Dossier Pedago Les Bonnes (1)

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Théâtre Les Bonnes de Jean Genet Mise en scène Guillaume Clayssen A partir de 15 ans Durée : en création (environ 1h30) Représentations : Mardi 15 mars 2011 à 20h30 Mercredi 16 mars 2011 à 20h30 Jeudi 17 mars 2011 à 19h00* Vendredi 18 mars 2011 à 14h30 et 20h30 Samedi 19 mars 2011 à 18h Mardi 22 mars 2011 à 14h30 et 20h30 Mercredi 23 mars 2011 à 20h30 Jeudi 24 mars 2011 à 19h* *Rencontre avec les artistes à l’issue du spectacle Responsable des relations avec les publics Christel Laurent Ligne directe : 03 89 24 68 36 Mail : [email protected] Comédie De l’Est – 6, route d’Ingersheim – 68008 Colmar Cedex Tel : +33 (0)3 89 41 71 92 Fax : +33 (0)3 89 41 33 26 E-mail : [email protected]

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Théâtre

Les Bonnes de Jean Genet Mise en scène Guillaume Clayssen

A partir de 15 ans Durée : en création (environ 1h30)

Représentations : Mardi 15 mars 2011 à 20h30 Mercredi 16 mars 2011 à 20h30 Jeudi 17 mars 2011 à 19h00* Vendredi 18 mars 2011 à 14h30 et 20h30 Samedi 19 mars 2011 à 18h Mardi 22 mars 2011 à 14h30 et 20h30 Mercredi 23 mars 2011 à 20h30 Jeudi 24 mars 2011 à 19h*

*Rencontre avec les artistes à l’issue du spectacle

Responsable des relations avec les publics Christel Laurent Ligne directe : 03 89 24 68 36 Mail : [email protected] Comédie De l’Est – 6, route d’Ingersheim – 68008 Colmar Cedex

Tel : +33 (0)3 89 41 71 92 – Fax : +33 (0)3 89 41 33 26 – E-mail : [email protected]

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Mise en scène Guillaume Clayssen Avec Aurélia Arto, Madame Flore Lefebvre des Noëttes, Solange Anne Le Guernec, Claire Scénographie et costumes Delphine Brouard Lumière et vidéo Éric Heinrich Son : Grégoire Harrer Maquillage et coiffure : Isabelle Vernus Production : Comédie De l’Est - Centre dramatique régional d’Alsace Coproduction : La Compagnie des Attentifs Coréalisation : Théâtre de l’Etoile du Nord

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Synopsis Deux sœurs servent madame comme femmes de chambre depuis des années. Profitant des sorties nocturnes de madame, les deux sœurs s’adonnent au rituel d’un jeu de rôle sadique dans lequel elles jouent la maîtresse et la bonne. Se révèle alors la haine refoulée entre dominante et dominée. La seule issue logique serait le meurtre de madame par la bonne. Genèse d’une pièce L'argument des Bonnes (1947, nouvelle version en 1958), fut fourni à Jean Genet (1910-1986) par un fait divers survenu en 1933 : le crime des sœurs Papin, au Mans. De l'événement originel, la pièce a conservé une trame policière indécise, occupant l'arrière-plan du drame. On se gardera d'autre part, indique l'auteur dans un texte datant de 1963, « Comment jouer Les Bonnes », d'y voir l'illustration d'un propos social ou d'une revendication de classe. Ce bref manifeste revendique un théâtre qui tournerait le dos à toute tentation naturaliste. Ce que le poète dramatique aspire à voir apparaître sur la scène, c'est son être même, diffracté en figures multiples, révélé dans son moi profond, et paradoxalement mis à nu par un jeu de gestes et d'accoutrements. Les sœurs Papin

"Avant" : leurs visages se balançaient comme des fleurs sages au-dessus de cols de piqués. Elles respiraient l'hygiène et l'honnêteté appétissante [...] il y avait leur ressemblance de sœurs, leur ressemblance si bien-pensante, qui mettait tout de suite en avant les liens du sang et les racines naturelles du groupe familial..." Jean Paul Sartre, "Erostrate"

"Après", leurs faces resplendissaient comme des incendies. Elles avaient le coup nu des futures décapitées. Des rides partout, d'horribles rides de peur et de haine, des plis, des trous dans la chair comme si une bête avec des griffes avait tourné en rond sur leurs visages. Et ces yeux, toujours ces grands yeux noirs et sans fond...Pourtant, elles ne se ressemblaient plus. Chacune portait à sa manière le souvenir de leur crime commun." Jean Paul Sartre, "Erostrate"

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Note d’intentions Les bonnes ou la tragédie des apparences

Les Bonnes est la pièce la plus jouée du théâtre de Jean Genet. C’est une œuvre pourtant minimaliste. Comme dans une tragédie classique, tout y est unité : le temps, l’espace, l’action. Trois personnages seulement interviennent dans ce thriller théâtral. Pourquoi alors tant de mises en scène pour une œuvre, en apparence, si simple ? L’unité de cette pièce est un trompe-l’oeil magnifique. Chaque réplique, chaque moment de jeu, peuvent être lus de mille manières différentes. A la surface de l’œuvre, tout semble classique, clair, mais dès que le regard et l’imaginaire du lecteur ou du spectateur la creusent, naissent toutes sortes d’interprétations possibles. L’intensité de la fable, la densité de l’écriture de Genet, le mystère de ses personnages, rendent la lecture et la mise en scène des Bonnes inépuisables. Mais vers où aimerais-je aller dans ce texte profondément baroque et apparemment classique ?

L’Intime et le monstrueux L’œuvre de Jean Genet a pour lieu de naissance l’univers carcéral. C’est dans ce tout petit espace coupé du monde qu’est la prison et qu’il connut à plusieurs reprises dans sa jeunesse, que Genet découvrit l’immensité de l’imaginaire et du rêve. Enfermé entre quatre murs, c’est là qu’il se mit à écrire et rencontra la force subversive de la poésie. Ce rapport étrangement harmonieux entre un espace physique très confiné et un espace mental sans limites, constitue le fil conducteur de ma future mise en scène des Bonnes. Claire et Solange dans la pièce craignent en permanence que leur cérémonie secrète ne soit vue du voisinage. Elles s’enferment dans la chambre de Madame pour y jouer et y imaginer le meurtre de celle-ci. Les deux bonnes inventent, à l’intérieur d’un espace clos, un monde infini où leurs fantasmes prennent corps. Cette intimité monstrueuse que nous donne à voir Genet, cette solitude à deux qui met en scène toutes sortes de pulsions socialement condamnables, constitue en soi un enjeu théâtral fort mais ô combien délicat à représenter. Car contrairement à l’image un peu stéréotypée d’un théâtre de Genet où la théâtralité part dans tous les sens, il me semble que le jeu et l’imaginaire ont chez cet auteur, et particulièrement dans Les Bonnes, une fonction extrêmement rigoureuse et complexe dont le but n’est pas de nous éloigner de nous-mêmes mais de nous rapprocher de ce qu’il y a en nous de plus intime.

Genet fabrique un univers baroque et barré pour raconter la vie dans ses secrets les plus inavouables. Ainsi Claire et Solange sont-elles si éloignées de nous ? Ou, au contraire, n’expriment-elles pas une folie qui nous habite tous ? C’est cette seconde voie que je choisis pour ma mise en scène. Je veux montrer que le jeu de ces deux bonnes n’est en rien superficiel et relève bien au contraire d’un processus intime et universel. La monstruosité qui s’exprime dans leur imaginaire théâtral est aussi la nôtre. Que nous soyons entre quatre murs, coupés totalement du regard des autres et de la société, et alors, tout comme Claire et Solange, nous mettons en scène nos monstres. Pour Genet, le théâtre n’est intéressant que s’il devient ce lieu vivant où apparaît notre intimité monstrueuse : « Je vais au théâtre afin de me voir, sur la scène (restitué en un seul personnage ou à l’aide d’un personnage multiple et sous forme de conte) tel que je ne saurais - ou n’oserais- me voir ou me rêver, et tel pourtant que je me sais être. »

C’est donc à cette question passionnante que je désire répondre en mettant en scène Les Bonnes : comment concilier avec une extrême vérité l’intime et le monstrueux ? Comment montrer sans la dénaturer, sans la forcer, cette solitude humaine dans laquelle nos rêves les plus inavouables se font jour ? La manière si

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complexe et si subtile avec laquelle Genet décrit comment jouer Les Bonnes, confirme la pertinence théâtrale et humaine de ce questionnement que m’inspire cette pièce : « Le jeu théâtral des deux actrices figurant les deux bonnes doit être furtif…les actrices ne jouent pas selon un mode réaliste…Que les comédiennes jouent. Excessivement. » Etre furtif, non réaliste et excessif dans le jeu : toutes ces indications de Genet semblent contradictoires. Comment être excessif et non réaliste à l’intérieur d’un jeu furtif, un jeu secret, qui se fait à la dérobée, qui passe presque inaperçu par sa rapidité, un jeu qui masque son jeu ? C’est ce passage étroit entre un réalisme quotidien qui aplatit tout et une théâtralité trop avouée qui détruit l’intimité de l’écriture de Genet, que j’ai envie de débusquer avec le compagnonnage des trois comédiennes participant à cette aventure. Pour y parvenir le mieux possible, j’effectuerai un travail sur la voix. C’est par le volume et le timbre de celle-ci que le spectateur peut entendre et croire en ce théâtre si subtil, si paradoxal. Pour conserver cette aura de solitude et de folie intime dans laquelle sont plongées Claire et Solange, les comédiennes qui les incarnent devront être imperceptiblement soutenues par des micros. La plus belle manière de nous plonger dans l’univers mystérieux de ces deux bonnes, consiste d’abord à créer un espace d’écoute où puisse s’entendre la voix furtive de ces deux

personnages. Sans jamais tomber dans le naturalisme, je veux faire entendre la pièce dans une sorte de confidentialité extrême, comme s’il existait en chacun de nous un petit théâtre monstrueux et secret. C’est ainsi que les spectateurs peuvent éprouver, je pense, le trouble joyeux et la joie trouble d’assister à une scène interdite et pourtant universelle, une scène fondatrice dans laquelle notre humanité peuple sa solitude en jouant tous ses fantasmes les plus incommunicables.

Qui sommes-nous lorsque personne d’autre ne nous regarde ? Qui devenons-nous lorsque la scène sociale disparaît ? Quel théâtre inconnu et inavouable jouons-nous lorsque nous sommes seuls et que notre inconscient nous vole un peu de chair et de sang ? Les Bonnes, tel que je rêve la pièce, me semble raconter un théâtre interdit, inconnu, un théâtre qu’on ne peut représenter, un théâtre finalement à venir et que je souhaiterais trouver.

La violence du beau et du bon Ce théâtre interdit fait évidemment penser à ces rites secrets où la violence du sacrifice doit être exécutée à l’abri des regards profanes. La vulgarité est toujours incompatible avec le sacré. Genet nous met d’ailleurs en garde contre toute chute de la pièce dans la quotidienneté. Ainsi le meurtre de Madame que Claire et Solange jouent d’abord puis finissent par vouloir exécuter, n’a rien de crapuleux, de commun, de bassement égoïste. C’est un meurtre au contraire qui les dépasse, un meurtre dont les motifs contradictoires les empêchent d’être sereines et efficaces. Car Madame n’est pas simplement haïe de ses bonnes, elle est aussi adorée, admirée, idolâtrée par elles. La nécessité du meurtre de Madame repose notamment sur cet amour qui ronge Claire et Solange. Mais c’est également cet amour qui rend cet acte impossible et conduit à la fin au meurtre-suicide de Claire. Comment ainsi parvenir à exprimer cette ambivalence si riche des rapports entre Madame et les deux bonnes? La distribution dans cette pièce est plus que jamais le point de départ de la mise en scène. Elle a un rôle sémantique immédiat. Pour ma part, j’envisage de travailler sur une distribution qui creuse plusieurs écarts d’âge. Car il me semble que l’inégalité des âges peut renforcer cette inégalité si fondamentale dans la pièce qu’est l’inégalité des apparences. C’est ainsi que je justifie une certaine liberté dans ma manière de

distribuer les rôles, liberté non arbitraire puisque Genet lui-même avait émis le souhait que les deux sœurs notamment ne soient pas d’un âge trop rapproché. La comédienne qui joue Madame est la plus jeune – 25 ans environ. Elle doit être très belle et jouer avec beaucoup de légèreté et de gaieté. Toutes les répliques qui, dans la pièce, soulignent que Madame est plus âgée que ses deux employées, peuvent être dites avec ironie afin de

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mettre davantage en valeur l’inégalité foncière qu’il y a entre elles. L’actrice qui joue Claire a un âge intermédiaire entre celui de Madame et celui de Solange. Très belle au début, comme pourrait l’être Madame quinze ans plus tard, elle perd de son éclat, de sa belle apparence au moment de l’arrivée de sa maîtresse. L’âge intermédiaire de Claire, fait qu’elle peut être ou la grande sœur de

Madame ou la petite sœur de Solange, ce qu’elle est effectivement dans la pièce. Solange, elle, est jouée par une actrice d’une cinquantaine d’années. Tous ces écarts d’âge visibles doivent donner l’impression d’avoir d’un côté une Madame hors du temps, de la matière, de l’action, et de l’autre deux bonnes vouées au travail, au vieillissement, à la haine de soi et des autres.

Ce parti pris d’une distribution aussi hétérogène révèle, je crois, combien cette pièce est en définitive une tragédie des apparences. La volonté criminelle des deux bonnes à l’égard de leur maîtresse a pour origine l’humiliation permanente que leur imposent, non pas seulement l’esprit mais aussi et peut-être surtout le corps et l’apparence de Madame. Cette dernière est d’ailleurs beaucoup moins humiliante verbalement que ne le joue Claire lorsqu’elle la représente. La blessure profonde que cause Madame chez ses deux bonnes n’a pas seulement pour origine les simples mots qu’elle prononce. Elle vient aussi de cette image parfaite, de cette icône sacrée qu’elle incarne et qui génère la jalousie folle et terrible de Claire et Solange. La violence innocente de Madame me semble donc aussi intéressante à jouer qu’une sorte de mépris de classe conscient et volontaire qui caractérise également Madame. La jeunesse et la beauté sont les symboles physiques de cette innocence cruelle. On comprend ainsi très bien que Madame écrase ses bonnes non par une méchanceté quelconque, mais par sa légèreté, son insouciance et son bonheur de femme bourgeoise, toutes choses qui sont refusées à celles qui vivent en bas de l’échelle sociale : « Son triomphe c’est le rouge de notre honte ! », dit Solange à Claire. Toute la mise en scène a pour but de construire un espace où se représente ce grand écart entre le « triomphe » de Madame et la solitude monstrueuse et secrète des deux bonnes, ce contraste incroyable entre une vie de lumière et une vie plongée entièrement dans l’ombre de cette lumière. La scénographie doit permettre de rendre aussi vivante qu’irréelle cette tragédie des apparences dont le public devient le chœur silencieux.

Le spectateur incarcéré dans une boîte de Pandore A partir de l’expérience carcérale, Genet a construit un univers poétique nourri d’imaginaire, de jeu, de folie et d’ambiguïté. Cette expérience troublante qui consiste à trouver dans un espace clôturé, l’espace infini de nos rêves et de nos fantasmes, doit devenir très concrètement celle du spectateur. Le public qui vient assister aujourd’hui aux Bonnes ne peut être simplement au spectacle. Pour approcher la force subversive du théâtre de Jean Genet, il faut inventer une écriture scénique qui déplace totalement le spectateur. Le théâtre de Genet est transgressif parce qu’il déborde de toutes parts. Il faut judicieusement penser ce débordement pour mettre en scène avec impertinence Les Bonnes. Il serait dès lors insatisfaisant que, lors de la représentation de la pièce, le public soit exclu de la scène. Celle-ci doit s’étendre également à l’espace où se trouvent les spectateurs. Le sentiment pour le public d’être prisonnier d’un grand jeu, d’un imaginaire intime et monstrueux, est essentiel. C’est pourquoi nous avons imaginé que le prolongement de la scène à l’espace où se trouve le public, se concrétise notamment par un système de lumières qui éclaire la salle de manière mystérieuse et progressive. Les murs qui entourent le public sont couverts de tulles au travers desquels par un jeu lumineux d’opacité et de transparence sont mis à nu les éléments du décor, tous ces objets-totems appartenant au monde étrange et intime des deux bonnes. Ainsi confiné, le public est immergé dans l’imaginaire inquiétant et jouissif de Claire et Solange. Chaque spectateur participe à sa manière au drame étonnant, à la folie théâtrale qui ensorcelle ces deux bonnes. Cette ouverture sur l’intime de la pièce qui est aussi un cloisonnement à l’intérieur de cet univers de fiction, marque physiquement et symboliquement l’endroit où se situe dans cette mise en scène l’œil du spectateur,

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un endroit moins confortable que le simple face à face habituel scène-salle, un endroit où cet œil ne peut jamais se sentir vraiment extérieur. Sur la scène, d’autres tulles sont fixés aux murs afin de permettre non seulement d’unifier tout l’espace mais aussi, à certains moments, de couvrir cet espace d’images vidéo dont la projection correspond à l’imaginaire des bonnes. Ces rideaux, lorsqu’ils sont dépouillés de toute image, ont un double effet paradoxal sur le spectateur, celui de le mettre à distance de ce qui se passe sur le plateau mais aussi celui de métamorphoser son regard qui devient plus conscient, plus rationnel. Ainsi le spectateur peut prendre un certain recul et avoir un œil plus lucide

sur l’univers dément dans lequel il est replongé l’instant d’après. Dans ce dispositif, la projection vidéo associée au son plonge donc bien le public dans les rêves inavouables de ces deux bonnes. Intégré dans ce petit théâtre intimiste et monstrueux, le spectateur refait l’expérience paradoxale qui a conduit Genet à l’écriture : un corps enfermé qui s’ouvre subitement à un imaginaire et à un désir sans limites. Apparaît alors toute l’ambiguïté entre le réel et l’irréel, le vrai et le faux, qui sont au cœur de cette œuvre théâtrale.

Les costumes et les accessoires participeront en partie de cette ambiguïté. En fond de scène se trouve, à moitié caché derrière un tulle, un mur de vêtements et d’objets confectionnés dans le même esprit que les œuvres d’Annette Messager. Cette artiste travaille sur les mythologies individuelles et explore l'ambivalence de l'enfance, le rapport magique au monde, le fantasme et le fantastique, en proximité avec une tradition populaire de l’art. Par l'emploi de matériaux qui appartiennent à l'art pauvre, tels des peluches, des morceaux de tissus, des crayons de couleur, des traversins, etc., cette artiste confectionne des structures relevant du talisman, de la relique ou de l'ex-voto populaire, dans une optique qui se veut à la fois protectrice et inquiétante. C’est dans cet univers magique et quotidien que j’imagine Claire et Solange. Les costumes et les objets qui occupent, tel un mur, le fond de scène, ont été retravaillés et rendus monstrueux après avoir appartenu à l’origine à Madame. Ils ont été fétichisés par les deux bonnes qui peuvent ainsi croire vivre une vie qu’elles n’ont pas, une vie qui est à la fois l’objet de toute leur abjection et de toute leur fascination. Finalement l’espace des Bonnes qui enserre le public est comme une boîte de Pandore dans laquelle ce même public est incarcéré. De cette boîte noire vont surgir des corps, des voix, des sons, des images inattendues, conduisant magiquement le spectateur à comprendre de manière sensorielle cette dérive folle de Claire et Solange. « Furtif », qui étymologiquement veut dire « voleur », est le premier mot qu’emploie Genet au début de son texte « Comment jouer Les Bonnes ». Tout ce dispositif scénographique est là pour intensifier ce mot d’ordre du poète et accomplir ainsi tout ce que cette écriture vient génialement voler à notre âme bien pensante et endormie. Car ne nous y trompons pas, Les Bonnes est une pièce qui questionne notre conscience dans ses recoins les plus intimes.

Guillaume Clayssen

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Scénographie Dispositif: La scénographie évoque la chambre d’un appartement feutré dont les murs sont recouverts de tentures. Au lointain, dissimulé derrière une alcôve prend place un rideau constitué de vêtements assemblés les uns aux autres en volume. Superficie de l’ensemble : Profondeur 8m50. Hauteur de 5m30. Le principe constructif proposé et celui de 2 portiques rigides principaux sur lesquels viennent se reprendre les différents tubes ou tringles supportant l’ensemble des rideaux. Eléments de décor:

- Un ensemble de rideaux peints et confectionnés - 1 Rideau « vêtements » - 2 châssis fenêtres - 1 moquette rase, grise moucheté, recouvrant le sol y compris les entrées de la salle :

Mobilier: L’ensemble du mobilier sera recouvert de tissus de même nature et coloris que les tentures. - 1 console, intégrant un plan de travail

de type vitrine (tiroir fixe vitré sur 3 côté, dessus en plexi) et un tiroir ouvrant équipé d’une serrure

- 1 assise, type tabouret + coussin - 2 armoires, de type ossature

parallélépipède, le sol, le plafond et le fond en CP rigides recouvert de tissus, les côtés et la face en rideaux souples

- 1 lit, intégrant un double fond vitré sur 2 faces idem vitrine de la console - 1 matelas aux dimensions du lit - 1 piédestal et une statue - 1 miroir mobile, faisant office de miroir et d’écran de projection vidéo - 3 lustres. - 4 cadres

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La statue sphinge

Dans la mythologie grecque, le Sphinx ou la Sphinge est une créature fantastique appelée Phix dans le dialecte béotien, fille de Typhon (ou d'Orthos) et d'Échidna, ou encore selon Hésiode d'Orthos et de la Chimère. Elle est représentée avec un buste de femme, un corps de lion et des ailes d'oiseau.

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Tulles qui s’étendent également à l’espace où se trouvent les spectateurs.

Scénographie au début

Scénographie à la fin

Appliques murales inspirées de l’Art Brut

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Les costumes

« Les Bonnes », une pièce où se vêtir est un acte social et politique. Le vêtement ici fait violence et semble dire à l’autre, à l’autre qui n’est pas du même monde : « Je te méprise de toute ma belle apparence car toi tu n’es qu’invisibilité, absence au monde, insignifiance. ». Les costumes de Madame fascinent les bonnes. « La Fascination », nom d’une des robes que porte Madame. Etymologie du mot : le sexe en érection. Les bonnes devant les robes de leur patronne éprouvent un état, non pas d’admiration, mais de vénération. Paradoxe : c’est cette vénération qui est à l’origine de la haine qu’elles vouent à Madame. Trois types de costumes : ceux des bonnes qui se fondent dans le décor et qui ôtent toute féminité, tout érotisme au corps ; ceux de Madame, qui ont la beauté excentrique et violente de cette bourgeoisie canaille qui jouent de l’originalité et de l’ostentation ; ceux de la fausse Madame qu’incarnent tour à tour les deux sœurs et dont la caractéristique est d’être une reprise monstrueuse et décalée de la garde-robe de leur patronne, une version art brut de ses robes.

Inspirations costumes de Madame Inspiration costume des bonnes

Claire habillée en Madame Claire habillée en Madame Claire habillée en Madame au début à la fin à la fin

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Evolution du costume de Madame durant la pièce

Madame à son arrivée

Madame sous son manteau Inspiration costumes de Madame

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La cage de Madame

Photo de répétition © André Muller

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Photos de répétition © André Muller

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Interview de Guillaume Clayssen

Pourquoi monter un texte classique, après s'être tant penché sur les auteurs contemporains ? Ce qui m’intéresse particulièrement dans « Les Bonnes », est qu’il s’agit, si j’ose dire, d’un « jeune classique ». La pièce pose un vrai paradoxe et révèle une tension dramaturgique étonnante : sa structure est classique – on peut notamment diviser la pièce en cinq actes – mais son mouvement et sa progression internes sont totalement baroques. Tout le paradoxe qu’incarne Genet est donc présent dans cette pièce : styliste hors pair, admirateur profond des grands poètes du passé, il écrit un français d’une pureté absolue, mais intègre à l’intérieur de ce français classique toute sa révolte et la haine si forte qu’il vouait à cette société française dont il s’est senti abandonné et rejeté. Quel est le traitement d'aujourd'hui pour une écriture d'hier ? La « cérémonie » qu’officient tous les soirs les deux domestiques des « Bonnes », n’est pas ouverte au public. Le monde extérieur, comme le voisinage, est totalement incompatible avec ce petit théâtre insolite et intime. En prenant conscience de cette dimension privée du jeu, j’ai rapidement fait l’analogie avec l’art brut, cet art pratiqué par les « fous » ou les « marginaux » qui n’ont aucune conscience de faire de l’art au sens culturel et institutionnel du terme, mais qui, en revanche, éprouvent un besoin extrême à s’exprimer par le dessin, la peinture ou la sculpture. « Les Bonnes », dans son traitement, me pose donc cette question énigmatique : comment représenter devant un public une pièce qui devrait se jouer sans public ? C’est par le jeu des comédiennes et le dispositif scénique que je souhaite créer cette atmosphère singulière de monstruosité intime. Quels sont les enjeux humains, les enjeux de société contemporaine ? « Les Bonnes », écrite en 1948, constitue pour moi une vision iconoclaste et très contemporaine de la femme. La féminité qui y est exprimée est un jeu permanent et, loin de tous les clichés machistes et essentialistes, les femmes dans cette pièce, aussi monstrueuses et effrayantes soient-elles, font totalement éclater le cadre identitaire étroit dans lequel une certaine vision masculine voudrait les enfermer. Les actrices, qui ont toujours suscité dans la société bourgeoise fascination et mépris, ont cette même force et cette même liberté qu’on retrouve dans les personnages des « Bonnes ». Il est passionnant pour moi de travailler sur cette question du féminin et d’un certain féminisme de la pièce.

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Jean Genet (1910-1986) De l’abandon à la délinquance (1910 -1943) Jean Genet est né le 19 décembre 1910 à Paris et abandonné sept mois plus tard par sa mère, gouvernante, à l’Hospice des Enfants Assistés de la rue Denfert-Rochereau. Cet abandon est à l’origine d’une solitude et d’une exclusion qui vont être au fondement de la démarche de l’écrivain. Pupille de l’Assistance Publique, Genet est recueilli à Alligny-en-Morvan dans un village de la Nièvre. La religion catholique et l’éducation villageoise vont marquer Genet. De l’Église il retiendra l’apparat, la théâtralité, la dimension à la fois esthétique et hypocrite. Beaucoup de ses métaphores et de ses fantasmes s’y enracineront. Excellent en classe et repéré par l’un de ses instituteurs, Genet n’est pas soumis aux travaux agricoles qui échoient d’ordinaire aux enfants de l’Assistance Publique. A quatorze ans, il va à Paris pour travailler dans une imprimerie. Mais refusant toute discipline, il tente de partir pour l’étranger. Sa tentative échoue. Il est alors mis sous tutelle chez un compositeur de chansons, aveugle. Commettant ses premiers larcins, on le place en 1925 sous surveillance psychiatrique et judiciaire. Dès cette époque, Jean Genet prend conscience de sa marginalité dans la société française.

Commence alors, un an plus tard, un séjour à la colonie pénitentiaire de Mettray jusqu’à sa majorité. Ce lieu va être déterminant dans son œuvre à venir. En 1929, afin de quitter Mettray, il devance l’appel et s’engage volontairement dans l’armée. Il vit en Syrie, puis au Maroc, et découvre un monde arabe auquel il va rester attaché toute sa vie. Déserteur, voleur, Genet, au milieu des années 1930, vagabonde à travers toute l’Europe : Barcelone, Rome, Brest, la Yougoslavie, l’Allemagne… Il rencontre dans son errance des hommes de la pègre auxquels il se lie avec passion et qu’il magnifiera dans ses livres. Après de nombreux démêlés avec la justice des différents pays qu’il traverse, il est finalement arrêté pour des petits délits et séjourne fréquemment dans les prisons françaises entre 1938 et 1943. Lors de sa dernière incarcération, il écrit son premier poème, « Le Condamné à mort », puis son récit « Notre-Dame des-Fleurs », qui a pour cœur un personnage de travesti, Divine, et ses amants à Pigalle.

La reconnaissance littéraire (1943 -1947) Après son séjour en prison, en février 1943, Genet rencontre Jean Cocteau, qui va être décisif dans sa carrière d’écrivain. La lecture de « Notre-Dame-des-Fleurs » bouleverse Cocteau. Il lance alors Genet dans le Paris littéraire. Mais quelques mois plus tard Genet récidive : il séjourne à nouveau sous les verrous pour vol de livre. Cocteau intervient lors de son procès pour lui éviter la relégation à perpétuité. Son témoignage porte principalement sur le génie littéraire et poétique de l’accusé qu’il qualifie de « plus grand écrivain de l’époque moderne ». Grâce à Cocteau, Genet sort de prison le 14 mars 1944, pour la dernière fois. La deuxième rencontre déterminante a lieu en mai 1944. C’est celle de Jean-Paul Sartre. Le grand philosophe, dont la notoriété après-guerre éclate littéralement, soutient activement l’écriture et la personne de Genet. Il publie dans sa revue « Les Temps modernes » des extraits de « Journal du voleur ». Mais Genet reçoit, par ailleurs, une vraie reconnaissance éditoriale puisqu’il est publié par Marc Barbezat, directeur de la revue prestigieuse « L’Arbalète », ainsi que par Gallimard. C’est ce dernier qui, en 1947, publie « Pompes funèbres » et « Querelle de Brest », seul roman véritable.

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Jean Genet par Giacometti

Du théâtre au combat politique (1947-1986)

Genet apparaît aussi très vite comme auteur de théâtre et non des moindres. En 1947, Louis Jouvet met en scène « Les Bonnes » à l’Athénée. Lieu de confrontation vivante avec cette société qui l’a rejeté, le théâtre est pour Genet un outil d’expression et de création tout à fait à part.

En 1948, il écrit un ballet, « 'Adame Miroir », avec des artistes prestigieux comme Roland Petit, Darius Milhaud, Leonor Fini, Paul Delvaux… Il écrit « Splendid’s », publié et joué après sa mort, ainsi qu’« Haute Surveillance » (1949), que loue un écrivain très officiel de l’après-guerre et apparemment éloigné de Genet : François Mauriac. Gallimard commence en 1951 la publication des œuvres complètes de Genet, ce qui est remarquable compte tenu de la faible popularité alors de l’écrivain auprès du grand public. Mais précisons que Jean-Paul Sartre dont l’essai, « Saint Genet, comédien et martyr », sort l’année suivante, en 1952, est très actif dans ce projet de publication. L’essai de Sartre fait plusieurs centaines de pages et constitue l’introduction des œuvres complètes de Genet. Sans se l’avouer immédiatement, Genet sera paralysé par l’interprétation que Sartre fait de sa vie et de son œuvre.

A partir de la fin des années 50 et du début des années 60, son théâtre évolue de manière plus directement politique, que ce soit avec « Les Nègres », rédigés en 1956 et créés trois ans plus tard, ou avec « Les Paravents ». Cette dernière pièce, créée au théâtre de l’Odéon, suscite un scandale retentissant en 1966. Roger Blin la met en scène et y dirige notamment Madeleine Renaud et Maria Casarès. Le sujet encore brûlant de la guerre d’Algérie est au cœur de l’écriture de Genet. Des membres de l’O.A .S .n’hésitent pas alors à venir perturber violemment les représentations des « Paravents ».

« Les Nègres » et « Les Paravents » préfigurent « le dernier Genet », l’homme qui va se battre aux côtés des Black Panthers et des Palestiniens. Ces deux dernières pièces manifestent de la part du poète un changement radical dans sa façon d’être au monde. La misanthropie anarchiste, dans laquelle il était durant la première partie de sa vie, est progressivement remplacée par la nécessité de s’associer à des hommes et à des femmes qui subissent, d’une manière ou d’une autre, l’injuste domination du monde blanc et occidental.

Concernant la vie personnelle de Jean Genet, l’événement majeur est la rencontre, en 1955, d’Abdallah, un acrobate de dix-neuf ans. C’est pour lui qu’il écrit en 1957 ce poème d’une grande beauté : « Le Funambule ». Leur histoire dure neuf ans, jusqu’au suicide du jeune homme. Cette mort si violente va bouleverser Genet et l’éloigner de la littérature ; du moins le pense-t-il.

A la fin de sa vie, Genet séjourne le plus souvent au Maroc où il sera d’ailleurs enterré dans le cimetière de Larache. Il meurt le 15 avril 1986 dans un petit hôtel du XIIIe arrondissement de Paris. On retrouve dans sa chambre les épreuves partiellement corrigées de son dernier livre, qui est une sorte de chant d’amour au peuple palestinien : « Un captif amoureux ».

Je suis né à Paris le 19 décembre 1910. Pupille de l'assistance publique, il me fut impossible de connaître autre chose de mon état civil. Quand j'eus

vingt et un ans j'obtins un acte de naissance. Ma mère s'appelait Gabrielle Genet. Mon père reste inconnu. J'étais venu au monde au 22

de la rue d'Assas. Je saurai donc quelques renseignements sur mon origine, me

dis-je, et je me rendis rue d'Assas. Le 22 était occupé par la Maternité. On refusa de me renseigner.

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Entretien avec Jean Genet Avec Bertrand Poirot-Delpech, 1982

Entretien réalisé et filmé le 25 janvier 1982. Bertrand Poirot-Delpech : La France a supprimé la peine de mort, j'aimerais savoir l'effet que ça vous a fait d'apprendre qu'on ne couperait plus les têtes en France? Jean Genet : Ca m'a laissé complètement indifférent parce que la suppression de la peine de mort est une décision politique. La politique française, je m'en fous, ça ne m'intéresse pas. Tant que la France ne fera pas cette politique qu'on appelle Nord-Sud, tant qu'elle ne se préoccupera pas davantage des travailleurs immigrés ou des anciennes colonies, la politique française ne m'intéressera pas du tout. Qu'on coupe des têtes ou pas à des hommes blancs, ça ne m'intéresse pas énormément. Les règlements de comptes entre ceux qu'on appelait les voyous et les juges, pour moi, c'est sans intérêt.

Qu'on essaie de réduire ou de supprimer les châtiments ne vous intéresse pas vraiment? En France. Non, je m'en fous.

Si on arrivait à créer une société où on ne punit pas, vous ne seriez pas davantage satisfait? Faire une démocratie dans le pays qui était nommé autrefois métropole, c'est finalement faire encore une démocratie contre les pays noirs ou arabes. La démocratie existe depuis longtemps en Angleterre, entre Anglais probablement. Je connais mal l'histoire anglaise, mais je crois que depuis longtemps la démocratie était florissante en Angleterre, quand l'empire colonial anglais était florissant, mais qu'elle s'exerçait contre les Hindous.

Vous pensez que les luxes économiques ou politiques des pays riches se paient toujours sur le dos du tiers-monde? Pour le moment je ne vois que ça.

Et quelle société vous satisfait, enfin... vous écœure le moins? Là, je ne peux pas vous répondre politiquement mais presque religieusement. Le mal comme le bien font partie de la nature humaine et s'expriment à travers les hommes ou les sociétés. Je ne condamne pas, je ne sais pas ce qui va sortir des anciens empires coloniaux. Je ne sais pas ce qu'ils auront apporté de bien, je sais ce qu'ils ont apporté de mal. Peut-être ont-ils apporté du bien aussi, mais tout cela est si inextricablement mêlé que je ne serai jamais satisfait par un système politique, quel qu'il soit.

Est-ce que c'est ça l'anarchisme? Probablement pas. J'ai pris parti, vous voyez, je ne suis pas resté indifférent. Quand j'étais à Mettray, j'ai été envoyé en Syrie, et le grand homme, en Syrie, c'était le général Gouraud, celui qui n'avait qu'un bras. Il avait fait bombarder Damas et comme j’apprenais un peu l’arabe, je sortais du quartier à 4 heures exactement pour rentrer à l'heure que je voulais. Les petits gars de Damas prenaient un grand plaisir à me promener dans les ruines qu'avaient faites les canons du général Gouraud. J'avais une double vision du héros et de la saloperie, du type dégueulasse qu'était finalement Gouraud. Je me sentis tout à coup tout à fait du côté des Syriens. D'abord, ça a été probablement un sentiment plus ou moins retors pour me faire bien voir d'eux, pour être aimé, pour participer aux jeux de cartes. Les jeux de cartes étaient interdits par le gouvernement français. Alors, moi, j'allais jouer avec eux dans les petites mosquées jusqu'à 4 ou 5 heures du matin.

Comment expliquez-vous que, au lieu d'écrire l'argot ou d'inventer une langue, vous vous soyez coulé dans la langue de l'ennemi, c'est-à-dire le beau langage, celui de l'autorité et du pouvoir. Vous avez finalement écrit la langue de Gouraud? Je ne suis pas très sûr que Gouraud ait écrit ma langue. Mais enfin, vous avez raison, il fallait d'abord séduire ceux dont vous parlez, ce à quoi vous appartenez sans doute, l'intelligentsia française. Vous avez séduit avec la langue qu'on dit classique, une langue que vous n'avez pas bousculée. Vous vous en êtes servi comme elle vous arrivait. Et d'abord, qui vous a appris à écrire le français si correctement? La grammaire.

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Mais il y a eut un moment à l'école où on vous a donné le goût du bien-écrire? A Mettray? Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment là. Vous me reprochez d'écrire en bon français ? Premièrement, ce que j'avais à dire à l'ennemi, il fallait le dire dans sa langue, pas dans la langue étrangère qu'aurait été l'argot. Seul un Céline pouvait le faire. Il fallait un docteur, médecin des pauvres, pour oser écrire l'argot. Lui, il a pu changer le français bien correct de sa première thèse de médecine en un argot, avec des points de suspension, etc. Le détenu que j'étais ne pouvait pas faire ça, il fallait que je m'adresse, dans sa langue justement, au tortionnaire. Que cette langue ait été plus ou moins émaillée de mots d'argot n'enlève rien à sa syntaxe. Si j'ai été séduit, parce que je l'ai été, par la langue, c'est pas à l'école, c'est vers l'âge de quinze ans, à Mettray, quand on m'a donné, probablement par hasard, les sonnets de Ronsard. J'ai été ébloui. Il fallait être entendu de Ronsard. Ronsard n'aurait pas supporté l'argot... Ce que j'avais à dire était tel, témoignait de tellement de souffrances, que je devais utiliser cette langue-là.

Vous avez fait de Ronsard votre gardien? Puisqu’il est l'une des premières émotions que j'ai eues, à la fois de la langue française et de la poésie, c'est assez naturel que je lui réserve une sorte de fidélité.

Il y a un risque, quand on écrit comme Jean Genet. Les tortionnaires disent : "Il n'est pas dangereux, il écrit si bien!" La récupération par la beauté! Est-ce qu'on pourrait comparer la façon dont vous vous saisissez de la langue du "tortionnaire" à la manière dont les bonnes prennent les robes de Madame ? Ou est-ce plus naturel chez vous ? En épousant cette musique et ce charme de la langue, obéissez-vous à une stratégie ou à un instinct? Je voudrais répondre que c'est une stratégie mais, malgré tout, avant d'aller à Mettray, j'ai été à l'école et j'ai tout de même appris le français.

Lisez-vous volontiers des choses parues récemment? Le dernier livre que j'ai essayé de lire, c'est un livre de Raymond Abelio. Il m'a paru très mal écrit et assez confus.

Vous avez dit que Rimbaud avait "choisi" le silence. Vous aussi? Je ne sais pas pourquoi Rimbaud a choisi le silence. J'ai dit qu'il avait compris qu'il devait se taire. Moi, il me semble que, puisque tous nos livres ont été écrits en prison, je les ai écrits pour sortir de prison. Sorti de prison, l'écriture n'avait plus de raison d'être. Mes livres m'ont fait sortir de taule, mais après, quoi dire ? Il y a une part de vous qui est toujours en prison, non? Non. Non. Quelle part de moi ?

Ne serait-ce que la mémoire de ceux qui y sont restés, qui en sont morts ou qui s'y trouvent encore maintenant? Non, une part de moi reste davantage dans les pays épuisés par les Français, comme le Maroc, le Mali et d'autres.

Vous n'auriez pas eu l'idée d'écrire pour qu'ils sortent, eux, de prison? Non. Je redis bien que la suppression de la peine de mort me laisse complètement indifférent. Je ne tiens pas du tout à ce qu'on mette des gars en taule, mais c'est une affaire entre eux et les juges, les gouvernements, etc., pas entre eux et moi. Ce silence, nous sommes beaucoup à le déplorer. Ah! Vous vous en remettrez.

Revenons à votre choix de la langue classique. Pourquoi? Avant de dire des choses si singulières, si particulières, je ne pouvais les dire que dans un langage connu de la classe dominante, il fallait que ceux que j'appelle " mes tortionnaires " m'entendent. Donc il fallait les agresser dans leur langue. En argot ils ne m'auraient pas écouté. Il y a autre chose aussi. La langue française est fixe, elle a été fixée au dix-septième siècle à peu près. L'argot est en évolution. L'argot est mobile. L'argot utilisé par Céline se démode, il est déjà démodé.

Mais vous êtes beaucoup plus subversif que Céline. Céline dit aux tortionnaires : "tout est de la merde", ça les arrange ce nihilisme. Alors que vous, vous dites : "on vous mettra dans la merde", il y a de la révolte chez vous, alors que chez lui il y a une espèce d'accablement et de geignardise. C'est beaucoup plus insupportable aux "tortionnaires" ce que vous dites. Les vrais tortionnaires, en réalité, ne me lisent pas.

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Pourtant, ils vous craignent. ils savent que vous êtes là. Ils s'en foutent, ils s'en foutent. Non, il ne faut pas exagérer l'importance de ça.

Pouvez-vous donner un exemple de votre choix grammatical? La première phrase du premier livre que j'ai écrit commence ainsi : "Weidmann vous apparut." Le correcteur d'imprimerie m'a demandé de corriger en remplaçant "vous" par "nous". C'est "Weidmann nous apparut" n'est-ce pas, m'a-t-il dit. J'ai tenu à ce qu'on conserve "vous apparut", parce que je marquais déjà la différence entre vous à qui je parle et le moi qui vous parle.

Vous preniez vos distances? Je prenais mes distances mais en respectant les règles, vos règles.

Vous n'avez jamais établi de règles vous-mêmes? Je crois que finalement toute ma vie a été contre. Contre les règles blanches.

Qu'est-ce que vous entendez par blanches? Des Blancs. Je veux dire que, encore maintenant - j'ai soixante-douze ans. hein! - je ne peux pas être électeur. Même si vous pensez que ça a peu d'importance, je ne fais pas partie des citoyens français.

Vous n'avez pas vos droits civiques? Non, non. Il y a des délits que j'ai commis qui n'ont jamais été amnistiés, dont un pour vol et une condamnation à deux ans de prison entre autres. Et puis j'ai déserté deux fois. Au total, avez-vous fait le compte de vos condamnations et de leur durée? Oui, quatorze ans.

Vous avez beaucoup parlé d'une hiérarchie de la gloire qui serait la hiérarchie du crime... Quel est le plus exotique des crimes? Non. Je voulais dire que deux mots accolés, ou trois ou quatre, et deux phrases peuvent être plus poétiques qu'un meurtre. Si j'avais à choisir entre l'expression poétique par des mots ou, si elle existe, l'expression poétique par des actes, je choisirais l'expression poétique par des mots

Quels sont les mots qui vous paraissent les plus forts et les plus proches d'un acte? C'est leur assemblage, leur confrontation. Il en faut au moins deux.

Est-ce qu'il y a un bonheur d'écrire. Avez-vous éprouvé profondément une jubilation en écrivant? Une seule fois.

En écrivant quoi? Les Paravents. Le reste m'a beaucoup ennuyé, mais il fallait l'écrire pour sortir de prison.

En quelle année Les Paravents? Attendez, je crois en 1956 ou 1957. En tout cas, je corrigeais les épreuves quand de Gaulle est venu au pouvoir en 1958, je crois, c'est ça.

Je me souviens des représentations à l'Odéon. Il y avait un cordon de flics qui protégeait le théâtre. Quel effet cela vous faisait d'être joué dans un théâtre national défendu par la police? Eh bien, l'impression tout de même que la police est assez inconséquente et le gouvernement français aussi.

Ca devait vous faire plaisir, cette inconséquence ? Je l'avais remarquée bien avant.

Mais la piéger une fois de plus comme ça devait être plutôt réjouissant? Oui. J’aurais aimé recommencer le coup avec Maria Casarès à la Comédie-Française, qui m'a demandé Le Balcon, mais je n'ai pas pu le faire, ils ne voulaient pis de Casarès. Elle est donc plus dangereuse que moi.

Les Paravents présentent la mort comme une chose finalement peu redoutable et peu importante. Est-ce votre opinion? C'est l'opinion de Mallarmé aussi : " Ce peu profond ruisseau... ", vous savez la suite. La mort me paraît assez peu... enfin, le passage de vie à non-vie me paraît assez peu triste, assez peu dangereux pour soi quand on change de vocabulaire : le passage de vie à non-vie au lieu de vie à trépas, c'est tout d'un coup presque consolant, non? C'est le changement de vocabulaire qui est important. Dédramatiser. Le mot est employé couramment en ce moment - dédramatiser la situation. Je dédramatise la situation, qui fera de moi un mort en utilisant d'autres mots.

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Un auteur dramatique qui dédramatise?... Justement. Si j'ai essayé de mettre au point une sorte de dramaturgie, c'était pour régler des comptes avec la société. Maintenant ça m'est égal, les comptes ont été réglés.

Vous êtes sans colère et sans drame? Oh! je l'affirme d'une façon si péremptoire, si vivace que je me demande si, réellement, c'est sans colère et sans drame. Là vous venez de toucher quelque chose. Je crois que je mourrai encore avec de la colère contre vous.

Et de la haine? Non, j'espère que non, vous ne le méritez pas.

Qui mérite votre haine? Les quelques personnes que j'aime profondément et qui m'attendrissent.

Il vous est pourtant arrivé d'aimer des salauds, ou jamais? Je ne fais pas la même distinction que Sartre entre les salauds et les autres. Comme je suis incapable de définir la beauté, je suis absolument incapable de définir l'amour, de savoir... L'homme que vous appelleriez un salaud sous votre regard objectif, sous mon regard subjectif cesse d'être un salaud... Tenez, quand Hitler a fichu une raclée aux Français, eh bien oui! j'ai été heureux, j'ai été heureux de cette raclée. Les Français ont été lâches.

Et ce qu'il faisait, les camps d'extermination par exemple, c’était marrant aussi? D'abord, vraiment, je ne le savais pas. Mais il s'agit de la France, il ne s'agit pas du peuple allemand ou du peuple juif, ou des peuples communistes qui pouvaient être massacrés par Hitler. Il s'agissait de la correction donnée par l’armée française.

Et ça, ça vous a paru marrant? Oh ! grisant, je vous assure.

Et la raclée qu'Hitler a prise ensuite vous a réjoui aussi ? Ah! J’étais déjà assez indifférent. Les Français ont commencé leur traitement vache en Indochine et en Algérie et à Madagascar, etc. Vous connaissez l'histoire aussi, mieux que moi.

Toutes les défaites ne sont quand même pas réjouissantes. La Pologne, qu'est-ce que ça vous fait? Vous savez, les Polonais m'ont quand même mis en prison pendant quatre mois.

A ce qui leur arrive actuellement, vous réagissez comment? Ecoutez, la France a-t-elle réagi parce que à peu près mille personnes, hommes, femmes et enfants comme on dit dans les journaux, ont été tuées par la police de Hassan II au Maroc, à Casa? A quel moment les Français ont-ils réagi? Je connais bien le Maroc vous savez. La misère est énorme, immense, et personne n'en dit un mot.

En Pologne, il ne s'agit pas uniquement de misère, il s'agit d'un écrasement des libertés. Ah! Vous croyez que les libertés ne sont pas écrasées au Maroc?

Et qui les défend, qui défend le peuple Arabe? Kadhafi? Peut-être que vous ne le savez pas, mais je ne suis pas arabe et je ne peux me prononcer au nom des Arabes, ni au nom de Kadhafi. Mais je sais ce que le nom de Kadhafi fait aux Américains et aux Européens, évidemment.

En sommes, vous n'êtes citoyen de nulle part? Bien sûr que non.

Si vous aviez a redéfinir une patrie, ce serait quoi? 0h! je l'ai fait un jour, un peu en blaguant, dans L'Humanité, qui m'avait demandé d'écrire un texte. Pour moi, une patrie ce serait vraiment trois ou quatre personnes. J'appartiendrais à une patrie si je ne battais, mais je n'ai pas du tout envie de me battre pour des Français ni pour qui que ce soit du reste, ni même pour les Panthères noires. Les Panthères n'auraient pas voulu que je me batte pour eux.

Les combats sont souvent idéologiques et symboliques, donc l'artiste ou l'écrivain y a sa place. Vous ne vous êtes pas senti combattant par la plume? Vous parlez comme Simone de Beauvoir. On ne combat pas avec la plume? Non. J'ai, bien sûr, assisté à des manifestations avec Sartre, avec Foucault, mais c'était très anodin, avec une police très respectueuse finalement, qui établissait plutôt une complicité avec nous, qui nous faisait complices d'elle. Une police surréelle.

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Alors, en écrivant, on sort de prison mais on ne change pas le monde ? En tout cas pas moi. Non.

Et est-ce qu'on change les autres individuellement? Est-ce qu'un lecteur est changé? Est-ce qu'il y a des livres qui vous ont changé? Finalement, non. Je crois, sans apporter de preuves, mais je crois qu'à l'éducation qui vient des livres, des tableaux ou d'autre chose, de l'éducation qu'on reçoit, s'oppose un facteur personnel que je ne peux pas nommer autrement. Je suis incapable d'en discerner les bornes, mais chaque homme fait sa pâture de tout. Il n'est pas transformé par la lecture d'un livre, la vue d'un tableau ou par une musique; il se transforme au fur et à mesure et, de tout ça, il fait quelque chose qui lui convient.

Et si un "tortionnaire" vous dit qu'il a été changé par la lecture de Jean Genet, qu'il en fait sa "pâture"? Si ça se présentait, je lui demanderais de m'en donner les preuves.

Quelles preuves? Eh bien! c'est à lui de les donner.

Par des actes? Je ne sais pas, je ne pense pas qu'un homme puisse être transformé par ce que j'ai écrit. Il peut détester ce que j'ai écrit ou y adhérer. D'ailleurs, un tortionnaire n'est pas complètement un tortionnaire. En vous qui ne parlez maintenant, il y a une part de coupable. Je ne la distingue pas d'une façon très claire, mais c'est parce que vous n'avez jamais mis les pieds réellement de l'autre côté.

Mais regardez comme Sartre a été modifié par vous! Non.

Je pense que oui. Ah non! J'en suis sûr. En tout cas. Il a été modifié par ce qu'il a écrit sur vous. L'avez-vous été vous-même par ce qu'il a écrit? Eh bien! j'ai jamais lu complètement ce qu'il avait écrit, ça m'ennuyait.

C’est long, il faut dire, vous avez des excuses. C’est assommant.

Pas assommant, mais long. Avez-vous connu Pierre Goldman? Personnellement non.

Vous avez suivi ce qui lui arrivait? Oui, enfin. il m'a écrit de Fresnes ou de la Santé, j'ai oublié. Ces amis à lui étaient venus me voir et il m'a envoyé une lettre où il me dit qu'il voulait absolument rompre avec tous ses anciens amis.

Et Mesrine? Chapeau!

Qu'est-ce qui fait que vous dites " chapeau " quand vous apprenez qu'un coup a été fait? Je pense à Mesrine là. Est-ce plutôt la beauté de l'acte ou sa force comique, sa force de dérision ? Vous avez quel âge? Est-ce que vous avez bien connu la défaite de 1940? Ca, c'était très comique, ces messieurs décorés qui avaient une canne et, au bout de la canne, une pointe pour ramasser les mégots sans se baisser, ces dames d'Auteuil ou de Passy... Il y avait plein de choses comme ça très réjouissantes.

Y a-t-il eu d'autres événements que la défaite de 1940 qui vous ont tant réjoui? Oui, il y a eu l'extraordinaire tenue des Algériens et des Vietnamiens du Nord face aux Français et face aux Américains bien sûr.

Vous mettez sur le même plan la défaite des uns et l'héroïsme des autres? Pas du tout sur le même plan. Grâce non seulement à leur héroïsme, mais à leur intelligence, à leurs trouvailles, à tant de choses, les Vietnamiens du Nord ont pu finalement obliger l'ambassadeur de Saïgon à prendre le drapeau sous son bras et à foutre le camp. N'est-ce pas assez marrant? Quant à la débâcle de l'année française, c'était aussi celle du grand état-major qui avait condamné Dreyfus, non?

Et le terrorisme à l'italienne, les Brigades rouges? Je ne parlerai pas des Brigades pour le moment, mais si vous voulez bien, de Baader. A peu près tout le monde, même à gauche en France, a été contre Baader, la gauche oubliant complètement qu'il était l'un des premiers à avoir manifesté contre le chah à Berlin. Et qu'on n'a retenu de lui qu'un trouble-fête de la société allemande.

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Les anciens gauchistes en France ont, semble-t-il, choisi la non-violence. S'il en était autrement et si le terrorisme fonctionnait comme celui des Brigades rouges, comment réagiriez-vous? Je vous ai dit mon âge tout à l'heure. Je ne serais pas très efficace puisque je ne vois pas grand-chose, mais sûrement je serais de leur côté.

Même si cela doit entraîner l'arrivée d'un Etat encore plus répressif? Il serait répressif contre qui ? Contre quelques Blancs qui ne sont pas gênés de mener la répression aussi bien en Algérie qu'au Maroc et ailleurs.

Autrement dit votre raisonnement serait : tant pis si les Etats blancs se font à eux-mêmes ce qu'ils ont infligé à d'autres? En quelque sorte. Je dirais même : tant mieux.

Vous n'êtes jamais aussi souriant que quand vous décrivez un certain malheur... Le malheur de qui? Tout de même, ce n'est pas le malheur des misérables qui me fait sourire.

Mais vous savez très bien que quand un Etat se renforce, ce sont les pauvres qui trinquent d'abord. Les Français ne sont pas pauvres. Le véritable pauvre, en France, c'est le travailleur immigré. Les Français ne sont pas pauvres. Ils bénéficient du fait que la France a été un empire colonial.

Il y a quand même cinq millions de français qui gagnent moins de 3000 F par mois, ça fait du monde. Non, ça fait pas tellement de monde, vous savez, sur cinquante-trois millions.

Il n'y a pas de pauvres en France? De Français, proportionnellement moins qu'ailleurs. Peut-être pas moins qu'en Allemagne de l'Ouest ou qu'en Suède mais moins qu'aux Etats-Unis où, dans certains ghettos noirs, il y a une misère épouvantable.

Vous faites une distinction définitive entre la misère des Blancs et la misère des autres? Ce n'est pas moi qui fais la distinction.

Quand il s’agit de Blancs, ça vous paraît moins injuste, ça ne vous touche pas? C’est-à-dire que jusqu'à présent les Noirs ne m'ont encore rien fait.

On dirait que quand un Blanc est asservi, pour vous ce n'est pas grave. Non en effet. Ca rend coupable d'être blanc ? Une sorte de péché originel ? Je ne pense pas que ce soit le péché originel ; en tout cas pas celui dont parle la Bible. Non, c'est un péché tout à fait voulu.

Vous n'avez pas voulu être Blanc, que je sache? Ah! dans ce sens, en naissant blanc et en étant contre les Blancs j'ai joué sur tous les tableaux à la fois. Je suis ravi quand les Blancs ont mal et je suis couvert par le pouvoir blanc puisque moi aussi j'ai l'épiderme blanc et les yeux bleus, verts et gris.

Vous êtes des deux côtés? Je suis des deux côtés. Oui. C'est une situation qui vous plaît? En tout cas, c'est une situation qui m'a permis d'apporter la pagaille chez moi-même.

Il y a une pièce qui s'appelle les Nègres qui raconte assez bien tout ça. Oui, peut-être.

Et les Polonais qui sont blancs de peau comme vous, qui n'ont colonisé personne et qui se font écrabouiller tous les trente ans, ça vous laisse indifférent? Ils se laissent écrabouiller tous les trente ans... J'ai quand même envie de mettre fin à cette évocation en vous disant purement et simplement que ça les regarde, finalement. Ils se sont laissé écrabouiller, en effet, la moitié d'entre eux par les Soviétiques, l'autre moitié par Hitler, bien avant, c'était par les Suédois. Tout ça c'est des guerres entre Blancs, c'est presque des guerres provinciales, des guerres communales, presque la guerre des boutons.

Vous avez écrit un article dans le Monde qui a fait beaucoup de bruit. Vous sembliez donner raison sur pas mal de points à l'Union soviétique. Est-ce que, depuis l'invasion de l'Afghanistan, vous avez changé d'avis? Non, je n'ai pas changé d'avis.

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Ce sont pourtant des Blancs qui écrasent des non-Blancs. Je ne sais vraiment pas et j'ai bien l'impression que vous non plus vous ne savez pas ce qui se passe en Afghanistan. Vous lisez le Monde qui est un journal de droite, même s'il a pris des positions pour Mitterrand, non?

C’est un autre débat. Si vous voulez, mais enfin je vois les choses comme ça.

Il était un peu tout seul, le Monde, au moment de la guerre d'Algérie... Non, il a très bien su utiliser les guillemets. Il a su les utiliser quand il fallait.

Revenons à l'Afghanistan. Vous pensez qu'il n'y a pas oppression ? Vraiment, j'en sais rien.

Là où il y a des chars, il ne vous paraît pas qu'il y a soupçon d'oppression? Y a-t-il autant de chars que vous le dites?

On en montre. On montre aussi des partisans dans la montagne qui ne sont pas le contraire des Nord-Vietnamiens dont vous parliez tout à l'heure, mais on n'était pas sur place non plus pour le vérifier. Vous n’engagez pas avec moi un vrai débat. Vous ne vous mouillez pas. Vous me laissez me mouiller mais sans vous, vous ne bougez pas.

Ce n'est pas moi qu'il s'agit d'entendre. Je veux bien répondre à toutes nos questions.

Vous pensez que les Soviétiques ont moins tort d'être à Kaboul que les Américains à Saïgon? Je pense que le pouvoir, quel qu'il soit, c'est le pouvoir. Pourtant si un gosse, un enfant de trois ans ou de deux ans prenait pour s'amuser un flacon de cyanure, je m'arrangerais pour le lui enlever. Cet asservissement de certains peuples dont vous parlez, je n'en suis pas très sûr. Je n'ai pas de preuves parce que tous les journaux qui me renseignent sur l'Afghanistan sont des journaux du système dans lequel nous vivons actuellement et qui est tellement antisoviétique.

S'il y avait une guerre directe entre l'URSS et l'Amérique, vous seriez de quel côté? Evidemment du côté de la Russie.

Pourquoi? Parce que la Russie déstabilise, c'est un ferment. Les Etats-unis ne me semblent plus être un ferment.

Ferment de quoi? Je ne sais pas encore, en tout cas de désordres pour vous, pour le monde occidental. Et pour sa population, vous pensez que l'URSS est un ferment? Je n'ai jamais mis les pieds en Russie. Mais j'ai été aux Etats-unis. Je peux imaginer l'Union soviétique après avoir vu les Etats-unis.

La liberté à l'américaine n'est le ferment de rien du tout? C'est un peu le genre de question que j'ai posée à Angela Davis. Evidemment, elle avait déjà choisi l'Union soviétique.

Mais vous croyez vraiment à l'avenir de ce désordre, de cette inquiétude que déclenche l'Union soviétique ? Ou c'est parce qu'elle fait peur aux bourgeois? Les deux. Je fais toujours confiance à l'inquiétude et à l'instabilité parce qu'elles sont signes de vie.

Elle n'est pas porteuse de mort du tout, cette force? N'importe quoi est porteur de mort, évidemment. Vous croyez à la force parce qu'on ne peut pas dire qu'elle pratique la conviction, la persuasion, l'URSS. Si, aussi la conviction. Le monde occidental m'a piétiné, il ne m'a pas convaincu.

Vous avez dit que la divinité ou je ne sais quel dieu vous amusait, je voudrais savoir ce qui vous amuse dans ce dieu-là. Si vous parlez du dieu des juifs ou finalement du dieu des chrétiens, il n'aurait peut-être rien de bien marrant. Mais il se trouve qu'on m'a fait le catéchisme. Le curé du petit village où j'ai été élevé - j'avais huit-neuf ans - était un curé qui passait pour avoir baisé toutes les femmes des soldats. Oui, les femmes qui étaient restés dans le village pendant la guerre. On ne le prenait pas très au sérieux; ça faisait un peu rigoler. Le catéchisme était raconté d'une façon si bêtasse que ça avait l'air d'une blague.

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La beauté, vous en parlez parfois pour une personne, un visage. Plus généralement c'est quoi? La beauté d'un visage ou d'un corps n'a rien à voir avec la beauté d'un vers de Racine évidemment. Si un corps et un visage rayonnent pour moi, ils ne rayonnent peut-être pas pour d'autres.

Donc, à chacun sa beauté, pour Racine comme pour un visage. Vous n'avez pas de définition de la beauté? Non mais vous, est-ce que vous en avez une? Ca, ça m'intéresse.

Non, c'est la beauté de Genet qui est intéressante. Si on vous dit que vous avez énormément d'innocence sur le visage, ça vous vexe? Non.

Ca vous flatte? Assez, oui. Parce que nous savons maintenant que les innocents sont pervers.

Il y a un plaisir à prendre le visage de l'innocence et à se savoir pervers? Je n'ai pas pris le visage de l'innocence. Si vous me dites que je l'ai, je l'ai. Si vous pensez que je ne l'ai pas, je l'ai pas. Mais j'aurais davantage de plaisir si vous me disiez que je l'ai et que vous pensiez que je l'ai.

Non seulement je pense que vous l'avez mais je trouve que l'ange de Reims a l’air d'une crapule à côté. Le sourire de l'ange de Reims... Il est assez faux-jeton, vous avez raison.

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Pistes de lectures Jean Genet est né de père inconnu, et abandonné par sa mère. Donc cet auteur n'a pas de racines et personne à qui se référer. Ainsi, dans Les Bonnes, les deux femmes se créent une référence absolue sous le nom de "Madame". Sans Madame, les Bonnes n'existeraient pas. L'auteur est confié à des paysans, de la même façon que les Bonnes sont au service de Madame. Jean Genet ne possède rien. Il va donc voler, non parce qu'il en a besoin, mais pour s'affirmer libre. De la même façon, les Bonnes volent à Madame de petits objets mais surtout son apparence, son attitude, son langage, et jusqu'à sa mort. Ce jeu où la jouissance concrète est dépassée vers la jouissance métaphysique, c'est le jeu du théâtre même. Le vol est sanctifié. Il est la condition de l'être. Mais il est socialement réprimé et donc Genet connaîtra le bagne d'enfants. La répression commence par la découverte du coupable : autrui est un regard indiscret et impitoyable. C'est le regard même du spectateur de théâtre, le regard qui condamne et baptise : "tu es un voleur". Cette condamnation à la fois injuste et irréfutable poussera Genet à devenir ce que l'on a dit qu'il était. Au lieu de protester ou de renoncer, il revendique et aggrave le mal. Il se situe donc délibérément sous le regard d'autrui. Comme les Bonnes, il se veut un personnage de théâtre. Cette inversion provocante des valeurs qui va de pair avec l'inversion sexuelle de Genet trouve ses limites qui sont la folie et la mort. Le salut viendra de l'écriture. Genet ne va pas écrire pour se racheter mais pour, au contraire, se confirmer et contaminer l'esprit du lecteur. Un fait divers Les Bonnes est basé sur un fait divers réel : le crime des sœurs Papin. En 1933, Christine et Léa Papin, âgées de 28 et 21 ans, sont depuis 7 ans au service d'une famille bourgeoise du Mans où elles donnent toute satisfaction. En février, elles assassinent leurs patronnes, avec sauvagerie, leur arrachant les yeux, leur tailladant les cuisses et les fesses, puis aspergeant chaque victime du sang de l'autre. Après quoi elles lavent les armes du crime (un marteau, un couteau à découper et un pichet d'étain ). Elles se lavent elles-mêmes et se couchent dans le même lit. Ce crime a fasciné les auteurs surréalistes. Instruments et martyres, les deux sœurs s'aimaient d'un amour incestueux. En 1947, dans Les Bonnes, Genet ne prend en compte ni l'aspect social ni la folie explosive du meurtre. Les Bonnes sont le contraire d'un mélodrame sanglant. C'est un rite cérébral qui débouche sur le mythe et rejoint la tragédie. Madame ne meurt pas. Ce sont les Bonnes qui s'auto-détruisent. Donc Genet détourne le fait divers et le retourne comme un gant. Chaque agression contre Madame est fantasmée ou avortée, et si elle devait mourir ce serait par le poison, la strangulation ou l'asphyxie, comme chez Racine. Genet a inventé le personnage de "Monsieur" et leur dénonciation à la police. Ainsi, Madame ayant rendez-vous avec lui, elle échappe au poison que les Bonnes lui ont préparé. Genet a par contre conservé l'homosexualité incestueuse des Bonnes. Dans la préface, Genet écrit : "Tous les soirs elles se masturbent et déchargent en vrac l'une dans l'autre leur haine l'une contre l'autre." C'est un rituel sadique que méritent masochistes aussi. Les sœurs haïssent Madame mais elles s'entre-déchirent tout autant et Claire a peur de Solange. L'unité d'action des Bonnes se résume d'un mot : "tuer Madame". Dans la première partie de la pièce, les deux sœurs jouent à mimer ce meurtre qu'elles n'ont pu accomplir dans la réalité. Dans la seconde partie, nouvel échec. Madame refuse de boire le tilleul empoisonné. Dans la dernière partie, c'est Claire qui, dans le rôle de Madame, boit le poison. de façon symbolique, Madame est morte, mais concrètement elle est vivante. Il y a donc du clacissisme dans cette composition. C'est à dire : Solange est incapable d'étrangler Madame, Claire est incapable de l'empoisonner et Claire force Solange à lui administrer le breuvage mortel. Le clacissisme est renforcé par la construction en trois parties. Ces trois parties peuvent se subdiviser en cinq parties :

la première : du début de la pièce à la sonnerie du réveil qui ramène les Bonnes à la réalité après le jeu rituel

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La deuxième : de la sonnerie du réveil à celle du téléphone qui signifie aux Bonnes que leur machination a échoué.

La troisième : de la sonnerie du téléphone à l'arrivée de Madame : préparation du meurtre la quatrième : de l'arrivée de Madame à son départ, avec le désespoir de Madame car Monsieur est

en prison, se renonciation avec le "je vous donne tout", puis un renversement radical : Monsieur est libéré, Madame s'échappe, triomphante.

La cinquième : du départ de Madame à la fin de la pièce : Claire met en scène la catastrophe qui sera l'apothéose des Bonnes Les caractéristiques d’une tragédie Il y a donc unité d'action, unité de temps (car tout se passe en une soirée), et unité de lieu ( c'est à dire la chambre ). Cette chambre est un espace magique, car il est ensorcelé. C'est le monde mental de celles qui le hantent : appartement empoisonné, appartement de messes noires, appartement qui figure l'âme des Bonnes. La chambre de Madame est le décor réel. Les Bonnes y sont déplacées. Elles y remplacent leur travail par des cérémonies puis un meurtre. Par ailleurs, le lieu est neutralisé par l'absence de son occupante légitime. La cuisine est à côté, image invisible et inversée de la chambre, lieu de leur travail où trône l'évier aux odeurs immondes alors que la chambre est remplie de fleurs. La mansarde est au dessus, invisible elle aussi. C’est l'univers des Bonnes, la chambre caricaturale où les fleurs sont en papier et où s'aiguise leur jalousie morbide. Tout s'ordonne autour de la chambre. se glissant dans le lieu interdit et sacré comme dans la peau de Madame, Claire et Solange font de toute la pièce un entracte. Leur existence réelle, les Bonnes nous la racontent. Le théâtre réduit le monde au langage. Ce qu'elles jouent devant nous, c'est une existence fantasmatique. Le théâtre est le lieu de l'illusion. Le monde extérieur, c'est d'abord le Palais de Justice décrit par Madame qui nous le raconte. C'est ensuite le cachot, un lieu clos, symétrique de la chambre. Il y a le cachot dans l'imagination de Madame ainsi que le bagne. Ces degrés différents d'enfermement et d'absence permettent de sacraliser Monsieur dont Solange est amoureuse, à la fureur de Claire. L'extérieur, c'est aussi la cabine téléphonique et le bar qui permettent à Monsieur de renouer concrètement avec Madame. Ces lieux sont toujours hors d'atteinte des Bonnes. Pour ce qui est du monde mental, il est composé de lieux et de personnages, images de l'appartement où se déroulent la parade nocturne de Claire et le meurtre avorté de Solange. Les personnages sont essentiellement les figurants et les acteurs du triomphe de Solange et Mario, le laitier dont les visites nocturnes empoisonnent les rapports entre les deux soeurs. Parallèlement, il y a la fenêtre. Cette fenêtre donne sur le monde. Les Bonnes sont prises entre deux regards, c'est à dire le nôtre qu'elles ne voient pas, puisque c'est la convention du théâtre, et celui d'un public imaginaire aux yeux duquel elles s'exhibent. Etude des trois moments du drame 1 - L'entrée en jeu Elle comporte cinq phases :

1. Avant le jeu : se prépare ici l'entrée en scène de Solange dans le rôle de Claire 2. Le début du jeu : Madame est hautaine et agressive. Claire est soumise puis rebelle. 3. La rupture d'illusions : le jeu a dérapé et Claire attaque Solange 4. La reprise du jeu : le jeu se fait doublement agressif. Madame attaque les Bonnes et elle-même 5. Rupture et reprise : moment très intense entre érotisme et distance

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Avant le jeu, Claire tutoie Solange. Entre agressivité dominatrice et complicité sarcastique, c'est le discours de Madame à sa Bonne. Solange devient Claire et Claire joue Madame. On passe alors au vouvoiement. En appelant Solange par son nom et en la tutoyant à nouveau, Claire brise l'illusion. Déjà les deux femmes ne contrôlent plus tout à fait le jeu mortel qu'elles jouent. Puis Madame perce à jour les Bonnes et l'impitoyable lucidité de Madame alimente la haine que Claire voue à sa sœur. Lorsque le jeu reprend, le tutoiement demeure. Nous ne savons plus si c'est Madame qui s'en prend à sa bonne, si c'est Claire qui agresse Solange, ou si Claire se déchire elle-même à travers son double qui lui refuse la robe blanche du deuil des reines. Nous ne savons plus car c'est tout cela ensemble. "Je vois dans ton œil que tu me hais" auquel répond Solange "je vous aime". A qui le dit-elle ? A Madame ? A Claire ? A travers le vouvoiement ambigu, que vaut cet aveu ? En tous cas, quelle que soit la femme que ce soit, elle le refuse violemment. Le vouvoiement est soit de politesse, soit de pluralité. Les Bonnes sont des êtres indistincts, des sœurs interchangeables, habitant la même mansarde. Madame humilie les Bonnes, les condamne à demeurer un couple infernal et maudit. C'est ici encore la pièce tout entière, miroir trouble des êtres et des apparences où surgit à plusieurs reprises l'image du mal : celle de Monsieur adulé donc trahi selon la morale invertie de Genet, puis celle du laitier demi-nu. L'esprit et les mains s'égarent, les mots sont pris de vertiges, chute d'amour : "chute de reins", "frôleuse voleuse", "la traîne", "la traînée." Un violent trouble érotique colore tout ce passage, incluant l'image sadique du coup de talon et aboutissant aux larmes et à l'extase. Les fleurs sont ouvertes en corolle, un laitier est demi-nu, et maintenant, ces larmes : à travers la jouissance qui apparaît, irrépressible, il y a un vertige du contact sensuel, même et surtout s'il est proclamé 'immonde". Ici comme ailleurs, exaltation et répulsion font l'amour. Tout ceci nous ramène à ce jeu de miroirs sur lequel nous avait alerté le glissement des pronoms. Résumons-le : lorsque Claire joue Madame et que Solange joue donc Claire, elle a devant elle la vraie Solange, objet de sa haine et de son amour et soumise au patronalisme ambigu de Madame. Une Claire fictive qui permet par dédoublement le jeu sado-masochiste, le personnage indistinct que voit Madame dans la réalité car elle confond toujours Claire et Solange et les humilie l'une par l'autre. 2 - La scène de Madame C'est la scène centrale la plus longue qui s'articule autour de l'aveu. Le coup de téléphone venu de l'extérieur fonctionne comme une bombe à retardement. A partir de là, Madame ne pense qu'à s'échapper et les Bonnes essaient de la retenir désespérément. Mais il y a le philtre mortel du tilleul. La clef du secrétaire, les traces de fard sur les joues, la présence du réveil, la poussière sur les meubles, le téléphone débranché, tous ces détails trahissent les Bonnes. L'entrée de Madame est spectaculaire : rire nerveux, fourrure, ostentation. Elle est prête à suivre Monsieur jusqu'au bagne, ce qui a des accents tolstoïens. Pourquoi ? Car dans Résurrection de Tolstoï, le juge accompagne jusqu'en Sibérie la femme qu'il a injustement condamnée. Genet reprend ce principe en inversant les sexes. Pour Madame, c'est une exaltation très littéraire. Mais Madame ne croit pas que Monsieur soit coupable et donc qu'il ira au bagne. De cette exaltation, Madame tire sa force, devient lucide et sublime. Elle échappe ainsi à la complaisance envers soi-même, à la gentillesse des autres et surtout à la servilité des Bonnes qui l'étouffent. Mais après l'exaltation il y a la retombée. Madame a le fantasme d'une retraite à la campagne et un retour de tendresse envers les Bonnes. Mais Claire rétablit la distance. Les Bonnes refusent le don des robes qu'elles revêtaient en cachette. Elles restituent aux esclaves leur dignité et à la maîtresse sa gloire. Mais la fascination est la plus forte et elles finissent par accepter le cadeau. Madame, elle, va refuser l'offre des Bonnes, c'est à dire le tilleul empoisonné qui, pendant toute la cérémonie des robes, lui est présenté avec insistance. 3 - Renversement La scène dérape et entraîne l'aveu. Au don succède la suspicion. C'est un moment de malaise intense où se mêlent l'impatience, le soupçon et la complicité féminine. Les rapports sont profondément faussés. la fin de la scène s'évanouit commeune fleur vénéneuse

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4 - Un dénouement sans dénouement La présence insolite du réveil dans la cuisine intrigue Madame. Elle accepte l'explication improvisée de Claire. En revanche, elle repousse quatre fois le tilleul. Il n'y a donc ni affrontement ni catastrophe. Il y a de la condescendance d'un côté teintée d'ironie et de l'autre une adoration rageuse. Mais l'orage n'éclate pas. Madame sort, elle s'échappe. Elle laisse Claire et Solange à leur désespoir et à leur suicide. 5 - En finir La dernière scène va resserrer jusqu'au meurtre l'intimité des deux sœurs. Il n'y a qu'à relancer la cérémonie en la poussant jusqu'à son terme : l'auto-destruction. Contrainte et forcée par les reproches de Solange, Claire redevient Madame. Jusqu'ici contrôlé ou interrompu, le processus meurtrier va, cette fois, aboutir. Ni l'une ni l'autre ne pourra l'enrayer. L'aliénation devient folie furieuse, explosant dans le monologue halluciné de Solange. Solange se jette sur Claire pour étrangler Madame. Claire est prostrée, Solange triomphante. Le corps de Madame étranglée, la voix de Madame vivante qui porte le deuil de sa bonne : monstrueusement, la chambre s'emplit de présence et de reflets. Mais surtout, Madame y est morte vivante. Ce dédoublement ressemble à de la magie noire, à une messe noire, une marche au supplice où le bourreau chuchote des mots d'amour à l'étrangleuse vêtue de rouge. Cela figure le fantasme central de Genet, c'est à dire la sacralisation du crime. Solange s'anéantit face à Claire. Elle déclare : "Nous sommes perdues". La mythomane cède le pas à l'ordonnatrice. Successivement épuisée, provocante puis étranglée sous l'apparence de Madame, Claire ressuscite pour mettre en scène le dénouement du drame. Elle pousse Solange au meurtre. Solange finira par obéir à Claire et à sa propre pulsion fratricide. Elle empoisonne Claire, comme pour mieux la porter en elle. C'est un lien vertigineux entre anéantissement et gestation : la perfection de l'inceste est accomplie à travers la mort. Versé dans le service le plus précieux, le tilleul empoisonné joue son rôle artificiel et permet à Claire de voler à Madame sa mort et sa phrase. Solange a donc fini par se laisser faire, Claire par se laisser anéantir. C'est dans une douceur terrible un meurtre violemment érotique. Cette fin est un triple échec. La vraie Madame n'est pas morte, au contraire elle est sauvée. Claire s'est suicidée et Solange est promise à l'échafaud. Mais c'est aussi une victoire car Solange entrera dans la légende noire des criminels exemplaires. A travers cet acte ambivalent, Claire a offert à Solange la plus grande chance de devenir reine du mal selon la vision de Genet. Selon la nôtre, elle lui a fait commettre un meurtre sordide. Comme elle les avait privées d'être, Madame a frustré les Bonnes de sa mort et dénaturé le sens de leur acte. Objectivement, leur désir s'est retourné contre lui-même. La pièce culmine en un avortement. L'oeuvre s'est détruite elle-même. Rien d'autre ne s'est libéré ici que les puissances mortelles de l'imaginaire. Les Bonnes vont battre jusqu'à la mort un jeu d'images. Elles figurent le théâtre dans un décor qui est le lieu-même du théâtre. Cela nous renvoie notre propre image de témoins indiscrets. Face à face, corps à corps où le corps s'offre et se dérobe dans un huis-clos qui fait germer, érotique et violente, une exaspération. Citation de Genet : "Sans doute une des fonctions de l'art est-elle de substituer à la foi religieuse l'efficace de la beauté. Au moins, cette beauté doit-elle avoir la puissance d'un poème, c'est à dire d'un crime." C'est donc un théâtre du crime. Le théâtre de Genet montre certes la violence : jouer l'autre, c'est le concrétiser tout en le niant. C'est un vampirisme. Le théâtre de Genet montre aussi l'aliénation, mais ce n'est pas une aliénation sociale : les Bonnes ne sont pas un plaidoyer sur le sort des domestiques. L'aliénation est métaphysique. On n'existe que par autrui, aussi bien lorsqu'il est là et qu'il vous donne des ordres que lorsqu'il est absent. Genet, l'exclu, se crée un monde qui nous renvoie à notre solitude.

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Quelques pistes de réflexions autour de la pièce Les raisons de monter Les Bonnes aujourd’hui sont nombreuses. Cette pièce soulève des questionnements dont la résonance avec le monde actuel est profonde et qui peuvent susciter l’intérêt d’un public scolaire : -En quoi les inégalités sociales sont-t-elles source de conflits et de violence ? -Comment la fiction, l’imaginaire et le jeu peuvent-il nous aider à supporter la réalité ? -En quoi peut-on considérer que la pièce de Genet est aussi une pièce classique ? -D’où vient le culte de l’apparence ? Qu’est-ce qui nous fascine dans l’image ? -En quoi Les Bonnes s’inscrit-il dans la série des pièces qui traitent des rapports entre maître et serviteur ? - Quelle issue trouver à notre propre violence ? Peut-on devenir maître de ses pulsions ? -Qu’est-ce que l’humiliation ? -Pourquoi le théâtre représente-t-il si bien les passions humaines et le fonctionnement caché de toute société ? -Comment l’écriture de cette pièce permet-elle une mise en abyme profonde du théâtre ? -Peut-on s’identifier à des personnages qui jouent le plus souvent à être des personnages ? -Quelles sont les qualités poétiques qui ressortent à la lecture des Bonnes ?

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Outils pédagogiques autour des Bonnes et de Genet Editions avec commentaire de texte -Les Bonnes, édition présentée et établie par Michel Corvin, Paris : Gallimard, coll. “ Folio théâtre ”, n°55. -Les Bonnes, lecture accompagnée par Alain Béretta, Edition « La bibliothèque Gallimard ». Documents audiovisuels -Coffret multimédia, comportant cd-dvd paru, sous le titre Jean Genet. Un chant d'amour, avril 2006. Publié par les soins de Raphaël Caussimon, EPM diffusion. On y trouve des interviews de Jean Genet, un commentaire de son œuvre par le plus grand spécialiste de Genet, Albert Déchy, ainsi que son film muet Un chant d’amour. -Les Blessures assassines de Jean-Pierre Denis (diffuseur : ARP sélection) : ce film retrace la vie des sœurs Papin, qui a inspiré Les Bonnes. Le dvd du film se trouve très facilement dans le commerce. -La Cérémonie de Claude Chabrol : Sophie, bonne analphabète et secrète, mais néanmoins très gentille, arrive dans une famille bourgeoise de Saint-Malo. Son amitié avec la postière, curieuse et envieuse, va déclencher une série de drames. -The Servant de Joseph Losey : le jeune Tony, un séduisant aristocrate, s'installe dans une somptueuse demeure de style géorgien. Il engage un domestique, Hugo Barrett, qui se révèle des plus agréables, aussi travailleur, serviable que discret. Mais au fil des jours, l'emprise du serviteur sur le maître s'amplifie. Sites internet -Société des amis et lecteurs de Jean Genet : http://jeangenet.pbworks.com/ -Entretien entre Genet et B. Poirot-Delpech, janvier 1982 : http://www.heimdallr.ch/Art/genetF.html -Le Condamné à mort, lecture de Mouloudji (1952) : http://www.ubu.com/sound/genet.html -Motif du crime paranoïaque par Jacques Lacan (analyse du cas des sœurs Papin) : http://aejcpp.free.fr/lacan/1933-12-12.htm -L'«anti-exposition» des Bonnes: une audacieuse innovation. Commentaire composé sur un extrait des Bonnes, de Jean Genet. Québec, 22 novembre 1994. http://www.mynewsuccess.com/bio/papers/french/lBonnes.htm -Site qui renvoie à différentes analyses des Bonnes : http://www.litterales.com/documents.php?q=les+bonnes+genet&zipcode=&surname= Analyses de l’œuvre de Genet -Edmund White, Jean Genet (biographie), (éd. Gallimard) -Jean-Paul Sartre, Saint Genet, comédien et martyr, (éd. Gallimard) -Georges Bataille, La littérature et le mal, chapitre sur Genet (éd. Folio essais)

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Bibliographie

1. L’Œuvre de Genet Théâtre Les Bonnes [1947], précédé de Comment jouer “ Les Bonnes ”. Paris : Gallimard, coll. “ Folio ”, n°1060, novembre 1978. Le Balcon [1956], précédé de Comment jouer “ Le Balcon ”. Paris : Gallimard, coll. “ Folio ”, n°1149, novembre 1979. Les Nègres [1958]. Paris: Gallimard, coll. Folio ”, n°1180, 1980. Les Paravents [1961]. Paris : Gallimard, coll. “ Folio ”, n°1309, août 1981. Haute Surveillance [1949], version remaniée 1985. Paris : Gallimard, coll. “ Folio ”, n°1967, mai 1988. “ Elle ” (Posthume). Lyon : L’Arbalète, 1989. Splendid’s (posthume). Lyon : L’Arbalète, 1993. Le bagne (posthume). Lyon : L’Arbalète, 1994. Théâtre complet, édition de Michel Corvin et Albert Dichy, Bibliothèque de la pléiade, Gallimard, 2002, 1463p. Récits Notre-Dame-des-Fleurs Miracle de la Rose Pompes funèbres Querelle de Brest. Journal du voleur Un captif amoureux Textes politiques L’Enfant criminel L’Ennemi déclaré Essais esthétiques L’Atelier d’Alberto Giacometti Le Secret de Rembrandt Le Funambule Fragments…, et autres textes Rembrandt Poésie Poèmes Recueil constitué de Le Condamné à mort, La Galère, La Parade, Un Chant d’amour, Le Pêcheur de Suquet. Lettres Lettres à Roger Blin. Paris : Gallimard, coll. “ NRF ”, 1966. Lettres à Olga et Marc Barbezat. Lyon : L’Arbalète, 1988. Cinéma Film: Réalisation : Un Chant d’amour, noir et blanc, muet (25 minutes), 1950. DVD du film accessible dans le coffret multimédia, comportant cd-dvd paru, sous le titre Jean Genet. Un chant d'amour, avril 2006. Publié par les soins de Raphaël Caussimon, EPM diffusion, 188 boulevard Voltaire, 75011 Paris.

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Les “ Œuvres complètes ” Œuvres complètes de Jean Genet. Paris, Gallimard, en 6 tomes. Tome I. 1952. Jean-Paul Sartre, Saint Genet, comédien et martyr. [Préface singulière (690 p.) qui occupe l’intégralité du tome I, de sorte que l’œuvre complète de Jean Genet ne commence, à proprement parler, qu’au tome II]. Tome IV. 1968. L’Etrange mot d’… ; Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés […] ; Le Balcon ; Les Bonnes ; Haute Surveillance ; Lettres à Roger Blin ; Comment jouer “ Les Bonnes ” ; Comment jouer “ Le Balcon ”. Tome V. 1979. Le Funambule ; Le Secret de Rembrandt ; L’Atelier d’Alberto Giacometti ; Les Nègres ; Les Paravents ; L’Enfant criminel. Tome VI. 1991. L’Ennemi déclaré. Textes et entretiens, édition établie et annotée par Albert Dichy.

2. Textes critiques A. Livres consacrés à Jean Genet DERRIDA, Jacques, Glas. Paris : Galilée, 1974. SARTRE, Jean-Paul, Saint Genet, comédien et martyr. Paris : Gallimard, 1952. REDONNET, Marie, Jean Genet, le poète travesti, Portrait d'un oeuvre, Grasset, 2000 WHITE, Edmund, Jean Genet, trad. Philippe Delamare. Paris : Gallimard, coll. “ NRF Biographies ”, 1993. B. Sélection d’articles et de chapitres de livres consacrés à Jean Genet BARTHES, Roland, “ Jean Genet : Le Balcon ” (Mise en scène de Peter Brook), Théâtre Populaire, n° 38, 2e trimestre 1960, pp. 96-98 ; repris in : Obliques, n°2, 1972, pp. 37-38. BATAILLE, Georges, La Littérature et le mal. Paris : Gallimard, 1957. CORVIN, Michel, “ Le théâtre de Genet. Une apparence qui montre le vide ”, Europe, numéro spécial Jean Genet, août-septembre 1996, n° 808-809, pp. 110-123. DICHY, Albert. “ Le corrupteur des genres ” (Entretien avec Edmund White), in : Jane Giles, Un chant d’amour. Le cinéma de Jean Genet [1991], Paris : Macula 1993, pp.127-140. DORT, Bernard, “ Le Théâtre : une féerie sans réplique ”. Magazine Littéraire, dossier Genet, n° 313, septembre 1993, pp. 46-48. SCHERER, René, “ Deux saints tutélaires : Pasolini, Genet ”, in : Zeus hospitalier. Paris : Armand Colin, 1993, pp. 157-185.

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L’équipe Mise en scène Guillaume Clayssen

Il commence le théâtre dans la section artistique du lycée Molière dirigée par Yves Steinmetz. Il mène ensuite, en parallèle, une formation universitaire à la Sorbonne (agrégation de philosophie, licence de lettres) et une formation théâtrale au cours Florent dans la classe notamment de Stéphane Auvray-Nauroy. Il effectue différents stages avec Christian Rist, Didier Flamand, Philippe Adrien, Michel Fau. Il travaille comme comédien sous la direction de Jeanne Moreau, Catherine Cohen, Gerold Schumann, Hervé Dubourjal, Michel Cochet, Jean-Noël Dahan et Guy-Pierre Couleau. Il aborde la mise en scène en tant qu’assistant de Marc Paquien pour « L’intervention » de Victor Hugo puis collabore comme assistant ou/et dramaturge avec Guy-Pierre Couleau sur Les Justes d’Albert Camus, Les Mains sales de Sartre, Marylin enchantée de Sue Glover, Sortie de piste de Tchekhov, Les Noces du rétameur et La Fontaine aux saints de Synge. Pour la saison 2009-2010, il collabore à la Comédie de l’Est, C.D.R. de Colmar. Ses fonctions sont diverses : dramaturgie, assistanat à la mise en scène, direction du

comité de lecture, formation universitaire, rédaction de cahiers de création, animateur de débats, etc. Attention ! Attentions ? Créé en juin 2005 pour les Rencontres de la Cartoucherie, est sa première mise en scène. Avec une quinzaine d’acteurs sur le plateau, ce spectacle présente un decrescendo de séquences sur l’attention, allant du divertissement pur à la parole philosophique, faisant ainsi éprouver au public la difficulté très contemporaine à laquelle est soumise notre conscience attentive. En juin 2006, toujours pour les Rencontres de la Cartoucherie, il met en scène avec Jean-Pierre Dumas une satire politique de Bruno Dalimier intitulée Moeurs générales des marchands de bruits. En 2009, Guillaume Clayssen met en scène A la grecque !!, montage de textes autour des philosophes grecs, au théâtre Jean Vilar à Suresnes et à la Maison des Métallos à Paris, ainsi qu’une forme courte Memento mori, autour des vanités contemporaines, à l’Etoile du Nord dans le cadre du festival « A court de formes ». En juillet 2009, Guillaume Clayssen réalise son premier court-métrage, Femâle, qui traite de la question du genre, du féminin et du masculin. Il enseigne également la dramaturgie philosophique à des élèves comédiens à l’Ecole Auvray-Nauroy. Comédiennes Flore Lefebvre des Noëttes Après une formation au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, elle travaille principalement avec Jean Pierre Rossfelder pour une dizaine de spectacles. En 1989, elle entame une collaboration avec Stéphane Braunschweig et la compagnie Théâtre Machine avec notamment, Woyzeck de Büchner, Ajax de Sophocle, La Cerisaie de Tchékhov, Docteur Faustus de Thomas Mann, Le Conte d’Hiver de Shakespeare, Amphytrion et Le Paradis verrouillé de Kleist,Franziska de Wedeking, Peer Gynt d’Ibsen, Dans la Jungle des Villes de Brecht. Elle a également travaillé avec Bernard Sobel (Couvre Feu de Brecht, Ubu Roi de Jarry, Le Pain Dur de Claudel), Jean-Pierre Vincent (Homme Pour Homme de Brecht, Les Prétendants de Jean Luc Lagarce), Anne Laure Liégeois (Ça, Médée d’après Sénèque, Edouard II de C. Marlowe) ou encore Magali Léris (WillyProtagoras…de W. Mouawad). Elle travaille aussi régulièrement avec Guy Pierre Couleau pour Le Baladin du Monde Occidental de J.M Synge, Le Paradis sur Terre de Tennessee Williams, Asservies de Sue Glover, George Dandin de Molière ou Rêves de Wajdi Mouawad, Les justes d’Albert Camus et Les mains sales de Jean-Paul Sartre, La Fontaine aux saints et Les Noces du Rétameur de J.M. Synge.

Anne Le Guernec Après une formation au Cours Florent et avec Jean Claude Buchard au Cours l’Entrée des Artistes, elle travaille avec Jean Luc Moreau (Don Juan), Stéphanie Loïk (Gauche-Uppercut de Joël Jouanneau), Barbara Boulay (Je ne suis pas toi de Paul Bowles), Margarita Mladenova et Ivan Dobtech (La Cerisaie de Tchékhov,), Marcela Salivarova (Les Présidentes de Schwab, création au Théâtre National de Chaillot), François Kergourlay (L’art de la Comédie d’Eduardo de Filippo), Jeanne Moreau (Un trait de l’esprit de Margaret Edson), Anne Laure Liégois

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(Embouteillages, Don Juan et Ça), Isabelle Starkier (Le Bal de Kafka de T. Daly), Brigitte Jacques (Tartuffe) et Guy Pierre Couleau (Le Fusil de Chasse de Yasushi Inoué, Vers les Cieux de O. Von Horvath, Le Baladin du Monde Occidental de J.M Synge, La Forêt d’Ostrovski, Résister, La Chaise de Paille de Sue Glover, Rêves de W. Mouawad, Les Justes d’Albert Camus, Les mains sales de Jean Paul Sartre). Au cinéma, elle a travaillé sous la direction de Serge Gainsbourg (Charlotte for Ever) et de Jean Becker (Les Enfants du Marais). Aurélia Arto Formée d’abord à l’Ecole Florent dans les classes de Régine Ménauge- Cendre, Laurent Montel et Benoît Guibert, elle intègre ensuite le conservatoire Francis Poulenc du XVIème arrondissement à Paris dans la classe de Stéphane Auvray-Nauroy, puis fait une année à l’ATC, école dirigée par Françoise Roche et Stéphane Auvray-Nauroy. Elle suit également les stages de Guillaume Dujardin, Jean-Michel Rabeux, Bernard-Pierre Donnadieu. Au théâtre, elle joue dans des mises en scène de Sylvie Reteuna (Blanche Neige de Robert Walser), Stéphane Auvray-Nauroy (Ce qui peut coûter la tête à quelqu’un création, On purge bébé de Feydeau), Julien Kosellek (Le bruyant Cortège création), Guillaume Clayssen (Memento mori création), Hugo Dillon (Thyeste de Sénèque), Laurent Montel (La Cerisaie), Benoît Guibert (La chaise d’Antiochus). Création artistique Delphine Brouard Après une formation à l’Ecole d’art et technique pour l’environnement publicitaire, elle travaille comme assistante scénographe pour des opéras auprès de Nicky Rieti, Isabelle Partiot Pieri, ou pour des pièces de théâtre auprès de Titina Maselli, Jacques Gabel, Bernard Sobel, Lucio Fanti et Roberto Platé. Intervenante au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, elle fait les costumes de travaux dirigés par Mario Gonzalez ainsi que la scénographie de Joël Jouanneau ou Daniel Mesguish. Au théâtre, elle travaille également comme scénographe pour Anne Bourgeois, Raymond Aquaviva, Olivier Coulon-Jablonka et Guillaume Clayssen. Eric Heinrich Eric Heinrich est diplômé de la section Cinéma de l'Ecole Nationale Supérieure Louis Lumière. Il est opérateur, directeur de la photo et travaille en post-production sur l’habillage, le trucage, le graphisme et l’étalonnage de films que ce soit de la fiction ou du documentaire. Pour le théâtre, il crée la lumière de plusieurs spectacles mis en scène par Arnaud Meunier : Affabulazione (P.P. Pasolini) en 2001, 20 ans et alors… (D. Ruys) en 2001, 2 Iphigénie (J. Racine et M. Azama) en 1999, Croisades (M. Azama) en 1998. Pour la danse, Eric Heinrich est chef opérateur en 2003 des films Animal regard et Entre Temps (compagnie Fatoumi-Lamoureux - ARTE, France 3, Mezzo). Il crée la lumière des spectacles d’Adrien de Blanzy et la compagnie d’Après : Cloakroom en 2003, Akapulko en 2004, Couple à trois en 2005, Blogosphère en 2007 et Ils étaient sur une île et la nuit est tombée en 2009 Pour le cinéma, Eric Heinrich est chef opérateur en 2004 sur Chrysalides d’Isabelle Lukacie et Steven- Marc Couchouron, en 2002 sur Shadow girl (Isabelle Lukacie - Prix Millenium festival de Houston 2003, prix meilleure image – Festival Indépendant Tessalonique) et en 2000 sur La bosse (Isabelle Lukacie - sélectionné au festival Orange de Cannes 2001). Il est chef opérateur aussi de plus courts métrages dont celui de Guillaume Clayssen, Femâle.

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