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DOSSIER PROFESSIONNEL
FORMATION AU CNC MJPM
2015 (MJPM 7)
Du désir de mourir …à l’envie de vivre !!
Éric Rosenbaum
Décembre 2015
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SOMMAIRE
Présentation personnelle page 3
Présentation de l’Association des curateurs de Lille page 4
Avertissement et liste des personnes citées page 6
INTRODUCTION page 7
1-L’OUVERTURE DE LA MESURE page 7
1-1 Le majeur Protégé page 7
1-2 La genèse de la mesure page 8
1-3 La lecture du jugement page 9
1-4 La consultation du dossier page 10
1-4-1 La Requête du procureur page 10
1-4-2 Le Certificat médical circonstancié page 10
1-4-3 Les Procès-verbaux d’auditions page 11
2 - LA RENCONTRE ,la mise en place de la protection et de l’accompagnement page 12
2-1 La rencontre avec le Majeur Protégé page 12
2-2 La consultation des partenaires page 13
2-3 La protection du patrimoine et la gestion courante page 15
3- LES PROBLEMES DE SANTE : « LE DESIR DE MOURIR » page 15
3-1 Le baptême du feu : première alerte ; décembre 2014 page 15
3-2 Deuxième alerte : janvier 2015 page 16
3-3 La longue descente aux enfers page 17
3-3-1Le calme avant la tempête page 18
3-3-2 La chute et la tentative « d’en finir » page 18
4- LE RETOUR DE L’ « ENVIE DE VIVRE », la remontée vers la lumière . page 19
4-1 Les miracles page 19
4-2 L’installation en EHPAD, le déménagement page 20
4-3 Le Processus d’adaptation page 21
4-3-1 Des débuts chaotiques page 21
4-3-2 La consolidation de l’envie de vivre page 22
4-3-3 Les hauts et les bas page 23
CONCLUSION page 24
3
Présentation personnelle
Apres avoir obtenu mon diplôme d’ingénieur, j’ai déroulé une carrière industrielle comme
technicien et chef d’entreprise. J’ai développé des compétences d’organisation, de gestion, de
management avec une sensibilité particulière pour le côté humain du métier, car « il n’est de
richesse que d’hommes » (D.Brodin).
Au bout de 40 ans de bons et loyaux travaux, au service du « grand capital », j’ai souhaité
en 2009 prendre ma retraite.
il n’était pas question pour autant , de me transformer en « oisif » ,mais de rester actif , en
faisant profiter ceux qui en avaient besoin , de ma disponibilité et de mes compétences . J’ai
souhaité m’investir dans un bénévolat « technique » et pas seulement caritatif, m’appuyant sur
mes savoir-faire et en privilégiant ce qui me tenait à cœur, les relations humaines .
J’ai choisi en premier, l’aide aux jeunes entrepreneurs . Je conseille aujourd’hui quelques
jeunes créateurs dans leur démarches de création et de vie de leur entreprise .
Le second choix a découlé de ma découverte de la dépendance des personnes âgées. J’ai été
confronté à ces réalités quand il a fallu m’occuper de mes parents et beaux-parents.
J’ai alors vu « l’ampleur » de la tache, avec toutes ses facettes : humaines, gestion,
juridique,….Ce qui m’a confirmé que je pouvais apporter efficacement mon aide dans ce
domaine.
La Loi du 5 mars 2007 « portant reformes de la protection juridique des majeurs », entrant
en vigueur, la seule voie ouverte était alors, d’exercer en tant que « professionnel salarié »
d’une association, ou en libéral . Etant attaché au bénévolat, j’ai mis « entre parenthèse » ce
projet Jusqu’en 2013.
A cette date J’ai , par hasard, découvert l’existence de L’ACL., Association fonctionnant
avec des bénévoles .Ayant trouvé les valeurs et les buts qui me convenaient, je me suis
engagé et j’ai apporté mes compétences comme accompagnateur dans un premier temps.
Il est rapidement apparu que je n’étais pas complètement satisfait dans ce rôle . Je souhaitais
avoir la maitrise complète de mes actions et assumer pleinement et complètement la charge
d’une mesure d’accompagnement. En bref, je souhaitais passer du rôle «de bon
accompagnateur » à celui de « bon délégué tutélaire ».
J’ai alors fait le constat qu’il me manquait des connaissances et des compétences techniques
.Pour être pleinement efficace, dans le cadre de la loi de 2007 « portant reformes de la
protection juridique des majeurs ». Tout en restant attaché au bénévolat, je devais acquérir
les outils et les postures des professionnels. C’est pourquoi j’ai entrepris et financé
personnellement la formation CNC MJPM.
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Présentation de l’ACL
A l’origine de l’Association des Curateurs de Lille (ACL), il y a quelques bénévoles qui ont
proposé au Tribunal d’Instance de Lille de prendre en charge des mesures de protection des
majeurs, et qui se sont constitués en association pour cela.
L’ACL est une association loi 1901 créée en 1983 Dès sa création, l’ACL a été inscrite sur la
liste des gérants de tutelle. Par la suite, dans le cadre de l’entrée en vigueur des dispositions de
la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection des majeurs, elle a été autorisée par
arrêté préfectoral du 26 octobre 2010 à créer à Lille un service mandataire judiciaire à la
protection des majeurs destiné à exercer jusqu’à 250 mesures de protection dans le ressort des
Tribunaux d’Instance de Lille, Roubaix et Tourcoing. Suite à la visite de conformité du 15
juin 2012, cette autorisation a été confirmée par arrêté préfectoral du 31 juillet 2012.
A la différence des autres associations tutélaires, et c’est ce qui fait sa singularité, l’ACL est
principalement constituée de bénévoles (une soixantaine aujourd’hui) offrant chaque semaine
à l’association plusieurs heures de leur temps libre. Il s’agit pour la plupart de personnes
retraitées qui, en fonction de leurs parcours professionnel, apportent leurs compétences dans
différents domaines (gestion, aide sociale, hébergement, juridique, assurance,…). Le
recrutement de l’ACL porte donc essentiellement sur des personnes quittant la vie
professionnelle, souhaitant consacrer du temps à un bénévolat, et désirant s’engager dans une
association combinant une activité sociale et une activité administrative. L’apport de leurs
compétences variées est une des richesses de l’association.
Dans la relation d’accompagnement, une attention particulière est donnée à la relation
humaine et à la disponibilité dans les contacts. Les accompagnateurs mettent un point
d’honneur à rencontrer le plus souvent possible les majeurs dont ils ont la charge pour éviter
leur isolement. Les juges confient donc à l’ACL des majeurs nécessitant un accompagnement
humain important car isolés, sans famille ou en conflit avec elle.
« les juges de Lille apprécient pouvoir confier les majeurs en situation d’isolement
extrême à une association telle qu’ACL, dont la conception humaine de
l’accompagnement répond efficacement aux besoins de ces personnes ». (1)
Au 1er janvier 2015, 206 majeurs protégés étaient confiés à l’ACL par les juges des tutelles,
avec la répartition suivante :
- 60 % résident en établissement (leur âge moyen est de 81 ans),
- 40 % résident en appartement ou en maison (leur âge moyen est de 64 ans).
L’organisation opérationnelle est articulée autour des huit délégués tutélaires (DT) qui
encadrent les accompagnateurs. Chaque DT prend en charge des mesures de protection en
s’appuyant pour cela sur les accompagnateurs qui lui sont rattachés.
(1) rapport de la Direction Départementale de la Cohésion sociale (DDCS) du Nord établi en vue de la
réunion du 7 octobre 2010 du comité régional de l’organisation sociale et médico-sociale (CROSMS)
dans le cadre de l’instruction de la demande de l’ACL de création d’un service mandataire judiciaire :
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Pour la période 2015 -2020, L’ACL doit relever deux défis majeurs.
Avoir sa place dans le schéma régional des services mandataires judiciaires à la
protection des majeurs. Pour cela elle devra se professionnaliser davantage en « conservant
ses valeurs ».
Disposer des moyens humains et financiers nécessaires à l’accomplissement de ses
missions, Elle devra entrer dans le cadre de financement de la DGF, tout en s’appuyant sur le
bénévolat pour conserver durablement des structures légères et des couts de fonctionnement
faibles .
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Avertissement
Dans le cadre de ce texte , j’emploie la premiere personne lorsque je suis directement
impliqué . Cependant, bien qu’ayant été, et étant toujours, au cœur de l’action et
l’interlocuteur principal du majeur et de son environnement, je suis resté dans le cadre fixé
par la loi de 2007.
Le Mandataire désigné par le juge est l’ACL , avec délégation donnée à Eric D délégué
tutélaire , titulaire du CNC MJPM. Toutes les actions ont été réalisées sous son contrôle et
avec son aval, tout spécialement le rapport à l’argent et les relations avec le Juge. Tous les
courriers portent sa signature.
Certains mots ou certaines phrases sont entre «. » . En absence de référence précise, il s’agit
de citations de Mr Albert L
Mes questions ou réflexions « à chaud » sont indiquées en italique dans le corps du texte.
Liste des personnes citées (anonimisées)
Albert L. le majeur protégé
Monique D. son épouse, décédée en 2004
Eric D. le délégué tutélaire référent de l’ACL
Mme V. assistant sociale attachée aux hôpitaux HPM de la clinique du bois et de la clinique
du val de lys à Tourcoing.
Mme Di.. Accompagnatrice du CLIC-RESPA de Villeneuve d’Ascq qui a suivi le dossier
d’aide à Mr Albert L.
Docteur D. urologue de la clinique du bois.
Docteur Bu. Médecin traitant à Mons en Baroeul.
Docteur Co et Docteur Ro, gériatres de l’hôpital St Jean à Roubaix
Docteur DR médecin coordonnateur de l’EHPAD les hauts d’amendi
Mme Helene DB femme de ménage mandatée par l’association d’aide à domicile et Mme W.
sa coordinatrice.
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INTRODUCTION
Lorsque j’ai reçu la charge de la protection de Mr Albert L, je savais que je débutais une
relation de longue durée. Ces relations sont « codifiées et encadrées » par la loi du 5 mars
2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs. Je me devais donc de rester dans
ce cadre professionnel. Dans un premier temps, je montre dans le présent écrit, comment s’est
mise en place cette relation et comment a débuté mon accompagnement, d’abord dans la
gestion du patrimoine, puis dans les actes de la vie quotidienne.
Puis les problèmes de santé de Monsieur Albert L se faisant plus pressant, il m’a fallu entrer
plus à fond dans l’accompagnement pour les actes personnels. Pour aborder la problématique
de volonté de mourir ou de volonté de vivre, d’Albert L. , il m’a fallu m’investir
humainement et gérer mes convictions personnelles. Je décris comment je me suis appuyé
sur les partenaires (équipes soignantes, aides sociales…). Afin de m’aider à dépasser mes
propres interrogations et rester dans le cadre professionnel, défini par la loi de 2007.
Je présente ci-après, comment cette collaboration a permis, d’accompagner, au mieux de ses
intérêts, Albert L. et l’aider à sortir peu à peu de sa dépression morbide.
1- L’OUVERTURE DE LA MESURE
1-1 Le Majeur Protégé, son histoire, son environnement social
Monsieur Albert L est né le 22 juillet 1927 à Mortemer, (haute Normandie) de père inconnu.
Il a été abandonné par sa mère et confié à l’assistance publique à l’âge de 5 ans. Son enfance
a été « rude », jalonnée de périodes de travail dans les fermes, puis en verrerie.
à 17 ans ½ il s’engage dans la première armée française. Il participe à l’occupation de
l’Allemagne, puis à la guerre d’Indochine. Il est démobilisé en 1949 et rentre en France.
Apres un court passage dans un centre de formation à Abbeville, Il trouve une place de
manœuvre à l’Usine de la Compagnie Générale des Moteurs (Peugeot) à Fives. Il y restera
jusqu’à sa préretraite à 58ans.
Il épouse en 1954, Monique D., femme de chambre. celle–ci décède en 2004 à l’âge de 76
ans. Le couple n’a pas eu d’enfant.
Le frère et la sœur de Monique D. sont La seule famille qui lui reste aujourd’hui.
Ceux-ci sont âgés et vivent respectivement en Normandie et près de Dunkerque. Ils
ont chacun un enfant. Les liens d’Albert avec sa belle famille et ses neveux sont
aujourd’hui quasi inexistants, hormis de rares contacts téléphoniques. Mr Albert dit ne
pas les avoir pas revus depuis la mort de son épouse. Il ne cherche pas à renouer le
contact, il estime « ne pas avoir besoin d’eux ».
Il a gardé des relations avec sa filleule qui vit dans la Somme.
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Mr Albert L a longuement habité dans un grand logement HLM du nouveau MONS rue
Lamartine, Il y est resté seul, après le décès de son épouse, de 2004 à 2013.
A cette date, Vilogia, le bailleur social, lui demande de déménager dans un logement plus
petit (2 pièces), mais plus adapté à son Pb de santé (RDC), dans le même quartier, rue
d’Alsace. Albert L n’a jamais « adopté » ce nouveau logement. « Il fait trop froid », « mes
anciens voisins étaient gentils », « c’est trop petit, je n’ai pas la place de ranger »,….
Du point de vue santé, Albert L souffre depuis longtemps d’une insuffisance rénale grave qui
le contraint à se rendre à la clinique du bois tous les deux jours pour une séance de 5h de
dialyse. Il souffre aussi d’arthrose. Il a du mal à marcher et ne se déplace qu’avec l’aide de sa
canne sur une courte distance. Il a beaucoup de mal à manipuler des objets de la vie courante.
De ce fait, une aide à domicile quotidienne a été mise en place pour l’aider pour ses repas, sa
toilette, son ménage et les soins .Pour parfaire le tableau clinique, une affection cardiaque
nécessite l’utilisation d’un pacemaker.
Avant notre arrivée, Albert L. ne sortait plus que pour se rendre à l’hôpital en ambulance. Sa
femme de ménage se chargeait des courses, et le facteur lui apportait l’argent liquide
nécessaire, tiré de son compte à la banque postale.
Par son Enfance, Albert L s’est forgé une solide indépendance et la conviction que « aide toi
et le ciel t’aidera », on ne doit compter que sur soi et La valeur travail est essentielle.
« Il s’est fait seul » et ce qu’il possède aujourd’hui est le fruit du « son travail et de celui de
son épouse »
Il n’hésite pas non plus à dire ce qu’il pense et à réclamer ce qu’il estime lui être dû.
Il est très fier de son passé militaire. Les anciens combattants ont été sa vraie famille. Tant
qu’il en a eu la capacité, il a participé à tous les événements (commémorations, défilés,
banquets,…). Il exhibe fièrement ses décorations, ses photos d’armée et il est intarissable sur
cette période de sa vie. (Annexe 1 : la liste de ses distinctions)
Son sens de l’ordre, de la hiérarchie, de la loyauté et de la fidélité viennent sûrement de là.
Albert L a mis au service de son entreprise ces qualités. Il a fait toute sa carrière dans la même
entreprise et de cela aussi, il est fier. Ses médailles du travail sont aussi importantes que ses
médailles militaires.
1-2 La Genèse de la mesure
Mr AL, 88 ans vit seul dans un appartement 2 pièces à Mons. Il souffre d’une insuffisance
rénale grave le contraignant à être dialysé tous les 2 jours pendant 5h à la clinique du bois à
Lille. Malgré un accompagnement important par le CCAS et une aide à domicile quotidienne,
il supporte mal cette vie et refuse périodiquement de se rendre à ses séances de dialyse. Son
état physique nécessite alors une hospitalisation de quelques jours à 1 -2 semaines, parfois
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plus. Après cette « remise en état », il retourne à son domicile avec reprise du traitement .
Mais ce « cycle » infernal dégrade peu à peu sa santé et son autonomie. .
En 2014, après 6 hospitalisations au cours de l’année 2013-2014, à la clinique du bois à Lille
et à la clinique du val de lys à Tourcoing, Une demande de protection est faite par l’assistante
sociale de ces établissements, Mme V.
Une 1ere demande est transmise au procureur de la république le 23 avril 2014, non acceptée
car incomplète. Une seconde demande est présentée au juge le 15 juillet 2014.
Le 8 octobre 2014 le Juge des Tutelles de Lille ouvre une mesure de curatelle renforcée, sans
précision quant à la protection de la personne.
L’ACL est nommée pour assister Mr Albert L et reçoit l’avis mi novembre. Eric D se charge
de cette mesure et me propose d’en être l’accompagnateur.
1-3 La lecture du jugement (annexe 2 : jugement)
Le juge des tutelles s’est prononcé avec les éléments suivants (cités dans le jugement)
-requête du procureur de la république du 15 juillet 2015
-certificat médical circonstancié du médecin inscrit du 6/06/15
-audition de Monsieur Albert L le 15/09/15 accompagné par Mr S du CCAS de
Mons
Le Jugement donne les conditions d’exercice de la protection des biens, et de la
curatelle renforcée , mais ne donne aucune précision concernant la protection de la
personne, les seuls éléments sont :
Les citations extraites des articles 415 al1 ,2 et 425 al2 du code civil dans les
motifs
Et une phrase du jugement :
« Dit qu’un compte rendu de la mission de protection de la personne sera
transmis chaque année au juge des tutelles à la date anniversaire de la mesure » (voir
jugement).
En nous référant à l’article 425 al2 :
« S’il n’en est disposé autrement, la mesure est destinée à la protection tant de la
personne que des intérêts patrimoniaux de celle-ci .Elle peut toutefois être limitée
expressément à l’une de ces deux missions ».
Nous avons considéré, pour l’exécution de la mission de protection, que cet alinéa
était implicite. Nous devons donc assistance à Monsieur Albert L. « pour tous les
actes importants de la vie civile concernant sa personne ».
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1-4- La consultation du dossier au greffe du tribunal
Pour avoir plus d’éléments sur l’environnement de Mr L. et les circonstances de sa
mise sous protection, et avant de prendre contact avec lui, il m’a semblé indispensable de
consulter les pièces du dossier au greffe du tribunal de Lille.
Les pièces importantes contenues dans ce dossier sont :
La requête du procureur de la république
Le certificat médical
Le procès verbal d’audition de Mr L accompagné par Mr S du CCAS de Mons
Le Fax d’information de Mme Di. du RESPA-CLIC de Villeneuve
d’Ascq.
A noter que la famille n’est pas mentionnée. Elle n’était probablement pas connue du Juge à
ce moment-là, ou celui-ci n’a pas estimé nécessaire de l’entendre ?
1-4-1- La Requête du procureur :
Elle donne l’origine de la démarche : Mme V. l’assistante sociale de la clinique
du val de Lys à Tourcoing (groupe HPM) . Mr Albert L. y était hospitalisé du 24 avril au 12
juin , dans un état grave , suite à un refus de traitement. Mme V. a convaincu Mr L. d’accepter
cette démarche.
On trouve aussi l’historique de la précédente demande de sauvegarde de justice
, faite en avril 2014, et n’ayant pas abouti pour des raisons de procédure.
1-4-2 - Le certificat Médical
Il est établi par un médecin psychiatre, inscrit sur la lite du procureur (cf.
article 431 al1 du code civil ). Celui-ci s’est rendu au chevet de Mr Albert L à l’hôpital de
Tourcoing
Il constate :
Une insuffisance rénale chronique
Mr L. gère mal sa maladie, il est dans le déni.
Une altération des facultés avec
Diminution légère des facultés intellectuelles
Désorientation temporelle, confusion
Pas d’altération de la mémoire.
Troubles de l’équilibre
Ces problèmes sont amplifiés lorsqu’il est en « manque de traitement »
Une insuffisance respiratoire légère
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Une tendance dépressive
Il ajoute que ces altérations sont irréversibles et que du fait de l’isolement social du
patient, il demande « un contrôle sur le plan de la personne »
Au vu de cette description, mon premier sentiment (de non médecin) a été que Mr L.
est peu atteint intellectuellement. Il devrait être en mesure d’exprimer sa volonté et de
pourvoir à ses intérêts pour les actes personnels .l’assistance pour la protection de la
personne devrait être limitée. Mr L semble en effet capable d’une grande autonomie
sur ce plan.
1-4-3- les procès-verbaux d’auditions
Le procès verbal d’audition de Mr Albert L.
Du fait de ses difficultés à se déplacer, Mr L. était accompagné d’un membre
du CCAS de Mons.
Mr Albert L reconnait
Avoir des Pb de santé
Avoir des difficultés à gérer son budget
« je ne peux plus vivre seul » et que 3 demandes d’entrée en maison de
retraite ont été faites
A ce stade, il me semble donc bien que Mr Albert L exprime surtout un besoin d’aide
pour la gestion de son budget.
Par ailleurs où en sont les demandes d’entrée en maisons de retraite, et qui les suit ?
Le FAX de Mme DI du CLIC-RESPA de Villeneuve d’Ascq
Mme DI n’a pu se rendre à la convocation du juge. Elle constate les faits
suivants :
Nombreuses hospitalisations en 2014
Perte progressive d’autonomie, en particulier Mr Albert L n’a plus la force de
préparer ses repas à son retour de dialyse.
Il est « désemparé » face aux démarches administratives, ce qui génère des
angoisses
Mr L. serait favorable à une mesure de protection.
L’assistance nécessaire pour la gestion du patrimoine se confirme. Mais il va
peut être falloir creuser pour l’assistance à la personne, ce n’est peut être pas si « simple »
que cela paraissait jusqu’à présent.
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2- LA RENCONTRE, la mise en place de la protection et de l’accompagnement
2-1- La rencontre avec Mr Albert L., le Majeur Protégé
Un premier rendez vous est pris pour une visite à son domicile de Mons en Baroeul, le
12 décembre 2014, en milieu d’après midi.
Mr Albert m’ouvre la porte, il est en pyjama et me fait entrer sans réticence dans son
appartement. Les lieux sont très encombrés, il y a des cartons de déménagement non déballés,
des habits posés sur toutes les surfaces disponibles et les dossiers des chaises. La salle de
bain et les toilettes sont aussi envahis, la douche sert de stockage et n’est pas utilisable.
(comment fait-il sa toilette ?). Dans le séjour, Là où il n’y a pas d’habits, s’entassent des
courriers et des dossiers de papiers administratifs. La table de salle à manger est recouverte de
piles de courriers dans les enveloppes ouvertes, bien alignées cotes à cotes. Cet ordre apparent
est surprenant car en opposition avec l’aspect du reste de l’appartement. On a l’impression
que le déménagement vient d’avoir lieu et que tout n’est pas encore rangé et opérationnel.
Mr Albert L. s’assied sur la seule chaise libre, et je m’installe comme je peux sur une chaise
qu’il me propose d’aller chercher dans le coin cuisine.
Après les présentations d’usage Mr Albert L. m’explique ses « soucis » de santé.
Il a visiblement envie de parler et devient rapidement « intarissable ».
Il ne peut plus rien faire à cause de la fatigue engendrée par ses dialyses. « Quand je rentre le
soir, j’avale un morceau de fromage, je suis trop fatigué pour manger, et je me couche ».
Il insiste lourdement sur ce point, et y reviendra périodiquement, « en boucle », au cours de
l’entretien :. « à la clinique du bois , ils me démolissent ». « je ne suis plus capable de rien, je
ne demande qu’une chose, c’est à partir ».
(La tendance dépressive, lue dans le certificat médical, est bien marquée ! sinon, le discours
est cohérent, et Mr L s’exprime facilement et clairement.)
« Il était très ordonné », dit-il, mais il ne peut plus s’occuper de ses papiers à cause de
l’arthrose de ses mains. Il a du mal à signer. C’est Mme W. la responsable de la société d’aide
à domicile qui vient lui remplir les chèques.
Il ne sort plus car il a du mal à marcher. C’est Helene DB, la femme de ménage, qui lui fait
les courses, prépare son petit déjeuner et réchauffe les repas apportés par la mairie.
(Quel ménage peut-elle faire au vu de l’état des lieux ?!)
Il me raconte aussi longuement son problème de logement. Il a quitté un logement rue
Lamartine, ou il vivait depuis la mort de son épouse, qu’il aimait bien .On l’a « obligé à
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venir ici ». « Il n’est pas bien, il fait trop froid, les voisins ne sont pas agréables, c’est trop
petit, je ne peux rien ranger !! ». (Je constaterai par la suite, au moment de l’inventaire, que
ses armoires et commodes, sont pleines à craquer de linge et d’habits, et que des valises
d’habits s’empilent au dessus des armoires). Je découvre dans la suite de la conversation
qu’Albert L a déménagé il y a plus d’un an ½, en Mars 2013 !
(Monsieur Albert L semble camper chez lui de manière provisoire depuis le début ?! Il n’a
pas cherché à investir confortablement les lieux !? )
En moins d’une heure je sais tout de lui : sa jeunesse et l’assistance publique, sa belle
famille qu’il ne fréquente plus, sa carrière « à la maison Peugeot » ET son passé militaire ! Je
dois impérativement ouvrir sa penderie et « voir par moi-même, les costumes couverts de
médailles ».
IL faut cependant, endiguer ce flot et revenir sur le terrain professionnel. La
présentation de la mesure, du jugement et des documents se fait sans difficulté. Quand il faut
aborder les besoins de consulter des documents, cela se complique très vite. Mr Albert L
« gémit » dès que je touche à une de ses « piles ». Son angoisse devient telle qu’il n’est pas
question que j’emporte quoi que ce soit, même provisoirement.
Je lui propose alors de revenir le voir avec mon ordinateur portable et un scanner
portatif .La consultation et la copie des pièces « nécessaires » se fera chez lui, sans rien
déranger. L’angoisse retombe, il accepte cette solution .
Le rendez-vous pris quelques jours plus tard se passera sans problème. Mr Albert L est
toujours aussi déprimé, Mais après quelques minutes de conversation en le « branchant »sur
ses souvenirs heureux : son passé militaire et sa carrière chez Peugeot, il cessera
« provisoirement » de ressasser son désir de « partir ». J’ai alors pu consulter tous les
documents dont j’avais besoin.
La confiance semble établie.
2-2- Concertation avec les intervenants partenaires
Pour compléter mon information, Il me reste à rencontrer quelques partenaires qui
interviennent dans l’accompagnement de Mr Albert L.
Mme W et Helene DB de l’association d’aide à domicile ont vu arriver l’ACL et la
mise sous protection Juridique de Mr Albert L. avec soulagement. Mme W se sentait
démunie devant les demandes de plus en plus importantes de Mr L. sur la gestion de ses
factures. « je voulais bien remplir quelques chèques, mais ce n’était pas à moi de gérer ses
biens et de faire sa déclaration d’impôts par exemple ».
C’est elle qui coordonne les intervenants, y compris les infirmières et aides-soignantes
qui viennent tous les jours pour la toilette et administrer les médicaments. Cette tâche est
compliquée du fait des nombreux séjours en hôpital de Mr L, dont elle n’est pas toujours
avertie.
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Helene DB évoque la difficulté de sa tâche. « Il ne veut pas que je range ». Alors elle
fait le lit, la lessive, et un ménage minimum. Elle fait les courses avec l’argent liquide donné
par Mr L. Elle prépare le petit déjeuner. Elle est la seule à détenir la clé de l’appartement. Elle
retire le courrier de la boite postale dont elle a aussi la clé.
Elle évoque aussi la grande fatigue de Mr L. a son retour de traitement. Elle confirme, qu’à
part le petit déjeuner, il ne mange pas grand-chose. Il passe le plus clair de son temps dans
son lit.
Toutes deux décrivent Albert L comme très isolé socialement. Il ne rencontre que ses aides
ménagères et soignants, ponctuellement dans la journée. Il est seul le reste du temps. Il ne
semble pas fréquenter ses voisins.
Lorsque je rencontre Mme DI au CLIC, elle me confirme les termes de son memo
remis au Juge des Tutelles. C’est elle qui est à l’origine des dossiers de demande d’entrée en
EHPAD. Elle a fait plusieurs tentatives, à la suite d’une période d’Hospitalisation, sur la
recommandation des personnels soignants. Aucune n’a abouti. Mr Albert L. bien que d’accord
au départ, se rétractait au dernier moment .Quand le dossier était prêt à envoyer, il refusait de
signer la demande. Mme DI a pu me communiquer le dossier complet.
Une conversation téléphonique avec le médecin traitant, le Docteur Bu., permet de
lui confirmer la mise en place de la mesure de protection et de me présenter. Il ne m’apprend
rien de nouveau par rapport au certificat médical du médecin inscrit, hormis l’existence d’un
régulateur cardiaque.
Ma première synthèse des éléments recueillis est que Mr Albert L est fortement
handicapé « physiquement » et depuis longtemps .Il a besoin d’une assistance importante pour
les actes administratifs et de gestion. Mr L sent bien qu’il ne maitrise plus, alors qu’il n’avait
aucun problème avant. C’est d’ailleurs la première demande de Mr Albert L. et la seule
exprimée. (« J’ai besoin d’aide pour mes papiers »). Ce manque de maîtrise et de visibilité
alimente chez lui une forte angoisse et une peur de manquer demain. Cela semble paradoxal
car Il n’exprime aucun projet d’avenir, pour ses finances, ou autre chose, s’étant enfermé dans
sa dépression et de son « désir de partir ».
La première urgence me semble donc de mettre en place la protection des biens et la gestion
courante afin de rassurer Mr Albert L .et répondre à son attente.
Au-delà de cela, j’ai le sentiment que le problème de fond n’est pas celui-ci. Le mal être
d’Albert L semble très profond. Les nombreuses Hospitalisations et les refus récurant de
soins me semblent des signaux d’alarme sérieux. Ne pas l’ayant pas encore suffisamment
côtoyé, je ne mesure pas encore ses difficultés de vie (dans tous les sens du terme), et
l’efficacité, pour le soulager, des aides à domicile dont il bénéficie.
Je pressens que l’assistance à la personne devra rapidement être mise en œuvre quand
j’aurai fait plus ample connaissance avec Albert L
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2-3- La Gestion Courante , la protection du patrimoine.
Mr Albert L et son épouse, avec des revenus d’ouvriers, ont été des « écureuils » durant leur
vie. Mr L dispose d’une épargne de plus de 120 000 € sur des comptes épargnes et en
assurances vie. De plus deux contrats obsèques, pour une valeur de 17 000€ sont souscrits.
Les pensions se montent à 18 000 € /an et suffisent à couvrir toutes les charges. Le premier
budget, établi en concertation avec Albert L, fait apparaitre un léger excèdent. Il n’y a aucune
dette. Albert est agréablement surpris de ce résultat et du montant de son épargne (j’ai droit à
un long discours sur les vertus du travail et de l’économie, après bien sûr, la conversation,
devenue rituelle entre nous, sur son passé militaire et ouvrier).
Son argent de vie, solde de ses revenus diminué des charges, est mis à sa disposition grâce à
une carte de retrait. Il a peu de besoins et ne l’utilise pas toujours complétement.
Le premier objectif est atteint, Albert L nous fait confiance et nous laisse les rennes. Par la
suite, il posera quelques questions, de temps en temps, sur le niveau de son épargne et ne
jettera qu’un coup d’œil rapide sur les comptes périodiques que nous présenterons.
3- LES PROBLEMES DE SANTE : « Le désir de mourir »
3-1- Le baptême du feu : première alerte ,décembre 2014
Le 19 décembre 2014, je suis averti par Mme W. que Mr L. a été hospitalisé à la clinique du
bois. Je décide de passer à l’hôpital, le lendemain soir pour prendre de ses nouvelles. Erreur !,
c’est un jour de Dialyse, et je n’avais pas mesuré l’incapacité d’Albert L. à recevoir des
visites ce jour-là. Je peux juger l’état de fatigue et de délabrement de Mr L à la sortie de son
traitement. Il est prostré, irritable et ne supporte aucune présence.
J’écourte donc ma visite, mais j’ai la chance de pouvoir discuter avec le médecin urologue qui
s’occupe de lui, le docteur B. Il me fait par de la grande fragilité physique et morale de Mr
Albert L et de sa préoccupation devant ses refus de traitement. A chaque fois, son état empire,
des complications cardiaques et /ou pulmonaires apparaissent et les temps d’hospitalisations
s’allongent. Il me parle de la dernière en date, pendant deux mois à Tourcoing (clinique du val
de lys). Celle-ci a débouché sur la demande de protection juridique. Cette longue durée de
convalescence a aussi permis de sortir Mr Albert L de son isolement. Pour lui, cela a été
l’occasion d’être plus entouré, d’être pris en charge après ses dialyses et d’avoir plus de gens
qui le rencontrent . Bref d’être un peu « chouchouté ». (« Des vacances en quelque sorte » que
Albert L. dit avoir appréciées).
Il est très réservé sur la possibilité de maintien de Mr Albert L à domicile, dans les conditions
de vie actuelles.
Mr Albert a passé les fêtes de fin d’année à l’hôpital .Il est retourné chez lui la 1ere semaine
de janvier.
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3-2- Deuxième alerte : janvier 2015
Phase 1
Le 12 janvier, je reçois un appel de HPM, clinique du bois, m’informant que Mr L a déjà
manqué 3 séances de dialyse. Au téléphone, le médecin semble très inquiet et insiste sur le
risque vital.
Phase 2
J’appelle Mr L, qui m’explique de manière confuse, « qu’il est très fatigué, qu’il se repose et
qu’il ira demain faire sa dialyse ». Il accepte cependant ma visite pour en discuter.
Ayant vu en décembre, l’état de « destruction » physique et mentale provoqué par son
traitement, je suis raisonnablement persuadé qu’il refusera aussi le lendemain de se rendre à
l’hôpital pour ses soins. Il risque même de ne pas y avoir de lendemain si j’en juge par
l’inquiétude du médecin.
Phase 3
Je suis confronté à plusieurs injonctions contradictoires
- Le libre arbitre du majeur pour le consentement aux soins (CCIV 459 al1).
Mr Albert L est en droit de refuser son traitement s’il est en mesure de prendre cette
décision de manière « éclairée ». Cependant, l’absence répétée de dialyse induit une
confusion mentale qui peut permettre de douter de la capacité de jugement à ce stade.
- La situation de danger dans laquelle se trouve le majeur (CCIV 459 al4). Le protecteur
doit alors prendre les mesures nécessaires pour faire cesser le danger.
- En tant que « simple être humain », (au-delà du problème professionnel) :
D’un côté, je peux comprendre le désespoir d’Albert L.
Il n’a pas de famille, pas de lien social, pas de projet
Il supporte mal ses conditions matérielles de vie
Pour quelles raisons doit-il continuer à souffrir ?
D’un autre côté, je ne peux me résoudre à laisser quelqu’un tenter de se supprimer
devant moi, en ayant le sentiment que tout n’a pas été fait pour réduire son mal de
vivre.
Je n’ai pas voulu rester seul pour résoudre ce dilemme. Avant de prendre une décision,
j’ai immédiatement consulté par téléphone (vu l’urgence) deux autres médecins ayant une
expérience de gériatrie. Tous m’ont confirmé l’urgence vitale et m’ont engagé à ne pas
abandonner Albert L. dans ces conditions; Pensant qu’il fallait se donner du temps pour
trouver, avec lui et son entourage, les conditions d’une vie plus sereine.
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Phase 4
Mon sentiment personnel me poussant dans ce sens, j’ai rappelé Albert L., qui a
accepté de me recevoir sur le champ.
Comme je le craignais son état Physique était déjà dégradé du fait de l’absence
prolongée du traitement. Il avait du mal à respirer, il commençait à être confus. Il répétait sans
arrêt « qu’il était fatigué ».
J’ai alors entrepris une longue discussion, compte tenu de son état, pendant laquelle j’ai
insisté sur les conséquences de sa décision et les risques encourus (457-1) .Je me suis attaché
à vérifier qu’il était pleinement conscient de ses actes.
Mais l’important a été de parler en tant « qu’êtres humains »
- J’ai présenté mes propres difficultés à ce stade, « de laisser sans rien faire » une
personne se mettre en danger de mort, même si je pouvais comprendre sa situation.
- J’ai expliqué à Albert L le profond choc « moral », du fait de mes propres valeurs, que
je ressentirais si quelque chose d’irrémédiable se produisait dans ces conditions.
- J’ai tenté de présenter des pistes et des possibilités d’espérer.
- Je me suis appuyé sur, les valeurs « positives » héritées de son histoire. Et grâce, je
pense, à la confiance récemment établie entre nous, j’ai obtenu, malgré son état, une
« écoute positive ».
Albert L a finalement accepté de se reprendre les séances de dialyse. Et nous avons pu
organiser son transfert immédiat vers l’hôpital.
3-3- La « longue descente aux enfers
Après ce nouveau rattrapage par un fil de Mr. L., l’équipe médicale est persuadée que,
les mêmes causes provoquent les mêmes effets. Si on renvoie Mr Albert L. à nouveau chez
lui, « où il ne supporte pas de vivre », on le replongera dans son isolement et son mal être
CCIV 459
al1- Hors les cas prévus à l'article 458, la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne
dans la mesure où son état le permet. al 4 - La personne chargée de la protection du majeur peut prendre à l'égard de celui-ci les mesures de protection
strictement nécessaires pour mettre fin au danger que son propre comportement ferait courir à l'intéressé.
CCIV 457-1 al1 La personne protégée reçoit de la personne chargée de sa protection , selon des modalités adaptées à son état,
et sans préjudice des informations que les tiers sont tenus de lui dispenser en vertu de la loi, toutes informations sur sa
situation personnelle, les actes concernés, leur utilité, leur degré d’urgence, leurs effets et les conséquences d’un refus de sa
part.
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. Apres concertation avec les partenaires, il est apparu qu’un accroissement (forcement limité)
de l’aide à domicile (déjà importante) ne résoudrait pas ces problèmes.
Mr L. fera à nouveau un refus de soin. « il descendra une nouvelle marche » et le risque létal
augmentera.
Albert L ayant bien « aimé » ses petites vacances à la clinique du val de lys, il accepte la
proposition d’être transféré à la clinique gériatrique d’HPM, l’hôpital ST Jean de Roubaix.
Cette période sera mise à profit pour « retaper physiquement et moralement » Mr Albert L et
permettra de rechercher une solution durable, alternative au retour au domicile.
3-3-1- Au début tout se passe bien. Le calme avant la tempête.
Le service d’aide à domicile est réorienté vers la Clinique St jean pour que Mr L ait
une visite régulière et qu’on s‘occupe de son linge, son courrier, de lui faire quelques courses,
……
Je lui fais, moi aussi de fréquentes visites. Cela lui permet de parler. Avant toute
conversation « professionnelle », le rituel est : d’évoquer sa volonté de partir, puis d’adoucir
la dépression par une évocation du passé dont il est fier. Il devient alors réceptif pour parler
des actions à effectuer ou à prévoir.
IL a été ainsi possible de rédiger le DIPM et de remplir, avec le concours de
l’assistante sociale un dossier de demande d’entrée en EHPAD. Albert L. a même accepté de
faire le déplacement en ambulance pour faire l’inventaire dans son appartement.
3-3-2- la chute aux enfers et la « volonté d’en finir »
Malheureusement, contrairement aux attentes de l’équipe soignante, au bout de
quelques temps, Albert L. supporte mal son séjour en clinique (manque d’entente avec le
personnel soignant ? cadre trop impersonnel ? état de santé plus dégradé que précédemment ?)
.Il s’enfonce dans sa dépression et début Février 2015, il refuse à nouveau de se rendre à ses
séances de dialyse.
Malgré les incitations de l’équipe soignante, au bout de 8 jours il persiste dans son
refus. La Psychologue, et deux médecins (gériatres), Mme Co et Mme Ro ont successivement
tenté de le faire revenir sur sa décision. Ils ont alors constatés que Mr Albert L., était en état
de comprendre les implications de sa décision, en particulier son issue fatale dans un délai
court. Ils ont dûment constaté qu’il prenait de manière « éclairée » la décision « de partir
(sic) »
En conséquence, les dialyses ont été suspendues et un traitement palliatif mis en place pour
l’accompagner.
Fort de ce constat, j’ai averti le Juge des Tutelles de la situation le 20 février 2015 (annexe 4)
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Il ne nous restait plus qu’à laisser l’équipe soignante agir et à l’accompagner en attendant sa
fin.
4- LE RETOUR DE LA « VOLONTE DE VIVRE » : la remonté vers la lumière .
4-1- « Les miracles »
Ier Miracle
Pendant une semaine, Mr Albert L. a fait preuve d’une résistance physique étonnante. A ce
moment, Malgré sa faiblesse et la confusion mentale qui s’était installée, les troubles
pulmonaires, il a fini par accepter une rencontre avec le docteur D , médecin urologue.
Que se sont-ils dit ? Albert L a-t’ il été effrayé de sa mort prochaine ? En a-t ’il eu assez de
souffrir ? Le fait est que, à l’issue de cette entrevue, les séances de dialyse ont repris.
2e miracle : le choix de l’EHPAD
Au bout de quelque jours, nous avons pu reprendre les discutions sur l’entrée en EHPAD
Les critères de choix des établissements
Un point important de la discussion avait été le choix des établissements auprès desquels
déposer un dossier. Les ressources de Mr Albert L ne lui permettraient pas de financer seul le
cout de séjour en EHPAD. Il faudrait faire appel à son épargne pour compléter, puis à l’aide
sociale à terme.
Dans ces conditions, devait-on se limiter à postuler pour des établissements éligibles à l’aide
sociale ?
Ces établissements ont une liste d’attente longue.
Devait-on risquer d’attendre plusieurs mois avant d’avoir une réponse positive ?
Mr Albert L. supporterait-il un long séjour en hôpital, qui n’est pas un lieu de vie
« normal » ?
Il est d’ailleurs probable que l’hôpital ne pourrait le garder beaucoup plus longtemps
sans être obligé de le renvoyer à domicile avec le risque que l’on sait.
Après plusieurs séances de discutions avec Mr L., nous sommes tombés d’accord sur le
constat suivant :
- Mr L a travaillé toute sa vie pour constituer son épargne
- Il n’a pas d’héritiers et ne souhaite pas léguer quoi que ce soit à sa belle famille
- Il n’a pas de projet pour cet argent
- Mr L. trouve donc juste de profiter de son bien pour améliorer son confort et sa fin de
vie.
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- Après calcul, même dans le secteur privé, l’épargne d’Albert L, plus ses revenus, sont
suffisants pour payer sa facture d’hébergement pendant plus de 5 ans. (« de toute
façon je serai parti avant » rappelle-t-il).
Suivant les conseils de l’assistante sociale et quelques suggestions de ma part, Mr
Albert L a choisi quelques maisons « de gamme moyenne », sans se préoccuper de
éligibilité à l’aide sociale, , Le critère principal étant son confort futur et la capacité
à le recevoir rapidement.
Son tempérament de fourmi lui donnera un mini reflex de recul au vue du cout de
journée de ces établissements :( « 90 €/j ! C’est cher ! »). Mais d’un autre côté, il est
assez fier, lui l’ouvrier, de pouvoir se payer çà, (« grâce à mon travail ; il y a des
bourgeois que je connais qui n’ont pas cet argent !».
L’offre des hauts d’Amendi à Fâches Thumesnil.
Cet établissement, de bonne qualité, a proposé une place au moment même de
la reprise des soins.
De plus, par une coïncidence extraordinaire, il se trouvait que Mme DR, le
médecin coordonnateur de l’établissement, avait travaillé chez Peugeot en même
temps qu’Albert L et qu’ils se connaissaient très bien.
Cette relation passée a servi de « point d’ancrage » à Mr Albert L. Ainsi, Il
« était accueilli » et arrivait en terrain « connu ».
Albert L est revenu « enchanté » de sa pré-visite. Et malgré quelques « péripéties »
son entrée, début mars, aux hauts d’amendi s’est bien passée.
4-2- L’installation à l’EHPAD des hauts d’amendi et le déménagement
Dans un premier temps, un déménagement partiel a été fait pour équiper la
chambre de Monsieur L. quelques petits meubles (fauteuil, commode, télévision,…)
ont été apporter pour compléter le mobilier fourni par l’établissement. Albert L a pu
entrer dans un cadre plus familier et confortable.
Au bout d’un mois, on a pu considérer que l’adaptation au nouveau milieu de
vie était en bonne voie, même si tout n’était pas encore parfait. Avec l’accord de Mr
L., (459-2 al1) les opérations de résiliation de bail et déménagement définitif ont été
mises en route.
CCIV 459-2 al1 La personne protégée choisit le lieu de sa résidence
CCIV 426 al 3 s’il devient nécessaire ,ou s’il est de l’intérêt de la personne protégée qu’il soit
disposé des droits relatifs à son logement ou à son mobilier par l’aliénation , la résiliation ou la
conclusion d’un bail, l’acte est autorisé par le juge ,……avis préalable d’un médecin inscrit sur
la liste prévue à l’article 451 est requis si l’acte a pour finalité l’accueil de l’intéressé dans un
établissement…….
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- Requête auprès du juge pour résilier le bail (annexe 5) accompagnée du
certificat médical de non-retour à domicile (cf. cciv art 426 al3…)
- Résiliation du bail auprès du bailleur social Vilogia (annexe 6)
- Choix par Mr Albert L. des pièces de mobiliers, objets, décorations,
etc…, qu’il souhaitait avoir dans sa chambre (dans la limite de la place
disponible)
- Déménagement de l’appartement vers un garde meuble (20 mai 2015).
Ce jour-là, Albert L. n’a pas eu la force physique et morale d’être
présent, malgré notre proposition de le conduire et de le ramener .IL a
préféré donner son autorisation de faire sans lui (annexe 7). Les
opérations d’emballage et de nettoyage ont été exécutées par les
partenaires (aides à domicile) et la société de déménagement.
Albert L. ne se sent pas capable, pour le moment, de faire le « deuil »
de ses biens « chèrement acquis par son travail ». Il a du mal à
envisager la dispersion ou le transfert à des inconnus des acquisitions
de toute une vie. (Il n’a personne à qui léguer ses biens). Il a donc été
convenu avec lui de faire les frais du garde meuble, en attente de
décision définitive.
L’appartement a été rendu fin mai 2015.
4-3- Le processus d’adaptation à la nouvelle vie
La montée vers la lumière , « l’envie de vivre »
4-3-1 Un début chaotique.
Albert L est arrivé dans l’EHPAD dans des conditions de santé précaire.
Les séquelles de son long refus de soin étaient importantes et nécessitaient un long
processus de « réparation ». C’est pourquoi Mme DR, médecin coordonnateur de
l’EHPAD et les personnels soignants de l’hôpital ont convenu un transfert rapide dans
l’EHPAD, sans passer par la case hôpital.
L’objectif était d’offrir à Albert L un cadre de vie et un « entourage humain » le plus
agréable possible. Avoir des gens qui « s’occupent de lui » dans un cadre de vie normal,
devait donner à Albert L. la « force physique et morale » de supporter les difficultés de
son traitement et de sa « remise en meilleure forme physique ». Mme DR a beaucoup
accompagné Albert L, en s’appuyant sur leur passé commun pour le rassurer et favoriser
son adaptation.
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Au cours du premier mois, tout le personnel de l’établissement s’est dévoué pour porter
Albert L. « à bout de bras ». Malgré cela, Mr L a eu du mal à trouver des raisons pour
« continuer à souffrir ». « je ne suis plus bon à rien, pourquoi on veut me prolonger ? »
répétait-il . Il a plusieurs fois demandé à cesser ses dialyses. A chaque fois le personnel
de l’établissement, à force de gentillesse, a réussi à le persuader de s’y rendre.
Le moral de Monsieur L. était suffisamment bas à ce moment pour que le Docteur DR
envisage la possibilité d’une rechute. Elle a alors discuté avec Albert L., à un moment
où il était parfaitement lucide et capable de prendre des décisions éclairée. Elle a
recueilli ses directives anticipées (cf. annexe 9 ) :
Au cas où Mr L se sentirait trop fatigué, il demande qu’on respecte sa décision de ne
pas aller faire son traitement.
En cas plus « extrême », il demande qu’on ne s’acharne pas, et qu’on ne l’envoie pas à
l’hôpital. L’établissement devra lui procurer les soins de soulagement nécessaires.
Il m’a semblé nécessaire de tenir au courant de Juge des Tutelles de « l’état des lieux »
(cf. annexe 8)
Ces dispositions ont semblé le rassurer pour l’avenir et lui donner plus de « force
morale » pour supporter le présent.
A partir de ce jour, il n’y a plus eu de refus de soin.
4-3-2 L’adaptation réussie et la consolidation de « l’envie de
vivre »
La chaleur humaine, les soins attentifs, les repas copieux correctement pris, ont
contribué à « retaper la carcasse » d’Albert L. Les dialyses sont toujours aussi pénibles
et fatigantes, mais il les supporte plus facilement car il a les moyens de récupérer entre
deux séances.
Même s’il a encore de temps en temps des accès de déprime, globalement son moral est
remonté à un niveau inconnu jusqu’alors.
Le premier signe de son nouvel « appétit de vivre » a été l’appropriation de son cadre
de vie. Alors qu’il ne l’avait pas fait dans son appartement précédent, il a demandé
d’exposer sur tous les murs les cadres contenant ses médailles et des photos illustrant
son passé militaire et ouvrier.
Alors qu’avant rien n’avait d’importance, aujourd’hui son caractère râleur a ressurgi. Il
a repris goût à son confort et devient rapidement exigeant quand il n’a pas satisfaction.
(Par exemple, il a négocié une ristourne sur ses frais de repas du fait de ses absences
pour dialyses 3 fois par semaine.)
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Albert L. commence à nouer des relations avec le personnel qui l’entoure (il connait le
prénom de toutes les aides-soignantes et infirmières). Il sort un peu de sa coquille (et de
sa chambre) pour rencontrer d’autres résidents. Il a ainsi un nouveau public pour
raconter son histoire dont il est fier. C’est qu’il est devenu très bavard Albert L !!
Fini les conversations entre nous qui débutaient invariablement par « de toute façon,
moi je ne demande qu’à partir ! ».Son nouveau leitmotiv est « il y a ceci ou cela, qui ne
va pas,… Si j’avais su ; je ne vous aurais pas écouté et je ne serais pas venu, …. MAIS
je suis bien ici ! ») .
Puis on peut passer à un autre sujet.
Le rapport à l’argent est révélateur.
Hier, Albert L. ne s’intéressait pas à son épargne, et n’avait aucun projet pour son
emploi. La préoccupation importante était l’entretien de son monument funéraire.
Aujourd’hui, Il s’inquiète du cout de sa pension et de sa capacité à payer. Il scrute le
niveau de son épargne et se pose la question de savoir ce qu’il deviendra quand celle-ci
sera épuisée. Il envisage même de racheter un de ses contrats obsèques (effectivement
inutile) pour allonger la durée de quelques mois.
Expliquer que ce problème ne se posera pas avant 5 ans, et qu’à ce moment-là, les
mécanismes de l’aide sociale prendront le relai, ne le rassure pas pleinement. ( « qu’est-
ce que je vais devenir ? Ils vont me mettre chez les fous comme un balochard !! »).
Son horizon s’est donc considérablement allongé !... mais son inquiétude aussi !
4-3-3 Les « Hauts » et les « Bas »
Le (encore fragile) retour des projets .
Albert L envisage de sortir de son isolement . Il reprend des contacts
téléphoniques avec sa belle-famille et avec sa filleule.
Il envisage même de « gérer » la donation de certains de ses biens , en
particulier ses « précieuses » médailles.
Il voudrait renouer avec les associations d’anciens combattants dont il a
longtemps été une cheville ouvrière. Une bonne opportunité serait de participer aux
commémorations du 11 novembre. Pour cela il lui manque des habits (son béret, sa
cravate de la 1ere armée, etc…). Alors, il tempête, se met en colère ! tout cela se trouve
au garde meuble, « qu’est ce qu’on attend pour les lui ramener ? ». Il a du mal à
admettre que ce n’est pas si simple (et souvent impossible) de retrouver tout cela.
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Il reste cependant encore des ombres au tableau :
Le traitement par dialyse reste épuisant et l’humeur d’Albert L. fluctue au gré
de son état de fatigue. Malgré le « chouchoutage » efficace dont il est l’objet, sa santé
reste fragile.
L’avenir ne lui donne pas beaucoup de raisons de continuer à « survivre » .Il se
raccroche alors à son passé. Le fait d’avoir quitté son domicile et de ne plus avoir toutes
ses possessions autour de lui reste un traumatisme. Chaque « manque » qu’on ne peut
satisfaire rapidement provoque, au mieux dans une crise de colère, et au pire réactive sa
dépression et son désir de « partir ».
CONCLUSION
L’exercice de la mesure de protection de Albert L. a été riche en évènements .
Comme je le pressentais, la gestion budgétaire et la protection du patrimoine n’étaient
que la partie émergée de l’iceberg.
L’essentiel de mes efforts a porté sur l’accompagnement de la personne. Il
fallut soutenir Albert L dans sa longue démarche de sortie de la dépression et la
consolidation de sa volonté de vivre, malgré les difficultés et les souffrances que cela a
représenté .
Cette action n’a été possible qu’avec la collaboration « soudée » de tous les
partenaires (équipes soignantes, personnels d’EHPAD, etc…). Leur soutien a été
indispensable pour passer les caps difficiles et repartir malgré les moments de doutes et
d’échec.
Au bout de cette année, Albert L , regarde de nouveau vers l’avenir , même si
tout n’est pas rose.
La meilleure récompense que je pense recevoir pour mon action, en tant que
MJPM, est d’avoir à faire, sous peu, le premier avenant au DIPM avec Albert L.
Cette victoire sur le « désir de mourir » d’Albert L est encore fragile, certes.
Mais elle est d’autant plus belle, du fait de sa difficulté et du peu d’espoir de réussite au
début.
Tout a été fait pour « faciliter la vie » d’Albert L., favoriser son confort et rompre son
isolement. Quel que soit le choix que fera Albert L à l’avenir, j’ai le sentiment d’avoir
fait humainement tout mon possible pour que ce choix soit fait de manière éclairée et
sereine.
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.
RESUME « du désir de mourir..à l’envie de vivre »
Monsieur Albert L bénéficie d’une mesure de curatelle renforcée depuis
novembre. 2015. Il a besoin d’une assistance pour gérer son budget et être accompagné
pour les actes importants concernant sa personne
C’est un ancien militaire, qui a travaillé ensuite comme ouvrier chez Peugeot. Il est
veuf, sans enfants. Il vit seul dans un appartement qu’il n’aime pas. Il est très isolé
socialement.
Il a lourd problème de santé. Il ne supporte plus le traitement par dialyse qu’il subit 3
fois par semaine. Il s’affaiblit et son humeur est déprimée au point de « vouloir
partir ».
Il fait régulièrement des refus de traitement qui mettent ses jours en danger.
L’accompagnement jusqu’à son installation en Etablissement a permis de rompre son
isolement, et d’améliorer son confort.
Le changement de ses conditions de vie a permis à Albert L. de retrouver une
« volonté de vivre » et de supporter son traitement.
Mots clés : curatelle renforcée, isolé socialement, problème de santé, vouloir partir ,
refus de traitement, déprimé, volonté de vivre
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