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Dossier pédagogique

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Théâtre du Lucernairedu jeudi 22 janvier au dimanche 9 mars 2014

du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 15h Salle Rouge - durée 1 :10’

spectacle créé au TNB Théâtre National de Bretagne en 2012 au Festival Mettre en Scène

présenté à Théâtre Ouvert (Paris) en mars 2013

Sommaire

SitographieLe spectacle :

Le spectacle | Extraits vidéos | Photographies | Elizabeth Mazev | François Berreur

Réception critique :

Toute la presse et les blogs

Pour le travail en classe :

Après la représentation | Une séquence en ligne| EAF |Sujet Bac (pdf) | La Biographie langagière

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Le spectacle :

Distribution..................................................3Présentation................................................4Extraits........................................................5Repères biographiques...............................6

Réception critique :

Extraits de presse.......................................8

Pour le travail en classe :

Après la représentation...............................9Une séquence en classe...........................10EAF : Entrainement au baccalauréat.........18La Biographie langagière..........................27Annexe à la séance 3 (groupement de textes).....28

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Distribution

Les Tribulations d'une étrangère d'origine

Version scénique de Mémoire pleine

un récit de Elizabeth Mazev © Les Solitaires Intempestifs, 2011

mise en scène & scénographie François Berreur

avec Elizabeth Mazev

musique Christian Girardot

d’après une chanson populaire « Mon pays, ma Bulgarie »

création bande-son et vidéo Pascal Flamme (Théâtre Ouvert - Paris)

Costumes Nathy Polak

lumière François Berreur / Bernard Guyollot

assistante à la mise en scène Marie Delaby

Coproduction

Cie Les Intempestifs (Besançon) | Théâtre Ouvert (Paris)

Avec le soutien du

TnB - Théâtre national de Bretagne (Rennes)

Centre Dramatique National Besançon Franche-Comté

Production déléguée Cie Les Intempestifs (Besançon)

Administration : Pascale Vurpillot | [email protected]

Assistant de production : Patricio Saez | [email protected]

Tél. : 33 (0)3 81 21 19 78 - Fax : 33 (0)3 81 83 32 15

Ce texte a fait l’objet d’une commande de France Culture (2010) et d’une diffusion en septembre 2011.

ÉCOUTER EN STREAMING

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Présentation

Qu’un Français évoque ses origines étrangères ne devrait pas être tout à coup une suspicion sur la qualité de sa nationalité.

Une chanson nationale tant dans sa composition que dans ses paroles un peu naïves, ne porte-t-elle pas toute notre enfance même si elle est ridiculisée.

Mon pays, ma BulgarieMon amour, ma BulgarieTant de nuits sans sommeilTant de routes parcouruesPour revenir, pour revenirChanson populaire bulgare

« Retourner au pays » est souvent plus proche de la désillusion que des retrouvailles idylliques que nous promettent les chansons.

Bulgares, roumains ? Ce sont tous des voleurs de poules. La différence : les bulgares mangent les poules avec du yaourt !

Peut-on nous ôter notre goût des mets oubliés, dussent-ils nous rappeler que nos madeleines à nous ressemblent plus à des boulettes.

A celui qui n’est pas d’ailleurs mais pas d’ici, ne reste-t-il que le nulle part ?

François Berreur

Adaptation scénique de son récit autobiographique Mémoire pleine, Les Tribulations d’une étrangère d’origine d’Elizabeth Mazev racontent l’histoire d’une petite fille née en France de parents réfugiés politiques bulgares. Seule en scène, la comédienne, conteuse hors-pair, rejoue des scènes de sa vie, de ses trois ans et demi à l’âge adulte : la chanson bulgare chorégraphiée par sa mère pour le spectacle de fin d’année, les longs périples estivaux en DS break passés à tourner autour de la Bulgarie sans pouvoir pénétrer « le plus fidèle satellite de l’Union soviétique », le voyage décevant, plus tard, dans un pays qui s’engouffre dans le capitalisme sauvage, où elle cherche à retrouver ce que tous les Bulgares tentent de fuir… C’est drôle, enjoué, plein d’autodérision, ponctué de changements de rythmes et de tons.

Pour ce spectacle, Elizabeth Mazev retrouve François Berreur, dont les spectateurs ont, il y a deux saisons, pu voir Ebauche d’un portrait, son adaptation et mise en scène du Journal de Jean-Luc Lagarce. Un monologue, déjà, qui travaillait au plus profond les relations entre l’individu et le souvenir, l’intimité et l’Histoire.

Thèmes qui se retrouvent dans ces Tribulations, où, par-delà la peinture intime et familiale, est questionné ce qu’est la mémoire, de quoi elle se compose et comment on l’arrange, « à la manière d’un bouquet ». Et en se moquant de sa propre nostalgie pour un pays qui n’existe que dans la mémoire de ceux qui l’ont quitté, Elizabeth Mazev pose la question de l’identité : d’où est celui qui n’est ni d’ici, ni d’ailleurs ? d’où est celui qui est d’ici et d’ailleurs ?

in Programme 2012-2013 - Centre dramatique national Besançon

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Il y a ce que les parents racontent et il y a ce dont on se souvient. Il y a aussi ce dont on croit se souvenir ou dont on se souvient par les autres. Il y a ce qu’on ne veut pas oublier et ce qu’on voudrait ne pas avoir connu. Il y a la patrie des parents, et celle où naissent les enfants. Il y a la patrie commune, et la patrie imaginaire. Il y a ce qu’on s’approprie et ce qu’on nous lègue de force.

Chaque histoire est banale mais toute histoire est singulière : elle tente de raconter le monde. On écrit sa légende personnelle, on tisse son histoire minuscule, on arrange sa vie comme on dit « arranger un bouquet ».

Élizabeth Mazev

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Extraits :« Ah oui, comme le yaourt ! »

Notre maison s'appelle Villa Rodopi, c'est une traduction phonétique du nom bulgare Родопи (Rhodopes), montagnes où mon père a vu le jour. Il s'installe à son compte, et son atelier d'électromécanique est également baptisé Atelier Rodopi. Ses clients l'appellent monsieur Rodopi "Bonjour monsieur Rodopi, comment va madame Rodopi, ça doit être mademoiselle Rodopi cette petite fille." Ils passent tour à tour pour des italiens, à cause de ce nom, des espagnols ou des portugais à cause de leur accent et d'une vague ressemblance de ma mère avec Linda de Suza. Ceux qui les entendent parler demandent si c'est du yougoslave ou du polonais, plus rarement du russe. J'en conclus que personne ne connait la Bulgarie. Quand mes parents révèlent leur origine, immanquablement on leur répond "Ah oui, comme le yaourt!" Quelquefois, ma mère devance et c'est elle qui précise : "Comme le yaourt." A ceux qui ignorent tout de son pays, elle dit « c’est le plus fidèle satellite de l’Union Soviétique », suivi d’un soupir. La formule me plaît, et je l’utilise volontiers. Généralement, les gens hochent la tête d’un air compatissant. (…)

Nous habitons le premier étage d'une petite maison de ville avec jardin dans le sud de la France. J'ai moins de quatre ans.

Au rez-de-chaussée : un homme de l'âge de mes parents, peut-être un peu plus jeune, et une femme plus âgée que lui. Ils ne sont pas mariés, mais je sais qu'ils dorment dans le même lit. Quand ils se disputent, elle retourne dans son petit appartement, à deux pâtés de maisons. Elle parle la même langue que mes parents, lui une autre un peu différente, les mots sont presque les mêmes, longtemps je pense qu'il ne parle pas très bien et son accent me fait rire. Un jour mon père dit "ce con de yougoslave" et je comprends qu'ils ne viennent pas du même pays. Je lui pardonne son accent ridicule. Je l'aime bien, il me donne des plumes de pintades et du raisin.

À la maison, je comprends tout ce que mes parents et mon frère, de douze ans mon aîné, se disent, même quand il ne faut pas. Mais je leur réponds en français.

Il y a des mots que j'adore. Quand ma mère m'appelle rojbè, c'est une cuillère de miel qui fond dans ma bouche. Mais quand mon père me traite de treudka je pleure et je dis "non pas treudka".

J'apprends plus tard que ce mot désigne le croupion du poulet, et je l'aime encore moins. C'est un des rares mots que je dise dans leur langue.

Tout le quartier sait que mes parents et mon frère ne sont pas français. Ils ont entendu mon frère appeler ma mère Maïko, et les enfants des voisins lui donnent ce nom. Ils l'appellent tous maman, je trouve ça idiot. Ils ont aussi compris que crier mon prénom suivi de bobtcho était le moyen le plus sûr de me voir débouler. C'est le terme qui pour moi désigne les bonbons, vocable dérivé de leur langue, deuxième mot que je dis, avec beaucoup plus de plaisir que l'horrible treudka. (…)

In, Mémoire pleine

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Repères biographiques

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Élizabeth Mazev, une biographie

Élizabeth Mazev, fille d’émigrés bulgares, commence sa carrière d’actrice à dix ans dans la première pièce d’Olivier Py, qu’elle connaît depuis le CE2, Déluré l’Artichaut, les tribulations d’un apprenti pâtissier maladroit mais malin, où elle tient le rôle de Madame Patatarte, la pâtissière amoureuse, un succès incontestable au collège des Campelières de Rocheville, Alpes-Maritimes. Leur collaboration se poursuivra au collège, au lycée à Cannes puis plus tard à Paris pendant plus de trente ans. Elle écrit son premier texte en cinquième, La Rentrée un poème en octosyllabes rimé. Mademoiselle Barel lui met un dix-huit sur vingt. Après ce début prometteur, elle attendra l’âge de vingt-cinq ans pour écrire son deuxième texte, il fait vingt lignes. Son ami Olivier lui suggère de faire de la première le titre, et des suivantes un paragraphe, elle s’exécute, il la met en scène, elle joue Mon père qui fonctionnait par périodes culinaires et autres près de cinquante fois, et rencontre, à l’issue d’une des représentations, Jean-Luc Lagarce et François Berreur, qui la publieront aux Solitaires Intempestifs et l’emploieront dans leurs spectacles. Deux ans plus tard, elle décide d’écrire son histoire avec Olivier, il lui suggère de faire un mille-phrases, et trouve le titre, elle s’exécute, ils jouent Les Drôles plus de cinquante fois. Elle fait une pause de sept ans dans son écriture, pendant lesquels elle goûte aux joies de Sigmund Freud, puis écrit Les Cigales, une vie des actrices en coulisses, texte à ce jour non joué, et Mémoire pleine, les tribulations d’une fille de réfugiés politiques naturalisés français, qu’elle crée à Théâtre Ouvert à Paris, dirigée par François Berreur. Sa route croise celle de Valère Novarina, de Marion Aubert, de Sophie Calle, de Gregory Motton et de David Lescot, des auteurs contemporains, mais elle aime aussi jouer Claudel dirigé par Jean-Pierre Vincent ou Olivier Py, Ostrovski mis en scène par Bernard Sobel, ou Goldoni vu par Thomas Quillardet et Jeanne Candel.La compagnie Jacquart vient de lui passer commande d’un texte pour la saison prochaine, ça tombe bien, elle aime beaucoup les commandes, comme celle d'Alexandra Tobelaim pour son spectacle : Pièces de cuisine, qui traite de nourriture ; ou Thibault Rossigneux pour ses « Binômes », rencontre de cinquante minutes avec un scientifique qui donne lieu à un texte libre de trente minutes et trois personnages.Avec Thibault Rossigneux, par ailleurs son voisin, ils ont imaginé d’écrire sur leurs voisins, un feuilleton théâtral ayant pour lieu unique le réduit-poubelle de leur copropriété.Elle a deux devises d’auteure :La première : "L’Art naît de contraintes et meurt de liberté" c’est beau et c’est vrai c’est de Michel-Ange. La seconde : "Il n y a rien de mieux que la vérité", c’est moche mais c’est vrai et c’est d’elle.

E. Mazev

E. Mazev © collection personnelle

Mon père qui fonctionnait par périodes culinaires et autres…(1989)Les Drôles (1992)Les Cigales (2004)

A paraître en 2014JanvierLes Drôles, nouvelle édition revue et corrigéeFévrierLes Trois sœurs Jacques

Textes publiés aux éditions Les Solitaires Intempestifs

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Repères biographiques

© Attilio Marasco

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François Berreur

Né en 1959. C’est à Besançon‚ au cours d’un stage de pratiques théâtrales qu’il rencontre Mireille Herbstmeyer et Jean-Luc Lagarce‚ fondateurs depuis déjà quelques années d’une troupe amateur‚ le Théâtre de la Roulotte. S’associant à leur rêve que la compagnie devienne professionnelle‚ il consacre son temps d’étudiant entre les répétitions et une formation d’acteur sous la direction de Jacques Fornier.A Besançon‚ il travaille également comme comédien au Centre Dramatique de Besançon‚ au théâtre et au cinéma‚ sous la direction de Denis Llorca.Les années passant‚ François Berreur devient le plus proche collaborateur artistique de Jean-Luc Lagarce. Il fonde avec lui en 1991 les éditions Les Solitaires Intempestifs dont il est aujourd’hui encore le directeur littéraire.

Il devient metteur en scène en 1998, après avoir réalisé la mise en scène du Voyage à La Haye, spectacle qui sera repris au sein d’un triptyque (avec Le Bain et Music-hall) créé au Festival d’Avignon en 2001. Il a monté également Rodrigo Garcia, Serge Valletti, Eugène Ionesco.

En 2007, il organise « L’Année (…) Lagarce » pour le cinquantième anniversaire de la naissance de Jean-Luc Lagarce.Après la réalisation de Juste la fi n du monde, il clôt son travail autour de Lagarce par l’histoire théâtrale de celui-ci : Ébauche d’un portrait avec Laurent Poitrenaux.

François Berreur est aussi le fondateur du site theatre-contemporain.net au sein de l’association CRIS (Centre de Ressources Internationales de la Scène).

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Réception critique :

Vous retrouverez en ligne l'ensemble des articles parus (presse papier et blogs)

Au présent du souvenir. La voix d’Élizabeth Mazev est un cristal doux. Elle chante chantonne. A la fn, elle reprend en une chanson tout ce que dit le « spectacle ». [Armelle Héliot - LE FIGARO.FR]

Elizabeth Mazev parle d’elle en comédienne, donc en passeuse d’histoires, et c’est infniment précieux, vif, léger et drôle. [Odile Quirot – NOUVELOBS.FR]

Un texte drôle et tendre qu’elle joue elle-même avec son beau tempérament d’actrice. Son histoire n’est pas particulièrement exceptionnelle. Elle rejoint celle de nombreux étrangers « d’origine », en faisant entendre avec délicatesse et mille détails savoureux la petie musique de l’exil et d’une intégration à la fois réussie et douloureuse. [Fabienne Darge – LE MONDE]

Elizabeth Mazev déroule sa mémoire, de ses trois ans et demi à l’âge adulte. Et l’on se régale à écouter son histoire. Ce spectacle fnement mis en scène et aussi pertinent que drôle.

[Marie-Christine Nivière – PARISCOPE]

Tendre comme un malibi, une crème de riz au sirop, ces tribulations d’une déracinée valent pour leur constat plein d’humour de l’impossibilité de se construire en un seul morceau quand on a poussé ailleurs. [Patrick Sourd – LES INROCKS]

On en tend ses rêves d’enfant, la richesse fabriquée avec une telle histoire, sa manière particulière de s’être construite. Elle offre un regard humoristique, nostalgique et poignant qui nous parle d’intégration et d’identité. [TÉLÉRAMA SORTIR]

Actrice complète, celle qui débuta avec Olivier Py, alors qu’ils étaient enfants, montre sans ostentation l’étendue de son talent. Et elle en a jusqu’au bout des ongles. [Marie-José Sirach – L’HUMANITÉ]

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Après la représentation : Pistes pour un questionnement avec les élèves

- Le parti pris de la mise en scène :Comment est organisé l’espace scénique ? Quel est le rapport scène-salle ? Comment le personnage évolue-t-il tout au long du spectacle ? Par le jeu ? Par les costumes successifs ? Comment est utilisé l’espace dramatique ? - Les intentions de jeu :Comment s’est effectué le travail de la comédienne dans son rapport au public ? Comment utilise-t-elle le costume ? A quelle(s) époque(s) et à quel(s) milieu(s) appartiennent-ils ? Que représentent les valises ? Comment sont-elles utilisées ? Quelle est la fonction des autres accessoires ? Comment la gestuelle devient-elle un support du comique ? Comment l’humour et la force du comique sont-ils pris en charge durant tout le spectacle ? - L’importance de la langue et du son dans le spectacle :Que symbolisent les chansons qu’on entend durant le spectacle ? A quelle période et à quel univers se réfèrent-elles ? Quelle est la fonction de la langue bulgare ? Comment la comédienne en joue-t-elle ? Pour quelles raisons Elisabeth Mazev introduit-elle des phrases entières en langue bulgare ? Quels sont les effets recherchés ? Comment le public réagit-il ? Comment comprenez-vous la chanson finale ?

Annexes :Portrait d’Elizabeth Mazev paru dans Le Monde du 16 février 2013Dossier iconographique Groupement de textes sur le monologue de théâtre classique et contemporain

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Une séquence en classe : La quête de l’identité dans le monologue théâtralVoir aussi la séquence en ligne avec les documents vidéos

Niveau : classe de première générale et/ou technologique

Objet d’étude : Le texte théâtral et sa représentation, du 17ème siècle à nos jours.

Œuvre intégrale : Les tribulations d’une étrangère d’origine d’Elizabeth Mazev (adaptation de son autobiographie, Mémoire pleine)Mise en scène, scénographie de François Berreur Problématique : Comment le monologue théâtral prend-il en charge « l’épopée intime1 » ? Objectifs : La séquence vise à faire connaître aux élèves la rencontre d’une œuvre avec la représentation théâtrale, conformément à l’objet d’étude de première. On axe le cours sur deux supports essentiels : le texte de référence de l’autobiographie et la pièce à l’affiche des théâtres pour la tournée 2013-2014 (ou captation vidéo) mise en scène par François Berreur. C’est aussi l’occasion pour les élèves de se confronter à une écriture contemporaine par l’étude du monologue et d’assister à une représentation théâtrale. Perspectives dominantes : On étudie tous les codes de la représentation et du monologue au théâtre. Dans un autre groupement de textes, on compare des monologues classiques à des monologues contemporains souvent étiquetés par les théâtres du label « Seul en scène ». On évite ainsi la confusion avec l’appellation anglo-saxonne du « One-man-show » tout à fait inappropriée ici. Lors de la représentation ou du visionnage des extraits de la pièce, on initie les élèves à tous les aspects de la représentation : la mise en scène, le jeu, la scénographie, les costumes, le rapport scène-salle, la création de la lumière et du son, la réception du spectacle.

• Séance 1 : Rencontre avec l’œuvre • Séance 2 : La prise de conscience de l’altérité• Séance 3 : Monologue ou seule en scène ?• Séance 4 : La question de l’origine identitaire• Séance 5 : Le pays d’origine vu à travers le regard de l’enfant puis de l’adulte• Séance 6 : La Bulgarie après la chute du Mur. Lecture analytique• Séance 7 : Un spectacle comme un hommage au théâtre• Séance 8 : L’humour et la force du comique• Séance 9 : Entraînement à l’EAF autour d’un corpus de textes sur l’argumentation.

1. L’expression est empruntée au titre de l’œuvre de Philippe Minyana, Epopées intimes, Les Solitaires intempestifs, 2011

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Séance 1 : Rencontre avec l’œuvre

La séquence débute2 par le visionnage de la première partie de la captation vidéo (une dizaine de minutes) jusqu’à la réplique : « Je parle le bulgare », p. 17.

On interroge la classe sur le personnage interprété par Elizabeth Mazev : le lieu et le temps de l’action, son âge, son costume, ses accessoires, son propos, l’adresse, le jeu. Au fur et à mesure des réponses, on esquisse la situation et on brosse le portrait de ce personnage « seul en scène ». Ce peut être aussi l’occasion de faire réfléchir au titre de la pièce, à la fois ironique (les tribulations, mot qui implique le côté aventureux et comique de cette « épopée intime » et le calembour autour du complément du nom « étrangère d’origine ». Le parallèle peut être effectué avec le titre original de la publication de l’autobiographie de l’auteur : Mémoire pleine, métaphore empruntée à l’informatique, et ironique de surcroît.

A l’appui de la vidéo on travaille sur la première partie du texte de l’adaptation, de la première phrase jusqu’à la réplique « Je parle bulgare ». On fait rechercher la situation d’énonciation, on demande l’interprétation des « blancs » qui structurent le discours pour poser la question de la temporalité, puis celle de la situation d’énonciation : Qui parle ? A qui ? Quand ? Où ? De quoi ?

Pistes pour une lecture analytique :- Implication du « je » et du « nous » et les indices de subjectivité, le présent de l’énonciation- le mélange du français et du bulgare dans l’apprentissage de la langue- les jeux sur les sonorités à consonance étrangère- les jeux sur la mémoire affective (les mots bulgares, les pleurs, les terreurs et les joies enfantines au cours de cette découverte sensorielle, etc.)- tous les indices se rapportant à la découverte par l’enfant de l’altérité et leurs rituels- son rapport à la Bulgarie par la réception des colis : l’alimentation, les odeurs, les objets, etc.- l’humour décalé de l’adulte à l’évocation de ses premiers souvenirs- la comédie que se joue l’enfant au milieu des adultes Exercice de mise en jeu en classe entière : On dispose les élèves en cercle dans la salle et chacun s’attribue une phrase du début du monologue. On demande à chaque joueur de trouver un état pour prononcer sa réplique sans autre intention que de faire entendre le texte choral d’Elizabeth Mazev. A la fin de l’exercice on recueille les impressions et les commentaires des élèves pour évaluer l’efficacité de l’essai. En vue de la prochaine séance : les élèves recherchent sur Wikipedia où se trouve la Bulgarie, établissent une petite fiche géopolitique avec quelques impressions sur le mode de vie de ses habitants. Séance 2 : La prise de conscience de l’altérité

a – On amène peu à peu les élèves à réfléchir à l’identité de l’enfant par la prise de conscience de son altérité, c’est-à-dire de son origine étrangère, de n’être pas une Française comme les autres. Dans le texte de l’adaptation, première partie, on recense toutes les étapes par lesquelles passe la fillette pour valider cette évolution par rapport à ses origines : son statut d’étrangère, la petite communauté bulgare installée en France, la visite des « ancêtres », la nouvelle villa Rodopi, le prénom de sa mère, les photographies des cousines restées là-bas, les allusions à l’Union soviétique, la prise de conscience du statut de réfugiés politiques de ses parents, le « yaourt bulgare », les lettres cyrilliques, la chanson bulgare que la fillette interprète au spectacle de fin d’année à l’école, les vacances en voiture « autour de la Bulgarie »…

b – La séance peut être accompagnée d’une présentation au vidéoprojecteur d’images sur les villages bulgares, leurs habitants pour montrer aux élèves la découverte progressive par l’enfant de ses origines à la fois sociales et identitaires. En reprenant la captation vidéo on s’interroge sur le costume que porte la comédienne pour donner à son personnage une petite note folklorique qu’on analysera selon les images recensées par les élèves. On trouvera en annexe quelques photos traditionnelles qui ont inspiré la

2. Dans Mémoire pleine, p. 14 jusqu’à la p. 17 (certains passages ont été supprimés dans le spectacle)

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comédienne pour choisir son costume, avec l’idée d’accentuer un cliché. Exercice de mise en jeu en classe entière : En séance d’AP, après avoir fait écrire la fable de la narratrice en la limitant aux points essentiels, on demande aux élèves d’interpréter à deux ou à trois son histoire comme s’il s’agissait d’une bande-annonce d’un film. Chacun joue un moment de la vie de la narratrice. L’exercice ne devrait pas dépasser cinq minutes de jeu. En vue de la prochaine séance : se constituer une courte anthologie de monologues de théâtre. Séance 3 : Monologue ou seule en scène ? On présente les différentes formes du monologue théâtral et ses fonctions à partir d’un corpus de textes courts. (voir document en annexe à la fin de la séquence) selon les critères suivants :

- Monologue de présentation : le personnage se présente lui-même, parfois physiquement et/ou moralement. Il brosse son propre portrait, dévoile ses sentiments, son état d’esprit comme Georges Dandin, par exemple.- Monologue informatif : par ses propos, le personnage informe le spectateur sur la situation, le cadre spatio-temporel, l’intrigue ou la suite possible. Ce type de monologue est caractéristique de la scène d’exposition. Situé à l’intérieur d’une pièce, le monologue informatif renseigne surtout sur une possible suite. - Monologue de délibération : il sert à présenter une réflexion personnelle que le personnage mène en son for intérieur, comme Ruy Blas.- Monologue de dénonciation : Il vise à dénoncer et à critiquer un état de fait social.- Monologue de dérision ou d’autodérision : Figaro et Dandin, en réfléchissant à la situation qu’ils vivent pratique l’autodérision. - Monologue de remise en cause du code théâtral et de réflexion sur le théâtre, comme dans Outrage au public de Peter Handke.

On pose ensuite la question du monologue par rapport au spectacle vivant : seul en scène. Quelle différence peut-on faire entre le monologue classique et le monologue contemporain ? A quelle catégorie de monologue appartient Les tribulations d’une étrangère d’origine ? On établit un parallèle entre le mode narratif opéré à partir du texte original, adapté pour le théâtre, et le travail scénique en visionnant quelques extraits de la captation vidéo. Comment la mise en scène de François Berreur permet-elle une réappropriation de la théâtralité ? Par quels moyens scéniques ? Par quels effets dramaturgiques ? Par quelle direction de jeu ? Par rapport au parti pris de l’écriture autobiographique, on se demande comment la littérarité peut faire advenir le personnage seul en scène. Pour prolonger la séance, on se réfère à d’autres adaptations littéraires qui ont donné lieu à des spectacles « Seul en scène » : Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline interprété par Fabrice Luchini ou Jean-François Balmer, Excusez-moi pour la poussière (Testament de Dorothy Parker) de Jean-Luc Seigle, interprété par Natalia Dontcheva, L’Adversaire d’Emmanuel Carrère, interprété par Eric Challier par exemple.

On choisit le début de la deuxième partie du texte : « J’ai dix ans3», p. 29 jusqu’à « Vous allez faire la visite des prisons bulgares pendant une petite année…, p.32 ». On demande aux élèves de rechercher dans l’extrait tout ce qui relève d’un récit (indices personnels, temps verbaux, cadre spatio-temporel, action, personnages, descriptions). On compare l’extrait avec la vidéo pour comprendre comment s’est effectué le passage du texte littéraire au travail de plateau. On peut analyser des photos du spectacle pour axer la séance sur la notion de représentation. Exercice de mise en jeu en classe entière : On demande aux élèves d’improviser sur un court passage du texte, « j’ai dix ans » pour faire apparaître la fillette jouée par Elizabeth Mazev. On peut utiliser des costumes faciles à trouver que les élèves ont

3. Dans Mémoire pleine, p.29, partie II jusqu’à la page 32

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recherchés et apportés en classe. On débat de la pertinence de l’initiative. En vue d’une prochaine séance : Préparer la lecture analytique de l’extrait suivant, tiré de la deuxième partie : « Mes parents quittent leur pays la mort dans l’âme », p. 36 jusqu’à « Pleine d’essence de rose », p. 39

Question d’oral : Comment le rituel des vacances se transforme-t-il pour la narratrice en une prise de conscience de ses origines ? Séance 4 : La question de l’origine identitaire

On propose la lecture analytique sur laquelle les élèves ont planché à partir de la question d’oral. On demande comment ils ont réagi à la lecture de l’extrait, comment ils l’ont appréhendé dans sa double dimension : souvenir d’enfance et prise de conscience de la patrie d’origine. Au fur et à mesure des interventions et des réponses, on amène la classe à se pencher sur la manière dont la narratrice présente au spectateur le souvenir de ses premières vacances en Bulgarie, alors pays « satellite de l’ex-Union soviétique ».

On attire leur attention sur les modalités de la narration et l’alternance des registres :- la fillette « restée seule sans ses parents » devient une attraction dans le village, une sorte de curiosité « occidentale » qu’on « trimballe partout », comme en contrepoint aux Rika et Usbek des Lettres persanes- l’humour, une certaine forme de légèreté dans la narration, l’emploi du « on » de substitut pour les Bulgares célébrant cette enfant, pur produit de la société de consommation de l’autre côté du rideau de fer- emploi comique des références culturelles françaises (la chanson), les jeux de mots liés à l’apprentissage du bulgare avec le quiproquo autour du mot « courrez » et celui autour de l’apprentissage de la relation amoureuse lors du bal sous les tilleuls- le rituel des « journées de nettoyage de la ville » présenté comme une activité récréatove alors qu’il est une marque du communisme peut-être pas aussi « joyeux » que le voie l’enfant- les préparatifs du retour et l’arrivée en France avec son cortège de mauvaises surprises : la « fatale » prise de poids, les tics de langage appris en Bulgarie et que désapprouvent les parents, enfin la déception lors de l’ouverture de la valise- la critique implicite de deux mondes qui s’ignorent et le gouffre économique et culturel entre les deux pays.

Avant la fin de la séance, on visionne un court extrait de la captation pour analyser le jeu de la comédienne, commenter les réactions du public, et vérifier que le comique de la scène n’a pas occulté le fossé culturel que l’enfant révèle malgré elle. Exercice de mise en jeu en classe entière : On propose une courte séance théâtrale sur le rituel du retour. Dans le cercle formé dans la classe, chacun improvise à partir d’un détail du retour de l’enfant dans le récit d’Elizabeth Mazev en exagérant les faits rapportés. On compare et commente les passages retenus par les élèves. En vue de la prochaine séance : rechercher sur theatre-contemporain.net.tv l’interview qu’Elizabeth Mazev donne sur son travail à la fois d’auteur et de comédienne (Les difficultés de l’écriture, le contexte, la dimension artistique, l’appropriation du texte…). Faire une synthèse sur les moments déterminants de son rapport à l’écriture pour évoquer son enfance, ses origines et son épanouissement personnel par le théâtre.

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Séance 5 : Le pays d’origine vu à travers le regard de l’enfant puis de l’adulte L’intérêt de cette séance réside dans la manière dont la narratrice appréhende son passé et se réapproprie le pays de ses ancêtres en l’idéalisant dans un premier temps, puis, à l’aune de l’Histoire, en le jugeant sans concession. L’appartenance à une double culture : celle de ses parents et celle de son éducation en France font d’elle un être déchiré. Mais cette blessure secrète ne transparaît que très rarement car le récit définitivement « joyeux » sert d’écran. Seul le sous-texte permet de la lire à plusieurs endroits.

On insiste avec la classe sur cette évolution du personnage, à la fois sur le plan de la confession littéraire et sur le plan de la construction scénique à l’aide de la captation. Il existe une Bulgarie totalement idéalisée dans le souvenir de l’enfant, liée à la langue des parents, aux mots et expressions dialectales appris par cœur, à l’attente fébrile des colis de là-bas, aux visites et à la petite communauté installée en France où l’on reste entre soi, aux noms et aux histoires racontées en famille, aux sonorités lexicales et aux chansons : l’enfant idéalise un pays, et surtout un nom, qu’elle ne peut aimer qu’à travers l’image qu’en cultivent ses parents. Ainsi on demande aux élèves de chercher dans les deux premières parties de la pièce toutes les occurrences d’une Bulgarie idéalisée par le truchement des souvenirs enfantins que l’adulte essaie de recenser dans son récit. Alors cette terre lointaine devient pour l’enfant un Eldorado de la mémoire, « un paradis perdu » qu’il faut absolument investir et déréaliser. Le récit des vacances l’atteste, le lien familial y est renoué et l’enfant devenue adolescente subodore un pays à la bureaucratie pesante sans pouvoir le justifier. L’anecdote du chef du poste frontière en est un exemple à la fois hilarant et troublant.

On fait aussi travailler les élèves sur l’évolution du personnage au fur et à mesure que la narratrice découvre le pays avec ses parents, puis plus tard avec son mari. La quête de l’identité passe dès lors par le portrait tout en nuances qu’elle ébauche de son propre père : l’exil en France comme réfugié politique, puis le retour désabusé au pays natal, la recherche de la tombe de son père à lui et sa fin tragique après une phrase prémonitoire lâchée au retour des dernières vacances : « Jamais je ne reviendrai ». Le processus d’identification des racines de la narratrice reprend avec le voyage en compagnie de son mari qui découvre un pays « d’une infinie tristesse » gangrené par la course à l’occidentalisation de sa culture et une mafia locale qui s’en prend agressivement au pouvoir d’achat des touristes.

Enfin, dans les deux dernières parties, on s’attarde sur le regard amer que l’adulte pose sur le pays de ses ancêtres et l’idée qu’elle s’en faisait enfant. Que ce soit en France ou en Bulgarie, une déchirure profonde s’est faite entre les Bulgares soupçonneux et distants qui vivent à Paris et la narratrice revenue de toutes ses illusions : « Je me demande si elle a jamais existé, la Bulgarie dont vous m’avez tant parlé », dit la narratrice à sa mère qui lui répond, « ça prouve qu’on a bien raconté ».

En fin de séance, on visionne un extrait d’un entretien d’Elizabeth Mazev sur theatre-contemporain.net pour mieux comprendre les raisons pour lesquelles elle écrit. Exercice de mise en jeu en classe entière : On forme un cercle de profération dans la salle de classe pour faire entendre à nouveau le retour du père dans son pays d’origine. On demande aux élèves de dire le texte en variant les registres et les intentions de jeu. On évalue ensuite le résultat obtenu.

Séance 6 : La Bulgarie après la chute du Mur. Lecture analytique

Troisième partie, page 514, depuis « Olivier arrive à Varna » jusqu’à la page 54 « Le lendemain la course folle reprend ».

On fait d’abord relever par les élèves tous les indices lexicaux et grammaticaux péjoratifs à propos de la découverte du pays par Olivier, le mari de la narratrice, qui visite pour la première fois la Bulgarie : « Varna,

4. Le texte de Mémoire pleine est à peine plus long.

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ville laide et impersonnelle, aéroport miteux, familles désargentées, la mer Noire sale, toboggan écaillé, tour ignoble, chambre assez minable, prix exorbitant, escroquer, routes mal entretenues, infinie tristesse, etc. »

On insiste sur les points suivants pour articuler la lecture analytique :- l’arrivée d’Olivier prend une tournure « homérique », sa surprise, sa déception, son mutisme boudeur, sa sidération- le périple parsemé d’embûches touristiques : les hôtels douteux, le trafic des devises, l’ostracisme des Bulgares au profit des Occidentaux aisés- les jeux sur le langage et les citations en langue originale, sources de quiproquos- l’indignation de la narratrice devant le comportement des compatriotes de ses parents, ses colères, ses crises de larmes- la laideur des paysages, les routes défoncées, les éoliennes d’un autre âge- la conjugaison des effets comiques avec le constat tragique d’un pays très en retard économiquement- l’arrivée chez la grand-mère à Svilengrad et l’humour à propos des lits

Pour compléter la séance, on visionne l’extrait en interrogeant les élèves sur le parti pris de la mise en scène, le jeu d’Elizabeth Mazev pour conférer à son personnage une distance comique afin d’atténuer la violence du constat : la Bulgarie idéalisée par ses parents vire à un séjour cauchemardesque.

On fait lire aux élèves la note d’intention de l’auteur en guise de préface du tapuscrit (voix annexe à la séance 6), qui est aussi la quatrième de couverture de l’édition Mémoire pleine. Exercice de mise en jeu en classe entière : On propose un exercice rapide sur le texte-image. Après avoir lu et étudié l’extrait, les élèves choisissent un moment particulier auquel ils ont été sensibles pour exécuter devant les autres un tableau. On discute ensuite de l’efficacité de l’exercice. En vue de la prochaine séance : on demande aux élèves de préparer une synthèse sur le théâtre dans le théâtre en relevant toutes les références : comment la narratrice se construit au théâtre à travers le rêve de sa mère de devenir actrice ?

Séance 7 : Un spectacle en forme d’hommage au théâtre

Le cours débute par le visionnage d’une interview d’Elizabeth Mazev à Théâtre Ouvert où elle explique comment sa vocation pour le théâtre est née, non seulement de sa rencontre avec Oliver Py alors qu’ils étaient l’un et l’autre encore enfants dans la même école, mais de l’amour déçu de sa mère pour un acteur de son pays, devenu célèbre, « le Michel Piccoli de là-bas ».

Des premiers pas pour le spectacle scolaire de fin d’année à son retour en Bulgarie pour interpréter sa pièce Les tribulations d’une étrangère d’origine, la narratrice ne cesse tout au long du spectacle de faire référence au théâtre, ainsi qu’elle le confie à Fabienne Darge dans le portrait qui lui est consacré dans le Monde du 16 février 2013 : « Le théâtre est devenu [mon] troisième pays. » (voir document en annexe).

Avec les élèves on construit le cours autour des nombreuses occurrences du théâtre comme un itinéraire que la narratrice va emprunter jusqu’à sa maturité :

- Lors de ses premières vacances en Bulgarie, restée seule chez ses cousines, elle devient celle sur qui tous les regards se concentrent : « On m’exhibe, on me promène…on me fait chanter le soir », activité à laquelle elle prend goût et où affleure sa vocation future.- La phase de professionnalisation « je fais une école de théâtre » à l’âge de 20 ans et l’écriture de sa première pièce en hommage à son père qu’elle joue et que met en scène Oliver Py.- L’installation à Paris où elle devient comédienne professionnelle.- A l’âge de 30 ans elle fréquente les théâtres et les acteurs de Sofia : « Ce sont des artistes bulgares que j’ai envie de rencontrer ».- Le décalage culturel entre la France et la Bulgarie sur le plan de la création théâtrale : « Ici on ne

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connaît officiellement Beckett et Ionesco que depuis dix ans ». L’ambiance des représentations bruyantes et sans respect pour les artistes, le Théâtre National, les difficultés pour assister à des répétitions en raison de l’hostilité des comédiens bulgares.- La rencontre avec le traducteur de Valère Novarina qui lui confie qu’il n’y a pas d’auteur de théâtre contemporain en Bulgarie- La complicité éphémère avec le metteur en scène Sacho Morfov qui lui ouvre les portes du Théâtre national- Le coup de fil passé à Stoïtcho Mazgalov, l’ancien fiancé de sa mère, un acteur célèbre, pour prendre rendez-vous, l’échec de la rencontre et la déception (voir le passage dans Mémoire pleine mais supprimé dans le spectacle, p. 67-69)

On reprend en classe tous les éléments relevés dans le texte pour tirer une conclusion sur la place qu’occupe le théâtre dans la vie de la narratrice, comédienne et auteure dramatique à son tour. On s’interroge aussi sur le fait que dans le spectacle l’allusion à Stoïtcho Mazgalov a été supprimée, peut-être en mémoire à son père : « Il aurait été furieux ».

On revient sur la captation vidéo pour montrer que le découpage dramaturgique de l’autobiographie originale sert la temporalité sur le plateau. Les costumes indiquent les changements et les transformations de la narratrice : du costume folklorique à celui de la femme en représentation dans le spectacle qui se joue et qui vient saluer à la fin le public. Le parcours est accompli.On peut compléter la séance en visionnant l’entretien qu’Elizabeth Mazev donne en Bulgarie lors de la présentation des Tribulations à Varna. Exercice de mise en jeu en classe entière : En séance d’AP, on choisit un passage de la pièce, par exemple, la nuit mouvementée au poste frontière lors du premier retour et on fait écrire un court dialogue de la scène par les élèves. On essaie ensuite une mise en jeu en classe avec plusieurs groupes. On compare la narration et les dialogues. En vue de la prochaine séance : On étudie toutes les facettes du comique et de l’humour dans le spectacle.

Séance 8 : L’humour et la force du comique

On ouvre la séance en demandant aux élèves pourquoi le parti pris de l’écriture textuelle et scénique repose sur l’humour et le comique. On insiste sur la nécessaire distance prise par rapport à une histoire familiale douloureuse (l’exil forcé, le déracinement) et l’Histoire tragique, la Bulgarie communiste. On cherche dans le texte les éléments de commentaire susceptibles de valider le projet de lecture : les registres, les jeux sur le langage, le sens de la formule lapidaire, le comique de situation, le commentaire acerbe ou indirect sur l’évolution de la Bulgarie et les Bulgares.Les différentes manifestations du comique et de l’humour :

- le comique de situation au moment de la réception et de l’ouverture des colis au bout d’un mois d’acheminement, du décalage systématique entre le mode de vie français et celui de la Bulgarie que l’auteure s’ingénie à traiter par l’humour, tel que le leitmotiv : « Vous êtes bulgare, comme le yaourt » ou « le satellite le plus fidèle de l’Union soviétique »- la visite de l’oncle et de la tante dans « leurs costumes bizarres », « ils sentent la naphtaline, je me dis que ça doit être le parfum de leur pays », le portrait que l’auteure brosse d’eux, puis la visite de la grand-mère, la petite fille passant l’été en Bulgarie, les retrouvailles, les repas, la nourriture, etc.- le comique de langage autour du dialecte et de ses équivalents en français, le « chapelet d’injures » que son père lui enseigne- la bureaucratie bulgare aussi pesante que kafkaïenne est toujours traitée sur le mode de l’humour et de l’ironie, tel que le récit du « jeune homme maigre à la douane » condamné à aller « faire la visite des prisons bulgares pendant une petite année »- toutes les situations que décrit la narratrice à Paris ou en Bulgarie sont souvent relatées avec leur dose d’humour tels « ces hommes en costumes sombres croisés rue Mazarine qui, à ma question « vous

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êtes touristes », répondent en riant « non, espions ! », ou « Les Bulgares découvrent l’écologie en même temps que la démocratie », à propos de la pollution de la mer Noire ou les devinettes bulgares comme pour conjurer le mauvais souvenir du communisme.

En conclusion, on met l’accent sur théâtralité sous-jacente de l’écriture pour aborder des questions graves sur le mode de la légèreté et de l’humour : une famille déracinée, un père mort inconsolé d’avoir perdu la Bulgarie de son enfance, un pays qui accuse un retard économique et technologique incomparable, des habitants méfiants et suspicieux, la mainmise d’une mafia organisée sur le contrôle d’une nation à peine libérée du joug totalitaire.C’est aussi l’occasion de visionner à nouveau le travail théâtral et les modes du comique par le jeu : la gestuelle de la comédienne évolue au fur et à mesure que son personnage passe de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte.

Séance 9 : Entraînement à l’épreuve anticipée de français autour d’un corpus de textes sur l’argumentation.(voir document détail page suivante)

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EAF [Epreuve Anticipée de Français]Écrit, Premières, séries généraleslien de téléchargement du sujet en pdf Objet d’étude :La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation, du 16ème siècle à nos jours

• TEXTE A : Michel de Montaigne, Essais "De la vanité", III, 9, 1588• TEXTE B : Jean-Jacques Rousseau, Emile, Livre V, 1762• TEXTE C : Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, VIII, 4, 1939• TEXTE D : Elizabeth Mazev, Mémoire pleine, III, p. 51-53 ou Les Tribulations d’une étrangère d’origine, 2011

TEXTE A : Michel de Montaigne, Essais "De la vanité", III, 9, 1588

Moi, qui le plus souvent voyage pour mon plaisir, ne me guide pas si mal. S’il fait laid à droite, je prends gauche : si je me trouve mal propre à monter à cheval, je m’arrête. Et faisant ainsi, je ne vois à la vérité rien qui ne soit aussi plaisant et commode que ma raison. Il est vrai que je trouve la superfluité toujours superflue, et remarque l’empêchement en la délicatesse même et en l’abondance. Ai-je laissé quelque chose à voir derrière moi ? J’y retourne : c’est toujours mon chemin. Je ne trace aucune ligne certaine, ni droite ni courbe. Ne trouvé-je point, où je vais, ce qu’on m’avait dit ? Comme il advient souvent que les jugements d’autrui ne s’accordent pas aux miens, et les ai trouvés plus souvent faux, je ne plains pas ma peine : j’ai appris que ce qu’on disait n’y est point.

J’ai la complexion du corps libre, et le goût commun autant qu’homme du monde. La diversité des façons d’une nation à autre ne me touche que par le plaisir de la variété. Chaque usage a sa raison. Soient des assiettes d’étain, de bois, de terre, bouilli ou rôti, beurre ou huile de noix ou d’olive, chaud ou froid, tout m’est un : et si un, que vieillissant, j’accuse cette généreuse faculté et aurais besoin que la délicatesse et le choix arrêtât l’indiscrétion de mon appétit et parfois soulageât mon estomac. Quand j’ai été ailleurs qu’en France, et que, pour me faire courtoisie, on m’a demandé si je voulais être servi à la française, je m’en suis moqué et me suis toujours jeté aux tables les plus épaisses d’étrangers.

J’ai honte de voir nos hommes enivrés de cette sotte humeur de s’effaroucher des formes contraires aux leurs : il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village. Où qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons et abominent les étrangères. Retrouvent-ils un compatriote en Hongrie, ils festoient cette aventure : les voilà à se rallier et à se recoudre ensemble, à condamner tant de mœurs barbares qu’ils voient. Pourquoi non barbares, puisqu’elles ne sont françaises ? Encore sont-ce les plus habiles qui les ont reconnues, pour en médire. La plupart ne prennent l’aller que pour le venir. Ils voyagent couverts et resserrés d’une prudence taciturne et incommunicable, se défendant de la contagion d’un air inconnu.

Ce que je dis de ceux-là me ramentoit, en chose semblable, ce que j’ai parfois aperçu en aucuns de nos jeunes courtisans. Ils ne tiennent qu’aux hommes de leur sorte, nous regardant comme gens de l’autre monde, avec dédain ou pitié. Ôtez-leur les entretiens des mystères de la cour, ils sont hors de leur gibier , aussi neufs pour nous et malhabiles comme nous sommes à eux. On dit bien vrai qu’un honnête homme c’est un homme mêlé.

Au rebours, je pérégrine très saoul de nos façons, non pour chercher des Gascons en Sicile (j’en ai assez laissé au logis) : je cherche des Grecs plutôt, et des Persans : j’accointe ceux-là, je les considère : c’est là où je me prête et où je m’emploie. Et qui plus est, il me semble que je n’ai rencontré guère de manières qui ne vaillent les nôtres. Je couche de peu, car à peine ai-je perdu mes girouettes de vue.

TEXTE B : Jean-Jacques Rousseau, Emile, Livre V, 1762 Il est utile à l’homme de connaître tous les lieux où l’on peut vivre, afin de choisir ensuite ceux où l’on peut vivre le plus commodément. Si chacun se suffisait à lui-même, il ne lui importerait de connaître que l’étendue du pays qui peut le nourrir. Le sauvage, qui n’a besoin de personne et ne convoite rien au monde,

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ne connaît et ne cherche à connaître d’autres pays que le sien. S’il est forcé de s’étendre pour subsister, il fuit les lieux habités par les hommes ; il n’en veut qu’aux bêtes, et n’a besoin que d’elles pour se nourrir. Mais pour nous, à qui la vie civile[18] est nécessaire, et qui ne pouvons plus nous passer de manger des hommes[19], l’intérêt de chacun de nous est de fréquenter les pays où l’on en trouve le plus à dévorer. Voilà pourquoi tout afflue à Rome, à Paris, à Londres. C’est toujours dans les capitales que le sang humain se vend à meilleur marché. Ainsi l’on ne connaît que les grands peuples, et les grands peuples se ressemblent tous. Nous avons, dit-on, des savants qui voyagent pour s’instruire ; c’est une erreur ; les savants voyagent par intérêt comme les autres. Les Platon, les Pythagore ne se trouvent plus, ou, s’il y en a, c’est bien loin de nous. Nos savants ne voyagent que par ordre de la cour ; on les dépêche, on les défraye, on les paye pour voir tel ou tel objet, qui très sûrement n’est pas un objet moral. Ils doivent tout leur temps à cet objet unique ; ils sont trop honnêtes gens pour voler leur argent. Si, dans quelque pays que ce puisse être, des curieux voyagent à leurs dépens, ce n’est jamais pour étudier les hommes, c’est pour les instruire. Ce n’est pas de science qu’ils ont besoin, mais d’ostentation[20]. Comment apprendraient-ils dans leurs voyages à secouer le joug[21] de l’opinion ? ils ne les font que pour elle. Il y a bien de la différence entre voyager pour voir du pays ou pour voir des peuples. Le premier objet est toujours celui des curieux, l’autre n’est pour eux qu’accessoire. Ce doit être tout le contraire pour celui qui veut philosopher. L’enfant observe les choses en attendant qu’il puisse observer les hommes. L’homme doit commencer par observer ses semblables, et puis il observe les choses s’il en a le temps.C’est donc mal raisonner que de conclure que les voyages sont inutiles, de ce que nous voyageons mal. Mais, l’utilité des voyages reconnue, s’ensuivra-t-il qu’ils conviennent à tout le monde ? Tant s’en faut ; ils ne conviennent au contraire qu’à très peu de gens ; ils ne conviennent qu’aux hommes assez fermes sur eux-mêmes pour écouter les leçons de l’erreur sans se laisser séduire, et pour voir l’exemple du vice sans se laisser entraîner. Les voyages poussent le naturel vers sa pente, et achèvent de rendre l’homme bon ou mauvais. Quiconque revient de courir le monde est à son retour ce qu’il sera toute sa vie : il en revient plus de méchants que de bons, parce qu’il en part plus d’enclins au mal qu’au bien. Les jeunes gens mal élevés et mal conduits contractent dans leurs voyages tous les vices des peuples qu’ils fréquentent, et pas une des vertus dont ces vices sont mêlés ; mais ceux qui sont heureusement nés[22], ceux dont on a bien cultivé le bon naturel et qui voyagent dans le vrai dessein de s’instruire, reviennent tous meilleurs et plus sages qu’ils n’étaient partis. Ainsi voyagera mon Émile. TEXTE C : Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, VIII, 4, 1939

Il y a quelques années, au cours d’un long voyage en chemin de fer, j’ai voulu visiter la patrie en marche où je m’enfermais pour trois jours, prisonnier pour trois jours de ce bruit de galets roulés par la mer, et je me suis levé. J’ai traversé vers une heure du matin le train dans toute sa longueur. Les sleepings étaient vides. Les voitures de première étaient vides.

Mais les voitures de troisième abritaient des centaines d’ouvriers polonais congédiés de France et qui regagnaient leur Pologne. Et je remontais les couloirs en enjambant des corps. Je m’arrêtai pour regarder. Debout sous les veilleuses, j’apercevais dans ce wagon sans divisions, et qui ressemblait à une chambrée, qui sentait la caserne ou le commissariat, toute une population confuse et baratée[23] par les mouvements du rapide. Tout un peuple enfoncé dans les mauvais songes et qui regagnait sa misère. De grosses têtes rasées roulaient sur le bois des banquettes. Hommes, femmes, enfants, tous se retournaient de droite à gauche, comme attaqués par tous ces bruits, toutes ces secousses qui les menaçaient dans leur oubli. Ils n’avaient point trouvé l’hospitalité d’un bon sommeil.

Et voici qu’ils me semblaient avoir à demi perdu qualité humaine, ballottés d’un bout de l’Europe à l’autre par les courants économiques, arrachés à la petite maison du Nord, au minuscule jardin, aux trois pots de géranium que j’avais remarqués autrefois à la fenêtre des mineurs polonais. Ils n’avaient rassemblé que les ustensiles de cuisine, les couvertures et les rideaux, dans des paquets mal ficelés et crevés de hernies[24]. Mais tout ce qu’ils avaient caressé ou charmé, tout ce qu’ils avaient réussi à apprivoiser en quatre ou cinq années de séjour en France, le chat, le chien et le géranium, ils avaient dû les sacrifier et ils n’emportaient avec eux que ces batteries de cuisine.

Un enfant tétait une mère si lasse qu’elle paraissait endormie. La vie se transmettait dans l’absurde et

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le désordre de ce voyage. Je regardai le père. Un crâne pesant et nu comme une pierre. Un corps plié dans l’inconfortable sommeil, emprisonné dans les vêtements de travail, fait de bosses et de creux. L’homme était pareil à un tas de glaise. Ainsi, la nuit, des épaves qui n’ont plus de forme, pèsent sur les bancs des halles. Et je pensai le problème ne réside point dans cette misère, dans cette saleté, ni dans cette laideur. Mais ce même homme et cette même femme se sont connus un jour et l’homme a souri sans doute à la femme : il lui a, sans doute, après le travail, apporté des fleurs. Timide et gauche, il tremblait peut-être de se voir dédaigné. Mais la femme, par coquetterie naturelle, la femme sûre de sa grâce se plaisait peut-être à l’inquiéter. Et l’autre qui n’est plus aujourd’hui qu’une machine à piocher ou à cogner, éprouvait ainsi dans son cœur l’angoisse délicieuse. Le mystère, c’est qu’ils soient devenus ces paquets de glaise. Dans quel moule terrible ont-ils passé, marqués par lui comme par une machine à emboutir[25] ? Un animal vieilli conserve sa grâce. Pourquoi cette belle argile humaine est-elle abîmée ?

Et je poursuivis mon voyage parmi ce peuple dont le sommeil était trouble comme un mauvais lieu. Il flottait un bruit vague fait de ronflements rauques, de plaintes obscures, du raclement des godillots de ceux qui, brisés d’un côté, essayaient l’autre. Et toujours en sourdine cet intarissable accompagnement de galets retournés par la mer. […]

Et je regagnai mon wagon. Je me disais : ces gens ne souffrent guère de leur sort. Et ce n’est point la charité ici qui me tourmente. Il ne s’agit point de s’attendrir sur une plaie éternellement rouverte. Ceux qui la portent ne la sentent pas. C’est quelque chose comme l’espèce humaine et non l’individu qui est blessé ici, qui est lésé. Je ne crois guère à la pitié. Ce qui me tourmente, c’est le point de vue du jardinier. Ce qui me tourmente, ce n’est point cette misère, dans laquelle, après tout, on s’installe aussi bien que dans la paresse. Des générations d’Orientaux vivent dans la crasse et s’y plaisent. Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point. Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux, ni ces bosses, ni cette laideur. C’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné.

TEXTE D : Elizabeth Mazev, Mémoire pleine, III, p. 51-53 (ou Les Tribulations d’une étrangère d’origine, 2011)

Olivier arrive à Varna, ville du bord de mer que je découvre, laide et impersonnelle. L’aéroport est encore plus minable que celui de la capitale. Mes cousines, fidèles et dévouées, m’accompagnent.

Il arrive avec un colossal retard, entouré de familles désargentées qui comptent bien profiter au maximum des prix imbattables qui leur sont proposés. Il est déjà épuisé. Avant de chercher un hôtel pour la nuit, nous allons nous baigner dans la mer Noire, sale – les Bulgares découvrent l’écologie en même temps que la démocratie – et il se tord le cou dans le toboggan écaillé où j’ai la riche idée de le conduire après le voyage éprouvant dans le Tupolev brinquebalant aux hôtesses revêches. Le reste du séjour sera à la mesure de ce premier contact : un fiasco homérique.

L’épopée commence à l’hôtel Maritza, qui n’accepte pas les Bulgares ; je loue les chambres en français, mais quand mes cousines viennent retirer leur clef, on les chasse. J’interviens en vociférant, on me dit que l’hôtel est réservé aux étrangers payant en devises ; je réponds, en bulgare, que je suis française, que je paye rubis sur l’ongle, on se moque de moi – mon bulgare ne doit pas être si mauvais malgré mon accent provincial –, nous voilà à la rue.

Les jumelles vont dormir chez l’habitant. Mon mari et moi allons dans le plus luxueux hôtel de la ville, une tour ignoble de dix étages, pour louer une chambre assez minable à un prix exorbitant. Je me garde de parler bulgare.

Une vieille nous vend des fleurs dans la rue et nous escroque sur le prix, sous prétexte de nous donner un nombre impair d’œillets : on n’offre un bouquet pair qu’aux morts. Je fulmine, non pas pour la somme dérisoire que la vieille nous a carottée, mais parce que je suis vexée de m’être fait avoir par son visage ridé et ses mains abîmées. Au restaurant, on ne sert que des boulettes de viande et de la chopska salata : salades de tomates et concombres avec fromage de brebis, menu que nous retrouverons fidèlement dans chaque lieu de

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notre périple.

Le lendemain, je paye la chambre. J’attends la monnaie ; une des hôtesses dit à l’autre en bulgare, que je ne suis pas censée comprendre : « Pour eux cinquante francs ne sont rien, ne leur rends pas la monnaie ». Je me manifeste, toujours en français, elles font mine de ne pas comprendre ; j’explose en bulgare et elles se moquent de moi : « Oh, vous avez vite appris la langue ! » Dans mon nouveau rôle de Mata Hari[26], je hurle, je les insulte, elles rient de plus belle. Vaincue, je rejoins les autres en larmes, mes cousines sont atterrées.

Nous partons découvrir la Bulgarie en voiture. Le cou d’Olivier est plus douloureux que jamais, son air guindé ne présage rien de bon. Les routes mal entretenues conjuguées aux suspensions spartiates de la Lada antédiluvienne[27] de Kati et Mati[28] le mettent au supplice, nous sommes sur des charbons ardents.

Nous traversons des paysages d’une infinie tristesse, écrasés de soleil ; les récoltes pourrissent sur pied, les champs abandonnés sont parsemés de tracteurs immobiles : il n’y a plus assez d’essence pour les approvisionner. Mon époux desserre les dents pour dire « C’est beau ça ». Je traduis, mes cousines pilent, et nous sortons admirer une petite éolienne bleu et rouge, perdue dans un champ de blé. Mes cousines me demandent discrètement ce que nous trouvons beau. Je montre, un peu agacée, l’œuvre conceptuelle ; elles échangent un regard interloqué et me disent humblement : « Nous ne pouvons pas comprendre, vous êtes des artistes[29] ».

ECRITURE

I) Après avoir lu tous les textes, vous répondrez à la question suivante (4 points) :

Quelles images du voyageur les textes du corpus donnent-ils ?

II) Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des trois sujets suivants. (16 points)

1 – Commentaire

Vous commenterez le texte D.

2 – Dissertation

Sujet :

Selon Montaigne, « la diversité des façons d’une nation à autre ne me touche que par le plaisir de la variété. Chaque usage a sa raison. » ? Dans quelle mesure les récits de voyage constituent-ils pour le lecteur une argumentation indirecte lui permettant de réfléchir à la découverte de modes de vie différents du sien et d’aller à la rencontre des autres ?

Vous rédigerez un développement structuré qui s’appuiera sur les textes du corpus, les œuvres que vous avez étudiées en classe et vos lectures personnelles.

3 – Invention

Sujet :

Vous avez effectué avec votre classe un voyage linguistique ou culturel dans un pays étranger. Vous êtes chargé d’en rédiger pour le site internet de votre lycée un compte rendu détaillé.

Vous composerez un récit aussi vivant qu’argumenté des us et coutumes que vous avez observés

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durant votre séjour.

Pistes pour le corrigé :

LA QUESTION DU CORPUS :

Quelles images du voyageur les textes donnent-ils ?

Après avoir présenté les documents et repéré les principales formes de discours, on axe l’étude sur les points suivants :

Le voyage comme découverte de l’autre :

- Chez Montaigne il s’agit d’abord d’oublier sa culture d’origine pour s’intéresser à celle des autres, se fier à ses impressions personnelles pour apprécier et juger (« il advient souvent que les jugements d’autrui ne s’accordent pas aux miens »)

- Se défaire de ses préjugés et se méfier de ceux qui « s’effarouchent des formes contraires aux leurs », qui ne voient dans les usages des autres nations que des pratiques « barbares » ; ceux-là « voyagent couverts et resserrés d’une prudence taciturne et incommunicable ».

- Montaigne recherche surtout à être dépaysé tant par les mœurs et coutumes que par l’envie d’apprendre des autres : « qui plus est, il me semble que je n’ai rencontré guère de manières qui ne vaillent les nôtres », autre façon pour l’auteur des Essais de signaler au lecteur que le voyageur doit se débarrasser aussi d’un sentiment de supériorité culturelle sur les autres civilisations.

- On retrouve cette préconisation chez Rousseau, « voyager pour voir du pays ou pour voir des peuples », la nuance est de taille. Il détecte chez le Sauvage qui jamais ne quitte son territoire un instinct de survie, alors que l’Européen a la réputation de voyager avant tout pour coloniser l’autre : « Nous avons, dit-on, des savants qui voyagent pour s’instruire ; c’est une erreur ; les savants voyagent par intérêt comme les autres… pour les instruire. »

- Pour le philosophe, il y a donc deux manières de voyager, celle des savants (missionnés et payés par le roi) et celle des sages qui « qui voyagent dans le vrai dessein de s’instruire, [et] reviennent tous meilleurs et plus sages qu’ils n’étaient partis ».

- Cette postulation humaniste se vérifie aussi dans Terre des hommes de Saint-Exupéry. Les passagers du train dans lequel l’écrivain voyage constituent un échantillon de cette humanité souffrante et laborieuse rencontrée dans la promiscuité d’une voiture : « Tout un peuple enfoncé dans les mauvais songes et qui regagnait sa misère. » Aussi le voyage suscite-t-il une réflexion intime sur les hommes, entre, d’une part, ceux qui sont à l’abri du besoin, protégés et chez lesquels le talent pourra s’épanouir et pourquoi pas ? engendrer les génies de demain (Mozart), et d’autre part, les autres, aliénés à leur condition sociale, «cette belle argile humaine abîmée » pour toujours. Saint-Exupéry y lit un sentiment profond d’injustice entre les hommes. Le voyage lui permet de le vérifier.

Le voyage révèle aussi le choc des cultures

- Dans Mémoire pleine, Elizabeth Mazev évoque un voyage avec son mari dans une Bulgarie qui vient juste de se libérer du fardeau totalitaire et où le choc culturel est violent. L’ex-satellite de l’Union soviétique accuse un retard technologique, économique et culturel considérable, d’où la scène édifiante « de l’éolienne dans un champ de blé ».

- La lourdeur du système et l’indélicatesse des hôteliers renvoient au couple son image de privilégiés occidentaux qu’on peut spolier sans vergogne. Cette idée apparaît en filigrane dans le texte de Rousseau qui affirme que « les voyages poussent le naturel vers sa pente, et achèvent de rendre l’homme bon ou mauvais », tant chez l’autochtone que chez le visiteur.

- Le voyage en Bulgarie est aussi la découverte d’un monde pauvre, d’une humanité souffrante comme la décrit tragiquement Saint-Exupéry au contact des Polonais, à travers le silence embarrassé des deux cousines

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devant l’inconduite de leurs compatriotes.

- En revanche pour Montaigne, quel que soit le mode de vie, le voyageur se doit de se conformer aux usages de la nation qu’il visite. C’est à lui qu’il revient de faire preuve d’humilité vis-à-vis de ceux qui le reçoivent : « j’accointe ceux-là, je les considère : c’est là où je me prête et où je m’emploie. »

LE COMMENTAIRE :

On s’attache à montrer que le texte d’Elizabeth Mazev obéit à toutes les caractéristiques d’un récit de voyage dont l’argumentation est indirecte.

On peut axer le commentaire sur les points suivants :

Les péripéties du voyage :

- l’arrivée d’Olivier par avion avec « un colossal retard » après un voyage éprouvant au contact d’ « hôtesses revêches »

- le bain dans la mer Noire, au propre comme au figuré et l’accident sur le « toboggan écaillé »

- le comportement des hôteliers qui n’acceptent que des étrangers « payant en devises » et l’expulsion du couple sur ce malentendu ou ceux qui louent une chambre à un « prix exorbitant » dans une tour « ignoble » et qui ne rendent pas la monnaie

- la marchande de fleurs qui les « escroque » et les chopska salata servies à tous les repas

- la colère et la crise de larmes de la narratrice à propos des pratiques indignes des compatriotes de ses parents

- l’état des routes à bord d’une Lada « antédiluvienne » et douloureusement inconfortable, la pénurie de carburant

- la tristesse et la monotonie des paysages

- l’ennui et le mutisme boudeur d’Olivier durant le périple

Le fossé économique et culturel :

- le voyage à bord d’un Tupolev « brinquebalant », un aéroport « minable », une station balnéaire « laide et impersonnelle »

- les « familles désargentées » cherchant les bonnes affaires, la malhonnêteté des hôteliers qui voient dans les touristes la poule aux œufs d’or

- l’accent provincial bulgare de la narratrice qu’on a du mal à prendre pour une Française

- la superstition vénale de la vieille marchande de fleurs, pratique d’un autre âge

- la présence souvent hébétée et l’incompréhension des cousines jumelles

- la laideur de l’urbanisme (la tour « ignoble » de dix étages) et celle du paysage

- la crise agricole causée par la pénurie de carburant (les tracteurs abandonnés dans les champs de blé)

- l’absence de prise de conscience écologique par les autorités locales de la pollution du littoral

- l’éolienne bleu et rouge, vestige de l’ancienne dictature

La critique d’un système politique par le biais de l’humour

- un récit « homérique, épique » dans tous les sens du terme dont le lecteur va se régaler avec un présent d’énonciation rendant plus « singulier » encore un voyage à l’origine « banal »

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- les jeux de mots sur la mer Noire et l’ironie sur la découverte de l’écologie en même temps que la démocratie

- le quiproquo à propos du bulgare et du français dont la narratrice est l’objet (référence à Mata Hari)

- la critique sous-jacente de la bureaucratie sous toutes ses formes

- la pénurie alimentaire avec le leitmotiv de la chopska salata

- la méfiance des Bulgares à l’égard des étrangers perçus comme des oncles d’Amérique fortunés, méfiance entretenue par près de cinquante ans de dictature

- l’utilisation des métaphores comiques (les « suspensions spartiates », l’art conceptuel à propos de l’éolienne, par exemple) et les micro-récits épiques telle l’expulsion de l’hôtel ou la parodie d’un road-movie sur les routes de la campagne bulgare !

- l’exotisme virant au cauchemar à partir de l’étude des registres (comment on passe progressivement du comique au tragique)

LA DISSERTATION

Sujet :

Selon Montaigne, « la diversité des façons d’une nation à autre ne me touche que par le plaisir de la variété. Chaque usage a sa raison. » ? Dans quelle mesure les récits de voyage constituent-ils pour le lecteur une argumentation indirecte lui permettant de réfléchir à la découverte de modes de vie différents du sien et d’aller à la rencontre des autres ?

Vous rédigerez un développement structuré qui s’appuiera sur les textes du corpus, les œuvres que vous avez étudiées en classe et vos lectures personnelles.

Le sujet ne présente pas de difficulté majeure en ce sens que les élèves, outre les textes du corpus et ceux qu’ils ont pu étudier en classe depuis le collège, ont lu des récits de voyage, fictifs ou réels. En seconde et en première, à travers le courant humaniste et le Siècle des Lumières jusqu’au XXIème siècle, ils ont aussi travaillé sur la problématique du voyage dans la littérature. L’argumentation indirecte peut ainsi être envisagée rigoureusement.

La citation de Montaigne ne pose pas de problème de compréhension. Les élèves ont déjà composé sur le corpus. Le sujet invite donc à s’interroger sur les us et coutumes décrits dans les récits de voyage et la manière dont les écrivains ont traité « la diversité, la variété » des façons, c’est-à-dire des modes de vie. Pour Montaigne, il n’y a pas d’échelle de valeur. Aucune nation ne peut se targuer de pratiquer une manière de vivre qui soit supérieure à celle d’autres peuples visités. Mais à travers le mot de l’auteur des Essais, on note les résistances de ceux qui voudraient voir reproduire leur mode de vie partout où ils se rendent.

On propose par conséquent les pistes de réflexion suivantes5 :

Le voyageur empathique :

- Chez Montaigne, « l’homme mêlé », c’est la thèse implicite soutenue, tout comme chez Rousseau : on s’instruit des autres, on ne les instruit pas, ce qui reviendrait à se montrer supérieur à eux à tous égards (militaire, économique, intellectuel, culturel…). Montaigne subodore là un comportement qu’on appellera plus tard, colonialiste. Solide argumentation qu’on peut vérifier dans la Controverse de Valladolid de Jean-Claude Carrière dans le débat qui oppose Bartolomé de Las Casas, le missionnaire proche des Indiens, à la finesse de la rhétorique de Sépulvéda qui considère au contraire ces derniers comme des sous-hommes.

- D’un point de vue plus général, le voyage d’Ulysse peut prendre aussi une dimension initiatique. Rusé

5. La plupart des références littéraires, pour être à la portée des élèves, sont empruntées aux manuels de littérature au programme des classes de première, conformément aux instructions officielles.

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guerrier de Troie, après vingt ans d’errance il rentre à Ithaque plein d’une expérience acquise mais empreint d’un sentiment d’humilité. Il doute. Son périple a fait de lui un autre homme à travers les épreuves traversées.

- Le voyage peut être aussi l’occasion de prendre conscience d’une humanité souffrante, comme dans l’extrait de Terre des hommes de Saint-Exupéry. On se réfère aussi à Claude Lévi-Strauss qui a observé chez les Bororos, peuple amérindien du Brésil, une micro-société structurée n’ayant rien à envier à la nôtre et validant ainsi la thèse de Rousseau sur le mythe du bon sauvage.

- Certaines œuvres de Le Clézio comme son recueil de nouvelles Mondo (que les collégiens connaissent) ou encore Désert, Hasard, Angoli mala sont autant de récits au cours desquels le narrateur confirme la thèse de Montaigne au contact des autres peuples, sur d’autres continents. De même les deux récits de Laurent Gaudé, (Sang négrier et Dans la nuit mozambique), écrits dans les années 2000 dans lesquels l’auteur peint une humanité impitoyable dans une Afrique étrange. Ils prolongent cette quête du voyageur toujours en empathie avec les peuples chez lesquels il se rend, parfois au mépris du danger.

Le voyageur conforté dans ses préjugés :

- L’extrait de Mémoire pleine symbolise la fin d’une situation géopolitique d’opposition frontale. L’effondrement du bloc de l’Est en 1989 signe le triomphe de l’économie libérale. Ainsi les voyageurs du récit d’Elizabeth Mazev, croyant naïvement encore à une morale forgée par le collectivisme, ont l’impression de « s’être fait avoir » dans un pays qu’ils découvrent à travers des pratiques locales indélicates. Le retard économique, politique, social et culturel de la Bulgarie par rapport à l’Europe de l’Ouest ne leur permet pas de s’adapter ou de se remettre en cause. Le constat est accablant.

- Ce constat, dans une mise en garde visionnaire, Gide, dans son Retour de l’URSS en 1936, l’avait déjà établi, à une époque où les intellectuels et les artistes occidentaux pariaient sur l’avènement d’une société sans classes que la révolution bolchévique avait prophétisée. Ainsi, il décrit les files d’attente interminables des Russes pour entrer dans les magasins quasi vides où « un air qui, pour celui qui vient du dehors, paraît d’abord irrespirable ; puis on s’y fait, comme on se fait à tout. J’allais écrire : on se résigne. »

- A un autre niveau, les récits de voyage des écrivains du 19ème siècle entérinent la suprématie de la culture européenne sur les autres, qu’on pourrait assimiler à une posture quasi coloniale. Même les beaux récits de voyage de Chateaubriand en Amérique et en Orient ou le Salammbô de Flaubert demeurent d’exceptionnels exercices de style littéraire, mais passent à la trappe la dimension civilisationnelle des continents visités, excepté certains passages du Voyage en Orient de Nerval consacrés aux autochtones. On peut aussi voir dans les œuvres de Pierre Loti un orientalisme contestable dans sa forme même. Ce que recherchent les écrivains-voyageurs est plutôt la rémanence ou la réactivation des mythes, la beauté des paysages, et rien d’autre comme le rappelle Paul Nizan dans Aden Arabie : « Il n’y a plus grand-chose à ajouter à la poésie de la terre » quand « il manque les hommes ».

- Il n’est pas jusqu’à Camus qu’on n’ait pas accusé, à tort ou à raison, de colonialisme larvé. Dans L’Etranger et, dans une moindre mesure La Peste, l’argumentation indirecte qui sous-tend ces deux romans fait des Arabes des êtres soumis à une Algérie française arrogante. Même si Camus s’en défend, le lecteur arabophone perçoit dans ses personnages des figures du colon, mais oublie que l’auteur est né en Afrique du nord. Camus n’est pas un écrivain-voyageur !

Le voyageur convaincu de se remettre en cause :

- Le voyage enfin nous transforme en nous obligeant à changer notre regard, voire à remettre en cause notre mode de vie : partager sans préjugés celui des autres et en accepter tous les aspects. Ainsi dans l’Eté grec, Jacques Lacarrière raconte comment ses voyages à pied en Crète dans les années quarante et cinquante, avant que celle-ci ne devienne un lieu de tourisme de masse, l’ont radicalement métamorphosé au contact des villageois qui l’avaient adopté. « Etre reçu dans une maison est une chose, devenir pour un soir un hôte véritable et un ami en est une autre. […] Devenir hôte recherché après n’avoir été qu’hôte accueilli ne dépend plus que de vous-même. »

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- Il arrive aussi que la désillusion soit à la mesure de l’espoir misé sur un autre continent pour avoir tenté d’en comprendre la culture, voire la partager. Michel Leiris consigne amèrement cet échec dans l’Afrique fantôme : « On ne s’approche pas tellement des hommes en s’approchant de leurs coutumes. Ils restent, avant comme après l’enquête, obstinément fermés. […] Je n’ai jamais couché avec une femme noire. Que je suis donc resté européen ! »

- Ailleurs, la colère étrangle Claude Lévi-Strauss à Calcutta, comme il l’évoque dans Tristes tropiques, lorsque les mendiants et les tireurs de pousse-pousse auxquels ils s’adressent avec humanité pour briser le rapport de classe le renvoient à son statut d’Européen : « Voudrait-on même traiter ces malheureux comme des égaux ; ils supplient ; ils conjurent que vous les écrasiez de votre superbe. »

- Cette même incompréhension avait tourmenté Bougainville lors de la découverte de l’île de Tahiti, au contact des jeunes femmes s’offrant par coutume, avec l’approbation enthousiaste des hommes, à des marins médusés et pressés d’assouvir leurs désirs ; liberté ou absence de mœurs que Diderot saura récupérer pour la théoriser dans son Supplément à des fins de justification philosophique : le libertinage de son époque ne saurait être taxé d’immoral. Il est dans la nature.

INVENTION

Sujet :

Vous avez effectué avec votre classe un voyage linguistique ou culturel dans un pays étranger. Vous êtes chargé d’en rédiger pour le site internet de votre lycée un compte rendu détaillé.

Vous composerez un récit aussi vivant qu’argumenté des us et coutumes que vous avez observés durant votre séjour.

Le sujet offre des entrées nombreuses. Les voyages scolaires à caractère pédagogique et culturel font partie de l’accompagnement pédagogique dans le secondaire. Le sujet intéresse les élèves au premier chef.

On attend qu’ils rendent compte du voyage en variant les situations, en jouant sur toutes les modalités du récit, en mêlant plusieurs registres tout en privilégiant l’argumentation indirecte.

On valorise les points suivants :

- la découverte du pays, de la langue, des habitants, de la culture avec des références précises

- le mode de vie (les rythmes scolaires, de travail, la cuisine, les règles de savoir-vivre, les transports, etc)

- S’il s’agit d’un échange avec des correspondants, la vie au lycée, les cours, le fonctionnement de l’établissement, les sorties, la vie dans la famille d’accueil

- les modalités d’un récit vivant, émaillé d’anecdotes amusantes et de descriptions pittoresques sur telle ou telle particularité locale, de dialogues éventuellement

- l’objectivité des faits teintée d’humour ou d’ironie légère, un peu à la manière de l’extrait de Mémoire pleine.

- une argumentation indirecte au service de la thèse défendue (prise de conscience d’un mode de vie original, d’une situation sociale singulière, d’un choc culturel, d’une rencontre, etc.)

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La biographie langagière, outils de formation à l'école

La biographie langagière, outil de professionnalisation des enseignants du premier et du second degré, de toutes disciplines, ainsi que des autres acteurs du système éducatif (cadres, conseillers d'orientation psychologues, conseillers principaux d'éducation...), en formation initiale ou continuée.

Il s’agit d’un projet innovant, fondé sur les cahiers des charges de la Division des politiques linguistiques du Conseil de l’Europe, dans la mesure où les textes réglementaires de l’éducation nationale ne comportent aucune référence au plurilinguisme, aux compétences interculturelles des élèves ou des adultes chargés de leur formation, à une possible socialisation langagière en plusieurs langues et à une prise en compte dans la situation d’enseignement/apprentissage.

L’originalité du projet consiste à relier le geste culturel et artistique, la création théâtrale contemporaine au champ de la didactique des langues et cultures, qui en éclaire « scientifiquement » l’analyse en approfondissant les intuitions de la critique classique.

Les détails du projet et séquences sont à découvrir en ligne

Sommaire• Présentation• La langue bulgare• De Mémoire pleine aux Tribulations...• Activité 1 : Voir et lire• Activité 2 : Débattre• Activité 3 : Ecrire• Activité 4 : Comparer• Voyage en 5 langues• Pour aller plus loin : sitobibliographie

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Annexe à la séance 3 Groupement de textes

Objet d’étude : Le texte théâtral et sa représentation, du 17ème siècle à nos jours.Groupement de textes autour de monologues classiques et contemporains Problématique : Quelles sont les principales modalités du monologue théâtral, d’hier à aujourd’hui ? Objectifs : Montrer aux élèves que le monologue a considérablement évolué au cours des siècles et que sa fonction aujourd’hui n’est plus celle de la tragédie classique, par exemple. Le monologue remplissait autrefois différentes fonctions telles que l’adresse au public, l’information des états d’âme ou des projets d’un personnage, par exemple. De nos jours, le monologue constitue à lui seul un spectacle au cours duquel le comédien supprime le quatrième mur pour s’adresser aussi directement au public. Il devient en cela une œuvre à part entière. Perspectives dominantes : A travers l’étude des monologues, on balaie aussi l’histoire du théâtre, en allant de Molière jusqu’à Lagarce en passant par le drame romantique. C’est aussi un point de repère essentiel pour les élèves de comprendre cette évolution et de découvrir des œuvres du répertoire contemporain. 1 - Molière, Georges Dandin ou le mari confondu, 1668, Acte I, Scène IGeorge Dandin. – Ah ! qu'une femme demoiselle est une étrange affaire ! et que mon mariage est une leçon bien parlante à tous les paysans qui veulent s'élever au-dessus de leur condition, et s'allier, comme j'ai fait, à la maison d'un gentilhomme ! La noblesse, de soi, est bonne ; c'est une chose considérable, assurément : mais elle est accompagnée de tant de mauvaises circonstances, qu'il est très bon de ne s'y point frotter. Je suis devenu là-dessus savant à mes dépens, et connais le style des nobles, lorsqu'ils nous font, nous autres, entrer dans leur famille. L'alliance qu'ils font est petite avec nos personnes : c'est notre bien seul qu'ils épousent ; et j'aurais bien mieux fait, tout riche que je suis, de m'allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une femme qui se tient au-dessus de moi, s'offense de porter mon nom, et pense qu'avec tout mon bien je n'ai pas assez acheté la qualité de son mari. George Dandin ! George Dandin ! vous avez fait une sottise, la plus grande du monde. Ma maison m'est effroyable maintenant, et je n'y rentre point sans y trouver quelque chagrin. 2 – Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1784Acte V, Scène IIIFigaro, seul, se promenant dans l'obscurité, dit du ton le plus sombre.O femme ! femme ! femme ! créature faible et décevante !... nul animal créé ne peut manquer à son instinct ; le tien est-il donc de tromper ?... Après m'avoir obstinément refusé quand je l'en pressais devant sa maîtresse, à l'instant qu'elle me donne sa parole, au milieu même de la cérémonie... Il riait en lisant, le perfide ! et moi comme un benêt... non, Monsieur le Comte, vous ne l'aurez pas... vous ne l'aurez pas. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !... noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fier ! Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m'a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu'on n'en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes ; et vous voulez jouter... On vient... c'est elle... ce n'est personne. – La nuit est noire en diable, et me voilà faisant le sot métier de mari quoique je ne le sois qu'à moitié ! (Il s'assied sur un banc.) – Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ? […] 3 – Victor Hugo, Ruy blas, 1838Acte III, scène 5RUY BLAS, qui a écouté [Don Salluste] avec égarement et comme ne pouvant en croire ses oreilles.Ô mon Dieu ! – Dieu clément !Dieu juste ! De quel crime est-ce le châtiment ?Qu'est-ce donc que j'ai fait ? Vous êtes notre père,

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Et vous ne voulez pas qu'un homme désespère !Voilà donc où j'en suis ! – et, volontairement,Et sans tort de ma part, – pour voir, – uniquementPour voir agoniser une pauvre victime,Monseigneur, vous m'avez plongé dans cet abîme !Tordre un malheureux cœur plein d'amour et de foi,Afin d'en exprimer la vengeance pour soi !Se parlant à lui-même.Car c'est une vengeance ! Oui, la chose est certaine !Et je devine bien que c'est contre la reine !Qu'est-ce que je vais faire ? Aller lui dire tout ?Ciel ! Devenir pour elle un objet de dégoûtEt d'horreur ! Un crispin, un fourbe à double face !Un effronté coquin qu'on bâtonne et qu'on chasse !Jamais ! – Je deviens fou, ma raison se confond !Une pause. Il rêve.Ô mon Dieu ! Voilà donc les choses qui se font !Bâtir une machine effroyable dans l'ombre,L'armer hideusement de rouages sans nombre,Puis, sous la meule, afin de voir comment elle est,Jeter une livrée, une chose, un valet,Puis la faire mouvoir, et soudain sous la roueVoir sortir des lambeaux teints de sang et de boue,Une tête brisée, un cœur tiède et fumant,Et ne pas frissonner alors qu'en ce momentOn reconnaît, malgré le mot dont on le nomme,Que ce laquais était l'enveloppe d'un homme !Se tournant vers don Salluste.Mais il est temps encore ! Oh ! Monseigneur, vraiment,L'horrible roue encor n'est pas en mouvement !Il se jette à ses pieds.Ayez pitié de moi ! Grâce ! Ayez pitié d'elle !Vous savez que je suis un serviteur fidèle.Vous l'avez dit souvent. Voyez ! Je me soumets !Grâce ! 4 – Bernard-Marie Koltès, La nuit juste avant les forêts, 1977Tu tournais le coin de la rue lorsque je t’ai vu, il pleut, cela ne met pas à son avantage quand il pleut sur les cheveux et les fringues, mais quand même j’ai osé, et maintenant qu’on est là, que je ne veux pas me regarder, il faudrait que je me sèche, retourner là en bas me remettre en état - les cheveux tout au moins pour ne pas être malade, or je suis descendu tout à l’heure, voir s’il était possible de se remettre en état, mais en bas sont les cons, qui stationnent : tout le temps de sécher les cheveux, ils ne bougent pas, ils restent en attroupement, ils guettent dans le dos, et je suis remonté – juste le temps de pisser – avec mes fringues mouillées, je resterai comme cela, jusqu’à être dans une chambre : dès qu’on sera installé quelque part, je m’enlèverai tout, c’est pour cela que je cherche une chambre, car chez moi impossible, je ne peux pas y rentrer – pas pour toute la nuit cependant - , c’est pour cela que toi, lorsque tu tournais là-bas, le coin de la rue, que je t’ai vu, j’ai couru, je pensais : rien de plus facile à trouver qu’une chambre pour une nuit, une partie de la nuit, si on le veut vraiment, si l’on ose demander, malgré les fringues et les cheveux mouillés, malgré la pluie qui ôte les moyens si je me regarde dans une glace. 5 – Philippe Minyana, Inventaires, 1985JACQUELINE - La rue des Ecoles c'est la rue de l'amour pour moi de l'amour fou j'avais dix -sept ans mon Russe avait une grosse bouche on aurait dit qu'il sifflait on se disait : ce gars-là il est sympa il siffle non c'était sa bouche qui était comme ça sa peinture était tourmentée des trucs sombres et des bleus de Prusse des grands tableaux toute une horreur qui avait besoin de sortir les gens n'appréciaient pas j'étais de la campagne j'avais une certaine fraîcheur il disait que j'étais son marbre grec mes filles elles ont souffert avec la mode Brigitte Bardot les kilos il fallait les perdre ! Il avait vingt-quatre ans sept ans de plus que moi il m'en imposait il était émacié c'était pas sa nature d'être gros mais c'était impressionnant cet homme qui avait souffert j'ai connu le plaisir tout de suite à ce niveau-là je débarquais ça a été une surprise à la caserne de Reuilly ils faisaient appel aux lycéen pour travailler bénévolement à l'accueil des prisonniers qui venaient d'Allemagne les trains arrivaient à la gare de l'Est on les désinfectait ils avaient des numéros des contrôles policiers c'était exaltant 1a guerre était gagnée on chantait « Sambre et Meuse » mais il n'y avait plus de confitures nous

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les jeunes on faisait l'intendance avec lui ça été le coup de foudre il avait une chambre dans la caserne à côté d'un bureau où il travaillait le jour on l'avait mis interprète j'ai toujours été fascinée par ses yeux les yeux ça brûle et puis sa bouche ma mère m’a dit que parce que je faisais l'amour dans une caserne j'étais un roulure après on est allés rue des Ecoles justement mais là problème lui il était déjà marié avec une femme qui avait eu un gosse avec un Allemand ça lui faisait des embrouilles point de vue déclaration alors, lui il s'était dévoué mais il l'a mise enceinte aussi à un moment donné il avait dû l'aimer j'ai lu toutes les lettres et puis j'ai brûlé leurs lettre à ce moment-là ma mère a tout gâché elle m'a mis les flics au cul : recherche dans l'intérêt des familles déjà que je portais le poids du péché j'avais fait ma communion j'ai rompu avec ma mère je me suis planquée chez une tante c'était une sœur de mon père qui s'était brouillée avec ma mère je l'ai connue à l'enterrement de mon père j'ai dit que j'habitais chez elle j'ai trouvé du travail S.O.S. Savoir Obéir et Servir S.O.S. et après dans les assurances ! Et après alors après ça a été la vie de bohème, il peignait beaucoup de visages de Christ il était né en Lituanie ça c'était vrai il disait qu'il était allé en Chine ça c'était faux c'était un vrai menteur on bouffait des flocons d'avoine à l'huile de foie de morue j'étais J3 ceux qui avaient le plus de cartes d'alimentation du lait du sucre je revendais mon sucre j'achetais de l'orge perlé et au marché aux oiseaux des graines pour les oiseaux et on mangeait les graines il repeignait les cuisines des rombières il tapissait c'est comme ça que j'ai su que ma balayette c'était pas une balayette je lui disais : tu la perds pas ma balayette et il me disait : c'est pas une balayette elle a duré duré et puis maintenant je la trouve plus elle a été avec moi vingt-six ans elle allait sous les meubles elle allait dans les coins elle était très bien faite maintenant j'ai plus rien à cause des déménagements on dit trois déménagements égalent un incendie... 7 – Jean-Luc Lagarce, Les règles du savoir-vivre dans la société moderne, 1994 La Dame :Le contrat se signe souvent chez le notaire.Mais quand le notaire se rend chez les parents de la fiancée‚ toutes les personnes intéressées s’y assemblent. Dans l’un comme dans l’autre cas‚ les clauses du contrat doivent avoir été bien débattues‚ par avance‚ entre les deux familles – hors de la présence des fiancés‚ cela va sans dire – pour éviter toute discussion âpre et violente‚ au moment des dernières stipulations. Quand le contrat se signe chez les père et mère de la fiancée‚ il est toujours suivi d’un dîner auquel est convié le notaire. Parfois le contrat se signe au milieu d’une soirée‚ qui réunit bon nombre d’invités. Les divertissements ou la conversation s’interrompent‚ hop ! Le notaire donne lecture du contrat. Tout le monde est très surpris‚ on dit :« Ah. »Alors le futur (le futur mari‚ le fiancé‚ le jeune homme‚ le futur se lève‚ salue sa fiancée‚ signe l’acte et lui passe sa plume. Après avoir apposé son nom‚ celle-ci offre la plume à la mère de son fiancé‚ laquelle la remet à la mère de la jeune fille‚ les deux pères signent après et‚ ensuite‚ tous les membres des deux familles‚ par rang d’âge. C’est simple. La soirée de signature n’a déjà plus cet aspect intime de la fête de fiançailles. Toutefois on n’y invite pas de connaissances banales. Pour résoudre ce douloureux problème qui semble vouloir se reposer régulièrement‚ j’ose insinuer que‚ peut-être la solution serait de n’avoir jamais de connaissances banales. Au moment de la signature‚ si le notaire demande à la fiancée – comme c’est son droit‚ et pourquoi se gênerait-il? – la permission de lui baiser la main‚ elle la lui accordera‚ après avoir rapidement consulté du regard sa mère et son fiancé. Tous deux font‚ des yeux‚ un signe d’acquiescement. Comme ça.(Elle montre.)En réclamant le consentement du fiancé‚ il y a comme une reconnaissance anticipée de ses droits‚ quelque chose de touchant et qui donne une vue bien nette des devoirs de la vie conjugale. Mais dira-t-on‚ la fiancée ne dépend encore que de ses parents. Pas tout à fait ; elle porte au doigt un anneau qui l’engage déjà et elle a reçu‚ est-il déjà besoin de le rappeler‚ des présents solides qui lui créent des obligations. 9 – Jean-Pierre Siméon, Stabat mater furiosa, 1999, 2005 Je suis la mère furieuse etje me tiens deboutparmi la foule hagarde nue des campsla foule de chair d’os de sang de cheveux et de dentsqui n’est plus par ton[8] œuvrequ’une forme abstraite sans odeur et sans voixune idée de la mort etnous avons à jamais sous la peau cette idée de la mort

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à jamais dans la matière tendre du cerveaucette écharde de la mort ordurièreje suis debout dans les charnierspleine de l’odeur grasse des fuméesqui poisse mes cheveuxet nulle fraîcheur ne m’en laveraje suis debout près de l’enfantdont la tête cassée tombe à la renverse vers le ciell’enfant qui était fait pour embrasser tes joues(car cet enfant un jour fut le tiencar un jour tu fus le père qui tient le nouveau-né entreses mainscomme une sphère de cristalet qui s’étonne de cette chose impossiblequ’il a faite)je suis debout devant toiet je regarde dans ton sourire gênéles raisons qui t’absolventtes raisons valent moins que les raisons de l’étéqui sèchent l’arbrevalent moins que les raisons du serpentqui mord le talonmoins que les raisons de la putainqui offre ses seins au plus offrant

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