même si je connais le morceau, peut me surprendre "de
nouveau à chaque fois" (93). Ce caractère productif et exploratoire de toute
communication singulière, les Investigations philosophiques s'y attachent
au travers de la théorie fameuse du "voir comme": "moitié expérience
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André du Bouchet et ses autres, Philippe Met (dir.), Les Lettres Modernes-Minard, 2003
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visuelle, moitié pensée" (IP. XI, 329). Issue de la psychologie de la
perception, sa relation au langage fait sa force lorsque — de Ricœur à
Deguy, par exemple — cherche à se penser une intuition d'être en poésie36.
Wittgenstein réfléchit de fait au caractère inséparable de l'impression et de
l'expression, à la corrélation entre sensation éprouvée et sens configuré.
L'élucidation y travaille ses limites.
Elle en approche au travers d'exemples et de termes dont on repère
l'émergence, la logique même, chez André du Bouchet. La "signification" se
conçoit ainsi comme "physionomie" (IP. 568, 282). Dans la relation labile
du "paradigme" et de l'"objet" (RM, 27), découvrir du sens, c'est le
"reconnaître" (IP. 246, 388) comme "[un] ancien visage sous [un] visage
changé" (XI, 330). Et "l'attente" est un de ces "états" naissants du sens dont
un philosophe cherche la "grammaire" (572, 283). Un texte d'Ici en deux
semble bien condenser cette tentative d'esquisser un schème pour
l'indiscernable. Au départ, "toutes les choses [y] ont un air d'attente,
aussitôt qu'on les voit." (IED, 71) Mais dans cette quête de "la
ressemblance", "il arrive / que, parvenus cette chose même que nous avons
désirée, elle se perde dans une différence infinie. […] qui, alors, / dira le
nom des choses reconnues?" (71-72) Ces pages, comme bien d'autres,
s'intitulent "Peinture", et ailleurs une œuvre de Tal-Coat donne l'occasion de
préciser encore ce "cillement" (EMP, 74), entre sens et sensation, sur la
singularité. Le "trait libre" (61), "momentanément sans nom" (62), n'y
devient "envol / de goélands" (65) que lorsque l'"inconnu / tutoyé" sera
"reconnu" (67). Il offre à chaque fois de nouveau "un regard […] ouvert"
(69). Une telle exploration du sens et du visible aide à saisir pourquoi les
peintres remettent en cause une opposition trop simple entre abstraction et
figuration37. La figure fait jouer le sens, le langage. Sans doute, la
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André du Bouchet et ses autres, Philippe Met (dir.), Les Lettres Modernes-Minard, 2003
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conception d'une œuvre la donne aussi à comprendre insensiblement. Mais
un tel "geste" — énonciation, position — participe de ce qu'il produit. On
peut donc trouver que, dans sa valorisation du conceptuel et du pop'art,
Arthur Danto tend par trop à "tenir pour négligeable la différence des
qualités manifestes""38. Cela simplifie l'analyse, pas nécessairement
réductible à celle d'un expressionnisme.
Dans son investigation du sensible à dire, Wittgenstein en passe de
façon récurrente par une réflexion associant couleur et douleur. "[N]ous
aimerions dire toujours: 'La sensation de la douleur est la sensation de la
douleur […]'" (IP, 351, 236) et "La rose est également rouge dans
l'obscurité" (514, 271). Avec "hauteur" d'emblée (IED, 7), ces termes
apparaissent, dans Ici en deux, parmi ceux qui donnent à la parole son
espace d'exploration. La douleur se situe ainsi entre "présence à l'exigü"
(23) et "souvenir de la douleur" (49). Quant à la couleur, elle confirme une
valeur dynamique ancienne dans les suivis du monochrome, chez Tal-Coat.
Elle est "la foulée plus rapide que le pas" (IED, 123) et son cillement
propre, dans "Peinture", ôtait un support à la reconnaissance: "la croisée
renvoyant la couleur de sa lumière au bleu qu'on ne voit pas" (72). Chaque
fois, au plus près, "l'/identité […] décolore" (156). Dans sa Théorie des
Tables, quant à lui, Emmanuel Hocquard fait vaciller, permuter, "expérience
de la couleur" (TT. 21) et "de la douleur" (25). Celle-ci tient sans doute à la
"solitude" de chacun dans son discours face aux "objets" (TS. 2.14). La
pallier peut revenir à tenter de montrer ce qui se compose et se défait
d'évidence dans la saisie d'une couleur: une "intention" c'est-à-dire une
"intonation" (LC, 41), si par exemple "[u]n bleu dit une question" et que
"l'intonation contient / la grammaire d'un bleu" (TT. 35). On se demandera
ainsi: "À quelle distance / une vague est bleue?" (48) On traduira: "Un drap
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André du Bouchet et ses autres, Philippe Met (dir.), Les Lettres Modernes-Minard, 2003
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est violet / veut dire penser une nuit de plus" (50). La singularité de
l'interlocution se prononcera insensiblement, la faute de conjugaison
proposant un sens: "Une robe es rouge" (44).
Intention, la différence d'intonation demeure donc silencieuse, et
apparaît pour ainsi dire au seul regard linguistique du lecteur. Du Bouchet,
s'il en fait une ressource modalisante — "distance au plus près" (INC, 69)
— voit en outre l'intonation comme puissance de configuration critique pour
la phrase: "parole en sous-œuvre muette" et "rupture formant maillon"
(ibid.). De même le travail de son matériau par un artiste peut-il ne pas se
contenter de mythologiser une subjectivité en art pur. La photographie,
quant à elle, se fait captation et cadrage d'éléments extérieurs à la pensée
comme au geste. Elle montre ce qu'agence et recueille une position. C'est un
peu ce que tente Emmanuel Hocquard, recombinant des instances, dans la
phrase même, plutôt que de s'en prendre aux articulations syntaxiques
héritées, et de risquer ainsi quelque compromission stylistique avec une
littérature antérieure. Le pari semble être que, toute défiante qu'elle soit de
la "musique" (PR, 61), cette poésie crée, par échos d'idées, suggestions
théoriques et fictionnelles plus que rythmiques, un "chant" très assourdi
proposant au lectuer un libre "champ" d'interaction (TS. 2.25). Dans cette
page ultime d'Un test de solitude, l'homonymie se décline par les timbres
nasalisés qui en modulent le sémantisme: "entre", "sans", "comprend",
"silence", "blanche" (ibid.). Elle prolonge les répétitions de mots
programmatiques et entêtantes, diversement accentuées, dont la ritournelle
d'un verbe "être" qu'il faut vider "de sa substance" (2.2).
Une certaine faveur du discret et de l'abstrait n'éloignent-elles pas
ainsi du parcours wittgensteinien? Celui-ci, en effet, mène d'un traité
systématique à des analyses qui veulent être autant "d'esquisses de
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André du Bouchet et ses autres, Philippe Met (dir.), Les Lettres Modernes-Minard, 2003
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paysages" (IP, 111) contenant leur logique propre. Plus romantique peut-
être en cela qu'annonciatrice de la philosophie analytique39, sa pensée ne
conduit-elle pas surtout, dès lors, à une pratique d'écriture? Il réfléchit à son
propre "style" (RM, 55, 70), lequel semble manquer à ses yeux de
"sauvage[rie]" (53), et envisage au mieux le "paradigme" d'une œuvre à
travers "le rythme de notre langue, de notre pensée, de notre sensibilité"
(69), dans la "culture" dont l'art peut préfigurer "l'epos" (21) — sur fond
d'intérêt pour Spengler (27). Sa réflexion lui fait retrouver la valeur
aristotélicienne de la métaphore — qui montre l'être en acte — dans la
mesure où le travail de la ressemblance lui permet de mettre en évidence des
mouvements, plus que des structures40. Cherchant au fond à dissoudre
l'élément des problèmes à force d'analyse, Wittgenstein préférera à l'atome
l'image des "fibres", dont l'étroit enveloppement assure "la résistance du fil"
(IP. 67, 148). L'intrication des parties — dans le réel, dans le langage —
tend donc à composer une matière, et l'effort de leur élucidation doit
reconnaître d'abord qu'il en participe.
Sans doute le postulat d'être chez l'auteur du Tractatus se fait-il
moins évidemment accueil du monde que certaines pages d'André du
Bouchet: ces moments du "perplexe dénoué toujours" (ASE, 110). Sa
mystique est une position de langage, et sa pensée de l'énonciation suppose
une dominante opératoire dans la relation symbolique au réel41. Il peut
s'interroger néanmoins, au passage, sur "ce qui dans la nature constitue la
base de la grammaire" (IP. XII, 362): "la nature le soutenant au défaut du
discours", selon Pascal cité par du Bouchet? (DES, 68) Ce dernier, en tout
cas, plus qu'Emmanuel Hocquard, qui cherche une intelligence et une
éthique d'écriture par dégagement hors des usages expressifs de la poésie, a
pu être sensible a tout ce qui, chez Wittgenstein, s'apparente à une saisie du
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vivant dans le langage: à la visée d'une "forme de vie" (IP. 23, 125). L'effort
de pensée à même la phrase doit pour lui aider à voir un sens naissant,
"natal " (PEI, 160). Expression et élucidation s'entremêlent ainsi pour celui
qui affirme n'avoir "jamais eu de langue maternelle" (ENT ). Longtemps
avant de rappeler l'origine, en Savoie au dix-huitième siècle, d'une famille
française passée par les États-Unis et la Russie (ibid.), il a écrit de "la
montagne: elle n'est que langue" (PEI, 146), et s'est choisi une demeure
dans les Préalpes. Idées, pensées, actes, se forment à travers un médium
bien particulier, qui les nuance. Comme sur la photographie ouvrant Un test
de solitude, le "chemin de Wittgenstein" apparaît ainsi "sous la neige" (TS.
2.17), "de traverse" (2.18).
1. Aux principales œuvres d'André DU BOUCHET, nous ajouterons les références suivantes: "L'Infini et l'inachevé. Victor Hugo" (Critique n° 54, novembre 1951): INF.; "Remous", entretien avec Alain Venstein (L'Autre journal n° 1, décembre 1984, p. 183): REM.; entretien avec A. Venstein (France Culture, Surpris par la nuit, 20 novembre 2000): ENT.. Les titres d'Emmanuel HOCQUARD seront ainsi abrégés (ici comme par la suite, sauf indication contraire, le lieu de publication est Paris): Album d'images de la villa Harris (Hachette, 1978): AI. , La Bibliothèque de Trieste (Éditions Royaumont, 1988): BT., Théorie des tables (P.O.L., 1992): TT., Le Commanditaire (P.O.L., 1993): LC., Un test de solitude (P.O.L., 1998):TS.. On citera également "Ma vie privée", Revue de Littérature générale n°1, "La mécanique lyrique" (POL., 1995): MVP., "Cette histoire est la mienne (petit dictionnaire autobiographique de l'élégie)", paru in Le Sujet lyrique en question (Bordeaux, Modernités 8, 1996): CHM., et un "Entretien" avec Stéphane Baquey paru dans la revue Prétexte, carnet hors-série n°9, juin 1998: PR.. Les titres de Ludwig WITTGENSTEIN seront ainsi abrégés: Tractatus logico-philosophicus suivi de Investigations philosophiques (Gallimard, "Tel", 1999 [1961]): TLP. ou IP. selon le livre auquel il sera fait référence; Remarques mêlées (Mauzevin, T.E.R., 1990 [1984]): RM.. Les parties et paragraphes seront précisés après un point, les numéros de page après virgule. 2. Jean-Michel ESPITALLIER cite ainsi L'Art poetic' d'Olivier Cadiot (P.O.L, 1988) comme un exemple "significatif" de ce qui a "fait école": ce recueil est écrit à partir de découpages, effectués dans des ouvrages de grammaire notamment. Cf. Pièces détachées, Une anthologie de la poésie française d'aujourd'hui (Pocket, 2000), p. 11. 3. Cf. Serge FAUCHEREAU, Lecture de la poésie américaine (Somogy, 1998) (Minuit, 1968), pp. 125-126; Jacques ROUBAUD, Vingt poètes américains, présentation de Jacques Roubaud, choix de Michel Deguy et Jacques Roubaud (Gallimard, "Du monde entier", 1989), pp. 14-15; Serge GAVRONSKY, in Louis ZUKOFSKY, A (sections un à sept) (Dijon, Ulysse fin de siècle, 1994), pp. 23-24. 4. Cf. les propos recueillis par Monique PÉTILLON, pour Le Monde des livres, 10 juin 1983. La date de son retour en France — avant ses premières publications, en 1949 — se déduit de celle de sa première rencontre avec Pierre Tal-Coat, au cours d'un séjour chez André Masson dans la région d'Aix-en-Provence, en 1948; cf. Jean LEYMARIE, Tal-Coat (Genève, Skira, 1992), p. 66.
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5. Cf. Serge FAUCHEREAU, op. cit., pp. 19, 22, 23, 70, 87. Il rappelle notamment qu'un tableau de Tal-Coat, acquis par Wallace Stevens, lui a inspiré son poème: "Ange entouré de paysans". 6. Ibid., pp. 137, 133, 139. 7. Ibid., p. 76. 8. On se rappelle qu'André du Bouchet a consacré des textes à Giacometti et Tal-Coat, ainsi qu'à Bram Van Velde (INC, 190-191), qui ont illustré ses livres, et à Nicolas de Staël (RV, 11-14). On a moins tenu compte de son intérêt pour l'œuvre de Jean Hélion. Cf. à ce propos la bibliographie d'Yves PEYRÉ, reprise par Michel COLLOT in Autour d'André du Bouchet (PENS, 1986). Concernant l'opposition, parfois polémique, entre art français et américain après guerre, cf. Clément GREENBERG, Art et culture (Macula, 1988) (Boston, 1961, Beacon Press), pp. 133-140 et 227-230. Sur la situation en France, cf. Bernard CEYSSON, L'École de Paris? 1945-1964 (Luxembourg, Fondation Musée d'art moderne Grand-Duc Jean, 1998), pp. 11-25. Pour le "tournant" et l'œuvre de Tal-Coat après guerre, cf. J. LEYMARIE, op. cit., pp. 61 sq.. 9. Harold ROSENBERG, "Les peintres d'actions américains" in La Tradition du nouveau (Paris, Minuit, 1998 [1962)) (New-York, Horizon Press, 1959), pp. 26, 30, 32. 10. Ibid., pp. 28, 31. 11. Cf. Arthur DANTO, L'Art contemporain et la clôture de l'histoire (Seuil, 2000) (Princeton University Press, 1997), pp. 85 sq., 11, 109-111 et Pierre REVERDY, Oeuvres complètes (Flammarion, 1974) (Self Défense, 1919), p. 104. 12. A. DANTO, op. cit., pp. 59-61, 119-123. 13. Ibid., pp. 116, 249. 14. Ibid., pp. 107, 33-34, 40-41, 198. 15. Ibid., p. 284. L'auteur dit s'en tenir ainsi à la définition hégélienne de l'art. 16. Cf. B. CEYSSON, op. cit., pp. 25-26 et A. DANTO, p. 40. 17. Stéphane BAQUEY a comparé le canale avec une installation proposée par Jan Dibbets en 1968: Perspective correction (Square with diagonals) ; cf. son article "Emmanuel Hocquard: une poésie littérale?", in Poétiques et poésies contemporaines, ouvrage collectif dont j'organise la réalisation, à paraître en 2002. Hocquard se réfère d'ailleurs explicitement au Land Art (CHM, 282). 18. On retrouve ainsi l'opposition entre une possible aura des œuvres et leur valeur d'exposition, dégagée par Walter BENJAMIN, en particulier dans "L'œuvre d'art à l'époque de sa reproduction mécanisée" (1935), repris in Écrits français (Gallimard, "Bibliothèque des Idées", 1991) (Frankfort, Suhrkamp Verlag, 1972), pp. 140-171. Pour ce qui est d'une pertinence de la représentation pornographique dans les problématiques poétiques contemporaines, cf. Jean-Marie GLEIZE (PR, 48). Il se réfère notamment à Duchamp. Enfin, dans son essai de 1930, "An Objective ", Louis ZUKOFSKY définit l'"objectif" en termes optiques: "The lens bringing the rays from an object to a focus "; Prepositions (Londres, Rapp & Caroll, 1967), p. 20. Cité in George HARTLEY, Textual Politics and the Language Poets (Indiana University Press, 1989), p. 17. 19. A. DANTO, op. cit., pp. 283, 193-195. Jacques BOUVERESSE considère que la pensée de Wittgenstein permet de remettre en cause l'esthétique selon laquelle il existerait des propriétés communes à toutes les œuvres d'art, in Wittgenstein: la rime et la raison. Science, éthique et esthétique, (Minuit, 1973, p. 155). Le concept d'"air de famille" fonderait ainsi le ready made ou le pop'art… 20. La revue Action poétique consacre ainsi son n° 159, automne 2000, à la question du montage, avec une série de productions contemporaines. 21. E. HOCQUARD a notamment traduit Sun de Michael Palmer (Paris, P.O.L., 1996). Les collection de traduction dont il s'occupe pour Un bureau sur l'atlantique comprennent par exemple des textes de Bob Perelman et Charles Bernstein, ce dernier dirigeant la revue L=A=N=G=U=A=G=E (PR. 54-55, 62 n. 9). 22. Cf. G. HARTLEY, op. cit., pp. XII-XIII, 78-82. Steve BENSON pose ainsi que pour les poètes de cette mouvance — à laquelle il participe, avec sa revue The figures —, "le lecteur est perçu non comme un consommateur de l'expérience qui sous-tend le poème, mais comme un compagnon d'écriture qui prend part à la mise en œuvre […]". Cf. "Introduction collective au mouvement de LANGUAGE POETRY ", in Change n° 41, 1981, p. 153. 23. Il prend en outre, récemment, ses distances avec la poésie de Michel Leiris considérée sous l'abord du "jeu de mots ", en parlant de "jeux de langage", de "jeu dans le langage" (ENT ). 24. A. DANTO, op. cit., pp. 188-189.
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André du Bouchet et ses autres, Philippe Met (dir.), Les Lettres Modernes-Minard, 2003
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25. Sur la mimèsis comme articulation, cf. Laurent JENNY, "Poétique et représentation", in Poétique n° 57, avril 1984, pp. 171-195. 26. En 1981, Nanos VALAORITIS décèle chez les "Language poets " cette même tendance, analysée aussi par Bob PERELMAN (Change, op. cit., pp. 161 et 156-157). 27. cf. Martin RIEGEL, Jean-Christophe PELLAT, René RIOUL, Grammaire méthodique du français (P.U.F, 1999 [1994]), pp. 457-459. 28. Propos de Wittgenstein cité in Gilles-Gaston GRANGIER, Invitation à la lecture de Wittgenstein (Aix-en-Provence, "Alinéa", 1990, p. 78; cf. aussi pp. 81, 75, 53). 29. Cf. Jean-Paul DUMONT, Les Écoles présocratiques (Gallimard, Folio essais, 1991 [1988], pp. XXXIX, XL). 30. Pour une interprétation de cette phrase, cf. G.G. GRANGIER, p. 193. Pour la relation entre dire et montrer dans la proposition, cf. L. WITTGENSTEIN: TLP. 4.12, 121, 1212, 53; sur la position transcendantale du sujet: 5.6 et 5.632, 86-87; sur le caractère extra-mondain des valeurs éthiques et esthétiques: 6.41 et 6.421, 103; sur un "droit au silence " en matière éthique, cf. Christiane CHAUVIRÉ, Ludwig Wittgenstein (Seuil, Les Contemporains, 1989, pp. 78, 84, 116-117); sur un rôle positif de l'œuvre et sur la question du jugement esthétique, cf. J. BOUVERESSE, op. cit. pp. 153, 159; sur la différence entre logique et langue, cf. L. WITTGENSTEIN, TLP. 4.002 et 4.0032, 46; sur le fait que l'œuvre dit en montrant: IP. 523, 273 et C. CHAUVIRÉ, op. cit., pp. 111, 114. 31. Cf. Paul RICOEUR, La Métaphore vive (Seuil, 1975). 32. Cf. L. WITTGENSTEIN: "la vision est un état " (IP. XI, 345). 33. Cf. Henri MESCHONNIC, Pour la Poétique II (Gallimard, 1973, pp. 150, 388-389). Michel COLLOT évoque la "fonction déictique et synthétique de la construction nominale " chez du Bouchet, in "La syntaxe nominale dans la poésie moderne" (Ellipses, blancs, silences, textes réunis par Bertrand Rougé, Presses Universitaires de Pau, 1992, p. 112). 34. Cf. Laurent JENNY, "La phrase et l'expérience du temps" (La Parole singulière, Belin, 1990, pp. 169-182; envisageant le rythme comme une "dynamique relationnelle, non-liénaire, des unités de sens ", Lucie BOURASSA accorde ainsi une importance particulière à la "dimension syntagmatique" de la page chez du Bouchet, avec ce qu'elle implique d'"inachèvement" de "disjonction" et de "densification" ; cf. "La fonction heuristique du rythme: signifiance du temps et temporalisation du sens" (Le Sens du rythme, Università di Urbino, Documents de Travail du Centre Internationale de Sémiotique et de Linguistique n°283-285, avril-juin 1999, p. 17) et Rythme et sens. Des processus rythmiques en poésie contemporaine (Montréal, Les Éditions Balzac, 1993, p. 280). 35. Pour la citation exacte, cf. Johann Georg HAMANN, "Métacritique sur le Purisme de la Raison pure", traduit in Henry Corbin, Hamann, philosophe du luthéranisme (Berg International, 1985, p. 147). 36. Cf. J. BOUVERESSE, op. cit., p. 197, P. RICOEUR, op. cit., pp. 268 sq. et Michel DEGUY, par exemple in La Poésie n'est pas seule (Seuil, 1987, pp. 97-99). 37. Cf. l'introduction de Dora VALLIER à Certitude de l'incertain. Lyrisme et paysagisme abstraits en France de 1945 à 1975 (Marseille, Musée Cantilini, 1977, p. 10). Interrogé en 1959 par Georges Charbonnier, Pierre Tal-Coat qualifie de "leurre", et de "mystification", "le prétendu dilemme entre l'abstraction et la figuration" ; il rejette toute assimilation de la peinture au "signe" autant qu'au "geste" ; cf. J. LEYMARIE, op. cit., p. 93. 38. Critique de Dominique CHATEAU in La Question de la question de l'art. Note sur l'esthétique analytique (Danto, Goodman et quelques autres) (Saint-Denis, P.U.V., 1994, pp. 58-59). Il reproche aussi à Danto de ne pas assez prendre en compte l'œuvre de Duchamp et, traitant sommairement l'héritage hégelien, de voir l'histoire de l'art à la façon, conceptuelle, d'un Joseph Kosuth; ibid., pp. 56, 61. 39. Cf. Jean-Gérard ROSSI, La Philosophie analytique (P.U.F., "Que sais-je?", 1993 [1989], pp. 61-62). 40. Cf. G.G. GRANGIER, op. cit., p. 194, ARISTOTE, Rhétorique III. XI (1411 b, 1412 a) (Le Livre de Poche, 1991, pp. 337-338) et P. RICOEUR, op. cit., pp. 51-61, 389 sq.. 41. Cf. G.G. GRANGIER, op. cit., p. 84.