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161 Douleurs abdominales, vomissements et palpitations chez une femme de 82 ans Enoncé Une femme de 82 ans se présente aux urgences de votre hôpital car depuis 48 heures, elle se plaint de violentes douleurs au ventre. Depuis hier, elle vous dit n’avoir rien mangé, du fait de vomissements importants. Par ailleurs, votre interrogatoire rapide révèle un arrêt des matières et des gaz depuis ce matin. Elle vous explique également que depuis quelques jours, elle ressent des palpitations incessantes qu’elle avait déjà ressenties brièvement plusieurs fois au cours des derniers mois. Cette patiente ne présente pas d’antécédents médicaux ou chirurgicaux notables. Au plan des facteurs de risque cardiovasculaires, on retient un diabète de type 2 insulino-requérant et une obésité avec une taille de 160 cm pour un poids de 80 kg. Votre examen clinique révèle des bruits du cœur irréguliers à 130/min, une absence de souffle. Le reste de l’examen cardiovasculaire est sans anomalie. L’auscultation pulmonaire est également normale. L’examen abdominal révèle un abdomen globalement douloureux avec une défense au niveau des 2 hypochondres. Les orifices herniaires sont libres, il n’existe pas de signe de globe urinaire. Le toucher rectal ne ramène ni sang ni selles et ne révèle pas de fécalome. Les bruits hydro-aériques sont très nettement diminués. Aucun signe de sepsis ou de choc n’est présent à l’examen. Question 1 Quels examens complémentaires prescrivez-vous ? Question 2 Vous recevez les résultats suivants. Interprétez-les.

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Douleurs abdominales, vomissements et palpitations chez une femme de 82 ans

Enoncé Une femme de 82 ans se présente aux urgences de votre hôpital car depuis 48 heures, elle se plaint de violentes douleurs au ventre. Depuis hier, elle vous dit n’avoir rien mangé, du fait de vomissements importants. Par ailleurs, votre interrogatoire rapide révèle un arrêt des matières et des gaz depuis ce matin. Elle vous explique également que depuis quelques jours, elle ressent des palpitations incessantes qu’elle avait déjà ressenties brièvement plusieurs fois au cours des derniers mois. Cette patiente ne présente pas d’antécédents médicaux ou chirurgicaux notables. Au plan des facteurs de risque cardiovasculaires, on retient un diabète de type 2 insulino-requérant et une obésité avec une taille de 160 cm pour un poids de 80 kg. Votre examen clinique révèle des bruits du cœur irréguliers à 130/min, une absence de souffle. Le reste de l’examen cardiovasculaire est sans anomalie. L’auscultation pulmonaire est également normale. L’examen abdominal révèle un abdomen globalement douloureux avec une défense au niveau des 2 hypochondres. Les orifices herniaires sont libres, il n’existe pas de signe de globe urinaire. Le toucher rectal ne ramène ni sang ni selles et ne révèle pas de fécalome. Les bruits hydro-aériques sont très nettement diminués. Aucun signe de sepsis ou de choc n’est présent à l’examen.

Question 1 Quels examens complémentaires prescrivez-vous ?

Question 2 Vous recevez les résultats suivants. Interprétez-les.

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Biologie : ‐ Sodium : 139 mmol/L ‐ Potassium : 3,60 mmol/L ‐ Protéines à 65 g/L ‐ TGO : 40 UI/L ‐ TGP : 33 UI/L ‐ Phosphatases alcalines : 263 UI/L ‐ Urée : 9 mmol/L ‐ Créatininémie : 120 µmol/L ‐ Lipase : 7 UI/L ‐ Acide lactique : 1,45 mmol/L ‐ CRP : 150,9 mg/L ‐ Hémoglobine : 13,7 g/dL ‐ Plaquettes : 233 G/L ‐ Leucocytes : 14 G/L

Question 3 Par ailleurs le radiologue complète votre interprétation des planches fournies par l’analyse du reste de l’examen : au niveau digestif on ne retrouve pas de syndrome occlusif. On peut éliminer sur cet examen une ischémie segmentaire digestive, il n’existe pas une souffrance digestive franche. Aucun thrombus n’est visualisé dans le tronc aortique, les troncs iliaques ni les artères principales naissant de l’aorte abdominale. Il n’y a pas d’épanchement intrapéritonéal. Quel est votre diagnostic complet ? Justifiez.

Question 4 Quels sont les 2 types de traitement indispensables que vous allez instaurer en urgence ?

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Question 5 Décrivez le reste de votre prise en charge.

Question 6 2 semaines après sa sortie de l’hôpital, vous retrouvez cette patiente en consultation. L’examen suivant est réalisé. Interprétez-le.

Question 7 Quel est le traitement habituel de ce type de pathologie ?

Question 8 Votre patiente vous demande si, une fois cette intervention réalisée, elle pourra arrêter le traitement anticoagulant. Que lui répondez-vous ? Donnez-lui également des informations générales sur ce type de traitement.

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Corrections Question 1 

Quels examens complémentaires prescrivez‐vous ? (15) En urgence (1) devant ce tableau d’occlusion digestive, il faut demander la réalisation : Bilan biologique (1) comprenant un ionogramme sanguin (0,5), urée et créatininémie (0,5), une CRP (0,5),

un bilan hépatique complet (0,5) avec bilirubine totale et libre, une lipase (0,5), une gazométrie artérielle (0,5) avec dosage des lactates artériels (0,5), une formule numération sanguine et plaquettes (0,5)

Bilan préopératoire (1) a minima avec groupage ABO et rhésus (1), RAI (0,5), bilan d’hémostase (0,5), radiographie du thorax (1)

Abdomen sans préparation de face debout, de face couché et centré sur les coupoles diaphragmatiques (1). Scanner abdominal avec et sans injection de produit de contraste (2) ECG 12 dérivations (2)

Question 2 Vous recevez les résultats suivants. Interprétez‐les. (19) 

ECG 12 dérivations (1) : tachycardie (0,5) à 140/min irrégulière (0,5) à QRS fins (0,5) absence d’activité sinusale axe gauche (0,5) sans critère en faveur d’un hémibloc antéro-supérieur gauche ondes T – en apico-latéral pouvant s’intégrer dans la tachycardie présentée absence d’onde Q absence de troubles de la conduction intraventriculaire Au total : fibrillation auriculaire rapide à 140/min (2) sans autre anomalie notable (1)

TDM abdominale (1) avec injection de produit de contraste (0,5) au temps veineux en coupes horizontales : mise en évidence d’hypodensités multiples (0,5) au niveau des 2 reins et de la rate (0,5) en faveur de

lésions ischémiques (0,5) d’âge différent au niveau splénique et au niveau rénal à noter un kyste simple volumineux de la lèvre antérieure du rein droit (0,5). pas de lésion ischémique au niveau du foie (0,5) Au total : syndrome embolique avec de multiples lésions ischémiques des deux reins et de la rate (2)

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Bilan biologique (0,5) retrouvant : absence de troubles hydro électrolytiques (1) avec natrémie et kaliémie normales ; absence de signe

biologique de déshydratation absence d’anomalie du bilan hépatique (0,5) (pas de cytolyse avec TGO et TGP normales et pas de

cholestase avec phosphatases normales) lipase normale (0,5) insuffisance rénale modérée probablement aiguë (1) (pas de notion d’insuffisance rénale chronique dans

les antécédents) et organique (devant l’augmentation proportionnelle de l’urée et de la créatininémie) absence d’acidose lactique (1) syndrome inflammatoire biologique (0,5) avec nette augmentation de la CRP absence d’anomalie sur les lignées hématocytaires ou plaquettaires hyperleucocytose par probable démargination (0,5) Au total : insuffisance rénale probablement aiguë organique (1), syndrome inflammatoire et hyperleucocytose s’intégrant dans le contexte emboligène avec infarctus rénaux et spléniques multiples.

Question 3 Quel est votre diagnostic complet ? Justifiez. (16) 

Occlusion du grêle fonctionnelle (2) par iléus réflexe (2) secondaire à des infarctus rénaux bilatéraux et splénique (1) d’origine emboligène (1) dans le cadre de la découverte d’une fibrillation auriculaire (1) chez une patiente présentant un risque embolique important (1). Absence de signes cliniques ou biologiques de choc (1). Absence de complication hydro électrolytique (1), absence de signe biologique de déshydratation. Les infarctus rénaux semblent se compliquer d’une insuffisance rénale aiguë modérée organique par nécrose tubulaire aiguë ischémique (1).

Arguments : occlusion du grêle devant le tableau clinique associant un arrêt des matières et des gaz (0,5), des

vomissements (0,5) et des douleurs abdominales (0,5) iléus réflexe devant la diminution nette des bruits hydro-aériques (0,5), l’absence de signe d’occlusion

digestive mécanique au TDM (0,5) et le contexte d’infarctus rénaux et spléniques (0,5) pouvant expliquer l’iléus réflexe

infarctus rénaux bilatéraux et spléniques multiples (0,5) évoquant de ce fait une origine cardio-embolique (0,5). Ceci est renforcé par la présence d’une fibrillation auriculaire à l’ECG (0,5)

FA à haut risque embolique du fait d’un score de CHA2DS2-VASc score ≥ 2 (0,5), 4 ici du fait de l’âge > 75 ans (2), du diabète (1) et du sexe féminin (1) ; un score de 6 est aussi accepté en considérant le tableau clinique actuel relatif à des emboles multiples (+ 2 points à ajouter aux 4 déjà décrits)

absence de complication hémodynamique ou hydro électrolytique devant l’absence de signe clinique de choc, un bilan hydro électrolytique et des lactates artériels normaux

Question 4 Quels sont les 2 types de traitement indispensables que vous allez instaurer en urgence ? (13) 

Les urgences thérapeutiques dans ce contexte sont : Introduction d’un traitement anticoagulant (2) pour éviter une récidive embolique (1). Le choix se portera

ici vers l’utilisation d’une héparine non fractionnée à la seringue électrique (1). Les HBPM ne sont pas utilisables ici du fait du contexte d’insuffisance rénale aiguë (1). Les posologies utilisées sont de 400 à 500 UI/Kg/j après un bolus de 50 UI/kg (1). L’objectif d’anti-Xa est entre 0,3 et 0,5 (1). Le premier contrôle sera effectué 4h après le début de la seringue électrique (1).

Mesures en rapport avec l’iléus réflexe (2) : jeun strict (1), rééquilibration hydro électrolytique et réhydratation (1), sonde nasogastrique (1) en cas de vomissements persistants, traitement par inhibiteurs de la pompe à protons pour lutter contre le reflux gastro-œsophagien provoqué par la sonde.

Si réduction de la FA en urgence, -10 points. La réduction de cette FA bien tolérée au plan symptomatique avec l’absence d’insuffisance ventriculaire gauche fait courir un risque de récidive embolique majeur. Il n’y a ici également aucune indication à une ETO avant une tentative de réduction. Ici la FA rapide semble bien tolérée, une stratégie de contrôle de la fréquence sera donc préférée sans urgence avec notamment l’utilisation de B-.

Question 5 Décrivez le reste de votre prise en charge. (13) 

Hospitalisation (1) en service de cardiologie (1) Monitoring de pression artérielle, de la fréquence cardiaque et de la saturométrie artérielle (1)

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Stratégie de contrôle de la fréquence cardiaque (1) par l’utilisation de B- PO ou IV permettant d’éviter une cadence ventriculaire plus rapide qui pourrait être mal tolérée

Traitement symptomatique par antalgique (0,5) de palier adapté à l’EVA Poursuite de l’anticoagulation (0,5) à doses efficaces par HNF IVSE avec objectif Anti Xa entre 0,3 et 0,5 Surveillance de l’apparition d’une thrombopénie induite par l’héparine (TIH) par dosages bi-hebdomadaires

des plaquettes (1, 0 à la question si non mis) Relais précoce par antivitamines K (1) avec objectif d’INR entre 2 et 3 (0,5) Surveillance de la reprise d’un transit (1) Reprise d’une alimentation légère dès que la reprise du transit est confirmée (0,5) Surveillance de la diurèse des 24H (0,5) Surveillance clinique et biologique quotidienne (0,5) avec recherche de troubles hydro électrolytiques et

évolution de la fonction rénale Nécessité de compléter les explorations complémentaires (0,5) par :

bilan thyroïdien avec dosage de la TSH (0,5) bilan lipidique (0,5) dosage de l’HBA1c et glycémies 6 fois/j (0,5) réalisation d’une échocardiographie trans thoracique à la recherche d’une cardiopathie sous-jacente (1).

Question 6 2 semaines après sa sortie de l’hôpital, vous retrouvez cette patiente en consultation. L’examen suivant est réalisé. Interprétez‐le. (4) 

ECG 12 dérivations (1) : tachycardie (0,5) régulière (0,5) à QRS fins (0,5) axe gauche (0,5) sans argument en faveur d’un HBASG ondes T – en apico-latéral en rapport avec le rythme ventriculaire rapide Au total : aspect de flutter commun avec réponse ventriculaire en 2/1 (1)

Question 7 Quel est le traitement habituel de ce type de pathologie? (8) 

L’anticoagulation doit suivre les mêmes règles que dans la fibrillation auriculaire (2). Le traitement du flutter commun est l’ablation (2) par radiofréquence (1) de l’isthme cavo-tricuspidien (1).

Cette procédure doit être réalisée sous couverture anticoagulante efficace (1) et soit après au moins 3 semaines d’anticoagulation curative bien conduite (0,5) soit après la réalisation d’une ETO (0,5) pour s’assurer de l’absence de thrombus dans l’auricule gauche.

Question 8 Que lui répondez‐vous ? Donnez‐lui également des informations générales sur ce type de traitement. (12) 

Information sur la nécessité absolue de poursuivre un traitement anticoagulant (2) à vie chez cette patiente avec un risque embolique important car l’ablation du flutter n’a bien entendu aucun effet sur la FA.

L’arrêt des anticoagulants après l’ablation d’un flutter isolé ne s’envisagera qu’après plusieurs mois de surveillance clinique et électrique (holter ECG) en l’absence de récidives de troubles du rythme supra ventriculaire.

Education thérapeutique (2) indispensable suite à la prescription d’anticoagulant par voie orale : expliquer la cible thérapeutique INR 2-3 (1) prise quotidienne à heure fixe (1) nécessité de contrôle biologique de l’INR au moins 1 fois par mois (1) lorsque le traitement est équilibré port de carte et d’un carnet (1) de traitement anticoagulant informations sur les signes de surdosage (1) (un saignement de gencives ou du nez, urines rouges ou

rosées, selles rouges ou très noires, vomissement rosé ou crachat sanglant mais aussi mal de tête intense et persistant, fatigue intense, pâleur, malaise) et la conduite à tenir (appel du 15)

associations médicamenteuses déconseillées (1) avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens notamment autogestion du traitement (1) en cas de sur ou sous dosage asymptomatique le traitement anticoagulant ne nécessite pas d’adaptation de l’alimentation (1), cependant, il faut savoir

que certains aliments sont riches en vitamine K ce qui peut diminuer l’effet du traitement (tomates, brocolis, laitue, épinards, choux, choux fleurs, choux de Bruxelles). Ces aliments ne sont pas interdits à condition de les répartir régulièrement dans l’alimentation et de les consommer sans excès.

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Items de l’ECN 175 - Prescription et surveillance d’un traitement antithrombotique - Prescrire et surveiller un traitement

antithrombotique à titre préventif et curatif, à court et à long terme. 195 - Douleurs abdominales et lombaires aiguës chez l’enfant et chez l’adulte - Diagnostiquer une douleur

abdominale et lombaire aiguë chez l’enfant et chez l’adulte - Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge.

217 - Syndrome occlusif - Diagnostiquer un syndrome occlusif - Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge.

219 - Troubles de l’équilibre acido-basique et désordre hydro électrolytique - Prescrire et interpréter un examen des gaz du sang et un ionogramme sanguin en fonction d’une situation clinique donnée - Savoir diagnostiquer et traiter: une acidose métabolique, d’une acidose ventilatoire, une dyskaliémie, d’une dysnatrémie, d’une dyscalcémie.

236 - Fibrillation auriculaire - Diagnostiquer une fibrillation auriculaire - Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge - Argumenter l’attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient.

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Commentaires et rappels

Fibrillation auriculaire (FA) Epidémiologie La fibrillation auriculaire est le trouble du rythme cardiaque soutenu le plus fréquent. 1 à 2 % de la

population générale en souffre. La prévalence augmente avec l’âge atteignant 5 à 15% chez les 80 ans et plus.

La fibrillation auriculaire est liée à un surrisque de décès, d’accident vasculaires cérébraux (AVC), d’hospitalisation et d’insuffisance cardiaque. Elle serait impliquée dans 1 AVC / 5. Le risque d’AVC est le même que la FA soit permanente, persistante, ou paroxystique.

Physiopathologie Toute pathologie structurelle cardiaque peut conduire à un remodelage notamment auriculaire dominé par

l’apparition de plages de fibrose et la différenciation des fibroblastes en myofibroblastes. L’ensemble de ces mécanismes conduit à une dissociation électrique avec création de multiples micro-circuits de réentrée à l’origine de l’apparition et de l’installation de la FA. Une diminution de la période réfractaire auriculaire est aussi impliquée dans la pérennisation de la FA. L’un des sites privilégiés de ces changements est la zone de l’oreillette gauche (OG) située au niveau des veines pulmonaires (VP).

Chez les patients ne présentant pas de syndrome de pré-excitation, le nœud auriculo-ventriculaire (NAV) joue le rôle d’un filtre évitant des rythmes ventriculaires excessifs. En revanche, en présence d’un syndrome de pré-excitation, une réponse ventriculaire rapide peut survenir et mettre en jeu la vie du patient.

Au plan hémodynamique, la FA va entraîner une perte de la synchronisation auriculaire, une diminution du remplissage diastolique du fait de l’accélération de la cadence ventriculaire, l’ensemble de ces phénomènes entraîne une diminution, certes modérée mais notable, du débit cardiaque.

Définition Elle est définie comme une arythmie cardiaque avec à l’ECG 12 dérivations une absolue irrégularité du délai

RR, absence d’ondes P (certains stigmates d’activité auriculaire peuvent être retrouvés sur une ou plusieurs dérivations notamment en V1) et la durée du cycle atrial, lorsqu’elle est visible, est variable et ≤ 200 ms.

Diagnostic différentiel Certaines tachycardies atriales, flutters auriculaires pourront mimer une FA. Le cycle atrial sera

habituellement plus long (≥ 200 ms). De même, il faudra savoir reconnaître une extrasystolie auriculaire fréquente et une double conduction nodale antérograde.

Diagnostic La perception d’un pouls irrégulier doit toujours faire suspecter une FA et donc faire pratiquer un ECG 12

dérivations. En cas de FA paroxystique, il est parfois nécessaire de faire appel à des techniques de monitoring continu de l’ECG de type holter ECG.

Il est impossible d’établir le diagnostic de FA sans ECG. Il faudra toujours préciser au patient la présence de signes fonctionnels à type de dyspnée ou de

palpitations notamment. La FA peut se révéler par l’une de ses complications et notamment l’AVC.

Types de FA FA paroxystique : réduction spontanée dans les 48h, il peut exister des accès de FA pendant 7 jours,

toutefois le seuil des 48 heures est important car à partir de ce dernier la probabilité de réduction spontanée diminue et une anticoagulation doit être envisagée.

FA persistante : définie par un épisode d’une durée > 7 jours ou par la nécessité d’une cardioversion électrique ou médicamenteuse.

FA persistante de longue date : durée ≥ 1 an du dernier épisode lorsqu’une stratégie thérapeutique de contrôle du rythme est décidée.

FA permanente : considérée comme telle lorsque l’arythmie est acceptée par le patient et le médecin. Une stratégie de contrôle du rythme est alors inutile.

Evaluation et prise en charge initiale Interrogatoire qui recherchera notamment des palpitations en précisant leur caractère régulier et irrégulier,

un facteur favorisant (prise d’alcool, émotion, exercice physique…), la symptomatologie lors des accès (classification EHRA score), la fréquence des épisodes et la durée du dernier

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Il faudra également préciser les antécédents médicaux du patient avec la recherche notamment d’une cardiopathie ischémique, d’une insuffisance cardiaque, d’une artériopathie oblitérante des membres inférieurs, de maladie cérébrovasculaire notamment d’AVC.

Il faudra également rechercher les facteurs de risque cardiovasculaires habituels en insistant sur l’HTA et le diabète. Une intoxication alcoolique chronique devra être systématiquement recherchée.

Enfin, les antécédents familiaux de FA devront être précisés.

Classification des symptômes liés à la FA (EHRA score) EHRA classe Symptômes

1 Asymptomatique 2 Symptômes modérés, activité quotidienne non affectée 3 Symptômes sévères affectant la vie quotidienne 4 Symptômes invalidants entrainant une modification des activités habituelles

L’évaluation doit se poursuivre en établissant le risque d’AVC par le score de CHADS2-VASc. La prise en charge reposera sur la réalisation d’un ECG 12 dérivations et le plus souvent une

échocardiographie transthoracique à la recherche d’une cardiopathie sous-jacente. L’objectif est ensuite de soulager le patient de ces symptômes. En cas de gêne marquée et de FA < 48h, une

tentative de cardioversion sous couvert d’un traitement anticoagulant peut être envisagée. En cas de FA > 48h, une ETO sera nécessaire avant toute réduction pour éliminer un thrombus intra auriculaire. Si la cardioversion n’est pas envisagée ou s’il est un échec, une stratégie de contrôle de la fréquence cardiaque devra être adoptée.

Traitement Antithrombotiques L’évaluation du risque thrombo-embolique et d’AVC dans les FA hors cardiopathies valvulaires passe par le

calcul du CHA2DS2-VASc. Les facteurs de risque sont divisés en majeurs valant 2 points (antécédents d’AVC ou d’accidents ischémiques transitoires (AIT) ou autres antécédents thrombo-emboliques et l’âge ≥ 75 ans) et non majeurs valant 1 point (FEVG ≤ 40%, diabète, hypertension, âge entre 65 et 74 ans et sexe féminin). Il est à noter que la présence d’une cardiopathie valvulaire classe directement le patient dans la catégorie à haut risque. Le risque thrombo-embolique étant le même dans les flutters, les mêmes recommandations en termes de traitement antithrombotique s’appliquent alors.

Score CHA2DS2-VASc

Facteur de risque Score Insuffisance cardiaque ou FEVG ≤ 40% 1 Hypertension 1 Age ≥ 75 ans 2 Diabète 1 Antécédents d’AVC/AIT/thrombo-emboliques 2 Atteinte vasculaire 1 Age 65-74 ans 1 Femme 1 Score maximum 9

Prise en charge :

Score CHA2DS2-VASc Traitement antithrombotique recommandé

≥ 2 Anticoagulant oral 1 Anticoagulant oral ou aspirine 0 Aspirine ou rien

Ainsi si le CHA2DS2-VASc score ≥ 2, il existe une indication à un traitement anticoagulant oral de type anti-vitamine K (AVK) avec un objectif d’INR entre 2 et 3.

Si le score de CHA2DS2-VASc est de 1, le choix entre antiagrégant plaquettaire par aspirine à la posologie de 75 à 325 mg/j et AVK est donné.

Enfin si le score de CHA2DS2-VASc est égal à 0, le choix est donné entre antiagrégant plaquettaire et aucun traitement antithrombotique.

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Evaluation du risque de saignement : avant d’initier un traitement par anticoagulant oral, une évaluation du risque d’événement hémorragique doit être effectuée par l’intermédiaire du score HAS-BLED (hypertension avec pression systolique ≥ 160 mmHg, insuffisance rénale chronique, anomalies hépatiques, antécédents de saignement ou de pathologies favorisant le saignement, variabilité importante des INR, prise concomitante d’alcool, d’antiagrégant plaquettaire et d’AINS). Chez les patients avec un score ≥ 3, une surveillance rapprochée clinique et para clinique doit être mise en place du fait du surrisque statistique hémorragique.

HAS BLED Facteur de risque Score

H Hypertension 1 A Anomalies hépatiques ou rénales 1 + 1 S AVC (stroke) 1 B Antécédents hémorragiques (bleeding) 1 L INR Labiles 1 E Age > 65 ans 1 D Traitements associés à risque ou alcool chronique 1 + 1

Score maximum 9

Anticoagulation et cardioversion : le risque thrombo-embolique est majoré dans les suites d’une cardioversion. Ainsi pour toute FA ≥ 48h, une anticoagulation curative par AVK avec INR entre 2 et 3 devra avoir été observée pendant 3 semaines avant la cardioversion. L’anticoagulation sera maintenue au minimum 4 semaines après la cardioversion, la poursuite au long cours dépendra du CHA2DS2-VASc score. Une des alternatives est la réalisation d’une échocardiographie transœsophagienne autorisant la cardioversion en l’absence de thrombus intra auriculaire. En cas d’instabilité hémodynamique et de FA ≥ 48h, une cardioversion électrique pourra être envisagée sous couvert d’un traitement par héparine non fractionnée ou héparine de bas poids moléculaire. En cas de FA < 48h, une cardioversion peut être envisagée sous couvert d’une anticoagulation par héparine non fractionnée ou héparine de bas poids moléculaire.

Contrôle du rythme et de la fréquence cardiaque

En urgence : la prise en charge d’une FA symptomatique en urgence doit être dominée par 2 problématiques que sont la prévention des complications thrombo-emboliques et l’amélioration de la fonction cardiaque.

Cardioversion pharmacologique La plupart des épisodes de FA se termineront spontanément dans les heures suivant leur début. Toutefois

chez les patients symptomatiques malgré une tentative de contrôle de la fréquence ou chez qui une stratégie de contrôle du rythme est décidée, une cardioversion médicamenteuse pourra être tentée.

Chez les patients sans cardiopathie connue, il est recommandé d’utiliser la flécaïne IV ou le propafénone. En revanche, en cas d’atteinte cardiaque, l’amiodarone est alors recommandée en première intention.

Cardioversion électrique C’est une méthode efficace de cardioversion. Sauf en cas d’anticoagulation préalable de plus de 3 semaines

ou de FA < 48h, elle doit être précédée d’une ETO pour éliminer la présence de thrombus dans l’auricule gauche. Elle peut-être réalisée en ambulatoire.

Les complications les plus fréquentes sont les événements thrombo-emboliques, brûlures cutanées, dysfonction sinusale, les troubles du rythme ventriculaire et les complications liées à l’anesthésie générale.

Contrôle de la fréquence en urgence

En cas de FA mal tolérée et d’impossibilité de réaliser une cardioversion électrique ou médicamenteuse en urgence, une stratégie de contrôle de la fréquence en urgence est nécessaire. En première intention, le choix se portera sur l’administration de B- ou d’inhibiteurs calciques non dihydropyridiniques par voie IV. En cas d’hypotension ou de décompensation cardiaque associée, il faudra préférer l’administration de digitalique ou d’amiodarone IV. En cas de préexcitation, les B-, le vérapamil, le diltiazem, la digoxine et l’adénosine sont contre-indiquées. Il faudra alors utiliser des antiarythmiques de classe 1. Au long cours, une stratégie de contrôle de la fréquence sera nécessaire dans la majorité des cas excepté chez les patients présentant une fréquence cardiaque naturellement basse au moment des accès de FA. Une stratégie de contrôle du rythme pourra être choisie, en plus de celle de contrôle de la fréquence, chez les patients restant symptomatiques malgré le contrôle du rythme, ou dans les cas où une stratégie de contrôle du rythme a été décidée (patients jeunes, activité physique importante…).

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Par définition, une FA permanente ne pourra bénéficier que d’une stratégie de contrôle de la fréquence. La majorité des FA paroxystiques, d’autant plus qu’elles sont symptomatiques et sans cardiopathie sous-jacente, seront traitées par contrôle du rythme.

Contrôle de la fréquence au long cours Les objectifs de fréquence cardiaque étaient classiquement stricts à savoir une FC au repos < 80/min et à

l’effort modéré < 110/min. Des études récentes semblent démontrer qu’une stratégie plus indulgente (FC de repos < 110/min) est envisageable chez les patients avec des symptômes modérés.

Les différentes thérapeutiques permettant un contrôle de la fréquence sont : les B- préférentiellement chez les patients avec un tonus vagal élevé ou présentant une cardiopathie

ischémique associée les ICA non dihydropyridiniques ne doivent pas être utilisés chez les patients présentant une dysfonction

systolique ventriculaire gauche digoxine qui permet un contrôle de la fréquence au repos et non à l’effort, elle présente de nombreux

effets indésirables et interactions (nécessitant une surveillance clinique et biologique rapprochées). amiodarone et dronédarone qui peuvent dans certains cas être utilisées dans un but de contrôle de

fréquence, mais ce sont avant tout des antiarythmiques Le choix du traitement de contrôle de la fréquence dépend de l’âge, de l’activité, d’une atteinte cardiaque

sous-jacente et du but du traitement.

Choix du traitement de contrôle de la fréquence selon le style de vie et les pathologies associées

Chez les patients restant symptomatiques malgré une stratégie stricte de contrôle de la fréquence, une stratégie de contrôle du rythme est nécessaire.

En cas d’échec de l’ensemble des stratégies de contrôle du rythme, dont l’ablation, et de la fréquence, il pourra être envisagé un recours à une ablation de la jonction auriculo-ventriculaire avec implantation d’un pacemaker.

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Comprendre par les dossiers Cardiologie

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Contrôle du rythme au long cours Le principal intérêt d’une stratégie de contrôle du rythme est le soulagement des symptômes liés à la FA.

Ainsi, chez les patients asymptomatiques ou devenus asymptomatiques du fait d’un contrôle de la fréquence, une stratégie de contrôle du rythme ne devrait pas être envisagée.

Les traitements antiarythmiques pouvant être utilisés sont : B- : peu efficaces exceptés dans les thyrotoxicoses ou dans les FA induites par l’exercice flécaïne : ne doit pas être utilisée chez les patients présentant une cardiopathie ischémique associée ou

une altération de la fraction d’éjection ventriculaire gauche. Une surveillance par ECG réguliers est recommandée et la prescription concomitante d’un bloqueur du nœud semble justifiée par le risque de conduction ventriculaire rapide d’une FA ou d’un flutter

propafénone : faible effet B-, il ne doit pas être utilisé en cas de cardiopathie notamment ischémique sous-jacente et d’altération de la FEVG

amiodarone : plus efficace que les autres antiarythmiques, elle peut être administrée chez les patients présentant une cardiopathie sous-jacente ou une insuffisance cardiaque, de nombreux effets secondaires sont associés à un traitement au long cours

sotalol : nécessité d’un monitoring ECG du QT dronédarone : efficacité moindre comparée à l’amiodarone mais équivalente aux autres antiarythmiques,

des effets indésirables hépatiques ont été décrits depuis la commercialisation et nécessite donc une surveillance accrue.

Il est à noter que la place de la dronédarone est de plus en plus discutée à l’heure où nous écrivons ces ligne (possible retrait du marché), entrainant donc un retour de la cordarone en première ligne dans certains cas.

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Douleurs abdominales, vomissements et palpitations chez une femme de 82 ans

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Place de l’ablation de FA par cathéter dans la stratégie de contrôle du rythme

Ablation de FA par déconnection des veines pulmonaires par tirs de radiofréquence

Ablation de flutter par tirs de radiofréquence au niveau de l’isthme cavo-tricuspidien

Elle doit être réservée au patient restant symptomatique malgré un traitement médical optimal. Les taux de succès dépendent en grande partie de l’expérience de l’opérateur, du type de FA, de la taille de l’oreillette et de la présence ou non d’une cardiopathie sous-jacente. Toute procédure d’ablation devra être décidée avec le patient après l’avoir informé des complications possibles

Ablation chirurgicale de FA Elle devra être discutée pour les patients présentant une FA et s’apprêtant à bénéficier d’une chirurgie

cardiaque.

Traitements complémentaires : statines et IEC/ARA 2 Leur intérêt reste controversé. En cas de pathologie associée justifiant leur prescription chez un patient

présentant une FA, ils devront être favorisés par rapport aux autres classes thérapeutiques possibles.