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Le Consistoire en Algérie :Une page d'histoireLe Consistoire en Algérie :Une page d'histoire

Message du Grand Rabbin d'Israël

Les Dix Jours du ConsistoireLes Dix Jours

du Consistoire

La vie quotidiennedes juifs en banlieue en 2012

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AU SOMMAIRE D’

Editorialiste : Josy Eisenberg

Chroniqueur : Guy Konopnicki

Comité de rédaction : Josy Eisenberg, Michel Gurfinkiel, Victor Malka, Joël Mergui, Philippe Meyer, Clément Weill-Raynal.

Collaborateurs : Armand Abécassis, Albert Bensoussan, Hélène Hadas-Lebel,Carol Iancu, Gérard Israël, André Kaspi, Naïm Kattan, Elie Korchia, Odette Lang, Annie Lelièvre, Daniel Sibony.

Administration : Jessica Toledano

Régie publicitaire : Média 5 - Tél. : 06 60 43 08 14Maquette : Mike CohenPhotographies : Alain Azria

Edité par S.a.r.l. Information Juive le journal des communautésau capital de 304,90 €Durée de la société : 99 ans

Commission paritaire des journaux et publications : 0708K83580

Dépôt légal n° 2270. N°ISSN : 1282-7363

Impression : SPEI Imprimeur - Tél. : 03 83 29 31 84

Les textes de publicité sont rédigés sous la responsabilité des annonceurs et n’engagent pas Information juive.

Abonnement annuel : 33 €Abonnement de soutien : 46 €Abonnement expédition avion : 37 €

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INFORMATION JUIVE17, rue Saint-Georges75009 Paris

Rédaction :01 48 74 34 17 Administration : 01 40 82 26 82Fax : 01 48 74 41 97 [email protected]

Fondateur :Jacques Lazarus

Gérant de la SARL, directeur de la publication :Philippe Meyer

Directeur :Victor Malka

N°326 - OCTOBRE 2012

NOTRE OPINION 4- Inquiétudes et fierté par Philippe Meyer

EDITO 5- Ni déni ni amalgames par Joël Mergui

ACTUALITÉS 6- Manuel Valls : "La France a une part juive incontestable"

Un entretien avec le ministre de l'Intérieur

8- La vie quotidienne des juifs en banlieue parisienne en 2012 Une enquête d'Ilan Malka

11- REPÈRES

LA CHRONIQUE DE GUY KONOPNICKI12- Il serait grand temps d'en rire

JUDAÏSME16- Un entretien avec le grand rabbin d'Israël Shlomo Amar

BONNES FEUILLES18- Les séquelles du nazisme par Jeffrey Herf

RELIGIONS20- Où en sont les relations judéo-chrétiennes ? un entretien avec Jean Dujardin

21- LA VIE DU CONSISTOIRE

COMMUNAUTÉS26- Beth Midrach Lenachim - Etudes juives au féminin

un entretien avec madame Joëlle Bernheim

HISTOIRE

27- Le Consistoire en Algérie : une page d'histoire un entretien avec Valérie Assan

JUDAÏSME

31- “Du Talmud à la psychanalyse…” un entretien avec Tobie Nathan

34- Transmettre l'Histoire juive un entretien avec Sylvie-Anne Goldberg

IN MEMORIAM

36 - L'hommage à Jean Halpérin par Anne Sand

36 - Le souvenir du juste… par Jean Halpérin

37 - Shlomo Venezia par Jean Mouttapa

LETTRES

38- Actualité d'Isaac Bashévis Singer par Albert Bensoussan

40- EN BREF

CINÉMA

41- Lorsque pour vivre, il faut savoir partir par Elie Korchia

42- VERBATIM / CARNET

6 12

16

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16 22

24 41

31 38

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4 INFORMATION JUIVE Octobre 2012

Inquiétudes et fierté

PAR PHILIPPE MEYER*

NOTRE OPINION

Les récentes opérations de démantè-lement vont dans ce sens. Le travail à fairedemeure toutefois immense pourdébusquer et se débarrasser de ce poisonqui, au-delà de la menace directe qu'ilreprésente pour la communauté juive,ronge l'ensemble de la société française.

Alors que faire ? Toute solution passerapar l'éducation dans les écoles desquartiers dits difficiles, la pédagogie desreprésentants politiques et intellectuelsde la société, la fermeté des pouvoirspublics, la répression sans faille contre lescrimes commis, le contrôle strict au seindes prisons. Tout cela prendra du temps,et exige détermination et courage de lapart des défenseurs des valeurs de la

République. Sans quoi le pire est àcraindre. Citons Albert Einstein : " Lemonde ne sera pas détruit par ceux quifont le mal, mais par ceux qui lesregardent sans rien faire ".

Et si bien sûr tout amalgame relatif àl'Islam en France doit être banni, undiscours de rejet clair et ferme desautorités représentatives de la religionmusulmane en France, à tous les niveaux,reste nécessaire à l'encontre de ceux quisalissent l'Islam par les crimes qu'ilscommettent soit-disant en son nom.

D'ici là, à l'heure où tout sembles'assombrir et face aux grandes incer-titudes pour l'avenir, la meilleure réponsequ'apporte la communauté juive auxMerah et autres Louis-Sidney demeurecelle du choix de la vie, de la dignité et dela fierté.

Comment ne pas être fier lorsquemalgré le climat morose et les menacessécuritaires, les synagogues sont restéespleines à l'occasion des récentes fêtes deTichri ?

Comment ne pas être fier lorsquemalgré l'horreur de Toulouse, les écolesjuives n'ont pas désempli lors de cetterentrée scolaire, bien au contraire ?

Comment ne pas être fier lorsque notre

La communauté juive deFrance est inquiète. Commesi les menaces venues detoute l'Europe contre laliberté de culte ne suffisaientpas, le sinistre triptyque

islamisme-terrorisme-antisémitismefrappe désormais avec une violencecroissante, aveugle et assassine. Il existechez nous des groupuscules déterminésà la violence contre les juifs. Ici uncommerce cacher attaqué à la grenade,là une synagogue cible de tirs, ailleursune famille agressée dans sa Souccah ouencore des enfants qui se font arracherleur kippa ou frapper parce qu'ils enportent une. Et la liste est longue, commecelle des projets d'attaques découverte parles forces de l'ordre à l'issue de l'opérationanti-terroriste du 4 octobre. Un ventmauvais souffle de plus en plus fort.

La barbarie de Toulouse et la mort deMerah ont libéré le passage à l'acte. Cettehaine est ciblée. Cette violence est signée.Commise au nom d'un combat islamisteradical, elle se cache derrière unantisionisme de façade pour exprimer unantisémitisme viscéral destiné à alimenterun discours antioccidental. Comme nousl'indique le Ministre de l'IntérieurMonsieur Manuel Valls dans un entretienqu'il nous a accordé et que nous publionsdans ce numéro, "ce nouvel antisémitisme,souvent virulent, s'est installé au cœurmême de nos quartiers".

Le terrorisme de proximité, quiconsidère le juif comme son ennemi, faitson apparition. Le principal risqueterroriste en France n'est pas importé, maisest issu de jeunes qui ont grandi dans nosvilles, parfois récemment convertis àl'Islam, qui sont abreuvés de sites internetvéhiculant un discours antisémite violentet qui pour certains d'entre eux ont transitépar nos prisons constituant souvent descreusets à la radicalisation. Combien sont-ils ces djihadistes en puissance ? Quelquesdizaines, quelques centaines ?Suffisamment pour justifier la peur de lacommunauté juive, et renforcer lavigilance de la communauté nationale.

Les pouvoirs publics font part de leurdétermination à agir pour " pourchasseret éliminer " ces cellules terroristes commel'a indiqué le Président de la République.

jeunesse demeure digne et responsablemalgré les provocations et les agressionsqu'elle subit au quotidien ?

Comment ne pas être fier lorsqu'estrépétée tous les Chabbat matin, danstoutes nos synagogues, la prière pour laRépublique, avec cette kippa sur la têteque certains voudraient nous enlever ?

Comment ne pas être fier lorsque lesrestaurants et commerces cacher semultiplient et ne désemplissent pasmalgré les attaques de toutes parts,qu'elles soient physiques ou morales ?

Comment ne pas être fier lorsque quatreprix Nobel ont à nouveau été attribuéscette année à des chercheurs juifs ? Et pasn'importe lesquels : le prix Nobel de

Chimie décerné aux américains RobertLefkowitz et Brian Kobilka, le prix Nobeld'Economie décerné à l'américain AlvinRoth, et le prix Nobel de Physique décernéau français Serge Haroche que nousfélicitons chaleureusement pour cettebrillante distinction. Rappelons que surles près de 750 prix Nobel décernés dansle monde depuis 1901, près de 25% l'ontété à des récipiendaires juifs. Des prix quireflètent avant tout la soif deconnaissances et la volonté de préparerl'avenir.

Le peuple juif a de tout temps été lepeuple du livre, de l'étude, du question-nement, de la transmission, de la joie, etde la vie.

Quand certains ne songent qu'àassouvir leur soif de haine et de violence,le Peuple juif continue lui de donner lapriorité, à la défense des valeursuniverselles et à la construction de l'avenirde ses enfants. Quand certains fontl'apologie de la mort et des martyrs, lePeuple juif place lui la vie au cœur de tout.Aux antisionistes et aux antisémites detous bords, voilà une leçon magistrale.Probablement la plus belle.

--*Directeur de la publication

La meilleure réponse qu'apporte la communauté juiveaux Merah et autres Louis-Sidney demeure celle du

choix de la vie, de la dignité et de la fierté.

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Ni déni ni amalgames

PAR JOËL MERGUI*

Sarcelles, l'exécution des petits enfantsjuifs de Toulouse et le meurtre des soldatsfrançais comme des dégâts collatérauxd'un "conflit extérieur importé". Leur seulpoint commun avec le conflit du Moyen-Orient est la haine idéologique qui englobeIsraël et les Juifs en une seule et mêmedétestation. Luttant en Afghanistan etcontre le terrorisme, la France est doncdevenue une cible.

Un nouvel antisémitisme -l'antisionisme-s'est installé en France et en Occident etutilise l'Islam et la haine des Juifs poursaper les bases de la démocratie et du vivreensemble. Jusqu'ici nous étions les seulsà le dénoncer ouvertement, à appelerterroriste un islamiste radical qui nousprenait pour cible. Peu de personnesqualifieront aussitôt d'attentat terroriste lagrenade dans un magasin casher.Aujourd'hui, la mort d'un autre extrêmistesalafiste, la mise à jour d'une véritablecellule terroriste et les déclarations lucideset déterminées au plus haut sommet de

l'Etat prouvent que les craintes de laFrance et des Juifs étaient fondées etlégitimes.

Aujourd'hui, la preuve est faite demanière indiscutable que l'islamisme estcriminel et antisémite et tue pour imposersa violence et un ordre de la terreur. Il resteà la société toute entière, à tous les niveaux,d'en prendre conscience, d'accepterl'évidence et d'agir en conséquence.

Personne ne pourra dire qu'il ne savaitpas. Personne ne pourra dire que cela nele concernait pas. C'est donc à chacund'entre nous de lutter contre ce nouveaufléau en ne cédant pas aux amalgames,en les dénonçant partout sur internet, lesréseaux sociaux, dans les écoles, lesbanlieues et les prisons. C'est bien sûr à lapuissance publique de se doter desmoyens de renseignement et d'action à lamesure de l'enjeu, mais c'est aussi à lacommunauté musulmane de France qu'ilappartient de refuser de laisser pervertir

Recherchant ceux qui avaientlancé une grenade dans uneépicerie casher à Sarcelles,six mois -jour pour jour-après la tragédie deToulouse, la police a

découvert une véritable cellule terroriste.Dans les deux cas, les criminels sontjeunes, français, ils ont grandi dans lesécoles de la République etinstrumentalisent la religion musulmanepour mener, en France, des actionsterroristes dont le caractère antisémite estincontestable, parce que les Juifs sontchoisis comme cibles privilégiées.

Reçu aux lendemains des faits par lesPrésidents de la République successifs,Nicolas Sarkozy et François Hollande, j'aisouscrit à chacun de leurs discoursappelant au refus des amalgames, etchaque fois j'ai tenu à dissocier Islam etislamisme radical, Islam et djihadisme ousalafisme. Mais il est d'autres raccourcisde pensée à ne pas commettre comme

assimiler religion et obscurantismemeurtrier, au motif que l'islamisme radicalutilise la religion musulmane pourrépandre la terreur. Jamais le Judaïsme -religion non prosélyte- n'a répandu laterreur au nom de D.ieu. Par conséquent,vouloir transformer la laïcité en instrumentde répression des religions ne constitueévidemment pas la réponse adaptée àl'islamisme radical qui n'a que faire desvaleurs et des pratiques religieuses.

Dire qu'il s'agit d'un conflitintercommunautaire est une autre erreur.Voit-on des Juifs attaquer des musulmans,des Mosquées ou des écoles bunkeri-sées ? Non. Les Juifs sont agressés maispas agresseurs et ce qui se joue là n'est pasreligieux. Le tueur des Juifs de Toulousea d'abord tué des soldats français parcequ'ils représentaient la France et les valeursde l'Occident.

Une autre preuve d'aveuglementconsiste à expliquer la grenade de

son image et son culte auprès de sajeunesse. A tous ceux qui animent le tissulocal musulman, aux Imams, recteurs, laïcset présidents d'association sur le terrain derelayer la parole exprimée par leurs leadersnationaux. Aux intellectuels, artistes,sportifs musulmans dont l'audience etl'influence sur la jeunesse sont réelles derelayer un message de prévention, contrela haine, la subversion des esprits et pourempêcher que d'autres jeunes basculentdans le terrorisme, comme le fait la mèreadmirable du jeune soldat musulman tuéà Toulouse.

Les inégalités et les injustices, souventflagrantes dont les jeunes issus del'immigration font l'objet, les Juifs réfugiésde pays où ils ont été sévèrementpersécutés les ont bien connues. Malgrénotre expérience tragique en Europe etpartout dans le monde, nous n'avonsjamais choisi la rancœur, la vengeance oula violence.

Le 14 octobre dernier, à la synagoguede La Roquette -fondée par les immigrésjuifs turcs arrivés au début du siècle-, j'aitenu à rendre hommage à ces derniers,venus rejoindre les siècles d'un Judaïsmefrançais bien établi. D'une intégrationparfaitement réussie en Orient, ils ontréussi -dans la même génération-, às'intégrer parfaitement en Occident et àpasser, sans heurt, d'un monde traditionnelà la modernité. Ils ont fait confiance à laFrance, à sa laïcité tolérante qui ne les apas plus "hébergés" que les autrescomposantes de la nation. Citoyensfrançais depuis des siècles ou depuisquelques années, tous ont bénéficié dedroits mais assumé tous les devoirs avecun égal enthousiasme.

Les Juifs sont fiers d'être une toute petitepartie de la France, d'être des Juifs français,des tricolores en kippa. Nous nel'abandonnerons pas au moment où desextrémistes veulent nous utiliser commecible pour répandre la terreur. Nous disonsnon à la peur, non à une vie juive auralenti, non à une oppression qui voudraitnous contraindre à cacher notre identité,à ne pas nous épanouir comme Juifs etcomme Français. Non à la haine, des Juifset de la France.

--*Président du Consistoire

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Les inégalités et les injustices, les juifs réfugiés depays où ils ont été sévèrement persécutés les ont

bien connues sans jamais choisir la rancœur, la vengeance ou la violence

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garantit le libre exercice des pratiquesreligieuses. Il est donc hors de questionde revenir sur l'abattage rituel et lespratiques traditionnelles. Je l'ai dit, je lerépète : les Juifs de France peuventporter leur kippa avec fierté. Ils peuventmanger casher et procéder à lacirconcision. Le débat sur la " remise encause " de la circoncision relève de laméconnaissance la plus totale de ce que

sont l'identité et la culture juive. Unetelle remise en cause est idiote etindigne. En France, la liberté de pratiquevaut pour toutes les religions dans lecadre prévu par la laïcité. Un cadre quiimpose notamment l'absence de signesreligieux dans les écoles publiques etles services publics.

Information Juive : Lors de la récentecérémonie de présentation des vœux de nouvelan à la communauté juive organisée par leConsistoire, vous avez déclaré que la Franceavait besoin des Juifs de France. Pourtant,l'inquiétude est désormais très vive au sein dela communauté juive. Beaucoup se demandentsi ce pays peut désormais être celui de l'avenirde leurs enfants.

Qu'avez-vous à dire à ces Juifs ?

Manuel Valls : L'inquiétude des Juifs deFrance est aussi l'inquiétude du Présidentde la République, du Premier ministre etdu ministre de l'Intérieur que je suis. Carquand un Français juif est attaqué pource qu'il est et ce en quoi il croit c'est toutela France qui est attaquée. L'inquiétudedes Juifs de France est celle de toute laFrance. Et la France ne peut accepter queses enfants puissent envisager de laquitter. Ce serait se couper d'une partied'elle-même. Une réponse déterminées'impose. La France a une part juiveincontestable. La République a été lecadre de l'émancipation des Juifs et ellea permis au judaïsme français d'êtreparmi les plus dynamiques de ladiaspora. Autant que tout autre citoyenfrançais, l'avenir des Français juifs estdonc en France.

I.J. : Comment le ministre des cultes quevous êtes réagit-il à la montée de remises encause de la liberté de culte partout en Europe,qu'il s'agisse par exemple de l'abattage rituel,de la circoncision, ou du port de la kippa ?Quelle est la position du gouvernementfrançais sur ces questions qui touchent deprès les Juifs dans leur pratique religieuse ?

M.V. : La France, république laïque,s'est dotée d'un cadre juridique clair, qui

I.J. : Les Juifs de France doivent affronterdepuis la tuerie de Toulouse un regain visibled'actes antisémites. Vous avez évoqué dansla presse l'existence d'une menace terroriste“qui se nourrit de fantasmes..”. Commentdéfiniriez-vous cet antisémitisme né dans lesbanlieues et comment lutter efficacementcontre cette dérive dangereuse ?

M.V. : Il y a en France un nouvelantisémitisme qui se cache derrière unantisionisme de façade. Un antisionismequi n'est d'ailleurs pas moins contestable.Ce nouvel antisémitisme, souventvirulent, s'est installé au cœur même denos quartiers et prospère dans des esprits

souvent peu éduqués enperte totale de repères. Lalutte contre l'antisémitismeet contre le racisme doiventfaire l'objet d'une mêmemobilisation de la sociétédans son ensemble. C'esten premier lieu auxpouvoirs publics d'agir,mais aussi aux professeurs,aux éducateurs, auxparents, aux responsablesassociatifs, aux respon-sables religieux.

I.J. : Ce qui est sûr c'est qu'il existedésormais une certaine porosité entredélinquance et islamisme radical. Que peutfaire le gouvernement contre cela ?

M.V. : Le phénomène existe. Toutefoisil faut en avoir une représentation précise.Seule une minorité de délinquantsbascule vers l'islamisme radical et,

Il y a quelques jours, le ministre de l’Intérieur était venuprésenter ses vœux au Consistoire et à la communautéjuive. Il a rencontré quelques jours plus tard lesreprésentants de la communauté, inquiète des menaces

que fait peser l’islamisme radical.Dans un entretien qu’il a accordé à Information juive,M.Valls va plus loin et expose ce qu’il croit à propos desJuifs de France

Manuel Valls : "La France a une part juive incontestable"

UN ENTRETIEN AVEC LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR

ACTUALITÉS

L'inquiétude des Juifs de France est celle de toute la France.

Seule une minorité de délinquants bascule versl'islamisme radical et, inversement, tous les

djihadistes ne sont pas d'anciens délinquants.

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ACTUALITÉS

c'est que le groupe interpellé autour deTorcy et de Cannes s'était doté de lacapacité de confectionner des enginsexplosifs et donc d'agir. Avaient-ilsdéfini des objectifs précis ? C'estjustement l'une des questions que doitéclaircir l'enquête judiciaire.

I.J. : Que peut faire le gouvernement contreles forums djihadistes ?

M.V. : Internet doit faire l'objet detoutes les vigilances. Cette dimensiona été abordée à l'occasion du projet deloi pour la lutte contre le terrorisme quej'ai présenté au Sénat. Il faut en effetsurveiller étroitement les forums

djihadistes par les services derenseignement, afin de repérer lespersonnes qui s'y connectent ou qui ymettent du contenu en ligne. Ilconvient également de poursuivre lesauteurs de contenus illicites. La Gardedes Sceaux a donné de nouvellesinstructions de politique pénale pour

renforcer l'action judiciaire en lamatière.

I.J. : Comment expliquez-vous le silencede certaines "grandes voix de l'islam" enFrance quand il s'agit de combattre leracisme anti-juif ?

M.V. : Je ne partage pas ce constat.Je trouve, au contraire, que les autoritésreligieuses, les intellectuels et noscompatriotes de confession musulmaneont condamné avec clarté et fermeté lesactes antisémites. Il y a un islamismeradical en France. Il faut le combattre.Mais l'islamisme radical n'est en rienl'Islam de France. L'Islam de Francepartage nos valeurs. Lors des récentesinaugurations des Grandes mosquéesde Cergy et de Strasbourg, j'ai entenduune assemblée entière de musulmansapplaudir aux propos que je tenais pourcondamner avec fermeté la propagationdes idées antisémites. Je suis convaincuque la communauté musulmane etses responsables ont pleinementconscience de la nécessaire mobili-sation pour combattre l'antisémitismequi est une offense faite aux valeurs denotre République.

inversement, tous les djihadistes ne sontpas d'anciens délinquants. Pour combattreefficacement ce phénomène, il fautrenforcer les dispositifs de renseignementet de détection des basculements vers leradicalisme, par exemple dans l'universcarcéral. Ceci implique concrètement dessynergies plus étroites entre lerenseignement intérieur et l'informationgénérale, traitée par les servicesterritoriaux de police et de gendarmerie.J'y travaille activement.

I.J. : Peut-on savoir aujourd'hui quellesétaient précisément les cibles des cellulesradicales récemment démantelées ?

M.V. : Oui, à Sarcelles, il y avait lavolonté de commettre le pire. C'est cequi a aussitôt guidé le travail de lajustice et de la police. Et je me suisréjoui que nous ayons porté un couptrès dur à cette cellule terroriste. Pourle reste, la seule certitude, comme l'arappelé le procureur de la République,

La liberté de pratique vaut pour toutes les religionsdans le cadre prévu par la laïcité.

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si vos enfants viennent à quitter la Francecela remet beaucoup de choses enquestion. Et les jeunes ont tendance àvouloir quitter la France.

JACQUES GROSSLERNER, membre de la communauté de Villepinte

J'ai connu un moment où tous les soirsdes types me téléphonaient et medisaient " ça va saigner ". La pression atellement été forte que ma femme a faitune dépression nerveuse. Quand il y aeu des cocktails Molotov dans lasynagogue, les policiers sont venus metrouver et ont accepté de me mettre surécoute. Je leur ai dit que c'était trop tard! Un autre jour, je suis sorti de chez moi,sur ma porte il y avait plein de petitesétiquettes avec des croix gammées. Il yavait inscrit "les juifs au four". J'ai retrouvéles mêmes étiquettes ailleurs dans laville. La même inscription avait étémarquée dans une salle où je faisais leTalmud Torah pour les enfants. J'ai

ALAIN BENSIMON, président de la Communauté de Garges-lès-Gonesse

C'est peut-être plus dur aujourd'huiqu'il y a quelques années. On s'adapte àla vie. On essaye de ne pas faire trop devagues. Il y a quelques années, on n'étaitpas obligés de protéger les écoles, lessynagogues, les centres commerciaux,on se sentait un petit peu plus libres.

On ne ressent pas d'angoisse, mais onse sent de moins en moins chez soi. Onremet en cause le port de la kippa, lacirconcision, l'abattage rituel. Pour toutjuif le fait de sortir le soir une kippa surla tête devient compliqué. Se projeterdans l'avenir devient compliqué.Beaucoup n'ont plus de perspectives.

Quand vous avez vos enfants et vospetits-enfants qui vivent à côté de vous,ce qui est mon cas, c'est un bon côté. Simes enfants et mes petits-enfantsdevaient quitter la France, cela poseraitun problème. Vous savez, la famille, dansla communauté juive c'est très important,

demandé à la mairie d'enlever cesétiquettes mais cela n'a pas été fait, c'estmoi qui ai dû m'y coller.

La synagogue est en face de chez moi,je la garde. Dans la semaine je constatequ'il y a souvent des CRS quand il ne sepasse rien, mais qu'à Kippour parexemple, il n'y a personne, même pas ungardien de la paix, pour assurer lasécurité ! Je l'ai signalé au commissariat.Pour Soukot ils se sont déplacés...

J'ai des choses à finir ici. Dès que j'aitout mis tout en règle, je pars. Jen'attendrai même pas quelques années.

DAVID ROUAH, président de la communauté de Vitry

Dans une banlieue rouge commeVitry, non, ce n'est pas marrant. Jeressens un ostracisme à l'égard desmembres de la communauté. Lorsque lemaire communiste de la ville organiseau moment de la mort d'Arafat unecérémonie imposant à tout le personnelde la mairie d'être présent et transformele hall de l'hôtel de ville en chambrefunéraire, le ton est donné. QuandMarwan Barghouti devient citoyend'honneur de la ville en juin 2011, celadonne une idée des comportements. Ona des difficultés, avant on avait déjà desmaires communistes, mais qui étaitouverts, là on a les plus extrémistes etles plus antisionistes. Quand il y a unemanifestation après les événements deToulouse, comme tous les maires du Valde Marne, là nos élus viennent pour êtreprésents... Mais c'est quand il y a desmorts. Les gens qui se baladent en kippasont sifflés. Des membres de lacommunauté ont été agressés. Moi-même j'ai été attaqué par des jeunes, ons'est fait cracher dessus par des gens quiscandaient le nom de Ben Laden. On a

Ils sont juifs, ils vivent en banlieue. Ils sont rabbins,présidents ou simplement membres de communautés.Information Juive s'intéresse à leur quotidien. Certainssont excédés, décrivent des situations d'angoisse et decolère, envisagent parfois de partir. D'autres dressent

un état des lieux moins sombre et veulent garder espoir.D'autres encore vivent au jour le jour, sans crainteexcessive mais résignés malgré tout à l'idée qu'unesimple étincelle pourrait suffire à allumer le feu. Letableau général est nuancé. Témoignages.

La vie quotidienne des juifs en banlieue parisienne en 2012

UNE ENQUÊTE D'ILAN MALKA

ACTUALITÉS

Epicerie cacher attaquée à Sarcelles

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ACTUALITÉS

agents de sécurité pour Rosh Hashanaet pour Kippour, et que cette année il ya eu une défection, nous n'avionsquasiment pas de gardes. C'est lapremière année que cela se passecomme ça. Sur le chemin pour arriver àla synagogue, nous avons été traités desales juifs... Je ne sais pas ce qui s'estpassé, on essaye de comprendre. Noussommes intervenus auprès du préfet, etdepuis ce samedi ils sont aux petitssoins...

La communauté comptait 4000 à 5000personnes dans les années 60.Aujourd'hui nous ne sommes plus que130 familles environ. Certains se sententmenacés et quittent la ville.

Il m'arrive de parler avec les jeunes del'immigration, des cités. J'ai des contactsavec certaines associations musulmanes,cela se passe très bien, on s'appelle pourse souhaiter les fêtes. Je ne sais pascomment c'est ailleurs, mais chez nousc'est moins tendu qu'à une certaineépoque, après les années 2000, ladeuxième Intifada.

DOCTEUR MARC DJEBALI, vice-présidentde la communauté de Sarcelles

Il y a des choses difficiles pour toutbanlieusard, notamment le problèmedes trajets, prendre le RER pour allerà Paris. Le point positif est que Sarcellesest moins visée que d'autres communespar des actes antisémites. Noussommes tous situés dans le mêmequartier, on se connait plus ou moins.On aime vivre ici, parce qu'il y anombreux commerces juifs dans lemême quartier, des écoles juives, troisgénérations qui se côtoient, tout celadonne une animation de quartier quetout le monde reconnaît, même les nonjuifs, cela permet une certaine vie juivequi s'épanouit. Beaucoup de jeunescouples orthodoxes se sont installés icicar il y a les moyens de pratiquer àSarcelles. Des communautés se sontd'ailleurs développées dans le voisinageà l'image de celle de Sarcelles, dans desvilles comme Enghien, Montmagny, ouencore Saint-Brice.

déposé plainte. Le maire n'a pas réagi.Les agressions arrivent fréquemment.Avant on était 800 familles ici, il y a 9 ans.Aujourd'hui les gens sont partis à Créteil,à Maisons-Alfort, Alfortville, Charenton.On n'est plus que 450.

On a régulièrement 100 à 120personnes au Shabbat tous les vendredis,donc c'est que la communauté restevivace.

RABBIN PROSPER ABENAÏMde la Courneuve

A La Courneuve, malgré tout ce quel'on peut dire, on a des offices tous lesmatins, la pratique est normale. Après,des gens sont un peu réticents à causede l'âge, la psychose des attentats...

Il y a un sentiment d'insécurité. Celaretient certains fidèles chez eux, ils nesortent pas prier parce qu'ils ont peur,surtout le soir. Quand le shabbat sort tard,ce n'est pas évident. Tout le monde enparle... d'autant plus que les annéesprécédentes nous avions toujours des

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la synagogue. La coexistence est plutôtharmonieuse au niveau des dirigeants.On n'est pas dans le 93, on n'est pas àGarges-lès-Gonesse. On peut allerpartout, mais on n'est pas à l'abri d'unepoussée de fièvre, on est tributaire dece qui se passe au Proche-Orient, siune opération "Plomb durci" se refait,tout peut changer car l'antagonisme estlà, les juifs prennent fait et cause pourIsraël, les musulmans pour la Palestine,on n'est pas du tout à l'abri, même si ensurface tout se passe bien.

Oui, moi je pense à partir. J'ai véculongtemps en Israël et je rêve d'yrevenir. Ce qui me retient en France estque je suis très engagé dans lacommunauté, je dirige beaucoupd'associations, je me sens uneresponsabilité vis à vis des juifs dont jem'occupe. J'ai beaucoup plus d'attachesque d'autres, ce qui rend la décisionplus difficile, car il y a aussi un vraiproblème de relais communautaire.Beaucoup de présidents de commu-nautés sont dans le même cas, s'ils s'envont, il n'y a pas de relève, la commu-nauté s'effrite.

JEAN-SIMON CORCHIA, président de la communauté du Blanc-Mesnil

Depuis le début des années 2000,certaines communautés d'Ile de France,et plus particulièrement de Seine SaintDenis, ont subi un exode massif deleurs fidèles. La communauté de Blanc-Mesnil était composée, avant cet exode,de 500 familles environ, elle n'encompte plus aujourd'hui que 100 à 150.Les bénéficiaires en ont été, en minoritéIsraël, et pour la majorité, les commu-nautés parisiennes.

Nous disposons d'un centrecommunautaire construit dans lesannées 80 et abritant notresynagogue, une salle des fêtes ainsique quatre classes de talmud thoraqui ne sont malheureu-sement plusutilisées.

Notre objectif avec notre rabbin M. Moïse Méchaly, qui comme moi,a grandi au sein de cettecommunauté, est d'une part, decontinuer à garantir une vie juive pourtous nos fidèles, et d'autre part, de

redonner envie à d'autres de nousrejoindre. C'est par cette volonté, quenotre synagogue est ouverte matinset soirs, 365 jours par an, et que descours y sont dispensés régulièrement.

Mais cela reste insuffisant, nosjeunes couples ont besoins de plusde proximité avec les autres aspectspratiques du judaïsme, à savoir :Mikvé, Gan, école et cacherout.

Par ailleurs, le climat d'insécuritéfaisant la réputation des communesdu 93, constitue également un facteurqui décourage l'arrivée de nouveauxfidèles. Je dois dire à ce sujet, queBlanc-Mesnil n'a jamais été le théâtred'agressions antisémites, et que nosrapports avec les autres communautésreligieuses ont toujours été cordiaux.

Face à ces grandes difficultés, nosespoirs sont encore plus grands. Lefait que la politique de constructionsnouvelles dans notre commune aquelque peu évolué et le fait que nousayons la volonté soutenue de doternotre centre communautaire d'unMikvé, devraient nous permettre,avec l'aide de Dieuet le soutien detous nos amis, d'attirer de nombreuxfidèles.

Quand on sort du quartier juif et quel'on va vers la gare, on trouve des coinsoù beaucoup de jeunes n'ont pas enviede se rendre . Il y a parfois des bagarreset des problèmes. Après, c'est plutôt ce quitouche Sarcelles, Pierrefitte, Garges-lès-Gonesse... à Garges, la synagogue estsituée dans une cité, ils reçoivent destomates, une fois le préfet s'est pris unebrique, il y a six ans de cela. Là-bas lacommunauté est en train de s'éteindre,ceux de Garges veulent tous venir àSarcelles.

A Sarcelles, on voit des musulmansorthodoxes qui viennent habiter dans lequartier. Dans la communauté juive,certains font l'amalgame avec desterroristes. Je pense que l'on a un travailà faire pour éviter ces amalgames. Nosjeunes ont besoin d'être moins terrorisés.Mais pour cela il faut des liens, unecommunication. Il faut faire aussi attentionà ne pas pousser nos jeunes à l'Alya parpeur. L'Alya doit être un projet de vie etpas un projet de fuite.

Tous mes petits enfants sont Israéliens.J'aime Israël. Mais non, je suis ici et je nesouhaite pas partir. Mme Sandler (épousede Jonathan Sandler, décédé à Toulouse)habite désormais Sarcelles avec sonenfant. Elle n'a pas demandé à aller enIsraël mais à venir à Sarcelles. Tout n'estpas idyllique, mais on est encore à l'aisedans ce quartier pour le moment...

ALBERT MYARA, présidentde la communauté du Kremlin-Bicêtre

On ne peut pas dire que la vie desjuifs soit empoisonnée au quotidien.Les incidents sont beaucoup tropnombreux mais ils constituent uneexception . Combien en dénombre-t-on dans l'année ? 3 ou 4 ? La plupartsont insignifiants. Il ne faut pas êtreobnubilé par les pics que constituentles drames de Toulouse ou d'autres dansl'actualité : dans le quotidien des juifsde France les choses se passent plutôtbien en général.

Il y a eu chez nous des phases trèsdifficiles pendant la vagued'antisémitisme au début des années2000. Notre synagogue a été attaquéeau cocktail Molotov en 2003. Lesagresseurs ont été retrouvés et traduitsen justice. Mais sur une année oumême dix ans, cela a été un picexceptionnel.

Il y a une communauté musulmaneassez forte au Kremlin Bicêtre. Lamosquée est vraiment juste à côté de

ACTUALITÉS

Synagogue d'Argenteuil prise pour cible

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INFORMATION JUIVE Octobre 2012 11

REPÈRES

Les chiffres des yordim

La crise qui sévit en Europe etaux Etats-Unis a pour conséquencequ'un nombre d'Israéliens renonceà s'installer " outre mer ". Selon deschiffres officiels publiés à Tel Avivle 7 août dernier, on a observé quele nombre d'Israéliens qui ont quittéle pays au cours de l'année 2010 aété le plus faible depuis quaranteans.Selon le Service de statistiques, aucours de 2010, 15.600 Israéliens ontquitté le pays , soit 400 personnesde moins qu'en 2009. Les services

rappellent qu'en 2001, 7.000Israéliens de plus qu'en 2010 ontquitté le pays.94% des Israéliens qui ont quitté lepays en 2010 sont juifs et 6 %arabes. 55% d'entre eux étaient deshommes et 42 % des célibataires.Par ailleurs, en 2010, 10.200Israéliens qui avaient quitté le paysy sont retournés.Selon les services officiels, 684.000personnes ont quitté le pays depuisla proclamation de l'Etat. 120.000d'entre eux sont décédés.

On évalue les Israéliens ( yordim )qui vivent aujourd'hui en dehorsd'Israël au nombre de 570.000.

Un sédercommunautaire à AlgerPar Line Meller

Mes souvenirs de "l'Algéried'après", dont peu de gens peuventtémoigner, constituent sans doutedes touches d'Histoire appré-ciables. Il est bon de rappeler, parexemple, que des séders commu-nautaires eurent lieu en 1987, 1988et 1989. Je n'évoquerai ici que le premierd'entre eux, particulièrementréussi.

LLee 1144 aavvrriill 11998877, Anne-Marie Saïd,épouse du président de lacommunauté Roger Saïd*, moi-même et Anna Sala, arrivée depuispeu en Algérie avec son fils, du faitdes fonctions de son mari, avonsorganisé un Seder communautairedans les locaux du CASI, à Bab elOued.Un va et vient de couffins chargésde nourriture promettait un repasabondant et varié. 35 personnes assistaient à ce seder,dont une famille, de mère juive et depère musulman, qui venait dedécouvrir l'existence de notrecommunauté. Une dizaine de jeunesde moins de 20 ans, certains venuspour un court séjour en famille,apportaient une touche de gaîté. Ontempéra leur ardeur lorsqu'ilsvoulurent entonner l'Hatikva : il étaitinutile d'en faire profiter les alentourspas spécialement bienveillants.Un apéritif précéda la prière qui futexpédiée très -trop- rapidement. Lesjeunes ne se privèrent pas d'agiterfougueusement à bout de bras lesgalettes rondes sépharades lorsquele texte rituel citait la matsa. Et puisl'on fit bombance avant de partagerla nourriture restante entre lesassistants. On raccompagna ensuite les fidèlesâgés qu'on était allé chercher àl'hospice des Petites Sœurs desPauvres de Bouzaréah. : ils y étaientattendus avec un peu d'anxiété parles religieuses qui en avaient lacharge.

*Récemment décédé

L'exil yéménite

Loaza Nahari a 35 ans. En 2009,un jour que son mari Moshé, étaitallé faire ses achats pour le shabbat,un yéménite l'a assassiné. Il étaitâgé de 29 ans. Ses cinq enfants, lesplus âgés, étaient déjà installés enIsraël. Trois ans après la mort de sonmari, l'Agence juive - et à sa têteNathan Charansy - ont eu à cœurde réunir la mère, ses quatreenfants vivant encore avec elle avecceux de ses enfants déjà installésdans le pays."Avant de faire mon aliya - raconte-t-elle au quotidien de Tel Aviv,Yedioth Aharonot - j'ai tenu àdemander la permission de mesbeaux parents. Je suis allée sur latombe de mon mari et je lui aidemandé pardon pour l'avoirabandonné au Yémen maiségalement pour avoir quitté sesparents."

Mme Nahari a 9 enfants : l'aînéede 18 ans qui porte le mêmeprénom que sa mère, Sasson (17 ans), Asnat (15), Léa (12) Daniel(11) - tous installés à Rehovot. Parailleurs quatre enfants sont arrivésen Israël avec leur mère : Esther (9),Bat El (8), Yossef (6), et Gabriel (4).Mme Nahari ajoute que dix familles

juives seulement vivent encore dansla ville de Raïda au Yémen : "La vien'est pas facile pour les juifs, dit-elleencore. Ils ne se montrent pasdehors avec leurs péoth ou leurskippa. Si un juif est identifié commetel, il subit des insultes et desvexations. Et s'il répond auxdétracteurs, cela peut se terminertrès mal".

Les premiers enfants installés enIsraël y ont vécu sans leurs parentsdurant 3 ans. "Je suis heureuse devivre désormais en Israël, a dit lamère de famille nombreuse. Cela atoujours été mon rêve. Je veux quemes enfants soient éduqués selonles traditions que leur père leur aenseignées, avant de mourir"

La famille Nahari

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12 INFORMATION JUIVE Octobre 2012

Dans une prison de laRépublique française,des détenus qui pur-geaient tranquillementleurs peines ont étéproprement lynchés

par leurs compagnons d'infortune,simplement parce qu'ils sont juifs. Enprison, la situation est particulièrementdifficile : il s'y trouve beaucoup plusd'antisémites que de juifs. Or, lelendemain de cet incident, le procureurde la République a pris la décision

d'augmenter encore le nombre desantisémites derrière les verrous enplaçant en détention préventive septterroristes présumés interpellés lorsd'une opération de police menée àStrasbourg, Cannes et en régionparisienne !

Si le gouvernement persiste àarrêter les antisémites, les prisonsseront de moins en moinsconfortables pour les juifs ! Onpeut d'ailleurs se demander ceque la justice fait du principed'égalité.

Personne ne se trouve en prisonparce qu'il est juif. Cela ne se faitplus, nous n'avons pas le pluspetit Dreyfus. En revanche, lesantisémites ont droit à la prison,dès lors qu'ils entreprennent depasser aux actes. Quel pays ! Etc'est aussi la prison qui sertd'école idéologique à l'islamismeradical. On y entre simpledélinquant, trafiquant de drogue,petit caïd, on en sort déterminé àtuer des juifs.

Il serait grand temps d'en rire

Sur ce terrain, le rapport de force nousest de plus en plus défavorable. Legangstérisme juif a beaucoup perdu cesdernières années. Les filièresd'approvisionnement du marché de ladrogue ne passent plus par Israël, il estde plus en plus difficile de franchir lescontrôles de l'aéroport Ben Gourion avecdes substances illicites. Dans les cités,le marché de détail est accaparé parceux qui, précisément, deviennentantisémites en prison quand ils ne lesont pas déjà. L'autre domaine

traditionnel du milieu juif se trouveégalement en difficulté. Les proxénètesoriginaires de l'ancien empire russen'émigrent plus en France, ils se sontinstallés en Israël où leurs affaires sontplutôt florissantes. Résultat, alors queles prisons françaises manquent de juifs,celles de l'Etat d'Israël manquent de

place. Il est vrai qu'il s'y trouve aussibeaucoup d'Arabes, à cause des crimesqui ne relèvent pas du droit communmais du terrorisme.

Contrairement à ce que l'on croit, lesjuifs ne soutiennent pas systémati-quement les leurs. Il n'existe, à maconnaissance, aucun site internetconsacré à la défense et à la glorificationdes délinquants juifs. Lorsqu'une affairedéfraye la chronique, cela s'est vu, lesjuifs préfèrent éviter d'en parler. Enrevanche, il existe une multitude decomités et de réseaux internet pourprendre la défense des petits gangstersdes cités, et bien sûr, celle desterroristes. C'est ainsi que MohamedMerah est devenu un héros à titreposthume.

Les sites antisémites ne setrompent pas : les juifs n'aimentpas que l'on parle d'eux. La

preuve : une officine suédoise fait l'objetde poursuites judiciaires pour avoirdénoncé la trop forte proportion de juifsparmi les prix Nobel. Pourtant, on nesaurait l'accuser de diffuser une fausse

LA CHRONIQUE DE DE GUY KONOPNICKI

Il existe une multitude de comités et de réseauxinternet pour prendre la défense des petits gangsters

des cités, et bien sûr, celle des terroristes.

Interpellation d'un des suspects dans le cadre du coup de filet anti-terroriste le 6 septembre 2012 à Strasbourg

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14 INFORMATION JUIVE Octobre 2012

LA CHRONIQUE

information. Cette officine accuse le juryNobel de favoritisme. Le fait est que laproportion de juifs dans les laboratoiresest beaucoup plus importante que celledes prisons. Evidemment, à l'annoncedes prix Nobel 2012, nous nous sommestous comportés comme les antisémites.Nous avons compté les juifs.Heureusement qu'il y avait un Chinoispour la littérature ! C'est encore undomaine où nous sommes beaucouptrop nombreux. Pour la paix, les Nobelont été astucieux. Ils ont primé l'UnionEuropéenne. De fait, la crise de l'euron'a pas provoqué de guerre franco-allemande, la Bundeswehr n'a pasenvahi la Grèce et aucun pays del'Union n'envisage de confisquer lesavoirs juifs. L'Europe est en progrèsmais il faut dire qu'il est assez difficilede décerner un Prix Nobel de la Paix àl'extérieur de ses frontières. A moins dele décerner à la Syrie pour sonacharnement à gaspiller son potentielmilitaire à l'intérieur de ses frontières.

Certes, le décompte des juifs est uneaffaire complexe. L'Agence FrancePresse l'a appris à ses dépens. Unedépêche du bureau de Jérusalem faisaitétat d'une baisse sensible de l'émigrationdes juifs de France vers Israël, de 1500à 1300 d'une année sur l'autre. Unrelecteur a cru bon de mettre ce chiffreen rapport avec celui des juifs deFrance. L'ennui, c'est qu'il a recours àune formulation malheureuse : " la

France héberge de 350 000 à 500 000juifs ". J'ai réagi sur le site de Marianneet sur les réseaux sociaux. L'Afp s'estimmédiatement excusée et elle a corrigésa dépêche qui est devenue " lacommunauté juive de Francecompte…". C'est mieux, mais ce n'estpas exact. La communauté voudraitbien un demi million de personnes,cotisant dans les organisations qui la

composent. Même en additionnant lesorganisations cultuelles, culturelles,politiques, caritatives, sachant que lesmêmes personnes peuvent être inscritessur plusieurs listes, on serait encore fortloin des chiffres annoncés. Et encoreces chiffres sont-ils très inférieurs à ceuxdes instituts de sondage et destatistiques, où l'on admet courammentque 700 000 français revendiquentd'une manière ou d'une autre uneattache juive.

En réalité, il est impossible d'établirune statistique précise, l'obligation de

recensement des juifs ayant étéabrogée par le premier décret dugouvernement provisoire de laRépublique, le 28 août 1944.

Les médiocres chiffres del'émigration vers Israël montrentseulement qu'en dépit des menaces,des attentats antisémites, desinsultes quotidiennes en certainsquartiers, les juifs de France sontdes Français. Ils le sont tellement,qu'ils pestent contre la France,comme tous leurs concitoyens.Confrontés à la fiscalité, auchômage, à la justice, àl'administration, à l'école, auxfemmes, aux hommes, aux enfants,les Français finissent toujours pass'écrier : " il n'y a qu'en France qu'onvoit ça ". Les juifs ne réagissent pasautrement face à l'antisémitisme…En fait, il n'y a pas qu'en France

qu'on voit ça. Un candidat socialiste auxélections municipales d'un quartier deBruxelles fait l'objet d'une violentecampagne le dénonçant comme"sioniste ". Les noyaux antisémites sontà peu près les mêmes, nourris de lamême idéologie, qui n'est pas plus belgeque française. Leur influence surl'ensemble de société n'est pas plus

sensible en France qu'ailleurs. DesUniversités britanniques ont ainsiadopté le principe du boycott d'Israëlquand la France est, en plusieursdomaines scientifiques, le premierpartenaire de la recherche israélienne.

Les chiffres réels de l'émigrationde France vers Israël contredisentles impressions qui sont les

nôtres lorsque nous nous rendons surplace. Les juifs de France développentune nouvelle forme de sionisme, ilss'installent pour des périodes d'unesemaine à un mois, voire plus pour les

L'Europe est en progrès mais il faut dire qu'il est assezdifficile de décerner un Prix Nobel de la Paix à

l'extérieur de ses frontières. A moins de le décerner à laSyrie pour son acharnement à gaspiller son potentiel

militaire à l'intérieur de ses frontières.

Jeunes en partance pour Israël

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retraités et les familles disposant d'unappartement. Sur les plages, nous nesommes jamais dépaysés. Nous

rencontrons toujours des voisins, desamis, parfois même des connaissancesdont nous n'étions pas certains qu'ellesavaient une attache juive. Il y acertainement plus d'inscrits dans lesagences de voyage spécialisées quedans les synagogues ou à l'Appel juifunifié. Les juifs français que jerencontre en Israël me disenttoujours qu'ils viennent respirerun peu, qu'ils n'en peuvent plusdes réflexions entenduesquotidiennement en France, de lapartialité des médias vis à visd'Israël et, bien sûr, des menaceset des agressions. Naturellement,ils ont leur billet de retour. En fait,ceux d'entre eux qui pratiquentl'hébreu savent que la presseisraélienne est beaucoup pluscritique du gouvernement que lapresse française. Ils savent aussique les Israéliens n'ont rien àenvier aux Français quand il s'agitde se plaindre de leur pays, où ilse passe vraiment des choses quel'on ne voit nulle part ailleurs. Ilsuffirait de répéter à Paris lesréflexions que l'on entendcouramment dans les cafés de Tel-Aviv ou de Jérusalem pour êtreaccusé d'antisémitisme. Certainsarticles de la presse israélienneseraient même passibles depoursuites. Pour ne pas parler desdébats de la Knesseth où l'onentend parfois des juifs se traitermutuellement de nazis ! Je medemande parfois si notreprincipale raison d'aimer Israël,c'est l'incroyable ressemblance dece pays avec la France. Un paysoù les gens se plaignent tout letemps. Pour y aller nouscommençons par nous soumettre,dès l'aéroport Charles-de-Gaulle,à un questionnaire qui noussemblerait inacceptable enn'importe quel autre point duterritoire français. Qu'est ce que

vous allez faire en Israël ? Est-ce quevous avez de la famille là-bas ? Vousconnaissez l'hébreu ? Vous êtes juif ?...

Mais nous répondons, nous prenons cetavion, sachant que s'il s'agit d'unecompagnie israélienne, le personnel nemanquera pas une seule occasion d'êtredésagréable.

Mais voilà, en Israël, nous pouvonsnous plaindre d'Israël et critiquer les

juifs. J'aime entendre cette cousine demes parents, pionnière et militantesioniste s'il en fut, quand elle vitupèrecontre les religieux. Ou à l'inverse, unami qui se plaint de la douteusecacherout des restaurant de Tel-Aviv.Cet autre ami, journaliste à Jérusalem,qui me parle des hommes politiques dupays, en des termes qui mériteraientd'être censurés en France.

Je termine cette chronique. Je suispressé. Je pars en Israël. Pour unesemaine, comme tout le monde.

GUY KONOPNICKI

INFORMATION JUIVE Septembre 2012 15

En Israël, nous pouvons nous plaindre d'Israël etcritiquer les juifs.

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16 INFORMATION JUIVE Octobre 2012

apercevoir. Il est aimé du public et il animeà la perfection la vie juive. J'ai puégalement me rendre compte que c'est unhomme dévoué au bien de lacommunauté.

I.J. : Mais vous savez aussi que l'assimilationest forte.

G.R.-S.A. : Vous abordez là la question laplus grave à laquelle est confrontée notregénération. J'oserais ajouter qu'elle est plusporteuse de danger que le terrorisme etque les guerres. Toutes celles qu'Israël aété obligée de mener à bien nous ont faitmoins de mal que l'assimilation. A chaquegénération, elle nous prive d'une partie denotre peuple. Pensez aux dégâts qu'elle

Information Juive : Depuis quelques années,vous rendez visite aux communautés juives denotre pays, au point qu'elles vous sont devenuesfamilières. Comment jugez-vous leur dévelop-pement aujourd'hui ? Quelle réflexion voussuggèrent-elles en général ?

Le grand rabbin Shlomo Amar : Monsentiment est que la communauté juive française peut être citée commeexemple et comme modèle à bien descommunautés juives à travers le monde.Il s'agit d'une communauté qui exprimevolontiers son judaïsme ; elle est chaleu-reuse et manifeste un grand amour pourla Torah. De plus, elle a l'habituded'accueillir avec enthousiasme les rabbinset les différents responsables représentantsd'Israël.

J'ajoute que j'ai eu l'occasion de merendre compte qu'elle est structurée demanière efficace. Je pense en particulierau fait qu'elle possède de bellessynagogues et des rabbins dévoués.

Il y a un autre élément qui me frappe : les responsables de la commu-nauté sont désormais des hommescraignant Dieu et pratiquants. Ils sont lesuns et les autres résolus à se consacrer àl'éducation des enfants notamment dansla voie de la Torah. Je considère celapersonnellement comme une des missionsessentielles des communautés juives.

Selon un texte de la Guemara, desleaders qui sont droits et dévouésconstituent un encouragement pourl'ensemble du peuple.

J'apprécie beaucoup les rabbins qui sonten fonction chez vous. Quant auxprésidents des communautés, ils nem'inspirent que des sentiments desatisfaction.

Je pense en particulier au président duConsistoire, M. Joël Mergui. Voilà unhomme plein de qualités humaines. J'aieu à différentes reprises l'occasion de m'en

produit au sein du judaïsme américain.Cela fait mal au cœur et, selon moi, il

n'existe pas contre ce fléau le moindremédicament si ce n'est l'éducation juive.En dehors de l'éducation, toutes lesdémarches sont condamnées à l'échec.

Cette éducation doit se faire très tôt. Elledoit être assurée aux enfants de manièrechaleureuse. Il faut transmettre à cesenfants un judaïsme d'amour.

I.J. : Vous voulez dire que nous aurions perdula guerre contre l'assimilation ?

G.R.-S.A. : Pas du tout. Je dis seulementque la guerre victorieuse consisteaujourd'hui à allumer des bougies juivesdans l'âme de nos enfants.

Le grand rabbin d'Israël, rav Shlomo Amar a fait levoyage à Paris pour participer à la “azkarah” à lamémoire du grand rabbin David Messas (zatsal) qui aété célébrée le jeudi 11 octobre, ainsi qu'à plusieursévènements des Dix Jours du Consistoire qui ont débutépar la suite (voir nos pages dédiées à ce sujet).

Au cours de ces rencontres, le grand rabbin d'Israëla rendu un hommage fervent à celui qui fut durantdes décennies le grand rabbin de Paris. A l'occa-sion de ce voyage, le grand rabbin Shlomo Amarnous a reçu et a répondu aux questions d'Infor-mation juive.

Un entretien avec le grandrabbin d'Israël Shlomo AmarSon message à la communauté : être forte moralement

Mon sentiment est que la communauté juive françaisepeut être citée comme exemple et comme modèle à

bien des communautés juives à travers le monde.

JUDAÏSME

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INFORMATION JUIVE Octobre 2012 17

JUDAÏSME

J'ai observé le même phénomène àMexico et à Londres en particulier.L'exemple le plus étonnant est cependantcelui de l'Allemagne : le rabbinat s'y estorganisé avec notre aide et les études ysont devenues la règle.

Le grand problème pour des juifsn'ayant pas beaucoup de moyens c'estd'inscrire leurs enfants dans des écoles

juives .Or, cela coûte parfois très cher. Unjour, j'ai suggéré à l'un de mes amisd'organiser un Fonds qui puisse venir enaide à ces parents afin que leurs enfantspuissent jouir d'une éducation juive.

I.J. : A quel problème est confronté aujourd'huile grand rabbinat d'Israël ?

G.R.-S.A. : Personnellement j'ai été durant

dix ans, président des tribunauxrabbiniques. Je considère que cestribunaux se sont développés durant cettepériode. Ils sont désormais plus prochesdu public.

A propos des conflits, il en est unaujourd'hui qui oppose les tribunauxrabbiniques et les tribunaux civils quiveulent réduire considérablement uncertain nombre de compétences tradition-nellement dévolues aux tribunauxrabbiniques.

De plus, il y a la question des jeunesgens qui appartiennent au secteur harédiet que l'on veut désormais obliger à fairele service militaire. nous sommes convenusrécemment avec le chef de l'Etat M. Shimon Pérès pour que ce conflit soittraité de la manière la plus paisible.

I.J. : Quel est le message que vous souhaiteztransmettre au judaïsme français ?

G.R.-S.A. : Etre fort moralement. Ne pascéder à la peur. Et développer autant quefaire se peut les études de Torah danstoutes les communautés juives dans lepays.

I.J. : Comment réagissez-vous, Monsieur legrand rabbin, face à la radicalisation d'un certainnombre d'islamistes et aux attentats qui étaienten préparation contre des cibles juives ?

G.R.-S.A. : Permettez-moi de vous direqu'il n'y avait là rien de bien nouveau. Il ya eu de tout temps des extrémistes detoutes sortes qui ont cherché à nouséradiquer. Nous ne devons pas céder au

sentiment de la peur. Notre devoir est, aucontraire, d'être forts moralement. Etcontinuer à étudier la Torah.

I.J. : Certains, parmi les juifs de France,suggèrent qu'il est temps de faire son aliya. Qu'enpensez-vous ?

G.R.-S.A. : J'ai toujours considéré qu'il fautvenir en Israël mais non pas en raison d'onne sait quelle peur . Ceux qui se rendenten Israël doivent le faire pour des raisonspositives. Parce que c'est là notre pays ;Souvenez-vous de ce que dit, à cet égard,le prophète Isaïe: on doit faire son aliyadans la joie et non pas à cause de la peur.

I.J. : Quel regard portez-vous sur l'état dujudaïsme en diaspora aujourd'hui ?

G.R.-S.A. : Il y a eu dans l'histoire de ladiaspora des époques beaucoup plusdures et difficiles. Dans bien des pays etbien des villes, la Torah n'était plusétudiée. La situation s'est beaucoupaméliorée aujourd'hui.

Je prends l'exemple de la France : il ya une trentaine d'années, je me trouvaisen visite ici. La situation du judaïsmeétait des plus précaires. De nos jours,les écoles juives sont nombreuses. Lesrabbins également. Les synagogues sontbien organisées. Et les gens viennent yprier, à pied le shabbat.

Autre exemple : les Etats-Unis et NewYork en particulier. On y trouvaitnaguère une grande communautéséfarade que dirigeait le rabbin YaakovKatzine, de mémoire bénie. C'est à cerabbin que l'on doit le fait quel'assimilation n'ait pas touché cettecommunauté. Et cependant, malgré tout,les études de Torah étaient totalementabsentes.

Vous seriez surpris de voir la situationaujourd'hui :dans toutes les synagogues,on applique la tradition du “daf yomi”qui consiste à étudier chaque jour,durant une heure, une page de Talmud.

Il y a eu de tout temps des extrémistes de toutes sortesqui ont cherché à nous éradiquer. Nous ne devons pas

céder au sentiment de la peur. Notre devoir est, aucontraire, d'être forts moralement.

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nazisme au- delà de l'Europe, ainsi quel'adaptation de ses messages à la scènepolitique locale et aux langagesreligieux islamiques de la région. Il faitsuite à mon ouvrage précédent sur lapropagande nazie à destination dupublic allemand. Comme le ditAlexander Kirk, l'ambassadeuraméricain en Égypte, dans l'une de sesnombreuses dépêches importantes duCaire sur les " Émissions de l'Axe enarabe ", les émissions nazies diffuséessur ondes courtes déversaient adnauseam des flots de haine à l'encontredes Juifs. Le sort des sept cent mille

Au cours de la SecondeGuerre mondiale, lerégime nazi distribua desmillions de tracts etdiffusa des milliersd'heures d'émissions de

radio sur ondes courtes, en arabe, pourpropager son idéologie à traversl'Afrique du Nord et le Moyen- Orient.Ce livre est l'histoire des idées, deshommes et des institutions engagésdans cet effort. Il se nourrit d'archivesinexploitées ou sous utilisées pouréclairer d'un jour nouveau la nature etle champ de l'extension idéologique du

Juifs qui vivaient au Moyen- Orient eten Afrique du Nord dépendait de l'issuedes combats entre les Alliés et les forcesde l'Axe en Afrique du Nord. Le tir debarrage de la propagande poursuivaitun double but : gagner la guerre contreles Alliés et étendre le génocide desJuifs par les nazis. La diffusion del'antisémitisme était au centre de ceteffort.

Si ce livre est d'abord et avant tout unouvrage d'histoire portant sur unépisode du passé, il illustre aussi unchapitre de l'histoire des filiations et del'origine des idées qui se sont expriméesaprès la Seconde Guerre mondiale avecle radicalisme arabe et l'islamisme*politique. L'antisémitisme radical et lesidées nazies et fascistes cessèrent dejouer un rôle majeur dans la viepolitique euro-péenne après 1945, maisil devait persister au Moyen- Orient lestraces du mélange d'idéologie nazie, denationalisme arabe et de fondamen-talisme islamique qui s'était formé àBerlin au cours de la guerre. Bienqu'elles aient été souvent reléguées auxmarges politiques, ces idéologies nefurent pas discréditées aussicomplètement qu'en Europe.

La collaboration politique etidéologique entre les responsables durégime nazi et les Arabes pronazisexilés à Berlin en temps de guerre eutpour effet d'introduire les idées dutotalitarisme européen du XXe siècledans un contexte arabe et islamique. Ils

Jeffrey Herf enseigne l'histoire contemporaine àl'université du Maryland. Il est également associé auGildenhorn Institute for Israel Studies et ses travauxont été distingués par divers prix en Grande Bretagneet aux Etats-Unis. Il a déjà publié " L'ennemi juif " auxéditions Calmann-Lévy/Mémorial de la Shoah.La nouvelle étude que Jeffrey Herf publie en France estconsacrée à l'antisémitisme nazi au quotidien dans lemonde arabe pendant la guerre. Dans "Hitler, lapropagande et le monde arabe" ( Ed. Calmann Lévy.Mémorial de la Shoah , 24 E 50 ), Herf raconte commenta été organisée une collaboration étroite entre les nazis

et certaines grandes figuresarabes exilées à Berlin,dont le grand mufti deJérusalem Hadj Amin el-Husseini. Selon l'auteur,des milliers d'heuresd'émissions de radio en arabe sur ondes courtes produitespar les nazis furent aussi diffusées dans tout le MoyenOrient d'octobre 1939 à mars 1945.Avec l'autorisation des éditions Calmann-Lévy, nouspublions ci-dessous en bonnes feuilles la préface quel'auteur a donnée à son ouvrage.

Les séquelles du nazisme PAR JEFFREY HERF

BONNES FEUILLES

Himmler et le grand mufti de Jérusalem en 1943

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cultures différentes nourrirontinvariablement la compréhensioninternationale, la paix et la bonnevolonté. Cela arrive parfois. Enl'occurrence, la collaboration de

responsables du régime nazi avec leursalliés arabes à Berlin pendant la guerrea prouvé que le contraire est égalementpossible. Plus ces alliés politiqueséchangèrent des idées, plus ilsrenforcèrent, renouvelèrent etaccentuèrent quelques- uns des pireséléments de leurs civilisationsrespectives, à savoir la haine des Juifset de la modernité politique

occidentale. Ce regard porté sur lesfruits de leur collaboration au cours dela Seconde Guerre mondialecontribuera aujourd'hui, je l'espère, àfaire la critique si nécessaire de leursséquelles.

J.H(Copyright Editions

Calmann-Lévy)

--* Si, dans une acception ancienne et

aujourd'hui dépassée, le mot désignaitla religion musulmane, il définitaujourd'hui un système politique quiprend l'islam pour cadre et entend fairede la loi religieuse (charia) la loi civileet pénale de l'ensemble de la société.En s'appuyant sur l'absence d'uneséparation claire entre les pouvoirsspirituel et temporel dans le mondemusulman, l'islamisme décrit de nosjours un mouvement militant, de naturepolitique, parfois guerrière, et non plusla pratique seule d'une religion. (N.d.E.)

le firent en dénonçant le sionisme, laGrande- Bretagne, les États- Unis etl'Union soviétique sur un plan purementlaïc, mais aussi en faisant valoirl'existence d'affinités électives entre le

nazisme et l'islam tel que le présentaientles nazis. En ce sens, la campagne depropagande est un chapitre de l'histoirede ce que j'ai appelé le " modernismeréactionnaire ", à savoir le recours à latechnologie la plus moderne de l'époquepour servir une révolte politique etculturelle contre les traditions politiqueslibérales de l'Occident.

Dans l'Europe de l'après- guerre, defaçon générale, les théories antisémitesdu complot et les haines non moinsabsurdes enracinées dans des textesreligieux anciens sont devenues unerelique honteuse et morte enfouie sousles ruines du IIIe Reich. Au Moyen-Orient, en revanche, ces notions ontpersisté sous forme d'éléments del'ultranationalisme et de l'islamismepolitique. Les idées et événementsexaminés dans ce livre sont une piècedu puzzle explicatif qui permet decomprendre cette tragique vieposthume dans un autre contexte.L'histoire de la réception de cettepropagande offensive attend les effortsde chercheurs qui travaillentessentiellement sur l'Afrique du Nordet le Moyen- Orient. Je présente ici auxlecteurs le tableau le plus complet à cejour de ce que l'Allemagne nazie diffusaà l'intention des Arabes et desmusulmans d'Afrique du Nord et duMoyen- Orient au cours de la SecondeGuerre mondiale.

Travail d'histoire intellectuelle etculturelle, ce livre illustre et interprèteaussi un chapitre important de ce qu'onpourrait appeler l'histoire obscure de lamondialisation et de l'interactionculturelle.

Un optimisme naïf voudrait nousconvaincre que les contacts etcommunications entre peuples de

Je présente ici aux lecteurs le tableau le plus complet àce jour de ce que l'Allemagne nazie diffusa à l'intention

des Arabes et des musulmans d'Afrique du Nord et duMoyen- Orient au cours de la Seconde Guerre mondiale.

BONNES FEUILLES

O D A S E JL’ Œ U V R E D ’A S S I S TA N C E S O C I A L E A L’ E N FA N C E J U I V Eest une association reconnue d’utilité publique par décret du 28 mai 1919

Pour un rendez-vous confidentiel Appelez Tony SULTAN

Tél. : 01 42 17 11 92 • Fax : 01 42 17 11 73

ODASEJ ESPACE RACHI, 39, RUE BROCA, 75005 PARIS

L’ODASEJ a pour missiond’aider les enfants et les adolescents défavorisés ou

en difficulté sur le territoire national

L e u r a v e n i re s t e n t r e v o s m a i n s

Parce qu ’un enfant heureuxdev ient un adul te qu i a de mei l leures chances

de const ru i re son aveni r e t ce lu i de la communauté

Transmettez votre nom à un programme

de solidarité…

Perpétuez la mémoire de vos parents…

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Que vous ayez des héritiers ou non, vous pouvez faire un legs ou une donation en faveur de l’ODASEJ

en exonération des droits de succession ou de mutation

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déicide et qu'elle était devenue le "Nouvel Israël ". Le concile met fin àcette manière de juger le peuple etreconnaît la permanence de sonélection, de l'Alliance, de son rôleunique dans le dessein de Dieu.

I.J. : Vous semblez penser que levéritable dialogue entre juifs etcatholiques n'a pas encore eu lieu. Quevoulez-vous dire ?

J.D. : Je pense que l'estimeréciproque et l'amitié sontnées mais je souhaite que,

selon le désir exprimé parun document de Rome de1975, nous nous effor-cionsde connaître l'autre tel qu'ilse comprend lui-même.C'est là en effet la conditionindispensable pour unvéritable dialo-gue. Jepense également que juifset chrétiens nous avonsencore beaucoup à pro-gresser en ce sens, même sià certains niveaux le dia-logue s'est vrai-mentengagé.

I.J. : Jean-Paul II avait dit quele dialogue avec le judaïsmeest le fondement même de toutdialogue inter- religieux. Est-

Information Juive : Vous posez laquestion : “Cinquante ans après VaticanII, où en sommes-nous ?”. Quelle estvotre réponse ?

Jean Dujardin : Je pense que dupoint de vue de l'Eglise catholique,un pas considérable a été franchi.On vivait dans la pensée que l'Eglises'était substituée au peuple juif quiavait perdu sa vocation du fait de lamort de Jésus considérée comme un

ce que vous diriez que cela resteaujourd'hui la politique de Benoît XVI ?

J.D. : Je pense que c'est le cas dansla mesure où Benoît XVI qui fut untrès proche collaborateur de JeanPaul II, ne pouvait pas ignorer sapensée. Il a également entendu direJean Paul II dans un discoursprononcé à Rome que le dialogueinter- religieux a été ouvert ànouveau dans Nostra Aetate. Maisqu'il qu'enracine dans le dialogueunique avec le peuple juif, dont lapermanence de la vocation

reconnue interdit à l'Eglisechrétienne de se penser comme déjàle Royaume de Dieu réalisé sur laTerre alors qu'elle l'inaugure dansla vie chrétienne par les sacrements.

I.J. : Quel bilan faites-vous de cedemi-siècle de dialogues, d'efforts et derecherches entre catholiques et juifs ?

J.D. : Pour moi, le bilan est trèspositif. Le Concile met fin à unepensée qui a dominé pendantpresque deux millénaires. Mais ilreste encore beaucoup à faire pourque cela pénètre en profondeur tousles consciences chrétiennes.

Tant il est vrai qu'on ne règle paren un demi-siècle près de deuxmillénaires d'Histoire

Jean Dujardin a été, entre les années1987 et 1999, le secrétaire du Comitéépiscopal pour les relations avec lejudaïsme. Il est également vice-président de l'Amitié judéo-chrétiennede France. Dans un petit livre qu'ilpublie dans la collection Présences dujudaïsme (poche) que dirige notreamie Mireille Hadas-Lebel, il a

souhaité faire le point de cinquante ans de relationsentre juifs et chrétiens depuis le Concile Vatican II. Danscette enquête, il a cherché entre autres à évaluer leretentissement des décisions de Vatican II dans lesmilieux catholiques.Jean Dujardin s'explique ci-dessous sur les résultats deson enquête (Catholiques et Juifs : " Cinquante ans aprèsVatican II, où en sommes-nous ? ", Editions Albin Michel,2012, 230 pages)

Où en sont les relations judéo-chrétiennes ?

UN ENTRETIEN AVEC JEAN DUJARDIN

RELIGIONS

On ne règle par en un demi-siècle près de deuxmillénaires d'Histoire

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INFORMATION JUIVE Septembre 2012 21

“L'Esprit Consistoire”La sixième édition des "Dix Jours du Consistoire" s'est déroulée cette année à partir du 11 octobre. Créépar le Président Joël Mergui, ce rendez-vous désormais traditionnel de la communauté juive a pourobjectifs premiers de mieux faire connaitre l'action que mène le Consistoire au quotidien au servicedes juifs de France afin d'être mieux soutenu, ainsi que de sensibiliser la communauté sur les chantiersmais aussi les difficultés de l'institution consistoriale. Comme l'indique le Président Joël Mergui, "depuis

quelques années déjà, les Dix Jours du Consistoire contribuent à faire connaître la réalité quotidienne du travail fourni par leConsistoire et les communautés pour faire vivre le judaïsme partout en France". Ces Dix jours constituent en quelque sorte un échantillon de ce que fait et de ce qu'est le Consistoire tous les jours de l'année dansl'ensemble de ses domaines de responsabilité. Cet "Esprit Consistoire" est décliné autour de sept valeurs essentielles : l'ouverture,l'accueil, la fidélité, la modernité, l'action, la solidarité et les services. Ces valeurs fondamentales sont avant tout destinées à valoriserles missions majeures du Consistoire. Qu'il s'agisse de la défense des intérêts du judaïsme, la gestion du culte, la garantie de laCacherout, la transmission de nos valeurs, la sauvegarde de la Mémoire, l'action pour la jeunesse ou la lutte contre toutes lesformes d'antisémitisme.Et le Président de l'institution d'ajouter : " Durant ces dix jours, aucun évènement extraordinaire du calendrier n'est favorisé, maisla quotidienneté des actions du Consistoire et des communautés dans tout ce qu'elles ont, tous les jours, d'extraordinaire". Pendant plusieurs jours, l'ensemble des services du Consistoire est mis en lumière, et de très nombreux évènements sont organisésaussi bien dans les communautés parisiennes qu'en province. Qu'il s'agisse d'un cycle d'étude, de la solidarité, des servicesconsistoriaux, des activités pour la jeunesse, des actions avec les communautés, ou encore l'entretien du patrimoine. Notons que cette édition des Dix jours rend plus particulièrement hommage au Grand Rabbin de Paris David Messas (zatsal) quiavait activement soutenu cette opération dès son lancement. C'est pourquoi elle a commencé par la Azkarah des onze mois (voirci-desous) qui s'est déroulée en présence du Grand Rabbin d'Israël Rav Shlomo Amar, lequel a participé par la suite lors de sonpassage à Paris à plusieurs des évènements des Dix Jours.Nous présentons ici quelques unes de ces opérations et reviendrons dans notre prochain numéro sur d'autres actions qui n'avaientpas encore eu lieu au moment du bouclage.

Azkarah du Grand Rabbin David Messas (zatsal)Onze mois après sa disparition, la cérémonie en hommage auGrand Rabbin de Paris David Messas (zatsal) s'est déroulée le11 octobre dernier en la synagogue des Tournelles à Paris, là-bas même où avaient eu lieu les cérémonies des Chiva et desChelochim il y a près d'un an.

Dans un climat digne et émouvant, et entourant la famille,la cérémonie a eu lieu en présence notamment du GrandRabbin d'Israël Shlomo Amar, du Grand Rabbin de FranceGilles Bernheim, du Grand Rabbin de Paris MichelGugenheim, du Av Beth Din de Paris, de nombreux rabbinsdu Président du Consistoire Joël Mergui et de nombreuxadministrateurs du Consistoire de Paris, et du Président de lacommunauté des Tournelles Marc Zerbib.

Après la lecture de Tehilim et l'office du soir, le Grand Rabbind'Israël a rappelé avec émotion la mémoire, la vie, et l'actiondu Grand Rabbin David Messas (zatsal) au service de lacommunauté juive ainsi que les liens étroits qui les unissaientdepuis tant d'années.

Le Grand Rabbin de Paris a indiqué que si jusque là il avaittoujours éprouvé un profond respect pour le Grand RabbinDavid Messas (zatsal) et son parcours, il mesurait en outredésormais l'énorme charge de travail qui avait été la sienne,forçant encore son admiration pour celui qui l'avait précédé àcette fonction.

Joël Mergui a rappelé que les onze mois qui venaient des'écouler avaient été terribles pour la communauté juive. Ilsont commencé par la disparition du Grand Rabbin DavidMessas (zatsal) et se sont malheureusement poursuivis par ladisparition d'un jeune rabbin, le rav Sandler, lors de la tragédiede Toulouse, puis par le développement d'un climat très difficilepour les juifs de France sur fond de regain d'actes antisémiteset de remises en cause de certaines libertés du culte. Duranttoute cette période, et jusqu'à aujourd'hui, le Président du

Consistoire a ressenti encore davantage la perte du GrandRabbin David Messas (zatsal) et s'est en permanence interrogé,pour essayer de s'en inspirer, sur ce que le Grand Rabbin auraitdit et fait pour aider et rassurer la communauté comme celaavait toujours été le cas. Le Président Joël Mergui a conclu ense rappelant à cet égard un des enseignements du GrandRabbin David Messas (zatsal) selon lequel dans le judaïsme,"un homme pieux n'a jamais peur".

Le Grand Rabbin de France s'est pour sa part adressédirectement aux membres de la famille Messas en rappelantque le deuil d'un être cher est vécu de façon très différentepour chacun. Pour les enfants, la fin des onze mois signifieavant tout la fin de la lecture quotidienne du Kaddish quiconstituait jusque là une aide précieuse sur laquelle ilspouvaient s'appuyer jour après jour. Le vide en est d'autantplus grand à présent. Pour les frères, la douleur est plus grandequ'on ne le croit généralement. Pour l'épouse enfin, l'épreuvereste la plus difficile. Le Grand Rabbin Bernheim a renduhommage à cet égard à l'action menée par Madame Messasauprès de son mari et qu'elle poursuit aujourd'hui au servicede la communauté.

La cérémonie s'est achevée par les prises de parole des deuxfils du Grand Rabbin David Messas (zatsal), le ProfesseurEmmanuel Messas et le rav Ariel Messas qui ont tous deuxremercié les personnes présentes, rappelé la mémoire de leurpère disparu et réaffirmé leur engagement sans faille au servicede la communauté comme un héritage obtenu et défendu aveccoeur et passion.

SPECIAL 10 JOURS DU CONSISTOIRE

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Cinquantenaire de la synagogue de La RoquetteDimanche 14 octobre, en présence du Grand Rabbin d’Israël Shlomo Amar,du Grand Rabbin de France Gilles Bernheim, du Grand Rabbin de ParisMichel Gugenheim, du Av Beth Din Jermiyahu M. Kohen, du Présidentdu Consistoire Joël Mergui, de l'ancien Grand Rabbin de la communauté,Claude Zaffran, venu spécialement de Jérusalem pour l'occasion, demamdame Liliane Kappel qui représentait le maire de Paris, dureprésentant de monsieur Patrick Bloche maire du 11eme arrdt, et denombreuses personnalités civiles et religieuses, le Président de lacommunauté, Serge Benhaïm a inauguré la synagogue après une profonderénovation à l'occasion du cinquantenaire. Le public nombreux a pu écouterune prière en ladino, dans la tradition des juifs originaires de Turquie,fondateurs en 1962 de cette communauté, puis les interventions desnombreuses personnalités présentes, mettant en avant l'histoire de lacommunauté, l'importance d'une synagogue aujourd'hui, et saluant ledynamisme, l'énergie et les qualités d'accueil de son président. Joël Merguia en particulier mis l'accent sur l'action menée par cette communauté enfaveur de la jeunesse et sur le symbole que représente cette synagoguede l'intégration des juifs venus en France d'horizons si différents. Après labénédiction prononcée par le Grand Rabbin d'Israël, cette bellemanifestation s'est conclue par le dévoilement d'une plaque.

22 INFORMATION JUIVE Octobre 2012

Le Grand Rabbin d'Israël au centre Fleg

Pour le lancement des Dix jours duConsistoire, le centre Fleg a organisé unMelave Malka samedi soir 13 octobre avec leGrand Rabbin d'Israël Shlomo Amar, enprésence du Président du Consistoire JoëlMergui, du rav Ariel Messas, du Président etdu rabbin de la communauté du 6ème arrdt,de la directrice du Centre, d'administrateursdu Consistoire et de nombreux jeunes. Aprèsun accueil en chansons par les jeunes de Fleget quelques mots d'introduction de JoëlMergui où il a rappelé la présence du GrandRabbin au même endroit il y a un an, à la veillede la disparition du Grand Rabbin Messas(zatsal), et l'importance d'écouter sesenseignements par ces temps troublés pourla communauté juive, le Grand Rabbin Amara développé sur le thème de la Paracha deNoah qui venait d'être lue ce Chabbat après-midi, l'idée de l'Arche que constitue chaquesynagogue face au déluge d'impuretés quifrappe aujourd'hui nos sociétés. Le cours s'estachevé par une bénédiction récitée par leGrand Rabbin pour l'ensemble de lacommunauté juive de France.

Cours de Talmud du Grand Rabbin de ParisDimanche 14 octobre, au debut des Dix Jours duConsistoire, le Grand Rabbin de Paris MichelGugenheim a débuté son cycle de cours de Talmud enla synagogue La Victoire.Le public composé d'initiés comme de débutants, a puapprocher la méthodologie d'étude du Talmud, endécouvrant la "géographie" d'une page, et la chronologiedes commentateurs qui se sont succédés.Les qualités pédagogiques du Grand Rabbin de Parisont permis à chaque personne, quel que soit son niveau,de progresser dans sa connaissance des textes et lalogique du raisonnement talmudique.Le cours s'est terminé par la visite exceptionnelle duGrand Rabbin d'Israël, Rav Schlomo Amar, qui a bénil'assemblée et félicité le Grand Rabbin Gugenheim pourcette initiative.

Le Président Joël Mergui a conclu cette session enremerciant le public et les Grands Rabbins pour le tempsqu'ils consacrent à l'étude et a proposé sa diffusion danstoutes les synagogues de France.

SPECIAL 10 JOURS DU CONSISTOIRE

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INFORMATION JUIVE Octobre 2012 23

Soirée des mariésà BuffaultC’est dans la magnifique synagogue de Buffault, que s’est dérouléele dimanche 14 Octobre la cérémonie des mariés de l’année,organisée depuis quelques années dans le cadre des 10 jours duConsistoire.Les jeunes couples sont arrivés, certains très émus, car, mariés àBuffault ils avaient l'impression de revivre leur mariage. C’est dansune ambiance festive que la cérémonie a commencé avec lesinterventions du Président et des Grands Rabbins de France et deParis ainsi que du Rabbin de Buffault, qui se sont tous exprimés sur l'importance et la beauté de l'institution dumariage pour le Peuple juif. Les intermèdes musicaux ont ponctué les messages délivrés.Le Président de la synagogue, M. Elie Balmain a offert deux magnifiques livres aux jeunes couples, et un birkatHabaït personnalisé par le Rabbin Benhamron était également offert au nom de l’ACIP.

Partenariat entre communautés

Lundi 15 octobre, les commu-nau-tés juives de Créteil et de la Grande-Motte ont signé le 9ème partenariatassociant des communautés sousles auspices du Consistoire Central,dans le cadre du projet de La'Hazac. La communauté de Créteilétait notamment représentée parson président Albert El Harrar et leRabbin Alain Sénior. Pour laGrande-Motte, le Président GabyAtlan avait fait le déplacement. Le Président du Consistoire, JoëlMergui, a rappelé l'importance deces partenariats, symboles de la soli-darité entre les grandes communau-tés et les plus petites. Les dirigeantsde Créteil se sont engagés à venirà la Grande-Motte et à mieux faireconnaître cette communauté auprèsde leurs membres. La communautéde Créteil a également proposéd'envoyer ponctuellement descadres pour organiser des fêtes à laGrande-Motte, notamment pour lesenfants.

Conférence-Débat sur la Cacherout à Massy

La conférence débat qui s’est tenue le 15 octobre à Massy aréuni plus de 120 personnes, particulièrement intéressées par ce thème fondamentaldu judaïsme. Après une présentation de l’organisation générale du service, tant en interne que chezles partenaires du Consistoire par le rabbin Elie Elkiess, le Grand Rabbin de Paris MichelGugenheim a donné des éclaircissements halakhiques sur les principales définitions etrépondu aux questions du public sur les différents labels de cacherout.Le Secrétaire Général du Consistoire, Simon Marec, a ensuite fait un point précis etfactuel sur les aspects financiers du fonctionnement de la cacherout et des taxesconsistoriales.Pour le Président de la communauté de Massy, Benjamin Allouche, la réussite de lasoirée est due à la qualité des intervenants et la mobilisation de tout le bureau qui aimerait,par ce genre d’action, désenclaver les communautés de grande banlieue et les impliquerpleinement dans les problématiques rencontrées au quotidien par le judaïsme en France.

Chabbat plein avec le Grand Rabbin d’IsraëlLors de sa visite à Paris, le Grand Rabbin d’Israël a participé à un chabbat plein dansla synagogue Maguen David Ahavat Shalom dans le 16ème arrdt, en présence del’Ambassadeur d’Israël en France, S.E. Yossi Gal et du Président du Consistoire, JoëlMergui. Ce chabbat consacré à l’étude fut l’occasion pour le Grand Rabbin Amar dedonner plusieurs cours d’une grande richesse à un public nombreux, venu recevoirses enseignements et assister aux offices en sa présence.

Le Grand Rabbin d’Israël à Créteil

La communauté juive de Créteil a eu l’honneur d’accueillir leGrand Rabbin d'Israël pour l’office du matin. M. Joël Mergui, Président du Consistoire,ainsi que le rabbin Ariel Messas accompagnaient le Grand Rabbin Shlomo Amar.Successivement, le président de la communauté de Créteil, M. Albert Elharrar, M. JoëlMergui, et le rabbin Senior, ont mis en avant l'importance et le dynamisme de cettecommunauté ainsi que son apport à la vie juive dans la région parisienne. Le GrandRabbin d’Israël a été impressionné par la présence de l’ensemble des rabbanim et desresponsables communautaires de la ville, ainsi qu’une foule très nombreuse de fidèlesvenus écouter son message. Il a notamment exhorté les fidèles à s’investir dans l’étudede la Torah et a conclu avec une bénédiction pour la communauté.

SPECIAL 10 JOURS DU CONSISTOIRE

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24 INFORMATION JUIVE Septembre 2012

LA VIE DU CONSISTOIRE

Rencontre à l'Elysée après le démantèlement d'une cellule terroristeSuite au démantèlement de la cellule terroristeimpliquée dans l’attentat contre l’épicerie casher deSarcelles du 19 septembre dernier et des tirs à blancsur la synagogue d’Argenteuil, le Président duConsistoire, M. Joël Mergui, a demandé -dès la sortiede chabbat-, à M. Manuel Valls, Ministre de l'Intérieur,d’étudier toutes les mesures d'urgence nécessaires àprendre après la saisie d’une liste d’associations juivesvisées par les terroristes.Afin de faire toute la lumière sur ces événements etrassurer la communauté juive, à la veille des fêtes deChemini Atseret et Simhat Torah, deux rencontres ontété immédiatement planifiées, dès le lendemain matindimanche. La première entre M. Manuel Valls et lesresponsables des grandes institutions juives* (Consistoire, Crif, FSJU), et la seconde avec le Président de laRépublique, M. François Hollande à l'Elysée.Après avoir souligné le caractère exceptionnellement grave de la situation et annoncé des mesuressupplémentaires pour assurer la sécurité des bâtiments communautaires juifs, le Président de la Républiquea salué l'efficacité des services de police et assuré la communauté juive et nationale de sa détermination àlutter contre le terrorisme et tout ce qui pourrait briser l’unité nationale.A sa sortie de l’Elysée, M. Joël Mergui a refusé toute tentation d’amalgame entre Islam et Islamisme et appelél'ensemble des responsables et personnalités musulmanes à se démarquer clairement d’une idéologie quipermet à des criminels d’instrumentaliser l’Islam au nom de leur haine des juifs et d’Israël.La délégation conduite par MM. Joël Mergui et Richard Prasquier était composée des personnalités suivantes :Sammy Ghozlan, vice-président du Consistoire de Paris, Richard Halimi, président de la communauté juivede Sarcelles, Meyer Habib, vice-président du Crif, Gil Taïeb, vice-président du FSJU, Ariel Goldmann, porteparole du SPCJ, Ron Refaeli, directeur du SPCJ.

Le Consistoire exprime son opposition au mariage homosexuelDans le cadre des consultations sur le projet de loi sur" le mariage pour tous" menées par les Ministres MmesChristiane Taubira et Dominique Bertinotti, le Grand Rabbin de France, M. Gilles Bernheim, et le Président duConsistoire, M. Joël Mergui, avaient déjà eu l'occasion d'exprimer directement leur opposition à l'extension dumariage aux homosexuels. Le Président Joël Mergui avait publié un entretien dans le journal Le Monde le 15septembre dans lequel il revenait sur cette question. Il y indiquait notamment qu'au-delà de l'interdit religieux, il

s'interroge sur "le sens d'une société qui accorderait la même normalité à des familles oùl'enfant aurait deux pères ou deux mères au lieu d'un père et d'une mère, le modèle traditionnel".Et d'ajouter que le "mariage homosexuel" changerait "le modèle naturel de la famille ; c'estune lourde responsabilité". Lors du Conseil du Consistoire Central du 11 septembre 2012, le Grand Rabbin de Franceavait annoncé la publication prochaine d'une analyse sur le sujet. Rendu publique le jeudi 18octobre, ce document intitulé "Ce que l'on oublie souvent de dire" a été précédemment adresséau Président de la République, au Premier Ministre ainsi qu'aux membres du Gouvernement.Selon le Grand Rabbin de France, il est de la plus haute importance d’expliciter les véritablesenjeux de la négation de la différence sexuelle et de débattre publiquement sur ces bases –plutôt que sur des principes. Car, insiste le Grand Rabbin, "il n’y aurait ni courage, ni gloireà voter une loi en usant davantage de slogans que d’arguments". D’autant que "les argumentsinvoqués d’égalité, d’amour, de protection ou de droit à l’enfant se démontent et ne peuvent,

à eux seuls, justifier une loi".Dans cet essai, le Grand Rabbin propose de décrypter le discours des partisans du projet de Loi, de passer au cribleleurs arguments et de mettre en lumière les effets négatifs des dispositions qu’ils revendiquent. L'objectif est decontribuer à l’émergence d’un véritable débat sur la place publique au vu du risque irréversible d’un brouillagedes généalogies, des statuts et des identités – brouillage "préjudiciable à l’ensemble de la société et perdant de vuel’intérêt général au profit de celui d’une infime minorité". Dans la première partie de l’essai, le Grand Rabbin analyseles arguments couramment utilisés, essentiellement la "discrimination" pour le droit au mariage et pour l’adoption,et l’inégalité "en cas de décès ou séparation ". Dans la seconde partie, il est question de la confrontation entre deuxvisions du monde.

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INFORMATION JUIVE Septembre 2012 25

LA VIE DU CONSISTOIRE

Arcachon à l’honneurCe jeudi 11 octobre, le Président du Consistoire Central, Monsieur Joël Mergui aremis la Légion d’Honneur à la Présidente de la Communauté d'Arcachon,Madame Judith Hassoun, en présence du Grand Rabbin de France, MonsieurGilles Bernheim.Après une cérémonie émouvante, en présence des autorités civiles et religieuses dela région, qui a eu lieu dans le cadre magnifique du Tir au Vol, Judith Hassoun a eule plaisir de faire visiter, au Grand Rabbin Bernheim et au Président Mergui, laSynagogue d’Arcachon fraichement restaurée.C’est après plusieurs années de dossiers administratifs afin d’obtenir le financement (300.000 euros) et 1 an de travaux que la« petite » synagogue d’Arcachon a fait peau neuve.Cette communauté d’une centaine de familles fonctionne toute l’année grâce au dévouement et l’attachement indéfectible deses fidèles. Les offices y sont assurés par Jacques Bensoussan (depuis 1967) et depuis quelques mois en collaboration avec Eric-Meyer Aziza en qualité de Référent Religieux et Culturel. La Synagogue d’Arcachon, c’est aussi une salle communautaire, uneépicerie, un Talmud-Torah, des divré Torah le Chabbath et un cours le samedi après-midi.Arcachon est une ville où l’on peut passer ses vacances ou vivre sa retraite tout en pratiquant son judaïsme.Retrouvez-nous sur www.synagogue-arcachon.com

Cérémonie des vœux duConsistoire avec le Ministre de l’Intérieur M. Manuel VallsAux lendemains du Nouvel An Juif, fêté le 16 et 17 septembredernier, le Consistoire a organisé dimanche 23 septembre, satraditionnelle cérémonie des vœux du Ministre de l’Intérieurà la communauté juive de France, à la Grande Synagogue dela Victoire.

Dans le climat de grandes tensions actuelles, la premièreparticipation de M. Manuel Valls a été chaleureusementsaluée par les représentants des différentes communautésjuives de France, à qui il a souhaité un « amical, chaleureux,laïc et républicain, Chana Tova. Ce moment, a t-il précisé n’estpas celui du calendrier juif mais fait partie de notre calendriercommun au même titre que les grandes fêtes des autresreligions. La République est laïque et ne privilégie personne,elle respecte la spécificité de chacun.»

Le Président du Consistoire, M. Joël Mergui a pour sa partrappelé avec insistance « que depuis toujours des juifs quiportent la Kippa, mangent casher et sont circoncis ontcontribué au progrès, à la grandeur et à la modernité de laFrance et de l’Europe. La pratique de notre culte estentièrement compatible avec les règles de la Républiquelaïque. »

« La France a besoin des Juifs de France », a déclaré leMinistre de l’Intérieur, rappelant que « La France a une partjuive incontestable et qui ne peut être contestée », soulignant

combien cette part juive est « constitutive de l’identité, del’histoire et de la culture de la France (...) la liberté decroyance a-t-il insisté avec force : c’est la liberté de porterla kippa, c’est la liberté de manger casher, c’est la liberté deréaliser la circoncision (…) oui, les Juifs de France, commele fait aujourd’hui le Ministre de l’Intérieur, peuvent porteravec fierté leur kippa »

Pour sa part, le Grand Rabbin de Paris M. MichelGugenheim a demandé au Ministre de l’intérieur de veillerparticulièrement à ce que « les directives prises en hautsoient appliquées en bas » pour pouvoir s'assurer que sesrecommandations en matière de sécurité des lieux de cultesoient suivis d’effets partout en France.

Le Grand Rabbin de France, M. Gilles Bernheim, a salué « les appels au calme, au respect des Lois de la République,qui ont été portés en France par les autorités musulmanes.Ces appels, a-t-il ajouté, montrent que les Musulmans saventne pas offrir prise aux caricatures. Ils marquent une étapeimportante et sont porteurs de promesses pour la constructiond’une société française plus unie.»

A l'heure où la sécurité, la liberté de culte et la place mêmedes juifs dans la société sont malmenés en France commeen Europe, après l’horreur de la tragédie de Toulousesoulignée par les quatre orateurs, en présence de M. SamuelSandler, M. Manuel Valls a également réaffirmé la volontésans faille des autorités de lutter contre un antisionisme defaçade, qui cache mal son antisémitisme « qu’il soit d'extrêmedroite ou d'extrême gauche. »

S’adressant particulièrement à l’Ambassadeur d’Israël enFrance M. Yossi Gal, le Ministre de l’Intérieur a rappelécombien la France et le Président de la République M.François Hollande, représenté à la cérémonie des vœux duConsistoire, sont attachés à l’existence et à la sécurité d’Israël,avec qui la communauté juive française entretient un lienaffectif particulier et évident.

A noter qu'au même moment, de nombreuses cérémoniesdes voeux étaient organisées par les Consistoires régionauxà travers toute la France avec les autorités et personnalitéslocales, notamment à Marseille, à Bordeaux ou encore dansle Haut-Rhin.

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26 INFORMATION JUIVE Octobre 2012

Un nouveau lieu d'études juives, spécialement dédiéaux femmes de la communauté souhaitant avoiraccès aux textes fondamentaux du judaïsme, voit lejour en cette rentrée 2012-2013 à la synagogue de

la Victoire à Paris. Après deux réunionsd'information, le premier cours a eu lieu le lundi 22octobre. L'épouse du Grand Rabbin de France,Madame Joëlle Bernheim, répond à nos questions.

à travers un contact direct avec les sourcesen hébreu. Trop souvent les femmes sontmajeures dans leurs vies intellectuelles etprofessionnelles, et mineures dans leurrapport au judaïsme et aux Textes. Lerésultat ? En ne disposant pas d'outils pourévoluer dans leur vie spirituelle etreligieuse, certaines femmes en viennentà déserter, voire pire, à mépriser la Torah.Il s'agit de mieux connaître la richesse denotre héritage et la joie que l'étude peutprocurer. N'oublions pas de plus que lesfemmes sont les vecteurs principaux de latransmission dans le judaïsme.

I. J. : Est-ce qu'il correspond à une attente ?J. B. : Oui, nous l'avons dit, très forte. Dès

la mise en place des dimanches de Limoudqui ont eu lieu l'année dernière, un grandenthousiasme s'est fait jour. L'enthousiasmeprofessé par tant et tant de femmes pour

un retour aux sources, dans le sérieux etl'approfondissement pour soi-même etpour mieux transmettre, est souventbouleversant.

L'ouverture du Beth MidrachLenachimva permettre aux femmes qui le souhaitentd'avoir accès aux textes fondamentaux dujudaïsme : étude des textes, progression,autonomisation. Il y a lieu d'espérer quece renouveau de l'étude juive au fémininpuisse apporter un enrichissement notableau plan de la vie spirituelle et religieuse,ainsi qu'au plan de la transmission, dansnos communautés juives de France.

Aux côtés de femmes orthodoxes - oudéjà engagées dans la pratique religieuse- seront accueillies des femmes plus

Information Juive : Comment est né le projetde Beth MidrachLenachim ?

Joëlle Bernheim : C'était une promesse decampagne du Grand Rabbin de FranceGilles Bernheim, et c'est un projet que nousportons ensemble depuis longtemps. C'estparti du terrain, d'un constat, et de trèsnombreuses demandes remontantrégulièrement jusqu'à nous.

Il existe certes de nombreusespossibilités pour les femmes de lacommunauté de suivre des conférences,des cours. Mais s'il existe de nombreuxbatei midrach, yechivot accessibles auxhommes, à Paris, mais aussi dans lesgrandes communautés françaises, iln'existait pas encore de lieu qui proposeun programme d'études juives structuré,sur textes, aux femmes de la communauté.Il y avait là un manque à combler. Lesjeunes filles ou femmes de la communauté

qui souhaitent acquérir une vraie culturejuive, s'approprier les textes de la Torah etde la Tradition orale dans sa diversité, sontobligées d'aller en Israël ou aux Etats-Unis.Au cours des dernières décennies, denouveaux lieux d'études juives - bateimidrach pour femmes - ont été créés depar le monde avec succès : la Mikhlala,Matan, Lindenbaum, Nishmat… pour n'enciter que quelques-uns en Israël. Pas enFrance, sur ce modèle. Pourtant lademande existe de manière latente, maisforte.

Cela nous paraît vraiment une urgencecommunautaire que plus de femmespuissent devenir autonomes dans l'étudeet puissent acquérir une vraie culture juive

éloignées de la Tradition afin de leur faireconnaître leur héritage, leur faire découvrirles mitsvot et leur donner sens. Ce BeitHamidrach ouvert à toutes est inscrit dansune mouvance strictement orthodoxe.Dans le souci d'une convivialité propreaux femmes, et dans le respect de laHalakha, cette étude se fera de façonprivilégiée entre femmes.

Par ailleurs, comme nous l'avons déjàdit, se centrer sur un public féminin, c'estaussi rétablir une justice puisque trop peude vrais lieux d'études sont aujourd'huiaccessibles aux femmes.

I. J. : Comment ce Beth Midrach Lenachim -Etudes juives au Féminin - va-t-il se mettre enplace ?

J. B. : Pour l'instant un lieu : des locauxmis à notre disposition par la synagoguede la Victoire. Une date : 22 octobre, ledébut des enseignements, deux program-mes.

Un programme intensif qui comprenddes matinées et une soirée d'étude surtextes, par binôme ou petits groupes, sousla supervision d'un professeur-tuteur. Cerythme doit permettre aux personnes quien bénéficient de faire des progrès rapides.

Un programme plus classique quicomprend une douzaine de cours quicouvrent tous les domaines de l'étude juive : Tanah' (Bible), histoire juive, maisaussi ouverture sur la Halakha et leTalmud, prière, vie juive, philosophie juive.

Maitriser la lecture de l'hébreu estrequise pour suivre la plupart de cesenseignements mais un moduled'initiation permettra aux femmes qui lesouhaitent d'acquérir les bases nécessaires(approche de la langue hébraïque,initiation à l'étude).--Pour tous renseignements etinscriptions :Tél. : 01. 49. 70 87. 64.Email : [email protected] internet : www.grandrabbindefrance.comwww.consistoire.org

Beth Midrach Lenachim - Etudes juives au féminin

UN ENTRETIEN AVEC MADAME JOËLLE BERNHEIM

COMMUNAUTÉS

Il y a lieu d’espérer que ce renouveau de l’étude juiveau féminin puisse apporter un enrichissement notable

au plan de la vie spirituelle et religieuse, ainsi qu’au plan de la transmission,

dans nos communautés juives de France.

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consistoires dans la colonie : il s'agit del'édition du " Rapport Altaras ", une missiond'enquête effectuée en 1842 par IsaacAltaras, alors président du Consistoire deMarseille, et le jeune avocat aixois JosephCohen. La recherche historique sur

l'Algérie s'est également intéressée auxrabbins français envoyés dans le pays àpartir du milieu du XIXe siècle. Je penseen particulier à la biographie du rabbinMahir Charleville par Richard Ayoun, auxtravaux de Geneviève Dermenjian sur lesrelations, souvent conflictuelles, entre lesrabbins métropolitains et les communautésjuives algériennes, ou encore aux étudesde Jean-Marc Chouraqui sur le discoursde ces rabbins sur le projet de régénérationdes Juifs.

I.J. : Vous considérez qu'à l'époque on ne peutpas parler de l'existence d'une communautéjuive pour désigner l'ensemble des juifs d'Algérie.

V.A. : En effet, la notion de "communautéjuive" (au singulier) n'est pas pertinentepour qualifier les Juifs d'Algérie, ni mêmede tout le Maghreb, en 1830 : ils sontorganisés en communautés indépen-dantes les unes des autres. Chacune a desdirigeants - le moqaddem ou chef de lanation juive, assisté d'un conseil. Chaquecommunauté a ses propres rabbins, qui

Information Juive : Le 9 novembre 1845, parordonnance royale, la France dote la populationjuive d'Algérie de trois consistoires. Cet épisodehistorique n'a pourtant jamais fait l'objet d'uneétude spécifique. Pourquoi ?

Valérie Assan : Certes, il n'existait aucunesynthèse sur la question. Une premièreexplication que l'on peut avancer est quel'histoire institutionnelle et administrativepeut sembler rebutante et impersonnelle.Or, l'étude de la machine consistoriale m'afinalement permis d'aller jusqu'au cœurde la vie des communautés juivesd'Algérie. Je ne partais pas de rien pourautant. L'historien Simon Schwarzfuchs apublié un ouvrage important sur le rôledes Juifs de France dans l'institution de

n'ont pas de relations hiérarchiques entreeux. Les grands rabbins de Smyrne et deJérusalem sont des autorités respectées.Ils sont consultés par les rabbins algérienspour les questions les plus épineuses.Outre la question de l'organisation des

communautés, il existe des particularismeslocaux en matière religieuse, culturelle,vestimentaire...

I.J. : Les Consistoires avaient alors fait leurspreuves en France et apparaissaient comme uncadre administratif adaptable à l'Algérie. Il fallaitcependant dites-vous, y apporter quelquesretouches. Lesquelles ?

V.A. : Lorsque Napoléon Bonaparteinstitua des consistoires, non seulementen France, mais dans tout son Empire (cequi incluait des territoires de l'actuelleItalie, du Nord de l'Europe, etc.), c'étaitincontestablement avec l'intention decontrôler la population juive. Mais par lamême occasion, il créa de nouvellesstructures, une nouvelle organisationcommunautaire, qui participa dans unecertaine mesure à la modernisation descommunautés juives de France. On peutdiscuter des effets de la création desconsistoires sur l'organisation descommunautés juives à cette période :véritable rupture ou plutôt continuité avec

Le Consistoire en Algérie : une page d'histoire

UN ENTRETIEN AVEC VALÉRIE ASSAN

Mme Valérie Assan, agrégé de l'Université et docteuren histoire a mené une longue enquête surl'évolution des sociétés juives algériennes du fait dela présence française et sur l'exportation du modèleconsistorial en Algérie et l'action qu'il a menée ausein des sociétés juives algériennes de 1830 à laveille de la Première guerre mondiale.L'historienne a cherché à répondre à des questionstelles que : quelle a été l'empreinte des Consistoiressur les communautés juives en Algérie ? Quelle a

été la mission des rabbins alsaciens envoyés surplace par le Consistoire central ? Comment lesdirigeants des consistoires ont-ils fait face à la criseantijuive qui a culminé en 1898 dans la colonie ?Mme Assan vient de publier le résultat de sesrecherches dans un livre : Les consistoires israélitesd'Algérie au XIXème siècle ".( Editions Armand Colin, 480 pages, 24 E 50).

Elle répond ici aux questions d'Information juive

L'instauration des consistoires en Algérie fait partied'un plus vaste mouvement, celui de la naissance

d'une solidarité moderne des Juifs d'Europe

HISTOIRE

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ministère de la guerre, puis sous celle duministère des cultes. Finalement, leConsistoire central a obtenu cetteprérogative à partir de 1862.

Cependant, les consistoires de l'Algérieavaient plusieurs traits spécifiques, quis'expliquent par la situation coloniale : lescommunautés juives n'ont jamais pu, dumoins jusqu'à la séparation des Églises etde l'État, choisir les rabbins qui devaientsiéger au sein des consistoires. Et jusqu'en1870, les laïcs étaient également choisissoit par l'État, soit, à partir de 1862, par leConsistoire central. En réalité, les Juifs deFrance estimaient que leurscoreligionnaires africains ne pouvaient passe régénérer par eux-mêmes. D'où,évidemment, les protestations et lesmanifestations de rejet d'une populationqui, a priori, n'était pas totalement hostileà la modernisation institutionnelle. Et siles communautés ont obtenu le droit d'élireles laïcs qui les administraient, c'est parcequ'à Alger, à la faveur de la Commune de

1870, des élections " sauvages " ont étéorganisées. Une fois que les Juifs d'Algérieont été émancipés par le décret du 24octobre 1870 (le fameux décret Crémieux),le Consistoire central pouvait difficilementcontinuer à affirmer que les Juifs d'Algérieétaient encore incapables de se diriger pareux-mêmes.

I.J. : Quelle était jusque-là l'organisation descultes en Algérie ?

V.A. : Avant 1830, la situation étaitsemblable à celle de la France de l'AncienRégime : les communautés choisissaient

leurs rabbins. Dans les communautés lesplus nombreuses, les trois rabbins les plusestimés se réunissaient en beth din, entribunal rabbinique, et tranchaient lesquestions religieuses, les questions d'étatcivil et les affaires non criminelles quin'impliquaient que des Juifs. Les autresaffaires relevaient des tribunaux ottomans.Dans les communautés plus modestes, unseul rabbin faisait office de tribunalrabbinique. Cependant comme plusieurshistoriens de la période ottomane l'ontmontré, l'autorité des rabbins locaux étaiten déclin dès le XVIIIe siècle. De plus, àcôté des quelques sommités rabbiniquesdes communautés de Tlemcen, Oran,Alger, Constantine, etc., on trouvait unefoule de rabbins qui exerçaient diversesfonctions communautaires : circoncision,enseignement religieux aux petits garçons,abattage rituel, offices à la synagogue.Certains avaient un autre " métier " qui lesaidait à vivre ; c'était aussi le cas en Europe.Finalement, la classe rabbinique était àl'image de la population juive algériennedans son ensemble : la très grande majoritévivait dans la gêne, voire dans la pauvreté.

I.J. : Il était question alors de ce qu'on appelait" la régénération des juifs d'Algérie". Cela voulaitdire quoi ?

V.A. : Le terme de "régénération", qui està cette époque à peu près synonyme de"civilisation", est un héritage de laRévolution française. Le projet derégénération s'appliquait à l'origine àchaque individu, et non spécifiquementaux Juifs. Le terme renvoie à l'utopie defaire un homme nouveau, un citoyen libérédes entraves de son rang social, de sespréjugés… La régénération est liée auprojet d'égalité. Concernant les Juifs, leprojet de régénération est précisément misen œuvre par les consistoires, créés en1808 : l'ambition est de sortir les Juifs,émancipés depuis 1791, de leur étatmisérable en favorisant la scolarisation desenfants et l'apprentissage de "métiers utiles",autrement dit l'agriculture et l'artisanat.On n'a pas fini de débattre de l'ambiguïtédu projet : car Napoléon Ier voulaitéradiquer la pratique de l'usure, dont seplaignaient les paysans alsaciens, etentendait mener une régénération forcée.Il reste que les consistoires, en Francecomme en Algérie, se sont préoccupés dela scolarisation des enfants juifs. Et mêmesi leur action a été limitée, elle a eu uneportée symbolique importante.

D'autre part, les Juifs de France se sontapproprié la notion de régénération et en

le passé ? En tout cas, les consistoiresavaient pour particularités, d'une part, decréer des liens entre les différentes " nationsjuives ", et en outre d'être une structurepuissamment centralisée et hiérarchique.Ainsi, chaque consistoire départementalétait placé sous l'autorité du Consistoirecentral des israélites de France. Je ne croispas avoir affirmé dans mon livre qu'il fallaitapporter des retouches à l'organisationconsistoriale pour l'Algérie : mon rôle n'estpas de juger. Ce qui est sûr, c'est qu'audébut des années 1840, les consistoiresn'étaient déjà plus, en France, lesinstitutions policières qu'elles avaient étésous le Premier Empire. Ils apparaissaientcomme un outil de régénération etd'émancipation des Juifs.

En Algérie, les consistoires avaientcertaines caractéristiques communes avecl'organisation française, à commencer parla mise en place d'une structurehiérarchique totalement inédite : à Algersiégeait un Consistoire israélite algérien,sous l'autorité duquel étaient placés le

consistoire de la province d'Oran et celuide la province de Constantine. Les deuxconsistoires provinciaux n'ont cessé deprotester contre cette tutelle et n'ontfinalement obtenu gain de cause qu'en1867 : le Consistoire israélite algérien aété remplacé par un consistoire de laprovince d'Alger, et les trois consistoiresde la colonie se sont trouvés sur un mêmeplan hiérarchique. Le Consistoire central,quant à lui, espérait obtenir la tutelle duculte de la colonie dès la création desconsistoires en 1845. Mais le Consistoirealgérien fut placé sous l'autorité directe du

HISTOIRE

Juifs d’Agérie

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INFORMATION JUIVE Octobre 2012 29

HISTOIRE

la civilisation à l'Orient - notion touterelative en ce qui concerne l'Algérie, quiest plus au sud qu'à l'orient… De même,les dirigeants du judaïsme métropolitainn'ont pas fait confiance aux Juifs d'Algériepour se moderniser, mais ont préconisél'envoi de rabbins venus de France pourguider les communautés vers le progrès.Or, certains rabbins d'Algérie -l'administration française et les Juifs deFrance les appelaient “rabbins indigènes”- auraient souhaité faire partie del'administration consistoriale. On le saitparce que quelques-uns ont siégé au seindes consistoires à titre intérimaire.L'ordonnance de 1845 instituant desconsistoires dans la colonie et les autrestextes de loi qui ont suivi n'indiquaient pasque les rabbins devaient être métro-politains… mais ils devaient être issus del'École rabbinique de Metz (transférée à

Paris en 1859, elle prit alors le nom deSéminaire rabbinique). De fait, celaexcluait pour longtemps les rabbins"indigènes ". La première nomination d'unrabbin maghrébin en Algérie date de 1877 : Joseph Stora fut affecté à Bône. Ilétait le fils du dayyan algérois AbrahamStora. Il est le seul exemple au XIXe siècle.

I.J. : Qu'est-ce qui frappe, à l'époque, dansl'organisation consistoriale en Algérie, dans sonfonctionnement et dans ses activités ?

V.A. : Ce qui frappe en premier lieu, c'estque la structure consistoriale s'est adaptée,par force, aux réalités locales. Le projet derégénération religieuse a incontesta-blement échoué : les quelques rabbinsmétropolitains envoyés en Algérie n'ontpas eu d'influence sur le rituel, sur despratiques qu'ils désignaient comme des"superstitions". Bref, ils ne sont pas

ont fait autre chose : on évoquait à l'instantune régénération socio-économique etculturelle, qui devait prendre la formed'une ascension sociale. Or, au XIXe siècle,ce projet, qui n'est évidemment pasabandonné et qui est même appliqué auxsociétés juives de tout le bassinméditerranéen par l'Alliance israéliteuniverselle, se double d'un autre, d'ordrereligieux cette fois. En effet, le judaïsmede la France du XIXe siècle est animé parun débat, qui parcourt tout le siècle, portantsur la modernisation du culte - on parlealors " mettre le judaïsme en accord avecle siècle ". Dans ce débat, le Consistoirecentral adopte une position assez modérée,effectuant quelques réformes très limitées,se heurtant aux orthodoxes d'une part etaux partisans d'une franche réforme. Leprojet est de rendre le culte juif plusacceptable auprès des non-juifs, mais ausside faire revenir à la synagogue des fidèlesqui la désertent de plus en plus. C'est parexemple dans ce cadre que se situe laconstruction de vastes et belles synagoguesou l'introduction de l'orgue.

Il est nécessaire de se référer au projetde régénération des Juifs de France pourévoquer les Juifs d'Algérie, car c'est bience modèle qui a été exporté dans lacolonie. Découvrant la misère des quartiersjuifs de l'ancienne Régence d'Alger, et plusencore l'oppression dans laquelle ils ontvécu sous la domination ottomane, lesobservateurs juifs sont sous le choc. Ilspensent qu'il est du devoir des Juifs deFrance d'aider leurs coreligionnaires, detravailler à leur émancipation, c'est-à-dired'en faire des citoyens français.L'instauration des consistoires en Algériefait partie d'un plus vaste mouvement, celuide la naissance d'une solidarité modernedes Juifs d'Europe - au premier chef desJuifs français, qui ont été faits citoyens lespremiers - avec leurs coreligionnairesopprimés de par le monde. Il faut relier cetépisode avec l'affaire de Damas, en 1840,et la création de l'Alliance israéliteuniverselle en 1860.

I.J. : L'historien Simon Schwarzfuchs a pu parler à ce propos d'un "colonialisme juif des Israélites français ". A quoi faisait-ilréférence ?

V.A. : Cette expression est en effet tiréede l'un de ses articles. Simon Schwarzfuchsa souligné la profonde ambiguïté du projetconsistorial en Algérie. Les Juifs françaisétaient victimes du même ethnocentrismeque leurs compatriotes : ils pensaient quel'Occident devait apporter les lumières de

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donné la structure socio-économique desjudaïcités algériennes.

Cette évolution du projet consistorial enAlgérie tient pour une grande part aupersonnel consistorial lui-même : certes,les rabbins des consistoires étaient desFrançais de la métropole, mais les laïcs quisiégeaient avec eux, beaucoup plusnombreux, étaient des notables locaux,des juifs " indigènes " pour reprendre laterminologie de l'époque. Or, ceux-cin'étaient pas animés par la fièvreréformatrice, ils cherchaient avant tout àadministrer les communautés. C'étaientincontestablement eux, les vrais chefs descommunautés juives. Souvent issus devieilles familles séfarades, ils étaientestimés de leurs administrés en raison deleur position sociale - car ils étaient souventnégociants, commerçants, banquiers -, enraison aussi de leur richesse, dont ils

faisaient profiter la communauté par desdons. Ils étaient également considérés parl'administration coloniale, qui comptait sureux pour asseoir la domination françaisesur le pays : certains d'entre eux ont été lespremiers banquiers des colonisateurs ;d'autres des interprètes de l'armée fran-çaise ; certains ont même effectué desmissions diplomatiques dans le sud dupays. L'étude des laïcs est intéressante,parce qu'elle révèle un groupe d'hommesau carrefour de deux mondes, celui duquartier juif traditionnel et celui del'Occident moderne. Cette petite élitecommerçante était en contact avecl'Europe méditerranéenne depuislongtemps.

I.J. : Comment pourriez-vous résumer cequ'ont été l'action et l'influence du Consistoirecentral sur le judaïsme en Algérie ?

V.A. : Il faut distinguer plusieurs plans.Le Consistoire central et, plusgénéralement, l'élite juive française, onteu une influence décisive sur le judaïsmealgérien, car c'est à la suite de l'institutiondu système consistorial que les Juifs de lacolonie sont devenus citoyens français.Initialement, la création des consistoiresétait couplée avec l'émancipation des Juifs : plusieurs projets prévoyaient cettemesure. Le gouvernement de laMonarchie de Juillet a finalement renoncéà octroyer la citoyenneté aux Juifs"indigènes" sous la pression du gouverneurgénéral de l'Algérie, le maréchal Bugeaud,qui avait le plus grand mépris pour lesJuifs. Les Juifs de France n'ont pasabandonné leur projet, qui a abouti,comme on le sait, avec le décretémancipateur du 24 octobre 1870.Rétrospectivement, au début du XXesiècle, les contemporains considéraientque les consistoires avaient été une marcheimportante vers la citoyenneté. C'estpourquoi les autorités françaises n'ont pascréé de système consistorial en Tunisiedans le cadre du Protectorat : ellescraignaient de devoir ensuite émanciperles Juifs de ce pays !

Si, d'autre part, on se demande quellea été l'influence du Consistoire centralsur le judaïsme algérien, on doit constaterqu'il a tout fait pour exercer un contrôleétroit sur les communautés. De plus, iln'avait aucune confiance dans les rabbinslocaux, jugés "arriérés". En même temps,le projet de régénération religieuse qu'ilappelait de ses vœux n'a pas abouti, etle judaïsme algérien a conservé sesspécificités.

parvenus à uniformiser, à occidentaliserun ensemble de pratiques qui relevaient,pour faire bref, du syncrétisme judéo-maghrébin. D'un autre côté, les consistoiresont bien fonctionné comme institutionscommunautaires. Ils ont progressivementplacé sous leur autorité la plupart desformes de la vie communautaire, mais sansdoute pas comme les Juifs de Francel'espéraient. Par exemple, les rabbinsconsistoriaux ne pouvaient pas contrôlerles mariages, qui étaient pour la plupartcélébrés par des rabbins " indigènes " sansautorisation consistoriale, doncéventuellement sans état civil. Cesmariages, parfaitement légaux du pointde vue des Juifs d'Algérie, étaient désignéscomme " clandestins " par l'administrationconsistoriale. En même temps, lesconsistoires ont assuré les distributionscharitables aux indigents, ce quireprésentait une charge énorme étant

HISTOIRE

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qu’éprouver à notre tour cette “nostalgie”,nous qu’un “roi qui n’avait pas connuJoseph” — Exode 1-8 — (il s’appelaitNasser) avait chassés après nous avoirdépouillés.

Il est un fait que les Juifs d’Égypte,expulsés ou contraints à partir, effacés decette terre jusqu’au dernier, entre 1948 et1973, dont-il ne reste aujourd’hui quequelques vieilles femmes dans des asilesde vieillards, ont revécu le mythe. Je diraismême que ma génération est celle du

mythe. D’autant qu’à lire les recherchesrécentes des archéologues, qui aujourd’huicontestent l’existence du séjour antiqueen Égypte, tels Israël Finkelstein, parexemple, nous pourrions bien être les seulsà l’avoir vécu. Il se pourrait que ce qu’ona appelé “le second Exodus”, ait, en vérité,été le premier et donc le seul.

I.J. : Vous écrivez que vous étudiez Freud“comme les anciens étudiaient le Talmud”.Qu’est-ce que cela signifie ? Sans compter qu’iln’y a pas que les anciens qui étudient le Talmud !

T.N. : J’ai raconté que nous étionsquelques tout jeunes gens — nous avionsà peine 17 ou 18 ans — qui nous étionspris d’une passion pour l’œuvre de Freuddès l’adolescence. Il va de soi qu’à aucun

Information Juive : A quoi correspond chezvous ce que vous appelez “la nostalgie del’Egypte” ?

Tobie Nathan : Il est étrange, comme je lerappelle dans mon livre, que celui qui aénoncé la règle selon laquelle, pour unJuif, “il est permis de résider dans le mondeentier, à l’exception de l’Egypte”… je veuxparler de Maïmonide, le “Rab Moshe”,comme on l’appelait dans notrecommunauté — il est étrange, disais-je,que lors de son exil, Maïmonide ne parvintpas à s’établir en Eretz et finit par aller vivreà Fostat, située à peu près à l’emplacementde ce qui deviendra Le Caire. Même lui,qui effleura Jérusalem, y goûta quelquessemaines ou peut-être quelques mois etfinit par atterrir en Égypte. Comme s’il étaitun tropisme spécifique pour l’Égypte…

Tout indique que, sitôt “sorti d’Égypte”,le peuple n’aurait eu qu’un souhait, yretourner au plus vite. J’ai toujours étéfrappé par cette obsession du retour enÉgypte, qui fut pourtant, selon les textes,terre d’esclavage et, selon l’étymologie,terre de l’angoisse. Cette “nostalgie del’Égypte” — ne devrait-on pas dire cette“algie”, cette “douleur d’Égypte”, étaitd’autant plus paradoxale que nous autres,Juifs du Nil, entendions tous les ans, lorsde la fête de Pessah, rappeler que Dieunous avait fait sortir d’Égypte. Qu’yfaisions-nous alors ? Et pourquoi y étions-nous heureux ?

J’étais un enfant, et je n’ai pas eu le loisirde poser cette question aux aînés. Plustard, une fois sortis, confrontés auxsouffrances de l’exil, nous ne pouvions

moment nous ne nous sommes dit que lapsychanalyse était un texte sacré. Mais jem’étonne rétrospectivement de la façondont nous nous sommes emparés de cestextes. Nous les lisions, les relisions, lesapprenions par cœur. Nous nous lesfaisions répéter deux par deux. Nousinventions des devinettes, nous nousinterrogions mutuellement sur les détailsde la vie de Freud, sur les dates denaissance, ou la date de tel ou tel rêverapporté dans l’Interprétation des rêves.Rétrospectivement, je me dis que nous,

enfants de l’immigration, juifs pour laplupart, avions en tête la musique duTalmud, mais pas d’accès aux paroles.C’est pourquoi j’ai écrit que nous avonsétudié Freud comme nos aînés avaientétudié le Talmud. Je n’en tire aucune fierté— d’autant que par la suite, ayant dépasséla période critique d’apprentissage, j’ai eubien plus de mal à entrer dans le véritableTalmud.

I.J. : Vous racontez qu’un jour, votre père (“unintime de Dieu” dites-vous) vous a dit : “Tupeux partir à la découverte du monde, deschoses, des êtres et des hommes, mais tu nepeux quitter ton peuple. L’essentiel c’est d’êtreensemble”. Comment la comprenez-vous ?

T.N. : Pour être tout à fait exact, c’est unephrase que j’ai reconstituée. Mon père

“Du Talmud à la psychanalyse…”

UN ENTRETIEN AVEC TOBIE NATHAN

" Né en Egypte, je suis égyptien, comme le furent mesancêtres, enterrés dans le cimetière du Caire, depuisdes temps immémoriaux. Héritier de générations derabbins, portant le nom du plus célèbre, je suis juif,au naturel ". C'est ainsi que Tobie Nathan se présentedans Ethno-Roman, le récit qu'il publie aux éditionsGrasset.

Il s'agit là probablement d'un des meilleurs ouvragesde Tobie Nathan . On y apprend beaucoup de choses

à la fois sur les Juifs duNil (qu'il appelle "lesEgyptiens des origines ",sur la psychanalyse, surles traditions juives de safamille.

Dans l'entretien que l'on va lire, Tobie Nathan revientsur les rapports qu'il évoque abondamment dans sonlivre entre le Talmud et la psychanalyse.

JUDAÏSME

Que nous, enfants de l'immigration, juifs pour la plupart,avions en tête la musique du Talmud, mais pas d'accès

aux paroles.

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psychanalyse, tous les psychanalystesétaient juifs. Je parle des tout débuts, biensûr, les années “1900”, à Vienne. Ils étaientnon seulement tous juifs, mais leurspatients l’étaient aussi. Si bien que l’onaurait pu prendre la psychanalyse, selonle mot de Freud lui-même, pour une“histoire juive”. Ça l’était, du reste, maispas au sens où Freud l’entendait. C’étaitl’histoire d’une communauté particulièrede Juifs instruits, dont les parents étaient

très religieux et qui, éblouis par les lueursde la haskala, ont été capturés par lesmirages d’une intégration totale àl’occident chrétien. On sait ce qu’il estadvenu de cette illusion.

Je pense, en revanche, que, en ce quiconcerne ses contenus, la psychanalyseest plutôt un anti-judaïsme, depuis satechnique thérapeutique, qui tient plutôtde la confession catholique, si éloignéedes thérapeutiques traditionnelles desrabbins guérisseurs, jusqu’auxélucubrations tardives de Freud sur Moïse,qu’il finit quasiment par identifier auChrist, puisqu’il déclare, — et qu’ilprésente cela comme une découverte“scientifique” — que Moïse aurait étéassassiné par le peuple… par les Juifs !Jésus Christ, donc…

I.J. : La plupart des psy que vous citez sontdes juifs – même quand ils le cachent commel’a fait votre maître Georges Devereux. Y aurait-il un rapport quelconque entre psychanalyse etjudaïsme ?

T.N. : Les rapports entre la psychanalyseet le judaïsme sont plutôt d’opposition quede ressemblance. Je me suis surtoutintéressé aux techniques thérapeutiques,notamment “tradition-nelles”. Il y a dansmon livre une brève description de latechnique utilisée par un vieux guérisseuryéménite. Comme on peut le constater enme lisant, cet homme, qui, à mes yeux, estun professionnel particulièrementcompétent, travaille avec les textes et leslettres pour soigner la personne, jamaisavec ses paroles ou avec sa psychologiesingulière. Il ne “l’écoute” pas, ne laquestionne pas, n’entre pas dans lesméandres de ses singularités mentales. Ilinterroge les textes pour identifier le malet fabrique des amulettes pour le soigner,toujours à partir des textes. Comme vousvoyez, aux antipodes de la psychanalyse.

Pour se convaincre plus encore del’opposition radicale, il suffit de consulterles modalités de l’interprétationtalmudique des rêves. Il existe plusieurschapitres, dans le traité Berakhot,entièrement dédiés à l’interprétation desrêves. Si on les lit attentivement, onconstate qu’ils sont en totale contradiction

avec la théorie freudienne du rêve. Dansmon propre traité intitulé La Nouvelleinterprétation des rêves, publié chez OdileJacob en 2011, j’ai montré combien lathéorie que l’on trouve dans le Talmud estplus moderne, plus compatible avec lesrécentes découvertes de lapsychophysiologie du sommeil que lathéorie freudienne. On y trouve parexemple cette fameuse formule que, pourma part, j’ai adoptée telle quelle : “Toutrêve marche selon la bouche”… “labouche” signifiant bien sûr celle del’interprète.

Selon cette formule, donc, le rêven’aurait pas de “signification”, maisappellerait, par une sorte de nécessitéintrinsèque, des “interprétations”.L’interprétation serait donc partie

était déjà très vieux lorsqu’il l’a prononcée.Il avait alors dépassé 90 ans. Lui, qui n’étaitdéjà pas très bavard, était devenulaconique. Il m’a seulement dit :“l’essentiel c’est d’être ensemble”. Et jeme suis interrogé sur le sens de cettephrase. Il voulait dire que tout est permisà un Juif, toutes les curiosités, toutes lesexpériences, toutes les innovations, àcondition qu’il ne perde pas son sentimentd’appartenance.

Je dis qu’il était “un intime” parce quetout au long de sa vie, il n’a jamais raté sesrendez-vous privés avec Dieu, sa prièredu matin et du soir. J’ai toujours perçu celacomme une intimité parce qu’il n’y conviaitpersonne. Il va de soi qu’à ce moment ilne venait à l’idée de personne de ledéranger. Mais c’était plus encore ! Il nenous incitait pas, nous ses fils, à l’imiter,ne nous reprochait pas notre distance parrapport aux rites. Il ne nous a jamaisexpliqué l’importance de la religion, lanécessité de la prière. Ce qui transpiraitde son comportement, c’est qu’il y avaitun plaisir particulier à avoir des rendez-vous intimes avec Dieu — c’était sachance. J’ai mis très longtemps à lecomprendre, plus encore à tenter, à montour, d’en bénéficier.

I.J. : Il vous arrive de comparer lespsychanalystes à des rabbins. Curieux, non ?

T.N. : C’est un peu par moquerie, biensûr ! La seule comparaison entre lespsychanalystes et les rabbins c’est que,tout au moins aux débuts de la

JUDAÏSME

La seule comparaison entre les psychanalystes et lesrabbins c'est que, tout au moins aux débuts de la

psychanalyse, tous les psychanalystes étaient juifs.

Synagogue du Caire

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Lorsque je lui ai dit que, non seulementj’en étais un, mais que ma famille y étaitinstallée depuis des siècles — peut-être

davantage —, il a répondu : “si vous étiezlà, vous n’étiez pas des Égyptiens”. Cequ’il ne pouvait imaginer, c’est qu’il aitexisté des Égyptiens de religion juive. Pourrépondre à votre question, ignorance, trèscertainement ; résultat de soixante ansd’inlassable propagande.

I.J. : Vous terminez votre récit par cette formule : “La plus belle invention des Juifs estleur calendrier”. Que voulez-vous dire ?

T.N. : Le découpage de la semaine,

d’abord, en sept jours — six d’un côté,un septième de l’autre, est une créationd’une puissance inouïe. Elle a nonseulement tapissé notre mondeintérieur, constituant la membrane quinous permet d’intérioriser la perceptiondu temps et de percevoir les moments,mais elle a, de plus, été intégrée par lamajorité des peuples de la planète. Quiprête attention au fait que lorsqu’on dit“samedi”, en français, en espagnol, enitalien, par exemple, on rappelle que,selon l’étymologie, c’est le jour dushabbat, tout comme en arabe,puisqu’on dit carrément yom el sabt, “lejour du shabbat”.

La scansion du temps, ensuite,rythmée par les rites que l’on doit àDieu — j’ai connu des mondes où cettescansion ne résultait que de l’activitédes hommes ; des mondes où l’on disaitpar exemple : “le jour de marché auvillage A, le jour de marché au villageB, etc… — seule possibilité de donnerdu sel à la vie est une création juive. Etcomme toutes les trouvailles utiles, ellea été adoptée par le monde entier.

constitutive du rêve, son existence encreux, à la fois inévitable et contingente.C’est dire la responsabilité de l’interprète,

puisque l’interprétation fera advenir le rêveselon les paroles prononcées.

I.J. : Aujourd’hui, il n’y a plus un seul Juif auCaire. Et vous racontez qu’un diplomate égyptienvous a dit un jour : “Il n’y a jamais eu de Juifsen Egypte”. Ignorance ou provocation ?

T.N. : Le diplomate égyptien que j’airencontré à Tel-Aviv était un hommeinstruit et amical. Je ne veux pas lui lancerla pierre. Mais il pensait sincèrement qu’iln’y avait jamais eu de Juifs en Égypte.

JUDAÏSME

En ce qui concerne ses contenus, la psychanalyse estplutôt un anti-judaïsme, depuis sa technique

thérapeutique, qui tient plutôt de la confessioncatholique, si éloignée des thérapeutiques

traditionnelles des rabbins guérisseurs, jusqu'auxélucubrations tardives de Freud sur Moïse.

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Zakhor sur la fonction de la mémoirecollective, justement parce qu'écrit par unhistorien juif, permettait d'ouvrir et dedévelopper certains de ces aspects. En cequi concernait, plus spécifiquement, lesJuifs, ces réflexions, qui tombaient aprèsle succès du Juif imaginaire, pouvait aussiappuyer l'idée qu'il existait une identitéjuive authentique, concrète, et non pasentièrement construite sur un artificeidentitaire.

Information Juive : La parution du livre deYosef Hayim Yerushalmi " Zakhor, Histoire juiveet mémoire juive " a été saluée un peu partoutcomme un événement. Le livre et l'auteur ont très vite acquis une notoriété mondiale.Pourquoi ?

Sylvie-Anne Goldberg : Curieusement, c'estun peu grâce à l'écho rencontré par latraduction française que le livre a pris sonessor vers le reste de l'Europe et jusqu'enAsie. Mais c'est surtout dû au fait que ses

interrogations sur le rôle de la mémoireet de l'histoire se sont inscrites dans unmoment symptomatique, où les questionsde la mémoire collective de groupesparticuliers, de retour d'identité " refoulées"étaient profondément en prise avec cellesqui se posaient à tous de manière plusgénérale.

La société française, par exemple,commençait à devoir gérer des mémoiresdiverses (anciens colonisés, survivants dela Shoah voire Bretons et Vendéens) ainsique des remises en question de l'histoireelle-même (par le négationnisme, voire latentation de réhabilitation du nazisme oudes collabos). Le questionnement de

I.J. : Selon Yerushalmi, l'histoire des juifsenglobe et dépasse l'histoire de la religion juive.Cela n'allait-il pas de soi ?

S-A.G. : Oui et non. Pour certainshistoriens qui ne conçoivent l'histoire desJuifs qu'en prise avec celles des nations,c'est une évidence, mais c'est une évidencerécente et qui n'a pris toute sa place quedans les dernières décennies. Jusque laon avait toujours étudié l'histoire des Juifsde manière distincte, sans vraiment sesoucier du contexte culturel ou politiquedans lequel elle s'était construite. D'autantque l'histoire " générale " n'a jamais pris lapeine d'examiner sérieusement lesimplications qui découlaient de laprésence constante du peuple juif, endehors des écrits antisémites bien sûr.

Religion et histoire sont égalemententrelacées dans la longue durée, maisl'une et l'autre peuvent avoir desdéveloppements indépendants, qui senouent ou se dénouent par la circulationdes gens et des idées.

I.J. : Qu'est-ce qui l'a poussé à sepassionner, entre autres, pour l'histoire desJuifs du Midi de la France ?

S-A.G. : Si j'en crois ce qu'il en a rapportédans nos conversations, Salo Baron, sonprofesseur à Columbia, lui avait suggéréd'enquêter sur un lien éventuel entrel'émergence du courant mystique juif etles hérésies cathares et albigeoises enProvence. Il n'avait pu établir de lien autreque celui de "l'air du temps" -

Transmettre l'Histoire juive

UN ENTRETIEN AVEC SYLVIE-ANNE GOLDBERG

Sylvie Anne Goldberg est directrice d'études à l'Ecoledes Hautes Etudes en sciences sociales. Elle publiedeux ouvrages consacrés l'un et l'autre à l'un des plus grands historiens du judaïsme Yosef HayimYerushalmi ; Yerushalmi a été entre autres professeurdans deux des plus prestigieuses universitésaméricaines : Harvard et Columbia.Le premier est constitué d'une série d'entretienspassionnants qu'elle a menés avec Yerushalmi et danslesquels elle aborde à peu près tous les grandsproblèmes qui se posent aujourd'hui dans la sphèredu judaïsme.

On sait que Yosef Hayim Yerushalmi avait acquis unenotoriété mondiale après qu'il ait publie en 1984"Zakhor. Histoire juive et Mémoire juive "Le second volume est constitué des actes d'une journéed'hommages qui avait été consacrée à l'historien. On y trouve notamment des contributions deDominique Bourel, Maurice Kriegel, Pierre Nora, EricVigne, Nathan Wachtel etc…(Transmettre l'histoire juive. Editions Albin Michel.Collection Itinéraires du savoir, 24 E 90 ; L'histoire etla mémoire de l'histoire. Sous ladirection de S.AGoldberg. Editions Albin Michel.15 euros)

L'histoire d'Israël est si jeune, qu'il est peut être trop tôt pour la déconstruire, et qu'il serait raisonnable d'attendre de pouvoir prendre

du recul avant de la juger.

Yosef Hayim Yerushalmi

JUDAÏSME

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ce que l'on rejette au prétexte qu'il s'agit de" mythe " - ou de construction si l'on préfère,il vaudrait probablement le coup des'intéresser à leur raison d'être, un peu donc" à la raison des mythes ". En ce sens les "mythes " représentent, si on sait lescomprendre, des formes de métaphores -des manières d'appréhender le mondedans lequel on se trouve. D'ailleurs, ilévoque alors à la fin de cet échange et àtitre d'exemple, la personne de sa grand-mère de Pinsk, pour dire que finalement,tout historien qu'il soit, il ne perçoit pasgrand-chose de ce qu'elle pouvait imaginer,ressentir ou penser.

I.J. : Il dit n'avoir aucune sympathie pour ceuxque l'on appelle "les nouveaux historiens" enIsraël. Ils veulent, dit-il, "singer les modes". Aquoi fait-il référence ?

S-A.G. : Cela, par contre, est dit trèsexplicitement. Yerushalmi exprime

principalement le malaise qu'il ressent àl'égard de " gens qui n'ont pas vraiment faitl'expérience de 1948, et plus encore de cequi s'est passé avant” et qui donc, selon luien jugeant le passé par le “seul critère duprésent” manifestent une grandeignorance. Mais lorsqu'il déclare qu'ils nefont que “singer les modes”, il parle de cescourants qui traversent actuellement lemonde anglo-saxon (postmodernisme oupost-colonialisme) et qui, en démontantles mythes historiques ou en déconstruisantles belles histoires nationales, en viennentà défaire des édifices construits depuis dessiècles et qui racontent, en gros, une “belle”histoire, pour mieux monter en épinglesleurs facettes viciées ou peu glorieuses. Cequ'il voulait probablement dire, c'est quel'histoire d'Israël est si jeune, qu'il est peutêtre trop tôt pour la déconstruire, et qu'ilserait raisonnable d'attendre de pouvoirprendre du recul avant de la juger.

météorologique comme on dit. Mais s'étantplongé dans les archives et les lectures surla période, il y a déniché les archivespontificales de cette première Inquisition,qui a succédé à la Croisade contre lesAlbigeois : il en a fait son mémoire demaîtrise, qui a ensuite débouchédirectement sur sa poursuite des destinsmarranes.

I.J. : Pourquoi a-t-il été “fasciné” par cequ'il appelle “le phénomène séfarade” ?

S-A.G. : Il faut prendre le terme"séfarade" au sens strict de ceux qui sontissus de l'expulsion d'Espagne puis duPortugal. Pas au sens contemporain et pluslarge qui désigne un peu rapidement toutce qui n'est pas " ashkénaze ".

Il me semble qu'il a décelé dans cephénomène, avec toutes ses ramificationset ses développements très divers, allantdu sabbatianisme au rationalisme et à lacritique biblique, autrement dit de SabbataïTsevi à Spinoza en passant par Cardoso,une sorte de métaphore ou de creuset desdestins juifs dans la modernité. L'étudede ce phénomène pouvait doncéventuellement fournir quelques élémentsde réponse à ses propres questionnementssur son identité juive.

I.J. : Dans ces passionnants entretiens quevous avez eus avec lui, vous évoquez sa"méthode historique". Qu'est-ce qui la caractérisepar rapport à d'autres historiens du judaïsme ?

S-A.G. : Il aimait dire qu'il n'avait aucuneméthode particulière. En fait ce qu'ilentendait par là, c'est qu'il ne peut existerde méthode historique applicable demanière systématique à tous les objets.

Si l'on devait caractériser cette manièrede faire de l'histoire, il faudrait en revenirà ce que ses étudiants appellent, dans levolume d'hommages, son " empathie ", safaçon de se pénétrer d'un mot, d'une idéerelevée dans une source pour en tirer unparti immense : une conceptualisationentière, qui dépasse son objet immédiat etdevient ensuite repérable dans la longuedurée ou la continuité de l'histoire.

I.J. : Que veut dire Yerushalmi quand il écritqu'il faudrait pouvoir "élaborer une histoire quisaurait aussi recueillir et tenir compte desmythes" ?

S-A.G. : Ce n'est pas très clair dans cetéchange. C'est l'un des thèmes sur lesquelsil aurait fallu revenir si nous en avions eule temps et la possibilité.

Ma manière de le comprendre est lasuivante. Au lieu de s'attacher à déniertoute valeur ou importance historique (etpas seulement historique d'ailleurs) à tout

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Neher et d'Emmanuel Levinas, il dirigependant près de quarante ans, de 1968 à2007, ce comité préparatoire où seretrouvent en outre de nombreuxintellectuels juifs francophones. Pendantla seconde moitié du XXe siècle, cescolloques sont un lieu privilégiéconnaissant un grand succès, où la penséejuive traditionnelle, ressourcée à lamodernité, proclame ouvertement sesvaleurs et tente d'apporter des réponsesaux interrogations que la collectivité juivese pose en diaspora. En lisant les actes deces Colloques, on peut mesurerl'importance et la place centrales qu'ilseurent et continueront d'avoir dansl'actualisation et la reprise, après laDeuxième Guerre mondiale et la Shoah,du contenu et du message du judaïsme.

Arrière-arrière-petit fils duBaron de Gunzburg, legrand mécène, défenseuret modernisateur dujudaïsme russe de la fin duXIXe siècle et du début du

XXe, Jean Halpérin, qui vient de mourirle 4 septembre (18 Eloul), à l'âge de 91ans, était né en 1921, sur le chemin del'exil de Russie, à Wiesbaden. Sa familleémigre bientôt à Paris, où il fait debrillantes études secondaires etuniversitaires en droit et en histoire-géographie, avec des maîtres tels queMarc Bloch. De 1940 à 1943, il se réfugieavec sa famille à Lyon, où il poursuit sesétudes, en économie et sciencespolitiques. Il y participe à la Résistance,avant de trouver asile en Suisse. Là, iltermine son cursus universitaire, enseigneun an à l'université de Zurich, où il devientprofesseur. En 1948, il entre aux NationsUnies, à Genève, où il fait toute sa carrière,principalement en dirigeant, pendantplusieurs décennies, les serviceslinguistiques. De ce fait, il résidedésormais dans ce pays d'accueil, restanttoujours français de nationalité et de cœur.Polyglotte depuis l'enfance, il reçoit laLégion d'Honneur en 1983 pour sadéfense de la langue française au sein desNations Unies.

Membre depuis 1958 du Comitépréparatoire des Colloques desintellectuels juifs de langue française,colloques annuels puis bisannuels créésau lendemain de la Deuxième Guerremondiale à l'initiative notamment d'André

A l'occasion de ses voyages en URSSpour recruter des traducteurs pour lesNations Unies, Jean Halpérin, lui-mêmede langue maternelle russe, militeactivement en faveur des Refuzniks, les" Juifs du courage ", comme il les nomme.Pour lui, en effet , les juifs du silence c'estnous, les simples spectateurs, inconscientsde la situation.

Elégance, intelligence, très belleexpression orale et écrite dans plusieurslangues (français, russe, hébreu, anglais,allemand) bien qu'il soit volontierslaconique, engagement sans faille, grandecapacité de travail, humour, dignité, tellessont quelques-unes des qualités quidéfinissent Jean Halpérin. De lui,Emmanuel Lévinas, son ami avec lequelil travaille beaucoup pendant plus dequarante ans, a écrit " qu'il était un desderniers représentants de l'aristocratieintellectuelle juive russe".

A partir de 1981, il s'engage dans ledialogue interreligieux. Il reçoitnotamment un prix à l'InternationalCouncil of Christians and Jews en 2004,ou un hommage en 2007 à Seelisbergpour son action dans le dialogueinterreligieux.

En parallèle à ses activités, il estprofesseur d'histoire économique etsociale à l'université de Grenoble, présidele Centre d'études juives auprès del'université de Genève et, y succédant àEmmanuel Levinas, enseigne la penséejuive à l'université de Fribourg, de 1993à 2000.

Anne Sand

Il n'est pas vraiment à la portée del'être humain d'atteindre à la saintetési ce n'est, peut-être, dans descirconstances exceptionnelles commecelles qui sont évoquées dans "Célébrations dans la tourmente " (Ed.Verdier, 1993, 110 p.). Les faits qui ysont rapportés éclairent avec sobriété

Selon la pensée juive, lasainteté est difficile àdéfinir et, plus encore, àdécrire. Elle s'appliqueavant tout au Très Hautque nous désignons dans

nos prières comme " le Saint, bénisoit-Il ".

jusqu'où peut aller le " kiddoushHashem " (la sanctification du Nom)dans le comportement humain faceaux épreuves ultimes.

Dans la vie quotidienne des Juifsen ce monde, l'aspiration à lasainteté se traduit par une quête

Le souvenir du juste…

L'hommage à Jean Halpérin

IN MEMORIAM

Jean Halpérin

Nous publions ci-dessous la réflexion texte que Jean Halpérin avait consacrée à la notion de tzaddik dans lejudaïsme.

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quiétude et de toute indifférence,une poursuite inlassable (Dt. 16, 20)et constamment vigilante.

Le tsaddik est l'homme intègre,parfaitement droit, qui sait, enpermanence, mettre en œuvre lecommandement de pratiquer équitéet justice, générosité et droiture, telqu'il fut d'abord adressé par l'Eterneldans la promesse faite à Abraham(Gen. 18, 19).

Le terme, au substantif, necomporte pas de jugement de valeur.Ce serait plutôt de l'ordre du constat.Il faut bien comprendre aussi que lejuste est celui qui, en toutes

inlassable de justice au sens très fortet exigeant qu'a le terme hébreutsédek, qui signifie à la fois justiceet charité/générosité. Comme le ditle prophète Esaïe (5, 16), " le Dieusaint est sanctifié par la justice "(tsédaka).

Tant il est vrai que la sainteté nese pense pas dans l'abstrait, mais setraduit par l'acte même de pratiquerle plus concrètement la justice defaçon désintéressée au service del'autre, qu'il soit proche ou lointain.Etant entendu, de surcroît, que letsédek n'est jamais aboutissement etqu'il exige au contraire, dansl'interdiction de tout confort, de toute

circonstances, sans arrière-penséeni souci de soi, sait faire le bien, mûseulement par son attentionvigilante à autrui. C'est par son soucipour l'autre, et notamment pour leplus faible, qu'il exerce pleinementsa responsabilité humaine ensachant toujours répondre " Hinéni,me voici ". Et plus il le faitdiscrètement, plus il est un juste.

De là aussi notre conviction,inculquée dans nos textes, que lesouvenir du juste est bénédiction parl'exemple et l'enseignement qu'ilporte en lui, de génération engénération.

Jean Halpérin

Shlomo Venezia

dans les Sonderkommandos, ces"équipes spéciales" chargées par lesSS de vider les chambres à gaz etde brûler les corps des victimes. Ceséquipes étaient à leur tour éliminéesau bout de quelques mois, etShlomo (comme Abraham Bomba,le coiffeur du film Shoah de ClaudeLanzmann) était l'un des très raresrescapés de cet enfer.

Comme beaucoup, il avait misplusieurs décennies avant depouvoir témoigner publiquement. Je

l'avais rencontré au cours du voyagejudéo-arabe à Auschwitz "Mémoirepour la paix" que nous avionsorganisé en 2003 avec le père EmileShoufani. Par la suite, nous avionspublié en 2007 chez Albin Michelson témoignage bouleversantSonderkommando. Dans l'enfer deschambres à gaz, dans lequel il étaitinterrogé par Béatrice Prasquier.Préfacé par Simone Veil, ce livre aété traduit à ce jour en 19 langues.

Jean Mouttapa

C'est avec une trèsgrande tristesse quenous apprenons ledécès survenu àRome, dans la nuit du30 septembre au 1er

octobre, de Shlomo Venezia, à l'âgede 89 ans.

Issu de la communauté juiveitalienne de Salonique, ShlomoVenezia avait été déporté très jeuneà Auschwitz-Birkenau, et incorporé

IN MEMORIAM

Shlomo Venezia

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LETTRES

vécu - et New York, de préférencel'Upper West Side. Au premier, lescourts récits de La couronne deplumes, de Yentl, du Beau monsieurde Cracovie ou du Blasphémateur,peuplés de magie, au second lesromans, notamment Ombres surl'Hudson, qui rapporte l'arrivée à NewYork en 1947 des survivants dugénocide en Pologne. La visionconfond volontiers les deux paysages,le narrateur trouvant souvent à ceNew York de l'exil un petit air de saVarsovie primordiale. Toute sonécriture est, en fait, transport ettransfiguration d'une mémoirepremière.

La désertion du shtetl de l'enfance,puis la fuite de la Pologne devant lamontée du nazisme déterminent lapsychologie de ses personnages. LaShoah l'a atteint dans sa chair la plusvive, celle de sa mère. Pour qui le petitIsaac avait une véritable adoration, cepourquoi il ajouta son nom - Basheva(qui est notre Bethsabée), - à sasignature d'écrivain. Basheva et lefrère cadet Moïché furent les deuxmembres de la famille Singer à

disparaître dans la nuit et le brouillard.Réfugié à New York, le jeune Isaacn'entend pas trahir son lieud'appartenance, et par une sorte depersistance ombilicale, le voilàécrivant tout de suite dans cettelangue importée de si loin, le yiddish: " Ma mère parlait yiddish. Mesgrands-mères et grands-pèresparlaient yiddish. Si le yiddish étaitassez bon pour le Baal Shem Tov, pourle Gaon de Vilna, pour rabbi Nachmande Bratzlav, pour les millions de Juifsqui ont péri aux mains des nazis, alorsil l'est pour moi. " Et c'est que Singer,

S'il est un temple de lalittérature en France, c'estbien la prestigieusecollection des Cahiers del'Herne. Tout grandauteur y a sa place et y

figurer correspond bien à uneconsécration. Il était temps pourSinger d'entrer dans ce Cahier, et c'estchose faite en cet automne 2012.Dirigé par Florence Noiville, critiquelittéraire et auteur d'une estimablebiographie de Singer (2003), cevolume rassemble de nombreusescontributions, dont celles d'AaronAppelfeld, de Jean d'Ormesson etd'Élie Wiesel, et est complété par deprécieux repères biographiques et unéloquent cahier iconographique.* Bienque séfarade, mais fasciné par lalangue yiddish et l'œuvremonumentale d'Isaac Bashévis, j'airisqué pour ce Cahier un articleintitulé " L'envers du monde ", dontvoici quelques extraits :

" L'œuvre de Singer a été portée parson auteur comme un enfant, ou plutôtcomme une singulière fratrie. Chaqueœuvre est jumelle de l'autre, et toutes

ensemble composent une famillehomogène, bien que turbulente,braillarde et, parfois, déjantée. Il y a,donc, un ton Singer, une inspirationcommune, un paysage permanent -qu'il soit de Varsovie ou de New York.Une seule et même image resteimperturbablement imprimée sur larétine d'Isaac : cette rue Krochmalna,à Varsovie, où Isaac a vécu sonenfance et son adolescence, jusqu'àson départ pour l'Amérique. Dès lors,l'œuvre de Singer se partagera endeux lieux de récit, Varsovie - et aussile shtetl polonais, fantasmé plus que

qui ne veut pas quitter par l'esprit sarue Krochmalna, entend poursuivreles conversations entendues là-bas,dans cette rue bruyante, populeuse,pieuse aussi, voire également deperdition avec tout un univers loucheet de prostitution, et ces gens quiparlent dans sa tête ne s'exprimentqu'en yiddish. Chez lui, au 10 rueKrochmalna, l'enfant qui a toujourslaissé traîner son oreille derrière lesportes, ou aux fenêtres de la rue, étaitfasciné par la haute fonction de sonrabbin de père, qui était aussi le sageque la communauté s'était choisi pourstatuer sur tous les cas litigieux : "Mon éducation s'est faite dans troislangues ''mortes'' : l'hébreu, l'araméenet le yiddish…, et dans unenseignement qui a pris naissance àBabylone : le Talmud… Noushabitions à Varsovie, dans ce qu'onaurait bien pu appeler un ghetto. "Tous les narrateurs des romans seront,en fait, les porte-parole d'IsaacBashevis, et toute son œuvre ne parleque de lui, de la rue de son enfance,de ces Juifs " anachroniques " deghetto, fantômes, fantasmes, étrangescréatures nées du cerveaukabbalistique et délirant - au milieude laquelle passe le narrateur, qui esttoujours un observateur désabusé,sceptique, pessimiste qui choisit d'enrire ou d'en sourire, et qui, toujours enquête d'un paradis, loin des plagestalmudiques - motif plus littéraire quemystique ou religieux chez Singer -croit et veut le trouver dans l'illusoireamour et dans les bras de cesmultiples femmes d'un amantdésespéré d'aimer et las à en mourir.

L'enfance primordialeLa femme, justement, au centre de

la vie et de l'œuvre d'Isaac Bashevis,renvoie comme le reste à l'enfanceprimordiale. À cet égard, deux œuvresmajeures en dessinent les contoursarchétypiques, Ennemies, une histoired'amour en 1972 et Shosha en 1978.

Actualité d'IsaacBashévis Singer

PAR ALBERT BENSOUSSAN

L'œuvre de Singer a été portée par son auteur commeun enfant, ou plutôt comme une singulière fratrie.

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s'écrie-t-il, alors que tout le pousseraità fuir et à trouver un abri, par exempleaux États-Unis dont on lui ouvre lesportes. Mais Singer ne s'est jamais faitaucune illusion sur cette pauvre terreballottée de haine et de folie : ilcontemple la prochaine victoire nazieet le spectacle des vies sacrifiées, et

s'écrie, au comble du pessimisme : "Cela n'avait plus d'importance. Nousétions condamnés à jouer à nos petitsjeux - puis à être écrasés ". Finalementle corps de Shosha sera martyrisé toutcomme celui de la ville primordiale,déchiquetée et vouée à la nuit et aubrouillard. Aron aura réussi à survivre,treize années plus tard, en hésitantentre deux terres promises, Israël quivient de naître sur ces cendresfumantes, dont il nous dit, avec uneamère lucidité, que " les douleurs del'enfantement sontloin d'être termi-nées ", et NewYork où il recom-pose et retrouvesa rue Kroch-malna.

C o m m e n tsurvivre ? Telle estla questionimpl ic i tementposée par Singerdans toute sonœuvre. Le mondeextérieur est etreste à ses yeuxun spectacledésolant. Le

scepticisme radical de l'auteur semanifeste dans son refus réitéré deprocréer : " Dans un monde où l'onarrache les enfants à leur mère pourles assassiner, la procréation est uncrime ", voilà ce que déclare d'embléeHerman, le protagoniste d'Ennemies.Et pourtant, un enfant va naître :Yadwiga, après la fuite ou le suicidede son mari, donne naissance à unepetite fille qui va s'appeler Masha,comme la Masha rescapée de laShoah que le narrateur Herman avaitretrouvée à New York et qui étaitredevenue sa maîtresse, lui promettantmême mariage, alors qu'il est déjàmarié avec sa Polonaise, Masha quiva se suicider aux dernières pages. Etqui prendra en charge cette enfant ?Nulle autre que la première épousedu narrateur (qui , en somme, a troisfemmes légitimes), Tamara, qu'oncroyait morte en déportation et quiréapparaît miraculeusement à NewYork, au sortir de l'enfer. Le message,donc, si tant est que Singer accepteraitqu'on trouve un message dans sonœuvre, c'est cette survie d'unehumanité juive dans le ventre d'unechrétienne d'origine. Dans une œuvreaussi riche de croyances hébraïques,nous voyons bien réapparaître là lemythe de Ruth la Moabite, celle quiva donner naissance, par son mariageavec le vieux Booz, au peuple hébreurégénéré, et aussi, par voie de filiation,au Messie. Yadwiga, comme Ruth,porte la promesse de rédemption et desalut. Malgré tout, la vie saura seprolonger. Et Isaac Bashevis Singer,son langage, son univers, sontimmensément présents. "

--* Singer, L'Herne, 2012, 224p., 39€.

Là, deux épouses, l'une chrétienne,l'autre juive, sont comme les deuxfaces d'une même monnaie : femmes-enfants, simplettes, ignorantes,presque analphabètes ou mentalementlimitées, mais d'une pureté d'âmeimmense, l'une et l'autre toute bonté,deux femmes qui permettent d'espérer

dans la vie et de lui accorder quelqueconfiance. C'est Yadwiga, la Polonaisede Ennemies, une histoire d'amour, audépart domestique chez les parents dunarrateur dans un petit bourg polonaisdu nom de Lipsk, qui cache Hermanpendant la guerre, trois ans durant,dans l'obscurité d'une grange où ellele nourrit et le soigne, le sauvant de ladéportation, et qui, après la Libération,le suit, fidèlement, à New-York, où ellerecrée l'univers familier de son bourgpolonais, pour finir par se convertir aujudaïsme et par lui donner cet enfantjuif qui sera le seul à survivre. Sabeauté fragile et son innocenceannoncent la Shosha du romansuivant. Shosha est la petite voisinede la rue Krochmalna dont lenarrateur Aron est épris dans ce vertparadis, et qui, retrouvée bien desannées après, deviendra sa femme,malgré toutes les mises en garde deson entourage, dont celles de sesdifférentes amies ou maîtresses. Enl'épousant, Aron se fond en Shosha, seconfond en elle. Autour d'eux lemonde s'écroule, Varsovie sous lesbombes est en flammes, mais Shoshaa pour le narrateur une vertuessentielle : " Elle est la seule femmeen qui je peux avoir confiance ",

Isaac Bashévis Singer

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EN BREF

Rothschild, Une banque au pouvoirpar Martine Orange

La Banque Rothschild estaujourd'hui "au cœur ducapitalisme français eteuropéen". La journalisteMartine Orange raconte dansce livre l'histoire de labanque, de sa nationalisationen 1981 à sa résurrection,trente ans plus tard, sous lahoulette de David deRothschild. Martine Orangeavait déjà oublié, en 2006,Ces messieurs de Lazard(Editions Albin Michel, 20euros)

Nahmanide. De la perfection de la loi. Traduit de l'hébreu et présenté par le Grand Rabbin René Gutman

Le Grand Rabbin de Stras-bourg et du Bas Rhin aentrepris de traduire ici "ToratHachem Temima", le sermonde Nahmanide, vraisembla-blement prononcé à lasynagogue de Barcelone en1260.Ils'agit d'une défense etillustration de la Torahcomme source principale dela connaissance des hommeset comme chemin vers ledivin".Le texte du grand rabbin est

suivi d'une étude du chercheur de la Cabale Moshé Idel"Cabale, Halakhah et autorité spirituelle chezNahmanide" (Editions de l'éclat. 22 E)

Les moissons de lumière par David Saada

L'ancien directeur du Fonds social juif unifié, DavidSaada, avait publié " Le Point intérieur " (Editions AlbinMichel). Dans ce nouvel ouvrage, il a réuni desméditations sur les lectures hebdomadaires de la Torah.En s'appuyant sur les textes du Midrach en particulier "il révèle au fil des méditations une des lignes decohérence cachées du texte de l'Ecriture " (EditionsBiblieurope. 26 E)

Echapper à la philosophie ? Lecture de Lévinas par Gilles Hanus

Gilles Hanus enseigne la philosophie et dirigeactuellement les Cahiers d'études lévinassiennes. Dans ce livre, il souhaite, dit-il, " faire crédit à Lévinas,lui accorder la puissance que l'Université lui refuse enle canonisant : celle d'échapper, dans l'exercice de lapensée, au moins ponctuellement à la philosophie. C'estlui rendre justice tant il aspirait à une telle puissancequ'il s'efforçait d'actualiser de livre en livre " (EditionsVerdier, 15 E 50)

Instant de vérité par Joshua Sobol

Joshua Sobol est un des plus importants dramaturgesisraéliens et le plus joué à l'étranger. Il est l'auteur d'unecinquantaine de pièces dont Le Syndrome de Jérusalemet La Palestinienne.Dans Instant de Vérité, il évoque la vie ordinaire d'unefamille israélienne dont plusieurs membres appartiennentà des unités combattantes. " Cette terre - dit Sobol - estma blessure. Une blessure qui ne cicatrise pas " (EditionsLes Provinciales. 14 E)

L'antisémitisme à gauche par Michel Dreyfus

Michel Dreyfus est historienet directeur d'études auCNRS. Dans ce livre ilraconte ce qu'il appelle"l'histoire d'un paradoxe de1830 à nos jours". Cetouvrage avait d'abord étépublié en 2009 aux éditionsde la découverte. Dans lapostface qu'il a rédigée pourcette réédition, Dreyfus écritentre autres : "Face à laremontée des actes antisé-mites depuis les débuts de laseconde intifada en 2000, la gauche s'est-elle suffi-samment mobilisée contre ces exactions ? Ne fait-ellepas preuve en ce domaine d'une relative indifférence oud'une certaine sous-estimation ? (…) Il n'existe aucunegarantie que, dans un futur éventuel, l'antisémitisme nesoit réinvesti par telle ou telle formation politique, sousdes formes actuellement imprévisibles ". (Editions LaDécouverte 13 E)

Le Grand Rabbin René Gutman

Michel Dreyfus

Martine Orange

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demande bien pourquoi le jeunehomme en vient soudainement àdemander à son cousin Nathan, àl'issue d'un repas de chabbat chez satante, s'il ne pourrait pas le rejoindreen Israël et s'associer avec lui dans lecadre du projet de restaurant qu'il esten train de monter à Tel Aviv.

Aucun de ses proches ne comprenden effet les raisons qui poussentsubitement Alex à vouloir faire sonalyah, lui qui semble accroché à sa -petite - vie parisienne et à des annéeslumière de la vie quotidienne d'unIsraélien.

Or, c'est justement de là que vient laréussite du scénario, qui s'attache avanttout à la construction d'une identité età la quête rédemptrice de ce jeunedélinquant, qui comprend brutalementet intimement qu'à défaut de partir, ilne pourra jamais vraiment vivre.

Un synopsis qui traite avec légèretédes démarches indispensables auprocessus de l'alyah (du certificat dejudaïté à obtenir auprès du Consistoireen passant par l'apprentissage del'hébreu) avec au passage un certain

Loin de s'attacher àl'habituel processusd'immigration en Israël,qui concerne enmoyenne quelque 2.000juifs français chaque

année, Elie Wajeman, jeune réalisateurde 31 ans, nous livre un premier long-métrage original et inattendu sur lethème de l'alyah, porté par un castingréussi et un comédien talentueux, PioMarmaï.

En effet, c'est une belle alchimie quifonctionne à l'écran entre l'ancienétudiant de la Femis (section scénario)qui fait montre d'une belle directiond'acteurs, et le jeune comédien à lacarrière prometteuse, révélé en 2008dans Le premier jour du reste de ta vie,où il incarnait le fils aîné de ZabouBreitman et Jacques Gamblin.

Un premier film original en ce qu'ilne relate pas le chemin d'une alyah "classique ", puisque son protagoniste,Alex, n'est ni pratiquant, ni sioniste, nimême hébraïsant. C'est un petit dealerparisien de 27 ans, qui survit plus qu'ilne vit dans un microcosme diurne etnocturne qu'il maîtrise tant bien quemal, à l'ombre d'un frère aînéenvahissant et toxique, Isaac (CédricKahn), qui pèse sur lui comme unfardeau.

Ayant perdu sa mère et n'ayantquasiment plus de relations avec sonpère, Alex semble se cherchermoralement et sentimentalement,incapable de se fixer ou de donner uncadre à sa vie, balloté entre sonancienne petite amie dont il est restéproche, Esther, et la nouvelle jeunefemme qui est entré dans sa vie avecpassion, Jeanne (Adèle Haenel).

La vie d'Alex semble toutefois si bienréglée, entre son argent gagnéfacilement et son détachement à l'égardde ceux qui l'entourent, qu'on se

sens de l'humour, qui éclaire quelquepeu la noirceur initiale de la situationvécue par Alex.

Mais les meilleure scènes viennentde la confrontation entre le jeunehomme et ses proches, notammentavec son frère Isaac, dont l'emprisepsychologique est tellement fortequ'elle empêche Alex d'évoluer, ouencore avec Mathias, ce meilleur amiqui est à la fois un frère et une sorte demauvais génie, puisque c'est par luiqu'Alex pénètre et surnage dans lemilieu du deal.

De fait, seule sa rencontrepassionnelle avec Jeanne, qui semblele percer à jour comme nulle autreavant elle ne l'avait fait, paraît denature à pouvoir lui faire renoncer àson projet, mais là encore, le scénariofinement ciselé par Elie Wajemanpermet d'éviter la facilité.

Présenté à la Quinzaine desréalisateurs de Cannes cette année puisaccueilli favorablement lors de sa sortieen salles, ce premier film devrait ainsiravir les amateurs d'un cinéma d'auteurqui sait se renouveler, avec ici commemodèle le travail magistral d'un JamesGray, qui n'a certes pas pour le momentd'équivalent dans le cinéma françaismais semble manifestement avoir faitdes émules parmi nos jeunes cinéastes.

On ne peut dès lors que souhaiter unbel avenir à Elie Wajeman, ainsi qu'auxcomédiens qui l'ont si bien entouré, àl'image de Pio Marmaï, qui paraît avoirtout pour devenir un grand acteur,d'Adèle Haenel, qui impose uneprésence rare à l'écran après des rôlesdéjà marquants dans Naissance despieuvres et L'Apollonide, ou encore deCédric Kahn, que l'on connaît bien sûren tant que réalisateur mais quiimpressionne ici en tant qu'acteur etmériterait amplement le César dumeilleur second rôle masculin pour soninterprétation d'Isaac, le frère maudit.

Lorsque pour vivre,il faut savoir partir

PAR ELIE KORCHIA

CINÉMA

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BERNARD STIEGLER. Philosophe :" Les philosophes ont donc raison : ce quinous arrive vient de nous "

ALEXANDRE LACROIX.Directeur de la rédaction dePhilosophie Magazine :" Gageons que la philosophie est le caféqui nous empêchera de tomber dans lesommeil dogmatique et nous aidera àrester en éveil "

WOODY ALLEN. Cinéaste :" Croyez-le ou non, il y a plusieursinconvénients à être célèbre. Et desavantages merveilleux aussi. A la fin, lesbonnes choses sont meilleures que lesmauvaises. Alors, si vous en avez lachance, c'est mieux d'être célèbre "

MARCEL GAUCHET. Philosophe :" Les choses ne se font pas toutes seules.Il faut que nous les voulions "

DENIS TILLINAC. Ecrivain :" Si les Etats-Unis et Israël semblentfocaliser la haine, les Européens ne sontpas à l'abri "

PATRICK VIVERET. Ancien ministre :" Il faut accorder aux idées minoritaires lestatut de contre-expertises, de lanceursd'alerte "

TAREQ OUBROU. Imam de la mosquée deBordeaux :" Pratiquons l'autocritique positive, pouravancer vers une humanité respectueusede sa diversité "

TZIPI LIVNI. Ancien ministre des AffairesEtrangères d'Israël :" Etre juif c'est être relié à une histoire

VERBATIM

XAVIER NIEL. Patron de Free :" Israël est un pays impressionnant, très avancétechnologiquement. Là-bas, les hommes

politiques n'ont qu'un seul intérêt : la population "

biblique et aux tragédies qui l'ont suivie,être attaché aux rites, aux lieux sacrés, aulien avec la terre d'Israël, bref, survivrecomme peuple au risque d'être anéanti "

HENRI ATLAN.Biologiste et philosophe :" Les technologies ne modifieront pasl'espèce humaine "

DANIEL COHN-BENDIT.Député européen (à propos descaricatures de Charlie Hebdo) :" On n'est tout de même pas obligé degratter une allumette sur une poudrière "

CARNET

Bar MitzvaMordekhaï Marciano, ministre officiant de la synagogue du Centre

communautaire de Paris (119 rue Lafayette, 75010) et son épouse onteu la joie de célébrer la bar mitsva de leur filsNatane Maïmone Ajaron. La cérémonie a eu lieu le jeudi 11 octobre.Nous présentons à Natane, à ses parents et à ses frères et sœurs ainsi qu'àtoute la famille nos félicitations et nos vœux sincères de mazal tov.

MariageNotre collaborateur Albert Bensoussan , professeur d'université et

écrivain , a épousé Françoise Meinnel. La bénédiction nuptiale a été célébréeà la synagogue de Rennes le 14 octobre. Nous lui présentons ainsi qu'àson épouse nos félicitations et nos meilleurs vœux de mazal tov.

David Franco, l'un des animateurs de la synagogue de l'ENIO a eula joie de célébrer le mariage de sa petite fille Vanessa avec M. Yaniv Zini.La bénédiction nuptiale a été célébrée le dimanche 21 octobre en lasynagogue N-D de Nazareth.Nous présentons aux jeunes époux et à leurs familles nos vœux chaleureuxde mazal tov.

NécrologieNous avons appris avec peine le décès survenu à Paris de notre ami

Albert Oiknine, l'un des fidèles de la synagogue Beth El à Casablanca.Nous garderons de lui le souvenir d'un homme profondément bon et amical.A son épouse et à sa fille, Information juive présente ses condoléances lesplus sincères.

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