DROIT FISCAL L’ACTION DE LA CJCE SUR LES … · PROPORTIONNALITE DANS LE DOMAINE TRES RESERVE DE...

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1 UNIVERSITE ROBERT SCHUMAN FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE DEA DROIT DES AFFAIRES 2001/2002 DROIT FISCAL L’ACTION DE LA CJCE SUR LES DISTORSIONS FISCALES AU SEIN DE L’UNION EUROPEENNE EN MATIERE D’IMPOSITION DES BENEFICES Mémoire effectué par Elise HAMANN Sous la direction de Monsieur le Professeur Philippe MARCHESSOU

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UNIVERSITE ROBERT SCHUMAN FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE

DEA DROIT DES AFFAIRES 2001/2002

DROIT FISCAL

L’ACTION DE LA CJCE SUR LES DISTORSIONS FISCALES AU SEIN DE L’UNION EUROPEENNE EN MATIERE

D’IMPOSITION DES BENEFICES

Mémoire effectué par Elise HAMANN

Sous la direction de Monsieur le Professeur Philippe MARCHESSOU

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SOMMAIRE LISTE DES ABREVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES..............................................4 INTRODUCTION ....................................................................................................................5 TITRE PREMIER : LE CONTROLE ACCRU DE L’APPLICATION DU PRINCIPE DU TRAITEMENT NATIONAL PAR LA CJCE ..............................................................11

CHAPITRE PREMIER : UN ELARGISSEMENT DES HYPOTHESES D’EXAMEN DE COMPATIBILITE (AVEC LE TRAITE) PAR LA CJCE DES DISPOSITIONS NATIONALES......................................................................................................................14

SECTION 1 : Les discriminations ostensibles déjà sous l’emprise de l’examen de la CJCE et complétées par des discriminations fondées « sur d’autres critères que la nationalité mais qui aboutissent en fait au même résultat » ............................................................................14

SECTION 2 : La prise en compte des discriminations à la sortie, un second empiètement jurisprudentiel sur la souveraineté fiscale des Etats membres ..............................................21

CHAPITRE SECOND : UNE APPROCHE PRAGMATIQUE MAIS INCOMPLETE DE LA CJCE DANS L’APPRECIATION DE LA COMPARABILITE DES SITUATIONS POUR QUALIFIER LA DISTORSION ...............................................................................26

SECTION 1 : Un principe (celui de la différence de traitement admise entre un résident et un non résident) reconnu en droit fiscal international mais relativisé par la CJCE dans notre domaine. ................................................................................................................................26

SECTION 2 : Une évolution prétorienne octroyant à la CJCE un terrain de jeu plus - trop ? - vaste dans la qualification de la distorsion fiscale ................................................................32

TITRE SECOND : L’EMPRISE ABSOLUE MAIS EQUIVOQUE DE LA CJCE SUR LA DECISION DE CENSURER OU NON LES DISTORSIONS FISCALES RELEVEES.............................................................................................................................38

CHAPITRE PREMIER : UN EXAMEN RIGORISTE ET INDECIS DE LA CJCE SUR LES JUSTIFICATIONS DES ETATS .................................................................................41

SECTION 1 : Les raisons impérieuses d’intérêt général (RIIG) soumises à une démarche sévère de la CJCE..................................................................................................................41

SECTION 2 : Des incohérences relevées dans le raisonnement zélé de la CJCE.................48

CHAPITRE SECOND : L’OCTROI PAR LA CJCE D’UN CONTROLE DE PROPORTIONNALITE DANS LE DOMAINE TRES RESERVE DE LA FISCALITE DIRECTE ..............................................................................................................................54

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SECTION 1 : Le cadre du contrôle de proportionnalité et l’innovation prétorienne qui en a été faite ..................................................................................................................................54

SECTION 2 : La consécration du contrôle de proportionnalité et sa portée.........................59

CONCLUSION .......................................................................................................................63 BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................66 TABLES DES MATIERES ...................................................................................................69

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LISTE DES ABREVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES Al. Alinéa Art. Article BDCF Bulletin des Conclusions Fiscales CEDH Cour Européenne des Droits de l’Homme CGI Code Général des Impôts CJCE Cour de Justice des Communautés Européennes Comm. Commentaires Commission Commission Européenne Concl. Conclusions Cornu Vocabulaire juridique de l’association H. Capitant par G. Cornu D. Recueil Dalloz DF Droit Fiscal (devenue Revue de Droit Fiscal) EEE Espace Economique Européen EM Etats Membres Eur. La Revue Europe Joly S. Bulletin Joly Sociétés LCC Libre Circulation des Capitaux LCM Libre Circulation des Marchandises LCP Libre Circulation des Personnes LPA Les Petites Affiches LPS Libre prestation de service Obs. Observations Préc. Précité PS Prestation de Service PUF Presses Universitaires de France Rec. Recueil de la Jurisprudence de la CJCE Rev. DF Revue de Droit Fiscal RIIG Raisons impérieuses d’intérêt général RMCUE Revue du Marché Commun de l’Union Européenne RMUE Revue du Marché Unique Européen Rev. Soc. Revue des Sociétés RJF Revue de Jurisprudence Fiscale F. Lefebvre RTDE Revue Trimestrielle de Droit Européen T Traité CE UE Union Européenne

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INTRODUCTION La Communauté Européenne a traditionnellement pour mission, par l’établissement d’un Marché commun et par le rapprochement progressif des politiques des EM, de promouvoir un développement harmonieux des activités économiques dans l’ensemble formé par les pays membres, une expansion continue et équilibrée, une stabilité accrue, un relèvement accéléré du niveau de vie et des relations plus étroites entre les Etats qu’elle réunit. Cette mission se traduit par plusieurs objectifs à remplir comme l’abolition entre EM des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux ainsi qu’un rapprochement des législations nationales dans la mesure nécessaire au fonctionnement du Marché commun. Pour mener à bien ces missions, la Communauté dispose de compétences plus ou moins larges selon les dispositions du Traité. Ces missions ont un rapport étroit avec la fiscalité. Le rapprochement des fiscalités des pays de la Communauté Européenne est une question qui a acquis une grande importance dans les débats publics et la vie des affaires. De fait, un grand Marché intérieur exige normalement une politique de limitation des distorsions, des coûts de production et de rentabilité des capitaux investis, ainsi qu’une politique d’élimination des disparités et discriminations de toute nature susceptibles d’avoir une influence sur la liberté de circulation des personnes, des marchandises et des capitaux1. Nombreux sont ceux qui considèrent que l’achèvement du Marché intérieur (espace sans frontières, notamment fiscales, régi par un principe de liberté de circulation2) impose la mise en place d’un véritable processus d’harmonisation fiscale et qu’il est difficile d’admettre trop de différences entre les régimes fiscaux des EM. Pourtant, selon une analyse quantitative pour 1999, nous avons observé une large variation de la charge fiscale effective qui est imposée aux investisseurs résidents dans les différents EM, ainsi que dans la façon dont chaque pays traite les investisseurs à destination ou en provenance d’autres pays. Ces larges écarts peuvent avoir une influence sur la compétitivité internationale des sociétés de l’UE, localisées dans les EM. Ceci n’arrange pas nos affaires, ni celles des fondateurs de l’UE qui croyaient en un EEE concurrentiel. Mais ce qu’il est intéressant de relever, c’est que le paradoxe de la fiscalité directe tient à son absence dans le Traité de Rome (hormis le limité art. 220 T), alors même qu’à côté de la fiscalité indirecte dominée par la TVA, elle constitue un enjeu d’importance croissante de la construction européenne3.

1 B. GOUTHIERE, « Les impôts dans les affaires internationales » ; Ed. F. Lefebvre p.921. 2 C. LOUIT, « L’unité territoriale communautaire et le principe d’égalité » ; LPA n°97 15/05/02 p. 3. 3 P. DIBOUT, « L’Europe et la fiscalité directe » ; LPA n°153 23/12/98 p.8.

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En matière de TVA, l’harmonisation est bien amorcée : le système européen repose sur le principe du pays de destination ; en fait, il s’agit d’un régime transitoire qui dure, mais il se dessine peu à peu une TVA communautaire. Quant à la fiscalité directe, rien de semblable n’a été réalisé, elle reste sous le joug des droits nationaux. Jusqu’ici, les instances communautaires n’ont accordé qu’une place restreinte à l’harmonisation des impôts directs. Si la fiscalité directe englobe la fiscalité des personnes physiques et celle des personnes morales, précisons tout de suite que nous feront uniquement l’analyse de la fiscalité des entreprises (en insistant toutefois sur des points relatifs à la fiscalité des personnes physiques pour une meilleure compréhension de celle des entreprises), eu égard à l’ampleur de toute la fiscalité directe. A ce propos, « s’il existe un domaine soumis aux influences réciproques du droit européen et des droits nationaux, c’est bien celui de la mobilité des entreprises »4. En effet, l’intérêt d’une harmonisation européenne de la fiscalité est que les sociétés puissent se déplacer grâce à la liberté d’établissement et à la liberté de PS sans entraves (fait d’empêcher l’exercice d’une activité autorisée ou imposée par la loi5). La liberté d’établissement s’entend de la liberté de s’établir donc de s’implanter matériellement pour une durée indéterminée dans un EM afin d’y exercer une activité économique. La liberté de PS concerne l’exercice temporaire d’une activité professionnelle indépendante transnationale dans la mesure où elle n’est pas déjà régie par la LCM, la LCC et la LCP. L’intérêt de notre étude est d’analyser comment, dans un tel contexte, il a été possible de créer un début de Marché intérieur. L’idée de s’intéresser à une fiscalité directe au niveau communautaire est pertinente dans la mesure où il faut qu’elle existe à terme, certainement pas avec un transfert total de compétence à la Communauté mais par un moyen ou par un autre. Notre étude est relative à l’un de ces moyens. La politique fiscale communautaire est conçue en référence aux objectifs et aux compétences assignés à la Communauté. Selon la jurisprudence de la CJCE, les Etats conservent le libre exercice de la souveraineté fiscale à l’exception des limites résultant des textes du droit communautaire. Le Traité assigne deux objectifs au Marché commun : d’une part, la suppression des obstacles à la libre circulation des produits, des personnes, des services et des capitaux ; d’autre part, la garantie d’une concurrence non faussée. Les mesures fiscales ne se justifient que comme des moyens de réaliser ces objectifs. S’agissant du premier objectif, la libre circulation, il existe une véritable interdiction pour les EM de mettre en œuvre des impositions intérieures discriminatoires, posée par l’art. 6 T. 4 M. MENJUCQ, « La mobilité des entreprises » ; Rev. Soc. Avril/juin 2001 p.210. 5 Cornu, p.339 « entrave ».

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Il s’agit d’un des principes fondamentaux sur lesquels repose la construction européenne, de même que l’art. 43 T relatif à la liberté d’établissement et l’art. 49 T pour la LPS. Ces dispositions, d’effet direct à la fin de la période de transition, impliquent qu’aujourd’hui il n’existe plus, au sens littéral du terme, de discrimination. C’est pour cela que nous employons le terme « distorsion » (déséquilibre entre deux ou plusieurs facteurs produisant une tension6) ou encore « entrave » car les gouvernements ont laissé subsister des réglementations introduisant des différences de traitement. Dans le cadre de notre étude, nous utiliserons invariablement les termes « distorsion » et « discrimination » pour parler de distorsion. Même si l’UE consacre un certain nombre de libertés, ce n’est pas « une simple zone de libre échange mais un espace organisé, doté de règles communes cherchant à assurer la cohésion économique et sociale et l’égalité des chances devant les potentialités offertes »7. En d’autres termes, la fiscalité directe doit entrer dans le schéma d’un EEE ouvert comme en matière de LCM ou de LCP ; il doit exister un minimum de coordination entre les législations fiscales des EM. Mais l’affaire est loin d’être gagnée. La compétence communautaire qui existe en matière de fiscalité des entreprises ne résulte que d’un article général, l’art. 94 T qui porte sur « le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des EM qui ont une incidence directe sur l’établissement et le fonctionnement du Marché commun ». Cette disposition inclut la fiscalité directe, mais pas spécifiquement. En outre, cette compétence s’exerce d’une part à l’unanimité et, d’autre part, est conditionnée par le principe de subsidiarité. « Nous avons donc une compétence communautaire, mais une compétence limitée dans son objet, dans ses modalités et qui n’est pas exclusive, bien au contraire, de celle des EM8 ». A ce niveau d’analyse, la CJCE n’a qu’un rôle mineur concernant la fiscalité des entreprises. Nul ne conteste que la fiscalité de l’entreprise relève de la compétence des Etats, mais la Cour a précisé que ces derniers doivent l’exercer dans le respect du droit communautaire9. Quel événement va provoquer une réaction d’envergure de la CJCE ? Des tentatives d’harmonisation ont été tentées, sans succès. Après plusieurs décennies d’efforts, le bilan de l’action communautaire en matière de fiscalité directe apparaît plutôt maigre et quelque peu décourageant, de nombreux Etats, particulièrement la France, soulignant nettement les problèmes posés par la concurrence

6 Le Petit Larousse, « distorsion ». 7 Propos de G. DRUESNE repris par T. LAMBERT, « Marché intérieur et évasion fiscale » ; LPA n°97 15/05/02 p.34. 8 B. GIBERT, « L’avenir du réseau conventionnel dans l’UE » ; LPA n°97 15/05/02 p.14. 9 Pour exemple : arrêt FUTURA PARTICIPATIONS et SINGER du 15 mai 1997 aff.C-250/95.

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fiscale intercommunautaire et la nécessité d’y remédier avant toute avancée mesurée sur le terrain de l’harmonisation des législations fiscales, dans le respect du principe de subsidiarité. C’est dans ce contexte que la Commission avait repris l’initiative (on se souvient de l’échec du Rapport RUDING) avec le premier mémorandum MONTI d’avril 1996. Il présentait des mesures situées sur les terrains, d’une part, de l’harmonisation fiscale, lorsqu’elle était nécessaire pour supprimer les entraves existantes et, d’autre part, la coordination des fiscalités nationales dont la gestion étatique doit, sans abandon de souveraineté, être concertée pour éviter les excès de la concurrence fiscale. Malheureusement, ce « paquet MONTI10 », composé de ce mémorandum et d’un code de bonne conduite recensant soixante-six mesures potentiellement dommageables, a été partiellement rejeté. Le bilan apparaît effectivement maigre. Hormis deux Directives et une convention multilatérale du 23 juillet 1990, aucune autre décision n’a été prise. La carence des EM (et celle des institutions communautaires) va motiver la CJCE à se pencher sur les distorsions fiscales survivantes, notamment en matière d’imposition des bénéfices, distorsions qui vont à l’encontre d’une harmonisation fiscale. La Cour dispose d’un outil d’intervention pour « forcer » les EM à un minimum d’harmonisation de leurs règles fiscales internes. Cet outil, la Cour se l’est donné par une interprétation constructive des art. 39, 43, 49 et 56/58 du Traité, dont elle a reconnu l’effet direct dès la fin de la période de transition. Ces articles garantissent les quatre grandes libertés de circulation ; ces articles interdisent toute restriction (action de réduire un droit ou une liberté, de diminuer la portée d’une mesure11) et toute discrimination dans l’usage de ces libertés fondée sur un critère de nationalité (et rapidement sur d’autres critères). Dans le domaine des quatre libertés de circulation, le Traité ne proscrit pas explicitement les discrimination fiscales. « Mais la Cour a, et c’est là sa valeur ajoutée, accepté de voir dans certains dispositifs fiscaux des restrictions et discriminations interdites12 ». Pourtant, en matière de fiscalité directe, les EM ont constamment indiqué et manifesté leur réticence à voir la matière fiscale aspirée par le droit communautaire. Il était donc très audacieux pour la Cour, tant sur le plan juridique (la légitimité est minime) que sur le plan politique, de faire main basse sur la matière au travers du principe de non discrimination (et du principe du traitement national).

10 « Le rapport du groupe de travail pour l’application du code de conduite en matière de fiscalité des entreprises » ; Rev. DF 2000 n°16 p.657. 11 Cornu p.773 « restriction ». 12 E. MIGNON, « L’apport des juridictions communautaire et européenne au droit fiscal français » ; LPA n°97 15/05/02 p.62.

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Mais le respect des intérêts légitimes des EM n’est pas pour autant méconnu ; il trouve sa concrétisation dans la théorie des exigences impérieuses, théorie dont l’application semble être de plus en plus encadrée par la CJCE. Si une disposition jugée discriminatoire (ou créant une distorsion) est suffisamment justifiée, elle peut être sauvée et non censurée. Mais la CJCE, dans ce domaine, va également faire preuve de volontarisme et instituer une véritable surveillance des motifs de justifications. C’est pour conserver la concurrence loyale au sein de l’UE que la Cour fait la chasse aux distorsions fiscales issues des dispositions nationales (mais si les régimes fiscaux préférentiels dommageables sont supprimés dans l’Union, la Cour n’entame pas une action normative et les écarts dans les taux d’imposition vont subsister). La portée fiscale des grandes libertés de circulation protégées par le Traité de Rome est à présent bien établie par la jurisprudence de la CJCE. Les règles fiscales nationales sont donc susceptibles d’être passées au crible des articles pertinents du Traité et de cette jurisprudence13. La Cour a progressivement dégagé des principes de raisonnement concernant notamment le champ d’application de ces libertés, les restrictions interdites et les justifications admises. La Cour va condamner les restrictions à la liberté d’établissement et à la liberté de PS, car contrevenir à l’objectif de Marché intérieur, au profit aussi des entreprises, revient à créer des distorsions fiscales, dans la mesure où une société établie sur un EM ne pourra pas bénéficier du statut de résident et ainsi invoquer la législation à son profit. C’est parce que les législations nationales opèrent une distinction dont les défavorisés sont presque toujours les entreprises non nationales que la CJCE les condamne, sauf à se prévaloir d’une excellente justification. Les difficultés à surmonter étaient d’éviter les abus dans cette construction prétorienne du « droit fiscal communautaire ». Comme il s’agit d’une mission que la Cour s’est octroyée, elle n’a aucune légalité. Donc, pour être relativement bien accueillie, il lui fallait être « prudente ». Dans une large part, cet écueil a été évité, même s’il faut relativiser certaines incidences de cette jurisprudence. A l’examen des arrêts, nous relèverons quelques incohérences, que la Cour aurait peut être pu éviter. Les articles 43 et 49 T, qui prohibent toute discrimination restreignant la liberté d’établissement et la liberté de PS, sont des applications particulières de l’art. 6 T qui est une disposition générale. Etant un phénomène relativement récent, notre étude porte sur une quinzaine d’années. La Cour va faire respecter les objectifs du Traité, élargis de manière prétorienne, dans une bonne quinzaine de décisions dont un recours en manquement (arrêt COMMISSION c/ FRANCE du 28 janvier 1986).

13 P. MARTIN, « La portée fiscale des libertés communautaires de circulation » ; Rev. DF 2000 p.1444.

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Les autres arrêts sont des questions préjudicielles posées à la Cour, signe qu’il faut agir dans ce domaine de la fiscalité des entreprises (l’art. 177 T institue le renvoi préjudiciel ; ce mécanisme est destiné à résoudre la contradiction existentielle entre la hiérarchie normative qui caractérise les rapports entre les ordres juridiques communautaire et nationaux14). Pour déterminer une éventuelle violation des libertés (TITRE PREMIER), le raisonnement de la CJCE s’inspire tout à la fois du principe du traitement national, de la non discrimination et du principe d’égalité. Par ce biais, elle va accroître de manière prétorienne son contrôle en matière de distorsions fiscales contraires au Traité. S’agissant des justifications (TITRE SECOND), nous retrouvons la problématique classique, en matière de liberté, du motif d’intérêt général et de la proportionnalité.

14 D. SIMON, « Le système juridique communautaire » ; Ed. PUF p. 661.

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TITRE PREMIER

LE CONTROLE ACCRU DE L’APPLICATION DU PRINCIPE DU TRAITEMENT NATIONAL PAR LA CJCE

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Nous retrouvons dans le domaine de la fiscalité directe des bénéfices cette idée que les ressortissants communautaires, dont les entreprises, ont le droit de chercher à bénéficier des opportunités que leur offrent les libertés de circulation, idée que la Cour avait déjà émise dans l’affaire CENTROS (CJCE 9 mars 1999 C-212/97)15. Au principe de traitement national fait écho le principe de non discrimination. L’objectif de l’art. 43 T (ex 52) est d’assurer le bénéfice du traitement national à tout ressortissant d’un EM qui s’établit, ne serait-ce qu’à titre secondaire, dans un autre EM pour y exercer une activité non salariée. Cet objectif s’applique aux entreprises. L’objectif de Marché unique implique la « traque » et la censure des législations contrevenant à ce but. Certes, le Traité impose aux Etats membres la disparition des dispositions discriminatoires et l’interdiction d’en créer de nouvelles, mais les gouvernements ont été imaginatifs dans l’élaboration de textes qui établissent des distorsions. La volonté d’un Marché unique est primée par celle d’un Etat économiquement le plus puissant dans l’Union Européenne (UE). C’est donc ici que la Cour fait œuvre prétorienne. Les grandes libertés établies par le Traité CE ont fourni à la CJCE les bases juridiques d’une jurisprudence étendue dans le domaine de la fiscalité directe16. Si le principe de subsidiarité est la règle en matière de fiscalité directe d’imposition des bénéfices, la CJCE se reconnaît, sur le fondement de l’art. 94 (ex 100) du Traité CE une « compétence » dès lors que le droit communautaire est en jeu. Comme elle aime à le rappeler, « … si la fiscalité directe relève de la compétence des Etats membres, il n’en reste pas moins que ces derniers doivent l’exercer dans le respect du droit communautaire… »17. De là, la Cour s’est engagée dans un combat contre les distorsions fiscales au sein de l’UE , en érigeant les libertés fondamentales de circulation, associées au principe du traitement national (« … l’art. 52 T, (aujourd’hui 43), vise ainsi à assurer le bénéfice du traitement national à tout ressortissant d’un Etat membre qui s’établit […] dans un autre Etat membre … »18). Alors que le processus d’harmonisation fiscale semble avancer difficilement en raison de la volonté des Etats membres de préserver leur souveraineté, les juges de Luxembourg se livrent à une véritable harmonisation prétorienne du droit fiscal19. Tout au long de notre analyse, nous verrons que la Cour a, petit à petit, substitué son raisonnement à l’absence d’harmonisation, ou tout du moins de coordination. Comment en est-elle arrivée là ?

15 J.-G. HUGLO, « Liberté d’établissement et libre prestation de service » ; RTDE oct./déc.2000 p.727 et s. 16 F. LAYER, « La jurisprudence de la CJCE en matière de non discrimination et les règles de fiscalité directe » ; LPA n°238 29/11/01 p.12 . 17 Affaires FUTURA PARTICIPATIONS et SINGER du 15 mai 1997 C-250/95, SCHUMACKER du 14 février 1995 C-279/93, SAFIR du 28 avril 1998 118/96, et ICI du 16 juillet 1998 C-264/96. 18 Affaire COMMISSION c/ FRANCE du 28 janvier 1986 270/83, point 14. 19 F. LAYER préc.

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Nous sommes véritablement ici dans un schéma prétorien concernant le « droit fiscal d’imposition des bénéfices communautaire », mais qu’en penser ? Le raisonnement de la Cour durant ces quinze années tient en une affirmation : C’est parce que les dispositions nationales n’appliquent pas le principe du traitement national, alors qu’il le faudrait (en raison de la comparabilité des situations) et que la Cour peut se prononcer (par l’extension des dispositions qui peuvent lui être soumises soit par question préjudicielle, soit par la procédure de recours en manquement ) que ces dispositions sont des distorsions fiscales contraires aux objectifs du Traité (mais pas forcément censurées comme nous l’analyserons dans un second titre). Il va donc s’agir d’analyser l’application faite par la Cour des libertés fondamentales des circulations au regard des dispositions « incriminées », tant dans l’extension des cas où la Cour peut se prononcer, que dans l’audace montrée par elle dans l’appréciation des situations.

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CHAPITRE PREMIER

UN ELARGISSEMENT DES HYPOTHESES D’EXAMEN DE COMPATIBILITE (AVEC LE TRAITE) PAR LA CJCE DES DISPOSITIONS NATIONALES

L’art. 220 T dispose que « la CJCE, dans le cadre de ses compétences, est investie de la mission d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du présent Traité » ; donc le Traité lui reconnaît une mission extrêmement large d’assurer le respect de la « charte constitutionnelle de base »20 et une grande liberté dans le choix de ses méthodes d’interprétation et de l’identification des sources. Justement, par le biais des art. 94, 39, 43 et 49 du Traité, la Cour s’est octroyée la mission de contrôler la conformité de la fiscalité directe communautaire en multipliant le nombre de situations pouvant être soumises à ces dispositions.

SECTION 1

Les discriminations ostensibles déjà sous l’emprise de l’examen de la CJCE et complétées par des discriminations fondées « sur d’autres critères que la nationalité

mais qui aboutissent en fait au même résultat » La notion de discrimination fondée sur la nationalité apparaît expressément à l’art. 39 du Traité pour la libre circulation des travailleurs ; en matière de liberté d’établissement et de liberté de prestation de service (PS), les art. 43 (ex 52) et 50 (ex 60) garantissent l’exercice d’une activité dans le pays d’établissement ou le pays de la PS dans les mêmes conditions que celles appliquées par ces pays à leurs ressortissants. Les libertés communautaires sont des libertés de circulation transfrontalières devant être protégées contre des mesures nationales, qui, on peut le craindre, sont des mesures effectuant des discriminations au profit des nationaux et au détriment des étrangers21. La Cour va ainsi censurer des distorsions fondées sur la nationalité mais aussi, et c’est l’une des premières pierres à l’édifice prétorien, les distorsions déguisées assimilées aux premières qui elles-mêmes vont connaître une évolution pour laisser à la Cour une sphère d’action plus étendue.

20 D. SIMON préc. p.474. 21 P. MARTIN préc. p.1444.

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§ 1 : Le refus de l’égalité de traitement en raison de la nationalité, un argument contraire au Traité La Cour condamne depuis longtemps ce type de distorsion, tout comme la CEDH avec l’art. 14 de la Convention EDH qui comporte également une prohibition des discriminations fondées sur la nationalité. A/ Les distorsions ostensibles selon la nationalité déjà censurées sur le fondement d’autres libertés fondamentales de circulation Nous analyserons ici deux libertés de circulation, la liberté de circulation des marchandises (LCM) et la liberté de circulation des capitaux (LCC), la liberté de circulation des personnes étant étudié parcimonieusement dans d’autres développements. En LCM, l’art. 90 T a pour champ d’intervention les impositions sur la consommation discriminatoires, et pour qu’il s’applique, il faut constater que le système d’imposition d’un Etat entraîne une discrimination sur les produits importés provenant de l’Union. Il faut considérer qu’il existe une discrimination sur la nationalité ou plus précisément sur l’origine du produit lorsque celui-ci est taxé plus lourdement. La CJCE rappelle que l’objectif de l’art. 90 T est que la commercialisation des produits non nationaux ne soit pas imposée par des impositions intérieures discriminatoires ou protectrices (CJCE 3 mars 1988 BERGANDI 252/86). Et dans un arrêt du 20 mars 1984 (COMMISSION c/ BELGIQUE), dite « affaire des volailles belges », le gouvernement belge prévoyait, pour le contrôle sanitaire des volailles, une taxe forfaitaire pour les produits nationaux et une taxe proportionnelle pour les produits non nationaux. Et la Cour de censurer cette disposition parce que le régime de la taxe est fondée sur l’origine du produit (et donc sur sa nationalité). En LCC, l’art. 73 B (ex 67) T instaure la LCC et prohibe les discriminations selon la nationalité. Une particularité tient en ce que cette liberté n’était pas d’effet direct, ceci s’expliquant par le caractère progressif de la libération des mouvements de capitaux (qui s’est achevée en 1990 avec la Directive 88/361/CEE du 24 juin 1988). La Cour, dans une affaire récente (CJCE 6 juin 2000 B.G.M. VERKOOIJEN C-35/98) a déclaré contraire à l’art. 73 B une législation nationale selon laquelle les dividendes versés à des personnes physiques étaient exonérés d’impôt sur le revenu s’il s’agissait de dividendes versés par des sociétés ayant leur siège dans ledit Etat (mais pas lorsqu’il s’agissait de sociétés non résidentes). La Cour a censuré ici une discrimination fondée sur la nationalité relativement à l’art.73 B T. Après ce bref aperçu d’autres libertés de circulation, intéressons-nous maintenant à l’action de la CJCE concernant les entreprises.

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B/ L’assimilation du siège à la nationalité pour le cas particulier du droit d’établissement des sociétés En remarque préliminaire, précisons que les entreprises ne peuvent avoir recours qu’au seul établissement à titre secondaire, qui peut se réaliser par la « création d’agences, de succursales ou de filiales » (art. 43 al.1er T, ex art. 52). Or, contrairement aux deux autres formes d’établissement secondaire, la filiale a la personnalité juridique et est pleinement intégrée dans l’ordre juridique et fiscal dans lequel elle est créée. Elle est dès lors assimilée juridiquement à tous points de vue aux sociétés de l’Etat où elle se trouve ; il apparaît donc moins fréquent de trouver, pour une filiale, une discrimination fondée sur la nationalité (sauf à être en présence de dispositions appliquant deux règles différentes pour une même situation). Ainsi lorsque l’on traite des problèmes fiscaux de l’établissement des personnes morales, il faut garder présent à l’esprit qu’ils concernent principalement la création d’agences et de succursales22(de là découle l’interdiction de limiter le libre choix de la forme juridique qui est sous-jacent à ce problème de distorsion selon la nationalité qui toucherait moins les filiales23). Ce n’est qu’en 1986 avec l’affaire de « l’avoir fiscal »24 que la Cour va régler le problème relatif à la nationalité en assimilant le siège des personnes morales à la nationalité des personnes physiques : « … Pour les sociétés, il importe de relever dans ce contexte que leur siège au sens précité sert à déterminer, à l’instar de la nationalité de personnes physiques, leur rattachement à l’ordre juridique d’un Etat … » (point 18 de l’arrêt). Précisons également un grand principe posé dans cette affaire, la primauté du Traité sur les conventions fiscales de non double imposition : « …les droits découlant […] de l’art. 52 sont inconditionnels et un EM ne saurait faire dépendre leur respect du contenu d’une (telle) convention » (point 26). De même, pour démontrer la constance de la CJCE en la matière, l’affaire SAINT GOBAIN ZN25 donne une très bonne illustration d’une discrimination ostensible fondée sur la nationalité. La Cour y condamne la législation allemande qui refuse aux succursales allemandes de sociétés établies dans d’autres EM le bénéfice reconnu aux sociétés de capitaux allemandes ayant leur siège en Allemagne de certains avantages fiscaux, tels l’exonération de l’impôt sur les sociétés pour les dividendes reçus de sociétés établies dans des pays tiers ayant conclu une convention fiscale afin d’éviter la double imposition, l’imputation de l’impôt allemand sur les sociétés, l’exonération de l’impôt sur la fortune pour les participations dans des sociétés établies dans des pays tiers. 22 V. Hatzopoulos, « Fiscalité directe des Etats membres et « libertés personnelles » reconnues par le Traité CE » ; RMUE 4/95 p.121. 23 Pour exemples : Arrêt COMMISSION c/FRANCE préc., Arrêt HALLIBURTON SERVICES BV du 12 avril 1994 aff.C-1/93. 24 Arrêt COMMISSION c/FRANCE préc. 25 Arrêt SAINT GOBAIN ZN, CJCE 21 septembre 1999 aff.C-307/97.

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Après avoir repris le principe selon lequel « … c’est le siège d’une société qui détermine son appartenance à l’ordre juridique d’un Etat et le siège correspond ainsi à la nationalité pour ce qui est des personnes physiques … », l’Avocat Général M. MISCHO, dans ses conclusions, relève bien que « … force est de constater que la discrimination dont se plaint Saint Gobain ZN repose sur la nationalité de sa société mère… » (points 31 et 32 des conclusions). Il faut remarquer que l’application du critère du « siège » n’est pas innocent et l’on peut considérer que la Cour en a une approche neutre et donc conforme au droit communautaire. Rappelons que les pays de l’UE ne sont pas coordonnés dans la reconnaissance de la nationalité des sociétés ; certains utilisent la théorie du siège social réel (se dit du siège social d’une société, localisé à l’endroit où sont concentrées son activité et sa vie juridique, où fonctionnent ses services de direction26) comme la France, l’Allemagne ou la Grèce, d’autres, la théorie de l’incorporation (critère retenu pour déterminer la nationalité des sociétés ou au moins la loi qui leur est applicable, laquelle sera celle du lieu où ont été accomplies les formalités de leur constitution27) comme la Grande Bretagne, les Pays Bas, l’Italie. Force est de constater que la Cour, en utilisant le terme « siège » opère une impartialité certaine entre différents systèmes juridiques et l’on peut penser sur ce point que la Cour fait preuve d’une grande volonté d’harmonisation dans l’Union. Pour en revenir à notre problème central, la Cour a, dans un souci de privilégier l’effet utile de l’art. 43 T (ex 52) pour la liberté d’établissement et 50 T (ex 60) pour la liberté de PS, dépassé le critère de la nationalité pour retenir d’autres éléments et ainsi étendre son champ d’application. § 2 : Le travail accompli par la CJCE quant aux critères retenus, hormis le siège Examiner les dispositions nationales et les analyser uniquement au regard de la nationalité (du siège) pour décider si elles contrevenaient au droit communautaire ne suffisait plus à la Cour qui a développé un raisonnement extensif du droit d’établissement secondaire (le droit d’établissement secondaire seul intéresse les entreprises) et de la liberté de PS en jugeant les dispositions à l’aune d’autres critères. Comme le souligne M. MARTIN28, « la jurisprudence de la CJCE dépasse le critère de la nationalité en assimilant à des discriminations selon la nationalité (donc des discriminations qui entrent dans son « champ de compétence » eu égard aux dispositions de l’art. 43 T) des distinctions apparemment fondées sur d’autres critères ».

26 Cornu, p. 731 « siège social réel ». 27 Cornu préc., p. 446-447 « incorporation ». 28 Propos de P. MARTIN repris par C. LOUIT préc. p.6.

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A/ L’arrêt précurseur de la CJCE à un mouvement de reconnaissance des distorsions « indirectes » Le premier pas de la Cour a été franchi en 1992, dans l’arrêt COMMERZBANK AG29 ; la Cour reconnaît le principe de pouvoir se pencher sur des dispositions nationales non fondées directement sur la nationalité tout en rappelant bien sûr le grand principe posé par l’affaire de « l’avoir fiscal », celui de l’égalité de traitement (point 13). Dans cette affaire il s’agissait de savoir si était compatible avec l’art. 43 T (ex 52) la disposition fiscale d’un EM prévoyant qu’en cas de remboursement d’un impôt payé à tort, une société a droit à une majoration de remboursement (calculée en pourcentage des sommes remboursées) à la condition qu’elle ait sa résidence fiscale dans cet Etat. La Cour reprend ici une jurisprudence de 1974 qui n’était pas en relation avec le droit fiscal (CJCE 12 février 1974 SOTGIU 152/73) mais l’on sait bien que les discriminations fiscales forment un domaine privilégié que la Cour entend contrôler : « … les règles d’égalité de traitement prohibent non seulement les discriminations fondées sur [la nationalité, ou ] le siège en ce qui concerne les sociétés, mais encore toutes formes dissimulées de discriminations qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat » (point 14). Dans cette affaire le critère utilisé par la Cour pour décider s’il existe une distorsion ou non est celui de la résidence fiscale et son raisonnement a le mérite de la clarté : « … bien qu’il s’applique indépendamment du siège des sociétés, le critère de la résidence fiscale […] risque de jouer plus particulièrement au détriment des sociétés ayant leur siège dans d’autres EM »30. C’est parce que le critère de résidence fiscale désavantage pratiquement toujours les sociétés d’autres EM que la Cour décide de l’assimiler au critère de la nationalité et de l’examiner en vertu de l’art. 43 T (les sociétés résidentes ont toujours droit à cette majoration de remboursement, de laquelle la société non résidente est privée). L’arrêt COMMERZBANK a ouvert une brèche dans laquelle la Cour s’est empressée de s’engouffrer. B/ Un arrêt consacré depuis lors par la CJCE sur d’autres critères pertinents Nous retiendrons deux affaires qui ont particulièrement attiré notre attention mais la Cour a eu d’autres occasions de développer divers critères31.

29 Arrêt COMMERZBANK AG, CJCE 13 juillet 1993 aff.C-330/91. 30 Rapprochement avec l’arrêt BIEHL du 8 mai 1990 aff.C-175/88, Rec. I p.1779 où la Cour a estimé que « le critère de résidence permanente sur lequel est fondé le remboursement du trop-perçu d’impôt engendrait une discrimination […] bien qu’appliquée indépendamment de la nationalité du contribuable concerné » (points 13 et 14). 31 Affaires HALLIBURTON SERVICES BV préc., J. SAFIR préc. pour une application en matière de LPS.

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Dans l’affaire FUTURA PARTICIPATIONS et SINGER32, la Cour va condamner l’application de la même règle à des situations différentes (l’une des facettes de la discrimination) car la règle luxembourgeoise s’applique aussi aux sociétés luxembourgeoises, mais, compte tenu de la spécificité de la disposition, elle crée un désavantage systématiquement envers les sociétés non résidentes ayant une succursale au Luxembourg. Dans cet arrêt, il était question de compatibilité d’une disposition luxembourgeoise subordonnant le report des pertes de la succursale luxembourgeoise d’une société non résidente à la condition que la comptabilité de la succursale soit tenue selon les règles luxembourgeoises (et conservée dans cet Etat) avec l’art. 43 T. La Cour juge contraire à la liberté d’établissement cette disposition : « … l’imposition d’une telle condition, qui frappe spécifiquement les sociétés ayant leur siège dans un autre EM, est, en principe, interdite par l’art. 52 T (43) » (point 26). Ici, la Cour censure une obligation frappant les sociétés non résidentes établies au Luxembourg par le biais de succursale, obligation consistant à tenir une double comptabilité pour leur succursale. Cette disposition s’applique indifféremment aux sociétés résidentes et non résidentes mais la disposition en cause impose, en sus de la comptabilité tenue selon les règles de l’Etat du siège, une comptabilité régulière au regard du droit luxembourgeois (alors que pour les sociétés résidentes, la comptabilité sera unique puisque les deux Etats coïncident). Dans l’affaire BAXTER et autres33 , qui rappelle le principe issu de l’arrêt COMMERZBANK (point 10), le mécanisme fiscal n’autorisait la déduction que des seules dépenses de recherche effectuées sur le territoire français. Le critère retenu apparaît donc comme étant la localisation des dépenses de recherche (il existe dans le litige une différence de traitement selon cette localisation). Toutefois, l’on se rend compte qu’il s’agit d’une distorsion fondée sur un autre critère mais qui aboutit en fait à une discrimination selon le siège (la nationalité) dans la mesure où, presque toujours, les dépenses de recherche ont lieu dans le même Etat que celui où se situe le siège de la société, et donc la disposition retient indirectement la nationalité. La Cour a d’ailleurs jugé que : « … l’abattement fiscal en cause au principal apparaît comme susceptible de jouer plus particulièrement au détriment des entreprises ayant leur siège principal dans d’autres EM et opérant en France par le biais d’établissements secondaires » (point 13). Selon Mme LUBY34, les obstacles au droit d’établissement peuvent aussi bien résulter de mesures ayant comme objet des discriminations que de mesures qui induisent une simple gêne au détriment des entreprises étrangères. Certes, la Cour a parfois paru embarrassée : elle a ainsi relevé « une discrimination en raison de la nationalité » et précisé en même temps que la « différence de traitement n’a qu’une portée indirecte » (arrêt HALLIBURTON point 20). La Cour semble sanctionner dès lors qu’est affecté l’accès à une activité économique, réitérant une conception extensive connue des contentieux en matière de LCM et de LCP.

32 Arrêt FUTURA PARTICIPATIONS et SINGER préc. 33 Arrêt BAXTER et autres, CJCE 8 juillet 1999 aff.C-254/97 ; Joly S. mars 2000 p. 267. 34 M. LUBY, « Libre établissement des sociétés et fiscalité directe : un bilan contrasté » ; Eur. janvier 2002 p.5.

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« Le risque existe là d’une utilisation dévoyée du droit communautaire, le T CE tend à être exploité comme un moyen d’attaquer toute règle nationale dont l’effet est simplement de limiter le droit d’établissement ». Le fait que la Cour condamne dès qu’une législation est susceptible d’entraver le non résident constitue une atteinte au principe de subsidiarité, principe absolu en la matière. Mais il semble que l’on peut tout de même considérer que le jeu extensif de la jurisprudence de la CJCE est une bonne chose, elle peut en effet constituer un premier pas dans l’invitation « forcée » mais nécessaire de coordonner les législations. Dans la mesure où les libertés fondamentales et la prohibition des discriminations et distorsions selon la nationalité sont d’effet direct après la fin de la période de transition, les gouvernements ont su optimiser leurs dispositions existantes pour contourner les objectifs du Traité. De même le souhait des EM de conserver leur souveraineté nationale en fiscalité directe commence à peser dans l’hypothèse d’un Marché intérieur sans entraves et risque de poser problème quand viendra l’heure de l’élargissement. Il fallait mettre fin à tout cela même si la Cour outrepasse là ses pouvoirs mais il faut bien pallier l’absence d’action normative des décideurs communautaires et celle des EM. Toutefois à trop vouloir bien faire, elle a instauré une certaine confusion quant à l’examen des justifications de la distorsion (voir infra titre second). Cependant, les critères retenus doivent rester cohérents au regard de la matière en cause. Au fur et à mesure de la jurisprudence, la CJCE a étendu l’application du principe de non discrimination (ostensible et indirecte) à une autre distinction mettant sur un pied d’égalité les entreprises qui veulent partir et celles qui veulent venir.

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SECTION 2

La prise en compte des discriminations à la sortie, un second empiètement jurisprudentiel sur la souveraineté fiscale des Etats membres

Raisonnant par parallélisme avec la LCM qui prohibe aussi les entraves à la sortie de l’EM d’origine, l’égalité de traitement interdit également ce type d’obstacle à l’exercice de la liberté d’établissement et de la liberté de PS. Qu’entend-on par là ? Les gouvernements de l’Etat d’origine vont « inciter » leurs sociétés constituées conformément à leur législation à ne pas mettre en oeuvre leur liberté d’établissement ou leur liberté de PS. La Cour va dorénavant examiner au regard des libertés de circulation les dispositions produisant un effet non seulement sur les sociétés non résidentes qui désirent s’installer dans cet Etat, mais aussi sur les résidentes qui souhaiteraient partir. § 1 : Les discriminations à la sortie relevées en droit des sociétés C’est en s’appuyant sur le principe de la liberté d’établissement que la Cour a affirmé que l’égalité de traitement impose non seulement le bénéfice des règles applicables à toute société européenne, mais s’est également opposée à ce que l’Etat d’origine fasse obstacle à l’établissement dans un autre EM d’une société constituée selon sa propre législation35. A/ L’affaire IMPERIAL CHEMICAL INDUSTRIES (ICI)36 Dans cette affaire le débat porte sur la compatibilité avec l’art. 43 T de la législation britannique qui n’accorde un dégrèvement fiscal déterminé aux sociétés faisant partie d’un consortium contrôlant lui-même une société holding que lorsque les filiales de cette dernière ont, uniquement ou principalement, leur siège sur le territoire national. Il fallait donc savoir si la Cour pouvait se prononcer sur cette législation qui dissuadait une société résidente d’avoir des participations, par le biais d’une holding, dans des sociétés non résidentes, sociétés de l’Union et de pays tiers. Sur ce dernier point , la Cour n’a vu aucune ambiguïté et s’est déclarée à même d’examiner, au regard du Traité, la situation purement communautaire (points 16 et 33). Après avoir rappelé les principes (respect du droit communautaire et prohibition des discriminations selon la nationalité, point 20), la Cour reprend une jurisprudence (CJCE 27 septembre 1988 DAILY MAIL 81/87) selon laquelle : « … les dispositions (du Traité) s’opposent également à ce que l’Etat d’origine entrave l’établissement dans un autre EM d’une société constituée en conformité avec sa législation » (point 21). 35 C. LOUIT préc. p.6. 36 Arrêt ICI, CJCE 16 juillet 1998 aff.C-264/96.

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Il s’agit précisément d’une distorsion typique à la sortie. Comme le souligne l’Avocat Général M. TESAURO37, le traitement fiscal défavorable rend certainement moins attrayant, pour la société établie au Royaume Uni, la création de filiales dans d’autres EM. Et la Cour de conclure qu’elle s’oppose à une telle législation qui se réfère au siège des filiales contrôlées pour instaurer un traitement fiscal différencié des sociétés de consortium établies au Royaume Uni (point 23). Cet arrêt mérite d’être analysé : il fait la synthèse, d’une part, du principe d’interdiction de distorsion selon la nationalité et, d’autre part, de celui de l’examen maintenant des distorsions à la sortie. Désormais le contrôle de la Cour semble couvrir un large périmètre sur les dispositions nationales. Nous pensons qu’il faut se réjouir d’une telle jurisprudence puisque la reconnaissance du caractère fondamental aux libertés de circulation passe forcément par l’examen (et l’éventuelle censure) de dispositions faisant obstacle à toutes les circulations possibles. B/ L’arrêt XAB YAB38, la confirmation par la CJCE de sa jurisprudence extensive Etaient en cause ici des dispositions suédoises selon lesquelles, lorsqu’une société résidente détient plus des neuf dixièmes des actions d’une autre société résidente, les transferts entre ces deux sociétés seront considérés chez la société versante comme une charge déductible et chez la société bénéficiaire comme une recette imposable. Ces dispositions sont a priori réservées aux flux entre résidentes, mais le régime peut être étendu au cas où une ou plusieurs des filiales auraient leur siège dans un même autre EM avec qui une convention fiscale de non double imposition aurait été conclue mais pas dans le cas où les filiales ont leur siège dans plusieurs autres EM. L’originalité du litige tient à ce qu’il relève à la fois du régime interne de groupe et de l’exercice de la liberté d’établissement par le biais d’une pluralité de filiales établies dans des EM différents. La Cour a relevé ici l’existence d’une entrave à la liberté d’établissement fondée sur le critère du siège des filiales (et donc sur le critère de la nationalité). Comme dans l’arrêt ICI, elle a constaté (sans être véritablement contredite en l’occurrence par le gouvernement suédois qui a lui-même reconnu que sa législation était contraire à l’art. 43 T) que la limitation apportée au bénéfice du régime des groupes était de nature à dissuader les sociétés suédoises têtes de groupes de s’implanter, par le biais de filiales, dans une pluralité d’EM lorsqu’elles souhaitent corrélativement bénéficier du régime en cause au titre des transferts opérés directement en faveur de sous-filiales suédoises39 : « … la législation refuse aux sociétés suédoises qui ont fait usage de leur droit de libre établissement pour créer des

37 Concl. de l’arrêt ICI de M. G. TESAURO ; BDCF 6/98 n°137. 38 Arrêt XAB YAB, CJCE 18 novembre 1999 aff.C-200/98. 39 P. DIBOUT, « Liberté d’établissement, conventions fiscales et entreprises multinationales » ; DF 2000 n°11 p.474.

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filiales dans d’autres EM le droit de bénéficier de certains allègements fiscaux (lors d’un transfert financier intragroupe de type C) » (points 26 et 27). L’arrêt rappelle aussi le caractère général des libertés de circulation reconnu par le droit communautaire, par opposition à l’application bilatérale des conventions fiscales et ainsi la primauté de ce droit sur ces conventions (cf. arrêt COMMISSION c/ FRANCE préc.). Il est intéressant de remarquer que la Cour se penche sérieusement sur les situations relatives aux groupes de sociétés, phénomène intéressant lorsque l’on sait que le droit français ne connaît pas, légalement, le droit des groupes. Imaginerait-on un « droit communautaire des groupes » avant un droit français ? Nous ne franchirons pas cette frontière mais la question est ouverte. Parallèlement à sa jurisprudence relative à la portée fiscale de la liberté d’établissement, la CJCE poursuit l’éclairage fiscal de la liberté de PS. § 2 : Les discriminations à la sortie relevées en LPS La Cour n’a pas cessé son œuvre jurisprudentielle et a également reconnu la possibilité d’examiner des hypothèses de distorsions à la sortie dans ce domaine qui se distingue bien de la liberté d’établissement dans la mesure où celui-ci fait défaut. A/ L’arrêt JESSICA SAFIR40 Cette affaire traite du domaine des assurances qui a connu de nombreuses incursions par la Cour, notamment en LCP. Le problème venait d’une législation suédoise qui opérait une distinction d’imposition entre compagnies d’assurances, selon qu’elles sont établies en Suède ou non ; plus précisément, il s’agissait de savoir si cette réglementation, qui soumet à prélèvement fiscal les primes versées par les preneurs d’assurances souscrivant des contrats d’assurances-vie avec des compagnies non établies en Suède (alors que les primes versées en exécution de tels contrats souscrits avec des compagnies nationales ne sont pas soumises à ce prélèvement), était compatible avec les dispositions communautaires relatives à la LPS (art. 49 et 50 T, ex 59 et 60). Rappelons que l’art. 49 T (ex 59) pose le principe de la liberté de PS à l’intérieur de l’UE et possède un effet direct, de même il interdit toutes les restrictions à la LPS dans cette Union à l’égard des ressortissants des EM établis dans un pays de l’Union autre que celui du destinataire de la PS. S’il est vrai que ce traitement différencié concerne de la même manière tous ceux qui résident dans un même EM, il n’en reste pas moins qu’il est inévitablement destiné à être répercuté sur

40 Arrêt JESSICA SAFIR préc.

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les prestataires de services. Donc les compagnies non résidentes souffrent d’un désavantage évident par rapport aux compagnies résidentes41. Et il s’agit d’une discrimination à la sortie dans la mesure où les preneurs d’assurances sont dissuadés de souscrire auprès d’une compagnie établie dans un autre EM (notamment en raison de formalités plus lourdes : « … une (telle) législation comporte un ensemble d’éléments susceptibles de dissuader le preneur de souscrire des assurances-vie en capital auprès de compagnies non établies en Suède ainsi que de dissuader les compagnies d’offrir leurs services sur le marché suédois » (points 26 et 30)42. On pourra simplement dire que la remarque relative à l’extension aux discriminations indirectes (cf. Section 1, article de Mme LUBY) s’applique également ici : il existe une atteinte au principe de subsidiarité puisque la Cour parle de législation susceptible d’entraver. Mais s’il faut relativiser cette critique en l’espèce, la législation s’appliquant très rarement au détriment des compagnies d’assurances suédoises (donc elle n’est pas que susceptible d’entraver la société non résidente mais bien certaine de désavantager cette dernière), il faut noter que la Cour s’engage expressément à « empiéter sur le domaine réservé » aux EM, en l’occurrence la fiscalité directe. B/ L’arrêt EUROWINGS LUFTVERKEHRS43 Le litige portait ici sur la législation fiscale allemande exigeant la réintégration de la moitié des loyers acquittés dans le cadre d’un contrat de crédit-bail dans l’assiette de l’impôt sur les bénéfices commerciaux, obligation qui ne s’appliquait que lorsque le crédit-bailleur n’était pas établi en Allemagne. La réintégration a été exigée à une société allemande puisque son crédit-bailleur était une société de droit irlandais (la législation prend en compte le siège du prestataire). Cette législation tombait-elle sous le coup du contrôle de la CJCE en vertu de l’application constructive des art. relatifs à la liberté de PS ? Où se situe la distorsion à la sortie ? L’art. 49 T (ex 59) confère des droits subjectifs à la fois au prestataire et au destinataire du service, donc ce dernier peut se plaindre d’une discrimination dont il est la victime de la part de l’EM de sa résidence, à raison de la nationalité, de la résidence ou de tout autre critère analogue tenant au prestataire de services établi dans un autre EM44 : « … une telle législation prévoit, pour les entreprises allemandes qui louent des biens auprès de bailleurs établis dans d’autres EM, un régime fiscal moins favorable susceptible de les dissuader de faire appel à de tels bailleurs » (point 37). Et la Cour de censurer ce texte sur le fondement de l’art. 49 T.

41 Concl. de l’arrêt JESSICA SAFIR de M. G. TESAURO ; BDCF 5/98 N°112. 42 Pour un autre exemple en matière de LPS : arrêt DANNER du 21 mars 2002 aff.C-136/00, point 30. 43 Arrêt EUROWINGS LUFTVERKEHRS, CJCE 26 octobre 1999 aff.C-294/97. 44 Note anonyme sous l’arrêt EUROWINGS ; Rev.DF 2000 n°13 p.572.

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Ces décisions appellent une observation : il s’agit d’exemples de discrimination à la fois à l’entrée et à la sortie. La Cour examine les deux facettes de la disposition pour décider s’il existe une distorsion. Dans ces hypothèses, il apparaît difficile de concevoir une discrimination à la sortie sans une à l’entrée, d’autant plus que les discriminations à rebours en LPS sont exclues45 (effet paradoxal consistant en ce que le traitement réservé aux ressortissants d’un EM de l’UE est moins favorable que celui dont bénéficient ceux des autres EM, en application des règles communautaires46) ; donc s’il n’existait pas de discrimination à l’entrée, mais que la société résidente était tout de même désavantagée, nous serions bien en présence d’une discrimination à rebours condamnée par la Cour. Il semble que ces arrêts pèsent de tout leur poids sur ce point : il faut comprendre que la Cour a pris la décision de ne plus rien laisser au hasard, elle confirme là son rôle de gardienne des libertés fondamentales reconnues par le Traité. Ce qu’il importe de relever, comme le souligne M. BUISSON47, c’est l’insistance avec laquelle la CJCE a marqué sa volonté de protéger efficacement le principe de la LPS. Cette jurisprudence extensive et encerclant les législations nationales comme un étau – qui se veut bienfaisant – est propice à une évolution ; les EM, interdits de mettre en place des législations discriminatoires fondées sur la nationalité par le Traité se voient désormais plus démunis encore avec cette approche nouvelle de la Cour qui étend cette interdiction. De plus, celle-ci laisse toutes sortes de possibilités à l’avenir quant aux critères à retenir (sans tomber dans l’excès). Même s’il n’est pas toujours aisé, les litiges devant la Cour ne se démarquent pas par leur simplicité, de qualifier telle ou telle législation de discrimination directe ou indirecte (quoique), gageons que la Cour saura affiner son analyse. Citons pour finir Mme LUBY qui remarque que « la Cour pallie la lenteur, l’inertie du législateur CE, au travers d’une jurisprudence particulièrement féconde sur le terrain de la non discrimination (corollaire du traitement national). Elle traque les écueils fiscaux à la libre circulation des entreprises »48. 45 Il existe une contradiction : selon Mme MIGNON, les discriminations à rebours ne constituent pas une restriction à l’exercice des quatre libertés fondamentales (donc y compris la LPS) ; selon un autre document, la discrimination à rebours en LPS est exclue (Rev. DF 2000 n°13 p.572, à propos de l’arrêt EUROWINGS). 46 Cornu p.296 « discrimination ». 47 J. BUISSON, « La souveraineté fiscale en question » ; D. 1999 chronique p.129. 48 M. LUBY, préc. p.6.

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CHAPITRE SECOND

UNE APPROCHE PRAGMATIQUE MAIS INCOMPLETE DE LA CJCE DANS L’APPRECIATION DE LA COMPARABILITE DES SITUATIONS POUR

QUALIFIER LA DISTORSION A priori, il est sensé de penser qu’une entreprise résidente n’est pas dans la même situation qu’une entreprise non résidente. Toutefois, la fiscalité directe d’imposition des bénéfices souffre d’un tel constat et plus encore lorsqu’il s’agit du cadre de l’UE. La construction jurisprudentielle de la Cour s’inspire du principe d’égalité de traitement, que l’on soit dans le domaine de la liberté d’établissement ou de la liberté de PS (l’art. 49 T fonde également un contrôle des conditions égales faites aux activités nationales et non nationales dans le cadre européen). Mais la Cour, au travers d’une démarche neutre et prenant le mieux en compte tous les facteurs (principes régissant la matière) va accroître sa surveillance sur les traitements différenciés. Grâce à cela, elle sera plus à même de se prononcer sur la distorsion.

SECTION 1

Un principe (celui de la différence de traitement admise entre un résident et un non résident) reconnu en droit fiscal international mais relativisé par la CJCE dans notre

domaine. Une discrimination suppose soit le traitement différent de situation similaire, soit le traitement identique de situations différentes ; la sanction d’une discrimination implique alors, au préalable, de s’interroger sur la comparabilité des situations en cause – nationale et étrangère. Or la divergence de traitement fiscal entre résident et non résident – compte tenu de la disparité des situations – est un concept majeur en fiscalité internationale, elle participe des règles de « la courtoisie internationale » et du « respect mutuel entre souverainetés »49. Pourtant, la Cour va rompre avec ce concept ; les limitations apportées par la Cour sur l’usage de ce concept, qu’elle reconnaît mais qu’elle encadre, sont bien entendues tout à fait importantes. Voyons rapidement cette notion avant sa remise en cause par la Cour, dans une volonté de parfaire sa jurisprudence et de compléter l’application volontariste qu’elle pratique avec les libertés de circulation du Traité.

49 M. LUBY préc. p.6.

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§ 1 : Le principe et sa remise en cause Le principe de divergence de traitement entre résidents et non résidents n’est pas contraire au principe d’égalité de traitement mais ses effets vont à son encontre. En effet, pouvoir admettre ce principe à notre matière et spécifiquement au droit d’établissement secondaire (où les succursales ne seraient jamais considérées comme résidents) revient à limiter les droits découlant du Traité (cf. arrêt COMMISSION c/FRANCE point 26). La Cour l’a donc, sans cesser de le reconnaître, encadré pour le limiter au strict nécessaire. A/ Une différence de traitement est admissible sans pour autant être censurée… La différence de traitement entre un résident et un non résident a toujours été reconnue comme conforme au Traité, tolérée par le modèle OCDE publié en septembre 1992, par la Commission et par la plupart des droits nationaux. D’ailleurs, le Conseil Constitutionnel dispose que « le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce qu’une loi établisse des règles non identiques à l’égard de catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes ». Pour la Haute juridiction, le principe d’égalité exige que le même régime soit appliqué à toutes les personnes qui se trouvent dans des situations identiques mais il ne s’oppose pas à ce que des dispositions différentes soient appliquées à des personnes qui se trouvent dans des situations différentes. Sur le plan communautaire, c’est l’unité territoriale (c’est-à-dire la volonté depuis l’origine du Marché commun, de réaliser un Marché intérieur libre d’entraves) et les libertés économiques induites qui conduisent au principe de non discrimination50. M. MARTIN écrit que « l’appréciation d’une éventuelle atteinte aux libertés implique un examen des principes de non discrimination et d’égalité ». De là, le principe (différence de traitement entre résident et non résident) s’appuie sur le fait que puisque ces personnes sont dans des situations différentes (l’une réside dans l’EM, l’autre non), les lois qui leur sont applicables peuvent prévoir des régimes différents. Dans l’affaire WERNER51, la Cour, appliquant le principe de divergence de traitement, avait considéré que M. Werner, de nationalité allemande, travaillant en Allemagne … mais résident aux Pays Bas ne pouvait pas bénéficier de la personnalisation de son imposition sur le revenu dans les mêmes conditions qu’un résident allemand et ce même s’il tirait l’ensemble de ses revenus de cette activité en Allemagne. La Cour a ramené le litige au principe de divergence de traitement entre résident et non résident et comme M. Werner résidait aux Pays Bas, il pouvait être traité différemment d’un

50 C. LOUIT préc. p.4. 51 Arrêt WERNER, CJCE 26 janvier 1993 aff.C-112/91.

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résident allemand, sans analyser les autres facteurs pertinents (l’ensemble des revenus provient de l’activité en Allemagne). Mais la Cour ne pouvait pas en rester là. B/… Sauf lorsque les situations sont comparables Nous nous arrêterons sur l’affaire SCHUMACKER52 qui présente des similitudes avec l’arrêt WERNER et la Cour va, cette fois-ci, admettre que les situations sont comparables et donc mettre de côté le principe de divergence de traitement entre résident et non résident. L’affaire concernait un travailleur salarié belge qui, parce qu’il percevait l’essentiel de ses revenus professionnels en Allemagne sans y avoir sa résidence ou son domicile, fut considéré par l’administration fiscale allemande comme un « assujetti partiel » et se vit refuser pour cette raison un certain nombre d’avantages fiscaux (comme le splitting tarif) accordés aux travailleurs résidents ou domiciliés en Allemagne. La Cour va avoir un raisonnement quelque peu audacieux car si dans un premier temps, elle affirme que la situation des résidents et des non résidents n’est pas comparable, elle va tout de même casser sa décision WERNER en niant « une différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement entre les deux catégories de contribuable » (point 37). La Cour de juger que « l’art. 48 T fait obstacle à ce que la législation d’ EM en matière d’impôts directs prévoit le bénéfice de procédures pour les seuls résidents, à l’exclusion des personnes physiques qui n’ont ni domicile ni résidence habituelle sur son territoire, mais qui y perçoivent des ressources d’origine salariale ». L’arrêt SCHUMACKER prend le contre-pied de la décision WERNER en interdisant à tout EM de refuser aux travailleurs non résidents qui perçoivent sur son territoire l’essentiel (au moins 75% de son revenu selon la recommandation de la Commission du 21 décembre 1993 et 90% selon la loi allemande) de leurs revenus professionnels, le bénéfice d’avantages fiscaux reconnus aux résidents53. La Cour semble se diriger vers une recherche de la pertinence de la distinction entre résident et non résident au regard de l’objet précis de la mesure fiscale nationale54. Cette décision est dans le droit fil d’une jurisprudence tendant à protéger les libertés fondamentales et, partant, le principe du traitement national. Il était souhaitable - et cela a été bien accueilli - que l’arrêt WERNER soit mis aux oubliettes. Il n’est pas admissible, au regard de la politique prétorienne de coordination de la fiscalité directe opérée par la Cour, de laisser subsister une décision où une personne physique, qui se

52 Arrêt SCHUMACKER préc. 53 J.-M. BINON, « Après les arrêts Schumacker, Wielockx et Svensson, quelle place reste-il pour la jurisprudence Bachmann ? » ; RMUE 2/96 p. 133. 54 P. MARTIN préc. P.1447.

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trouve fiscalement, en raison de la source de son revenu, dans la même situation que les résidents, soit traité différemment55. Pour M. de WAAL « il est ainsi permis de s’interroger sur la possibilité de maintenir intacte la summa divisio du droit fiscal international entre résident et non résident »56. Mais qu’en est-il des personnes morales ? la Cour a-t-elle conservé (ou poursuivi) son point de vue ? § 2 : Les précédents en matière d’imposition des bénéfices des sociétés La Cour a depuis longtemps, dès lors qu’il s’agit de personnes morales, limité le débat sur le sujet. Elle a évoqué ce positionnement dès les débuts, dans l’affaire de « l’avoir fiscal »57. A/ L’affaire de « l’avoir fiscal », un avant-goût de l’arrêt SCHUMACKER La Cour, dans l’affaire de « l’avoir fiscal », s’est penchée sur la disposition fiscale (l’art. 158 ter du CGI) qui dispose que le bénéfice de l’avoir fiscal est réservé aux personnes qui ont leur domicile réel ou leur siège social en France ; il en résulte que ce bénéfice est refusé aux établissements stables (succursale et agence uniquement puisque la filiale est pleinement considérée comme résidente) établis en France par des sociétés d’assurances ayant leur siège social dans un autre EM. Il s’agit évidemment d’une distorsion ostensible fondée sur la nationalité mais la Cour va étendre son examen comparatif de la situation entre les sociétés française et non française pour décider si le principe d’égalité est bafoué ou non. Le gouvernement français a avancé que la différence de traitement se justifiait par la distinction entre personnes résidentes et non résidentes connue dans tous les ordres juridiques et admise sur le plan national (point 17). Mais la Cour semble opposée à cet argument et décide qu’ « …admettre que l’EM d’établissement puisse librement appliquer un traitement différent en raison du seul fait que le siège d’une société est situé dans un autre EM viderait donc cette disposition de son contenu » (point 18). Une fois ce principe posé, la Cour annonce clairement qu’elle compte désormais s’en faire une arme contre les dispositions ayant trop souvent recours au principe de divergence de traitement admis en droit fiscal international : « … les dispositions françaises ne font, en ce qui concerne la détermination de la base imposable en vue de l’établissement de l’impôt sur 55 Pour une autre décision dans le même sens que l’arrêt SCHUMACKER : arrêt ASSCHER du 27 juin 1996 aff.C-107/94 : « …le fait d’appliquer à certains non résidents un taux d’imposition sur le revenu plus élevé que celui applicable aux résidents et assimilés constitue une discrimination interdite par l’art.43 T » (point 49), F. LAYER préc. p.16. 56 Propos repris par C. LOUIT préc. 57 Arrêt COMMISSION c/ FRANCE préc.

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les sociétés, aucune différence entre les sociétés ayant leur siège en France et les succursales situées en France de sociétés ayant leur siège à l’étranger » (point 19). Et la Cour de conclure que : « … le législateur français a admis qu’il n’existait entre les deux, au regard des modalités et conditions de cette imposition, aucune différence objective pouvant justifier une différence de traitement » (point 20). B/ La portée d’une telle jurisprudence relativement aux droits nationaux et au droit international Cette décision appelle quelques observations : Suite à l’arrêt, une instruction a été prise et traite tous les établissements stables, pour l’imposition des dividendes, comme des résidents (Instruction du 31 juillet 1986), ce qui tend à reconnaître à la Cour son point de vue pertinent. Une incompréhension, a priori, se glisse dans le raisonnement : la Cour estime la société d’assurances française dans une situation comparable à la société non résidente qui a une succursale établie en France ; or une entreprise résidente est le plus souvent imposée sur ses revenus mondiaux alors qu’une entreprise non résidente ne connaît l’imposition que sur ses revenus locaux. Ecartons tout de suite la circonstance d’espèce car la France ne connaît pas le principe de mondialité mais elle est bien la seule. Donc un risque d’incohérence surgit. Seulement, il faut rappeler que si les obligations fiscales d’une société non résidente diffèrent de celles d’une société résidente, « cela résulte de la souveraineté fiscale limitée de l’Etat de la source du revenu par rapport à celle de l’Etat du siège de la société »58. Il ne faut donc pas que les EM cherchent à démonter les débats devant la Cour en recourant à leur inertie et à leur volonté de ne pas se séparer de leur compétence dans le domaine de la fiscalité directe. De même, il faut bien comprendre la démarche de la Cour. Celle-ci est pragmatique, « il s’agit simplement de savoir si, à l’intérieur d’un même Etat, la situation d’une société résidente et d’un établissement stable d’une société non résidente sont dans une situation comparable »59. En second lieu, l’on peut se poser la question de la chronologie de la jurisprudence de la Cour : comment a-t-elle pu accoucher d’une décision aussi claire et propice au travail jurisprudentiel élaboré par la Cour depuis lors et néanmoins admettre dans l’affaire WERNER que les situations n’étaient pas comparables ? La solution se situe sans doute dans la distinction personnes physiques – personnes morales et dans les dispositions communautaires respectivement applicables. 58 Arrêt ROYAL BANK OF SCOTLAND, voir infra. 59 M. LUBY préc. p.6.

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Une telle décision (COMMISSION c/ FRANCE) était nécessaire lorsque l’on se penche sur les textes communautaires relatifs au droit d’établissement. Comme le souligne M. HUGLO60, « la Cour, sans que cela soit rendu nécessaire dans la question préjudicielle qui lui est posée, prend désormais l’habitude de déclarer que la liberté d’établissement constitue une des dispositions fondamentales de l’ordre juridique communautaire ». Comment, après cela, pourrait-on admettre, sous couvert du principe de divergence de traitement entre résident et non résident, que le droit d’établissement secondaire puisse être limité par la seule création de la filiale ? En admettant la solution WERNER, l’on aboutit à une atteinte au libre choix de la forme juridique de l’établissement, également prohibée par la Cour. La question de la hiérarchie entre droit international et droit communautaire apparaît en filigrane dans ce thème. En conséquence, la Cour devait admettre ce schéma développé dans l’affaire de « l’avoir fiscal ». Et c’est sans doute pour cela que la Cour a pu avoir la faiblesse de la décision WERNER, il n’existe pas en LCP de controverse identique à celle que nous venons de citer. Nous pouvons affirmer, d’ores et déjà que le rôle de la CJCE est loin d’être négligeable dans l’application, voire l’élaboration des règles fiscales communautaires. Mais nous allons voir que l’année 1999 est une année qui a été caractérisée par une avancée réelle dans les contraintes que les libertés fondamentales du Traité font déjà peser sur la fiscalité directe des EM.

60 J.-G. HUGLO préc. p.728.

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SECTION 2

Une évolution prétorienne octroyant à la CJCE un terrain de jeu plus - trop ? - vaste dans la qualification de la distorsion fiscale

L’année 1999 apparaît comme une année exceptionnellement riche s’agissant des avancées en matière de surveillance des fiscalités directes des EM. Certes, tous les arrêts intervenus en ce domaine ne représentent pas un apport essentiel mais l’ensemble donne une assez bonne image des contraintes présentes et à venir imposées aux Etats, membres d’un espace intérieur sans frontières fiscales alors que l’harmonisation piétine. § 1 : Les évolutions dans les situations présentant un élément d’extranéité Dans le prolongement de l’arrêt SCHUMACKER, la Cour a développé et amélioré sa jurisprudence dans le domaine de la fiscalité des sociétés. A/ La démarche de la CJCE Nous nous intéresserons ici à deux arrêts relativement parlants, les arrêts ROYAL BANK OF SCOTLAND et SAINT GOBAIN ZN, déjà cités. Ces deux décisions ont fait une interprétation large du principe du traitement national en reléguant donc le principe de divergence de traitement entre résident et non résident au second plan (cf section 1). La CJCE a abondé dans le sens de l’arrêt COMMISSION c/ FRANCE mais de manière encore plus explicite. Elle a estimé que la différence de situation fiscale entre entreprises résidentes et non résidentes « n’empêche pas de considérer les deux catégories de société dans une situation comparable ». L’affaire ROYAL BANK OF SCOTLAND61 concernait le régime fiscal hellénique applicable aux résultats des établissements secondaires ; plus précisément, la Cour était confrontée à un litige opposant la ROYAL BANK OF SCOTLAND, ayant son siège en Ecosse, à l’administration fiscale grecque qui avait appliqué à la succursale grecque de cette banque un taux d’imposition du bénéfice plus élevé que celui exigé des banques grecques (dans la mesure où les établissements bancaires grecs bénéficiaient toujours du taux réduit d’imposition alors que les établissements stables de banques étrangères ne pouvaient jamais en profiter). Précisons d’entrée qu’il s’agit d’une discrimination ostensible fondée sur la nationalité puisque sur le siège de la ROYAL BANK OF SCOTLAND.

61 Arrêt ROYAL BANK OF SCOTLAND, CJCE 29 avril 1999 aff.C-311/97.

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La Cour a clairement répondu par l’affirmative à la question de la comparabilité des situations et a abouti au constat que la banque grecque et la succursale devaient faire l’objet d’un traitement fiscal identique. Elle va reprendre exactement le raisonnement posé dans l’arrêt de « l’avoir fiscal » ; elle relève qu’en ce qui concerne la détermination de la base imposable, la législation fiscale grecque n’établissait aucune différenciation. Donc l’Etat grec ne pouvait pas exiger une différence de traitement entre la succursale et la banque grecque alors que les modalités et conditions d’imposition de la loi grecque ne reflétaient en rien une telle distinction (points 28 et 30). Et la Cour de décider « qu’il n’existe aucune différence de situation objective entre ces deux catégories de société susceptible de justifier une telle différence de traitement » (point 34). L’argument de la différence de traitement sous prétexte de la mondialité ou « régionalité » de l’impôt connaît le sort sous-entendu dans l’arrêt COMMISSION c/ FRANCE (point 29) ; ce n’est pas parce que le droit international répartit les compétences fiscales entre Etats que, objectivement, l’établissement stable d’une société non résidente n’est pas dans l’Etat d’établissement dans une situation fiscalement comparable à celle d’une société résidente62. Dans l’arrêt SAINT GOBAIN ZN63, la Cour s’était interrogée sur une législation allemande qui ne reconnaissait pas le caractère comparable entre une société résidente allemande et une succursale allemande d’une société française. La Cour, comme nous l’avons déjà relevé, condamne cette législation (B/ §1 section 1 chapitre 1) car elle est une distorsion directe fondée sur la nationalité mais cette censure est aussi passée par l’établissement de la comparabilité des situations entre la succursale allemande et la société résidente allemande. La Cour va encore faire preuve d’audace en interprétant strictement les différences entre résident et non résident. On ne peut pas reprendre les arguments de l’arrêt COMMISSION c/ FRANCE dans la mesure où l’assiette et le taux d’imposition diffèrent dans la législation allemande à propos des deux catégories de société. Mais cela n’a pas arrêté la Cour qui décide que les différences qui existent ne sont pas primordiales en ce qui concerne les sociétés de capitaux et donc que les situations sont objectivement comparables. Elle relève même que la comparabilité résultait de l’imposabilité de principe des dividendes reçus de filiales ou sous filiales étrangères tant par les sociétés résidentes que par l’établissement stable d’une société non résidente. Il s’agissait d’un argument supplémentaire pour considérer que les deux catégories de société étaient dans une situation objectivement comparable. La législation tombe sous le coup de l’art. 43 T et est considérée comme une distorsion. La Cour a en outre fait preuve d’un pragmatisme sûr dans ces deux décisions ; désormais l’examen de la comparabilité sera encore plus approfondi. Voilà encore une démonstration éclatante de cette juridiction dans la défense des acquis et dans l’extension de sa surveillance. 62 D. BERLIN, « Chronique de jurisprudence fiscale européenne » ; RTDE juill./sept. 2000 p.572. 63 Arrêt SAINT GOBAIN ZN préc.

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B/ L’approche utile de la CJCE : l’examen d’éléments pertinents Il s’agit ici de remarquer que la Cour a tantôt appliqué à la lettre les facteurs environnants, tantôt fait preuve d’audace. Dans l’arrêt ROYAL BANK OF SCOTLAND, la Cour n’a pas eu besoin de « démontrer » la comparabilité des situations : hormis la législation hellénique qui n’établissait pas de distinction dans les modalités et conditions d’imposition, dans les faits, deux facteurs suffisaient pour convaincre les juges. Il convient de remarquer (point 15) que la disposition litigieuse a été réformée (le taux est passé à 40 % pour toutes les banques), donc tout laisse à penser que l’Etat grec admettait implicitement qu’il n’existait aucune différence entre une succursale grecque d’une société d’un autre EM et une société grecque. En outre, nous appréhendons (la Cour) une convention de non double imposition conclue entre la Grèce et le Royaume Uni ; elle précise qu’ « une succursale en Grèce d’une banque ayant son siège au Royaume Uni constitue en Grèce un établissement stable assimilé sur le plan fiscal à une société résidente, en sorte que, à ce titre, elle est conventionnellement reconnue comme étant dans une situation objectivement comparable à une société grecque » (point 31). Ceci mérite notre attention ; le droit conventionnel est transposé pleinement en droit national après ratification du parlement. Une convention fiscale bilatérale fait partie de l’ordre interne d’un Etat et est invocable à moins qu’elle n’entre en conflit avec le droit communautaire (or cette convention gréco-britannique est conforme). Il est donc curieux qu’un tel litige ait pu atterrir devant la CJCE. En effet, il suffisait d’invoquer cette convention pour que l’administration fiscale grecque soit à bout d’arguments. En relevant ces deux éléments, la Cour a rendu un arrêt imparable d’une belle qualité. Toutefois, quelques mois plus tard, les juges de Luxembourg vont effectuer un pas de géant, peut-être pas apprécié de tous. Dans l’arrêt SAINT GOBAIN ZN, il est admis que les deux catégories de société sont comparables et que la disposition en cause contrevient à l’art. 43 T en établissant un traitement discriminatoire. Le principe d’égalité de traitement est sauf. D’ailleurs, concernant les conventions internationales de double imposition, la Cour va très loin puisqu’elle affirme que l’obligation de traitement national impose à l’EM partie à la convention « d’accorder aux établissements stables d’entreprises non résidentes, les avantages prévus par la convention aux mêmes conditions que pour les entreprises » (point 59). En effet, si les EM sont compétents pour déterminer les facteurs du rattachement pour répartir les compétences fiscales, ils doivent le faire « dans le respect du droit communautaire ». Aux fins de respecter le principe communautaire de traitement national, les EM devraient étendre unilatéralement leurs conventions aux non résidents (même si la convention est conclue, comme en l’espèce, avec un Etat tiers).

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C’est donc là particulièrement intéressant parce que cela pousse très loin la liberté d’établissement. Cela encourage aussi le concept d’établissement stable qui est une création fiscale64. Mais qu’en est-il du principe de réciprocité gouvernant la conclusion de ces conventions ? Selon la Cour, sa décision n’a pas d’incidence sur ce principe mais les rapports entre conventions bilatérales et droit communautaire sont si complexes que la solution n’est pas véritablement établie (et même, elle préfèrera s’abstenir de répondre dans les affaires METALLGESELLSCHAFT et HOECHST65). § 2 : Une surveillance accrue de la CJCE sur les Etats membres aux contours toutefois un peu incertains La Cour construit peu à peu les fondations d’une UE fiscale mais elle n’ose pas – pas encore – empiéter davantage sur la souveraineté fiscale des EM et parfois elle ne sait pas comment réagir. Cela se concrétise par des silences (embarrassés et embarrassants) et par des absences. A/ Un champ trop vaste à couvrir et qui laisse certaines questions en suspens En ce qui concerne le débat des conventions fiscales de non double imposition, est posé tout le problème des relations entre d’une part, le droit issu des conventions internationales que les Etats ont la liberté de conclure et, d’autre part, le droit communautaire que les EM ont l’obligation de respecter, vaste problème ouvert aux influences communautaires et nationales réciproques66. Cette articulation entre les deux sources est un problème qui ira crescendo au fur et à mesure de l’élargissement de l’UE. En outre, s’il peut paraître opportun d’étendre unilatéralement ces conventions, conclue entre un EM et un Etat tiers (afin de faire bénéficier le résident de l’EM contractant, dans une situation comparable, des bénéfices issus de cette convention), la Cour ne s’est pas prononcée sur l’extension de la clause de la nation la plus favorisée dans l’application des conventions fiscales bilatérales conclues entre eux par les EM (arrêts METALLGESELLSCHAFT et HOECHST, voir infra). Nous pouvons noter une évolution constructive de la jurisprudence de la Cour entre l’arrêt COMMISSION c/ FRANCE et l’arrêt SAINT GOBAIN ZN où la Cour exploite toutes les données qui lui sont soumises pour qualifier la comparabilité des situations et, partant, une distorsion entre résident et non résident. Dans l’arrêt COMMISSION c/ FRANCE, elle ne pose pas expressément un principe, au contraire de l’arrêt ROYAL BANK OF SCOTLAND qui écarte l’application automatique du principe de divergence.

64 B. GIBERT préc. p.14. 65 Arrêts METALLGESELLSCHAFT LTD et HOECHST AG, voir infra. 66 M. MENJUCQ préc. p.223.

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Mais il n’est pas toujours très facile de savoir si la Cour considère une fois pour toute que l’établissement stable d’une société d’un EM situé dans un autre EM est, dans ce dernier, dans une situation comparable à celle d’une société située dans ce même Etat ou si, sans prendre parti, il lui suffit de constater la plupart du temps que l’Etat dont la législation est en cause, considère lui-même qu’il s’agit de situations comparables (comme dans l’arrêt ROYAL BANK OF SCOTLAND) et dès lors se passer de l’examen de la comparabilité67. La Cour n’a pas encore décidé de franchir le pas et il faut, semble-t-il, s’en réjouir. Dans la mesure où les Etats n’ont toujours pas cédé une parcelle de leur souveraineté fiscale, elle doit continuer son oeuvre prétorienne, assise sur de solides arguments et l’examen de la comparabilité en fait partie. B/ Une évolution de l’action et de la compétence de la CJCE dans les situations purement internes ? La Cour ne s’intéresse pas aux situations purement internes (celles qui ne présentent aucun élément de rattachement avec l’une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire). Ceci a un côté un peu décalé par rapport à la volonté de la Cour de faire avancer le droit communautaire en fiscalité directe, au prix de censures systématiques ; le principe d’égalité ne joue finalement qu’à un niveau, or les discriminations à rebours sont une réalité. Il est presque anormal que la Cour fasse preuve d’un « acharnement bénéfique » aux libertés de circulation et oublie un pan entier de la fiscalité directe. Comme le relève Mme MIGNON68, « le désintérêt de la Cour pour les situations purement internes (...) présente un inconvénient de taille : car si la jurisprudence permet en effet de garantir un traitement égal des personnes, des entreprises et des biens, sans distinction de nationalité dans chacun des Etats, elle ne peut rien contre les différences persistantes de régime fiscal entre les EM ». La Cour garantit l’égalité de traitement dans un même EM mais pas l’égalité entre deux EM. La Commission et/ou les EM doivent avancer dans ce chemin (trouver une certaine coordination entre leurs législations) car la Cour montre une de ses limites et ne pourra pas intervenir de manière jurisprudentielle. Elle ne peut pas créer du droit69.

67 D. BERLIN préc. p.570. 68 E. MIGNON préc. p.66. 69 Cet argument est un peu relativisé par l’arrêt LEUR BLOEM du 17 juillet 1997 (aff.C-28/95) qui admet, dans l’hypothèse d’interprétation de la Directive du 23 juillet 1990 relative aux fusions, l’examen d’une situation purement interne. La Cour, dans son point 34, énonce le principe de sa compétence « pour interpréter le droit communautaire lorsque celui-ci ne régit pas directement la situation en cause, mais que le législateur national a décidé, lors de la transposition d’une Directive, d’appliquer le même traitement aux situations purement internes et à celles régies par la Directive... » ; F. LAYER préc. p.21.

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La CJCE s’est donc saisie de l’interdiction de discrimination pour imposer certaines contraintes aux législations fiscales des EM. La décennie 90 s’est, de fait, traduite par une succession d’arrêts qui ont contribué à l’édification d’un processus de « mise sous surveillance étroite de la fiscalité directe des EM ». L’effet combiné de l’utilisation de l’art. 10 al 2 T et des grandes libertés fondamentales a permis la réalisation de ce processus d’harmonisation (nous lui préférerons coordination) dans la qualification de la distorsion. Mais il ne suffit pas que la Cour proclame la législation discriminatoire ; celle-ci peut bénéficier de « circonstances atténuantes » que la Cour doit examiner pour décider enfin de condamner la disposition nationale. Mais la Cour a voulu faire les choses en grand, et a apposé sa marque sur cette seconde facette de l’interdiction d’une disposition discriminatoire (dont le principe est posé à l’art. 6 T).

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TITRE SECOND

L’EMPRISE ABSOLUE MAIS EQUIVOQUE DE LA CJCE SUR LA

DECISION DE CENSURER OU NON LES DISTORSIONS FISCALES RELEVEES

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Les libertés de circulation du Traité de Rome apparaissent comme des libertés dont le champ est restreint mais qui sont particulièrement protégées et avec lesquelles la Cour a construit progressivement un « chef d’œuvre prétorien » en élargissant peu à peu leur application. Ce travail, analysé et approfondi dans notre première étude a permis à la Cour d’appliquer le principe de traitement national pour considérer les législations comme discriminatoires. Mais si l’objectif de la Cour est de faire respecter le Traité dans sa volonté de créer un espace économique ouvert aux sociétés, il n’en reste pas moins que la fiscalité directe relève toujours de la souveraineté nationale des EM et que l’immixtion de la juridiction communautaire trouve ses limites dans les motifs invocables par les EM pour justifier la distorsion. Effectivement, l’identification d’une restriction aux libertés communautaires de circulation et la reconnaissance de son caractère discriminatoire ne suffisent pas à caractériser une violation du Traité. Ces restrictions peuvent être justifiées par des motifs de sources diverses, sous réserve d’un contrôle de proportionnalité. Il faut d’abord rappeler le Traité ; l’art. 46 T admet comme justifications aux discriminations celles fondées sur l’ordre public, la santé et la sécurité publiques. Nous pourrions les nommer « justifications textuelles », qui pourtant, ne comportent pas la richesse des motifs visés à l’art. 30 T en matière de marchandises. A leur côté, nous retrouvons les « justifications usuelles », économiques, telles l’évasion fiscale, la cohérence du système fiscal ou encore les conventions fiscales bilatérales (appelées RIIG). A cet égard, la démarche de la Cour présente des analogies avec le droit public français en matière de sauvegarde des libertés. Les libertés fondamentales peuvent être limitées par la police administrative poursuivant un objectif de garantie de l’ordre public (l’art. 46 T correspond à cela) et les libertés économiques peuvent être limitées dans un but d’intérêt général à condition de ne pas en dénaturer la portée70. Les libertés de circulation sont des libertés économiques, donc les raisons impérieuses d’intérêt général (RIIG) sont parfaitement invocables pour justifier une éventuelle distorsion. Relativement aux motifs de l’art. 46 T, la CJCE n’a aucun pouvoir d’interprétation, elle ne peut mettre en œuvre son processus prétorien de surveillance. D’ailleurs elle ne l’a jamais tenté. En revanche, en ce qui concerne ces RIIG, elle a eu une jurisprudence plutôt souple. D’une façon générale, elle admet les justifications fondées sur une RIIG mais elle ne fait que les reconnaître ; la Cour a mené une politique systématique de rejet, rejet motivé par l’absence de fondement, en l’espèce, de ces prétentions. Les difficultés qui vont apparaître s’expliqueront par l’imbroglio dans lequel la Cour va se perdre sur les justifications recevables au cas par cas.

70 P. MARTIN préc. p.1447.

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Elle opère par ailleurs un contrôle de proportionnalité rigoureux ; dans l’hypothèse où la discrimination est fondée (sur une raison issue de l’art. 46 T ou une RIIG), la Cour va vérifier si la mesure est ou non excessive. Ce contrôle va véritablement encercler les EM qui, à terme, n’auront d’autre échappatoire qu’une entente pour mener à bien une politique de coordination et – souhaitons-le – d’harmonisation de la fiscalité directe. Comme nous allons le voir, malgré le principe de subsidiarité qui règne en la matière, la Cour va mettre en place un second axe jurisprudentiel consistant à compléter sa démarche (titre premier). Il ne s’agira plus pour la Cour de démontrer que la disposition en cause est discriminatoire ; nous partons de cet état de fait (la discrimination) pour orienter l’action de la Cour sur les motifs la justifiant. Cette jurisprudence n’est pas pétrie de mauvaises intentions, « elle renvoie aux Etats leurs propres défaillances et erreurs… elle (tire) le signal d’alarme quant à l’absence d’harmonisation fiscale »71. 71 M. LUBY préc. p.8.

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CHAPITRE PREMIER

UN EXAMEN RIGORISTE ET INDECIS DE LA CJCE SUR LES JUSTIFICATIONS

DES ETATS Une disposition nationale a été soumise à la Cour dans le cadre de recours en manquement ou de question préjudicielle. La Cour, construisant une jurisprudence extensive des principes du traitement national et de non discrimination, mène une véritable guerre contre les dispositions allant à leur encontre. Toutefois, la Cour ne peut pas non plus tout se permettre sinon les EM risquent de se plaindre auprès du Conseil. En admettant qu’une discrimination puisse être justifiée, la Cour essaie de calmer les esprits. Elle a d’ailleurs, dans une volonté d’élargissement des cas de justifications, admis les RIIG (création purement jurisprudentielle). Ceci est une bonne initiative, eu égard à l’étroitesse du champ d’action de l’art. 46 T. Mais si les cas d’ouverture à l’admission d’une discrimination sont plus nombreux, la Cour poursuit son « travail de sape » et restreint leur acceptation. C’est sa manière à elle de pousser les EM à une prise de conscience : l’UE doit avancer dans la fiscalité directe.

SECTION 1

Les raisons impérieuses d’intérêt général (RIIG) soumises à une démarche sévère de la CJCE

La Cour a opéré, si ce n’est un revirement, un virage dans sa jurisprudence. Après avoir admis une RIIG en 1992 dans les arrêts BACHMANN72, elle a pressenti le courant jurisprudentiel en matière de fiscalité directe et a décidé de raidir son appréciation dans ce motif d’intérêt général mais aussi dans les autres (mais plus précocement). Par quel biais en est-elle arrivée là ? Qu’en est-il aujourd’hui de l’admission des RIIG ? Les motifs des arrêts étudiés permettent une synthèse de l’analyse négative par la Cour des justifications avancées par les EM pour tenter de légitimer un traitement différencié des établissements stables. Las ! La CJCE est devenue censeur.

72 Arrêts BACHMANN et COMMISSION c/ BELGIQUE du 28 janvier 1992 aff.C-204/90 et C-300/90.

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§ 1 : Le problème du motif de la cohérence du système fiscal Il reste des situations dans lesquelles l’exigence de l’égalité de traitement peut exposer l’EM concerné, tant comme Etat d’accueil que comme Etat d’origine, à un risque de perturbation sérieuse de son système fiscal à raison même de l’insuffisance de l’harmonisation. En pareil cas, la sauvegarde de la cohérence du système fiscal de cet Etat peut justifier le maintien d’une mesure contraire à l’égalité de traitement73. Mais pour que cette justification soit admise, il doit exister un lien direct entre l’avantage fiscal réservé à l’entreprise non résidente et sa contrepartie. Ici, la Cour, après un premier accueil de ce motif dans les arrêts BACHMANN, va durcir ses positions envers les entreprises en se fondant notamment sur cette existence (ou plutôt absence) de lien direct : au travers d’une démarche prétorienne d’interprétation des législations, cette justification va devenir « lettre morte ». A/ Les arrêts très controversés BACHMANN Dans ces affaires, la Cour a été appelée à se prononcer sur la compatibilité avec les principes de libre circulation des travailleurs et de LPS, des dispositions fiscales belges qui, en matière d’impôt sur les revenus, subordonnaient la déductibilité des cotisations d’assurances contre la maladie et l’invalidité ou contre la vieillesse et décès à leur versement à un assureur établi en Belgique. M. Bachmann, citoyen allemand, cotisant auprès d’assureurs allemands, s’était vu refuser la déductibilité de ses cotisations après son établissement en Belgique. Cette condition que l’assureur soit établi en Belgique permettait de garantir la cohérence du système fiscal belge, fondée sur la symétrie entre la déductibilité des cotisations par l’assuré et l’imposition chez l’assuré des prestations versées par les assureurs (point 21). La Cour a tout d’abord considéré comme une restriction discriminatoire la règle fiscale belge. Mais elle a admis que cette législation permettait de garantir la cohérence du système fiscal belge (point 23). Nous avons là une démonstration à l’état pur de notre seconde étude : si la constatation d’une restriction à une liberté communautaire n’épuise pas le débat sur la compatibilité de cette restriction au Traité, toute mesure nationale pouvant affecter la liberté de circulation n’est pas nécessairement condamnable si elle est justifiée. Il existe bien un lien direct entre la déductibilité des cotisations et l’imposition des prestations finales versées par l’assureur. Et le Cour de conclure que ces dispositions « sont justifiées par la nécessité de garantir la cohérence du système fiscal » (point 28). Le fait que la Cour ait admis une justification (et ce sera la seule décision positive dans notre étude), est en rapport avec la circonstance d’espèce : il s’agissait d’un travailleur allemand

73 P. DIBOUT préc. p.15.

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temporairement détaché en Belgique et dont le rapatriement prévisible en Allemagne allait inévitablement rompre la cohérence du régime fiscal belge. Ce motif, logiquement examiné et mis en œuvre par la Cour dans l’affaire BACHMANN et toujours admis dans son principe, n’a pourtant plus reçu d’application depuis car sa portée est limitée à l’exigence d’un lien direct entre plusieurs éléments du régime fiscal d’une même personne, et que la Cour n’admet plus. Preuve en est l’arrêt DANNER74, analogue à maints points de vue avec l’affaire BACHMANN. Cet arrêt portait sur la compatibilité avec la LPS de dispositions finlandaises de droit fiscal qui excluent ou restreignent la faculté de déduire aux fins de l’impôt sur le revenu les cotisations d’assurance-retraite volontaire versées à des institutions de retraites étrangères. La Cour va ici « remettre les pendules à l’heure » en ce qui concerne l’affaire BACHMANN, très critiquée à l’époque ; elle n’accueille pas l’argument de la cohérence du système fiscal au motif qu’il n’existe pas de lien direct entre la faculté de déduire les cotisations et l’imposition des pensions (point 48). B/ Une portée limitée mais problématique de ces arrêts à la fiscalité des entreprises A plusieurs reprises, les Etats, forts de cette décision, ont avancé le motif de la cohérence du système fiscal. Mais la Cour, toute « faiblesse » disparue, décide dorénavant d’avoir une appréciation stricte de ce motif. Les systèmes fiscaux des Etats ne peuvent pas être protecteurs et porter atteinte à l’une des libertés fondamentales sans encourir le risque d’une censure par la Cour. Dans l’affaire SAINT GOBAIN ZN75, la Cour rejette cette justification par la technique de la cohérence inversée et qui consiste pour elle à renvoyer comme un boomerang à l’Etat sa propre cohérence. Si l’établissement stable d’une société non résidente n’était pas, sur son territoire, dans la même situation qu’une société nationale, les résultats tirés de l’activité sur le même territoire ne seraient pas imposés de la même manière. Or ils le sont (section 2 du chapitre 2 du titre premier). Ce n’est que lorsqu’il s’agit d’octroyer des avantages que le fisc découvre que l’établissement stable est exploité par une société non résidente. La Cour préfère voir dans une telle attitude une incohérence – ruinant l’argument de la prétendue cohérence – plutôt que de la mauvaise foi76. La Cour dans d’ autres affaires va refuser cette RIIG du fait de l’absence de lien direct. Dans l’arrêt ICI77, le gouvernement britannique, en arguant du risque de réduction de pertes de recettes fiscales, sous-entend la cohérence du système fiscal. La Cour rappelle effectivement le principe admis dans l’affaire BACHMANN (pour montrer qu’elle reconnaît cette justification à une discrimination) mais elle refuse l’application à la

74 Arrêt DANNER préc. 75 Arrêt SAINT GOBAIN ZN préc. 76 D. BERLIN, préc. p.581-582. 77 Arrêt ICI préc.

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législation britannique sous le prétexte de l’absence de lien direct : « … aucun lien direct de cette nature n’existe entre, d’une part, le dégrèvement fiscal, dans le chef de la société de consortium, des pertes subies par une de ses filiales résidant au Royaume Uni et, d’autre part, l’imposition des bénéfices des filiales situées hors du Royaume Uni » (point 29).78 Nous pouvons conclure que cette jurisprudence BACHMANN questionne ; existe-t-il un risque qu’un jour, la CJCE se relâche dans son appréciation souveraine des éléments de fait et revienne à cette solution pour trancher des litiges relatifs aux entreprises ? Puisqu’elle continue de reconnaître le principe de la préservation du système fiscal, rien ne garantit qu’elle le mette toujours de côté. Sur ce point précis, la Cour a une attitude préoccupante ; bien qu’elle ne trouve aucune justification relative à cette cohérence valable pour le moment, qu’adviendrait-il si sa jurisprudence se faisait plus souple79 ? Les Etats seraient à même de demander des comptes mais comment ? Heureusement, nous n’en sommes pas là, mais le fait qu’elle rappelle systématiquement sa décision de 1992 – encore dans les arrêts METALLGESELLSCHAFT et HOECHST qui datent de 2001 – peut légitimement engager la question du devenir de ces jurisprudences antinomiques dans leurs effets. Qu’en est-il des autres motifs ? § 2 : Les motifs non pertinents et rejetés par la CJCE La Cour rejette régulièrement de nombreux arguments invoqués par les EM en restreignant au maximum les cas dans lesquels elle admet ces justifications. Nombreux sont ces motifs à laquelle notre étude va être consacrée au travers d’arrêts qui, signalons-le, en invoquaient plusieurs, paraissent intéressants du point de vue du raisonnement tenu par la Cour pour les écarter. Nous pouvons tous les regrouper sous la catégorie d’arguments purement économiques, catégorie qui ne trouve pas grâce aux yeux de la CJCE. A/ Les risques d’évasion fiscale et/ou de pertes de recettes fiscales L’évasion fiscale vise à profiter des lacunes ou imperfections de la loi fiscale pour se placer indirectement, par l’utilisation d’un procédé réel et irrégulier, de techniques juridiques, dans 78 Pour d’autres exemples de refus du motif de cohérence du système fiscal : arrêt EUROWINGS préc. en matière de LPS : à l’avantage accordé au locataire par l’absence de réintégration, ne correspondait pas une taxation corrélative de celui-ci mais du bailleur (point 42) ; arrêts METALLGESELLSCHAFT et HOECHST du 8 mars 2001 aff.C-397/98 et C-410/98, point 69. 79 Pour le moment l’affaire BACHMANN est toujours lettre morte puisque dans l’arrêt DANNER du 21 mars 2002, arrêt le plus récent de notre étude, la Cour rejette encore la justification de la cohérence du système fiscal.

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une situation plus favorable80. Quant à la perte de recettes fiscales, nous pourrions la définir comme l’attribution de celles-ci à un Etat non concerné ou bien la non imposition. Dans l’arrêt ICI, qui est un exemple de discrimination à la sortie fondée sur la nationalité, le gouvernement britannique avançait notamment comme justifications la réduction des recettes fiscales (« …qui résulterait du seul fait de l’existence de filiales non résidentes et serait lié à l’impossibilité pour le fisc britannique… », point 25) et le risque d’évasion fiscale lié à l’éventualité de transferts de charges vers le Royaume Uni et de transferts de bénéfices vers les filiales non résidentes (point 25). La Cour de juger que la « réduction des recettes fiscales ne figure pas parmi les raisons énoncées à l’art. 46 (ex 56) T et ne peut être traitée comme une RIIG pouvant être invoquée pour justifier une inégalité de traitement en principe incompatible avec l’art. 43 T » (point 28)81. Elle rejette également le motif d’évasion fiscale car la législation vise toute situation dans laquelle la majorité des filiales est hors du Royaume Uni ; or, l’établissement stable d’une société en dehors du Royaume Uni n’implique pas en soi l’évasion fiscale (point 26)82. De même, la Cour condamne le fait que la législation exige pour le dégrèvement que les filiales soient uniquement ou principalement au Royaume Uni ; or, pour un transfert de fonds, qualifié d’évasion fiscale, une seule filiale non résidente suffit. Donc cela démontre la « mauvaise foi » du gouvernement britannique (cet argument n’a aucun fondement car dans l’hypothèse d’une seule filiale non résidente, le dégrèvement aurait été accordé). Cet arrêt appelle une observation : La Cour reconnaît que pourraient être admises les mesures spécifiquement destinées à exclure d’un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la législation fiscale nationale (point 26) ; mais elle ne se prononce pas explicitement (elle admet une nouvelle RIIG). Dans l’arrêt EUROWINGS, l’on pouvait se demander s’il existait un risque d’évasion fiscale résultant, dans le chef des prestataires (irlandais), de la fiscalité peu élevée dans l’EM dans lequel ils sont établis. La Cour va utiliser une autre voie que celle empruntée dans l’arrêt ICI en jugeant simplement que ce motif « ne saurait permettre à un autre EM de justifier un traitement fiscal moins favorable des destinataires des services établis dans ce dernier Etat » (point 44). On aurait éventuellement pu penser que le fait que l’Irlande est un territoire à fiscalité privilégiée connaîtrait la même destinée que les « montages purement artificiels » mais non. Quoiqu’il en soit ces deux derniers motifs n’ont encore pas fait l’objet d’application concrète par la CJCE.

80 Définition donnée par T. LAMBERT préc. p.34. 81 Pour un autre exemple : arrêt SAINT GOBAIN ZN préc. 82 Pour un même raisonnement : arrêts METALLGESELLSCHAFT et HOECHST préc. point 57.

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Nous remarquerons, en ce qui concerne l’évasion fiscale, que la Cour a étranglé la marge de manœuvre des EM ; dorénavant, elle serait en droit de ne plus démontrer ce risque d’évasion fiscale en se référant simplement à sa décision EUROWINGS (mais elle ne l’a pas encore fait, reprenant le raisonnement de l’arrêt ICI pour les arrêts METALLGESELLSCHAFT et HOECHST, seuls arrêts postérieurs à l’arrêt EUROWINGS dans le domaine de la fiscalité des entreprises). B/ Les justifications tirées du choix de la forme juridique de l’établissement stable Ce titre peut paraître incongru, comment justifier une discrimination à l’aide du principe d’interdiction de la limitation du choix de la forme de l’établissement stable ? La remarque est intéressante et pertinente lorsque l’on sait que des Etats ont tenté d’invoquer les avantages conférés par la forme juridique particulière que sont l’agence et la succursale par rapport à une société résidente comme justification d’une discrimination. La Cour, dans un mouvement de bon sens (rien ne sert d’offrir différentes formes d’établissement stable s’il s’agit d’en invoquer un type dans la tentative de justification d’une discrimination prohibée par l’art. 43 T), va systématiquement prohiber le motif de la compensation financière entre une discrimination fiscale et un avantage fiscal. L’affaire de « l’avoir fiscal »83 a engagé le processus : « …la différence de traitement ne peut pas […] être justifiée par des avantages éventuels dont les succursales et agences bénéficieraient par rapport aux sociétés et qui […] compenseraient les désavantages résultant du refus de l’avoir fiscal » (point 21). Par là, la législation française incitait les sociétés des autres EM à s’installer sous forme de filiales en France (qui bénéficient de l’avoir fiscal) or, il s’agit d’une atteinte au libre choix de la forme de l’établissement stable. Et la Cour d’ajouter pour donner tout son poids à son refus : « à supposer même que de tels avantages existent, ils ne peuvent justifier une violation de l’obligation de traitement national ». L’exposé de la Cour est simple : l’art. 43 al 1 T, 2ème phrase offre le choix quant à la forme de l’établissement stable ; cette disposition est d’effet direct. Si un Etat connaît une législation contraire à l’art. 43 T parce que créant une distorsion, cet Etat ne peut certainement pas invoquer une justification qui aboutit en fait à limiter une liberté reconnue par le Traité. Avec l’arrêt EUROWINGS84, l’argumentation tenue en matière d’évasion fiscale peut être également utilisée ici, eu égard à l’espèce (le prestataire est établi dans un territoire à fiscalité peu élevée). L’argument de la compensation financière entre l’avantage fiscal (fiscalité peu élevée) et une discrimination fiscale (fut-elle à la sortie au détriment du destinataire puisque la législation dissuade aussi le prestataire d’offrir ses services à des sociétés allemandes) est aussi irrecevable (point 43 et 44). 83 Arrêt COMMISSION c/ FRANCE préc. 84 Arrêt EUROWINGS préc.

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Enfin, dans l’arrêt SAINT GOBAIN ZN85, les autorités allemandes ont invoqué l’absence de retenue à la source lors du rapatriement des bénéfices de son établissement stable germanique par une société non résidente. Il s’agit là d’un avantage effectif, corrélatif d’une discrimination à rebours pour les sociétés allemandes, puisque les bénéfices distribués par une filiale allemande à une société mère de même pays sont soumis à une retenue à la source. La Cour a écarté cette justification comme elle l’avait précédemment fait dans l’arrêt COMMISSION c/ FRANCE. Finalement, peu importe d’éventuelles différences positives qui ne sauraient, en tout état de cause, échapper à la censure à raison de la méconnaissance spécifique de l’art. 43 T86. Nous observons que la CJCE a décidé de ne plus rien laisser passer à travers les mailles de son filet. Dès lors qu’une législation constitue une distorsion (fondée sur une des hypothèses évoquées dans le titre premier), la Cour veut restreindre les possibilités de justifier cette législation. Il est bien sûr des cas où la Cour n’aura pu empêcher le sauvetage de la disposition (arrêts BACHMANN) mais ce cas n’a, depuis, connu aucun écho. Remarquons aussi que les positions de la Cour font peur : pour preuve les EM, dans les arrêts ROYAL BANK OF SCOTLAND et XAB YAB, n’avancent même plus de justifications, pis, ils admettent implicitement leurs erreurs. La jurisprudence de la CJCE a un effet pernicieux, au lieu d’inciter les Etats à prendre des décisions communes dans le domaine de la fiscalité directe, ceux-ci stagnent et « craignent » la Cour. Cette jurisprudence présente une rigueur extrême, mais n’existe-t-il pas une faille dans le raisonnement ? La Cour a certes pris les décisions qui s’imposaient mais avec le recul et une analyse plus fine, nous allons démontrer certaines incompréhensions issues d’un excès de zèle. 85 Arrêt SAINT GOBAIN ZN préc. 86 P. DIBOUT, « Liberté d’établissement, conventions fiscales et entreprises multinationales » préc. p 477.

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SECTION 2

Des incohérences relevées dans le raisonnement zélé de la CJCE Nous retrouvons ici tout l’intérêt des dispositions de l’art. 46 T ; selon les hypothèses de discriminations, le gouvernement concerné pourra sauver sa disposition en invoquant un type ou l’autre des motifs. En fiscalité directe, il existe une sorte de principe de séparation, la Cour devra examiner tour à tour, selon la qualification de la discrimination, telle ou telle justification, c’est-à-dire celles résultant de l’art. 46 T ou les RIIG « usuelles ». Les difficultés soulevées ici sont les suivantes : la Cour, à force de jongler entre les deux catégories de motifs selon les cas de discrimination, va finir par y perdre sa logique. § 1 : La répartition des motifs justifiant les discriminations Le nombre et la nature de ces motifs de rachat vont dépendre du caractère direct ou indirect de la discrimination en cause. Une mesure nationale discriminatoire ou restrictive des libertés reconnues par le Traité peut cependant être licite au regard du droit communautaire, soit parce qu’elle est justifiée par une disposition expresse du Traité, soit parce qu’elle répond à une exigence impérieuse d’intérêt général . Mais quels motifs pour quelles discriminations ? A/ Le principe traditionnel de distribution des motifs Rappelons qu’une discrimination ostensible est fondée sur la nationalité, en notre occurrence sur le lieu du siège de la société. Selon la jurisprudence traditionnelle, les législations qui instituent une discrimination directe fondée sur la nationalité ne peuvent être justifiées que par une disposition expresse du Traité ; seules les causes exonératoires figurant à l’art. 46 T sont éventuellement susceptibles de jouer un tel rôle (ce sont les motifs de préservation de l’ordre public, de sécurité publique et de santé publique). Rappelons qu’au sens communautaire, une mesure d’ordre public est un acte d’une autorité d’un EM, de portée générale ou individuelle, destiné à sauvegarder des intérêts essentiels de cet Etat. S’agissant d’exceptions à des règles fondamentales du Traité (art. 43 T par ex.), ces dispositions font l’objet d’une interprétation et d’une application restrictives par la CJCE. Dans nos arrêts concernés, l’incidence de ces mesures « textuelles » n’est pas dans leur application mais simplement dans leur évocation.

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Par exemple dans l’arrêt ICI, la Cour rejette le motif de la réduction des pertes fiscales sous prétexte qu’il ne fait pas partie de la liste de l’art. 46 T. Ceci est une bonne application de la distinction que nous analysons, puisque la discrimination en cause était ostensible. Toutefois, la Cour, dans ce même arrêt, a aussi analysé le risque d’évasion fiscale qui ne figure pas non plus à l’art. 46 T . Une incertitude surgit que nous analyserons dans un instant (§ 2). L’application de cet art. 46 T est restée limitée par la mise en place parallèle des exigences impérieuses d’intérêt général justifiant des restrictions aux libertés reconnues par le Traité. En présence d’une discrimination indirecte, donc fondée sur un autre critère que le siège mais qui aboutit en fait au même résultat, il est possible de la justifier par ces exigences, aussi appelées raisons impérieuses d’intérêt général (RIIG). La théorie des RIIG peut être considérée comme une création purement jurisprudentielle (encore une) dont le juge communautaire détermine à la fois l’étendue et les conditions d’application. B/ Un principe correctement mis en œuvre dans les premiers temps par la CJCE Par principe, juger une législation discriminatoire, revient à cantonner les justifications possibles aux seules excuses de l’art. 46 T, et définir une législation comme étant indirectement discriminatoire conduit à recevoir d’autres causes de justification fondées sur des RIIG développées par la jurisprudence. La Cour a-t-elle respecté ce précepte ? L’arrêt ROYAL BANK OF SCOTLAND87 est un exemple en la matière. Cette décision a condamné la législation grecque qui établissait une discrimination fondée sur le siège de la société non résidente ; étant britannique, sa succursale ne pouvait bénéficier d’un taux d’imposition réduit. La Cour est claire sur ce point et elle va également l’être sur les éventuelles justifications. Elle relève que si des motifs veulent être présentés par le gouvernement grec pour justifier la différence de traitement entre les deux catégories de sociétés, « …seule une disposition dérogatoire expresse, tel l’art. 46 T CE, pourrait rendre une telle discrimination compatible avec le droit communautaire » (point 32). Dans la mesure où le gouvernement hellénique n’a invoqué aucune des raisons de l’art. 46 T, la Cour ne s’est pas penchée plus avant sur les justifications et a condamné cette disposition (points 33 et 34). Même si cela peut paraître curieux, il faut remarquer, qu’à sa manière, l’arrêt COMMERZBANK AG88 aussi est un exemple en la matière.

87 Arrêt ROYAL BANK OF SCOTLAND préc. 88 Arrêt COMMERZBANK AG préc.

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La Cour, relevant pour la première fois le principe de discrimination indirecte, fondée ici sur le critère de la résidence fiscale, a analysé les justifications conditionnées par cette qualification. Le gouvernement britannique va effectivement avancer l’argument de la compensation financière entre une discrimination fiscale et un avantage fiscal (point 16). Mais la Cour va relever que cette justification ne peut être admise pour les raisons déjà citées auparavant (§ 2, section 1). Donc nous pouvons considérer que la Cour a également rendu un arrêt cohérent : une discrimination indirecte peut n’être exonérée que par une RIIG (c’est le cas ici)89. Malgré tout, la Cour ne peut se vanter que de ces exemples. Elle va s’affranchir rapidement – et presque systématiquement – de ce double précepte, concernant la distribution des discriminations au regard des justifications. § 2 : L’élargissement des discriminations ostensibles aux discriminations indirectes montre des signes de faiblesse Pour un rappel préliminaire, prenons l’arrêt HALLIBURTON déjà cité. La Cour constate une discrimination fondée sur la nationalité mais parle également de portée indirecte de la différence de traitement (point 20) et analyse comme justification l’efficacité des contrôles fiscaux, RIIG (que nous approfondirons ultérieurement), mais surtout, motif absent de l’art. 46 applicable ici (points 21 et 22). La Cour a un discours confus qui n’est pas dans la logique qu’elle veut mettre en place pour la fiscalité directe. Relevons les incohérences jurisprudentielles avant de nous pencher sur l’avenir d’un tel raisonnement. A/ Des arrêts démonstratifs C’est en 1998 que la Cour franchit le pas et s’enquiert des exceptions tirées de la cohérence fiscale et de l’évasion fiscale – soit des RIIG – pour justifier une mesure discriminatoire fondée sur la nationalité, prohibée par l’art. 43 T. Dans l’arrêt ICI90 où la Cour déclare qu’il s’agit d’une discrimination directe, elle reçoit également comme motif l’évasion fiscale, la réduction des recettes fiscales et la cohérence du système fiscal. Soit, elle rejette le motif de la réduction des recettes fiscales puisqu’il ne fait pas partie de la liste de l’art. 46 T, mais les deux autres motifs non plus. Et pourtant, comme nous l’avons déjà souligné, elle va analyser les situations pour ensuite rejeter ces deux RIIG. 89 Pour un autre exemple : arrêt FUTURA PARTICIPATIONS et SINGER préc. 90 Arrêt ICI préc.

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Ce raisonnement de la Cour est illogique et inquiétant car la Cour s’inspire du double précepte (§ 1) mis en place par elle, pour le motif des recettes fiscales, mais elle le met sciemment de côté pour les deux autres justifications, et ceci dans une même affaire. La Cour montre là un grand signe de faiblesse, d’indécision, ce qui est exactement le contraire de ce qu’elle veut élaborer dans notre domaine. Dans la mesure où elle pallie les EM et les institutions communautaires, tout ceci dans une « légalité parallèle », elle ne peut pas rendre des arrêts confus comme l’arrêt ICI au risque de perdre toute crédibilité et toute légitimité, ce qui serait dommage quand l’on voit par ailleurs les progrès qu’elle a accomplis en fiscalité des bénéfices. Nous pouvons continuer notre démonstration avec l’arrêt SAINT GOBAIN ZN91 ; la Cour n’admet pas que les conventions fiscales bilatérales constituent des justifications aux discriminations relevées. Or, rappelons que la Cour accepte de statuer sur l’existence d’une discrimination en tenant compte du droit conventionnel. Elle s’appuie ainsi sur ce dernier pour prouver qu’il existe bien une différence de traitement fiscal entre filiale et succursale, contraire à l’art. 43 T92. Dans cette affaire relative à une discrimination directe fondée sur la nationalité, la Cour fait encore une fois l’amalgame entre les motifs de l’art.46 T (ceux-là mêmes qui auraient pu justifier la législation allemande) et les RIIG. Enfin, pour être complet et à la page, citons les arrêts METALLGESELLSCHAFT et HOECHST93 ; dans cette affaire, il est question d’une législation qui interdit à des filiales britanniques de groupes étrangers d’opter pour un régime d’imposition réservé aux sociétés mères et filiales résidant au Royaume Uni. Cette disposition (qui fait subir aux filiales de sociétés étrangères un préjudice de trésorerie) prend en compte le lieu du siège de la société mère, puisque si la mère était britannique, elle aurait bénéficié du régime d’imposition de groupe. Il s’agit ici d’une discrimination directe puisque fondée sur la nationalité de la société mère ; en tant que telle, elle ne peut être justifiée qu’avec les motifs cités à l’art. 46 T. Or, ce n’est pas le cas, la Cour s’est enquise des motifs d’évasion fiscale, de pertes financières et de cohérence du système fiscal (points 57, 59 et 69). Bien qu’aucun n’ait reçu application (et la Cour a censuré la législation britannique), la Cour continue dans sa confusion. B/ Le devenir d’une telle jurisprudence, certes très extensive, mais indécise Compte tenu de l’importance fondamentale de la question de savoir si des mesures directement discriminatoires peuvent être justifiées par des motifs qui ne figurent pas expressément dans le Traité, la Cour devrait préciser sa position afin de garantir la sécurité juridique nécessaire.

91 Arrêt SAINT GOBAIN ZN préc. 92 M. LUBY préc. p.6. 93 Arrêts METALLGESELLSCHAFT et HOECHST préc.

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Les juridictions nationales, les plaignants, les gouvernements des EM, les institutions et les citoyens de manière générale ont besoin de tels éclaircissements et de sécurité juridique. Ce type d’incertitude est susceptible de causer des dommages économiques substantiels aux gouvernements, aux entreprises et aux citoyens94. La Cour statue indifféremment tantôt au nom de l’art. 46 T, tantôt à l’aide de sa jurisprudence sur les RIIG. « Comme si, indifférente au principe de prévisibilité juridique, elle s’attachait à récuser de manière systématique toute justification avancée »95 (aucune justification n’est admise dans 95 % des cas). Cette démarche, un peu maladroite mais aux effets dans le droit fil de la construction prétorienne d’une fiscalité directe sans frontières, a des partisans. Certains voient dans celle-ci la prise en considération des objectifs légitimes des Etats sur lesquels elle exerce un pouvoir de censure. Pour M. HUGLO96, la confusion entre les justifications est une bonne chose car « …alors qu’il est parfois de toute façon difficile de qualifier la législation nationale de discriminatoire ou d’indistinctement applicable, l’EM concerné acceptera plus facilement la décision de la Cour si celle-ci a examiné toutes les justifications avancées, même si elle les rejette en jugeant que les raisons invoquées ou ne constituent pas des RIIG [ou ne franchissent pas les tests de nécessité et de proportionnalité ], que si la Cour écarte du revers de la main les arguments présentés par le gouvernement au motif qu’ils ne figurent pas parmi la liste très restreinte de l’art. 46 T CE ». Nous ne savons pas s’il faut se réjouir ou non de cet examen élargi ; même si les EM voient leur souveraineté fiscale mise à mal de la manière la plus délicate qu’il soit, il n’ est pas certain que la lettre du Traité soit respectée. La Cour n’est pas en droit d’accommoder les dispositions du Traité aux susceptibilités des gouvernements. Le Traité est une norme supérieure et si la Cour veut aménager, avec évidemment l’aval des institutions, les dispositions de l’art. 46 T, une éventuelle modification du Traité serait à envisager. Celle-ci pourrait se concrétiser sans difficulté dans la mesure où les EM seraient unanimement d’accord (en effet, il s’agirait en théorie d’admettre plus largement [et plus officiellement] des dérogations au principe de libre circulation des entreprises). Il nous semble que cette jurisprudence ne peut qu’être source d’incompréhension de la part des gouvernements et des justiciables. Si la Cour s’en tenait au distinguo art. 46 T - RIIG, son travail en serait facilité. Même si les Etats invoquaient des RIIG en cas de discrimination directe, la Cour n’aurait qu’à brandir les dispositions de l’art. 46 T. Même s’il peut parfois être difficile de classer la disposition dans la catégorie des discriminations directes ou indirectes, dans nos arrêts, cette difficulté se rencontre peu.

94 Concl. de F. G. JACOBS à propos de l’arrêt DANNER préc. (points 37 et 39). 95 M. LUBY préc. p.7. 96 J.-G. HUGLO préc. p.728.

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Et quand bien même, le principe de répartition des motifs de justification est une création de la Cour. N’est-ce pas un peu hypocrite et gênant que la Cour contrevienne à un principe qu’elle a elle-même crée ? Pour que le travail de la Cour soit pris au sérieux et, espérons-le, suivi plus tard par les EM, il doit être clair et sans ambiguïté. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. Le principe de subsidiarité, à la fois méthode de construction communautaire et enjeu politique, conduit à considérer que l’Union n’agit que lorsque son action est plus efficace qu’une action au niveau national, régional ou local97. Nous mesurons là toute l’importance d’un éclaircissement de la jurisprudence de la CJCE. Mais une autre innovation prétorienne va peut-être permettre de calmer les esprits. Celle-ci relève du droit communautaire mais l’on pourra relever sa comparaison avec des concepts nationaux voisins. 97 T. LAMBERT préc. p.34.

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CHAPITRE SECOND

L’OCTROI PAR LA CJCE D’UN CONTROLE DE PROPORTIONNALITE DANS LE DOMAINE TRES RESERVE DE LA FISCALITE DIRECTE

Nous retrouvons ici l’analogie avec le contrôle d’adéquation exercé par le juge administratif français sur la légalité d’une mesure de police administrative portant atteinte à une liberté fondamentale. Du point de vue communautaire, il s’agit d’un principe dégagé par la CJCE qui limite l’intervention des autorités communautaires et celles des EM en leur imposant de mettre en œuvre des moyens appropriés à l’objectif à atteindre98. Si un des motifs de justification de la disposition discriminatoire est recevable, la Cour va encore exercer dessus un tel contrôle ; la boucle, après, sera bouclée, l’emprise de la Cour sur la qualification de la discrimination sera totale puisqu’elle portera sur toutes les phases du processus.

SECTION 1

Le cadre du contrôle de proportionnalité et l’innovation prétorienne qui en a été faite Ce contrôle est exercé de façon très poussée dès lors que la Cour admet dans son principe un motif justifiant la discrimination. § 1 : Le champ d’application matériel du contrôle A/ La nature du contrôle de proportionnalité Le contrôle de proportionnalité va consister, a priori, à interpréter une mesure nationale, dans notre cas discriminatoire, au regard des libertés de circulation. A cet égard, la Cour retient une vision large de sa fonction, en considérant qu’il lui appartient de préciser le champ d’application de la norme mais aussi d’en déterminer les effets. Dans son sens premier, la Cour interprète une mesure nationale au regard d’une norme, dans notre cas, d’effet direct (sauf en liberté de circulation des capitaux).

98 Cornu, p.685 « proportionnalité ».

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S’il est vrai que le juge communautaire a pour mission de délivrer une interprétation objective et abstraite, il n’en demeure pas moins que la réponse de la Cour doit être « utile » pour le juge national afin de trancher le litige. C’est la raison pour laquelle la Cour situe son raisonnement interprétatif dans le contexte de droit et de fait qui a été à l’origine de la question99. Ajoutons que la mission primordiale de la CJCE en matière préjudicielle (tous nos arrêts sauf l’affaire de « l’avoir fiscal ») n’est pas de trancher des affaires particulières sur la base de faits subtilement nuancés, ni de résoudre le problème que pose un cas d’espèce à la juridiction nationale, mais de dire clairement et avec cohérence, au profit de tous les ressortissants de la Communauté, ce qu’est le droit, et de rendre des arrêts de portée générale. En transposant ces constatations au domaine de la fiscalité directe, la Cour, en s’octroyant un tel contrôle, va créer un nouveau schéma jurisprudentiel. Celui-ci va consister à reconnaître à la Cour un pouvoir d’apprécier les motifs recevables – après un sévère filtrage (chapitre 1) – pour justifier une disposition fiscale discriminatoire, disposition relevant encore et toujours de la souveraineté nationale des EM. L’avancée ici est primordiale ; pour compléter tout le dispositif prétorien mis en place jusqu’ici, il fallait admettre un tel contrôle. Ceci n’est pas aberrant, compte tenu de la connaissance d’un tel contrôle en droit français. Ce contrôle de proportionnalité, en principe, ne va pas spécialement à l’encontre des EM puisqu’il va au contraire, éventuellement, permettre de ne pas censurer une disposition pourtant contraire au Traité (dans son principe seulement, car il est vrai que ce contrôle a abouti à rejeter toutes justifications hormis en 1992 dans l’affaire BACHMANN100). Concrètement, la Cour va rechercher si des mesures moins restrictives de la liberté communautaire auraient pu assurer la protection de l’intérêt général invoqué par l’EM. Ce contrôle est une création prétorienne, inspiré certes, mais dans quels cas le rencontrons- nous ? B/ Le terrain d’élection privilégié de ce contrôle La disposition qui va faire l’objet de ce contrôle peut être justifiée par deux séries de motifs selon la qualification de la discrimination. Si la justification admise par la CJCE est issue de l’art. 46 T (motifs d’ordre public, de santé publique et de sécurité publique), il va être relativement difficile de mettre en place un contrôle de proportionnalité sur une disposition justifiée par un motif exprès du Traité. D’ailleurs, aucune décision relative à notre domaine n’opère de contrôle sur un tel motif. Il serait quand même anormal de découvrir dans le paysage communautaire des décisions (censurant ou non) justifiées par le Traité lui-même mais soumis à un contrôle d’origine jurisprudentielle. 99 D. SIMON préc. p.695. 100 Arrêts BACHMANN préc.

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Si les EM doivent respecter le droit communautaire, la CJCE n’en n’est pas exempte non plus. Qu’en est-il des RIIG ? Quant à l’existence de conventions fiscales bilatérales, il apparaît difficile de les soumettre à un tel contrôle sans en dénaturer le contenu. En ce qui concerne le motif de compensation financière, tout comme celui du risque de l’évasion fiscale et de la perte de recettes fiscales, il n’y a pas lieu d’évoquer le contrôle de proportionnalité dans la mesure où ces motifs n’ont jamais été considérés comme pertinents aux yeux de la Cour. Or, un tel contrôle n’est possible que lorsque la Cour admet dans son principe l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général. Que nous reste-t-il ? Il subsiste le motif de l’efficacité des contrôles fiscaux et celui de la cohérence du système fiscal qui, bien que jamais reçu par la Cour depuis 1992, reste admis dans son principe. Quelles applications de ce contrôle la Cour a-t-elle effectuées ? § 2 : Une évolution d’envergure entre l’arrêt HALLIBURTON SERVICES BV et l’arrêt FUTURA et SINGER en matière de liberté d’établissement A/ L’arrêt HALLIBURTON SERVICES BV101 Dans cette affaire il était question d’une exonération d’impôt sur les transactions immobilières réservée au cas où le cédant est une société nationale. Plus précisément, la législation néerlandaise réserve les exonérations de l’impôt sur les transactions au sein d’un groupe de sociétés aux seuls cas où la société assujettie acquiert des biens immeubles auprès d’une société constituée conformément au droit national et refuse cet avantage lorsque la société aliénatrice est constituée selon le droit d’un autre EM. Lors d’une réorganisation du groupe, la société allemande a cédé son établissement stable des Pays Bas à une filiale néerlandaise ; comme la filiale venderesse est allemande, l’exonération est refusée. Cet arrêt reconnaît une discrimination selon la nationalité de la filiale, même si, comme nous l’avons précédemment signalé, la Cour a un discours embrouillé (point 20). Le gouvernement néerlandais avance comme argument l’efficacité des contrôles fiscaux (qui, soit dit en passant, ne devrait pas être recevable puisqu’elle ne figure pas dans la liste de l’art. 46 T) : « …l’administration fiscale compétente est dans l’incapacité de contrôler l’équivalence entre les formes juridiques des autres EM et (celles des Pays Bas) » (point 21).

101 Arrêt HALLIBURTON SERVICES BV préc.

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La Cour va exercer son contrôle de proportionnalité en recherchant s’il n’existe pas d’autre moyens de satisfaire à l’efficacité des contrôles fiscaux. Elle va rejeter l’argument néerlandais en brandissant la Directive 77/799/CEE du 19 décembre 1977 concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des EM dans le domaine des impôts indirects et directs : « …ce système permet l’échange d’informations relatives aux taxes sur l’aliénation de biens meubles ou immeubles » (point 23). Donc, un système moins restrictif existe et la Cour a, après avoir vérifié la proportionnalité (et la nécessité) de la mesure néerlandaise à la situation en cause, censuré cette disposition. La Cour admet donc dans son principe la justification tirée de l’efficacité des contrôles fiscaux, qui est de manière générale considérée comme un motif susceptible de justifier une restriction à l’exercice des libertés garanties par le Traité depuis l’arrêt « CASSIS DE DIJON » (CJCE 20 février 1979 120/78 REWE ZENTRAL), mais sous réserve d’un contrôle de proportionnalité. L’on saisit bien la démarche de la Cour : elle reconnaît des RIIG (qu’elle a elle-même mis en place) et pour pouvoir les refuser sans froisser (soyons honnêtes), elle s’octroie un contrôle de proportionnalité. Sous couvert de ce contrôle, elle légitime ses censures. Mais si ce contrôle, dans l’arrêt HALLIBURTON, ne se réfère qu’à un texte communautaire, il va évoluer. B/ L’approche efficace de la CJCE dans l’arrêt FUTURA PARTICIPATIONS et SINGER Dans cette affaire, la législation en cause conditionnait le report des pertes d’une succursale d’une société française établie au Luxembourg à la tenue d’une comptabilité régulière au regard de la législation luxembourgeoise et conservée dans cet Etat. Cette disposition est une discrimination indirecte fondée sur la comptabilité mais aboutissant en fait à prendre en compte la nationalité (le siège). Le gouvernement luxembourgeois invoque l’efficacité des contrôles fiscaux pour justifier sa législation (points 27, 28 et 29). La Cour rappelle le principe d’admission de cette RIIG (point 31) et elle va exercer son contrôle de proportionnalité et l’accroître. Comme dans l’arrêt HALLIBURTON, elle va estimer que la Directive de 1977 permet l’efficacité des contrôles fiscaux (mesure moins restrictive) puisqu’elle permet aux EM d’obtenir tout renseignement qui s’avère nécessaire à l’établissement de l’impôt d’un contribuable (point 30). L’empiètement jurisprudentiel et l’élargissement du contrôle va se concrétiser par la recherche de solutions concrètes moins restrictives de la liberté communautaire.

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Dans l’arrêt FUTURA, la Cour va donner comme exemple de solution la détermination des pertes reportables par débat contradictoire et assistance administrative. La Cour estime que les autorités luxembourgeoises doivent simplement savoir de façon claire et précise si le montant des pertes correspond aux pertes effectivement subies. La législation relative à la comptabilité est trop restrictive : pour la Cour « …il n’est pas indispensable que les moyens par lesquels le contribuable non résident est autorisé à démontrer le montant des pertes dont il demande le report, soient limités à ceux prévus par la législation luxembourgeoise » (point 40). Et la Cour de censurer la disposition non proportionnée (point 43). Pour compléter cette évolution, reprenons l’affaire BACHMANN qui, dans son domaine (LPS des travailleurs personnes physiques), avait déjà appliqué le courant évolutif ; l’efficacité des contrôles fiscaux a été rejetée après un contrôle de proportionnalité combinée à la directive de 1977102. La Cour va ici aussi avancer un exemple de solution (la possibilité d’exiger des justificatifs de la part du contribuable, point 20)103. En ce qui concerne l’argument de la cohérence du système fiscal, la Cour n’invoque pas la Directive et va donc uniquement rechercher une autre solution moins restrictive pour assurer cette cohérence : c’est parce que la recherche a été infructueuse que la discrimination a été acceptée, justifiée par la cohérence du système fiscal. Dans l’arrêt DANNER, analogue dans les faits à l’affaire BACHMANN, la Cour a avancé une solution moins restrictive (mécanisme de récupération, point 57) mais peut être avec moins de certitude que pour les autre arrêts. Malgré tout, ceci pourrait donner l’impression d’un repentir de la part de la Cour, que sa décision BACHMANN était une erreur, mais rien ne le certifie. Le contrôle de proportionnalité, transposition prétorienne d’un principe connu des droits nationaux, apparaît bien exploité par la Cour qui l’a admis positivement dans l’affaire BACHMANN. Mais n’est-ce pas peu, une discrimination accueillie en quinze ans ? Certes, ceci répond à l’objectif de créer un marché intérieur sans entraves, sans discriminations. Ce contrôle va être systématique dorénavant dans les cas où des RIIG sont admises par la Cour.

102 Idem dans l’arrêt DANNER préc., point 66. 103 Idem dans l’arrêt DANNER préc., où la Cour donne aussi une solution moins restrictive que l’élimination de facto de toutes les prestations d’assurances retraite transfrontalières, points 70 à 74.

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SECTION 2

La consécration du contrôle de proportionnalité et sa portée Ce contrôle va permettre à la Cour de conserver son emprise sur les discriminations fiscales interdites par le Traité et qui ne manqueront pas de foisonner lors de l’élargissement, à terme, de l’UE. Admettre la proportionnalité (et la nécessité), dans un domaine où la Cour a officiellement une compétence limitée (compétence qu’elle s’est efforcée d’accroître pour le bien de tout le monde, même si les EM se sentent brimés) ne peut qu’être gage de neutralité et d’efficacité. Mais qu’en est-il dans les faits ? § 1 : L’admission habituelle, ancrée de ce contrôle On ne retrouve pas ce contrôle dans tous les arrêts postérieurs, car il faut, en amont, que la condition de l’admission de principe d’une RIIG soit remplie. La Cour a donc un raisonnement posé. Ce n’est pas parce qu’elle a développé un contrôle de proportionnalité qu’elle va pour autant admettre plus de RIIG, pour le plaisir de vérifier cette proportionnalité et cette nécessité. A/ L’arrêt JESSICA SAFIR ou la spécificité de la prévention d’un vide fiscal Dans l’affaire, la Cour a condamné une discrimination à la sortie et le gouvernement suédois avançait comme justification à cette disposition discriminatoire la prévention d’un « vide fiscal qui résulterait de la non taxation de l’épargne sous forme d’assurances-vie en capital investies dans des compagnies non établies en Suède » (point 24). La Cour semble admettre cette RIIG puisqu’elle va exercer sur ce motif son contrôle de proportionnalité au champ d’application de plus en plus large. La Cour ne nie pas que le respect de LPS puisse comporter pour les Etats des risques qu’ils puissent compenser. Mais la Cour va, après un contrôle poussé, rejeter le bien-fondé de l’argument du vide fiscal en le jugeant disproportionné. Les restrictions apportées par le gouvernement suédois au principe de LPS ont paru excessives. Comme le souligne l’Avocat Général M. TESAURO104, le gouvernement suédois pourrait préserver la neutralité concurrentielle entre compagnies, en empruntant des mesures

104 Concl. de l’arrêt JESSICA SAFIR préc. p.57.

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assurément moins restrictives de la LPS et, en même temps, respectueuses du principe de territorialité fiscale. Et la Cour de signaler comme exemple « un système d’impôt sur le rendement du capital de l’assurance-vie calculée de manière forfaitaire applicable de la même manière à toutes les assurances, qu’elles soient souscrites auprès de compagnies établies dans l’EM concerné ou dans un autre EM » (point 33). Cette décision apporte un éclairage, le contrôle de proportionnalité est désormais ancré dans les esprits. La Cour de Luxembourg déterminera au cas par cas le point d’équilibre entre le respect nécessaire de la LPS et les risques fiscaux qu’elle comporte pour les EM. B/ L’arrêt BAXTER et autres Dans cette affaire, où la Cour déclare contraire au Traité la législation française instaurant une discrimination fondée sur la localisation des dépenses de recherche mais aboutit en fait à une discrimination selon le siège de la société, le gouvernement français invoque le motif de l’efficacité des contrôles fiscaux comme justification : « …la limitation de la déductibilité des dépenses de recherche (…) serait indispensable pour que les autorités fiscales soient en mesure de vérifier la réalité et la nature des dépenses de recherche engagées » (point 16). Si la Commission invoque la Directive 78/660/CEE du 25 juillet 1978 et la 7ème Directive 83/349/CEE du 13 juin 1983, celles-ci ne sont pas les véritables causes de la censure de la disposition française. La Cour reconnaît là un motif susceptible de justifier une restriction à l’exercice de l’activité du droit d’établissement ; mais « elle répugne à ce qu’une législation empêche de manière absolue les entreprises non résidentes de fournir les données utiles aux contrôles et vérifications »105. Elle va effectivement, après avoir exercé son contrôle de proportionnalité, rejeter et censurer la disposition française : « …il ne saurait être exclu a priori que le contribuable soit en mesure de fournir des pièces justificatives pertinentes permettant aux autorités fiscales de l’EM d’imposition de vérifier de façon claire et précise la réalité et la nature des dépenses de recherche engagées dans d’autres EM (parallèle avec l’arrêt FUTURA et SINGER) » (point 20). Selon M. BERLIN106, « une législation qui nie, dans son principe, le droit des non résidents à bénéficier d’un avantage fiscal ne saurait être justifiée au titre de l’efficacité des contrôles fiscaux ». 105 M. LUBY préc. p. 7. 106 Note sous l’arrêt BAXTER et autres, Joly S. mars 2000 p.275.

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§ 2 : La portée de la reconnaissance d’un tel contrôle en fiscalité des entreprises La portée de ce contrôle appelle quelques observations : En fournissant des exemples de mesures moins restrictives, la Cour fait preuve de précision et va au-delà de la motivation des décisions des juges français. Nous pourrions peut être voir dans le contrôle de proportionnalité un contrepoids aux incohérences relevées en matière de répartition des motifs (section 2, chapitre 1 du titre second), du moins quand elle les admet. La Cour sait que son raisonnement est confus, elle va donc tenter de régulariser la situation à l’aide du contrôle de proportionnalité. Rejetant systématiquement les motifs recevables après le contrôle, elle remet les choses en place : les effets seront alors les mêmes que si la Cour avait rejeté les motifs impérieux d’intérêt général puisque absents de l’art. 46 T : la censure. Comment apprécier un contrôle de proportionnalité, exercé par la CJCE, dans une matière où les EM ont conservé leur souveraineté nationale ? Ce contrôle n’opère ni plus ni moins une appréciation et une interprétation de dispositions a priori hors de la sphère de compétence de la Cour. Soit, notre étude a montré les extensions jurisprudentielles apportées et appréciées en majeure partie, mais jusqu’où le contrôle de proportionnalité est-il admissible ? Le contrôle de proportionnalité est, jusqu’ici, utilement et correctement exercé par la Cour. Il semble qu’il ne faut pas s’inquiéter outre mesure de cette prérogative, sinon exorbitante, importante et efficace. Toutefois, si l’on laisse à la Cour un tel pouvoir sur des dispositions relevant du principe de subsidiarité, il serait plus sécurisant d’y apporter un encadrement ; en bref il serait dans la logique de la sécurité juridique de contrôler le contrôle de proportionnalité de la Cour. Mais comment ? Existe-t-il, comme en droit français, un recours en révision ? Une solution est peut être à trouver dans les hypothétiques recours contre les décisions préjudicielles. Rappelons que dans les arrêts préjudiciels (nous n’étudierons pas les arrêts de manquement : bien que l’affaire de « l’avoir fiscal » en soit un, la Cour n’a exercé aucun contrôle de proportionnalité donc une telle étude n’est pas appropriée ici), la Cour « dit pour droit ». Le juge national (dans l’hypothèse d’arrêts interprétatifs, en l’occurrence nos hypothèses) est lié par l’interprétation donnée par la Cour, aucune juridiction nationale ne peut adopter une autre interprétation qui serait incompatible avec la signification et la portée du droit communautaire telles qu’établies par l’arrêt de la Cour. L’autorité reconnue ainsi aux arrêts interprétatifs se rapproche bien davantage de la règle anglo-saxonne de « stare decisis » et du mécanisme des « précédents » que d’une conception classique de l’autorité de chose jugée. Cependant, le juge national conserve la faculté de saisir la Cour d’un nouveau renvoi préjudiciel.

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Mais ceci n’arrange pas nos affaires, il ne s’agit pas d’un recours, la Cour peut très bien reprendre le raisonnement antérieur. Il n’existe alors pas de contrôle du contrôle de proportionnalité. Tout au plus est-il admis une procédure exceptionnelle de révision d’arrêt prévue à l’art.44 T (dans la version adoptée à Nice en décembre 2000) qui dispose que « la révision ne peut être demandée qu’en raison de la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l’arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision ». Vraisemblablement, demander à la Cour de revenir sur sa décision parce que l’on considère que son contrôle de proportionnalité a été utilisé à mauvais escient paraît impossible sur la base d’un recours. Il faudrait que les statuts de la Cour soient redéfinis et prennent en compte ce contrôle particulier puisque relatif à une matière ne relevant pas de la Communauté. Ou bien, il faudrait une évolution (une révolution ?) dans la construction d’une Union Européenne fiscale. Nous en revenons donc toujours au même constat. Il est facile de reconnaître des faiblesses à la création prétorienne du contrôle de proportionnalité (comme des incohérences examinées plus hauts) ; mais celui-ci a permis de mettre à découvert l’inertie et la mauvaise volonté des EM à chercher une Union.

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CONCLUSION Nous l’aurons compris, la CJCE apporte sa pierre à l’édifice fiscal européen. Elle tente, par une approche évolutive et volontariste, de faire le ménage dans les dispositions nationales des EM afin de préparer le terrain aux négociations. C’est du moins ce qu’elle désire. Nous avons axé notre étude sur la liberté d’établissement et la liberté de PS, mais nous avons également parfois dévié vers d’autres libertés, pour remarquer que le travail de la Cour était complet, souvent envahissant, mais nécessaire. La Cour a développé une jurisprudence plus incisive mais souvent à l’aide de concepts traditionnels ; « cette recherche de cohérence des raisonnements appliquée aux différentes libertés de circulation est le signe que ce régime fait appel à des principes généraux comparables à ceux des droits nationaux : liberté, égalité, proportionnalité, cohérence »107. Il serait difficile dans ce cas de mettre en doute la validité de certaines décisions, dont le résultat est parfois inspiré des droits nationaux. Mais ce mode d’harmonisation, ou plutôt de coordination, présente toutefois l’inconvénient de dépendre au cas par cas d’intervention, soit des contribuables auprès des juridictions des EM, qui s’en remettent souvent à la Cour par la voie de la question préjudicielle, soit de la Commission par la voie du recours en manquement. Certes il s’agit d’un inconvénient, mais il ne faut pas permettre à la Cour de se saisir d’office dans ce domaine tant que les EM n’auront pas abandonné leur souveraineté fiscale. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? La première chose qui nous vient à l’esprit est qu’il n’y a eu aucun bouleversement, au niveau des EM comme à celui du Conseil. Par contre la Commission a avancé dans ce chantier ; la Communication du 23 octobre 2001 expose les vues de la Commission sur les actions qu’il est nécessaire – et réaliste – d’engager dans le domaine de la fiscalité des sociétés dans l’UE au cours des toutes prochaines années, l’objectif étant d’adapter la fiscalité des entreprises dans l’UE au nouvel environnement économique et de renforcer l’efficacité du Marché intérieur grâce à la suppression des entraves fiscales internes. Mais il ne s’agit que d’une communication qui n’a donc aucune force obligatoire contraignante sur les EM qui tiennent à leur souveraineté en matière de fiscalité des entreprises. Il semble que l’impact d’une telle communication soit fortement à relativiser. En effet, la dernière étude générale sur la fiscalité des entreprises dans la Communauté Européenne fut le

107 P. MARTIN préc., p. 1448.

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Rapport RUDING108 de 1992 qui n’eut, nous en avons la preuve concrète, qu’un écho limité, ce qui montre la difficulté à faire évoluer les choses et les mentalités dans ce domaine109. Les Directives du 23 juillet 1990 et la Convention relative à l’élimination des doubles impositions du même jour ont certes eu une incidence positive sur la matière, mais une incidence minime. S’il est presque unanimement reconnu que les Directives ont joué un rôle majeur dans le démantèlement d’entraves fiscales dont pâtissaient les groupes de sociétés au sein de l’UE, il n’en reste pas moins que certaines de ces entraves ont subsisté, pour preuve les arrêts ICI et XAB YAB. De même, concernant le réseau des traités en matière de double imposition, ces conventions fiscales devraient être améliorées pour mieux respecter les principes du Marché intérieur et il faudrait assurer une meilleure coordination des politiques pour les conventions conclues avec des pays tiers. Mais aucune décision contraignante n’est pour le moment à l’ordre du jour dans ces divers thèmes. C’est dire si l’édifice est loin d’être construit. Il faut aussi préciser qu’une harmonisation fiscale ne passe pas forcément par un transfert complet des compétences des EM vers la Communauté, il faudrait peut être envisager une compétence concurrente, partagée sur certains points. Il faudrait certainement aussi revoir la règle de l’unanimité qui ne peut que bloquer le processus d’harmonisation fiscale. Selon M. BACCI110, « si cette règle est maintenue, il n’y aura aucune harmonisation ». Imaginons lorsque l’UE sera élargie. Il n’est pas possible de contenter tout le monde dans tous les détails, encore moins en ce qui concerne la fiscalité des entreprises, donc ce point devra indéniablement être discuté au niveau des institutions communautaires. Sans initiative portant sur les régimes d’imposition des sociétés, le potentiel économique du Marché intérieur ne pourra pas être pleinement exploité et la Communauté et ses citoyens (y compris les entreprises) risquent de devoir renoncer à certains de ses effets bénéfiques en termes de croissance, d’emploi et de niveau de vie. L’adoption récente du règlement CE portant statut de la Société Européenne (SE) du 8 octobre 2001 rénovera-t-elle le sort des entreprises multinationales, permettant à chaque opérateur économique de choisir objectivement une forme d’établissement secondaire ? Les avantages découlant de la création d’une SE ne peuvent se concrétiser que si les entreprises peuvent opter pour cette structure sans encourir des coûts fiscaux supplémentaires pour la constitution de la société et si certains des obstacles fiscaux actuels entravant l’extension des activités à plus d’un EM sont supprimés.

108 Rapport RUDING in « L’harmonisation européenne de la fiscalité directe des entreprises » ; DF 1993 n°13 p.624. 109 « Vers un Marché intérieur sans entraves fiscales » ; Rev. DF 2001 n°51. 110 Interview de B. BACCI, LPA n°153 23/12/98 p.35.

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Mais nous pouvons douter du succès de la SE puisque le droit fiscal, comme le droit du travail, de la concurrence, la propriété intellectuelle et le droit de la faillite sont abandonnés aux droits nationaux. Donc aucun progrès palpable n’est véritablement accompli en fiscalité avec la SE. Il s’agit d’une avancée intéressante mais la « révolution » de la SE ne verra le jour qu’avec un début de coordination entre les EM, ce qui, nous l’avons signalé plus haut, va prendre du temps. Enfin, citons un phénomène qui incitera peut être une évolution. Les principes mis en exergue par la CJCE dans son œuvre prétorienne ont une portée bien plus importante qu’on ne l’imagine. La CEDH adopte une jurisprudence complémentaire avec celle de la CJCE à propos de l’harmonisation progressive des fiscalités européennes. « La CEDH participe à l’érosion de la souveraineté fiscale des EM, contribuant ainsi, bien que lentement, à l’harmonisation et la coordination des régimes fiscaux nationaux »111. Là où la CJCE ébranle les règles établies par une jurisprudence active, la CEDH s’intéresse à l’harmonisation des procédures d’imposition et de contrôle. Là où la CJCE protège des libertés économiques, la CEDH protège essentiellement des droits civils et politiques. Enfin, là où la CJCE s’intéresse principalement aux contribuables ressortissants communautaires en situation de déplacement, la CEDH se consacre à la protection des droits fondamentaux de tous les contribuables. Le champ d’application de ces deux juridictions tend donc à circonscrire toute violation des libertés, quelque soient leur nature. Il semble donc possible de conclure à un avenir sous de meilleurs cieux en matière de fiscalité des entreprises, mais le précepte italien « chi va piano, va sano » est approprié ici, à n’en pas douter.

111 E. MIGNON préc. p.66.

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��CJCE ROYAL BANK OF SCOTLAND plc du 29 avril 1999 aff.C-311/97, Conclusions

de l’Avocat Général S. ALBER, Rec. I p. 2651. ��CJCE SOCIETE BAXTER ET AUTRES du 8 juillet 1999 aff.C-254/97, Rec. I, p.4809 et

Commentaires D. BERLIN, Joly S. §55 p.267 et s. ��CJCE COMPAGNIE SAINT GOBAIN ZN du 21 septembre 1999 aff. C-307/97,

Conclusions de l’Avocat Général J. MISCHO, Rec. I, p.6161. ��CJCE EUROWINGS LUFTVERKEHRS AG du 26 octobre 1999 aff.C-294/97, Rec. I, p.

7465 et Observations anonymes, DF 2000 n°13 p. 572. ��CJCE X AB Y AB du 18 novembre 1999 aff..C-200/98, Conclusions de l’Avocat Général

A. SAGGIO, Rec. I, p.8261, et Observations anonymes, RJF 2/00 n°313. ��CJCE METALLGESELLSCHAFT LTD du 8 mars 2001 aff.C-397/98 et HOECHST AG

aff.C-410/98, Conclusions de l’Avocat Général N. FENELLY, Rec. I, p.1727. ��CJCE ROLF DIETER DANNER du 21 mars 2002 aff.C-136/00 ; Conclusions de

l’Avocat Général F. G. JACOBS.

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TABLE DES MATIERES LISTE DES ABREVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES..............................................4 INTRODUCTION ....................................................................................................................5

TITRE PREMIER : LE CONTROLE ACCRU DE L’APPLICATION DU PRINCIPE DU TRAITEMENT NATIONAL PAR LA CJCE ..............................................................11

CHAPITRE PREMIER : UN ELARGISSEMENT DES HYPOTHESES D’EXAMEN DE COMPATIBILITE (AVEC LE TRAITE) PAR LA CJCE DES DISPOSITIONS NATIONALES......................................................................................................................14

SECTION 1 : Les discriminations ostensibles déjà sous l’emprise de l’examen de la CJCE et complétées par des discriminations fondées « sur d’autres critères que la nationalité mais qui aboutissent en fait au même résultat » ............................................................................14

§ 1 : Le refus de l’égalité de traitement en raison de la nationalité, un argument contraire au Traité...........................................................................................................15

A/ Les distorsions ostensibles selon la nationalité déjà censurées sur le fondement d’autres libertés fondamentales de circulation ...............................................................15

B/ L’assimilation du siège à la nationalité pour le cas particulier du droit d’établissement des sociétés ...........................................................................................16

§ 2 : Le travail accompli par la CJCE quant aux critères retenus, hormis le siège ........17

A/ L’arrêt précurseur de la CJCE à un mouvement de reconnaissance des distorsions « indirectes »...................................................................................................................18

B/ Un arrêt consacré depuis lors par la CJCE sur d’autres critères pertinents ...............18

SECTION 2 : La prise en compte des discriminations à la sortie, un second empiètement jurisprudentiel sur la souveraineté fiscale des Etats membres ..............................................21

§ 1 : Les discriminations à la sortie relevées en droit des sociétés.................................21

A/ L’affaire IMPERIAL CHEMICAL INDUSTRIES (ICI) ..........................................21

B/ L’arrêt XAB YAB, la confirmation par la CJCE de sa jurisprudence extensive.......22

§ 2 : Les discriminations à la sortie relevées en LPS .....................................................23

A/ L’arrêt JESSICA SAFIR ...........................................................................................23

B/ L’arrêt EUROWINGS LUFTVERKEHRS ...............................................................24

70

CHAPITRE SECOND : UNE APPROCHE PRAGMATIQUE MAIS INCOMPLETE DE LA CJCE DANS L’APPRECIATION DE LA COMPARABILITE DES SITUATIONS POUR QUALIFIER LA DISTORSION ...............................................................................26

SECTION 1 : Un principe (celui de la différence de traitement admise entre un résident et un non résident) reconnu en droit fiscal international mais relativisé par la CJCE dans notre domaine. ................................................................................................................................26

§ 1 : Le principe et sa remise en cause ...........................................................................27

A/ Une différence de traitement est admissible sans pour autant être censurée….........27

B/… Sauf lorsque les situations sont comparables.........................................................28

§ 2 : Les précédents en matière d’imposition des bénéfices des sociétés.......................29

A/ L’affaire de « l’avoir fiscal », un avant-goût de l’arrêt SCHUMACKER ................29

B/ La portée d’une telle jurisprudence relativement aux droits nationaux et au droit international ....................................................................................................................30

SECTION 2 : Une évolution prétorienne octroyant à la CJCE un terrain de jeu plus - trop ? - vaste dans la qualification de la distorsion fiscale ................................................................32

§ 1 : Les évolutions dans les situations présentant un élément d’extranéité ..................32

A/ La démarche de la CJCE ...........................................................................................32

B/ L’approche utile de la CJCE : l’examen d’éléments pertinents.................................34

§ 2 : Une surveillance accrue de la CJCE sur les Etats membres aux contours toutefois un peu incertains .............................................................................................................35

A/ Un champ trop vaste à couvrir et qui laisse certaines questions en suspens .............35

B/ Une évolution de l’action et de la compétence de la CJCE dans les situations purement internes ?.........................................................................................................36

TITRE SECOND : L’EMPRISE ABSOLUE MAIS EQUIVOQUE DE LA CJCE SUR LA DECISION DE CENSURER OU NON LES DISTORSIONS FISCALES RELEVEES.............................................................................................................................38

CHAPITRE PREMIER : UN EXAMEN RIGORISTE ET INDECIS DE LA CJCE SUR LES JUSTIFICATIONS DES ETATS .................................................................................41

SECTION 1 : Les raisons impérieuses d’intérêt général (RIIG) soumises à une démarche sévère de la CJCE..................................................................................................................41

§ 1 : Le problème du motif de la cohérence du système fiscal.......................................42

A/ Les arrêts très controversés BACHMANN ...............................................................42

B/ Une portée limitée mais problématique de ces arrêts à la fiscalité des entreprises..... 43

71

§ 2 : Les motifs non pertinents et rejetés par la CJCE....................................................44

A/ Les risques d’évasion fiscale et/ou de pertes de recettes fiscales..............................44

B/ Les justifications tirées du choix de la forme juridique de l’établissement stable.....46

SECTION 2 : Des incohérences relevées dans le raisonnement zélé de la CJCE.................48

§ 1 : La répartition des motifs justifiant les discriminations ..........................................48

A/ Le principe traditionnel de distribution des motifs....................................................48

B/ Un principe correctement mis en œuvre dans les premiers temps par la CJCE ........49

§ 2 : L’élargissement des discriminations ostensibles aux discriminations indirectes montre des signes de faiblesse........................................................................................50

A/ Des arrêts démonstratifs ............................................................................................50

B/ Le devenir d’une telle jurisprudence, certes très extensive, mais indécise................51

CHAPITRE SECOND : L’OCTROI PAR LA CJCE D’UN CONTROLE DE PROPORTIONNALITE DANS LE DOMAINE TRES RESERVE DE LA FISCALITE DIRECTE ..............................................................................................................................54

SECTION 1 : Le cadre du contrôle de proportionnalité et l’innovation prétorienne qui en a été faite ..................................................................................................................................54

§ 1 : Le champ d’application matériel du contrôle .........................................................54

A/ La nature du contrôle de proportionnalité .................................................................54

B/ Le terrain d’élection privilégié de ce contrôle ...........................................................55

§ 2 : Une évolution d’envergure entre l’arrêt HALLIBURTON SERVICES BV et l’arrêt FUTURA et SINGER en matière de liberté d’établissement ..............................56

A/ L’arrêt HALLIBURTON SERVICES BV ................................................................56

B/ L’approche efficace de la CJCE dans l’arrêt FUTURA PARTICIPATIONS et SINGER..........................................................................................................................57

SECTION 2 : La consécration du contrôle de proportionnalité et sa portée.........................59

§ 1 : L’admission habituelle, ancrée de ce contrôle .......................................................59

A/ L’arrêt JESSICA SAFIR ou la spécificité de la prévention d’un vide fiscal ............59

B/ L’arrêt BAXTER et autres .........................................................................................60

§ 2 : La portée de la reconnaissance d’un tel contrôle en fiscalité des entreprises.........61

CONCLUSION .......................................................................................................................63

72

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................66 TABLES DES MATIERES ...................................................................................................69

73

a construction européenne, débutée au XXème siècle, se poursuit aujourd’hui grâce à la Monnaie unique et aux efforts consacrés à un Espace Economique Européen. Dans ce cadre, la fiscalité directe joue un rôle d’une excessive importance ; sans une

harmonisation, ou tout du moins une coordination des droits nationaux, l’Union Européenne ne peut que piétiner sur place. Si la fiscalité directe des personnes physiques tient une place de choix dans la libre circulation des personnes, celle des entreprises est tout aussi cruciale. Comment envisager une Europe concurrentielle si les entreprises sont gênées dans leurs déplacements ? Quelques initiatives ont été tentées, de la part des instances communautaires (les deux Directives du 23 juillet 1990 relatives au régime mère-fille et aux fusions), et de la part des Etats (la convention multilatérale d’élimination des doubles impositions du 23 juillet 1990), mais rien de concret, à la fin des années 1980, n’a permis de faire progresser la construction de l’Europe. La CJCE, juridiction suprême au sein de l’Union, constatant ces lenteurs et ces carences, a décidé de prendre en main la question délicate de l’harmonisation de la fiscalité des entreprises. Par le biais des dispositions du Traité et des libertés fondamentales de circulation, elle va mettre en place les fondations de cette Europe, parfois au prix d’incompréhensions. Mais la meilleure volonté ne peut empêcher les erreurs. L’action de la CJCE est positive et nécessaire, afin d’offrir aux entreprises un espace débarrassé de toutes entraves fiscales. Le chantier d’une fiscalité communautaire a démarré, il doit se concrétiser. Une fois ces bases posées, elles devront, bientôt, être consolidées par les instances compétentes, la Cour n’étant pas légalement dotée pour tenter d’aboutir à une harmonisation.